b) Stratégies nationales de lutte contre la
pauvreté
Il est difficile de parler en Haïti de véritable
stratégie nationale de réduction de la pauvreté en terme
d'un programme coordonné résultant d'une vision
commune.25 Ce qui n'empêche pas d'avoir des multitudes
de projets avec des objectifs variés qui vont de l'assistance
sociale, en passant par l'amélioration des conditions de vies des
populations au développement rural. Malheureusement, ils fonctionnent
chacun à leur manière sans cadre de référence
national et même sectoriel. Il y a aurait ainsi des stratégies
de réduction de pauvreté qui diffèrent selon les
institutions et les acteurs. Les éléments de ces
stratégies dérivent principalement des déclarations
de politiques générales des Premiers Ministres, des politiques
sectorielles définies par les différents ministères, des
documents de projets et même des accords internationaux. L'une des
principales taches de l'Etat serait de travailler à
l'établissement d'un cadre cohérent entre ces politiques
émanant de sources diverses en vue de la définition d'une
véritable stratégie nationale de développement. Dans
quelle mesure la nouvelle approche développée par les
organisations multilatérales peut-elle lui fournir l'occasion d'y
remédier ?
¾ Déclaration de Politiques
générales
De l'analyse des déclarations de politiques
générales des premiers ministres26, l'objectif de
la réduction de la pauvreté n'est pas explicite. Dans ces
discours la pauvreté est considérée comme étant
le facteur fondamental de la vulnérabilité du
pays, sa réduction devra découler de l'amélioration du
bien-être général des haïtiens à travers
la réalisation d'objectifs sociétaux. L'axe
économique
24 « Il s'agit pour l'Etat, par
l'amélioration de la gouvernance et la conduite de politiques
d'investissement soutenus dans les services sociaux
de base, d'arriver à un développement suffisant des
ressources humaines. [...] Ces secteurs étant par excellence les
créneaux privilégiés de répartition des fruits
de la croissance économique. [...] L'éducation et la
santé représentent les points d'entrée d'un vaste
champ
d'interventions capables de renforcer les systèmes de
services publics essentiels à la redistribution de la richesse
créée » ibid., p. 54.
25 A propos, il faut souligner la tentative de la
CNSA (Coordination nationale de la sécurité alimentaire)
d'élaborer et de proposer un plan national de sécurité
alimentaire pour le pays. Cette initiative qui date de 1996 est malheureusement
restée sans suite. En dépit, de certaines
limitations ce plan reste encore tout à fait pertinent et
peut s'inscrire dans le cadre des stratégies de lutte contre la
pauvreté.
26 Cf : Enoncé de politique
générale des gouvernements de Rosny Smarth (1996) ; Jacques
Edouard Alexis (Novembre 2000) ; Jean Marie
A. P. Cherestal (Mars 2001) ; Yvon Neptune (Mars 2002).
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en Haïti
21
prioritaire défini en 1996 est l'utilisation des
ressources du pays, l'augmentation de la production, la satisfaction des
besoins essentiels de la population en termes de revenus minimum,
d'alimentation, de santé et d'éducation. Pour y parvenir,
on envisage le système agroalimentaire et l'agro-industrie en mettant
accent sur la production de base pour l'alimentation. Pour aider
à la concrétisation de ces politiques, une réforme
agraire est inscrite au coeur de ces politiques.
A l'exception de ces prédécesseurs, le
gouvernement actuel en place depuis mars 2002, a explicitement
abordé la question de la pauvreté : « Tout en promouvant
l'établissement des conditions minimales de stabilité
macro-économique, le gouvernement entendra dépasser la
logique des programmes de stabilisation pour rechercher une croissance
durable et auto-entretenue, tout en s'attaquant directement à
la pauvreté qui touche 70% de la population [nous qui
soulignons] ». Il souligne que « les actions qui seront
entreprises devraient permettre à terme d'augmenter le revenu moyen
à un niveau supérieur au seuil de pauvreté absolue
». Pour atteindre cet objectif, l'action gouvernementale dans le
secteur agricole, « vise à renforcer la sécurité
alimentaire de la population par la production locale. Le programme place
l'agriculteur au centre des actions, car la réussite de nos actions
dépend du développement et du bien-être de l'agriculteur
». Cependant, il est à noter l'écart considérable
qui existe entre ce discours et la réalité. Tout de même la
volonté existe.
¾ La proposition de la Coordination nationale de
la sécurité alimentaire
Créée avec la mission essentielle de
réaliser l'harmonisation et l'intégration des politiques
sectorielles visant la sécurité alimentaire et de coordonner
l'ensemble des interventions dans ce domaine, cette structure
interministérielle a proposé un plan national de
sécurité alimentaire. Pour cette institution,
l'insécurité alimentaire en Haïti a de multiples
causes. Elle souligne cependant que la pauvreté constitue le
principal déterminant de cette insécurité. De ce fait,
assurer la sécurité alimentaire revient
à lutter contre la pauvreté.
En raison de la nature multidimensionnelle des causes,
les réponses devraient être systématiques,
intégrées et concertées. Pour la CNSA, « les
principales déterminantes de la situation
d'insécurité alimentaire sont multiples et impliquent tous
les secteurs de la nation, raison pour laquelle une concertation entre
les différents acteurs impliqués rendra plus efficace les
mesures prises. [...] Tout le train de politiques mis en place au niveau
des différents secteurs de la vie nationale doit par
conséquent être intégré et harmonisé
»27. Toutefois le but final de la stratégie
proposée demeure un idéal :
...Assurer à tous, en tout temps et en tous
lieux, une disponibilité suffisante en quantité et
qualité, des denrées alimentaires nécessaires ; une bonne
stabilité de l'offre ; l'accès physique
et économique aux denrées alimentaires
de base ; des conditions de santé, d'éducation, de
couverture sanitaire aptes à garantir la capacité pour les
individus de tirer le meilleur parti possible des denrées alimentaires
disponibles pour eux.
27 CNSA, Les grandes orientations d'une politique
de sécurité alimentaire, Août 1997
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Crises, réformes économiques et pauvreté
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La stratégie de lutte contre l'insécurité
alimentaire définie par la CNSA s'inscrit sur le long terme. Le tableau
qui suit reprend les principales axes stratégiques
identifiées comme prioritaires par l'institution, leurs objectifs
et les mesures à prendre.
Tab. 1.6 : Orientations d'une stratégie de lutte
contre l'insécurité alimentaire en Haïti
|
AXES D'INTERVENTIONS
|
OBJECTIFS
|
MESURES A PRENDRE
|
Stabilisation et relance de l'économie
|
- Amélioration de l'accessibilité
économique aux aliments
- Génération d'emplois et de revenus
- Relance de la production
nationale et des services
|
- Contrôle de l'inflation
- Rationalisation et ciblage de l'aide alimentaire
- Mise en place d'activités génératrice
d'emplois
- appui au secteur informel
- Etablissement des conditions favorables à
l'investissement
|
Relance et diversification de la production
vivrière
|
- Augmentation de la disponibilité
alimentaire
- Accroissement des rentrées en devises
- Amélioration du niveau de vie
des agriculteurs
|
- Réforme agro-foncière
- Maîtrise de l'eau et aménagement des bassins
versants
- Appui à la mise en place de système
financiers décentralisés
- Renforcement de la disponibilité et de
l'accessibilité aux
intrants
- Redynamisation de l'élevage et développement
de la pêche
- Amélioration des conditions de commercialisation
des
vivres
|
Amélioration de l'utilisation globale des
aliments
|
- Corrections des problèmes de
sanitation, de couverture de santé et
d'éducation
|
- Contrôles les déficiences nutritionnelles
- Renforcement des services de santé publique en
milieu rural
- Déconcentration des ressources sanitaires
- Préservation des qualités nutritives et de
l'innocuité des aliments consommés
|
Source : Elaboré à partir de CNSA,
1996
A ces axes, il faut y ajouter, l'orientation et
coordination des politiques sectorielles de sécurité
alimentaire, la rationalisation de la gestion de l'aide alimentaire et le
renforcement de la capacité de gestion des crises alimentaires. La
réalisation d'une telle stratégie suppose comme préalable
certaines conditions telles une protection minimale de la production nationale,
la fluidité du marché intérieur, la stabilité et la
transparence pour les investissements, la décentralisation
économique, administrative et fiscale, une restructuration du cadre
institutionnel, la maîtrise de la croissance démographique.
La stratégie de sécurité alimentaire ne saurait agir de
manière isolée et doit de ce fait s'insérer dans un cadre
institutionnel global comme insistent certains auteurs.28
Ainsi, une stratégie de sécurité alimentaire
n'est autre qu'une stratégie sectorielle qui s'inscrit dans le cadre
d'une stratégie globale de développement économique et
sociale (voir en annexe, le schéma résumant le lien entre
stratégie de développement et de sécurité
alimentaire ).
28 AZOULAY Gérard, Jean-Claude DILLON, La
sécurité alimentaire en Afrique. Manuel d'analyse et
d'élaboration des stratégies. Paris, Karthala, 1993, pp.
188-196.
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