3 PISTES D'INTERVENTIONS
Aujourd'hui la situation est telle en Haïti que tout
semble être prioritaire pour vaincre les obstacles endémiques
qui perpétuent la pauvreté. Les analyses des institutions
internationales - Banque mondiale, CNUCED - indiquent que le pays est
prise dans le piège de la pauvreté. Les facteurs
déterminants sont l'instabilité politique et le manque de
gouvernance pour la Banque. Les problèmes
de gouvernance sont aussi inscrits au coeur de l'analyse du
PNUD-Haiti dans son dernier rapport qui plaide aussi pour le
rétablissement et la consolidation de la stabilité
politique89.
Les statistiques disponibles nous montrent que le pays
n'est pas sur la bonne voie pour reduire l'incidence de la
pauvreté de moitié d'ici 2015. Si une croissance
économique soutenue peut contribuer en faveur de la réduction
de la pauvreté, celle-ci n'est pas le cas en Haïti qui a connu un
taux de croissance réel par habitant de 0,1 en 1997-2000. Selon
les estimations de la Banque mondiale90, un taux de croissance
annuel de 5% est indispensable pour faire des progrès significatifs dans
la réduction de la pauvreté en Haiti.
Pour en sortir la Banque mondiale table sur la poursuite des
reformes économiques entamées avec le même contenu :
assurer la stabilité macro-économique, privatisation des
entreprises publiques, réduction des distorsions pour faciliter et
encourager la participation du secteur privé. L'Etat dans ses nouvelles
attributions est réorientée en fonction des
prérogatives économiques. Sa présence est
nécessaire pour assurer l'ordre public, la sécurisation des
droits de propriétés, les investissements dans
les infrastructures et leur maintien, dans les domaines de
l'éducation et de la santé et s'occuper des groupes les
plus vulnérables. Il doit en outre assurer l'intégration
de la société civile dans la planification et les prises de
décisions politiques.
Priorités au secteur agricole
Par rapport à la situation générale du
pays, l'ensemble des interventions doivent s'inscrire dans une
stratégie de renforcement des capacités productives
étant donné le niveau de délabrement des
différents secteurs et leur faible productivité, de renforcement
du capital humain et d'amélioration du système
économique. Parmi les nombreuses interventions, la relance du
secteur agricole devra s'inscrire dans les priorités majeures.
89 PNUD, La bonne gouvernance : un défi
majeur pour le développement humain durable en Haïti, Rapport
national sur le développement humain. UNDP-Haiti, 2002.
90 Voir WORLD BANK, Haiti : The challenges ...,
op. cit.,
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Justificatifs
D'une manière générale, la situation de
pauvreté généralisée actuelle résulte en
partie des mauvaises politiques de l'Etat, qui n'a jamais su
définir des politiques décentes en faveur de la
majorité - les paysans - ni penser à des investissements
productifs. Le milieu rural, constitué de plus de 60% de la population
totale, demeure le plus touché. Depuis tantôt deux siècles,
ce milieu est le principal victime des prélèvements incessants,
des politiques de ponctions et récemment des mesures
économiques à fort accent libéral. « La paysannerie,
principale classe productrice, est imbriquée dans des rapports non
capitalistes qui ont freiné tout au long de l'histoire
nationale, tout développement des forces productives de la
société haïtienne. Cette exploitation est soumise
à une exploitation impitoyable, voisine de l'esclavage. Elle vit
dans une inconcevable misère et est privée des besoins
les plus essentiels. Ses plus élémentaires droits fondamentaux
ne sont pas les plus souvent respectés. Elle est illustrée et
sous-alimentée au quotidien »91. Loin d'aider les
groupes majoritaires, l'Etat s'est illustré
par son comportement de ponctionnaire qui a mis en
péril et aux abois l'économie paysanne.
Environ deux tiers de la population vivent dans le milieu rural.
Sur chaque dix personnes vivant dans
ce milieu, l'extrême pauvreté atteint plus de six
d'entre eux. Dans la mesure que la pauvreté demeure
un phénomène rural, l'agriculture a un
rôle essentiel à jouer dans la réduction de la
pauvreté et l'insécurité alimentaire, par le biais de
l'emploi et des revenus qu'elle peut favoriser. La croissance agricole ne
peut être qu'un stimulant pour l'économie en
général et le développement du pays. Beaucoup
d'éléments plaident en faveur de cet appui à l'agriculture
qui fournit la moitié des revenus ruraux. Parmi ceux-ci, on a
noté :
(i) Faire reculer la pauvreté grâce
à la création d'emplois et à la génération
de revenus dans le monde rural ;
(ii) Répondre, à des prix
raisonnables, aux besoins accrus en denrées alimentaires
liés à la croissance démographiques et à
l'urbanisation ;
(iii) Stimuler la croissance économique
générale, sachant que l'agriculture est le secteur moteur le
plus viable de la croissance et du développement dans bon
nombre de pays à faible revenu et à déficit
vivrier.92
L'accent sur l'agriculture, particulièrement sur la
relance de la production vivrière, servira à améliorer
les disponibilités alimentaires du pays qui couvrent
à peine la moitié des besoins totaux alimentaire et par
conséquent à réduire la dépendance aux
importations alimentaires, lesquelles ont constitué en
1997-99 plus de 30% des importations totales de marchandises.
Cette relance de la production agricole passe nécessairement par la
poursuite de la réforme agraire et une protection minimale
des
91 DOURA Fred, op. cit., p. 17.
92 PINSTRUP-ANDERSEN Per, Rajul PANDYA-LORCH, «
Le rôle de l'agriculture dans le recul de la pauvreté »,
Agriculture + Développement rural, février 1999, pp.
55-58.
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producteurs, notamment ceux du sous-secteur rizicole, vis
à vis de la concurrence mondiale, comme l'avait déjà
souligné la CNSA en 1996. Cette protection est-elle possible ?
Poursuivre avec la réforme agraire
Il s'agira au niveau politique, de réaffirmer voir de
montrer la volonté politique de l'Etat à conduire le processus
à bout, au niveau institutionnel, de fournir des moyens à
l'institution en charge d'assumer ses responsabilités, et au niveau
technique, de mettre en oeuvre des politiques d'accompagnement
adéquates et de d'assurer tout l'encadrement requis. Cette
réforme agraire doit aller au-delà d'une simple distribution
foncière, elle doit permettre d'organiser et de moderniser la
production, régler les conflits fonciers et assurer la
sécurité foncière, enrayer le processus de morcellement
des parcelles, de créer de nouvelles relations de travail dans le
secteur agricole, de favoriser l'accès au financement des
agriculteurs, de fournir les infrastructures nécessaires,
pour ne mentionner que ceux-ci.
Nécessité de protéger le sous-secteur
rizicole
Le sous-secteur rizicole permet à environ un
cinquième de la population de gagner leur vie. Les tarifs douaniers
appliqués sur le riz importé sont les plus bas de la
région. Ils ont été ramené de 35% à 3% alors
que le tarif extérieur commun de la caraïbe pour ce produit ne va
pas en dessous des 20%. Ce qui
a eu pour conséquence d'exclure les 52 000 agriculteurs
concernés par la production de ce céréale des
marchés nationaux, de les renfermer dans un cycle d'appauvrissement, et
de rendre la filière de plus en plus incapable à assurer sa
modernisation. En raison de son importance stratégique dans la
sécurité alimentaire et la lutte contre la pauvreté,
il apparaît indispensable à ce que la production de riz
bénéficie de certaines mesures de protection. A ce titre,
comme ne cessent de le réclamer les producteurs, le «
relèvement graduel des tarifs douaniers paraît incontournable
»93 pour protéger le revenu des ruraux et leurs
familles. Notons que cette éventuelle augmentation des tarifs est
possible quand on considère le niveau des engagements consolidés
d'Haïti auprès de l'Organisation mondiale
du commerce (le tarif consolidé est de 50%).
Les difficultés résideraient du coté des
institutions financières internationales (IFI) notamment le FMI et
la Banque mondiale qui sont ses principaux donateurs et les artisans
de la libéralisation de l'économie, et qui continuent
d'insister pour une politique de droits de douanes peu
élevés.
Cette demande de relèvement des tarifs suscite
certaines interrogations telles : comment éviter les effets pervers
de cette protection quand on sait que ces mesures ne doivent pas
non plus aller à l'encontre des consommateurs urbains - notamment les
plus démunies - voire les pénaliser ? Comment concilier les
revendications des producteurs qui réclament le relèvement des
tarifs, les opportunités de
cet instrument de l'OMC et les exigences des IFI qui poussent au
maintien des faibles tarifs ? Cette
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double interrogation laisse entrevoir les
difficultés dans lesquelles se trouvent les pays en
développement à prendre des mesures suffisamment flexibles et qui
permettent de prendre en compte à
la fois les intérêts des uns et les
préoccupations autres ; à élaborer et mettre en place des
politiques de développement adéquates, justes,
appropriées et non discriminatoires qui devra leur permettre de
réduire leur pauvreté voire l'éliminer. Les pistes
de réflexions s'orientent vers les possibilités de
transférer ces taxes vers d'autres produits de consommation et de
multiplier des interventions d'appui
à la production d'aliments locaux peu coûteux comme
le sorgho.
De l'avis de nombreuses ONG internationales,
l'introduction d'une boite de développement dans l'accord
OMC sur l'agriculture devra permettre à des pays pauvres de
dépasser les maigres possibilités offertes par le
Traitement Spécial et Différencié actuel
(prolongement des délais d'application des accords, exemption de
certaines obligations) et de protéger leurs productions et leurs
agriculteurs, les plus pauvres94. Pour l'OXFAM95, la
boite de développement pourrait fournir à Haïti une
opportunité, garantie dans le cadre des règles commerciales
internationales, d'adopter une stratégie alternative de protection de la
production interne de riz, afin d'assurer des prix de vente supérieurs
aux producteurs
et de garantir le niveau de vie dans les zones
rurales. Cet instrument permettrait au gouvernement haïtien
d'augmenter les tarifs douaniers pour protéger les petits
riziculteurs en cas d'augmentation rapide et massive des importations et
d'assurer les mesures de soutien interne à la production et la
commercialisation du riz. De plus, une réaffirmation claire de la
validité de telles politiques au sein de l'OMC permettrait à
Haïti et à d'autres pays en développement se trouvant dans
une situation similaire d'avoir une bien meilleure position lors des
négociations avec les institutions de financement internationales -
FMI et Banque mondiale - sur la libéralisation des productions agricoles
de sécurité alimentaire.
Souci environnemental
Une autre raison concernerait le souci de protéger et
de sauvegarder le peu de ressources naturelles qui reste, sachant qu'il existe
une interaction négative entre la pauvreté et le milieu naturel.
Dépourvus de moyens nécessaires pour intensifier
l'agriculture d'une part, et en raison de la faiblesse et
l'insuffisance de leurs revenus, les agriculteurs sont
forcément contraints de procéder à la
surexploitation des ressources naturelles pour couvrir leurs besoins de
base. Aussi reste-t-il peu de chose de la couverture forestière du
pays (environ 2%). Par exemple, ils s'engagent dans la fabrication
du charbon de bois de manière à
générer des revenus supplémentaires, qui demeurent
somme toute
93 BELLANDE Alex, « Haïti :
paysannerie et pays aux abois. Les difficultés de reproduction
d'un modèle » Dufumier Marc (dir.), René
Dumont, Un agronome dans son siècle, Karthala,
INA-PG, Paris, 2002, p. 186.
94 Sur la question de la "Boite de
développement" voir une note explicative préparée
par le CAFOD, l'IATP, l'Action Aid et l'Oxfam international disponible
à cette adresse :
http://www.oxfam.org/eng/pdfs/pp0201_Devbox_French.pdf
95 CHARVERIAT Céline et Penny FOWLER, Rice
dumping in Haïti and the Development Box Proposal, Oxfam, March
2002
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insuffisants - dans la chaîne de commercialisation de ce
produit, ils sont les moins rémunérés quand
on considère l'effort fourni et le temps consacré
pour sa production.96
En plus des raisons de préservation de l'environnement
et de sécurité alimentaire, il apparaît plus juste
d'accentuer sur l'agriculture car sa stagnation se répercute
négativement sur le reste de l'économie haïtienne. La
croissance agricole est essentielle pour développer des activités
non agricoles et stimuler
la croissance économique globale. Ce qui ne peut que
favoriser la lutte pour le recul de la pauvreté qui
est d'abord rurale. Par cette approche on est tenté de
prendre le taureau par les cornes dans la mesure que sur ces deux
dernières décennies il se produit un transfert de la
pauvreté de la campagne à la ville, laquelle est incapable de
recevoir ce flux de migrants comme le révèle l'urbanisation
sauvage sur fond
de bidonvilisation de la capitale.
Accent sur l'emploi
Dans la mesure que le pays n'a pas encore fait son
développement rural, et en considérant le niveau alarmant du
chômage et du sous-emploi, l'une des pistes à explorer serait de
voir comment obtenir une croissance tirée par l'emploi et non faire de
l'emploi une résultante de la croissance. Il s'agira de faire
de l'emploi le point d'entrée de la stratégie de
développement, ceci pour deux raisons. D'une part, en Haïti comme
le souligne Louis Dupont, « la pauvreté est directement
liée aux inégalités constatées dans la
répartition des revenus, ainsi que dans les opportunités
d'emplois »97 d'autre part, des études
de la CNUCED ont particulièrement observé que la
pauvreté a reculé dans de nombreux de pays, « en
particulier grâce au développement de
l'agriculture, à l'accroissement des possibilités d'emploi et aux
gains de productivité qui se sont étendus à des
secteurs marginaux »98. Par conséquent, ce choix
s'inscrit dans la perspective de poser les bases d'un développement
économique élargi et durable, qui doit concerné en premier
lieu le milieu rural. Pour cela des mesures de redynamisation du secteur sont
plus qu'indispensables. Les politiques ont à mettre l'accent
pour améliorer l'accès aux ressources productives notamment :
le foncier, l'eau d'irrigation et les intrants, les produits phytosanitaires ;
des politiques de prix adéquats pouvant encourager les
producteurs, l'amélioration du système de commercialisation
des produits vivriers et d'exportations, etc.
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