5. PERMANENCE DES CRISES ET REPONSES
Les situations de crises sont récurrentes dans le
pays - il faut entendre par ``crise'' le processus de rupture et de
transformation d'un ordre établi. Elles se caractérisent «
par des turbulences diverses et périodiques qui laissent chez la plupart
des observateurs une impression de désordre générale ou de
chaos »29 et même de condamnation. « Le pays
semble condamné à s'enfoncer et à vivre de
façon quasi permanente dans des crises non seulement
économiques, mais aussi sociales et politiques, d'autant plus que
l'on a constaté l'incapacité des dirigeants à mettre en
place un Etat de droit »30. Il est donc question de tout le
système d'accumulation et de reproduction en place dans le
pays et dans lequel s'effectue ses rapports avec le système
mondial.
Les réponses à ces différentes crises
ont dépassé la seule sphère nationale. La plupart des
solutions mises en oeuvre dérive de la sphère
internationale multilatérale et bilatérale. Sur le plan
politique, l'influence des puissances occidentales, Etats-Unis, France,
et plus récemment des organisations multilatérales, l'OEA
et l'ONU, est significative : reconnaissance, appui et parrainage
des gouvernements locaux. Sur le plan économique et sociale, le FMI et
la Banque mondiale soutenue par l'USAID occupe une place de choix dans
l'élaboration des politiques économiques et de manière
plus large dans celle des stratégies de développement. Il
s'ensuit une certaine dépendance à l'égard de ces pays et
institutions internationales, qui interviennent aussi pour sanctionner ces
politiques et stratégies. L'une des conséquence de cette
tutélisation est que les pouvoirs publics se sentent
beaucoup plus responsables vis-à-vis de ces acteurs que du
peuple. La dépendance va donc au-delà des relations
commerciales et économiques avec l'extérieur, elle
s'inscrit jusque dans la définition, le choix des objectifs et la
stratégie à mettre en oeuvre pour sortir le pays de sa situation
de marasme.
Les différentes programmes de stabilisation
économique et d'ajustement structurel appliquées en Haïti
s'inscrivent donc dans les tentatives des institutions internationales de
juguler la crise économique que connaît le pays au tournant de la
décennie soixante dix.
a) Réponses à la crise économique
Le conseil national de Gouvernement (CNG) établi
à la fin de la dictature pour assurer la transition politique prend
place dans un contexte désastreux sur le plan socio-économique,
et bouillonnant sur le plan politique comme l'a si bien rendu C. Hector :
« [Aux revendications politiques se sont greffées]
les revendications de redressement économique
immédiat pour satisfaire ou alléger les besoins de base,
toujours criants et toujours frustrés, des majorités
urbaines désormais bouillonnantes et remuantes, mais surtout de
la majorité nationale paysanne, traditionnellement laissée pour
contre et la
29 CADET Charles, « Impact de la crise sur
l'économie et le social haïtiens », PNUD, La situation
économique et sociale d'Haïti en 2002, p.
20.
30 DOURA Fred, op. cit., Tome I, p. 32.
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Crises, réformes économiques et pauvreté
en Haïti
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plus outrageusement exploitée par le
système »31. Parallèlement, les
institutions bilatérales et multilatérales - profitant
sans nulle doute de la faiblesse institutionnelle et politique, sont
revenues rapidement à la charge en ré-initiant les
négociations entamées (et qui piétinaient en raison du
refus de briser les monopoles d'Etat et d'une faction de la bourgeoisie) sous
l'ancien régime. Il s'agissait de faire adopter un programme de
réforme économique et fiscale à caractère
très libéral. Les autorités politiques de
l'époque ont eu à faire face, d'un coté à la
montée des revendications socio-économiques venant d'un peuple
longtemps réprimé et de l'autre coté aux pressions
externes des organisations internationales et des agences de
bilatérales de développement.
Les réformes économiques, d'inspiration
néolibérale, ont commencé en Haïti au tout
début des années
80 avec les premières mesures de stabilisation pour
ramener l'équilibre de la balance des paiements. Mais le
véritable virage s'est effectué au tournant des années
1986 avec l'intervention des institutions
de Bretton Woods (IBW) et du gouvernement
américain par le biais de l'USAID. Un programme d'assistance de
trois ans dans le cadre de la Facilité d'ajustement structurel (FAS) est
signé avec le FMI, un crédit pour la reprise économique
(ERC) est accordé par la Banque mondiale, puis des crédits
de l'USAID. Les réformes ont visé la
stabilisation économique et une meilleure allocation des
ressources pour stimuler la croissance.
Quant aux réformes post-embargo, elles sont
signées respectivement en août 1994 à Paris (Programme
d'urgence et de redressement économique) entre les principaux
bailleurs de Fonds bi/multilatéraux avec le gouvernement encore en
exil et en octobre 1996 à Washington avec le FMI (accord dans le cadre
la facilité d'ajustement structurel renforcé). Elles reposaient
sur la privatisation des entreprises publiques, la réduction de
l'effectif de l'administration publique et le gel de la masse
salariale, les réformes fiscales et monétaires et la
libéralisation du marché des capitaux. Il s'agissait de
compléter voire de corriger les politiques déjà
entamées en 1987 et interrompues par les différentes turbulences
socio-politiques.
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