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Crises, réformes économiques et pauvreté en Haiti. Des perspectives ouvertes par les cadres strategiques de réduction de la pauvreté

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par King Pascal Pecos Lundy
Institut Universitaire d'étude du développement / Université de Geneve - DEA en Etudes du Développement 2003
  

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3 PISTES D'INTERVENTIONS

Aujourd'hui la situation est telle en Haïti que tout semble être prioritaire pour vaincre les obstacles endémiques qui perpétuent la pauvreté. Les analyses des institutions internationales - Banque mondiale, CNUCED - indiquent que le pays est prise dans le piège de la pauvreté. Les facteurs déterminants sont l'instabilité politique et le manque de gouvernance pour la Banque. Les problèmes

de gouvernance sont aussi inscrits au coeur de l'analyse du PNUD-Haiti dans son dernier rapport qui plaide aussi pour le rétablissement et la consolidation de la stabilité politique89.

Les statistiques disponibles nous montrent que le pays n'est pas sur la bonne voie pour reduire l'incidence de la pauvreté de moitié d'ici 2015. Si une croissance économique soutenue peut contribuer en faveur de la réduction de la pauvreté, celle-ci n'est pas le cas en Haïti qui a connu un taux de croissance réel par habitant de 0,1 en 1997-2000. Selon les estimations de la Banque mondiale90, un taux de croissance annuel de 5% est indispensable pour faire des progrès significatifs dans la réduction de la pauvreté en Haiti.

Pour en sortir la Banque mondiale table sur la poursuite des reformes économiques entamées avec le même contenu : assurer la stabilité macro-économique, privatisation des entreprises publiques, réduction des distorsions pour faciliter et encourager la participation du secteur privé. L'Etat dans ses nouvelles attributions est réorientée en fonction des prérogatives économiques. Sa présence est nécessaire pour assurer l'ordre public, la sécurisation des droits de propriétés, les investissements dans

les infrastructures et leur maintien, dans les domaines de l'éducation et de la santé et s'occuper des groupes les plus vulnérables. Il doit en outre assurer l'intégration de la société civile dans la planification et les prises de décisions politiques.

Priorités au secteur agricole

Par rapport à la situation générale du pays, l'ensemble des interventions doivent s'inscrire dans une stratégie de renforcement des capacités productives étant donné le niveau de délabrement des différents secteurs et leur faible productivité, de renforcement du capital humain et d'amélioration du système économique. Parmi les nombreuses interventions, la relance du secteur agricole devra s'inscrire dans les priorités majeures.

89 PNUD, La bonne gouvernance : un défi majeur pour le développement humain durable en Haïti, Rapport national sur le développement humain. UNDP-Haiti, 2002.

90 Voir WORLD BANK, Haiti : The challenges ..., op. cit.,

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Justificatifs

D'une manière générale, la situation de pauvreté généralisée actuelle résulte en partie des mauvaises politiques de l'Etat, qui n'a jamais su définir des politiques décentes en faveur de la majorité - les paysans - ni penser à des investissements productifs. Le milieu rural, constitué de plus de 60% de la population totale, demeure le plus touché. Depuis tantôt deux siècles, ce milieu est le principal victime des prélèvements incessants, des politiques de ponctions et récemment des mesures économiques à fort accent libéral. « La paysannerie, principale classe productrice, est imbriquée dans des rapports non capitalistes qui ont freiné tout au long de l'histoire nationale, tout développement des forces productives de la société haïtienne. Cette exploitation est soumise à une exploitation impitoyable, voisine de l'esclavage. Elle vit dans une inconcevable misère et est privée des besoins les plus essentiels. Ses plus élémentaires droits fondamentaux ne sont pas les plus souvent respectés. Elle est illustrée et sous-alimentée au quotidien »91. Loin d'aider les groupes majoritaires, l'Etat s'est illustré

par son comportement de ponctionnaire qui a mis en péril et aux abois l'économie paysanne.

Environ deux tiers de la population vivent dans le milieu rural. Sur chaque dix personnes vivant dans

ce milieu, l'extrême pauvreté atteint plus de six d'entre eux. Dans la mesure que la pauvreté demeure

un phénomène rural, l'agriculture a un rôle essentiel à jouer dans la réduction de la pauvreté et l'insécurité alimentaire, par le biais de l'emploi et des revenus qu'elle peut favoriser. La croissance agricole ne peut être qu'un stimulant pour l'économie en général et le développement du pays. Beaucoup d'éléments plaident en faveur de cet appui à l'agriculture qui fournit la moitié des revenus ruraux. Parmi ceux-ci, on a noté :

(i) Faire reculer la pauvreté grâce à la création d'emplois et à la génération de revenus dans le monde rural ;

(ii) Répondre, à des prix raisonnables, aux besoins accrus en denrées alimentaires liés à la croissance démographiques et à l'urbanisation ;

(iii) Stimuler la croissance économique générale, sachant que l'agriculture est le secteur moteur le

plus viable de la croissance et du développement dans bon nombre de pays à faible revenu et à déficit vivrier.92

L'accent sur l'agriculture, particulièrement sur la relance de la production vivrière, servira à améliorer

les disponibilités alimentaires du pays qui couvrent à peine la moitié des besoins totaux alimentaire et par conséquent à réduire la dépendance aux importations alimentaires, lesquelles ont constitué en

1997-99 plus de 30% des importations totales de marchandises. Cette relance de la production agricole passe nécessairement par la poursuite de la réforme agraire et une protection minimale des

91 DOURA Fred, op. cit., p. 17.

92 PINSTRUP-ANDERSEN Per, Rajul PANDYA-LORCH, « Le rôle de l'agriculture dans le recul de la pauvreté », Agriculture + Développement rural, février 1999, pp. 55-58.

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producteurs, notamment ceux du sous-secteur rizicole, vis à vis de la concurrence mondiale, comme l'avait déjà souligné la CNSA en 1996. Cette protection est-elle possible ?

Poursuivre avec la réforme agraire

Il s'agira au niveau politique, de réaffirmer voir de montrer la volonté politique de l'Etat à conduire le processus à bout, au niveau institutionnel, de fournir des moyens à l'institution en charge d'assumer ses responsabilités, et au niveau technique, de mettre en oeuvre des politiques d'accompagnement adéquates et de d'assurer tout l'encadrement requis. Cette réforme agraire doit aller au-delà d'une simple distribution foncière, elle doit permettre d'organiser et de moderniser la production, régler les conflits fonciers et assurer la sécurité foncière, enrayer le processus de morcellement des parcelles, de créer de nouvelles relations de travail dans le secteur agricole, de favoriser l'accès au financement des

agriculteurs, de fournir les infrastructures nécessaires, pour ne mentionner que ceux-ci.

Nécessité de protéger le sous-secteur rizicole

Le sous-secteur rizicole permet à environ un cinquième de la population de gagner leur vie. Les tarifs douaniers appliqués sur le riz importé sont les plus bas de la région. Ils ont été ramené de 35% à 3% alors que le tarif extérieur commun de la caraïbe pour ce produit ne va pas en dessous des 20%. Ce qui

a eu pour conséquence d'exclure les 52 000 agriculteurs concernés par la production de ce céréale des marchés nationaux, de les renfermer dans un cycle d'appauvrissement, et de rendre la filière de plus en plus incapable à assurer sa modernisation. En raison de son importance stratégique dans la sécurité alimentaire et la lutte contre la pauvreté, il apparaît indispensable à ce que la production de riz bénéficie de certaines mesures de protection. A ce titre, comme ne cessent de le réclamer les producteurs, le « relèvement graduel des tarifs douaniers paraît incontournable »93 pour protéger le revenu des ruraux et leurs familles. Notons que cette éventuelle augmentation des tarifs est possible quand on considère le niveau des engagements consolidés d'Haïti auprès de l'Organisation mondiale

du commerce (le tarif consolidé est de 50%). Les difficultés résideraient du coté des institutions financières internationales (IFI) notamment le FMI et la Banque mondiale qui sont ses principaux donateurs et les artisans de la libéralisation de l'économie, et qui continuent d'insister pour une politique de droits de douanes peu élevés.

Cette demande de relèvement des tarifs suscite certaines interrogations telles : comment éviter les effets pervers de cette protection quand on sait que ces mesures ne doivent pas non plus aller à l'encontre des consommateurs urbains - notamment les plus démunies - voire les pénaliser ? Comment concilier les revendications des producteurs qui réclament le relèvement des tarifs, les opportunités de

cet instrument de l'OMC et les exigences des IFI qui poussent au maintien des faibles tarifs ? Cette

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double interrogation laisse entrevoir les difficultés dans lesquelles se trouvent les pays en développement à prendre des mesures suffisamment flexibles et qui permettent de prendre en compte à

la fois les intérêts des uns et les préoccupations autres ; à élaborer et mettre en place des politiques de développement adéquates, justes, appropriées et non discriminatoires qui devra leur permettre de réduire leur pauvreté voire l'éliminer. Les pistes de réflexions s'orientent vers les possibilités de transférer ces taxes vers d'autres produits de consommation et de multiplier des interventions d'appui

à la production d'aliments locaux peu coûteux comme le sorgho.

De l'avis de nombreuses ONG internationales, l'introduction d'une boite de développement dans l'accord OMC sur l'agriculture devra permettre à des pays pauvres de dépasser les maigres possibilités offertes par le Traitement Spécial et Différencié actuel (prolongement des délais d'application des accords, exemption de certaines obligations) et de protéger leurs productions et leurs agriculteurs, les plus pauvres94. Pour l'OXFAM95, la boite de développement pourrait fournir à Haïti une opportunité, garantie dans le cadre des règles commerciales internationales, d'adopter une stratégie alternative de protection de la production interne de riz, afin d'assurer des prix de vente supérieurs aux producteurs

et de garantir le niveau de vie dans les zones rurales. Cet instrument permettrait au gouvernement haïtien d'augmenter les tarifs douaniers pour protéger les petits riziculteurs en cas d'augmentation rapide et massive des importations et d'assurer les mesures de soutien interne à la production et la commercialisation du riz. De plus, une réaffirmation claire de la validité de telles politiques au sein de l'OMC permettrait à Haïti et à d'autres pays en développement se trouvant dans une situation similaire d'avoir une bien meilleure position lors des négociations avec les institutions de financement internationales - FMI et Banque mondiale - sur la libéralisation des productions agricoles de sécurité alimentaire.

Souci environnemental

Une autre raison concernerait le souci de protéger et de sauvegarder le peu de ressources naturelles qui reste, sachant qu'il existe une interaction négative entre la pauvreté et le milieu naturel. Dépourvus de moyens nécessaires pour intensifier l'agriculture d'une part, et en raison de la faiblesse et l'insuffisance de leurs revenus, les agriculteurs sont forcément contraints de procéder à la surexploitation des ressources naturelles pour couvrir leurs besoins de base. Aussi reste-t-il peu de chose de la couverture forestière du pays (environ 2%). Par exemple, ils s'engagent dans la fabrication

du charbon de bois de manière à générer des revenus supplémentaires, qui demeurent somme toute

93 BELLANDE Alex, « Haïti : paysannerie et pays aux abois. Les difficultés de reproduction d'un modèle » Dufumier Marc (dir.), René

Dumont, Un agronome dans son siècle, Karthala, INA-PG, Paris, 2002, p. 186.

94 Sur la question de la "Boite de développement" voir une note explicative préparée par le CAFOD, l'IATP, l'Action Aid et l'Oxfam international disponible à cette adresse : http://www.oxfam.org/eng/pdfs/pp0201_Devbox_French.pdf

95 CHARVERIAT Céline et Penny FOWLER, Rice dumping in Haïti and the Development Box Proposal, Oxfam, March 2002

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insuffisants - dans la chaîne de commercialisation de ce produit, ils sont les moins rémunérés quand

on considère l'effort fourni et le temps consacré pour sa production.96

En plus des raisons de préservation de l'environnement et de sécurité alimentaire, il apparaît plus juste d'accentuer sur l'agriculture car sa stagnation se répercute négativement sur le reste de l'économie haïtienne. La croissance agricole est essentielle pour développer des activités non agricoles et stimuler

la croissance économique globale. Ce qui ne peut que favoriser la lutte pour le recul de la pauvreté qui

est d'abord rurale. Par cette approche on est tenté de prendre le taureau par les cornes dans la mesure que sur ces deux dernières décennies il se produit un transfert de la pauvreté de la campagne à la ville, laquelle est incapable de recevoir ce flux de migrants comme le révèle l'urbanisation sauvage sur fond

de bidonvilisation de la capitale.

Accent sur l'emploi

Dans la mesure que le pays n'a pas encore fait son développement rural, et en considérant le niveau alarmant du chômage et du sous-emploi, l'une des pistes à explorer serait de voir comment obtenir une croissance tirée par l'emploi et non faire de l'emploi une résultante de la croissance. Il s'agira de faire

de l'emploi le point d'entrée de la stratégie de développement, ceci pour deux raisons. D'une part, en Haïti comme le souligne Louis Dupont, « la pauvreté est directement liée aux inégalités constatées dans la répartition des revenus, ainsi que dans les opportunités d'emplois »97 d'autre part, des études

de la CNUCED ont particulièrement observé que la pauvreté a reculé dans de nombreux de pays, « en

particulier grâce au développement de l'agriculture, à l'accroissement des possibilités d'emploi et aux gains de productivité qui se sont étendus à des secteurs marginaux »98. Par conséquent, ce choix s'inscrit dans la perspective de poser les bases d'un développement économique élargi et durable, qui doit concerné en premier lieu le milieu rural. Pour cela des mesures de redynamisation du secteur sont plus qu'indispensables. Les politiques ont à mettre l'accent pour améliorer l'accès aux ressources productives notamment : le foncier, l'eau d'irrigation et les intrants, les produits phytosanitaires ; des politiques de prix adéquats pouvant encourager les producteurs, l'amélioration du système de commercialisation des produits vivriers et d'exportations, etc.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire