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L'action Paulienne

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par Youssef Fassi-Fihri
Université de Perpignan - DESS 2003
  

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L'ACTION PAULIENNE

INTRODUCTION

Garantir une obligation c'est renforcer par des sécurités la probabilité de son recouvrement, ce qui suppose, d'une part, que le lien d'obligation ne soit pas appelé à connaître un dénouement instantané par exécution immédiate, et d'autre part, que le créancier ait quelque raison, tenant à l'importance des intérêts en jeu, de redouter la défaillance du débiteur en admettant qu'aucun n'est totalement insensible aux mesures susceptibles d'améliorer l'espoir d'un règlement effectif.

Le droit des obligations inclut sous le rapport de leur effectivité, un lot de techniques et mécanismes, légaux ou conventionnels dont l'objectif est la défense ou la préservation des intérêts acquis par le créancier contre son débiteur. La partie la plus saillante de ce dispositif de protection est, évidemment, constituée par le droit de gage général sur les biens mobiliers et immobiliers du débiteur.

Cependant le droit de gage général est une garantie précaire, étendue à toute la fortune du débiteur, mais dépourvue de toute maîtrise sur ces éléments d'actif. Sa vertu sécurisante est subordonnée à la consistance du patrimoine intéressé et donc au bon vouloir et à l'honnêteté du débiteur.

Celui-ci pourrait en cessant d'être loyal, compromettre l'assiette du droit de gage par des initiatives ou des omissions patrimoniales attentatoires à la sécurité des créanciers : c'est le risque de dilapidation.

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Face à un débiteur insolvable ni saisie, ni astreinte ne seront efficaces si le débiteur n'a plus d'actif. Il est donc nécessaire de donner au créancier des moyens d'assurer préventivement la conservation du patrimoine.

Mais ce droit ne doit être accordé que dans des cas exceptionnels car il serait intolérable de permettre aux créanciers de s'immiscer dans la gestion du patrimoine de leur débiteur lorsque celui-ci est solvable.

C'est ainsi que le tribunal de première instance de CASABLANCA - HAY HASSANI AIN CHOCK a, le 21/3/2000 jugé, à bon droit, qu'un débiteur ne peut être empêché de disposer de son patrimoine sauf si son insolvabilité est déclarée ou bien si son immeuble est grevé d'hypothèque (1).

Cependant, l'éventualité d'un risque de dilapidation n'est certes pas dépourvue de moyens préventifs tel que les saisies conservatoires, les inscriptions provisoires ou encore les réserves de propriété ; mais cette éventualité ouvre aussi dans la théorie générale des obligations, deux voies d'action curative tendant à la préservation forcée de l'intégrité du patrimoine du débiteur : ce sont l'action oblique et l'action paulienne.

En d'autres termes, le créancier peut préserver son gage en accomplissant des actes conservatoires, ou bien en exerçant par la voie

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(1) T.P.I. HAY HASSANI, AIN CHOCK - jugement n° 805 du 21/3/2000 - dossier civil n° 181/2000 - jurisprudence non publiée - copie en annexe 1

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oblique, les actions que son débiteur néglige d'intenter ; ou encore d'attaquer par l'action paulienne les actes de son débiteur faits en fraude de ses droits.

Il importe de souligner, de prime abord, que le législateur marocain ne s'est pas préoccupé de définir l'action paulienne et partant, elle n'est réglementée par aucune disposition légale, à l'exception de certains articles du code des obligations et contrats notamment l'article 22 sur la simulation et l'article 1241 du code précité sur les biens des créanciers.

En droit comparé différentes législations maghrébines, arabes et européennes ont réglementé l'action paulienne à travers ses conditions et ses effets.

C'est ainsi que l'article 1167 alinéa 1er du code civil français qui constitue, après l'action oblique, le deuxième volet de la protection des créanciers du fait du comportement néfaste de leur débiteur, stipule « qu'ils peuvent aussi attaquer, en leur nom personnel, les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits »

C'est donc l'action paulienne ou révocatoire que la doctrine française n'a pas manqué de définir comme celle tendant, pour le créancier, à voir remettre en cause, à son égard, tout acte conclu par son débiteur, aux fins de diminuer les chances de recouvrement de la créance.

Sur le plan Maghrébin, le législateur algérien a réglementé l'action paulienne dans son code civil. Ainsi, le Docteur Mohamed HASSANINE l'a défini comme une action donnée au créancier pour le protéger contre

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la fraude d'un débiteur qui diminue son patrimoine ou remplace des biens aisément saisissables par des biens faciles à faire échapper aux poursuites judiciaires (1).

Le droit Tunisien, pour sa part, a consacré à l'action paulienne les dispositions énoncées à l'article 306 (nouveau) alinéa 1er du Code des Obligations et des contrats Tunisiens : « les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur, en fraude de leurs droits, sans toutefois qu'il soit dérogé aux règles de statut personnel et successoral ».

La doctrine tunisienne a tenu à mettre en exergue trois conditions pour que l'action en annulation puisse prospérer :

Tout d'abord il faut que la créance objet du litige, soit arrivée à son terme.

Ensuite il faut que le contrat ou la donation, objet de l'annulation, ait pour conséquence l'appauvrissement, voire son insolvabilité.

Enfin, il faut que le cocontractant du débiteur ait agit de mauvaise foi, c'est-à-dire en fraude des droits des créanciers (2).

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(1) IN « AL WAJIZ FI NADARIAT AL-ILTIZAM » (précis dans la doctrine de l'obligation par Dr. Mohamed HASSANINE Professeur à l'université d'ALGER.

(2) IN « La revue des obligations et des contrats à la lumière des changements contemporains » 1997 par Maître Mohamed SALEH AL IIYARI, ex Ministre de la justice tunisien et Premier Président Honoraire près la Cour d'Appel de TUNIS.

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Sur le plan historique, l'action paulienne vient du droit romain, elle était intentée par le « curator honorum » au nom de tous les créanciers, lors de la « venditio honorum », elle impliquait donc l'insolvabilité du débiteur, et revêtait un caractère pénal en ce qu'elle réprimait le délit de « fraus créditorium », c'est-à-dire le fait d'avoir soustrait intentionnellement ses biens aux poursuites de ses créanciers en passant avec un tiers, un acte juridique.

Ce délit supposait la constatation de la mauvaise foi tant du débiteur que du tiers complice, mais ultérieurement la complicité du tiers ne fut plus exigée lorsque l'acte était à titre gratuit.

Sa dénomination d'action paulienne lui aurait été donnée par les compilateurs de justinien, et serait le résultat d'un emprunt au nom du prêteur Paul (1).

La sanction de l'action paulienne était une condamnation pécuniaire égale au montant de la valeur de la chose soustraite aux créanciers ; condamnation qui n'était prononcée que si les choses n'étaient pas remises en l'état.

De ce fait l'action était « arbitraire » elle aboutissait indirectement à la restitution de la chose, donc à la révocation de l'acte frauduleux, d'où son nom d'action révocatoire.

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(1) IN : Droit civil, les obligations par Boris STARCK - 1986 - LITEC

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Quoiqu'il en soit, on constate que la source essentielle de l'action paulienne est jurisprudentielle. Les tribunaux ont constamment assoupli les conditions de l'action paulienne pour en faire une protection générale des créanciers contre les actes d'appauvrissement de leur débiteur

Il en va pour s'en convaincre d'analyser l'ensemble des décisions judiciaires émanants des différentes juridictions du Royaume du Maroc, faisant application de l'action paulienne sur la base des articles du Dahir formant code des obligations et contrats du 12 Août 1913.

Parmi ces décisions judiciaires, il importe de mettre l'accent sur une jurisprudence récente non publiée afin d'illustrer la place prépondérante de l'application de l'action dans les litiges civils et commerciaux.

Il s'agit d'une caution solidaire ayant bénéficié de plusieurs facilités bancaires. Mais, afin de dilapider son patrimoine et provoquer son insolvabilité, elle consent une donation au profit de son épouse et ce, en fraude des droits des créanciers, ce qui a conduit à l'annulation de l'acte de donation et son inopposabilité aux créanciers (1)

Par ailleurs, l'existence de l'action est une conséquence de l'indépendance du débiteur. Celui-ci conserve l'entière maîtrise de son patrimoine et peut donc librement s'enrichir ou s'appauvrir.

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(1) T.P.I. MARRAKECH jugement n° 2695 du 21/6/2000 - dossier civil n° 244/1/2000 - jurisprudence non publiée (B. C/ TH. ) en annexe n° 2

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La seule limite à cette liberté résulte de la fraude : l'action paulienne tend à protéger le créancier, même chirographaire contre les actes frauduleux de son débiteur. C'est une sanction de la fraude et non de la négligence du débiteur : une protection du droit de gage général des créanciers, très fréquemment utilisée à l'époque contemporaine contre tous les actes d'appauvrissement frauduleux du débiteur telles que les donations ou les ventes à vil prix.

De surcroît, l'action paulienne est une action conquérante qui peut donc être utilisée en toutes circonstances par le créancier qui subit un préjudice du fait de l'appauvrissement frauduleux de son débiteur.

Par cette action, le créancier obtiendra que l'acte frauduleux soit à son égard considéré comme non avenu et en conséquence, de la remise des choses en l'état antérieur à l'acte illicite.

Par ailleurs, l'action paulienne doit être distinguée d'autres actions qui permettent aux créanciers de se prémunir contre les conséquences dommageables des actes de leur débiteur. Elle se présente comme une action spécifique qui ne peut être assimilée notamment à l'action oblique, à l'action en simulation, ou encore à toutes autres actions fondées sur la fraude.

En premier lieu, l'action oblique permet au créancier d'exercer les droits et actions de son débiteur que celui-ci a négligé d'exercer. Elle prémunit donc le créancier contre la négligence de son débiteur, alors que l'action paulienne le protège contre sa fraude ; il s'agit de garantir les créanciers

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contre une déloyauté contractuelle qui ne consiste pas dans une inaction, mais dans une action néfaste (1).

Elle est exercée, en outre, par le créancier au nom du débiteur et profite à l'ensemble des créanciers, sur le bien ou le droit rentrant dans le patrimoine du débiteur alors que l'action paulienne est exercée par le créancier en son nom personnel et ne profite qu'à celui qui l'a intentée.

En second lieu, l'action paulienne doit être distinguée de l'action en déclaration de simulation.

Le droit marocain a réglementé la simulation à l'article 22 du Dahir formant code des obligations et contrats qui stipule que « les contre lettres et autres déclarations écrites n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et leurs héritiers. Elles ne peuvent être opposées aux tiers, s'ils n'en ont eu connaissance .... »

Pour sa part, la jurisprudence marocaine tend à confondre, dans certaines décisions, l'action fondée sur la fraude et celle fondée sur la simulation.

D'ailleurs, les créanciers exercent d'emblée une action paulienne, sans passer par le préalable naturel de la déclaration en simulation et le juge bienveillant accepte, tout à la fois, de rétablir la réalité et de la

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(1) IN : Droit civil, les obligations par B. STARCK N° 2343

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sanctionner si bien que le résultat effectif d'une telle action paulienne sera proche de celui d'une action en déclaration de simulation suivie d'une action paulienne avec la nullité de l'acte simulé.

Quoiqu'il en soit, l'action en déclaration de simulation n'est qu'une variété de l'action paulienne ; en outre c'est l'action exercée contre « le silence gardé par le débiteur sur la consistance réelle de son patrimoine ou sur la nature exacte de ses opérations juridiques ».

La doctrine marocaine a distingué entre simulation absolue et simulation relative, et ce à travers les dispositions de l'article 22 du Dahir précité. Cette dernière peut être exprimée soit par voie de déguisement, soit par voie de contre lettre, ou encore par voie d'interposition de personnes lorsqu'elle a pour objet d'en déplacer les effets. (1).

La jurisprudence marocaine encore une fois a eu l'occasion de se prononcer sur une décision traitant de l'action en déclaration de simulation qu'elle a distingué de l'action paulienne et de l'action oblique :

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(1) IN : « Commentaire du code des obligations et des contrats marocains à la lumière de la doctrine et de la jurisprudence » Tome I, par TAWFIK ABDELAZIZ & SAID FOUKHANI (conseilleurs à la Cour Suprême) & Houssine JAAFAR (avocat)

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« l'action par laquelle un créancier cherche à faire déclarer fictive une vente d'immeuble effectuée par son débiteur, constitue l'action en déclaration de simulation prévue par le D.O.C. et non une action paulienne ou une action oblique.

Cette vente ne peut être déclarée fictive pour le seul motif que le vendeur a continué à occuper et à exploiter l'immeuble vendu, s'il est établi qu'il était débiteur de son acheteur précédemment à la vente et que celle-ci est antérieure à toute poursuite exercée par son créancier.... » (1)

De son côté, le Docteur A. SANHOURI (2) a mis l'accent sur l'action en simulation.

Il a ainsi, défini la simulation comme un accord entre contractants tendant à faire croire à l'existence d'une convention (par acte apparent ou simulé) ne correspondant pas à leur volonté véritable, exprimée par un autre acte dénommé contre lettre.

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(1) Jugement du TPI RABAT du 28/1/1929 publié à la Gazette des Tribunaux du Maroc, 1929 n° 356, p. 115 IN : Code annoté des obligations et contrats par le Doyen François-Paul BLANC, édition AL MADARISS - 1981 (article 419 n°4)

(2) Docteur d'Etat en droit, Professeur à l'Université du Caire - EGYPTE

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Il a, en outre, relevé sa nature différente à l'action paulienne car, cette dernière tend à détruire une situation juridique réelle, elle est nécessairement subordonnée à des conditions d'exercice restrictives alors que l'action en simulation écarte simplement un acte fictif sans existence réelle (1)

En droit comparé, la doctrine a tenté de fournir une comparaison entre l'action paulienne et l'action en déclaration de simulation. Elle relève qu'un débiteur peut se servir de la simulation pour faire fraude à ses créanciers.

Dans l'action paulienne, le créancier est placé en face d'un acte d'appauvrissement véritable, c'est le cas d'un bien effectivement sorti du patrimoine du débiteur, le créancier sollicite la révocation de l'acte à son égard ; alors que dans l'action en déclaration de simulation il est en face d'un acte fictif et demande que l'inexistence de cet acte soit constatée afin qu'il soit reconnu qu'un bien donné est resté, en réalité, dans le patrimoine du débiteur et partant, dans le gage des créanciers de « l'aliénateur ».

En dernier lieu, l'action paulienne doit être distinguée d'autres actions fondées sur la fraude, mais qui n'ont pas pour objet de protéger le droit de gage général des créanciers.

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(1) IN : « AL WASSIT FI CHARH AL KANOUN AL MADANI » (précis au Droit civil annoté - preuve & effets de l'obligation - tome 6 - par ABDERRAZAK SANHOURI

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Ainsi en est-il de l'action ouverte au bénéficiaire d'une promesse de vente, ou encore de l'action ouverte au créancier auquel une hypothèque a été consentie avec déclaration des inscriptions grevant, à la date de l'acte, l'immeuble hypothéqué en vue de demander la nullité de l'inscription prise avant la sienne par un créancier postérieur du même débiteur, s'il est établi que l'antériorité de l'hypothèque obtenue par ce créancier est le résultat d'un acte frauduleux qui a eu lieu entre lui et le débiteur pour priver le premier créancier de la priorité de rang qui lui a été promise.

Par ailleurs, nous ne pouvons qu'être surpris et en même temps comblé par l'extraordinaire vitalité de l'action paulienne dans la jurisprudence marocaine.

En effet, non seulement les hypothèses dans lesquelles il y ait recouru sont extrêmement diverses et cela d'autant plus que les tribunaux interprètent très souplement ses conditions d'ouverture, mais encore l'action paulienne devient une garantie de droit commun des obligations, une voie de recours qui supplée les techniques particulières de protection des créanciers devenus défaillants.

Ainsi, il importe d'emprunter quelques exemples aux décisions les plus récentes rendues par les différents tribunaux du Royaume afin d'en démontrer l'actualité et l'imagination des débiteurs rendant infinies les modalités de la fraude.

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A ce titre, l'inopposabilité a pu frapper la donation immobilière qu'une caution solidaire avait consentie à son épouse et ses descendants en fraude des droits des créanciers, et ce après avoir cautionné auprès d'une banque la société dont le compte courant était débiteur (1).

Quoiqu'il en soit, la jurisprudence marocaine montre en effet, que l'action paulienne est un complément à des actions spéciales qui échouent. C'est une garantie du droit commun des obligations qui peut toujours venir comporter si nécessaire une technique spéciale de protection des créanciers qui s'avérerait défaillante, souligne le Professeur MESTRE (2).

A cet égard, l'action paulienne se rencontre aussi dans le cas particulier où la réduction du capital d'une société anonyme a été effectuée frauduleusement.

La Loi n° 17/95 (3) régissant les sociétés anonymes permet au représentant de la masse des obligataires et à tout créancier, dont la créance est antérieure à la date du dépôt au greffe, de faire opposition dans les trente jours à la réduction du capital non motivée par des pertes, décidée par l'Assemblée Générale.

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(1) Jugement n° 2706 du 6/7/95 - dossier n° 150/95 TPI HAY HASSANI - jurisprudence non publiée (W C/ sieur AB. & C0) copie en annexe 3

(2) IN : Revue trimestrielle de droit civil français 1986 page 601, note du Professeur J. MESTRE

(3) Article 212 de la loi n° 1795 du 30/9/1996 relative aux sociétés anonymes

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En droit comparé, la Cour de Cassation française a jugé que cette protection spéciale de la loi commerciale ne privait pas les créanciers du droit d'exercer l'action paulienne contre la décision de réduire le capital, prise par l'Assemblée Générale, en parfaite connaissance du préjudice qui serait causé aux créanciers (1).

Il importe ici de souligner qu'une telle jurisprudence s'étend à toutes les hypothèses où la protection des créanciers est assurée par un droit particulier d'opposition.

Par ailleurs, l'action paulienne devient une action de droit commun qui embrasse toutes les formes de la fraude, ce qui retentit sur sa nature juridique et conduit la doctrine dominante en droit comparé à y voir une action en inopposabilité.

A cet égard, la qualification d'action en inopposabilité est due à l'acte valable entre les parties mais dépourvu d'apports à l'égard du créancier victime de la fraude.

En droit marocain, les juges du fond qualifient improprement l'action paulienne d'action en nullité , au lieu d'une action en inopposabilité, mais la cour de cassation française a considéré que les parties à l'acte ne sont pas en droit de se prévaloir de cette erreur dépourvue d'effets à leur égard.

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(1) Arrêt rendu par la chambre commerciale près la cour de cassation française du 11/2/86, IN : la revue trimestrielle de droit civil 1986, page 601.

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Par ailleurs, l'action paulienne porte généralement, soit sur des contrats à titre onéreux, soit sur des contrats à titre gratuit.

Concernant les contrats à titre onéreux, ce sont ceux en vertu desquels une partie s'engage envers l'autre dans un but intéressé, car elle doit retirer du contrat un avantage pécuniaire, alors que dans la seconde catégorie, il s'agit d'un contrat dans lequel le débiteur s'engage envers le créancier, sans espérer de contre partie, c'est le cas notamment de la donation.

Cette distinction permet de relever outre le caractère intuitu personae du contrat à titre gratuit, le fait que l'action par laquelle le créancier peut attaquer pour fraude des actes accomplis par son débiteur est plus facile à intenter lorsqu'il s'agit d'un contrat à titre gratuit conclu par le débiteur, que lorsqu'il s'agit d'un contrat à titre onéreux.

En effet, dans ce dernier cas, le créancier qui entend attaquer un contrat frauduleux conclu par son débiteur, devra prouver à la fois la fraude du débiteur et celle de son cocontractant.

Au contraire, s'il s'agit d'un contrat à titre gratuit, il suffit de prouver la fraude commise par le débiteur.

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De ce fait, l'action paulienne en ce qu'elle suppose une faute du débiteur, et un préjudice subi par ses créanciers, se rapproche d'une action en responsabilité civile. Elle ne consiste pas simplement en la mise en jeu de la responsabilité du débiteur, dans la mesure où ses conditions et ses effets ne sont pas exactement ceux d'une action en responsabilité.

Il ne s'agit pas non plus d'une action en nullité relative à l'initiative des créanciers comme indiqué précédemment, car l'acte attaqué par la voie paulienne n'est pas anéanti « erga omnès », comme il devrait l'être s'il était annulé.

En réalité, l'action paulienne est une action originale qui ne saurait être ramenée à aucune autre action. Son idée est simple : le contrat conclu est opposable aux créanciers des parties parce qu'ils ont un droit de gage général sur le patrimoine de leur débiteur et doivent subir toutes les fluctuations de l'état de ce patrimoine qui résultent des actes accomplis par le débiteur.

Elle présente donc un intérêt tout particulier en ce qui concerne l'exception qu'elle constitue au principe de l'opposabilité des contrats aux créanciers des parties.

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Néanmoins, nous ne saurons traiter de l'action paulienne en droit marocain sans omettre de se poser la question de savoir pourquoi le législateur marocain n'a pas repris les dispositions relatives à l'action paulienne en reprenant le code de Napoléon de 1804 alors même que toutes les législations maghrébines, voire arabes, prévoient cette action ? (1)

L'article 22 du D.O.C. stipule que « les contre lettres ou autres déclarations écrites n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et leurs héritiers. Elles ne peuvent être opposées aux tiers s'ils n'en ont eu connaissance,.... »

De surcroît, l'article 22 précité sur la simulation peut-il être considéré par le législateur marocain comme suffisant pour réglementer l'action paulienne et ce, aux côtés de l'article 1241 du même Dahir régissant le gage général des créanciers ?

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(1) Article 306 alinéa 1er du C.O.C. Tunisien

Articles 191 & 192 du C.O.C. Algérien

Articles 238,239 & 240 du C.O.C. Egyptien

Articles 238 & 240 du C.O.C. Syrien

Articles 263, 265, 268 & 269 du C.O.C. Irakien

Articles 240, 242 & 245 du C.O.C. Lybien

Article 278 du C.O.C. Libanais

Article 205 du C. CIV. Sénégalais

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L'intérêt d'une telle étude sur l'action paulienne en droit marocain s'avère d'une importance capitale car en l'absence de législation spéciale en la matière, nous nous efforcerons d'analyser ce genre d'action en mettant l'accent sur les efforts louables des magistrats marocains notamment les juges du fond qui prononcent des décisions approuvant l'action paulienne, enrichissant ainsi le palmarès de la jurisprudence marocaine.

De plus, ce travail revêt un second intérêt qui réside dans l'analyse d'un thème basé sur la doctrine et la jurisprudence marocaine et comparée, ce qui permettra de dévoiler et de commenter des décisions récentes non publiées rendues par les différents tribunaux du Royaume sur cette action.

D'abord, il nous est opportun de souligner que Monsieur le Doyen François-Paul BLANC (1) a eu le mérite d'annoter le Dahir formant code des obligations et contrats marocain et partant, à mettre en exergue l'apport de l'action paulienne et l'appauvrissement du débiteur à travers la publication de certaines décisions jurisprudentielles sur la base notamment des articles 77 et 229 du Dahir précité.

En effet, parmi les premiers jugements réglementant l'action paulienne à la lumière de l'article 77 du D.O.C., nous retenons le jugement du tribunal de première instance de RABAT qui admet expressément :

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(1) Agrégé des facultés de droit - Doyen de l'université de Perpignan France.

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« bien que l'action paulienne, telle qu'elle résulte des dispositions de l'article 1167 du Code civil français, ne soit pas mentionnée dans le D.O.C., on ne peut dire qu'il n'existe, d'après ce Dahir, aucun recours pour les créanciers contre le débiteur qui volontairement a cherché à s'appauvrir ; en effet, les créanciers peuvent toujours agir contre cet appauvrissement qui leur porte préjudice, en s'appuyant sur le principe général édicté par l'article 77 du D.O.C.

S'il s'agit d'une action tendant à faire déclarer nulle pour simulation une donation faite par acte authentique, cette action est ouverte aux créanciers du prétendu donateur, même aux créanciers postérieurs à l'acte simulé, qui ont qualité pour établir que leur gage au moment où ils ont traité, comprenait en réalité le bien soi-disant aliéné » (1)

Par ailleurs, la Cour d'Appel de RABAT avait rendu un arrêt considéré de principe réglementant également, l'action paulienne, et plus précisément l'appauvrissement du débiteur.

Outre l'effet d'inopposabilité du contrat au créancier saisissant, l'arrêt tend à mettre l'accent sur l'intention de nuire aux tiers par le débiteur avec le concours de l'acquéreur frauduleux.

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(1) Jugement du tribunal de première instance de Rabat du 1/3/1933, G.T.M. 1933 - N° 538 - P. 119 IN : CODE ANNOTE DES OBLIGATIONS ET DES CONTRATS par : Le Doyen François-Paul BLANC - préface de Me. MAATI BOUABIB - édition AL MADARISS - 1981 (article 77 n° 53)

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Ainsi, l'arrêt de la Cour d'Appel dispose que :

« un acte, tout en faisant loi entre les parties contractantes, aux termes de l'article 229 du D.O.C., ne peut cependant nuire aux tiers et peut, de ce chef, être attaqué par eux, en vertu de l'article 77 du D.O.C.

L'intention de nuire aux tiers, en l'espèce le créancier saisissant, peut résulter de la part du débiteur saisi, auteur de l'acte incriminé, des circonstances de la cause, indiquant sa volonté de frustrer le créancier du gage de sa créance, ce avec le concours conscient de l'autre contractant, acheteur prétendu de l'objet litigieux.

Les contrats de vente ainsi établis ne sont pas opposables au créancier saisissant » (1).

Ensuite, il faut préciser que parmi les arrêts de principe qui ont admis l'action paulienne par application des dispositions des articles 22 et 1241 respectivement relatifs à la simulation et au gage général des créanciers, et qui ont fait l'objet de publication, nous citons l'arrêt rendu par la Cour Suprême de Rabat le 19/10/1987. Il s'agit d'une vente simulée intervenue en fraude des droits des créanciers, la Cour a retenu la pertinence du moyen invoqué en soulignant que les biens du débiteur sont le gage de ses créanciers en vertu de l'article 1241 du Dahir formant code des obligations et contrats.

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(1) Arrêt de la Cour d'Appel de Rabat du 24/3/1933 Recueil des arrêts de la Cour d'Appel de RABAT (R.A.C.A.R.) tome VIII - P. 218 IN : Code annoté des obligations et des contrats par M. Le Doyen François-Paul BLANC, préface de Me. MAATI BOUABID - édition AL MADARISS - 1981 (article 77 n° 54)

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Elle a en outre, mis en exergue la position du tiers qui subit un préjudice par le fait de conventions passées par son débiteur, pour disposer de ses biens en fraude des droits du créancier, en précisant qu'il est en droit d'attaquer ces conventions par la voie judiciaire en invoquant la simulation. (1)

Enfin, la jurisprudence marocaine a repris un principe prépondérant de l'action paulienne, à savoir qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un jugement définitif pour engager la dite action, il suffit donc de pouvoir prouver la fraude du débiteur au détriment des droits des créanciers, afin d'obtenir l'inopposabilité de l'acte frauduleux aux créanciers sus indiqués.

Par conséquent, l'étude de l'action paulienne en droit marocain nous permettra de traiter de deux volets :

les conditions d'exercice de l'action lors d'une première partie en s'attardant sur celles relatives à l'acte attaqué et celles relatives aux parties au litige en l'occurrence le créancier poursuivant, le débiteur défendeur à l'action et le tiers défendeur 

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(1) Chambre sociale près la cour suprême de Rabat - arrêt n° 529 du 19/10/1987 - affaire Ste. RM C/ KITABRI MOHAMED et autres - IN : Revue Marocaine de Droit n° 16 P. 62 (en annexe 4)

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Ce qui nous mènera à mettre en exergue lors d'une seconde partie, les effets de l'action paulienne en soulignant d'une part le principe fondamental de l'inopposabilité de l'acte frauduleux au créancier poursuivant avec, bien entendu, l'apport de la jurisprudence marocaine en la matière et la nuance qui s'en dégage (action en inopposabilité - action en nullité) et d'autre part, la notion de réparation du préjudice causé au créancier poursuivant en cas d'impossibilité de rétablir l'état antérieur et ce, en engageant simultanément avec l'action paulienne, une action en responsabilité civile.

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Ière PARTIE - LES CONDITIONS D'EXERCICE DE L'ACTION PAULIENNE EN DROIT MAROCAIN

Nous nous attarderons lors de cette première partie à mettre en exergue les conditions relatives à l'acte attaqué d'une part, et les conditions relatives aux parties au litige.

A - CONDITIONS RELATIVES A L'ACTE ATTAQUE :

L'action paulienne concerne les actes.

Elle est soumise à une condition essentielle : la fraude du débiteur (auteur de l'acte) dont l'importance a quelque peu rejailli par rapport aux conditions relatives au demandeur à l'action (notamment en ce qui concerne les caractères de sa créance) et au tiers contre lequel l'action est intentée.

En droit marocain, la jurisprudence a permis de constater que les actes unilatéraux notamment les donations entre époux et vers la descendance, constituent, principalement, la cause d'exercice de l'action paulienne.

Il ne faut pas omettre de souligner à toutes fins utiles, que l'exercice de l'action paulienne n'est pas dépendant d'un jugement définitif ou d'une action engagée au fond.

De façon générale, les conditions relatives à l'acte attaqué impliquent deux questions prépondérantes, à savoir : quels sont les actes susceptibles d'être attaqués ? et quel préjudice doit causer l'acte sus indiqué pour être attaquable ?

1 - La nature des actes susceptibles d'être attaqués par l'action paulienne :

Le principe est que l'action paulienne est exercée contre un acte juridique établi par le débiteur. Par exception certains actes juridiques échappent à son emprise.

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a : - Le principe :

L'action paulienne ne peut être exercée que contre un acte juridique. La fraude suppose, en effet, une manifestation de volonté et, de surcroît, elle ne se conçoit pas lorsqu'il s'agit d'un fait juridique.

En droit comparé, l'article 1167 du code civil français régissant l'action paulienne ne peut faire l'objet d'application lorsqu'il s'agit d'obligations extra contractuelles comme celles résultant d'un délit par exemple.

Par ailleurs, tous les actes juridiques sont, en principe, susceptibles d'être attaqués par l'action paulienne. Il s'agit notamment des donations ou des donations déguisées.

A cet égard, il convient de souligner l'apport de la jurisprudence marocaine quant aux décisions traitant de la nullité des actes juridiques tels que des donations consenties par des débiteurs en fraude des droits des créanciers.

Ainsi, un débiteur s'était porté caution solidaire auprès d'une banque pour assurer le parfait remboursement de la créance en principal, intérêts, frais et accessoires et ce, à hauteur des engagement de l'emprunteur vis à vis du créancier.

Il a ensuite consenti un acte de donation à ses descendants en fraude des droits du créancier afin de créer son insolvabilité et partant, dilapider son patrimoine.

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Les juges du fond ont décidé, à bon droit, l'annulation de l'acte attaqué souscrit frauduleusement et l'ont déclaré inopposable au créancier (1)

L'action peut, également, être intentée contre des actes de vente conclus avec des montants fictifs. C'est le cas notamment d'une Cour d'Appel française qui, sans inverser la charge de la preuve, et pour caractériser la fraude paulienne commise par une caution et partant déclarer inopposable aux créanciers la vente de biens immobiliers consentie par celle-ci à une société civile immobilière, a relevé, dans le cadre de l'exercice de son pourvoir souverain d'appréciation, que le prix de vente a été payé hors la comptabilité du notaire, que la preuve n'est pas rapportée de ce que le titulaire ait apporté les fonds correspondants à sa quote part de la valeur vénale des biens acquis, et en déduit, par rapprochement avec la date de constitution de la société et celle de la mise en liquidation judiciaire du débiteur principal, que le prix de vente a été payé de manière fictive par la caution à elle-même. (2)

D'une manière générale, la doctrine française enseigne qu'il importe peu que l'acte soit unilatéral ou conventionnel, à titre onéreux ou gratuit, créateur, translatif ou extinctif de droits.

Néanmoins, certains auteurs prétendent que les actes créant des obligations échappent à l'action paulienne au motif que le débiteur n'est pas dessaisi de la gestion de son patrimoine en ce qui conduirait vraisemblablement à supprimer l'action paulienne (3)

Quoiqu'il en soit, l'exercice de l'action paulienne est limité par l'exigence de conditions strictes, nécessaires pour éviter que les créanciers ne s'immiscent sans un motif très sérieux dans le patrimoine de leur débiteur.

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(1) Jugement n° 12723 rendu par le T.P.I. de CASA ANFA le 4/11/1999 dans le dossier civil n° 3863/99 - affaire BM. C/ B.A..... jurisprudence non publiée. Copie en annexe 5

(2) Arrêt de la Première Chambre près la Cour de Cassation française du 4 Juin 1996 - rejet - dossier n° 93-13870 - Jurisprudence publiée - IN : CD-ROM « Intégrale Cassation » collection Legisoft Bulletin n° 235 - copie en annexe 6

(3) IN : Droit Civil - les obligations par MAZEAUD & CHABAS page 1025 prg. 982.

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C'est ainsi qu'un créancier n'aura aucun intérêt pour agir lorsque le débiteur est solvable. La solvabilité sera appréciée en tenant compte des biens du débiteur situés sur le territoire marocain, ou sortant d'une réalisation facile. Mais, il aura intérêt à agir si son débiteur, bien que solvable, compromet ses sûretés en diminuant la valeur d'un immeuble hypothéqué ou en consentant un bail de longue durée, à titre d'exemple.

Par ailleurs, la doctrine arabe s'est pour sa part, préoccupée de traiter de l'action paulienne en la distinguant de l'action oblique, de l'action directe ou encore de l'action en déclaration de simulation.

A cet égard, le Docteur Abderrazak SANHOURI (1) a mis l'accent sur les conditions relatives à l'acte attaqué par l'action précitée, notamment à travers l'acte juridique.

Il précise que « lorsqu'un débiteur remet un bien, lui appartenant, à un tiers jusqu'au transfert de la propriété de ce bien par l'effet de la prescription , le créancier ne peut en aucun cas intenter une action paulienne contre cet acte matériel. Mais, il peut en revanche, avant le délai de prescription, intervenir au nom du débiteur pour empêcher la dite prescription et partant, récupérer le bien à travers l'action indirecte » (2).

En droit musulman, il convient de souligner que l'acte de donation ou de vente souscrit lors de la dernière maladie (maladie précédant la mort) prend la qualité d'un testament et, le créancier n'a pas à attaquer cet acte, ni même le testament car il récupère sa créance du patrimoine du « DE CUJUS » avant l'octroi au bénéficiaire du testament de sa quote part (3)

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(1) Docteur d'Etat en Droit - Professeur à l'université du Caire - Egypte

(2) IN : « Précis dans le droit civil annoté - les effets de l'obligation » Tome II - page 1009 - prg. 574, par le Dr. A. SANHOURI - université du Caire - Egypte

(3) IN : « Précis au droit civil annoté - le Contrat » page 791 - Prg. 733 n° 6

par le Dr. A. SANHOURI - professeur à l'université du Caire - Egypte

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Ainsi, après avoir évoqué le principe selon lequel les actes juridiques sont seuls susceptibles d'être attaqués, et indépendamment de la question de savoir si l'ensemble des conditions de l'action paulienne sont réunies, certains actes constituent l'exception et échappent à son emprise en l'occurrence notamment, les actes relatifs à des droits insaisissables attachés à la personne ou encore le partage.

b/ Exceptions au principe :

L'action paulienne ne saurait être exercée contre certains actes pour des raisons qui tiennent soit à leur nature, soit à leur objet, ne correspondant pas à la logique de l'action.

Il s'agit de prime abord, des actes relatifs à des droits exclusivement attachés à la personne, en ce sens que lorsqu'un débiteur renonce à percevoir une indemnité pour un dommage moral par exemple, ou bien lorsqu'il se désiste de l'action en contrefaçon du brevet d'invention dont il est titulaire - action qu'il a seul le droit d'exercer - , ses créanciers ne peuvent pas attaquer cette renonciation ou ce désistement par l'action paulienne car en cas d'annulation de l'acte souscrit par le débiteur, les créanciers sus visés seraient dans l'impossibilité d'exercer au nom de leur débiteur, l'action oblique afin de récupérer leur créance. Mais cette « immunité » dont jouit le débiteur, peut être écartée lorsqu'il contracte, frauduleusement, un engagement excessif à l'égard d'une victime d'un dommage moral.

Il s'agit en second lieu, des jugements qui peuvent être pour les parties, le moyen de frauder les droits des tiers, ce qui permet à ces derniers, de lutter contre la fraude du débiteur non pas par l'action paulienne, mais par la voie de recours extraordinaire en l'occurrence : la tierce opposition.

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Elle est réglementée par l'article 303 du code de procédure civile marocain et définit comme étant « une voie de recours qui tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit d'un tiers qui l'attaque pour qu'il soit, à nouveau, statué en fait et en droit ».

Cependant, même si un jugement ne semble pas porter atteinte aux intérêts des tiers, puisqu'il ne produit ses effets qu'à l'égard des parties, plusieurs situations peuvent se présenter démontrant l'insuffisance de la règle de l'autorité de la chose jugée, notamment suite à un acte consenti par l'une des parties agissant en fraude des droits de ses ayants cause, ce qui oblige les créanciers à défendre leurs intérêts à posteriori.

En somme, la tierce opposition a pour objet de rendre inopposable au tiers la décision attaquée par ses soins, à la condition qu'il n'ait pas été partie au procès et que la décision lui porte préjudice.

La doctrine égyptienne s'est, pour sa part, préoccupée de la tierce opposition qu'elle a qualifié de frein à l'exercice de l'action paulienne.

En effet, le Docteur A. SANHOURI souligne que « le créancier n'attaque pas l'acte juridique contracté par son débiteur, mais plutôt le jugement intervenu contre ce dernier, suite à une connivence avec son adversaire afin que ledit jugement puisse intervenir à son encontre ou bien, suite à une négligence manifeste du créancier pour la défense et la sauvegarde de ses intérêts.

Il va de soit qu'un tel jugement rendu à l'encontre du débiteur, diminuera le gage général des autres créanciers et partant, soustrait la créance du patrimoine du débiteur »(1)

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(1) IN : « AL WASSIT FI CHARH AL KANON AL MADANI NADARIAT A L'ILTIZAM » (précis dans le droit civil annoté) par Dr. Abderrazak SANHOURI- tome II, page 1011, prg. 576 (traduction personnelle)

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En troisième lieu, la question du partage demeure ambiguë et mérite une analyse comparative exhaustive entre le droit français et le droit marocain inspiré du rite Malékite.

En droit comparé, le code civil français a apporté une restriction au droit des créanciers d'exercer l'action paulienne contre les partages de successions et de communautés (1)

Cette restriction s'explique par la volonté d'assurer la stabilité du partage et par l'existence de procédures spéciales permettant de protéger les droits des créanciers.

Cependant, des exceptions peuvent survenir et déclencher l'action paulienne, c'est le cas notamment d'un partage fictif de communauté dissimulant une donation.

Par ailleurs en droit marocain, l'absence de texte spécifique réglementant l'action paulienne, ne nous empêche pas de traiter ce volet relatif au partage.

En effet, le statut personnel marocain issu du rite malékite et partant du droit musulman, permet de relever les conditions du partage notamment entre cohéritiers et dans le cadre du régime matrimonial qui demeurent différents du système français.

Comme nous l'avons précédemment indiqué, le partage de la succession en droit musulman, qui trouve sa source dans le Saint Coran (2), intervient après le paiement des créanciers du défunt (débiteur) d'une part, et la réalisation du testament à hauteur de 1/3 de la succession d'autre part.

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(1) Article 1167 alinéa 2 du code civil français

(2) Sourat « AN NISSAA »  verset 11

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Ainsi, les créanciers sont amenés à réclamer le recouvrement de leur créance avant le partage de la succession, mais peuvent être contraints à exiger des ayants droits du défunt le reliquat de la créance si la succession ne suffit pas à rembourser ces derniers.

Néanmoins, il nous paraît opportun de souligner qu'un arrêt de la Cour d'Appel de Rabat a jugé, à bon droit, qu'il y a lieu d'exercer l'action paulienne à l'encontre d'une épouse en sa qualité de légataire et d'héritière d'un débiteur décédé à la suite d'une maladie ; legs consenti en fraude des droits des créanciers.

La Cour a estimé par application des dispositions de l'article 419 du D.O.C., que « Revêt le caractère de libéralité déguisée et doit être annulé comme entachée de fraude, conformément à l'article 419 du D.O.C., la reconnaissance de dette envers son épouse souscrite par un musulman au cours de la maladie dont il est décédé.

En effet, en droit successoral musulman malékite, les parts héréditaires fixées par le Coran sont intangibles. Le cumul de la qualité d'héritier et de la qualité de légataire est interdit. Il ne peut y avoir de legs en faveur d'un héritier »(1)

Par ailleurs, dans le cadre du régime matrimonial, une distinction entre les deux systèmes s'impose.

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(1) Arrêt de la Cour d'Appel de Rabat du 19/6/1942 - R.A.C.A.R. TOME XI - P.495 - IN : CODE Annoté des obligations et des contrats par le Doyen François-Paul BLANC, préface Me. MAATI BOUABID article 419 n° 15 - édition AL MADARISS 1981

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En droit marocain, le principe demeure le régime de la séparation des biens entre époux. Toutefois, ce principe dégage quelques exceptions, à titre d'exemple, l'exigence de l'épouse lors de la conclusion du contrat de mariage, la moitié du patrimoine de l'époux en cas de répudiation volontaire de ce dernier.

Il convient ici de rappeler à toutes fins utiles, que la société civile marocaine reste, aux côtés des problèmes culturels d'analphabétisation, attachée aux principes traditionnels notamment en ce qui concerne le mariage et le divorce. Néanmoins, certaines catégories sociales, voire modernes, contournent le principe sus indiqué pour faire insérer dans le contrat de mariage, leurs exigences réciproques et partant, lui donner un aspect contractuel.

Par ailleurs, contrairement au droit marocain, le régime matrimonial français est basé sur la communauté des biens mais nous pouvons déroger du principe, par le biais d'un notaire, qui établit dans un contrat spécifique le partage des biens entre époux.

Quoiqu'il en soit, l'article 1167 du code civil français constituant une garantie de droit commun au bénéfice des créanciers, permet d'attaquer les partages autres que de succession ou de communauté par l'action paulienne.

C'est le cas notamment du partage de société, ou encore des « donations-partages » car le caractère de donation l'emportant sur celui de partage dans la jurisprudence moderne.(1)

En dernier lieu, la doctrine étrangère est unanime quant au principe que le paiement d'une dette, en matière civile, par un débiteur à l'un de ses créanciers ne peut, en aucun cas, être attaqué par l'action paulienne. En effet, un débiteur peut avantager un de ses créanciers par un paiement intégral de la dette échue.

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(1) A titre d'exemple : arrêt de la Cour d'Appel de METZ du 05/11/1980 publié au JURIS DATA N° 80344 - IN : JURIS CLASSEUR CIVIL - étude du professeur Jean DEVEZE - FASC. 39 P. 10

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Par contre, l'action est recevable si le débiteur profite du paiement d'une dette en effectuant des procédés anormaux inspirés par la fraude aux droits des créanciers, notamment par la cession de créance.

Néanmoins, il en est autrement en matière de redressement ou de liquidation judiciaire des entreprises, car tous les créanciers sont unis sur un piédestal et il leur est interdit d'engager des poursuites individuelles.(1)

De plus l'alinéa 1er de l'article 657 du nouveau code de commerce marocain stipule expressément que « le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture... »

Ceci étant, la loi permet à tout intéressé de faire déclarer inopposable à la masse des créanciers, les paiements effectués par le débiteur en état de cessation de paiement.

En droit comparé, la jurisprudence de la Cour de Cassation française a confirmé dans un arrêt du 6/12/1994 que :

«  la situation financière du débiteur était obérée lors de la donation consentie à ses enfants ..... et l'acte litigieux intervenu dans les 6 mois précédant la date de la cessation des paiements du donateur, mis en règlement judiciaire, n'avait pour but que de soustraire à ses créanciers, en fraude de leurs droits, un ensemble immobilier, la Cour d'Appel n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 29, dernier

alinéa de la loi du 13 Juillet 1967, en déclarant la donation inopposable à la masse » (2)

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(1) Articles 653 et suivants du nouveau code de commerce marocain

(2) Arrêt de la chambre commerciale près la cour de cassation française du 6/12/1994 dossier n° 92.20.078 - rejet de la demande - IN :collection Légisoft, CD ROM « intégral cassation » bulletin n° 371

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En conséquence, l'ensemble des exemples précitées ne constitue pas vraisemblablement un frein à l'exercice de l'action paulienne car, comme nous l'avons indiqué, la fraude du débiteur en dehors des actes juridiques, permet aux créanciers de déclencher l'action et partant, solliciter l'inopposabilité à leur encontre.

Ceci étant, après avoir traité de la nature juridique de l'acte attaqué par l'action paulienne, il nous importe à présent d'analyser la notion de préjudice causé au créancier par l'effet de l'acte frauduleux du débiteur.

2/ Le préjudice causé au créancier par l'appauvrissement du débiteur :

Selon l'adage procédural « pas d'intérêt, pas d'action » les créanciers ne peuvent attaquer que les actes qui leur cause un préjudice.

La doctrine comparée est unanime quant à la qualification octroyée au préjudice : il doit s'agir d'un acte d'appauvrissement ; considéré comme préjudiciable aux créanciers lorsqu'il crée ou aggrave l'insolvabilité du débiteur.

En effet, il faut entendre par « l'acte d'appauvrissement » celui qui fait sortir du patrimoine du débiteur des biens sans contrepartie suffisante.

En revanche, l'acte qui crée ou aggrave l'insolvabilité du débiteur peut être révoqué par le biais de l'action paulienne. Mais, le fardeau de la preuve incombe au créancier demandeur qui peut l'établir par tous les moyens.(1)

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(1) Sur la question la Cour de Cassation française a estimé que « le créancier, qui n'est pas investi de droits particuliers sur certains biens de son débiteur, ne peut faire révoquer les actes faits par ce dernier en fraude de ses droits que s'il établit, au jour de l'acte litigieux, son insolvabilité, au moins apparente, outre sa conscience de causer un préjudice au créancier en appauvrissant son patrimoine » Arrêt de la 1ère chambre près la Cour de Cassation du 5/12/1995, dossier n° 94-12-266, IN : collection Legisoft, CD-ROM « Intégral cassation » bulletin n° 443 - en annexe 7

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A cet égard, la doctrine arabe n'a pas omis de mettre l'accent sur le préjudice causé par l'acte frauduleux du débiteur à l'encontre du créancier.

Il s'agit notamment du professeur MAMOUN EL KOUZBARI ou encore du Docteur A. SANHOURI. Ce dernier considère « qu'un débiteur qui sollicite un crédit pour augmenter ses obligations et partant son appauvrissement, cause un préjudice aussi important, à ses créanciers, que s'il aurait vendu un bien figurant dans son patrimoine en vue de diminuer ses droits voire créer son insolvabilité..... donc, la logique démontre qu'aussi bien l'augmentation des obligations du débiteur que la diminution de ses droits constituent un acte d'appauvrissement susceptible d'être évoqué par l'action paulienne » (1)

La jurisprudence marocaine a toutefois considéré le rejet de l'action si les biens appartenant encore au débiteur sont suffisants pour désintéresser le créancier agissant.

C'est le cas notamment d'un arrêt confirmatif de la Cour d'Appel de Rabat du 23/11/1999 qui considère qu'en dehors du fait que le bien du débiteur est le gage général de ses créanciers par application des dispositions de l'article 1241 du D.O.C., l'accord du débiteur à donner en hypothèque deux immeubles distincts est une preuve de sa conviction que la réalisation de l'hypothèque permettra le recouvrement de ses créances.

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(1) Doctrine développée par le Dr A. SANHOURI - IN : »précis dans le droit civil annoté - les effets de l'obligation » Tome II, page 1014, prg. 577 sur l'acte d'appauvrissement.

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Les juges du fond ont estimés qu'il n'a pas été prouvé que le montant du legs des deux immeubles est inférieur à la créance due au débiteur afin que l'on puisse arguer d'un préjudice causé au créancier suite à une dilapidation du patrimoine, notamment par la donation »(1)

Par ailleurs, la jurisprudence marocaine assez récente, tend à élargir la notion de préjudice en permettant l'exercice de l'action paulienne même à l'encontre d'actes, n'entraînant pas, par eux-mêmes, un appauvrissement du débiteur.

Il a ainsi été jugé, à bon droit, que la donation consentie par une caution solidaire peut être attaquée par l'action paulienne dès lors que, accomplie dans le but de nuire au créancier, elle a pour effet de faire échapper un bien aux poursuites judiciaires (2).

Dans une optique similaire, un arrêt de la Cour d'Appel de RABAT a jugé qu'un créancier ayant un intérêt légitime a le droit d'attaquer pour fraude la vente d'un immeuble susceptible de compromettre ses droits.

La Cour a motivé sa décision sur ce qui suit :

« Il ressort des articles 419 et 424 du D.O.C. que les parties en cause ou un tiers ayant un intérêt légitime, peuvent attaquer un acte authentique ou sous seing privé pour cause de violence, de fraude, de dol et de simulation ou d'erreur matérielle ; la preuve peut être rapportée par témoins, ou même à l'aide de présomptions graves, précises et concordantes.

Un créancier ayant cause du vendeur d'un immeuble, peut être considéré comme un tiers ayant un intérêt légitime à attaquer la vente comme entachée de fraude et destinée à faire échec à ses droits » (3)

_________________________________________________________________________________________________

(1) Arrêt de la Cour d'Appel de Rabat du 23.11.1999 dans le dossier civil n° 3320/98 (jugement au TPI du 10/12/1997 - dossier n° 139/97/7 copie en annexe 8) conseiller rapporteur : BIKRI - Jurisprudence non publiée

(2) Arrêt n° 1588 du 29/5/1997 - dossier civil n° 108/97 cour d'appel d'Agadir - jurisprudence non publiée copie en annexe 9

(3) Arrêt de la Cour d'Appel de Rabat du 21/12/1929 - R.A.C.A.R. - tome 5 - P. 373 - IN : Code Annoté des Obligations et Contrats par le Doyen François-Paul BLANC éd. AL MADARISS - 1981

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En droit comparé, la doctrine Sénégalaise a réglementé l'action paulienne aux articles 205 et suivants du code civil en exigeant comme condition sine qua none à l'exercice de l'action précitée, l'existence d'un « dommage » causé à un créancier en fraude de ses droits. La réparation de ce dernier peut être obtenue grâce à une voie de recours extraordinaire intentée par le créancier lésé : la tierce opposition.(1)

Par voie de conséquence, l'exercice de l'action paulienne repose, de manière substantielle, sur des conditions relatives à l'acte attaqué, mais aussi sur des conditions relatives aux parties au litige.

B - CONDITIONS RELATIVES AUX PARTIES AU LITIGE :

L'action paulienne est, généralement, exercée par un créancier (demandeur à l'action) contre un débiteur (défendeur à l'action) voire même un cocontractant de ce dernier appelé : tiers défendeur.

La particularité de l'exercice de cette action réside dans l'exigence d'une fraude et ce, à la différence de l'action oblique ou encore de l'action en déclaration de simulation, bien que cette dernière puisse servir d'instrument à la fraude.

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(1) IN : « Droit des Obligations au Sénégal » les exceptions aux conditions d'opposabilité- page 325 par : Jean Pierre TOSI

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1/ Le créancier demandeur à l'action agissant par voie paulienne :

Pour agir par l'action paulienne, il faut avoir la qualité de créancier (chirographaire, hypothécaire ou privilégié).

Aussi, le demandeur à l'action doit être un créancier ayant un intérêt, en l'occurrence il doit se prévaloir d'une créance présentant certains caractères substantiels.

a/ Quels sont les créanciers admis à exercer l'action paulienne ?

Tout créancier privilégié ou chirographaire peut agir par le biais de l'action paulienne, qu'il le soit devenu à titre onéreux ou gratuit, l'essentiel est de pouvoir exciper de la qualité de créancier.

Néanmoins, le débiteur auteur de la fraude, ne peut pas agir évidemment pas plus que ses ayants cause universels à moins d'intervenir à la procédure.

Toutefois, l'action paulienne est susceptible de transmission par voie de subrogation à celui qui a payé le créancier originaire.

En droit comparé, la doctrine française estime que le créancier doit avoir un intérêt à agir. Ainsi, un créancier chirographaire n'a pas d'intérêt à faire révoquer la vente d'un immeuble de son débiteur car si le passif hypothécaire est supérieur à la valeur de l'immeuble, la somme que produira la saisie de ce dernier sera absorbée par le créancier hypothécaire (1).

C'est dire que le créancier doit avoir un intérêt manifeste pour agir par voie paulienne.

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(1) IN : leçons de droit civil - les obligations par Henri MAZEAUD & C0 prg. 988, p. 1027

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Le professeur MIGUET considère que « .... Si l'intérêt doit exister... au moment de l'introduction de la demande ...., il doit soutenir cette demande pendant tout le litige » (1)

Par ailleurs, faut-il qu'au moment où il exerce l'action, le créancier puisse se prévaloir d'une créance certaine, liquide et exigible ?

Selon la jurisprudence tant marocaine qu'étrangère, l'évolution de l'action paulienne d'un préalable à l'exécution vers une mesure conservatoire en présence de fraude, a conduit à assouplir les exigences.

b / Les éléments de la créance :

La doctrine française a admis qu'auparavant, l'action n'était ouverte qu'au créancier antérieur à l'acte attaqué ; disposant d'une créance certaine, liquide et exigible.

Actuellement, l'action paulienne a vu ses conditions d'exercice notamment concernant les éléments de la créance, notablement assouplies.

En premier lieu, alors que l'exigibilité de la créance n'est pas requise pour exercer l'action en paiement tant que le droit est né antérieurement à l'acte incriminé, la liquidité quant à elle, n'est exigée qu'au moment où le tribunal statue sur l'action surtout lorsqu'elle a pour objet une somme d'argent.

En second lieu, la jurisprudence marocaine, rapprochant l'action paulienne d'une action conservatoire, met en exergue « un principe certain de créance » sur la base de la doctrine française.

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(1) IN :« Immutabilité et évolution du litige », L.G.D.J. 1977, préface HEBRAUD, P. 318, par professeur MIGUET.

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A cet égard, la Cour d'Appel d'Agadir a, dans son arrêt confirmatif, considéré que la créance devient certaine dès la conclusion de l'acte de cautionnement et non au moment où le jugement acquiert l'autorité de la chose jugée, dès lors qu'il s'agit d'une donation fictive consentie par une caution solidaire en fraude des droits des créanciers (1)

En droit comparé, la jurisprudence française a considéré au même titre que la décision précitée, que l'obligation de la caution née le jour de son engagement, de sorte que le créancier qui exerce l'action paulienne contre un acte de la caution a un principe certain de créance dès cette date (2)

Néanmoins, il importe de préciser que l'acte de caution sus visé fut critiqué par de nombreuses décisions jurisprudentielles étrangères car l'obligation de règlement de la caution même solidaire, n'est certaine que lorsque la dette principale est exigible.

Quoiqu'il en soit, en pratique, il suffit que le créancier ait, au moment de l'acte, un principe de créance, même si elle n'est pas encore certaine, ou liquide ou exigible, et même si elle n'est pas encore reconnue « il n'est pas nécessaire, pour que l'action paulienne puisse être exercée, que la créance dont se prévaut le demandeur ait été ni certaine ni exigible au moment de l'acte argué de fraude, et il suffit que le principe de la créance ait existé » (3).

Ainsi, le principe précité nous permet de s'accorder à considérer, au nom des principes généraux du droit, qu'un créancier doit pouvoir obtenir le secours de la justice afin de déjouer, voire faire échec, aux actes frauduleux de son débiteur.

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(1) Arrêt confirmatif n° 2910 du 4/10/1999 dans le dossier civil n° 871/98 rendu par la cour d'appel d'Agadir - affaire WKF C/ FBA (Ste. E.) - Jurisprudence non publiée copie en annexe 10

(2) Arrêt de la 1ère chambre près la cour de cassation française du 13/1/1993. IN : collection Legisoft - CD ROM « Intégral cassation » année 1993 - bulletin n° 5. - annexe 11

(3) Arrêt de la chambre commerciale près la cour de cassation française du 25/3/1991 n° 119 - IN : Droit civil - les obligations par : Alain BENABENT - collection MONTCHRETIEN - page 423.

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En dernier lieu, l'antériorité de la créance par rapport à l'acte frauduleux est exigée car ce dernier ne peut, en aucun cas, nuire aux créanciers dont le droit est né postérieurement à cet acte puisqu'au moment où les parties au litige ont traité leur transaction, le bien aliéné par le débiteur ne faisait plus partie de son patrimoine et partant, le créancier ne peut invoquer aucun préjudice subi, à moins qu'il puisse prouver l'existence d'une fraude anticipée visant à porter un dommage au créancier futur.

Par ailleurs, le principe selon lequel la créance doit être antérieure à l'acte frauduleux, est constant en jurisprudence marocaine.

Il en va pour s'en convaincre, de citer à titre indicatif, sans toutefois prétendre à l'exhaustivité, une décision jurisprudentielle marocaine annulant l'acte de donation simulé de deux immeubles et de parts sociales constituant le capital d'une société à responsabilité limité, consenti par une caution personnelle et solidaire en fraude des droits des créanciers, et dont la créance est antérieure à l'acte frauduleux de dessaisissement des deux immeubles outre le défaut d'établissement du montant des actions transférées.

C'est donc, à bon droit, que les juges du fond ont ordonné la réinscription des parts constituant le capital de la société « A.D. » au nom de la caution personnelle et solidaire et ce, au registre du commerce de la dite société (1)

Toutefois, il appartient au créancier demandeur à l'action de prouver l'antériorité de la créance et ce par tous les moyens légaux : dés lors, il devra produire un titre ayant date certaine.

A cet égard, la Cour d'Appel n'avait pas retenu la fraude du débiteur ayant établi une reconnaissance de dette auprès d'un bénéficiaire solvable, de surcroît la demande du créancier en rescision de la donation considérée déguisée a été rejetée. La Cour a jugé que : « il n'est pas établi qu'une reconnaissance de

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(1) Tribunal de première instance de Mohammedia - jugement du 1/6/1998 - dossier civil n° 1141/97 - affaire Ste. C. c/ Sieur B.M. & STE. A.D. - jurisprudence non publiée copie en annexe 12 non traduite

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dette constitue une donation déguisée lorsque son bénéficiaire a eu les fonds nécessaires pour consentir le prêt d'argent et que l'auteur de la reconnaissance a eu la possibilité d'utiliser les fonds prêtés qui ne se retrouvent pas dans sa succession (1)

Par conséquent, force est de constater que, outre l'antériorité de la créance par rapport à l'acte frauduleux, la réunion des autres éléments demeure facultative à l'exercice de l'action paulienne ce qui empêche la lenteur de la procédure et partant, la bonne marche de la justice.

Ceci étant, dans le cadre de l'exercice de l'action par les parties au litige, le débiteur dont les actes sont attaqués par voie paulienne, doit être insolvable et avoir agit frauduleusement.

2/ Le débiteur défendeur à l'action :

Jadis, le droit Romain considérait que les actes passés par le débiteur, même lorsqu'ils causent un préjudice au créancier, ne sont susceptibles d'être critiqués par lui que s'ils ont été accomplis en fraude de ses droits. Cette condition s'expliquait par le caractère pénal de l'action.

En effet, elle demeure, à notre sens, pleinement justifiée car l'action paulienne constitue une immixtion grave dans les affaires du débiteur, et lèse considérablement les intérêts du tiers qui traite avec lui.

En droit marocain, la jurisprudence exige la fraude du débiteur en toute hypothèse, en usant des formules différentes pour qualifier l'action paulienne.

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(1) Arrêt de la Cour d'Appel de Rabat du 31/1/1958 - R.A.C., Tome 9 P. 396 - IN : Code Annoté des Obligations et Contrats par le Doyen François-Paul BLANC - AL MADARISS 1981

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Plusieurs arrêts ne manquent pas de relever la volonté et la conscience de causer un préjudice au créancier, l'organisation de l'insolvabilité, ou encore la volonté de soustraire tout ou partie du patrimoine aux poursuites des créanciers.

Ainsi, de nombreuses décisions jurisprudentielles affirment que « la fraude résulte de la seule connaissance qu'a le débiteur du préjudice causé au créancier par l'acte litigieux ».

Il en va pour s'en convaincre de souligner la définition de la fraude telle que stipulée dans un arrêt de la Cour d'Appel d'Agadir :

« la fraude se définit comme étant la conscience du débiteur que cet acte augmente son insolvabilité ou y contribue.

Ainsi, dans les contrats à titre onéreux, il importe que l'intention de nuire devrait être relevée lorsque le débiteur remplace un bien aisément saisissable par une valeur facile à dissimuler, alors qu'ici il s'agit d'un acte à titre gratuit, la simple connaissance du préjudice causé suffit » (1)

Selon cette jurisprudence marocaine, la fraude paulienne est simplement un état d'esprit : elle n'implique pas forcément le dessein prémédité de nuire.

En conséquence, la formulation différente des arrêts (les uns se référant à l'intention de nuire, les autres se contentant de la conscience qu'a le débiteur du tort qu'il cause à ses créanciers) ne traduit aucunement deux conceptions opposées de la fraude, dans la mesure où comme toute fraude elle implique un élément psychologique, car le débiteur agit contre les droits des créanciers.

Par ailleurs, les juges du fond apprécient souverainement les circonstances d'où le demandeur prétend déduire la fraude.

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(1) Arrêt de la Cour d'Appel d'Agadir n° 1588 du 29/5/1997 - dossier civil n° 108/97 - Jurisprudence non publiée (aff. W.C/ M.B.A.) voir annexe 9 - non traduite

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La jurisprudence sanctionne des actes qui se bornent à modifier la consistance du patrimoine sans entraîner d'appauvrissement du débiteur. C'est le cas notamment où l'on fait échapper un bien à des poursuites en le remplaçant par des valeurs faciles à dissimuler.

Quoiqu'il en soit, la jurisprudence de la Cour de Cassation française a cassé un arrêt d'appel ayant rejeté l'action paulienne, sous l'attendu du principe suivant « la fraude paulienne n'implique pas nécessairement l'intention de nuire, elle résulte de la seule connaissance que le débiteur et son cocontractant à titre onéreux ont du préjudice causé aux créanciers par l'acte litigieux... » (1)

Par ailleurs, il nous importe de souligner que la doctrine arabe (2) a traité des conditions relatives au débiteur pour l'exercice de l'action paulienne. Elle a notamment, mis l'accent sur deux conditions essentielles en l'occurrence l'insolvabilité et la fraude du débiteur.

En effet, l'auteur affirme que « ...parmi les conditions de l'action paulienne, il faut que le débiteur soit insolvable, incapable de recouvrir sa dette envers le créancier.

Le débiteur peut-être solvable avant la conclusion de l'acte attaqué, auquel cas il faudra prouver que ce dernier a rendu le débiteur insolvable, ou bien il l'a été avant la conclusion dudit acte ce qui a augmenté son insolvabilité »

D'autre part, la Cour d'Appel du Caire a apporté une restriction quant à la preuve de la fraude paulienne en ce sens que les ayants cause du débiteur ne sont liés à aucune condition de l'action paulienne de quelque nature qu'elle soit, et de surcroît ne peuvent céder un bien appartenant à la succession qu'après le recouvrement de toutes les créances.

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(1) Arrêt de la Cour de Cassation française, 1ère chambre du 29/10/1985 IN :CD ROM commercial - collection Legisoft - année 1985 - annexe 13

(2) Docteur A. SANHOURI - Supra

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Ainsi, le tiers acquéreur de l'ayant droit ne saurait exercer même après l'enregistrement de la vente, l'inopposabilité de l'exercice de l'action paulienne au créancier (1)

Enfin, pour qu'une fraude puisse être retenue, il faudra que celui qui s'en prévaut de rapporter la preuve par tous les moyens susceptibles d'engager la responsabilité du débiteur, même à partir de faits postérieurs à l'acte attaqué.

La doctrine occidentale relève que la charge de la preuve incombe généralement, au demandeur à l'action paulienne. La tâche de ce dernier est facilitée par le jeu de la présomption qui lui permet de n'établir que la connaissance par le débiteur du préjudice causé.

Concrètement, la preuve de la connaissance du préjudice et celle de l'intention de nuire s'évincent notamment à travers la modicité du prix de vente.

Il en va pour s'en convaincre de citer à titre d'exemple l'arrêt de la première chambre près la cour de cassation française qui a relevé que :

« sans inverser la charge de la preuve une cour d'appel, pour caractériser, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, la fraude paulienne commise par une caution et déclarée en conséquence inopposable aux créanciers la vente de biens immobiliers consentie par celle-ci à une société,

relève que le prix de vente a été payé hors la comptabilité du notaire, que la preuve n'est pas rapportée de ce que le titulaire des... parts de cette société constituée avec la caution ait apporté les fonds correspondant à sa quote-part de la valeur vénale des biens acquis, et en déduit, par rapprochement avec la date de constitution de la société et celle de la mise en liquidation judiciaire du débiteur principal, que le prix de vente a été payé de manière fictive par la caution à elle-même » (2)

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(1) Cour d'appel du Caire Egypte du 6/4/1941- IN : revue « AL MOUHAMAT » n° 46 P. 94

(2) Arrêt de la première chambre près la cour de cassation française du 4/6/1996 n° 93-13870 - IN -CD ROM « INTEGRAL CASSATION » collection Legisoft Bulletin n° 235 copie (voir annexe 6)

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La jurisprudence égyptienne a, pour sa part, mis en relief l'importance de la preuve en matière de fraude paulienne.

C'est le cas notamment d'un arrêt rendu par la Cour Suprême d'Egypte duquel il résulte qu'un débiteur, après avoir été condamné au paiement d'une créance, vend un immeuble dont il est propriétaire. Aussitôt après, son épouse acquiert un terrain et s'est fait construire un immeuble.

La Cour a, ainsi, retenu que les faits recueillis étaient suffisants pour prouver que le dit terrain a été acheté et construit avec l'argent du débiteur, mais au nom de l'épouse afin d'échapper aux poursuites judiciaires et partant, au paiement de la créance (1).

Néanmoins, l'élément fréquemment retenu par la jurisprudence marocaine est la date de l'acte attaqué. C'est le cas notamment des actes passés après le dépôt d'un rapport d'expertise défavorable ou encore les actes passés immédiatement après l'engagement d'une caution.

Au Maroc comme dans d'autre pays de l'exagone, les établissements financiers exigent des garanties tant personnelles que réelles pour octroyer des crédits bancaires. Parmi ces garanties, nous comptons le cautionnement qui peut être défini comme un procédé en vertu duquel une personne s'engage à garantir l'exécution d'un contrat par l'une des parties (généralement l'emprunteur) au profit de l'autre.

Ainsi, lorsque la caution accepte d'exécuter elle-même le contrat, dans le cas où le débiteur principal ne remplirait pas son engagement, elle est appelée « caution personnelle et solidaire », lorsque la caution, au lieu de s'engager à exécuter personnellement, offre en garantie une hypothèque, à titre d'exemple : sur un immeuble lui appartenant, elle est dite « caution réelle »

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(1) Arrêt de la Cour Suprême d'Egypte du 10/03/1915 - jurisprudence publiée à la revue « CHARA'II » tome 2 n° 230 P. 217

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De ce fait, il nous est opportun de souligner ici, que l'engagement de la caution se retrouve dans la plupart des jurisprudences évoquées en matière d'action paulienne, dans la mesure où l'acte attaqué pour fraude paulienne est établi par la personne ayant porté son cautionnement à la société : débitrice principale.

De nombreux arrêts font état d'une appréciation souveraine de la fraude par les juges du fond, notamment lorsque celle-ci intervient après l'engagement d'une caution.

Parmi ces arrêts, nous citons une jurisprudence marocaine non publiée de la cour d'appel de Casablanca du 6/1/1998 ayant infirmé le jugement de première instance.

Il s'agit d'une caution solidaire ayant établi un contrat de participation à une société crée avec ses enfants mineurs, déclarés juridiquement incapables de s'engager, et ce, en fraude des droits des créanciers.

La cour d'appel de Casablanca a, essentiellement, basé ses motifs sur ce qui suit :

« Que.... La fraude concerne la dilapidation d'un immeuble appartenant à la caution au profit d'une société crée avec son épouse et ses enfants mineurs.

« Que la fraude est l'un des éléments de l'action paulienne qui est intentée par le créancier afin de préserver les biens du débiteur. De surcroît, cette action n'est pas une action tendant à la nullité du contrat mais celle tendant à considérer ce dernier faux, et partant le dit immeuble fait partie intégrante du patrimoine de la caution.

« Que l'appelant, considéré tiers par rapport à l'acte attaqué, peut prouver la création d'une société fictive, en vertu des dispositions de l'article 448 du Dahir formant code des obligations et des contrats, par tous les moyens notamment les indices, quand celles-ci son déterminantes...

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« Qu'il est prouvé que cette dilapidation, objet du présent litige, est frauduleuse car elle est intervenue au moment où le créancier s'apprêtait à engager les poursuites judiciaires à l'encontre de son débiteur et sa caution, et ce afin de recouvrir sa créance. De plus, cette dilapidation s'est effectuée au profit de l'épouse et des enfants mineurs de la caution sans prouver que ces derniers ont effectivement participé à la création de la société en contrepartie de la dite..... d'où la déduction qu'il s'agit d'une donation de l'immeuble de la part de la caution.

« Que la jurisprudence a permis au créancier lésé par des dilapidations frauduleuses du débiteur (ou sa caution) afin d'éloigner ses biens, de manière fictive, des poursuites judiciaires, un droit de recours contre ces agissements fictifs : c'est le principe même de l'arrêt de la cour suprême du 19/05/1987.., et le principe général énoncé par l'article 1241 du D.O.C. »

« Que d'autre part, l'appelant a basé sa demande additionnelle sur le fait que le contrat de société est non équivoque aux dispositions de l'article 984 du D.O.C. qui permet le contrat de société entre père et fils sous la tutelle du père.

« Que, contrairement au jugement attaqué, la nullité ne saurait être considérée comme relative mais plutôt absolue. Le dernier alinéa de l'article précité dispose expressément que l'autorisation octroyée au père sur ses enfants mineurs ne lui donne pas la capacité pour créer une société avec eux...., et partant le but escompté demeure le principe de l'égalité entre les participants à la création d'une société, dans le cas d'espèce, il s'agit d'une nullité absolue et de plein droit du contrat en vertu de l'article 306 du D.O.C car les enfants mineurs de la caution sont considérés juridiquement incapables de s'engager.

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« Qu'il convient d'infirmer le jugement attaqué, et d'annuler le contrat de participation ainsi que le contrat de constitution de la société A. du .... Avec mention à Monsieur le Conservateur de rayer le dit contrat, et de condamner les intimés aux dépens ».(1)

De ce fait, si le pouvoir du juge du fond s'exerce librement pour constater que la preuve est faite de la connaissance du préjudice ou de l'intention de nuire, la cour suprême, cour régulatrice, peut casser les arrêts qui exigent non seulement la preuve de la connaissance mais encore celle de la volonté du préjudice.

Quoiqu'il en soit, l'élément intentionnel à savoir le « consilium fraudis » doit exister chez le débiteur, quel que soit l'acte envisagé.

Autrement dit, suffit-il que le débiteur ait en conscience de son insolvabilité ? ou doit-on exiger qu'il ait eu l'intention de causer un préjudice à un créancier ?

D'une part, le débiteur peut remplacer un bien facilement saisissable, comme nous l'avons préalablement souligné, par un autre bien de même valeur, mais qu'il pourra facilement dissimuler. Dans ce cas l'acte ne peut être attaqué que si le débiteur l'aurait accompli dans le dessein de nuire à ses créanciers, et soustraire les biens cédés à leurs poursuites.

D'autre part, le débiteur peut donner un bien, ou le céder, en exigeant pas une contrepartie suffisante : il diminue volontairement son patrimoine. Ainsi, la simple connaissance de son insolvabilité qui parfois est aggravée par l'acte, suffit à prouver la fraude sans pour autant s'attarder sur l'intention du débiteur de nuire à sa victime.

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(1) Arrêt infirmatif de la Cour d'Appel de Casablanca n° 57 du 6/1/1998 (jugement du TPI Mohammedia du 18/3/1996 - dossier n° 26/95) traduction personnelle - jurisprudence non publiée.

Annexe 14 Non traduite

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En droit comparé, le Docteur A. SANHOURI soulève la distinction entre les actes à titre onéreux et les actes à titre gratuit, en ce sens qu'ils jouent un rôle prépondérant dans l'exercice de l'action paulienne.

C'est ainsi que l'auteur relève quatre axes de distinction.

En premier lieu, il affirme que les actes à titre onéreux prennent la forme d'une donation lorsque le débiteur cède son bien à un prix insuffisant voire dérisoire, auquel cas la preuve de l'existence d'une fraude n'est pas exigée.

En second lieu, l'auteur considère que le prêt sans intérêt constitue une donation, contrairement au prêt avec intérêt qui lui, vaut compensation.

En troisième lieu, certains actes sont considérés à titre gratuit par un des cocontractants et à titre onéreux par l'autre cocontractant.

C'est le cas notamment du cautionnement personnel ou réel : il s'agit d'une donation de la part de la caution lorsqu'elle ne perçoit pas de contrepartie ni du débiteur ni du créancier cautionnés ; alors qu'il s'agit d'une compensation de la part du créancier.

En tout état de cause, si un créancier de la caution exerce l'action paulienne afin d'attaquer l'acte de la caution, acte qui augmente les obligations de la caution personnelle et diminue celles de la caution réelle, il lui faudra prouver à la fois la fraude de la caution et celle du cocontractant.

En dernier lieu, et dans le cadre de la classification des contrats, le Docteur SANHOURI met l'accent sur les actes qui ne constituent pas de véritables donations car ils comprennent un élément onéreux. C'est le cas notamment de ce que l'on appelle :une donation rémunératoire.

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Il s'agit, en fait, d'une donation qui ne peut être attaquée par l'action paulienne tant que la preuve d'une fraude n'a pas été apportée, à moins que le débiteur ne soit contraint à cette donation pour créer un préjudice à ses créanciers auquel cas l'exercice de l'action paulienne est retenu avec l'option de prouver la fraude.

Aux côtés de la donation rémunératoire, un autre exemple mérite d'être mentionné au vu de la distinction sus visée, car il relève une nuance entre le droit musulman et le droit français : il s'agit de la dot.

En effet, la jurisprudence française considère la dot comme un contrat à titre onéreux où la preuve de la fraude du débiteur qui a présenté la dot, ainsi que celle des deux époux, est exigée (1) alors que la doctrine française la considère comme une donation qui nécessite simplement la preuve de la fraude du débiteur.

Par ailleurs, en droit musulman, la dot est une sorte de donation en vue du mariage ; c'est généralement, une somme d'argent que le mari offre à sa future épouse pour la consommation de celui-ci. C'est la raison pour laquelle l'épouse obtient, de plein droit, la moitié de la dot même s'il n'y a pas eu consommation du mariage.

Ainsi, si nous considérons la dot comme compensation à la consommation du mariage, le créancier de l'époux doit prouver le « consilium fraudis » de ce dernier avec son épouse pour lui avoir octroyé une dot visiblement importante et ce, en fraude des droits du créancier.

Contrairement à cela, les dons notamment matériels que l'épouse peut recevoir de ses parents ou proches pour préparer son trousseau : il s'agit d'une obligation naturelle qui ne peut être attaquée par l'action paulienne sauf si la preuve d'une fraude manifeste est apportée (2)

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(1) arrêt de la cour de cassation française du 16/11/1910 publiée au DALLOZ 1911 - Tome I - page 511

(2) A propos de la distinction : actes à titre onéreux & actes à titre gratuit IN :précis de droit civil annoté - les effets de l'obligation par A. SANHOURI - OP. SUPRA. Page 1044 - prg 594 (cf professeur PLANIOL - tome 7 prg. 936)

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Enfin, en droit maghrébin, l'article 192 alinéa 3 du code civil algérien dispose que si l'acte du débiteur est à titre gratuit, ce dernier ne peut être opposable au créancier même si le bénéficiaire était de bonne foi.

La règle de non-opposabilité rentre dans le cadre des donations absolues, en d'autres termes, le législateur algérien a considéré que le débiteur donateur est, en tout état de cause, de mauvaise foi abstraction faite de toute preuve contraire (1)

Ainsi, après avoir mis en exergue les conditions relatives au débiteur, défendeur à l'action paulienne, notamment à travers la fraude il nous importe à présent de traiter du tiers défendeur à l'action paulienne, celle-ci peut être intentée soit contre le contractant du débiteur, soit contre le sous-acquéreur et ce, lorsque le débiteur est notamment insolvable ou n'a plus en sa seule puissance le bien ou le droit sur lequel le créancier peut aisément exécuter son action.

3/ Le tiers défendeur à l'action : le cocontractant fraudeur

Selon la doctrine comparée, la volonté coupable des participants à l'acte suspect constitue la pierre angulaire de l'action paulienne, communément connue aussi synonymie : la fraude paulienne.

Ainsi, le droit romain exprimait cet esprit de fraude par « OMNIA QUAE GESTA CRUNT FRAUDATIONIS CAUSA » c'est dire que le débiteur a voulu ou su échapper à ses obligations, ou encore que le cocontractant de ce dernier en a profité à telle enseigne que la sanction appropriée sera constituée par l'inopposabilité de l'acte au créancier demandeur.

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(1) IN : prévis dans la règle des obligations (AL WAJIZ FI NADARIAT AL ILTIZAM) par Dr. MOHAMED HASSANINE - Professeur à l'université d'Alger page 284

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En ce sens, le Professeur GUILLOUARD a soutenu, lors de sa thèse, le caractère essentiellement moraliste de l'action « ... tout en essayant de faire progresser la moralité de l'individu ; le pouvoir social doit aussi, faisant la part des mauvais penchants de l'homme, prendre ses mesures pour éviter cette violation des engagements qui, en se multipliant, serait une cause de ruine sociale... » (1)

Force est de constater que cette citation se rapproche d'une peine civile ayant pour conséquence, entre autre, de ne sanctionner que ceux qui ont personnellement pris part à l'acte suspect.

Remettant en cause des actes apparemment réguliers, l'action porte une atteinte grave à la sécurité des transactions et ne doit donc être admise que sous certaines conditions relatives au défendeur.

Il va donc, falloir rechercher chez quelles personnes l'esprit de fraude doit être constaté ? car le problème ne se pose pas dans les mêmes termes selon que l'action est exercée contre l'ayant cause directe du débiteur fraudeur à savoir son contractant, ou bien celui auquel il a lui-même transmis ses droits ; en l'occurrence le sous acquéreur.

a/ Quand l'action paulienne est intentée contre le contractant du débiteur

De prime abord il nous faudra distinguer selon que l'acte attaqué est à titre onéreux ou à titre gratuit mettant en cause l'acquéreur direct c'est à dire le contractant du débiteur.

1 - Le principe :

En effet, il faut agir contre celui qui a profité de l'acte et peut seul remettre dans le gage des créanciers la valeur qui leur a été soustraite.

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(1) Thèse de M. GUILLOUARD sous le thème « de l'action paulienne en droit romain et en droit français » Caen - 1868 - page II, IN :Encyclopédie DALLOZ - Action Paulienne - Prg « 4 »

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En droit romain, l'action paulienne ne pouvait être exercée à l'origine que si le tiers qui a passé avec le débiteur l'acte attaqué a été complice de la fraude, c'est ce que nous appelons le « conscius fraudis ».

En effet, il a fini par introduire une distinction capitale concernant les tiers, ce qui a été conservé par la jurisprudence récente notamment marocaine et occidentale.

Ainsi, lorsque l'acte frauduleux est à titre gratuit, l'action paulienne est recevable contre l'acquéreur qu'il soit de bonne ou mauvaise foi.

A cet égard, la preuve de la complicité du tiers dans la fraude paulienne n'est donc pas nécessaire. Ce dernier ne procure aucune contrepartie au patrimoine du débiteur et peut, éventuellement, lutter pour conserver un avantage gratuit quant bien même il ignorait l'insolvabilité du donateur.

Par ailleurs, lorsque l'acte frauduleux est à titre onéreux, le créancier agissant contre le contractant doit prouver qu'il a été complice de la fraude.

Les juges du fond apprécient souverainement les éléments qui lui sont soumis en prenant en considération les liens de parenté, d'alliance, d'amitié, ou encore la modicité du prix.

En matière de vente par exemple, l'action paulienne ne peut triompher contre le tiers débiteur que s'il a été complice de la fraude, mais si ce dernier a agit de bonne foi l'acte ainsi établi est inattaquable.

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Généralement, il faut distinguer selon que le prix de vente est dérisoire et nous nous trouvons devant une donation déguisée, auquel cas la mauvaise foi du tiers importera peu ; ou bien que le prix est seulement insuffisant et le contrat considéré lésionnaire il n'en restera pas moins onéreux.

Néanmoins, l'application de ce principe soulève des difficultés tant au niveau de la définition de la complicité du tiers, mais aussi au niveau de la jurisprudence.

2/ Applications jurisprudentielles

La complicité du tiers n'est pas nécessaire, comme nous l'avons précédemment souligné, lorsque l'acte attaqué est un acte à titre gratuit mais si l'action prospère contre lui, il perd seulement le bénéfice d'une libéralité.

Cette perte demeure en fait moins digne d'intérêt que celle du créancier.

En droit comparé, de nombreuses décisions jurisprudentielles relèvent un « concert » frauduleux entre le débiteur et son cocontractant, ce dernier voulant s'associer à la fraude.

Mais d'autres arrêts se contentent de relever la connaissance de la fraude par le tiers pour conclure à sa complicité.

Quoiqu'il en soit, la complicité de la fraude du tiers n'étant pas directement prouvée, nous sommes en droit de prendre en considération d'autres motifs qui ont pu inciter le tiers à passer l'acte.

En effet, il serait impropre d'exercer l'action paulienne contre un acte tendant à sauvegarder les intérêts légitimes du cocontractant, notamment en matière de constitution de sûretés au profit d'un tiers.

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Par ailleurs, certains problèmes de qualification de l'acte attaqué n'ont pas manqué de se produire, compte tenu de la disparité du régime.

Il en va pour s'en convaincre de traiter du cautionnement lequel peut être gratuit à l'égard du débiteur principal mais revêt un caractère onéreux à l'égard du créancier cocontractant et partant la preuve de la mauvaise foi du tiers cocontractant de la caution.

Ainsi, aux côtés de l'action intentée contre le cocontractant du débiteur celle-ci peut être dirigée également contre le sous acquéreur.

b/ Quand l'action paulienne est intentée contre le sous acquéreur

Il arrive que l'objet de l'acte frauduleux ait été aliéné auquel cas l'action paulienne doit être exercée contre le sous acquéreur.

Mais, nous sommes en droit de se poser la question de savoir si le créancier peut diriger son action contre l'acquéreur, quoi que celui-ci n'ait plus le bien entre les mains ? ou bien optera-t-il pour s'adresser directement au sous acquéreur ?

La réponse à cette problématique mérite que nous nous penchions sur la doctrine notamment française à travers les dispositions de l'article 1167 du code civil français.

En effet, si l'action ne pouvait prospérer contre l'acquéreur direct en l'occurrence le cocontractant du débiteur à titre onéreux et de bonne foi, le sous acquéreur est, en principe, à l'abri des poursuites.

Par ailleurs, lorsque le cocontractant du débiteur est soumis à l'action paulienne, à savoir qu'il avait acquis le bien à titre gratuit ou il était complice de la fraude, il faut tenir compte de la situation personnelle du sous acquéreur, en vue de savoir si l'action peut être intentée contre lui.

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A cet égard, la doctrine s'est attardée à mettre en exergue la recherche des conditions dans lesquelles le sous acquéreur a, lui-même, acquis le bien frauduleux.

Elle a, en outre, admis que l'action paulienne peut être exercée contre ce dernier s'il acquiert ledit bien à titre gratuit, ou en complicité de fraude.

Cependant, il nous importe de mettre l'accent en droit marocain, sur la différence entre action paulienne et action en nullité laquelle est plus rapprochée d'une action en responsabilité fondée sur la faute personnelle par application des dispositions du dahir formant code des obligations et contrats du 12 Août 1913.

Relever une telle différence, revêt à notre sens, une importance considérable car elle permettra de clarifier toute ambiguïté sans briser tout obstacle en ce sens que certains juristes ont admis, à tort, l'idée que l'action intentée à l'encontre de l'acquéreur direct, doit forcément l'être à l'égard de son acquéreur.

En droit comparé, la jurisprudence n'est pas muette car dans un arrêt de la Cour de Cassation française, celle-ci a relevé qu'en matière de redressement ou de liquidation judiciaire d'une société, un donataire ne pouvait avoir transmis à un acheteur plus de droits qu'il n'avait réellement reçus mettant ainsi en relief, les conséquences de la nullité des actes de la période suspecte.(1)

Quoiqu'il en soit, l'action a pour but de remettre les choses dans l'état antérieur à l'acte, mais seulement à l'égard du créancier agissant. Mais, elle ne produit aucun effet sur le débiteur qui reste tenu à l'égard du tiers, ni sur les autres créanciers s'ils interviennent.

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(1) Arrêt de la cour de cassation française du 17/12/1985 - chambre commerciale - DALLOZ 1986 - Tome I P. 101

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De son côté, le créancier qui intente l'action, bénéfice d'un privilège sur le bien qu'il fait rentrer dans le patrimoine du débiteur, ce qui diffère de l'action du créancier qui agit par voie oblique.

L'effet de l'action est claire dans la mesure où dans les rapports du créancier et du tiers qui a passé avec le débiteur l'acte attaqué, cet acte est inopposable au créancier.

La jurisprudence marocaine considère, comme nous le verrons lors de la seconde partie, la nullité de l'acte attaqué au lieu de son inopposabilité au créancier demandeur à l'action.

Après avoir traité des conditions d'exercice de l'action paulienne, il nous importe lors de notre seconde partie, de souligner ses effets.

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I Ième Partie - LES EFFETS DE L'ACTION PAULIENNE EN DROIT MAROCAIN

L'action paulienne est exercée par le créancier en vertu d'un droit propre. Elle tend, en outre, à remettre les choses en l'état mais seulement en tant qu'elle est une action en inopposabilité à l'égard du créancier qui l'intente.

Les effets de l'action paulienne s'ordonnent autour de deux volets : d'abord il s'agit d'une action en inopposabilité qui se traduit par l'inefficacité de l'acte frauduleux dans les rapports du créancier demandeur et du tiers cocontractant du débiteur ; ensuite, il y a lieu de préciser que c'est une action individuelle qui ne profite qu'au poursuivant et qui n'a pas d'incidence sur les autres créanciers et partant ne produit à leur égard qu'un effet relatif.

Nous nous efforcerons, lors de cette partie, de mettre en exergue, d'abord l'effet de l'inopposabilité de l'acte frauduleux au poursuivant en s'attardant sur les différents rapports existants entre les parties au litige d'une part, et l'inadéquation entre la doctrine et la jurisprudence notamment pour l'admission de la nullité de l'acte frauduleux d'autre part ; ce qui nous mènera à traiter ensuite, de la réparation du préjudice causé, à savoir comment rétablir l'état antérieur à l'acte ? et comment intenter une action en responsabilité civile ?

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A - L'inopposabilité de l'acte frauduleux au poursuivant :

1 - Effets à l'égard du créancier demandeur à l'action

Il nous est opportun de relever de prime abord que la doctrine marocaine admet l'effet de l'inopposabilité dans les relations du créancier poursuivant et du cocontractant débiteur (1)

En effet, l'action est dirigée contre le cocontractant et frappe l'acte qu'il a conclu avec le débiteur.

Il en découle que le créancier obtient la révocation de l'acte frauduleux et le retour du bien ou de la valeur du bien aliéné dans le patrimoine du débiteur.

L'action paulienne se traduit par une reconstitution de l'actif sans que le créancier puisse obtenir, dans l'immédiat, le paiement de sa créance.

Quoiqu'il en soit, le créancier demande la réparation du préjudice

qu'il a subi du fait de l'acte frauduleux.

Cet acte sera donc révoqué, comme nous l'avons précédemment souligné, et lui sera déclaré inopposable auquel cas le créancier sus visé pourra exiger du cocontractant soit la restitution du bien aliéné ou des valeurs sorties du patrimoine du débiteur ce qui lui permettra d'en entreprendre la saisie, soit le versement de dommages intérêts.(2)

En droit européen la doctrine belge reconnaît que le droit prive certaines conventions de leurs effets externes soit de plein droit, soit au terme d'une procédure offerte aux tiers intéressés.

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(1) IN « théorie générale des obligations » (NADARIA AL AAMA LIL ILTIZAM) P. 156 par Docteur TAIEB EL FSSAILI professeur à l'université CADI AYAD - MARRAKECH

(2) IN « les effets du contrat à l'égard des tiers » comparaison Franco Belge par J. GHESTIN & H. SOLUS

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Il en est ainsi des actes accomplis par un débiteur en fraude des droits de ses créanciers, actes jugés vulnérables à l'action paulienne et partant l'acte attaqué sera inopposable et privé de ses effets externes à l'égard du seul créancier agissant (1)

La doctrine constante n'a pas manqué de mettre en relief l'apport des effets de l'action paulienne à savoir une action par laquelle le créancier demande l'inopposabilité de l'acte à l'encontre du débiteur et naturellement, à l'encontre de toute autre personne ayant participé à cet acte.

Si le cocontractant du débiteur aliène le bien à un sous acquéreur, il faut exercer l'action paulienne à l'encontre de ce dernier, à travers l'appel en cause.

Ceci étant, du moment que le débiteur ne demande que l'inopposabilité de l'acte frauduleux à son encontre, cela signifie vraisemblablement que l'acte du débiteur n'est pas déclaré nul et non avenu, mais demeure établi pour ce dernier et son cocontractant. Le créancier, pour se peut, supporte l'effet de l'acte frauduleux jusqu'au sort du litige par voie judiciaire ou amiable.

Il a, en outre, la possibilité d'exercer l'action paulienne tant que celle-ci n'est pas prescrite ; toutefois il peut renoncer à sa demande mais cette renonciation doit être expresse (2)

Par ailleurs, si la jurisprudence marocaine opère toute confusion entre l'inopposabilité de l'acte frauduleux à l'encontre du créancier qui intente l'action paulienne et la nullité absolue de cet acte dans le rapport entre le débiteur et le tiers cocontractant, la doctrine tunisienne admet l'inopposabilité de l'acte au créancier qui l'intente (3) c'est donc une action individuelle contrairement à l'action oblique, qui ne profite qu'au poursuivant et n'a pas d'incidence sur les autres créanciers.

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(1) IN : l'essentiel sur le droit civil des obligations par LUC MAYAUX - P. 245 - HERMES

(2) IN « Précis dans le droit des obligations » par Dr. A. SANHOURI - Op. Supra. P. 1055 et suiv.

(3) A contrario, les droits Syrien & Egyptien estiment que parmi les effets de l'acte frauduleux : la nullité qui profite à tous les créanciers, ce qui demeure logique car le contrat fait partie intégrante du patrimoine du débiteur, et partant constitue le gage général des créanciers.

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Toutefois, le Professeur Mohamed SALAH EL IYARI a tenté de relever la distinction entre l'action en nullité et l'action en déclaration de simulation et l'action en inopposabilité.

A titre d'exemple, si un débiteur aliène frauduleusement un bien figurant dans son patrimoine, à titre onéreux et de manière fictive et ce afin de le faire échapper aux poursuites judiciaires, les créanciers ou leurs ayants droits qui estiment avoir été lésés par l'acte frauduleux de leur débiteur, peuvent intenter aux côtés de l'action en inopposabilité à leur égard, une action en simulation contre le « concilium fraudis » en produisant tout mode de preuve sans pour autant prouver l'insolvabilité du débiteur ou encore la fraude commise en connivence avec le cocontractant.(1)

Pour sa part, la jurisprudence marocaine, inspirée de l'expérience notamment française, adopte le principe de l'inopposabilité de l'acte frauduleux au poursuivant (créancier) mais prononce la nullité de cet acte entre les parties, avec mention à Monsieur le conservateur des propriétés immobilières de rétablir l'état antérieur en rendant le débiteur principal ou sa caution à nouveau propriétaire du bien aliéné.

Il en va ainsi, sans toutefois prétendre à l'exhaustivité, pour un arrêt rendu par la Cour d'Appel de Rabat du 25 Février 1997 ayant confirmé le jugement du tribunal de première instance : « que la demande de l'appelant vise à annuler le jugement attaqué et par conséquent, rejeter la demande en nullité de la donation consentie par l'appelant concernant le titre foncier sus indiqué ; alors que l'intimé a argué de la nullité de cet acte par application des dispositions de l'article 22 du dahir formant code des obligations et contrats, car cette donation a lésé le créancier et partant lui a causé un préjudice.

(1) IN « Action paulienne en droit Tunisien : publié à la revue des obligations et contrats à la lumière des développements modernes année 1997 » par Maître MOHAMED SALAH EL IYARI ex Ministre de la justice et 1er Président de la Cour d'Appel de Tunis

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« Qu'au vu des pièces versées au dossier, l'appelant a conclu un acte de donation à sa fille appelée... correspondant au titre foncier n°... du 15/7/1992 alors qu'il est caution personnelle et solidaire de la Société..., et par déduction garant de sa créance envers la Banque W..., et ce en vertu du contrat signé le ... et du protocole d'accord établi entre les parties, à savoir la caution -appelante au présent litige - et les autres parties au procès.

« Qu'en vertu de l'article 1241 du D.O.C., les biens du débiteur sont le gage commun de tous ses créanciers.

« Que du moment que l'appelant a, frauduleusement, aliéné son titre foncier sus visé alors qu'il est débiteur de l'intimée selon sa caution personnelle, cet acte de donation a causé un préjudice au créancier ce qui le rend légitimement apte à demander la nullité de tout acte susceptible de léser ses droits.

« Que cet acte est inopposable au créancier selon les dispositions de l'article 22 du dahir précité. De surcroît, la liberté contractuelle et la liberté de disposition d'un propriétaire de ses biens est inopposable aux tiers sauf ceux qui ont été lésés par le comportement du débiteur : à savoir le créancier - considéré comme tiers dans le rapport régissant le débiteur et son cocontractant -) ; de ce fait, en admettant la nullité de l'acte de donation sus visé avec mention de rayer ledit acte du titre foncier, le jugement attaqué a légalement justifié sa décision.

« Que la cour d'appel confirme le jugement attaqué (1) .

Par ailleurs, la caution joue un rôle prépondérant dans le cadre de l'exercice de l'action paulienne. C'est dire que la jurisprudence marocaine, pour palier à tout risque de fraude, a considéré la caution comme débiteur dès la signature de l'acte de caution ;

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(1) Arrêt de la Cour d'Appel de Rabat n° 1247 DU 25/2/1997 dans le dossier immobilier n° 6088/95 - jurisprudence non publiée - copie en annexe 12 - traduction personnelle (jugement confirmé du T.P.I. de Rabat n° 276 du 2/8/1995 - aff. WBK C/ K.A)

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C'est le cas notamment d'une décision rendue par le tribunal d'Agadir le 6 Juin 1996 :

« ... Que l'article 1241 du D.O.C. dispose que les biens du débiteur sont le gage général des créanciers.

« ... Qu'en vertu de la doctrine et de la jurisprudence, il n'est pas permis au débiteur de dilapider ses biens.... Que le défendeur est considéré débiteur de la demanderesse dès la date de la signature de l'acte de caution c'est-à-dire le 25/2/1983.

« Que le contrat de donation a été établi à posteriori à savoir le 21/10/1986.

« Qu'il convient, par conséquent de prononcer la nullité de l'acte de donation du 21/10/1986 objet du titre foncier n° ... ordonnant Monsieur le conservateur de rayer le dit acte de donation... » (1)

En résumé, si les décisions jurisprudentielles non publiées évoquées dans le présent travail, démontrent de manière effective la confusion établie les juges du fond entre la nullité de l'acte et son inopposabilité, elles auront, néanmoins, eu le mérite de prouver le développement de ce genre d'action suivant ainsi l'expérience notamment française, en dépit de l'absence d'une réglementation spéciale de l'action paulienne sauf certains article notamment 22, 228, et 1241 du D.O.C. précité.

2/ Effets de l'action paulienne à l'égard des autres créanciers non parties à l'instance

En droit comparé, l'article 1167 du Code Civil français précise explicitement que le créancier poursuivant agit « en son nom personnel » c'est dire qu'il s'agit d'un effet individuel qui ne profite qu'à celui qui l'intente et partant, le bien aliéné loin de redevenir le gage commun de tous les créanciers du « fraudator », comme le souligne l'article 1241 du dahir précité, n'est destiné qu'à être appréhendé par le créancier poursuivant.

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(1) Jugement du T.P.I. d'Agadir n° 347 du 6/6/1996 dans le dossier civil n° 700/93 - décision non publiée, copie en annexe 16

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Les autres créanciers ne peuvent se prévaloir du jugement qui a fait droit à l'action paulienne pour faire porter leurs poursuites sur les biens faisant l'objet de l'acte révoqué.

En revanche, il nous importe de préciser une exception en matière de redressement ou de liquidation judiciaire (1) où l'action est intentée par le syndic, lors de la période suspecte, au nom de tous les créanciers, y compris ceux dont le droit est né postérieurement à la fraude.

Force est de constater dans le cadre des effets de l'action paulienne à l'égard des autres créanciers du débiteur, qu'il existe une différence capitale avec l'action oblique (2) où le créancier agit au nom de son débiteur et au bénéfice de tous les créanciers alors qu'en paulienne, il agit en son nom personnel et l'action intentée ne profite qu'à lui seul bénéficiant ainsi d'un véritable privilège à l'égard des autres créanciers.

Néanmoins, la Cour d'Appel de Rabat avait admis une précision importante à savoir l'opposabilité des actes de disposition du débiteur aux créanciers qui ne se sont pas manifestés pour prouver la fraude du débiteur et partant l'inopposabilité de l'acte à leur égard. « les actes de disposition du débiteur étant opposables à son ayant cause comme à lui-même, en vertu de l'article 229 du D.O.C. l'acte de vente d'un immeuble, passé par le débiteur, et bien que non enregistré, est opposable aux créanciers, à moins qu'il ne soit entaché de fraude ou de mauvaise foi »(3)

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(1) Loi n° 15/95 régissant le nouveau code de commerce marocain du 3/10/1996

(2) contrairement à la loi marocaine, l'action oblique est admise en législation française (article 1166) du code civil français)

(3) Arrêt de la Cour d'Appel de Rabat du 29/12/1933 - G.T.M. 1934 N° 574 P. 34 - IN Code annoté des obligations et contrats par le Doyen François-Paul BLANC

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3 / Les effets de l'action paulienne à l'égard du débiteur

Etant une action en inopposabilité et non une action en nullité, l'action paulienne n'anéantit pas les effets de l'acte frauduleux dans les rapports du débiteur et son cocontractant.

En effet, le débiteur reste tenu à l'égard du tiers avec lequel il a passé l'acte attaqué.

En d'autres termes, le débiteur ne peut se prévaloir de la révocation de l'acte car après paiement des créanciers, le reliquat qui pourra exister appartiendra au tiers acquéreur et non au débiteur.

Il en résulte aussi que le tiers dispose d'une action récursoire contre le débiteur en raison du préjudice qu'il aurait subi par la perte du droit acquis ou le versement d'une indemnité ; ce recours risque d'être illusoire au vu de l'insolvabilité du débiteur mais le tiers acquéreur ne peut s'en plaindre étant par hypothèse complice de la fraude. (1).

Nous remarquons que le fondement de cette action recensoire a été controversée en doctrine occidentale, et le dilemme intervient entre un recours fondé sur la subrogation car le tiers acquéreur a payé pour autrui ou bien, au contraire, l'application de la garantie d'éviction dans la mesure où un acheteur évincé par le créancier a le droit d'agir en garantie contre le vendeur pour se faire restituer le prix et obtenir les réparations du dommage que lui a causé l'éviction.

C'est ce qui ressort d'une décision émanant du tribunal de première instance de Sidi Slimane du 19/4/1999 où un acheteur s'est retourné contre la caution solidaire d'une société pour obtenir

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(1) IN « L'essentiel sur le droit civil : les obligations » de LUC MAYAUX - P. 245 et suivantes - collection l'HERMES

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la réparation du dommage qu'il a subi, cette dernière avait procédé à la vente d'un immeuble frappé d'une saisie conservatoire immobilière, en fraude des droits des créanciers pour faire échapper ses biens des poursuites judiciaires (1).

Les effets de l'action paulienne ont une incidence, également, sur le tiers défendeur et ses créanciers.

4 / Les effets de l'action paulienne à l'égard du tiers défendeur et ses créanciers

Dans le cadre de l'exercice de l'action paulienne, le tiers défendeur ne peut opposer l'acte attaqué au créancier poursuivant. Toutefois, entre ce dernier et le tiers, l'action paulienne équivaut à une nullité (2) car le jugement rendu sera opéré rétroactivement.

En d'autres termes, le tiers défendeur sus visé sera censé n'avoir jamais reçu le bien et ses propres créanciers - notamment chirographaires - ne pourront pas se prévaloir d'un droit de gage général, en vertu des dispositions de l'article 1241 du dahir formant code des obligations et contrats, sur un patrimoine où le bien n'aura jamais figuré.

Néanmoins, le créancier ayant intenté l'action paulienne peut entrer en conflit avec les créanciers personnels du tiers car ils entendent comprendre dans leur gage les biens figurant dans le patrimoine du débiteur (c'est-à-dire le tiers défendeur dans le rapport initial) et ce, par l'effet de l'acte révoqué.

Cette solution a été admise par la jurisprudence comparée, notamment, lorsque l'action du créancier aboutit à la restitution d'un corps certain.

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(1) jugement du TPI de Sidi Slimane n° 45 du 19/4/1999 dossier civil n° 40/98 jurisprudence non publiée ( aff. W. C/ H.A.M.) copie en annexe 17

(2) A ce propos : les effets à l'égard du tiers défendeur et de ces créanciers - IN : droit civil - les obligations par A. WAILL & F. TERRE - Prg. 882 - op. supra précité

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Par contre, lorsqu'il s'agit d'une créance liquide, ce dernier ne peut prétendre qu'à une indemnisation pécuniaire. (1)

Toujours est-il que, si le droit français admet l'inopposabilité de l'acte frauduleux à l'encontre du créancier poursuivant sans pour autant que cet effet ne profite aux autres créanciers   il leur demeure opposable. A contrario, la doctrine Egyptienne opte pour une autre conception selon laquelle tous les créanciers peuvent bénéficier de l'action paulienne, même lorsqu'ils ne sont pas parties à l'instance, à condition que leur droit ait été établi avant l'acte attaqué afin de pouvoir exercer la dite action.

En effet, l'article 240 du nouveau code civil Egyptien dispose que « si l'inopposabilité est prononcée, elle profite à tous les créanciers ayant été lésés par l'acte attaqué ».

Il en découle, selon cette même doctrine, que si l'action du créancier poursuivant prospère, le droit consenti frauduleusement par le débiteur devient le gage général de tous les créanciers et partant, leur profite en même temps.

Néanmoins, si l'un de ces créanciers ayant obtenu un jugement en matière paulienne, entame la procédure d'exécution sur les droits appartenant au gage général de tous les créanciers, comme nous l'avons souligné, tout autre créancier ayant satisfait aux conditions de l'action paulienne, peut participer à l'exécution dudit jugement et même devancer certains créanciers dits chirographaires.

Ce qui constitue une égalité entre les créanciers qui demeurent sur le même piédestal sans pouvoir prétendre à l'exercice de cette action avant tel ou tel autre créancier (2).

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(1) A titre d'exemple, un bien frauduleusement aliéné a péri par la faute de l'acquéreur ou ayant été transmis à un sous acquéreur de bonne foi - IN : MAZEAUD H.L. & J. - op. supra - prg. 1007

(2) Sur la question, la législation Portugaise admet l'égalité entre tous les créanciers et l'action paulienne intentée par l'un d'eux demeure. Si elle prospère, le gage général de tous les créanciers article 1044 du code civil Portugais.

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Comme nous l'avons précédemment souligné, l'action est exercée individuellement par les créanciers - en leur nom personnel - contre qui la fraude a été dirigée.

Auparavant, les créanciers pouvaient agir, à la fois contre le débiteur et contre le tiers, même s'il était sans intérêt de poursuivre le débiteur insolvable par définition.

En droit Marocain, l'action paulienne est dirigée contre le tiers et également, le cas échéant, le sous acquéreur.

Toutefois l'appel en cause du débiteur n'est pas indispensable si nous tenons compte de son insolvabilité, mais il est prudent de le faire afin d'éviter les difficultés qui naîtraient du principe de la relativité de la chose jugée, prévu par le code de procédure civile Marocain.

Cette assignation du débiteur indélicat, - car à l'origine de la fraude aux côtés du tiers cocontractant - lui permettra de défendre son patrimoine et éventuellement faire échec à une demande qui aura sans aucun doute des répercussions sur sa situation. Dans le cas contraire, si l'action n'est dirigée qu'à l'encontre du tiers cocontractant, outre les risques d'insolvabilité, ce dernier devra personnellement défendre son intervention forcée.

Force est de constater également que le débiteur, partie à l'instance, est censé représenter ses créanciers car la modification de son patrimoine produit corrélativement, effet sur leurs droits puisque celui-ci est le gage général de ces derniers.

Par voie de conséquence, les autres créanciers du débiteur devront être considérés comme partie à l'instance et devraient entrer en concours avec le créancier poursuivant, mais le courant doctrinal et jurisprudentiel ne l'admet certainement pas.

En définitive, l'action paulienne a pour but de remettre les choses en l'état, mais seulement parce qu'elle est une action en inopposabilité à l'égard du créancier agissant.

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Le créancier demandera le rétablissement de l'état antérieur chaque fois qu'il pourra l'obtenir ; dans le cas contraire, il réclamera une réparation du préjudice causé dont le caractère doit être précisé.

B - La réparation du préjudice causé

S'il entend obtenir réparation du préjudice qu'il a subi, le créancier de l'obligation non exécutée peut réclamer en justice la condamnation du débiteur.

En effet, un rapport de cause est toujours requis entre la faute du débiteur et le préjudice causé au créancier, avec cette règle que seul le dommage direct doit être réparé.

Toutefois, la Cour d'Appel de Rabat avait jugé à bon droit qu'un créancier qui prétend avoir subi un dommage doit rapporter la double preuve du préjudice subi et de la fraude du débiteur.

Elle a affirmé que «  l'action judiciaire ou révocatoire dirigée contre un acte à titre onéreux, ne peut réussir qu'à la double condition de preuve du préjudice subi par le créancier et de la fraude du débiteur et de son contractant.

Lorsque l'acte attaqué est un prêt et qu'il est démontré que les fonds prêtés ont été investis dans une construction devenue gage commun des créanciers, l'action paulienne est absolument injustifiée » (1)

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(1) Arrêt de la Cour d'Appel de Rabat du 2/4/1937 R.A.C.A.R. tome 9 P. 312 - IN : Code annoté des obligations et contrats par le Doyen François-Paul BLANC - AL MADARISS - 1981

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Mais auparavant, il faut tenter de rétablir l'état antérieur avant d'engager une action en responsabilité civile qui sera jointe à l'action paulienne.

1 - Rétablissement de l'état antérieur à l'acte attaqué

En doit romain, l'action paulienne aboutissait indirectement à la remise en l'état antérieur, vu son caractère « arbitraire », plutôt qu'à une condamnation pécuniaire :

Aujourd'hui, à la lumière de la jurisprudence récente, l'effet de l'action se résume à la remise en l'état antérieur et, ne donne pas droit à des dommages intérêts.

C'est le cas notamment d'une décision judiciaire non publiée ayant admis l'action paulienne intentée par un créancier à l'encontre d'une caution solidaire.

Celle-ci a consenti un acte de donation fictif avec son épouse en fraude des droits des créanciers.

Le tribunal, après s'être assuré de la créance et de l'acte fictif de la caution intervenu après l'engagement avec le créancier, a ordonné, à bon droit, la remise en l'état antérieur, c'est-à-dire de considérer la caution propriétaire du bien objet du titre foncier n°.. avec mention à Monsieur le conservateur de rayer l'inscription de l'acte de donation (1)

Néanmoins, une réserve doit être faite lorsqu'il n'est pas possible de rétablir l'état antérieur : le juge doit allouer au créancier un avantage équivalent.

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(1) Jugement du T.PI HAY HASSANI - AIN CHOCK N° 3701 du 10/12/1999 - dossier n° 1944/99 (affaire W.C/ MR. R.M. & STE. EMA.) copie en annexe 18

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Cela se justifie pleinement lorsque l'acquéreur (du bien aliéné par le débiteur) a cédé la chose à titre onéreux à un sous acquéreur de bonne foi.

L'exigence de cette dernière lui évitera d'être poursuivi pour complicité de fraude et partant, déclaré civilement responsable du préjudice causé au créancier.

Ce dernier aura la possibilité de diriger donc son action, contre le premier acquéreur pour le paiement de l'indu par application des dispositions de l'article 76 du Dahir formant code des obligations et contrats qui stipule que « si celui qui a reçu de bonne foi a vendu la chose, il n'est tenu qu'à restituer le prix de vente ou à céder les actions qu'il a contre l'acheteur, s'il était encore de bonne foi au moment de la vente.

En d'autres termes, et en appliquant à cet acquéreur les règles générales posées par l'article 76 précité, l'acquéreur de bonne foi ne doit que le prix qu'il a lui-même reçu lors de la sous aliénation ; alors que l'acquéreur de mauvaise foi sera tenu de la valeur actuelle de la chose aliénée.

Par ailleurs, lorsque le tiers qui a acquis à titre gratuit a revendu le bien, il devra verser seulement le montant de son enrichissement s'il était de bonne foi.

En cas de complicité, il sera tenu de la valeur actuelle du bien.

Quoiqu'il en soit, le créancier qui intente une action paulienne à l'encontre d'un débiteur indélicat, vise à préserver ses droits et intérêts en vue du recouvrement de sa créance.

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Mais, force est de constater que dans l'hypothèse où le rétablissement de la situation antérieure est impossible, le créancier fraudé peut intenter une action en responsabilité civile aux côtés de l'exercice de l'action paulienne.

2 - L'action en responsabilité civile

L'action en responsabilité civile obéit, comme nous le verrons dans les développements qui vont suivre, aux principes généraux de la responsabilité.

Le créancier doit justifier d'un préjudice causé par l'acte attaqué et établir la faute du défendeur.

En effet, la réparation de ce préjudice ne peut être demandée qu'au débiteur et aux acquéreurs ou sous acquéreurs complices de la fraude.

Néanmoins, si l'action paulienne suppose une faute du débiteur et un préjudice subi par ses créanciers, elle se rapproche vraisemblablement d'une action en responsabilité civile, mais ne consiste pas simplement en la mise en jeu de celle-ci au débiteur, dans la mesure où ses conditions et ses effets ne sont pas exactement ceux d'une action en responsabilité (1)

De prime abord, la socialisation grandissante du droit de la responsabilité lié à l'apparition et au développement de mécanismes de garantie collective a-t-elle contribuée à distendre plus ou moins les liens attachant la réparation des dommages à l'existence de responsabilités individuelles déterminées.

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(1) IN : Traité de droit civil - les effets du contrat à l'égard des tiers par CHRISTIAN LARROUMET - Action paulienne & Fraude n° 763

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En effet, réparer un dommage c'est faire en sorte qu'il n'ait pas existé et de surcroît « rétablir » différemment la situation antérieure.

Force est pourtant de constater qu'un tel effacement est loin d'être toujours possible, auquel cas dans certaines situations, la réparation se traduit par la compensation du dommage.

A s'en tenir à cette réparation proprement dite, nous sommes alors portés à considérer que le juge bénéficie d'une appréciation souveraine pour ordonner une réparation en nature ou une réparation en équivalant à savoir les dommages et intérêts.

L'objet de l'obligation inexécutée par le débiteur (défendeur) à travers l'aliénation du bien n'est pas indifférent au mécanisme de l'évaluation si celui-ci est, en effet, inspiré en général par un principe de réparation intégrale, l'évaluation des dommages et intérêts relève d'un régime spécifique qui fait place au forfait (1).

En principe, le montant des dommages sus visés alloués par le juge doit couvrir l'intégralité du préjudice subi par le créancier sans pour autant le dépasser, c'est là une règle essentielle qui s'applique en matière de responsabilité civile.

Pour sa part, le professeur GENEVIEVE VINEY (2) a pu mettre en exergue l'apport de cette action en responsabilité en analysant le caractère prépondérant de la réparation du dommage ou sa compensation.

Elle affirme que : » incontestablement, l'idée dominante dans tous les systèmes juridiques consiste à assurer à la personne lésée les réparations de son dommage. Cette place essentielle de l'idée de réparation ou de compensation demandée au débiteur et aux acquéreurs ou sous acquéreurs complices de la fraude, s'accompagne d'ailleurs

_________________________________________________________________________________

(1) IN : Droit Civil - Les Obligations par A. WEIL & F. TERRE - Ed. DALLOZ - Prg 780 et suivant.

(2) Professeur à l'Université de PARIS I (Panthéon - Sorbonne)

-84-

D'une prééminence de fait, sinon de droit de l'indemnisation pécuniaire » (1)

Cette caractéristique essentielle apparaît clairement dans le texte que le Dahir format Code des obligations et contrats du 12/8/1913 a consacré aux effets.

Cependant, nous pouvons remarquer que l'article 78 du D.O.C. fait allusion à la finalité réparatrice de la dette du responsable : » chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu'il a causé non seulement par son fait, mais par sa faute, lorsqu'il est établi que cette faite en est la cause directe » (2)

Ceci étant, nous sommes en mesure d'affirmer que l'action en responsabilité civile apparaît comme une institution orientée vers la réparation des dommages, celle-ci étant assurée normalement par le paiement au créancier d'une indemnité correspondant, en principe, à la « perte » qu'il a subi ou au « gain » dont il a été privé.

La portée de cette règle est clairement exprimée par de nombreux arrêts qui affirment que « le propre de la responsabilité est de rétablir aussi exactement que possible, l'équilibre détruit par le dommage et de replacer le créancier dans la situation où il serait trouvé si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu » (3)

_________________________________________________________________________________

(1) IN : Traité de Droit Civil - effets de la responsabilité - par G. VINEZ - op. Supra - édition L.G.D.J. - 1988

(2) En droit comparé, l'article 1382 du Code civil français évoque la réparation du préjudice « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé de le réparer »

(3) Arrêt de la Cour de Cassation française - chambre civile - du 4/2/1982 - IN : semaine juridique 1982 - tome II - 19894 - note du professeur J.F. BARBIERI

-85-

De surcroît, les juges déduisent que les dommages intérêts doivent être évalués de façon à compenser intégralement tous les préjudices résultant du fait don le débiteur, la caution ou son acquéreur, répondent sans toutefois procurer l'enrichissement au créancier.

Autrement dit, la somme due au titre de dommages et intérêts doit correspondre rigoureusement à la perte causée par le fait dommageable.

Le responsable de mauvaise foi devra réparer « tout le dommage » mais « rien que le dommage ».

Par ailleurs, en droit comparé notamment marocain et égyptien, la notion de réparation du préjudice et celle de l'exigence de dommages et intérêts, suscitent un intérêt considérable.

Entre autre la doctrine Marocaine admet que le créancier ayant subi un préjudice causé par l'acte du débiteur, puisse exiger, aux côtés de l'inopposabilité de ce dernier à son égard, des dommages intérêts selon les règles générales de droit.

De son côté, le Docteur ABDERRAZAK SANHOURI n'a pas omis de traiter de la réparation du préjudice à travers l'action en responsabilité civile jointe à l'action paulienne.

L'auteur admet, explicitement, la preuve faite par le créancier que le débiteur a aliéné un bien donné en cautionnement d'un emprunt l'empêchant ainsi de recourir sa créance à temps, ce qui lui a causé un préjudice manifeste supérieur aux intérêts légaux ou conventionnels qui lui reviennent de plein droit.

En effet, le créancier est en droit d'exiger des dommages intérêts compensatoires supplémentaires versés par le « consilium fraudis ».

-86-

Il y a lieu, également, de verser des intérêts complémentaires en cas de mauvaise foi, avec application, bien évidemment, des règles générales de responsabilité délictuelle et non les règles spécifiques à l'action paulienne.

De plus, et à titre d'exemple significatif, il résulte de l'application des règles générales de responsabilité que si un bien péri entre les mains d'un acquéreur ou un donataire de mauvaise foi, chacun d'eux devra répondre de sa propre responsabilité, surtout s'il est prouvé que ledit bien n'aurait certainement pas pu périr s'il était resté entre les mains du créancier.

A contrario, si un bien périt chez le donataire de bonne foi, le créancier ne peut prétendre à des dommages intérêts même en cas de faute du débiteur ou du donataire, car il s'agira d'un bien périssable n'empêchant pas le créancier de le récupérer par la voie paulienne.

D'autre part, le créancier demandeur à l'action ne saurait bénéficier de l'inopposabilité de l'acte attaqué sans délai de prescription.

En effet, nous prenons en considération le fait que ce dernier n'est pas partie à l'acte querellé, l'application de la prescription de droit commun semble adéquate soit 15 ans par application des dispositions de l'article 387 du Dahir formant code des obligations et contrats.

Néanmoins, ce délai nous paraît trop long et constitue une menace qui pèsera sur le tiers acquéreur pendant longtemps avec cette crainte que la preuve de la fraude ne dépérisse.

L'application du délai de droit commun commencera à courir à compter du jour de l'acte attaqué.

Ceci étant, nous pouvons dire que, si en pratique, l'exercice de l'action paulienne au Maroc connaît un essor remarquable, notamment à travers les nombreuses jurisprudences ayant admis ces mesures de protection, la doctrine marocaine, en revanche, est très timide ce qui nous laisse croire que l'absence de texte spécifique réglementant de manière expresse l'action paulienne engendre des répercussions sur le travail doctrinal.

-87-

En définitive, pour une meilleure protection des intérêts des tiers, le législateur Marocain est tenu de réglementer l'action paulienne « telle qu'elle est distinguée de l'action en déclaration de simulation article 22 du D.O.C. » car le fardeau de la preuve de la fraude du débiteur demeure difficile à apporter surtout par le créancier poursuivant considéré tiers à l'acte attaqué.

* *

*

D E D I C A C E

Je dédie ce travail avec tout mon estime à BASSAMAT, pour m'avoir inculqué les valeurs de la vie, pour m'avoir encouragé à l'affronter, pour avoir été à mes côtés dans les moments difficiles et pour m'avoir soutenu toutes ces années.

Je dédie également ce travail, avec mes sincères salutations :

- A ma famille,

- A tous mes amis (es)

- A tous ceux qui ont contribués à la réalisation de ce travail

REMERCIEMENTS

Je tiens à adresser, également, mes sincères remerciements :

- Au Cabinet Maîtres ASMAA LARAQUI - BASSAMAT FASSI-FIHRI et ROKIA KETTANI, Avocats au barreau de CASABLANCA

- A MAHMOUD HASSEN, Professeur à la faculté de droit de TUNIS

- A Maître SAID ADIL LAMTIRI, Avocat au barreau de CASABLANCA

- A Mr. MANSOURI, Directeur de la fondation AL SAOUD de CASABLANCA

Pour leur contribution remarquable sur un thème considéré d'une grande importance car il se développe au carrefour du droit des affaires, du droit civil et du droit commercial : L'ACTION PAULIENNE.

Je désire encore une fois leur exprimer mes respectueuses salutations et ma haute considération.

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier vivement Monsieur le Doyen François-Paul BLANC qui m'a fait l'honneur de bien vouloir accepter d'orienter ce travail.

Son aide m'a été précieuse, notamment grâce à ses recommandations et sa sensibilité particulière à tous les travaux liés au droit marocain.

Mes sincères remerciements vont également à Monsieur le Professeur SALAH BOUKNANI qui a assuré avec beaucoup de soins les séminaires d'études. Ses orientations dans la réalisation de ce travail ont été pertinentes.

Enfin, je profite de cette occasion pour remercier Messieurs les Professeurs DEGAGE et CABANNIS pour leurs éminentes interventions dans le cadre du D.E.A. de l'Université de PERPIGNAN.

BIBLIOGRAPHIE

I - MANUELS ET TRAITES :

* EN LANGUE ARABE :

1 - Théorie générale des obligations - Tome 1

Par : Dr. Taïeb EL FSSAILI

Edition : EL BADI'I - 1996

2 - Précis au Droit Civil Annoté - Effets des Obligations

Par : Dr. Abderrazak SANHOURI - Tome 6

Edition : DAR IHYA'A ATOURAT AL ARABI - LIBAN

3 - Précis sur la théorie des obligations en droit algérien

Par : Mr. Mohamed HASSANINE

Université d'Alger - 1982

* EN LANGUE FRANCAISE :

1 - Traité de Droit Civil - les Effets de la Responsabilité

Par : Mme Geneviève VINEY - L.G.D.J. - 1988

2 - Traité de Droit Civil - Les Obligations

Par : Mr. Christian LARROUMET - L.G.D.J.

3 - Droit Civil - Les Obligations

Par : Mr. Alain BENABENT - MONCHRETIEN 1991

4 - Droit Commercial et Bancaire Marocain

Par : Mr. Didier R. MARTIN - AL MADARISS - 1999

5 - Droit Civil : Les Obligations

Par : MM. A. WEILL & F. TERRE - DALLOZ - 1976

6 - Droit Civil : Les Obligations

Par : Mr. Boris STARCK - LITEC - 1976

7 - Leçons de Droit Civil - Les Obligations - Tome II - Volume 1

Par : MM. Henri, Léon et Jean MAZEAUD MONCHRETIEN - 1978

8 - Immutabilité et Evolution des Litiges

Par : Mr. MIGUET - L.G.D.J. - 1977

Préface : HEBRAUD

9 - Théorie Générale des Obligations en Droit Privé Economique

Par : Mr. René SAVATIER - DALLOZ - 1987

10 - Droit Civil les Obligations : les effets du contrat à l'égard des tiers -

Comparaison Franco - Belge

Par MM. Jean GHESTIN et Henri SOLUS - HERMES - 1986

11 - L'essentiel sur le Droit Civil : Les Obligations

Par : Mr. Luc MAYAUX - HERMES - 1982

12 - Droit des Obligations au Sénégal

Par : Mr. Jean - Pierre TOSI - 1984

II - ARTICLES ET REVUES :

1 - La Revue Marocaine de Droit

Par : Mrs. Jean Paul RAZON et Azzedine KETTANI

Année 1985 - 1988

2 - La Revue Tunisienne des Obligations et Contrats à la lumière des

Changements Contemporains - 1997

Par : Mohamed SALEH EL IYARI

3 - La Revue Egyptienne de Doctrine et de Jurisprudence - Tome II -

Année 1945

4 - Les Revues « AL MOUHAMAT » - 1960 et la Revue « CHARA'II »

5 - La Revue trimestrielle de droit civil

III - LES ENCYCLOPEDIES :

1 - JURIS-CLASSEUR CIVIL -« Action Paulienne »

Etude de Mr. Pierre Yves GAUTIER

2 - JURIS-CLASSEUR CIVIL - Article 1167 du Code Civil Français

(contrats et obligations)

Par : Mr. Jean DEVEZE - Mme Corinne SAINT-ALARY HOUIN

3 - JURIS-CLASSEUR « Banque - Crédit »

Tome II - Fascicule 780

Etude sur « Les garanties intrinsèques du régime des obligations »

Par : Mr. Didier R. MARTIN

Editions Techniques - 1998

4 - Encyclopédie DALLOZ - REPERTOIRE DE DROIT CIVIL sous la

direction de Pierre RAYNAUD et JL. AUBERT 1996- Tome 1

IV - LES TEXTES DE LOIS ET LA LEGISLATION

ETRANGERE

1 - Dahir formant code annoté des obligations et contrats Marocain

(D.O.C.) 12 Août 1913

Par : le Doyen François - Paul BLANC

Edition : AL MADARISS - 1981

2 - Dahir formant code annoté des Obligations et Contrats Marocain

(à la lumière de la doctrine et de la jurisprudence) 1992/1993

Par : Me. Hassan EL FOUKHANI avocat au barreau du CAIRE

3 - Code de Procédures Civiles Marocain - 1974

4 - Loi n° 15/95 relative au nouveau code de commerce Marocain

5 - Législation Française en matière d'Action Paulienne :

Code Civil Français

6 - Les législations comparées :

- Algérienne

- Egyptienne

- Portugaise

- Sénégalaise

- Syrienne

- Tunisienne

V - JURISPRUDENCES :

A / Jurisprudences publiées :

1 - CD - ROM « INTEGRALE CASSATION » version 1998

Arrêts de la Cour de Cassation Française

Collection LEGISOFT - 4 bis rue de l'Assomption 75116- PARIS

2 - Gazette des Tribunaux du Maroc

B/ Jurisprudences non publiées :

1 - Décisions rendues par les différents tribunaux du Maroc,

rassemblées auprès d'un cabinet d'avocat spécialisé en droit des

affaires notamment en droit bancaire.

INTRODUCTION

Ière PARTIE :

Les Conditions d'exercice de l'Action Paulienne en Droit Marocain

IIème PARTIE :

Les effets de l'Action Paulienne en Droit Marocain

BIBLIOGRAPHIE

ANNEXES

Université de Perpignan

Faculté de droit et des sciences économiques

MEMOIRE DE FIN D'ETUDES

POUR L'OBTENTION DU DIPLOME

DES ETUDES APPROFONDIES

EN DROIT DES SOCIETES

SOUS LE THEME :

L'ACTION PAULIENNE EN DROIT MAROCAIN

Présenté et soutenu

Le

16 Novembre 2000

-----------------------------------

Par

Mr. Youssef FASSI FIHRI

Sous la direction de Mrs

Le Doyen François-Paul BLANC

Le professeur Salah BOUKNANI

Année universitaire 1999 - 2000

PLAN

INTRODUCTION

I ère PARTIE : LES CONDITIONS D'EXERCICE DE L'ACTION PAULIENNE EN DROIT MAROCAIN

A - Conditions relatives à l'acte attaqué :

1 - La nature des actes susceptibles d'être attaqués par l'action paulienne :

a) - Principe : (selon jurisprudence marocaine)

b) - Exceptions : (6)

2 - Le préjudice causé au créancier par l'appauvrissement du débiteur :

a) - Quant aux créanciers hypothécaires

b) - Quant aux créanciers chirographaires

B - Conditions relatives aux parties au litige :

1 - Le créancier demandeur à l'action agissant par voie paulienne :

a) - Quels sont les créanciers admis à exercer l'action paulienne ? (doctrine arabe et française)

b) - Les éléments de la créance

2 - Le débiteur défendeur à l'action (jurisprudence non publiée) :

* La fraude du débiteur :

.. Définition de la fraude

.. Exigence d'une fraude paulienne

.. Preuve de la fraude (« CONSILIUM FRAUDIS »)

* L'appauvrissement proprement dit du débiteur

3 - Le tiers défendeur à l'action :

a) - Quand l'action paulienne est intentée contre le contractant du débiteur : (Jurisprudence non publiée à l'appui)

1 - Principe

2 - Applications jurisprudentielles

b) - Quand l'action paulienne est intentée contre le sous-acquéreur (jurisprudence marocaine à l'appui)

II ème PARTIE : LES EFFETS DE L'ACTION PAULIENNE EN DROIT MAROCAIN :

A - L'inopposabilité de l'acte frauduleux au poursuivant :

1°/ Effets de l'action paulienne à l'égard du créancier demandeur à l'action

2°/ Effets de l'action paulienne à l'égard des autres créanciers non partie à l'instance

3°/ Effets de l'action paulienne à l'égard du débiteur

4°/ Effets de l'action paulienne à l'égard du tiers défendeur et ses créanciers

B - La réparation du préjudice causé :

1°/ Rétablissement de l'état antérieur à l'acte attaqué

2°/ Action en responsabilité civile

RESUME DU MEMOIRE DE FIN D'ETUDES POUR L'OBTENTION DU D.E.A. EN DROIT DES SOCIETES

L'ACTION PAULIENNE EN DROIT MAROCAIN

Par Youssef FASSI-FIHRI

Les différentes législations ont toujours réglementé ou posé les principes destinés à garantir la sécurité des transactions et plus précisément la protection du créancier contre l'insolvabilité de son débiteur.

Au principe du droit de gage général posé par le Code Civil, ces législations ont prévu, pour prévenir le risque d'un défaut de paiement, des sûretés destinées à permettre au créancier une action prioritaire sur les biens de son débiteur.

Ainsi, l'objectif recherché est l'augmentation des chances d'un paiement à l'échéance.

Or, il peut arriver que le créancier ne bénéficie d'aucune sûreté, se contentant de son droit de gage général mais que son débiteur organise sciemment et frauduleusement son insolvabilité.

Si le Code Napoléon a constitué l'une des sources du Dahir formant Code des Obligations et Contrats du 12/8/1913, il est étonnant de relever que le législateur marocain n'a pas prévu d'action spécifique en faveur du créancier, pour attaquer les actes consentis par son débiteur en fraude de ses droits, c'est-à-dire, la possibilité de les attaquer par la voie de l'action paulienne.

Devant ce silence la jurisprudence a eu depuis de nombreuses années à se fonder sur un certain nombre de disposition du D.O.C. pour pouvoir prononcer à la requête des créanciers, l'annulation de tels actes.

Si dans les premières décisions rendues les juges marocains se sont fondés sur le principe de la responsabilité civile délictuelle (Article 77 du D.O.C.), les décisions ultérieures ont considéré qu'il y avait lieu de faire application des dispositions de l'article 22 du même code, réglementant la simulation et celle de l'article 1241 posant le principe du droit de gage général pour aboutir à l'annulation des actes consentis par le débiteur en fraude des droits du créancier.

2

Cette construction purement jurisprudentielle pose néanmoins un certain nombre de difficultés dont les plus importantes sont les suivantes :

- A l'inverse de ce qui est admis dans d'autres législations, le juge marocain faisant droit à la demande du créancier prononce non seulement l'inopposabilité de l'acte mais également son annulation.

- Par ailleurs les difficultés se posent également sur la question de savoir si seuls les actes de disposition à titre gratuit peuvent être attaqués par la voie de l'action paulienne ou si cette action ne peut être intentée qu'à l'encontre d'un acte de disposition à titre onéreux (cf. la position récente adoptée par le tribunal d'Ain Chock Hay Hassani).

- Par ailleurs, certaines juridictions ont considéré que si le créancier dispose de sûretés réelles, il ne peut attaquer les actes fait au préjudice de ses droits et ce, au mépris du principe du droit de gage général et alors même que la charge de la preuve de l'absence d'insolvabilité pèse sur le débiteur.

- Dans le même sens, la qualité du débiteur est appréciée de façon divergente par les différentes juridictions du Royaume.

- En effet, si certaines ont posé le principe selon lequel la caution devait être présumée débitrice dès la signature de l'acte de cautionnement -suivant en cela la doctrine et la jurisprudence française- certaines décisions ont considéré que le créancier ne pouvait agir par la voie de l'action paulienne que si l'acte attaqué a été conclu postérieurement à l'obtention d'une décision définitive condamnant le débiteur. (cf. tribunal de 1ère instance de Marrakech - affaire THONIEL).

- Dans le même ordre, si l'existence d'une fraude doit être établie par le créancier, les tribunaux considèrent qu'il s'agit d'un élément matériel pouvant être prouvé par tous moyens et notamment la qualité du cocontractant, la date de l'acte, la nature de l'acte, la modicité du prix etc...

En outre, si la décision rendue dans le cadre de l'action paulienne a pour effet de rendre inopposable l'acte attaqué sur le plan pratique, certaines difficultés peuvent apparaître .

C'est le cas notamment lorsque le créancier bénéficie d'une décision d'annulation d'un acte portant sur un bien immobilier.

Lors de la notification de cette décision au conservateur de la propriété foncière, il peut s'avérer que l'acquéreur « fictif » a entre temps consenti une sûreté réelle sur ce même bien.

Le créancier sera alors tenu de déposer une nouvelle requête en annulation de cet acte de garantie.

3

La Cour Suprême marocaine ayant, à notre connaissance rendu très peu de décision dans cette matière, il y aura lieu d'attendre son intervention en vue d'uniformiser les différentes règles sus visées ou, purement et simplement voir le législateur intervenir dans ce domaine.

A un moment où l'économie marocaine doit encourager l'investisseur en mettant tout en oeuvre pour garantir la sécurité des transactions, le droit positif ne peut se permettre de rester silencieux .

* * *

* *

*

LISTE ALPHABETIQUE DES ABREVIATIONS

C.P.C. : Code de Procédure Civile

CD ROM : «  Compact Disc- Read Only Memory »

D.O.C.  : Dahir formant Code des Obligations et Contrats

Ed. : Edition

FASC. : Fascicule

G.T.M. : Gazette des Tribunaux du Maroc

Obs. : Observations

Op. Supra : Ouvrage Précité

P. : Page

Prg. : Paragraphe

R.A.C.A.R  : Recueil des arrêts de la Cour d'Appel de Rabat

R.M.D. : Revue Marocaine de Droit

Suiv. : Suivants

T. : Tome

Université de Perpignan

Faculté de droit et des sciences économiques

Centre d'Etude et de Recherches Juridiques sur les Espaces Méditerranéen et Africain francophone

( C.E.R.J.E.M.A.F. - U.P.R.E.S. - E.A. 1942 )

LE CREDIT DOCUMENTAIRE CONFIRME

Mémoire pour l'obtention du D.E.S.

En

Droit comparé des pays d'Afrique francophone

Présenté et soutenu

Le

16 Novembre 2000

-----------------------------------

Par

Mr. Youssef FASSI FIHRI

Sous la direction de Mrs

Le Doyen François-Paul BLANC

Le professeur Salah BOUKNANI

Année universitaire 1999 - 2000

COMMENTAIRE D'ARRÊT

INTRODUCTION :

La nature du commerce bancaire tend de plus en plus à passer par delà les frontières étatiques. Ainsi, les banques organisent les paiement et les garanties des opérations sur les marchandises ou les services, à la demande de leur clientèle importatrice ou exportatrice.

L'étude des conditions particulières du commerce international a permis de constater que plusieurs facteurs militaient en faveur de l'utilisation du crédit documentaire.

Au Maroc, le crédit documentaire commence à occuper une place importante dans les transactions internationales de sorte que son caractère irrévocable rend l'engagement de la banque confirmatrice définitif qui, déclarée responsable, doit répondre du paiement notamment par décision judiciaire comme le montre l'arrêt rendu par la 4ème chambre civile près la Cour Suprême de Rabat le 10/3/99.

Dans cette affaire, la société FRIGO SAID (la défenderesse) a conclu avec la société SEPHACOMAR ESPANA un contrat de vente en vue duquel elle a exporté à cette dernière deux quantités de poissons dont la valeur de la première est de 10.960.500 Pesetas espagnoles et la seconde est de 8.000.000 de Pesetas espagnoles.

A cet effet, la société importatrice a ouvert un crédit documentaire irrévocable auprès de la banque extérieure d'Espagne . Ce dernier a été confirmé par la demanderesse au pourvoi qui a avisé l'exportatrice de l'ouverture dudit crédit.

Ainsi, l'exportatrice (la Société FRIGO SAID) après avoir exécuté l'ensemble de ses obligations envers l'importatrice (SEPHACOMAR ESPANA), a été avisée par WAFABANK de l'annulation du crédit documentaire au motif que le règlement se fera directement auprès de l'importatrice.

La société FRIGO SAID a sollicité la condamnation de la banque confirmatrice au règlement de la somme de 1.300.000 DH représentant la valeur du poisson congelé.

Le tribunal de Première Instance de SAFI a rendu un jugement le 28/2/1996 dans le dossier n° 161/95 condamnant la débitrice au règlement de la contre valeur de la somme de 10.960.500 Pesetas espagnoles et a déclaré les autres demandes irrecevables.

La Cour d'Appel de SAFI a confirmé cette décision en fondant son arrêt sur l'argumentation suivante : 

-2-

L'appelante (WAFABANK) est la banque confirmatrice du crédit au Maroc, ce qui rend cette dernière solidairement responsable avec la banque extérieure d'Espagne. La Cour a également considéré que le visa apposé par la banque confirmatrice sur la lettre du 3/10/1994 conforme à la réception des documents dans les délais. La banque se devait de soulever les réserves dans les documents dans les délais de validité du crédit , cependant sous peine d'être solidairement tenu du règlement .

La requête aux fins de pourvoi se fonde sur l'article 28 du Code de Procédure Civile régissant la compétence territoriale, et les articles 230,234,895 et 921 du D.O.C. et 341 et 345 du C.P.C.

Le problème posé est celui de savoir si une banque confirmatrice d'un crédit documentaire peut être solidairement tenue du paiement pour n'avoir pas soulevé de réserves émises sur les documents dans les délais, alors même qu'elle soutient avoir agit en qualité d'intermédiaire ?

La quatrième Chambre Civile près la Cour Suprême répond par l'affirmative en mettant l'accent sur le fait que le demandeur au pourvoi est une banque confirmatrice d'un crédit documentaire irrévocable et non une banque notificatrice.

De ce fait, elle a considéré que le respect des règles du crédit documentaire impose à la banque confirmatrice d'examiner les documents dès leur réception, nonobstant le respect des instructions de sa cliente, dans un délai raisonnable, sous peine de ne pouvoir invoquer leur non conformité, et de les adresser à la banque émettrice.

Par son arrêt du 10 Mars1999, la Cour Suprême rejeta le pourvoi formulé par la banque.

1ère PARTIE : LES ARGUMENTS DES PARTIES AU LITIGE

A travers cette partie, nous essayons de mettre l'accent sur les différents arguments avancés par les parties au litige devant les juges de fond en premier lieu, et les moyens invoqués par le demandeur au pourvoi devant la Cour Suprême en second lieu.

A/ Les arguments avancés par les parties au litige devant les juges du fond :

La société FRIGO SAID a introduit une action devant le Tribunal de Première Instance de SAFI, tendant à la condamnation de WAFABANK au paiement de la somme de 1.300.000 représentant la valeur du poisson congelé objet de deux exportations et subsidiaires une expertise pour évaluer le préjudice subit.

-3-

Que celle-ci soutient avoir conclu un contrat vente avec la Société Espagnole au vue duquel elle devait exporter deux livraisons de poissons .

Que l'importatrice a ouvert un crédit documentaire irrévocable et confirmé auprès de la banque Espagnole.

La demanderesse ajoute que le crédit documentaire est une opération par laquelle une banque reçoit les instructions de ses clients importateurs dans le cadre de relations commerciales internationales, offre à son vendeur une garantie de paiement et à l'acheteur une garantie de recevoir sa marchandise.

Qu'en l'espèce FRIGO SAID a été avisé de l'ouverture de ce crédit, de ses conditions et du fait qu'il était en outre confirmé par une banque Marocaine qui l'a avisé de l'ouverture du crédit.

Que la demanderesse après avoir exécuté l'ensemble de ses obligations, que l'acheteur a été avisé par la banque Marocaine de l'annulation du crédit documentaire au motif que le prix serait réglé directement par l'acheteur.

WAFABANK défenderesse a répliqué sur le fond du litige que le crédit documentaire portait sur la somme de 10.960.500 Pesetas a été émis par la banque espagnole le 3/10/94.

Que WAFABANK n'a reçu de la Ste FRIGO SAIL les documents relatifs à ce crédit documentaire que le 3/10/94 c'est-à-dire le dernier jour de validation du crédit.

Cette même lettre comporte en outre des instructions précises émanant de FRIGO SAID enjoignant à WAFABANK d'adresser les documents en l'état, ce qu'elle a fait, alors qu'ils n'étaient pas conformes au Swift du 26/9/94 comportant les conditions du crédit documentaire.

WAFABANK a donc adressé les documents en l'état à la banque Espagnole et a ordonné d'enlever de leurs réserves.

La banque Espagnole lui a répondu le 24/10/94 en évoquant l'absence de conformité des documents.

Le 13/1/95 WAFABANK a reçue de la banque extérieure d'Espagne les documents sans paiement.

WAFABANK a dès lors considéré que la confirmation supposait la réception de documents conformes, en application de l'article 9 des règles et usances du crédit documentaire.

Qu'en l'occurrence elle a exécuté les instructions de la demanderesse en adressant les documents reçus en l'état alors qu'ils n'étaient pas conformes.

-4-

WAFABANK soutient en outre avoir agit en qualité de mandataire qui a exécuté les instructions de son client en adressant les documents en l'état alors qu'ils n'étaient pas conformes.

Le Tribunal de Première Instance de SAFI a rendu un jugement le 28/2/1996 condamnant la défenderesse WAFABANK au règlement de la contre valeur de la somme de 10.960.500 Pesetas espagnoles fondant sa décision, principalement, sur la force du crédit documentaire irrévocable et confirmé par la défenderesse et rejetant les autres demandes notamment le règlement du second crédit documentaire ouvert pour 8.000.000 de Pesetas espagnoles au motif que la demanderesse n'a pas produit la lettre de crédit documentaire pour apprécier le délai de validité.

WAFABANK a interjeté appel de cette décision en reprochant à l'arrêt attaqué d'avoir méconnu qu'elle s'était contenté d'exécuter les instructions de sa cliente et qu'en réalité la faute incombait à cette dernière qui avait présenté des documents non conformes.

L'intimée a sollicité le rejet de l'appel.

La Cour d'Appel de SAFI a rendu un arrêt par lequel elle a confirmé le jugement de première instance dans toutes ses dispositions au motif que l'appelante ayant reçu les documents dans les délais, sans formuler de réserve, est tenue solidairement au paiement.

B/ Les arguments avancés devant la Cour Suprême :

WAFABANK, demandeur au pourvoi, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir violé les dispositions des articles 895 du D.O.C. et qui met à la charge du mandataire l'obligation d'accepter strictement la mission qui lui a été confiée sans sortir du cadre de sa mission.

En effet, la lettre du 3/10/1994 émanant de la défenderesse au pourvoi par laquelle cette dernière lui a remis les documents comportait des instructions écrites, claires lui intimant d'adresser les documents en urgence et dans l'état où il les a reçus, sans avoir à les examiner.

Ces instructions portaient sur les documents prouvant incontestablement que le demandeur au pourvoi a agit en tant que banque intermédiaire exécutant son obligation dans le cadre du contrat de mandat.

Par ailleurs, le demandeur au pourvoi invoque le défaut de conformité des documents à la lettre de crédit comportant ainsi que plusieurs réserves reconnues par la défenderesse, qui constituent une violation de son engagement en qualité de vendeur et bénéficiaire du crédit documentaire.

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Que l'arrêt attaqué n'a pas répondu à ce point de sorte que cela équivaut à un défaut de notification.

Le demandeur au pourvoi invoque également la violation des dispositions de l'article 9 du règlement 500 du C.C.I. car les documents présentés par cette dernière sont non seulement non conformes mais comportaient des instructions précises que la banque était tenue de respecter, de sorte que la défenderesse ne saurait reprocher le refus de la banque espagnole d'avoir refusé le paiement pour non conformité aux conditions de vente.

Le demandeur au pourvoi souligne également la reconnaissance écrite émanant de la défenderesse, de sa faute par une télécopie du 22/2/1995 ce qui constitue un aveu en matière civile conformément aux dispositions des articles 405, 407 et 416 du D.O.C.

Le demander au pourvoi invoque outre la violation de l'article 345 du D.O.C., le manque de motif et l'absence de base légale de l'arrêt attaqué.

A cet égard le demandeur fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir pas répondu au moyen tiré de la non conformité des documents relatifs au transport de la marchandise (C.M.R.) alors que ce contrat reste soumis aux conditions du contrat de transport international de marchandises sur route signé à Genève le 19/5/1956 devant comporter un certain nombre de mentions obligatoires et ce, en dépit de toute clause contraire.

Enfin, WAFABANK soutient avoir agit en qualité de mandataire et que la Cour d'Appel n'a pas répondu à ce moyen également.

3 ème Partie : APPRECIATION DE LA POSITION DE

LA COUR SUPRËME

La Cour Suprême est la plus haute juridiction du Royaume, unique, et sédentaire, que le législateur a placé au sommet de la hiérarchie judiciaire pour apprécier, en partant des faits souverainement constatés par les juges du fond, la légalité des jugements et arrêts rendus en dernier ressort par les cours et tribunaux, et casser les décisions dont les dispositions sont entachées d'une violation de la règle de droit.

En droit comparé, on parle de « Cour régulatrice du droit », ayant pour mission essentielle d'assurer l'unité du droit national, notamment par l'unité de la jurisprudence, et de réaliser ainsi l'égalité effective entre les justiciables devant la loi ; Elle ne peut en aucun cas connaître du fond des litiges, mais, a l'obligation, lorsqu'elle casse l'arrêt qui lui est déféré, de renvoyer la cause et les parties devant une juridiction de fond de même ordre et de même degré que celle ayant rendu l'arrêt cassé, et ce pour qu'il soit fait droit.

-6-

Dans cette affaire, la Cour Suprême a rejeté le pourvoi en cassation introduit par WAFABANK ,en rappelant :

- le rôle d'une banque confirmatrice d'un crédit documentaire irrévocable

- le respect des règles et usances du crédit documentaire impose l'examen des

documents dès leur réception, dans un délai raisonnable.

- L'émission de réserves hors délai de validité du crédit est écartée de sorte que la

banque confirmatrice est tenu solidairement au paiement au même titre que la

banque émettrice .

- Les obligations de la banque confirmatrice en rappelant la distinction entre la notion de banque confirmatrice et de banque notificatrice d'une part, et les obligations d'une banque confirmatrice d'autre part.

1/ Distinction entre banque confirmatrice et banque notificatrice :

La Cour Suprême a fait une distinction entre une banque confirmatrice et une banque notificatrice d'un crédit documentaire irrévocable.

Elle a constaté qu'il s'agit, dans le cas d'espèce, d'une banque confirmatrice d'un crédit documentaire irrévocable, qui a reçu les documents relatifs au crédit dans les délais et n'a émis aucune réserve les concernant.

En effet, une banque confirmatrice joue un rôle actif dans l'opération de crédit car elle a l'obligation d'examiner les documents qui lui ont été remis par le bénéficiaire, et ce dans un délai déterminé, faute de ne pouvoir invoquer leur non conformité avant de les transmettre à la banque émettrice.

La doctrine s'est préoccupée, pour sa part, de cette distinction et a associé le rôle du banquier notificateur à la théorie du mandat car il reçoit effectivement le mandat de la banque émettrice d'accepter des documents conformes et, le plus souvent, de procéder au règlement de la lettre de crédit mais ne contracte aucun engagement de paiement envers le bénéficiaire.

Le demandeur au pourvoi avait, en ce sens, argué de sa qualité de banque intermédiaire et de mandataire ayant exécuté les instructions de sa cliente, mais tant les juges de fond que la Cour Suprême n'ont tenu compte de ce moyen.

Par ailleurs, une banque confirmatrice est une banque tierce qui intervient aux côtés de la banque émettrice en prenant un engagement identique mais autonome par rapport à celui souscrit par la banque émettrice.

La banque située dans le pays du vendeur prend alors un engagement personnel et irrévocable en faveur du bénéficiaire.

-7-

Cette forme de crédit fournit à ce dernier une double promesse irrévocable de paiement émanant de deux banques.

Ainsi, la jurisprudence marocaine a adopté la même position que la doctrine à savoir l'engagement personnel et irrévocable d'une banque confirmatrice envers le bénéficiaire et, partant, c'est à bon droit que la Cour Suprême a tenu solidairement responsable du paiement WAFABANK considérée banque confirmatrice ayant un engagement personnel envers le défendeur au pourvoi en l'occurrence la société FRIGO SAID.

2/ Les obligations d'une banque confirmatrice d'un crédit documentaire

irrévocable

Il est important de préciser qu'une banque confirmatrice doit exécuter, dans le cadre du crédit documentaire irrévocable, ses obligations notamment par l'examen rigoureux des documents qui lui sont remis par le bénéficiaire mais aussi par le respect du délai de validité du crédit pour adresser les dits documents à la banque émettrice.

Toutefois, il faut souligner que si la banque confirmatrice n'exécute pas ses obligations, sa responsabilité est engagée et sera tenue de réparer le préjudice causé.

La Cour Suprême confirmant la décision des juges de fond, a mis l'accent sur le respect des règles et usances du crédit documentaire qui imposent à la banque confirmatrice d'examiner les documents dès leur réception dans un délai raisonnable avant de les adresser à la banque émettrice.

En effet, l'examen des documents est une obligation substantielle qui pèse sur la banque confirmatrice d'un crédit documentaire de sorte qu'elle devra vérifier si les documents répondent rigoureusement aux conditions de la lettre de crédit et par conséquent aux exigences de l'acheteur.

La Cour Suprême n'a pas pris soin de rappeler, à travers son arrêt objet du présent commentaire, que l'article 15 des règles et usances consacre formellement le devoir de vérification des documents pesant sur la banque chargée de réaliser un crédit documentaire « les banques doivent examiner tous les documents avec un soin raisonnable pour s'assurer qu'ils présentent l'apparence de conformité avec les conditions de crédit »

En droit comparé, la jurisprudence a de son côté, à de multiples reprises, affirmé et sanctionné l'obligation bancaire de contrôle de la régularité des documents.

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En effet, la chambre Commerciale de la Cour de Cassation Française a dans son arrêt du 13/7/1954 affirmé l'obligation de la banque confirmatrice d'examiner et de contrôler la régularité des documents.

Cette même obligation de vérification a été soulevée par la Cour de Cassation Libanaise dans son arrêt du 26/5/1971 ( cité à la semaine juridique 1972 - Tome II n° 17126 note de J. STOUFFLET).

Cependant, si cette vérification n'a qu'un objet limité il faut du moins que la banque se montre extrêmement stricte dans l'exécution de sa tâche.

La banque serait donc, en faute d'accepter des documents non conformes aux termes du crédit.

Quoiqu'il en soit, l'obligation de vérification des documents n'est pas suffisante pour écarter la responsabilité de la banque confirmatrice car, encore faut-il qu'elle adresse les dits documents dans les délais de validité du crédit.

La Cour Suprême a considéré que la banque confirmatrice en l'occurrence WAFABANK n'a pas remis les documents du crédit dans les délais, estimant qu'entre la réception des documents le 3/10/1994 et l'émission des réserves le 24/10/1994, 21 jours se sont écoulés et partant il ne s'agit pas d'un délai raisonnable ;

En effet, la banque confirmatrice dispose d'un délai pour examiner les documents et décider s'il y a lieu d'en contester la conformité, notamment par la levée des réserves avant de les adresser à la banque émettrice ; en cas d'irrégularité, elle est tenu d'en aviser rapidement le bénéficiaire.

Dans la doctrine française, la notion de « délai raisonnable » évoquée par la Cour Suprême, n'a pu à l'heure actuelle être définie malgré plusieurs questionnaires adressés par la commission bancaire à tous les pays du monde.

En tout état de cause, le « délai raisonnable » pour examiner les documents droit être le plus bref possible afin que le bénéficiaire sache à quoi s'en tenir et que ses droits sur les marchandises soient préservés.

Selon Maître Dominique DOISE, la notion de - Délai raisonnable - et l'obligation de restitution de documents sont liés « au formalisme de rejet » des documents ; ces obligations s'expliquent par le souci d'accorder au bénéficiaire la possibilité de rectifier les irrégularités.

Ainsi, le non respect du formalisme du rejet des documents irréguliers est sévèrement sanctionné et la partie qui négligera ces obligations sera réputée avoir levé les documents conformes au crédit et « ne pourra faire valoir la non conformité du paiement... »

-9-

Par conséquent, le manquement aux obligations précitées par une banque confirmatrice d'un crédit documentaire irrévocable implique sa responsabilité et devra dès lors répondre du paiement sans pouvoir invoquer un quelconque moyen pour échapper à la réparation du préjudice.

En conséquence, la Cour Suprême a rejeté à bon droit, la requête aux fins de pourvoi introduite par la banque après avoir répondu aux moyens invoqués et apprécié l'inviolation d'aucune disposition légale.

D'une manière générale il convient de préciser que la jurisprudence marocaine est particulièrement sévère quant à la responsabilité du banquier en matière de crédit documentaire.

Il en va pour s'en convaincre, de citer à titre d'exemple une jurisprudence non publiée : l'affaire WAFABANK contre Ste JAWDAT TRADIND dans laquelle la banque a été condamnée au paiement du montant du crédit documentaire par le Tribunal de Première Instance de Casablanca Anfa alors que l'acheteur a sollicité l'intervention du Président du T.P.I. en référé pour effectuer une saisie arrêt entre les mains de cette banque, l'empêchant ainsi de verser les fonds au bénéficiaire.

La question qui mérite d'être posée alors est de connaître la position délicate de la banque qui devra soit se soumettre aux règles et usances du crédit documentaire, soit au contraire se soumettre à une décision judiciaire l'empêchant d'exécuter le contrat de crédit (Jugement n° 3516 du 22/7/1998 dans le dossier commercial 1993/97 par le Tribunal de Première Instance de Casa Anfa - jurisprudence non publiée).

La doctrine marocaine s'est pour sa part souciée de la question, à travers le commentaire de Maître Mohamed MALJAOUI, sur l'intervention du juge des référés ordonnant une saisie arrêt entre les mains de la banque en cas de fraude visible sur marchandises objet d'un crédit documentaire.

Il a en outre mis l'accent sur les conditions de crédit documentaire et les règles et usances qui l'entourent, invitant les juges à être plus vigilants avant d'ordonner la dite saisie (commentaire de Maître MALJAOUI sur l'ordonnance n° 1523/139 du 3/12/1997 TPI Ain Sebaa parue à l'actualité juridique n° 13 - Février 1999)

-10-

CONCLUSION

Au Maroc, le contentieux relatif au crédit documentaire demeure réduit eu égard à la quantité d'opérations exécutées.

Généralement les banques négocient sans avoir recours aux procès et les tribunaux interviennent souvent sur saisine de petites et moyennes entreprises peu habituées aux opérations commerciales internationales.

Le mécanisme du crédit documentaire se situe au carrefour juridique des évolutions du commerce et des techniques.

Il assure l'interface entre le droit bancaire, le droit des transports, le droit des assurances et le droit de la vente.

Néanmoins, l'émergence des systèmes d'échange de données informatisées entraînera, probablement, la transmission des informations (documents) et la prise des engagements sans support papier ni signature manuscrite.

Selon mon point de vue, je peux dire d'une façon imagée que les tendances actuelles du commerce international, notamment dans les pays occidentaux risquent d'entraîner une fragilisation de l'opération de crédit documentaire, à moins que la Chambre de Commerce Internationale et les banques n'y remédient, notamment par la création d'un moyen de paiement et de garantie nouveau correspondant aux évolutions du commerce international.

Les banques joueront un rôle substantiel dans cette élaboration qui est inéluctable.

Enfin, il m'appartient de soulever un dernier constat qui concerne cette évolution. Envisager l'ouverture d'un crédit documentaire irrévocable sur un support électronique conduire vraisemblablement à une rupture avec le passé car le coeur de l'opération, à savoir les vérifications des documents avec une appréciation raisonnable, sera entièrement automatique et ne dépendra plus de la diligence d'une banque confirmatrice.

S O M M A I R E

CREDIT DOCUMENTAIRE :

Banque confirmatrice

Obligation de formuler les réserves dès réception des documents

Réserves tardives

Responsabilité solidaire avec banque émettrice.

La banque confirmatrice d'un crédit documentaire irrévocable ne saurait être considérée comme un simple mandataire et, est tenue de soulever la non conformité des documents dès leur réception et, en tous cas, dans un délai raisonnable même si le bénéficiaire lui ordonne leur transmission en l'état.

Cette banque tenue solidairement avec la banque émettrice, engage sa responsabilité à défaut de paiement du montant du crédit dès lors que les réserves ont été formulées tardivement.

SOMMAIRE

INTRODUCTION : 1

- 1ère Partie : Les arguments des parties au litige : 3

A/ Les arguments avancés par les parties

Au litige devant les juges du fond 3

B/ Les arguments avancés devant la 5

Cour Suprême

- II ème Partie : Appréciation de la position de 6 Cour Suprême :

A/ Distinction entre banque confirmatrice 6

Et banque notificatrice

B/ Les obligations d'une banque confirmatrice 7

D'un crédit documentaire irrévocable

CONCLUSION 11

MATIERE : DROIT GENERAL / DROIT DES AFFAIRES

MATIERES D'INTERVENTION

I - DROIT GENERAL

- Droit civil

. Obligations :

. Les contrats : nommés - translatifs - synalagmatiques...

. Responsabilité civile (Dahir format code des obligations et contrats)

. Contrats de vente - Baux - Gérance etc...

- Droit pénal :

. Application de la loi pénale dans le temps et dans l'espace

. La grâce, l'amnistie

. La tentative

. La légitime défense etc....

II - DROIT DES AFFAIRES

- Droit commercial (nouveau code de commerce) :

. Le commerçant : qualité et activité commerciale

. Fonds de commerce : création et nantissement

. Les entreprises en difficulté : redressement et liquidation judiciaire

- Droit des sociétés :

. Société anonyme, Loi 17/95

. Société à responsabilité limitée, Loi 5/96

. Société en nom collectif, Loi 5/96

. Société anonyme simplifiée, Loi 5/96

- Droit bancaire :

. Opérations de banque

. Les opérations de crédit

. Le crédit documentaire

. Le cautionnement bancaire

. La responsabilité professionnelle du banquier

. Le recouvrement des créances bancaires (cas pratique)

- Effets de commerce :

. Chèques : émission, endossement, sanctions

. Billet à ordre 

. Lettre de change

- Droit pénal des affaires :

. Abus de confiance et escroquerie

. Détournement de fonds

. Chèques sans provision

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier vivement Monsieur le professeur Ahmed MIKOU qui m'a fait l'honneur de bien vouloir accepter d'encadrer ce travail.

Son aide m'a été précieuse, notamment grâce à ses recommandations et sa sensibilité particulière à tous les travaux liés au droit Marocain de la concurrence déloyale.

Mes sincères remerciements vont également à Monsieur le Professeur Mahmoud HASSEN dont les recommandations pour la réalisation de ce travail m'ont été d'un grand apport.

Enfin, je désire remercier le cabinet : M°ASMAA LARAQUI - BASSAMAT FASSI FIHRI et ROKIA KETTANI pour sa contribution remarquable en guise de réalisation de ce mémoire.






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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote