Chapitre
1
Le poids
d'une institution discursive
La
déclaration de politique générale, c'est la chose la plus
sinistre à faire.
Raymond Barre
Deux
systèmes politiques distincts
L'Assemblée
législative de Québec a été instaurée en
1791 afin de gérer le dominion britannique du Bas-Canada. Ce territoire,
nommé la Nouvelle-France depuis sa colonisation par Samuel de Champlain,
relevait auparavant de l'autorité du roi de France. La région
participa ensuite à la création de la confédération
canadienne lors de l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique en 1867 par
lequel fut institué l'État fédéral dont le
gouvernement siège à Ottawa. La province fonctionne depuis lors
sous un régime de monarchie parlementaire de type Westminster, dans un
système bipolaire32(*) avec quasi uniquement deux partis. Le chef de
l'État est la Reine Élisabeth II, mais son statut est seulement
symbolique et consiste à maintenir les liens qui unissent tous les
États du Commonwealth. Elle est représentée au Canada
à travers un gouverneur-général qui a pour fonctions
l'apposition du sceau royal et la promulgation des lois.
Le système de la
confédération canadienne accorde des pouvoirs importants à
ses provinces. Celles-ci fonctionnent comme de réels États, avec
un gouvernement issu du Parlement qui dispose des pouvoirs régaliens, de
l'initiative des lois, du droit de lever des impôts... Le Québec
compose avec une administration qui lui est propre, lui permettant entre autres
de gérer les domaines de la santé, de la justice33(*), de l'éducation, du
budget...
Au Parlement de
Québec, on retrouve le parti gouvernemental du Premier ministre et celui
de l'opposition officielle. Le système politique conduit à la
création de partis politiques forts car il est nécessaire de
disposer d'une majorité au Parlement pour pouvoir mettre en place ses
projets. La scène québécoise est monopolisée par le
Parti libéral du Québec (PLQ) et par le Parti
québécois (PQ). Plus récemment, les conservateurs de
l'Action démocratique du Québec (ADQ) ont fait leur entrée
dans la chambre. Leur arrivée a alors prêté à la
création de gouvernements minoritaires au Parlement, mais ce fait est
exceptionnel tant les deux grands partis neutralisent toute concurrence.
Les députés
élus au suffrage universel direct nomment un Premier ministre parmi l'un
d'eux, généralement le chef du parti. Ce dernier choisit dans le
collège de députés son Cabinet, c'est-à-dire son
conseil des ministres. La durée officielle du mandat est de 5 ans,
cependant la longévité moyenne d'un Cabinet est de 3 ans. Les
gouvernements savent agir en conséquence lorsqu'ils sont trop
impopulaires, contestés par la base de leur mouvement ou s'ils subissent
le moindre échec électoral. Dans le cas où le parti
gouvernemental ne serait plus majoritaire en chambre, l'Assemblée peut
exprimer sa défiance à l'égard du Premier ministre qui
devra alors remettre sa démission au lieutenant-gouverneur, le
représentant du gouverneur-général dans la province. Mais
le régime n'en est pas pour autant instable dans la mesure où les
gouvernements profitent toujours d'une période suffisamment longue pour
appliquer leur programme.
Les élites
québécoises des années 1980 sont majoritairement issues de
la filière juridique ainsi que du milieu universitaire d'excellence.
Ainsi Jacques Parizeau, diplômé de la London School of Economics
enseignait à HEC Montréal, Bernard Landry repris ses
études alors qu'il exerçait au Barreau de Québec pour
obtenir un diplôme de l'IEP de Paris en section
économique34(*),
Jean Charest a commencé sa carrière en tant qu'avocat en droit
criminel35(*), tout comme
Lucien Bouchard. Nous pourrons voir plus tard que l'excellence oratoire des
avocats transparaît nettement dans les mots des discours
inauguraux.
Pour terminer, il faut
préciser qu'il n'existe plus de Conseil législatif au
Québec. Auparavant constitué sur le principe de la chambre des
Lords au Parlement de Westminster avec des membres nommés à vie
pour leur rang social, le Conseil législatif du Québec a
été aboli en 1968. Cette chambre disposant de pouvoirs forts
présentait un décalage trop grand avec l'idéal
démocratique et le suffrage universel. Il n'existe donc plus qu'une
seule chambre toute puissante, dont seuls les magistrats de la Cour
Suprême de la Couronne peuvent invalider les décisions.
La République
française, elle, prend ses sources au fondement de l'exaspération
jacobine contre la monarchie qui se cristallisera dans la Révolution de
1789. L'idéal réside dans un État dirigé par des
élus du peuple et responsables devant celui-ci. Un siècle et demi
plus tard, au lendemain du second conflit mondial, les Français
rejettent par référendum le retour à la IIIe
République, qui reposait sur le primat du législatif. Le
gouvernement provisoire laisse la place à la IVe
République, un régime parlementaire bicamériste dans
lequel les deux Assemblées élisaient un Président de la
République pour 7 ans. Ce dernier disposait d'un rôle de second
plan car le pouvoir exécutif était exercé par le
Président du Conseil qu'il avait la charge de désigner.
Cependant, face à une crise institutionnelle insurmontable36(*), le Général de
Gaulle fut investi des pleins pouvoirs en 1958 afin de mettre en place une
nouvelle constitution.
La Ve
République installe un régime semi-présidentiel pour en
finir avec « le régime des partis37(*) » en assurant
à la fois la stabilité et la puissance du pouvoir
exécutif, désormais aux mains du Président de la
République. Élu dès 1962 au suffrage universel direct pour
une durée de 7 ans38(*), le régime lui accorde une place très
importante. Chef des armées, recours suprême en justice, il dirige
la diplomatie et indique au gouvernement ses grandes orientations. Dans un
souci de prééminence de l'exécutif, le Président de
la République dispose aussi du droit de dissoudre l'Assemblée
nationale, ce qui constitue une limite à la séparation des
pouvoirs39(*).
En France, le Premier
ministre est une véritable institution40(*). Certains historiens attribuent même son
apparition au début de la monarchie capétienne41(*). Il est constitutionnellement
un puissant subordonné, chargé de déterminer et
d'exécuter la politique de la nation42(*). À l'inverse du système de la
IVe République, le Premier ministre de la Ve
République est nommé par le Président de la
République, et compose avec lui son gouvernement43(*). À la différence
du Québec, il n'est en aucun cas obligatoire que celui-ci soit un
élu à l'Assemblée nationale, ainsi Dominique de Villepin
est devenu Premier ministre sans n'avoir jamais été
légitimé par l'élection. Par ailleurs, la Ve
République rend possible la situation unique d'une cohabitation d'un
Président et d'un Premier ministre politiquement opposés44(*) : le rôle du chef
de l'État se voit alors affaiblit.
Le système
bicaméral repose sur une Assemblée nationale élue au
suffrage universel direct et sur un Sénat élu au suffrage
universel indirect par les « grands électeurs ». Les
projets de loi du gouvernement effectuent une navette entre les deux chambres
afin d'être examinés. Cependant la décision finale
appartient toujours à l'Assemblée nationale. Le gouvernement est
responsable de son action devant celle-ci et il peut être renversé
par le vote d'une motion de censure.
Contrairement au
Québec, les élites de la classe politique française ne
sont pas issues de la magistrature mais du fleuron de l'administration
publique. En effet, il persiste en France une tradition de grandes
écoles d'excellence. Le Général de Gaulle fonda par
ordonnance en 1945 l'École nationale d'administration (ÉNA) afin
de recruter et de former les futurs cadres supérieurs de
l'administration publique. Cette institution d'élite constitue un
réservoir de futurs dirigeants gouvernementaux. Parmi les dix derniers
Premiers ministres de la Ve République, seuls trois ne sont
pas issus d'un tel cursus. Jean-Pierre Raffarin, le seul à ne pas
être énarque parmi notre corpus, détient par exemple un
diplôme de l'École supérieure de commerce de Paris.
Notre objet d'étude
porte donc bien sur deux États différents. Le régime
parlementaire ne correspond en rien au système présidentiel. Les
Premiers ministres disposent de fonctions équivalentes, mais
n'évoluent pas dans un environnement similaire.
* 32 Il existe un
système de pouvoir à deux paliers : le pouvoir
fédéral et le pouvoir provincial. Ils sont tous les deux
distincts.
* 33 Notons que le droit
civil québécois est unique au Canada. Il repose sur les bases du
Code Napoléon.
* 34 Michel Vastel,
Landry, le grand dérangeant, Montréal, Les
Éditions de l'Homme, 2001, 434 pages.
* 35 Jean Charest, J'ai
choisi le Québec, Ottawa, Éditions Pierre Tisseyre, 1998,
276 pages.
* 36 Sous la IVe
République, le Président du Conseil était dépendant
des majorités parlementaires. En 12 ans, pas moins d'une vingtaine de
gouvernements se succédèrent, avec une durée moyenne de 9
mois. Le régime fit face à une crise diplomatique avec le Canal
de Suez, et des crises coloniales avec le conflit en Indochine et les
négociations avec la Tunisie et le Maroc. Ce sont les
évènements d'Algérie qui scelleront définitivement
le sort d'un régime incapable de s'imposer face aux évolutions de
son temps (décolonisation, Trente Glorieuses...).
* 37 Expression
employée par Charles de Gaulle, fervent opposant aux institutions de la
IVe République.
* 38 Depuis le
référendum sur le quinquennat en 2000, le Président de la
République est élu pour une durée de 5 ans. Cela permet
d'éviter les blocages institutionnels liés à une
éventuelle cohabitation. Par ailleurs, le statut pénal du chef de
l'État a été précisé en 2001 par la Cour de
Cassation qui lui accorde l'immunité tant qu'il est en fonction.
* 39 Serge Sur, Le
système politique de la Cinquième République, Paris,
Presses Universitaires de France, Collection Que sais-je ?,
3ème édition, 1987, 120 pages.
* 40 Paul Marie de la Gorce,
Bruno Moschetto, La Cinquième République, Paris, Presses
Universitaires de France, Collection Que-sais-je ?,
7ème édition, 1996, 124 pages.
* 41 Jean Massot, Le
chef du gouvernement en France, Paris, La documentation française,
collection « Notes et études documentaires », 1979,
299 pages.
* 42 Jean Massot, Le
chef du gouvernement en France, Paris, La documentation française,
collection « Notes et études documentaires », 1979,
299 pages ; Stéphane Rials, Le Premier Ministre, Paris,
Presses Universitaires de France, collection Que sais-je ?,
2ème édition, 1985, 123 pages.
* 43 Dominique Labbé,
Denis Monière, Le discours gouvernemental - Canada, Québec,
France (1945-2000), Paris, Editions Honoré Champion, Collection
Lettres numériques, 2003, page 81.
* 44 La Ve
République fut marquée par trois périodes de
cohabitation : Mitterand-Chirac (1986-1988), Mitterrand-Balladur
(1993-1995), et Chirac-Jospin (1997-2002).
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