Introduction
générale
Eric Weil est né à Parchim (Mecklemburg) en
Allemagne en 1904. Il étudie la médecine et la philosophie
à Berlin et Hambourg. Il soutient sa thèse allemande, que dirige
Ernst Cassirer, sur P. Pomponazzi en 1928. En 1933, il quitte l'Allemagne.
Naturalisé français en 1938 et mobilisé en 1939, il
reprend au retour de quatre années de captivité - sous le nom
d'emprunt d'Henri Dubois - son enseignement aux hautes études. Il entre
au Centre National pour la Recherche Scientifique (CNRS) et fonde avec
d'autres la revue Critique dans laquelle il publie beaucoup sur la politique et
l'histoire. En 1950, il soutient sa thèse française, Logique de
la philosophie, avec comme thèse secondaire Hegel et l'Etat, puis publie
Philosophie politique (1956), Philosophie morale (1961), Problèmes
kantiens (1963) et deux volumes d'Essais et Conférences (1970-1971).
Professeur à l'Université de Lille de 1956-1968, puis de Nice
jusqu'en 1974, il meurt à Nice le 1er février 1977.
La philosophie d'Eric Weil est celle d'un homme
confronté à l'histoire, celle des deux grandes guerres mondiales,
de la barbarie du Nazisme, de la guerre froide et de l'avènement
progressif d'une société mondiale. Elle se caractérise par
la volonté de poser de la manière la plus radicale les
problèmes de notre temps : celui de la violence pure qui remet en
question la confiance en la raison, celui du rapport entre la liberté de
l'individu et la systématicité du discours, celui de la
diversité des philosophies et de la remise en cause de l'idée de
vérité. Elle développe la forme et le contenu d'une morale
qui n'invite pas l'homme à se retirer du monde, mais au contraire
à assumer les risques et les responsabilités de l'action. Elle
s'interroge sur l'Etat et son devenir, sur la possibilité et les
conditions d'une existence sensée dans le monde de la technique.
Sa libre réflexion philosophique sur la politique le
conduit à cette hypothèse : la politique, science
philosophique de l'action raisonnable, a affaire à l'action universelle,
laquelle, tout en étant, de par son origine empirique, action d'un
individu ou d'un groupe, ne vise pas l'individu ou le groupe en tant que tel,
mais la totalité du genre humain. La politique, visant l'action
raisonnable et universelle sur le genre humain, se distingue ainsi de la
morale, action raisonnable et universelle de l'individu,
considéré comme représentant de tous les individus sur
lui-même en vue de l'accord raisonnable avec lui-même. La
réflexion morale aura désormais affaire aux rapports réels
des hommes entre eux, formulés sous forme universelle par le droit
positif.
Réfléchissant sur la société
moderne qui est également la nôtre, Eric Weil se rend compte
qu'elle est une société marquée par la communauté
de travail, une société qui s'organise en vue d'une lutte
progressive avec la nature extérieure. Autrement dit, le
mécanisme social est largement dominé par la rationalisation du
travail. Cet état de choses donne naissance à une
société rationaliste, calculatrice et matérialiste. Cette
manière d'interpréter les rapports de l'homme avec la nature
extérieure est le résultat d'une évolution longue et
complexe, laquelle caractérise l'homme moderne en tant que tel. Le
caractère du rapport de la société avec la nature
grâce au travail social, dépend dans le cas de chaque
communauté de conditions concrètes. Il s'agit justement
aujourd'hui de l'organisation scientifique et technique du travail. La
société moderne sur laquelle réfléchit Eric Weil,
est une communauté du travail qui est devenue, de par le principe de sa
technique de travail et d'organisation, une communauté englobant
l'humanité entière. Dès lors, toute communauté qui
veut survivre en tant que communauté sera obligée de
s'élever, pour le moins au niveau technique atteint par ses ennemis
potentiels.
Or la communauté, selon Eric Weil, est ce qui est
vécu dans une expérience directe de la compréhension
humaine, dans le cadre d'institutions qui n'ont pas été
créées ni « re-organisées » par un
organisateur rationaliste et calculateur, mais qui remontent aux origines, aux
temps immémoriaux, au mos majorum.1(*)
On peut, poursuit-il, opposer pratiquement dans un sens
analogue, le peuple à l'Etat considéré comme
création récente, non comme aboutissement d'une évolution
organique. C'est d'ailleurs ce qui nous a poussé à
réfléchir avec lui sur l'Etat. Nous sommes invités non
seulement à réfléchir sur l'Etat mais aussi sur l'Etat dit
démocratique. D'où le choix de notre thème :
Analyse de l'Etat et de l'Etat démocratique dans la
philosophie politique d'Eric Weil.
Eric Weil nous ouvre une perspective autre que celle des
penseurs et philosophes qui ont vécu avant lui sur la notion d'Etat en
s'inspirant non seulement de la logique ou de la perspective de Hegel mais en
opérant à son propre niveau un décollage philosophique de
la réalité qu'est l'Etat dans l'acception moderne du terme.
L'Etat semble être un mot passe-partout que quiconque peut utiliser
n'importe comment. Ce qui crée justement une confusion dans la
tête de plus d'un et même au sein de la classe des cadres et autres
intellectuels. C'est parce que l'approche définitionnelle de l'Etat
n'est pas aussi facile qu'on le pensait que l'abord de la problématique
de l'Etat par Weil va nous inviter à aller au-delà du sens
vulgaire dans lequel on a voulu l'enfermer. D'où l'indispensable
question : qu'est-ce que l'Etat ? Cette question nous conduira
à une randonnée philosophique où nous examinerons les
approches de ce concept depuis l'Antiquité jusqu'à Weil pour
faire ressortir les évolutions opérées par ce dernier pour
rendre aussi claire que possible cette notion à la fois simple et
complexe.
Notre réflexion avec Eric Weil ne va pas seulement se
limiter à l'Etat. Elle va nous conduire à méditer sur
l'Etat démocratique. Dans notre monde, marqué par les dictatures
ou, mieux, des autocraties surtout dans certaines régions d'Afrique,
d'Amérique latine et d'Asie du sud-est, du Moyen-Orient, le rêve
ou le besoin croissant de voir s'instaurer des Etats démocratiques
devient de plus en plus pressant. C'est pourquoi, il nous importe d'analyser
avec Eric Weil l'Etat démocratique2(*).
A travers une méthode analytico-critique, nous allons
approfondir ce thème qui nous concerne. Dans la première partie,
nous centrerons notre réflexion sur l'Etat. D'une part, nous
réfléchirons sur l'approche weilienne de l'Etat ; d'autre
part nous aborderons le processus historique de l'institution de l'Etat, pour
terminer notre étude en traitant des fonctions ou tâches de
l'Etat. Dans la deuxième partie, nous aborderons la notion d'Etat
démocratique. Primo, nous réfléchirons de façon
approfondie sur la notion de la démocratie. Secundo, nous
dégagerons l'approche weilienne de l'Etat démocratique, ses
caractéristiques et son impact sur l'ensemble géopolitique,
Tertio nous montrerons en dernier ressort quelques faiblesses des valeurs
démocratiques.
PREMIERE PARTIE : DE
L'ETAT
Chapitre 1 : Approche
weilienne de la notion de l'Etat
Introduction
L'Etat est une notion diversement perçue par les
hommes. Il est à la fois une notion simple puisque tout le monde, y
compris les illettrés en parlent, et complexe parce que l'Etat est ou
exprime une réalité au- delà de sa simple appellation.
Dans ce chapitre, mon travail consistera à montrer
l'approche définitionnelle de l'Etat selon Eric Weil
I - La conception weilienne de
l'Etat
Se situant dans la même perspective que Hegel, Eric Weil
considère l'Etat comme un principe rationnel organisant la
communauté historique structurée comme société. Il
aborde la notion de l'Etat dans les termes de l'Etat moderne. Pour lui, les
définitions de l'Etat moderne sont nombreuses encore qu'on écarte
celles qui ne représentent que des jugements de valeur ou, plus
exactement des proclamations de foi mal déguisées et dont leurs
adhérents ne paraissent guère capables de développer les
postulats premiers3(*).
L'Etat moderne est la forme consciente et ce n'est qu'en lui (dans la tension
entre la société et la communauté qu'il pense) que la
communauté se voit comme communauté. L'Etat est l'organisation
consciente d'une communauté qui travaille rationnellement.
L'Etat weilien est l'organisation d'une
communauté historique4(*), c'est l'ensemble organique des institutions de la
communauté historique. Il est organique par le fait que chaque
institution présuppose et supporte toutes les autres en vue de son
fonctionnement. Ce qui suppose que la communauté est capable de prendre
des décisions dans la mesure où elle est organisée en
Etat. L'Etat est l'organisation d'une communauté historique -
elle-même définie par ses traditions et sa morale vivante - en
institutions solidaires qui lui permettent d'agir, c'est-à-dire de
prendre conscience des problèmes qui se posent à elle,
d'élaborer et de mettre en oeuvre les décisions propres à
résoudre ces problèmes. Au nombre de ces institutions figurent le
gouvernement, le parlement, le système judiciaire, mais aussi le peuple.
Le peuple politiquement actif est en effet distinct de la population ; il
est institué par la loi qui fixe, par exemple l'âge de la
majorité légale.
Ainsi, l'Etat devient la superstructure d'une
réalité plus fondamentale, plus vraie, plus essentielle, la forme
extérieure d'un « esprit » qu'il suffit de saisir
pour comprendre l'Etat comme épiphénomène5(*). L'Etat n'existe pas en lui seul
ni par lui-même. Il est l'organisation d'une communauté historique
et d'une société particulière, et celle-ci en lui
possède (puisqu'elle se l'est donnée dans son histoire) la
possibilité de décisions, de la réflexion pratique et de
l'action consciente. D'où il ne peut lui être assigné
d'autre but que celui de durer en tant qu'organisation consciente. L'Etat comme
organisation informe donc l'ensemble de la communauté. Il est la forme
de la communauté agissante. Quant à la finalité de son
action, elle est d'abord de permettre à la communauté historique
de se perpétuer comme telle. Cette finalité détermine deux
objectifs politiques majeurs : l'indépendance et l'unité de
cette communauté. Ces deux objectifs politiques
font une nécessité à l'homme d'Etat de concilier, dans une
situation toujours particulière et changeante, les impératifs de
la justice et ceux de l'efficacité. Ce problème fondamental est
celui de tout gouvernement dans un Etat moderne : les impératifs de
l'efficacité commandent à la communauté de s'adapter
à un monde en perpétuelle évolution sur le plan des
techniques de production et d'organisation du travail social6(*).
Eric Weil ne perd pas de vue la dimension selon laquelle
l'Etat moderne est caractérisé par l'emploi de la violence. En
tant qu'organisation politique de la communauté, l'Etat apparaît
comme un appareil de contrainte, un instrument d'oppression par rapport
à l'individu et à tout groupe pour autant que ceux-ci refusent de
se soumettre à la raison qui, sur ce plan, n'est rien d'autre que
l'intérêt de la communauté dans sa totalité vivante.
Les éléments tels que la police, le percepteur d'impôts,
l'administration, le conseil de guerre, éléments sur lesquels il
s'appuie pour rendre effectif l'usage de la violence, sont là pour
rafraîchir la mémoire de ceux qui, sur ce point, seraient
portés à la distraction.
Mais l'Etat moderne n'est pas simplement
caractérisé par la violence ; il est aussi un Etat de droit,
ce qu'Eric Weil lui-même appelle Rechtsstaat.
Il s'agit là de l'Etat qui voit l'essentiel non dans le monopole de la
violence, mais dans le fait que son action, de même que celle de tout
citoyen, est réglée par les lois. L'Etat ne peut pas faire usage
de la violence n'importe comment, n'importe où et n'importe quand. Il le
fait selon les circonstances déterminées par la loi : cas de
trouble à l'ordre public, cas d'une menace extérieure provenant
part d'un Etat voisin. Il est le lieu de la raison. Ce qui constitue l'Etat
moderne, selon Eric Weil, c'est d'une part le fait que la loi soit formelle et
universelle, c'est-à-dire qu'elle s'applique à tous sans souffrir
d'exception, et d'autre part, le fait que pour la délibération et
la décision, le gouvernement, organe exécutif de l'Etat, s'appuie
sur l'administration. C'est le gouvernement qui dans l'Etat moderne forme le
seul ressort de l'action. C'est lui seul qui parle au nom de l'Etat aussi bien
à l'intérieur qu'à l'extérieur. Que faut-il donc
en dégager ?
De ce qui précède, il ressort que l'Etat peut se
définir comme une entité politique, administrative et juridique.
L'Etat est le produit d'une rationalisation croissante de la vie politique.
C'est une communauté d'hommes régie par les mêmes lois et
vivant sous une même autorité politique et administrative devant
défendre les intérêts matériels et moraux
conformément aux lois et aux normes réglementant la Cité.
L'Etat est caractérisé par l'occupation permanente d'un
territoire donné, le monopole de la législation pour l'espace et
la concentration du pouvoir de décision entre les mains d'un petit
nombre.
II - Les types d'Etat moderne chez
Eric Weil
Pour Eric Weil, les gouvernements des Etats modernes sont,
soit autocratiques, soit constitutionnels. En faisant abstraction de la
classification classique, il formule sa classification en se basant sur le type
de gouvernement.
Pour lui, l'Etat autocratique est l'Etat dans lequel le
gouvernement est seul à délibérer, à décider
et à agir, sans aucune intervention obligatoire des autres instances
suprêmes de l'Etat. L'Etat autocratique ne connaît pas de
constitution comme loi fondamentale réglant son action et son
activité. La durée de l'exercice de l'autorité n'y est pas
fixée et les mesures gouvernementales n'y sont pas soumises à des
restrictions précises ni à l'approbation d'un parlement, lequel
posséderait la faculté réelle de refuser cette
approbation. C'est ce type de gouvernement que nous qualifions sous le vocable
de régime centralisé, dictatorial et totalitaire.
Dans l'Etat constitutionnel, le gouvernement se
considère et est considéré par le citoyen comme tenu
à l'observation de certaines règles légales qui limitent
sa liberté d'action par l'intervention obligatoire d'autres institutions
qui définissent la validité des actes gouvernementaux.
Je reviendrai sur ce modèle d'Etat dans la
deuxième partie de mon travail lorsque j'aborderai la notion d'Etat
démocratique.
Chapitre 2 : Du processus
historique de l'institution de l'Etat
Introduction
L'Etat n'est pas simplement un donné ou une invention
humaine qui s'est effectuée par un coup de baguette magique. Il est le
fruit d'un travail de longue haleine, le produit pratique de la rationalisation
humaine. Tout comme l'humanité a connu des cycles d'évolution, de
même l'Etat, avant d'être tel, a été
précédé par un certain nombre d'étapes ;
étapes que je qualifierai de hiérarchique, allant de la morale
à la communauté, de la communauté à l'Etat.
Ce chapitre a pour but de montrer les étapes expliquant
la genèse de ce que nous appelons aujourd'hui l'Etat.
1 - La genèse de
l'Etat
1.1 - De la morale à la
communauté
La question de la destinée, du sens de la vie, de la
fin à poursuivre par toutes ses actions, l'homme la pose à
l'intime de sa conscience. Et c'est en cela que consiste l'originalité
de l'expérience morale, prescrivant à chacun une règle de
conduite, une norme à observer dans ses engagements quotidiens. Emmanuel
Kant a bien défini la pure expérience de la morale en y voyant le
triomphe de la raison sur les passions. C'est en effet la raison universelle
qu'il s'agit de promouvoir, dépassant les réactions arbitraires
d'une subjectivité qui n'a pas encore accédé à
l'authentique liberté.
Mais une telle référence à Kant suffit
à marquer les limites d'une telle expérience morale. La
considération purement formelle peut certes gouverner la vie des
communautés. Mais agir, c'est se déterminer ; et le
critère négatif de la lutte contre tout arbitraire de la
« volonté empirique » ne peut dès
lors suffire. Toute action est un choix positif, une incarnation dans le monde
lui aussi empirique. L'universalité de la raison,
révélée par l'expérience du devoir, doit dès
lors se déterminer dans l'histoire concrète.
C'est alors que l'homme moral rencontre, s'offrant à
la détermination de son choix, une communauté où s'inscrit
son action morale. Son engagement le plonge dans un univers de relations et
d'interactions où la morale individuelle le laisse dépourvu, mais
il découvre par contre une autre loi, immanente au monde et à sa
communauté particulière entendue par Eric Weil comme
« ce qui est vécu dans une expérience directe de
compréhension « humaine », dans le cadre
d'institutions qui n'ont pas été créées ni
« ré-organisées » par un organisateur
rationaliste et calculateur, mais qui remontent aux
« origines », aux temps
« immémoriaux », au mos majorum »7(*). Si cette loi ne traduit pas
immédiatement sa volonté raisonnable, elle est cependant dans le
monde une réalisation inchoative de la raison, sans laquelle la
liberté morale resterait fixée aux vains désirs. Non pas
sans doute qu'il faille tout de suite adhérer à ces prescriptions
extérieures et identifier à la loi positive de la
communauté où l'individu vit la loi intérieure de
l'éthique. Le décalage peut exister parfois et les conflits ne
pourront pas toujours être évités. Comme tout individu,
fût-ce celui dont les passions indomptées se rebellent, l'homme
parfaitement moral pourra dès lors éprouver, bien qu'à un
autre niveau, l'opposition entre la loi positive et la liberté. Mais
puisque cette liberté est en lui pleinement fidèle aux
invitations du devoir moral, ce conflit ne fera que manifester la tension qui
existe entre les deux lois : la loi morale et la loi positive ;
conflit inévitable que celui-là, dans la mesure où
l'histoire n'est pas achevée et où la morale des
communautés doit encore découvrir sa pleine réalisation.
Mais, conflit qu'il faut se garder de trancher en rejetant l'un des termes de
l'alternative. Car sous la loi positive, la loi morale reste, dans toute sa
pureté, incomplète et insuffisante, faisant abstraction des
conditions concrètes d'incarnation de la liberté. Et la loi
positive n'est vraiment adéquate que dans la mesure où elle
recouvre les exigences authentiques de la réalisation des
libertés. La morale juge la loi, sans laquelle cependant elle ne
pourrait s'exercer. C'est ici que le philosophe pourra dégager la notion
importante du droit naturel d'une part, en tant « celui auquel le
philosophe se soumet lui-même, quand bien même le droit positif ne
l'y obligerait pas : il veut agir afin de contribuer à la
réalisation de l'universel raisonnable, de la raison
universelle »8(*).
C'est une sorte de moyen terme entre la loi positive et la loi morale. Si le
philosophe emprunte à la loi morale le principe d'égalité
entre les êtres raisonnables, le droit naturel s'en distingue en effet
par son exigence intrinsèque d'un droit positif historique. De celui-ci
aussi il se distingue, puisque sa fonction propre est de le juger et de le
promouvoir : « le droit naturel comme instance critique, doit
donc décider si les rôles prévus par la loi positive ne
sont pas en conflit et si le système que forme leur ensemble ne
contredit pas au principe de l'égalité des hommes en tant
qu'êtres raisonnables »9(*). En d'autres termes, la notion de droit naturel joue
un rôle fondamental dans l'histoire de la pensée politique. Cette
notion fonde en effet la possibilité de juger des imperfections et des
insuffisances du droit positif. Le droit naturel définit le point de vue
d'extériorité qui permet de porter un jugement sur un
système social et un régime politique. Il permet de
dénoncer, là où ils se trouvent, l'arbitraire et
l'injustice. L'originalité de la théorie weilienne du droit
naturel10(*), c'est
qu'elle dépasse cette opposition entre droit naturel et droit positif.
En effet, Eric Weil fait toute sa place à la notion de droit naturel.
Elle lui permet d'élaborer une théorie du jugement politique, de
définir la possibilité d'une analyse critique des
sociétés et de leurs institutions politiques. Mais en même
temps, Weil reprend à son compte les objections opposées par le
positivisme juridique aux doctrines classiques du droit naturel, celles de
Hobbes ou de Spinoza. Eric Weil n'accepte pas l'idée d'un droit que
l'individu aurait par nature. Il n'y a pas de droit de l'individu isolé,
atomisé, considéré indépendamment de son
appartenance à une société. Seul le membre d'une
société organisée a des droits. Il s'agit pour Eric Weil
d'élaborer une théorie qui tienne compte de ce fait fondamental,
qui fasse un usage non-métaphorique du concept de droit. Mais il s'agit
en même temps de fonder les critiques que nous opposons aux
systèmes juridiques cohérents et performants, mais
néanmoins inadmissibles parce que discriminatoires ou contraires aux
principes de la dignité humaine. A cette fin, Eric Weil élabore
sa propre théorie du droit naturel à partir d'une double
référence, la théorie aristotélicienne du juste de
nature et la conception kantienne de la loi morale.
Historique par sa liaison essentielle à la loi
positive, le droit naturel juge cependant l'histoire. Il trouve son contenu
dans l'histoire à partir des « convictions, des moeurs, des
traditions de la Cité »11(*) . Sa source n'est pas la moralité
immédiate de l'individu mais la morale historique d'une
communauté vivante. Si l'homme moral peut agir dans le monde, s'il peut
remettre en question les lois positives qui imposent l'exercice
concret de sa liberté, c'est qu'il trouve déjà la raison
au travail dans l'histoire. La communauté qui le porte moule sa
conscience morale et fait naître à chaque époque les
principes capables de dépasser une loi positive désormais
insuffisante. C'est par ce droit naturel de sa communauté,
révélation extérieure de la raison que l'homme moral peut
agir dans le monde en conformité avec les exigences les plus
intérieures de sa propre raison. Dès lors apparaît
l'éducation qui s'affirme nécessaire à la morale. Car,
c'est elle qui permet à l'individu d'accéder au plan de
l'universel où il doit poser son action. Il appartiendra au philosophe,
qui a découvert ce rapport et cette nécessité
d'éduquer à son tour les membres de sa communauté, afin de
constituer un monde où toute liberté puisse se réaliser de
manière authentique. Au lieu de limiter sa réflexion au monde
olympien des « réalités éternelles »,
il comprendra que rien n'existe pour l'homme qui n'ait son corps dans
l'histoire. C'est justement là qu'il faut agir et trouver l'inspiration
de sa réflexion. Il ne cherchera pas seulement à former le monde
à partir des exigences intérieures découvertes en soi,
mais, s'ouvrant au sens dont est déjà porteuse l'histoire et que
révèle la communauté vivante, il s'interroge sur la
manière de s'y insérer et de le parfaire.
L'homme qui veut agir moralement dans le monde n'est jamais un
point de départ, car le monde lui-même où il agit
révèle la présence d'une moralité
déjà au travail et dont vivent et s'inspirent les
communautés en tant que « unité vivante au-dessus des
passions contradictoires »12(*). Les lois positives elles-mêmes ne
sont que les réalisations toujours en sursis de ce souffle de
moralité présent dans les communautés humaines. Vaincre la
violence de l'arbitraire et établir ainsi le règne de la vraie
liberté, c'est pour l'homme qui ne se retire pas au désert,
obéir non seulement à l'inspiration de la conscience, mais aussi
à la moralité dont vit aujourd'hui sa communauté
historique. Qu'en sera -t-il alors du passage de la société
à l'Etat ?
1.2 - De la Société
à l'Etat
Pour Eric Weil, ce qui fonde la société, c'est
la lutte avec la nature extérieure. De prime abord, la nature
extérieure est l'environnement dans lequel l'homme vit. Entre l'individu
et son environnement, il y'a une hostilité qu'Eric Weil qualifie de
violence première13(*). Cette hostilité se comprend dans la mesure
où pour survivre, l'homme est contraint de modifier la nature ; ce
qui veut dire concrètement que l'homme ne se contente pas seulement de
ce que la nature met à sa disposition mais affiche le désir
ardent de transformer ce donné qui devient matière,
matériau de construction. Puisqu'il s'agit d'un affrontement où
l'homme se sait incapable de lutter seul, « la lutte est celle du
groupe organisé et c'est cette organisation qui est la
société »14(*) .
Ainsi pour l'homme, « être social »
c'est être engagé de manière organique dans une lutte
contre la nature extérieure aux côtés de ses semblables. Et
cette lutte connaît les étapes d'une histoire où
progressivement la nature se transforme et s'humanise. A chaque étape de
ce processus apparaît un « sacré »,
une valeur fondamentale en fonction de laquelle s'organise la lutte et le
travail, et qui permet de juger le bien et le mal, l'essentiel et
l'inessentiel ; en d'autres termes, la valeur fondamentale qui s'impose
à tous les membres d'une société donnée et en
fonction de laquelle ceux-ci organisent leur vie.
Aux différents moments de leur histoire, les
sociétés ont ainsi « consacré »
certaines valeurs, héritage de leur tradition et norme actuelle de vie
pour leurs membres. Mais la société est entrée
aujourd'hui, comme le souligne Eric Weil lui -même, dans une phase
nouvelle et décisive ; car il ne s'agit plus de concevoir une
pluralité de sociétés juxtaposées. Au niveau de la
lutte contre la nature qui nous a permis de la définir, la
société est à présent mondiale ; et
voilà qui la force à dégager des valeurs capables
d'être reconnues par tous. Or ce que tous ont en commun, en
deçà des traditions et des cultures particulières,
n'est-ce pas d'être engagé dans la lutte qui les affronte ensemble
à la nature extérieure ? C'en est assez pour qu'on ne doive
pas chercher ailleurs le « sacré » de la
société devenue mondiale aujourd'hui. C'est donc en
référence à ce nouveau
« sacré » qu'elle se définit justement, en
référence à cette réalité purement formelle
qui est l'application au travail de la raison et de ses lois.
L'efficacité du calcul, condition d'efficacité de ce travail,
devient ainsi la loi de la civilisation contemporaine. Et la raison impose de
la sorte, au niveau du rapport entre l'homme social et la nature son
universalité. Même si, dans l'attente de la réalisation
parfaite de cette universalité rationnelle, la loi de la
société continue à supporter la permanence
d'éléments historiques empruntés aux stades
antérieurs à savoir aux « groupes » et aux
« couches » qui s'opposent encore à la pleine
égalité sociale.
Mais l'analyse qui vient d'être faite ne suffit-elle pas
à faire apparaître le caractère abstrait de la
société ? Si la société industrielle consacre
le travail et se définit selon ses lois, elle se rend par le fait
même incapable de répondre comme telle aux exigences
légitimes des individus comme le faisaient jadis les
sociétés historiques munies de leurs
« sacrés » traditionnels. L'homme en effet n'est pas
seulement et exclusivement un être social. Engagé dans la
société industrielle, l'individu se voit réduit par elle
à l'état d'une force de travail insérée dans
l'ensemble du mécanisme producteur, au détriment des exigences
essentielles de sa personnalité. Or il se fait que le triomphe de
l'homme sur la nature par le travail lui offre précisément les
loisirs nécessaires pour revenir à soi et exercer sa
liberté. La société et son travail lui apparaissent alors
comme les conditions d'une émancipation, qui est pour lui essentielle.
Promue par le calcul, la société révèle à
l'homme qu'il est au-delà du calcul, que sa vie ne doit pas être
seulement rationnelle mais raisonnable, c'est-à-dire qu'elle ne se
définit pas exclusivement dans le rapport universel de la
société à la nature par le travail, mais qu'elle exige que
lui soient conférés un sens, une valeur positive et
concrète. Sur ce plan, il faut le reconnaître, la
société de travail doit se déclarer incompétente.
« C'est en lui-même, en son individualité, que l'homme
doit trouver un sens à sa vie, à cette partie de lui-même
qui n'est pas soumise au calcul »15(*). Tel se révélait bien en effet
le travailleur : homme engagé dans la lutte contre la nature, mais
dans la mesure même où il est un être qui parle, qui
conceptualise. Or la parole situe sa réalité au-delà du
travail et l'ouvre sur un sacré qui n'est plus celui du calcul. La
société qui fait fi du sens de la parole se révèle
donc à son tour, au même titre que la dimension morale (purement
individuelle) comme une abstraction.
La société devrait supprimer tout langage
sensé si elle voulait empêcher ses membres de la
dépasser ; comme elle ne le peut pas ( pour des raisons sociales),
sa volonté de rationalité, faisant du sens l'insensé
même, la rend problématique et la révèle comme
abstraction 16(*).
De ce fait, on saisit en quoi consiste la distinction
importante du « rationnel » et du
« raisonnable ». L'universalité établie
par le premier niveau, celui du calcul, laisse à l'extérieur de
soi le sens même sans lequel l'homme de la société serait
incapable de vivre. Le travail n'est pas pour l'individu la
réalité dernière ; il n'est qu'un moyen pour lui de
se procurer des loisirs où grandisse et s'exerce sa liberté. Si
l'homme est un être qui travaille, il est aussi un être qui donne
sens à son action.
Dès lors, si la société en tant que
société de travail se constitue en société
universelle, elle n'existe pas cependant, puisqu'elle est composée
d'hommes et que l'homme ne peut s'identifier sans plus au travailleur,
indépendamment des communautés particulières où se
proclament les sens et les valeurs poursuivis par les membres de la
société. Ce que la société considère comme
survivances historiques du passé, traduit aux yeux de l'individu le seul
fondement possible de sa propre liberté.
Comme je l'ai montré dans l'analyse
précédente en relevant qu'il ne saurait y avoir de
moralité exercée sur le monde, sinon par reconnaissance d'une
moralité présente dans la communauté historique vivante,
de même il ne saurait y avoir de société du calcul
universel sans l'existence des communautés historiques
particulières. Nous voyons se constituer alors une sphère
centrale où se rejoignent les exigences de l'historicité du
calcul, de la morale et de l'efficacité. Cette réalité
intermédiaire - seule concrète, puisque la moralité pure
et la société de travail ont révélé à
l'analyse leur caractère abstrait - n'est autre que la
réalité politique : « L'Etat est
l'organisation d'une communauté historique »17(*). En tant qu'organisation,
il fait sienne la loi rationnelle de la société de travail et, en
tant que communauté historique, il adopte et consacre la moralité
raisonnable déjà présente dans la réalité en
devenir. Le monde où vit l'homme est un monde sensé, un monde de
valeurs, un monde moral et raisonnable. C'est dans ce monde, c'est dans
l'histoire que dès l'abord, il se trouve engagé et responsable.
Chacune des communautés particulières où il se trouve se
définit par un ensemble de valeurs traditionnelles qui constituent la
morale vivante et l'historique de cette communauté. La morale vivante ne
peut exister qu'en vertu d'une organisation rationnelle qui la soutienne et la
consacre. On voit dans l'union de ces deux dimensions, à mon avis,
complémentaires, ce qui définit précisément
l'Etat.
Ceci étant, nous sommes conduit à la suite
d'Eric Weil à étudier la structure formelle de la
société politique ; autrement dit, en quoi consiste l'Etat
comme réalité historique, comme communauté consciente
d'elle-même à l'intérieur de la société
universelle. En quel sens la loi peut-elle être dite la forme de
l'Etat ?
L'Etat comme réalité historique, comme
communauté consciente d'elle-même à l'intérieur de
la société universelle consiste en ce qu'il n'est pas l'Etat d'un
être supra - ou extra-historique, mais l'Etat d'une société
donnée, la nôtre, société de la lutte rationnelle et
calculatrice contre la nature, d'une communauté de travail
organisée et constamment à réorganiser, qui a un besoin
absolu d'ordre et de paix intérieure si elle ne veut pas renoncer
à tout ce que le travail social produit pour satisfaire les besoins,
également historiques, de ceux qui y participent18(*). On rencontre l'individu qui
parle et agit. L'Etat n'apparaît nulle part à la manière de
l'individu. On ne voit et n'entend jamais que les représentants de
l'Etat, ministres, soldats, fonctionnaires, policiers. Mais cela ne signifie
pas que l'Etat serait la somme de ses représentants, pas plus qu'il
n'est la somme des citoyens. La forme de l'Etat est réelle et cette
réalité réside dans le fait que c'est en fonction de
l'Etat qu'on est citoyen ou fonctionnaire. L'Etat ne parle pas. Ce qui parle en
son nom, c'est d'après Eric Weil, le gouvernement, c'est-à-dire
l'ensemble de « ceux qui exercent les fonctions d'autorité,
c'est-à-dire décident pour tous et au nom de tous en tant que ces
« tous » sont membres de la société et de
l'Etat »19(*).
Le gouvernement forme le seul ressort de l'action. Le gouvernement parle au
nom de l'Etat aussi bien à l'intérieur qu'à
l'extérieur. Ainsi, peut-on dire que la forme de l'Etat s'incarne dans
les institutions sur lesquelles il repose. Certes, l'Etat reste une
réalité particulière et c'est comme telle qu'il reste
maître de ses décisions. D'autant plus qu'il n'ya pas dans le
monde d'aujourd'hui, d'Etat universel, chaque nation continuant à jouir
de sa souveraineté, dans l'acte où elle se soumet ou refuse de se
soumettre à la volonté exprimée des autres Etats. Si
l'Etat représenté par le gouvernement s'appuie sur
l'administration pour rendre manifestes ses décisions, la question que
nous pouvons nous poser est celle de savoir ce qui caractérise
l'administration elle-même.
Ce qui caractérise l'administration, c'est qu'elle est,
selon les dires d'Eric Weil, l'organe de la rationalité technique de la
société particulière. Elle est l'organe subordonné
qui remplit les tâches qu'elle ne détermine pas. Elle n'a pas de
droit de décision, à moins qu'il ne lui soit
délégué par le gouvernement, expressément et dans
les limites déterminées par la loi. L'administration
exécute la volonté du gouvernement, une fois la décision
prise, décision qu'elle n'a pas le droit de remettre en question,
quoiqu'elle puisse et doive faire connaître au gouvernement les
observations faites par elle au cours de cette exécution. D'où
l'indispensable question des tâches ou fonctions de l'Etat.
CONCLUSION DE LA PREMIERE
PARTIE
Il ressort de l'analyse développée
ci-dessus que l'Etat est une notion diversement perçue par les hommes.
C'est cette diversité qui fait de lui un objet de réflexion
depuis les premiers penseurs jusqu'à nos jours ; réflexion
qui nous révèle que l'Etat est l'organisation politique d'une
communauté historique. Et en tant qu'organisée, cette
communauté historique est capable de prendre des décisions. Il
s'agit de décisions sur ses actions, son fonctionnement, bref, des
décisions qui engagent son devenir ou sa destinée. Il est le
produit et l'invention de la rationalité de l'homme, car l'homme voyant
qu'il ne sera pas assez fort pour être toujours le maître a eu
l'idée d'une telle institution pour la garantie de sa
sécurité personnelle et celle de ses biens. L'Etat n'est pas
né par un coup de baguette magique. Il est le fruit d'un long processus,
un processus long qui s'est révélé finalement prometteur
et qui a été atteint. Dans le cadre de ce processus, il
apparaît clairement qu'avant de parvenir à ce que nous appelons de
nos jours l'« Etat », l'homme est passé par d'autres
organisations intermédiaires qui sont entre autres la famille, la tribu,
puis de la morale à communauté, et de la société
à l'Etat proprement dit. Etant instauré, l'Etat comme nouvelle
organisation politique et rationnelle de la communauté historique s'est
donné pour tâche d'assumer un certain nombre de rôles ou de
fonctions et ce pour les intérêts généraux et
particuliers de cette communauté historique. Ces rôles sont d'une
part, la défense du territoire et des intérêts
généraux et vitaux de la communauté particulière
contre les dangers qui la menacent soit de l'intérieur, soit de
l'extérieur, la garantie de la paix et de la sécurité de
l'individu, la sanction infligée à tout fauteur de trouble qui ne
respecterait pas les lois et règlements en vigueur, et d'autre part,
l'attention à la croissance économique, à la
cohésion sociale en faisant barrière à toute politique de
discrimination raciale, ethnique ou autres.
Pour finir, je dirai que l'Etat tout en étant le fruit
d'une longue organisation, est un processus dynamique qui évolue dans le
temps et dans l'espace. Parler de l'Etat, c'est parler d'un tout complexe qui
implique divers paramètres. L'Etat ne se réduit pas seulement au
gouvernement. L'Etat, c'est tout le monde, c'est l'ensemble des citoyens allant
en ordre décroissant allant des gouvernants jusqu'aux gouvernés
en passant par les institutions. Cette partie du travail nous a permis de
dépasser l'idée réductionniste qu'on se fait de l'Etat en
le ramenant seulement au seul niveau des gouvernants. L'Etat n'est pas la
propriété d'une catégorie donnée. Il appartient
à tout le monde, y compris à l'esclave puisque vivant sur un
territoire relevant de l'autorité de l'Etat. Donc, l'Etat est plus que
ce que nous pensions, et sans lui, règnerait un perpétuel
état de nature, un état qui pourrait être
caractérisé par la vengeance, la guerre de tous contre tous,
où l'homme serait un loup pour l'homme.
DEUXIEME PARTIE : DE
l'ETAT DEMOCRATIQUE
Chapitre 1 : La
démocratie : l'approche weilienne de l'Etat constitutionnel ou
démocratique
Introduction
La démocratie est une notion diversement perçue
par les hommes. L'expression « démocratie » à
mon avis, fait partie des réalités dont parle saint Augustin
lorsqu'il écrit : « quand on ne vous a jamais
demandé d'en parler, vous croyez tout savoir ; mais quand on vous
demande de le faire, vous vous rendez compte que vous n'en connaissez pas
grand-chose » .
Ce constat justifie combien la démocratie
est à la fois banale, parce que tout le monde en parle, mais
délicate, parce qu'elle est complexe dans son contenu, et très
précise en vertu de son application diversement réalisée
dans la réalité politique.
Il faut dire que la démocratie est un
idéal ; un idéal selon lequel tous les individus sont
appelés à trouver leur compte, quant au respect et à la
satisfaction de leurs besoins vitaux. Il s'agit bien entendu d'un idéal
politique où l'individu verra ses droits primordiaux respectés.
Dès lors, la force, la dictature cèderont la place au droit. Le
peuple déjà meurtri sous des autorités dictatoriales
décide de prendre en mains ses destinées. La démocratie se
révèle un mot passe-partout de nos jours. Chaque pays, chaque
peuple désire être appelé démocratique non seulement
à cause de la simple expression mais à cause du fait qu'elle est,
de tous les systèmes politiques, le moins mauvais.
Si nous admettons que l'expression
« démocratie » est une notion à la fois
banale et délicate, la question que nous pouvons nous poser est de
savoir ce qu'elle signifie d'une part et, et de dégager d'autre part les
raisons qui expliquent à la fois son emploi et son choix, comme
système politique idéal, par bon nombre d'Etats. Bien qu'elle
soit une notion qui va au-delà de ce que croit le commun des mortels,
c'est-à-dire qu'elle soit complexe, ce chapitre a pour but de montrer ce
que nous entendons par démocratie et comment elle se définit dans
la perspective d'Eric Weil .
I - La
démocratie
I.1- Approche étymologique
de la notion
Le terme démocratie est apparu dans la langue grecque
au Vè siècle avant Jésus-Christ pour désigner une
forme particulière d'organisation de la Cité. Etymologiquement,
le terme « démocratie » est
dérivé de deux mots grecs
« äåìïò »
qui veut dire peuple et
« êñáôïò »
qui signifie pouvoir. De ce fait, la démocratie est le gouvernement du
peuple pour le peuple. Plus concrètement, la démocratie est le
régime politique où le peuple exerce lui-même sa
souveraineté. En d'autres termes, elle est le régime politique
dans lequel tous les citoyens possèdent à l'égard du
pouvoir un droit de participation (vote) et un droit de contestation
(liberté d'opposition). Dès lors, il importe de distinguer la
démocratie directe où le peuple exerce sa souveraineté
lui-même sans l'intermédiaire d'un organe représentatif et
la démocratie représentative où le peuple est
représenté par des mandataires élus.
L'usage et la signification du mot
« démocratie » ont connu depuis le XIXè
siècle une extension considérable, qui se mesure au fait que la
quasi-totalité des Etats actuels se proclament démocratiques.
Mais cette extension s'accompagne d'un changement de statut : la
démocratie ne désigne plus un régime parmi d'autres, mais
semble être l'horizon de tout ordre politique légitime.
L'accession de la démocratie au statut d'idéalité
normative se traduit par le fait que cette notion recouvre désormais,
plus que les institutions définies, un ensemble de valeurs : les
droits de l'homme. La notion tend par là ( la variété de
ses usages en témoigne) à n'être plus d'ordre strictement
politique, alors qu'elle-même est devenue la référence
commune, et peut-être équivoque, des projets politiques les plus
divers.
Si la démocratie désigne étymologiquement
le « règne du peuple », elle l'est au double sens
que semble avoir comporté très tôt le terme
« äåìïò »
qui implique non seulement la communauté politique tout entière,
mais également le petit peuple. Nous pourrions dire que la
démocratie fut la réponse à une crise de l'ordre
traditionnel, aristocratique et tribal. C'est ce que stipule d'ailleurs
Aristote par cette fameuse phrase : « A Athènes,
cité qui grandit en même temps que la démocratie20(*) ».
Désormais, le pouvoir est exercé par l'Assemblée du peuple
dont le conseil n'est qu'une large commission permanente, au sein de laquelle
sont les magistrats. La participation des citoyens aux institutions,
assemblée, tribunaux, magistrature, est massive et active. Pour la
première fois dans l'histoire, l'identité personnelle et
collective se constitue dans l'espace public, et ne dépend plus
essentiellement des réalités familiales ou tribales. La naissance
de la démocratie est celle d'un nouveau mode du vivre ensemble ;
elle accompagne l'invention de la politique. Elle révèle
l'essence de la polis et il n'est pas fortuit que ce qu'Aristote nomme
politeia, c'est-à-dire « gouvernement
constitutionnel » mais aussi
« constitution » tout court, ne soit rien d'autre
qu'une démocratie de bonne qualité. Selon cette analyse, la
démocratie est l'Etat politique dans lequel s'exerce la
souveraineté des citoyens, sans distinction de naissance, de fortune ou
de capacité. Au total, la démocratie est à la fois
l'idéal du gouvernement du peuple par le peuple et les institutions de
fait ou de droit qui s'en réclament.
La description des formes contemporaines de la
démocratie montre qu'elles présentent toutes au moins deux
caractéristiques communes : la première, c'est qu'elles
constituent des régimes représentatifs, la seconde, c'est leur
idéologie héritée du XVIIIè siècle.
L'idée démocratique est souvent assimilée à
l'idée égalitaire. Celle-ci renvoie immédiatement à
l'idée d'évolution, puis de progrès : sous peine de
mort, la démocratie doit affirmer que si l'égalité
n'existe pas dès à présent, elle est au moins à
venir, en dépit des apparences. Les piliers d'une démocratie sont
la souveraineté du peuple, la reconnaissance et le respect des droits
des minorités, la garantie des droits fondamentaux de la personne
humaine.
Si la démocratie s'entend comme la description que nous
venons de faire ci-dessus, il importe de savoir ce qu'elle est pour Eric Weil.
I.2 - La démocratie selon
Eric Weil
Eric Weil n'utilise pas le terme démocratie et cela
pour des raisons que lui-même évoque en ces termes :
il ne suffit pas de promulguer une constitution raisonnable
pour que la communauté vive par la raison. Il ne suffit pas non plus, de
parler de démocratie pour que les citoyens soient capables ou seulement
désireux de prendre part aux décisions qui règlent le sort
de la communauté 21(*)
Ce constat traduit selon lui, la difficulté qu'il y'a
à définir le terme démocratie. En d'autres termes, ainsi
que le souligne Eric Weil, la démocratie n'est pas un mot
passe-partout ; il est d'un emploi tellement difficile
qu'il vaudrait presque mieux renoncer à son emploi. Pris dans son sens
étymologique, il ne recouvre aucune réalité : le
peuple opposé aux institutions sociales et politiques qui lui donnent
une structure et la possibilité de réfléchir et d'agir,
n'existe pas en tant qu'unité et, à plus forte raison, ne
décide de rien. Les décisions, la réflexion,
l'action sont l'affaire des institutions - et c'est à ces institutions
que le terme de démocratie, dans l'acception indiquée et qui
n'est pas celle des philologues, oppose le peuple. C'est le gouvernement qui
réfléchit et agit, et il peut le faire avec l'aide et le
concours d'une représentation du peuple, non pas du peuple22(*) . Si nous nous limitons
à la dernière phrase, nous sommes en droit de dire avec Eric Weil
que la démocratie est un système politique où le
gouvernement réfléchit et agit avec l'aide et le concours d'une
représentation du peuple et non le peuple tout entier. D'un point de vue
formel, la réticence d'Eric Weil à employer le terme
« démocratie » réside dans le fait que la
démocratie est un régime politique dans lequel le peuple exerce
lui-même sa souveraineté. En fait, dire que le peuple exerce
lui-même sa souveraineté ne signifie pas que c'est tout le peuple
qui prend part aux décisions devant régir son sort ou celui de la
communauté entière. Loin de là ! Dans le fond, c'est
une partie du peuple qui prend part aux décisions et cette partie est
celle à laquelle le peuple a lui-même confié la tâche
ou la mission de le représenter. Il s'agit bien entendu du parlement,
organe ou institution qui représente et incarne les désirs et les
volontés de ce peuple en vue de ses intérêts
généraux et particuliers. Mais Eric Weil poursuit sa
réflexion :
si en revanche, on nomme démocratique tout
gouvernement qui jouit de l'adhésion des citoyens, les
différences de forme n'entrent plus en ligne de compte, et le
gouvernement le plus autocratique peut être plus démocratique que
tel régime constitutionnel 23(*).
Cette réflexion est pertinente en ce sens qu'elle
relève l'idée sournoise, voire erronée, qu'on tend
à se faire de la démocratie. La démocratie en
elle-même comme idéal n'est pas corrompue, mais c'est l'usage
qu'on en fait qui fait dévier de cet idéal. La démocratie
ne signifie pas le fait d'avoir un gouvernement qui jouit de l'adhésion
de ses citoyens. Elle est plus que cela. Elle inclut non seulement un
gouvernement qui reconnaît et respecte la constitution comme loi
fondamentale, mais également elle implique le respect et l'application
de la légalité constitutionnelle. Il ne suffit pas pour un
gouvernement d'abuser de la naïveté du peuple pour se proclamer
démocratique. C'est contre ces manies que Weil se montre un peu
réticent quant à l'emploi du terme démocratie.
Cependant, force est de constater que la description et
l'analyse que Weil fait de l'Etat constitutionnel sont celles que nous
reconnaissons de nos jours à certains de nos Etats qui se disent
démocratiques. En fait, nous notons que Eric Weil évite ce mot
dans sa Philosophie politique, parce qu'il s'efforce d'utiliser un
vocabulaire aussi peu chargé que possible de connotations affectives et
d'évaluations subjectives. La démocratie correspond donc à
ce qu'Eric Weil analyse sous le concept d'Etat constitutionnel. Ce qui fait du
gouvernement constitutionnel un gouvernement démocratique, c'est le fait
que chaque citoyen soit considéré comme gouvernant en puissance
et non seulement comme gouverné. Ce statut de gouvernant en puissance
est un statut juridique : il correspond au fait que tout citoyen en
possession de ses droits civiques peut prétendre exercer une fonction
politique (notamment en sollicitant un mandat électif). La
démocratie ne se définit donc pas seulement par le suffrage
universel, mais aussi par l'éligibilité de tous les citoyens
à des conditions définies par la loi.
Correspond à ce statut de gouvernant en puissance la
participation de tous à la discussion publique sur les problèmes
de la communauté. Tout régime, tout mode de gouvernement suppose
la discussion. L'Etat constitutionnel, qui correspond plus
particulièrement sous cet aspect à ce que nous entendons par
démocratie, se définit ainsi par la discussion ouverte (publique)
et universelle (qui concerne la totalité des citoyens).
I.3 - Les raisons de la
démocratie
La démocratie est inévitable, parce qu'elle est
la seule voie par et dans laquelle la société peut être
dirigée par le droit plutôt que par la force. En effet, la
démocratie reconnaît et proclame le droit et la liberté
d'opinion et de jugement personnels : sur chaque question, chaque citoyen
a le droit de se prononcer, c'est-à-dire de penser et de dire ses
opinions et ses jugements. La liberté d'expression recouvrant la
liberté d'opinion, de conscience, de pensée, de presse et ses
corollaires vise la libre communication orale ou écrite des
pensées, des opinions et toute manière d'être dans la
cité sans être pour autant inquiété par le pouvoir
politique ou par le groupe dominant, sauf à répondre de l'abus de
cette liberté dans les cas déterminés par la loi. Cette
définition correspond aux articles 10 et 11 de la Déclaration de
1789 à la suite de la première révolution française
qui a abouti à la prise de la Bastille. Cela conduit en fait au respect
de chaque individu, de chaque citoyen, au progrès de la
vérité et au bonheur des hommes. Ce respect garantit
l'égalité de tous dans la société et oblige l'Etat
à n'imposer le silence à aucune idée ni à aucune
manière d'être. Evidemment, une telle conception de la
liberté est à remettre en cause ; cependant, elle a
l'avantage d'exprimer que la liberté d'expression est un moyen de lutte
contre l'avènement de la tyrannie. A l'heure actuelle, les hommes ont
une conscience croissante de leurs droits et de leurs libertés et ils se
préparent à exiger la reconnaissance de leurs libertés et
leur mise en application concrète. Ainsi, les principes de noblesse
oblige et de natus imperio qui étaient utilisés pour
justifier les lois de l'aristocratie ou celles des nouvelles dictatures
s'avèrent faux.
Aujourd'hui, beaucoup croient à la croissance de la
démocratie, d'autres en parlent avec joie, d'autres encore s'en
lamentent parce que leurs espoirs sont déçus. Cela montre
l'importance de la démocratie pour l'épanouissement ou pour
l'avilissement de l'individu.
Une société où les libertés de
parole, de pensée, d'opinion, d'association et de religion ne sont ni
reconnues ni respectées laisse le plus souvent à désirer.
Cette situation est révélatrice de l'immaturité politique
de cette société. Certes, ceux qui gouvernent ont alors mis en
oeuvre leur raison pour planifier le liberticide ; mais leur raison est
ainsi mise au service du mal ou, mieux, de l'asservissement des autres. Car, la
raison est la faculté de discerner, de sortir des ténèbres
et de l'erreur, de se corriger, de choisir, d'adhérer au bien,
d'intuitionner, de comprendre, de réfléchir, de juger et d'aimer.
Or, un homme mûr est celui qui est capable de se servir de sa raison pour
sa conduite et pour ses choix ainsi que pour tout ce qui a trait à sa
vie privée et à sa vie en société.
Ainsi, celui qui peut se servir librement de sa raison sans
porter atteinte à la liberté d'autrui jouit d'une grande
liberté. Ses facultés ont atteint leur maturité et
dès ce moment, son autonomie individuelle est atteinte, autonomie en
tant que capacité de s'améliorer par le raisonnement et par la
discussion. Celui qui réfléchit sur la vie en
général, sur la vie sociale, sur la politique, sur les cultures
et sur sa propre personne, celui qui est capable de douter, de mettre en
question ses propres opinions et de les modifier par induction et par
déduction bénéficie de la liberté. Cela suppose
donc une certaine somme d'expérience et surtout un pouvoir de
dépassement. Autrement dit, cette capacité suppose que l'individu
soit sage au sens socratique ou aristotélicien du terme. Et celui qui
n'est pas encore capable de réfléchir par lui-même n'est
pas encore mûr et n'est donc pas encore sage ; par
conséquent, il a besoin d'un tuteur pour l'aider à être
lui-même. Tel est le cas des mineurs. Mais le drame de nos
sociétés est de réduire même ceux qui sont capables
de réfléchir au rang de mineurs. C'est ainsi que le groupe
dominant opprime tous ceux qui veulent secouer son joug de fer et il brise de
la sorte toutes les individualités.
II - La notion d'Etat
démocratique
II.1 - L'analyse de l'Etat
démocratique selon Eric Weil
Pour Eric Weil, l'Etat constitutionnel ou
démocratique est l'Etat dans lequel le gouvernement se considère,
et est considéré par les citoyens comme tenu à
l'observation de certaines règles légales qui limitent sa
liberté d'action par l'intervention obligatoire d'autres institutions et
définissent ainsi les conditions de la validité des actes
gouvernementaux24(*). En
d'autres termes, dans l'Etat constitutionnel, la loi règle et limite la
liberté d'action du gouvernement25(*). Les lois - dont la plupart sont l'expression
juridique des initiatives politiques du gouvernement ne peuvent être
mises en oeuvre sans avoir été formellement adoptées par
le parlement. Cet état de choses suppose donc que les tribunaux soient
autonomes, la participation des citoyens à la législation et
à la prise des décisions politiques est requise par la loi.
Dans l'Etat constitutionnel ou démocratique, le
citoyen dispose d'un recours légal contre les actes de l'administration,
soit devant les tribunaux ordinaires, soit devant des cours spéciales
(tribunaux administratifs). Le citoyen peut invoquer le droit devant les
autorités indépendantes du gouvernement et de l'administration et
obtenir d'elles, soit qu'une mesure illégale soit invalidée, soit
qu'un tort soit redressé (dommages-intérêts, restitutions
etc). Le gouvernement de même que l'administration, est soumis au juge,
et les organes du gouvernement sont tenus d'exécuter les
décisions judiciaires, d'ordinaire sur instruction du gouvernement,
réellement donnée ou supposée telle26(*). Cet état de choses
montre que les tribunaux sont maîtres de leurs décisions, de sorte
que le gouvernement et son administration agissent sous leur contrôle.
D'où il convient de dire avec Eric Weil que
L'indépendance des tribunaux constitue une
condition indispensable. En son absence, l'esprit de cette vie, esprit
d'obéissance volontaire et librement consentie aux lois ne saurait se
maintenir 27(*)
L'Etat démocratique se caractérise ainsi par le
principe de l'interdépendance des pouvoirs, donc par le respect de la
loi fondamentale qui règle, d'une part le jeu de cette
interdépendance, et, d'autre part, « la modification qui
est la sienne propre »28(*). Cela signifie concrètement que la
caractéristique de l'Etat démocratique réside dans le fait
qu'il y a non seulement séparation des pouvoirs mais surtout dans le
fait que la loi y soit respectée par le gouvernement, l'administration,
les juges, la législature. En outre, les lois existantes ne peuvent pas
être modifiées sans le consentement des citoyens donné dans
les formes prescrites par la loi constitutionnelle. C'est dans le respect de ce
fait que le référendum a sa place d'or. Il s'agit pour le peuple
de se prononcer pour ou contre une décision.
En définitive, la notion d'Etat démocratique ou
constitutionnel est chez Eric Weil une notion synthétique qui par
certains aspects recouvre la notion d'Etat de droit, et par certaines autres la
notion de démocratie. Elle recouvre en particulier la notion d'Etat de
droit à partir du principe que l'action gouvernementale s'effectue dans
le respect de la loi. L'usage de la force - dans le cadre du monopole de la
violence détenu par l'Etat - s'effectue dans les conditions
définies par la loi. Cela donne au citoyen des garanties contre
l'arbitraire du pouvoir, garanties qui n'existent pas dans l'Etat autocratique
puisque le gouvernement y est libre d'agir sans contrôle effectif.
II.2 - Etat
démocratique : Etat né ex nihilo ou rejeton des vieilles
autocraties ?
Se demander si l'Etat démocratique est un Etat
né ex nihilo revient à dire qu'il est né de rien. En
d'autres termes, l'Etat démocratique serait un Etat provenant de
génération spontané, c'est-à-dire ne portant pas en
lui les traces ou les germes d'un système ou d'une organisation
politique qui l'aurait précédé. Comme le souligne Eric
Weil, l'Etat constitutionnel, que je qualifie de démocratique, est
« le résultat d'une révolution ou d'une lutte, d'un
refus de gouvernement autocratique »29(*) . Les démocraties modernes sont nées
d'un refus : celui de l'arbitraire, du pouvoir despotique, de la
dépendance envers les caprices ou les volontés obscures des
puissances en place. Il y'a bien en effet à la racine de la
démocratie, une méfiance du pouvoir de l'homme sur l'homme, une
tentative de limiter celui-ci le plus possible, et peut-être même
de rêver de sa suppression. Cette méfiance de l'arbitraire dont
tout pouvoir est virtuellement porteur va de pair avec une volonté
positive de le contrôler soit par des mécanismes institutionnels
divers et équilibrés, soit par le désir explicite que les
citoyens puissent juger par eux-mêmes de l'exercice de ce ou de ces
pouvoirs. Il s'agit donc d'exiger du ou des pouvoirs qu'ils rendent compte de
leurs actes, et qu'ils en rendent compte finalement à
l'appréciation des citoyens, à leur jugement, par exemple
à leurs suffrages. L'avènement de l'Etat démocratique est
la conséquence de l'évolution économique d'une
communauté qui, à un moment donné, déterminé
non exclusivement mais nécessairement, ne reconnaît pas le
gouvernement existant, fondé sur la violence et héritier de
celle-ci. Cette communauté veut décider de son propre sort par
elle-même, selon la raison, selon les nécessités
rationnelles, selon le bon vieux droit antérieur à ce qui
maintenant est qualifié d'oppression. Ces analyses nous amènent
à soutenir que l'Etat démocratique n'est pas un Etat né ex
nihilo. Il a son origine dans une autocratie qui s'est modifiée, soit
par la voie du réformisme politique, soit par le biais d'une
révolution. Ceci étant, l'Etat démocratique garde de
quelque manière les traits de l'autocratie dont il provient.
D'où,
il est possible que le nouveau gouvernement soit de
même structure que le précédent, autocratique, mais
disposant de la confiance de cette partie des citoyens qui a
déclenché la révolution contre le gouvernement
antérieur. Le nouveau gouvernement sera alors, pour employer des termes
courants, responsable devant le peuple : il n'aura pas seulement la
confiance de celui-ci, mais sera soumis à son
contrôle 30(*)
II.3 - Son mode de fonctionnement
Comme il a été souligné dans les pages
précédentes, l'Etat démocratique n'a pas un fonctionnement
anarchique ou anarchiste. Sa référence d'action est la loi et de
surcroît la constitution qui est la loi fondamentale. L'Etat
démocratique n'est pas une
« pétaudière », c'est-à-dire inscrit
à la cour du roi Pétaud où chacun agit indignement dans le
désordre. L'Etat démocratique fonctionne dans la reconnaissance
et dans la proclamation des droits et des libertés des individus. Il
s'agit bien entendu des libertés religieuses, des libertés
d'expression, d'opinion, de jugements personnels. Cela suppose que sur chaque
question, chaque citoyen a le droit de penser et de dire ses opinions et ses
jugements. La conséquence de cet état de choses est que l'Etat
démocratique vise à travers ces libertés et droits, la
libre communication orale ou écrite des pensées, des opinions et
toute manière libre d'être dans la cité sans être
pour autant inquiété par le pouvoir politique ou le groupe
dominant. La loi y est présente pour être respectée. Elle
n'est pas la propriété d'une catégorie sociale
privilégiée. Elle est là pour tous et tous sont
égaux devant elle. Il n'y a donc pas de différences : que
l'on soit président de la république ou ministre, administrateur
ou commerçant, militaire ou ouvrier, la loi est là pour nous
juger et nous ramener à l'ordre et nul n'est au dessus d'elle. Le
gouvernement qui est l'organe exécutif n'agit pas comme bon lui semble.
Il agit conformément aux prérogatives que lui accorde la loi.
Toutes les institutions de la république bien qu'étant autonomes
les unes par rapport aux autres, travaillent en synergie, c'est-à-dire
dans une interdépendance harmonieuse. Dans un Etat démocratique,
la chasse à l'homme, la torture et les exécutions sommaires n'ont
pas normalement leur raison d'être.
La démocratie n'est pas synonyme de libertinage. La
liberté dont chaque citoyen jouit dans un régime
démocratique ne signifie pas qu'il doit en abuser en confondant
liberté et désordre. Le régime démocratique
présuppose comme conditions minima, du côté des citoyens,
la rationalité du comportement et la soumission par consentement
à la loi comme formellement universelle, et du côté du
gouvernement, la volonté de raison, sinon la raison31(*), c'est-à-dire que le
gouvernement s'engage à respecter la liberté raisonnable des
citoyens. En cas d'abus, la justice n'hésite pas en vertu des pouvoirs
qui lui sont conférés, à dire la loi en prononçant
des sentences contre ceux ou celles qui seraient reconnus coupables de trouble
à l'ordre public. En fin de compte, nous pouvons affirmer que l'Etat
démocratique fonctionne et exerce son action conformément aux
lois comme coeur de son agir.
Chapitre 2 : Les
caractéristiques de l'Etat démocratique
Introduction
Penser l'Etat démocratique, c'est penser un Etat plus
ou moins idéal, c'est-à-dire un Etat où les
libertés et les droits de l'hommes sont respectés en fait et non
en théorie, où le minimum social commun est garanti. En d'autres
mots, c'est penser un Etat politiquement bien organisé et responsable,
responsable devant le peuple et responsable de ses actions. Il s'agit bien
entendu des actions qui sont conformes au droit ou conformes à ce qui
est prescrit par la loi en vigueur.
Si nous convenons que l'Etat démocratique est
l'organisation d'une communauté particulière où le
gouvernement ne peut pas agir seul, mais doit plutôt agir avec le
concours du parlement, il se pose alors un certain nombre de questions. Il
s'agit de savoir quelles sont les caractéristiques d'un Etat qui se dit
ou se proclame démocratique.
Si l'Etat démocratique se caractérise par le
principe de la séparation des pouvoirs et de l'interdépendance
dans leur action de ces pouvoirs, donc par le respect de la loi fondamentale
qui règle d'une part le jeu de cette interdépendance et d'autre
part, « la modification de toute autre loi et la sienne
propre »32(*), quels sont alors les éléments ou
les facteurs essentiels qui expliquent cette caractéristique ?
Qu'en sera-t-il de leur portée ? Autrement dit, quel est l'impact
des caractéristiques inhérentes à l'Etat
démocratique sur l'ensemble géopolitique ? Les tentatives de
réponse à ces diverses questions méritent une étude
approfondie.
I - Les caractéristiques de
l'Etat démocratique
Nombreux sont les éléments qui
caractérisent un Etat démocratique. Au nombre de ceux-ci, nous
pouvons citer :
I.1 - La séparation des
pouvoirs
Il est généralement admis que le régime
démocratique implique le principe de séparation des pouvoirs. Ces
pouvoirs sont au nombre de trois : l'exécutif - le
législatif - le judiciaire. L'exécutif est
représenté par le gouvernement, le législatif par le
parlement et le judiciaire par les cours et les tribunaux. D'un point de vue
constitutionnel, ces trois pouvoirs sont autonomes l'un à l'égard
de l'autre. Cette autonomie suppose que l'un n'a pas le droit d'exercer une
sorte d'impérialisme sur l'autre. Cette autonomie ne signifie pas
cependant que chaque pouvoir travaille en vase clos. Bien qu'ils soient
autonomes l'un à l'égard de l'autre, ils oeuvrent dans une
réelle interdépendance et ce, en vue de la réalisation des
intérêts généraux et particuliers de l'Etat ou de la
nation tout entière.
Cette séparation de pouvoirs suppose également
que chacun de ces organes est appelé à respecter les lois qui
régissent son fonctionnement ou ses activités.
I.1.1- Le pouvoir exécutif
Le pouvoir exécutif est l'organe de ceux qui
gouvernent, de ceux qui prennent des décisions, de ceux qui exercent les
fonctions d'autorité, c'est-à-dire qui décident pour tous
et au nom de tous en tant que ces « tous » sont membres de
la société et de l'Etat. Le pouvoir exécutif est
l'instance de décision. Pour Eric Weil, c'est le gouvernement qui est
l'organe représentatif de ce pouvoir, c'est lui seul qui parle au nom de
l'Etat aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Et, ce faisant, son but ultime est de conserver l'Etat autonome d'une
communauté-société existante, sa mission est de
réaliser les buts les plus rationnels en vue des intérêts
généraux et particuliers de l'Etat. Il est ce qui forme le seul
ressort de l'action. Sa tâche naturelle est de favoriser ou d'oeuvrer
pour la cohésion sociale. Pour que celle-ci soit possible, il revient
à l'exécutif d'être attentif aux situations de
mécontentement qui engendrent des révoltes ou des
révolutions. C'est la raison pour laquelle nous pouvons affirmer avec
Eric Weil que l'exécutif « a un intérêt vital
à connaître les facteurs d'insatisfaction qui agissent dans la
société et menacent la forme présente de
l'Etat 33(*)».
Pour la délibération et l'exécution de ses
décisions, il s'appuie sur l'administration. Cette dernière est
l'organe de la rationalité technique de la société
particulière. Elle est l'exécutrice des décisions
gouvernementales. Elle est l'organe grâce auquel les décisions du
pouvoir exécutif sont rendues.
Dans un État démocratique, la
souveraineté du pouvoir exécutif est limitée par
l'intervention d'un pouvoir législatif. Que les représentants de
l'exécutif soient élus directement par la population ou qu'ils
soient choisis par un collège de délégués des
citoyens, leur action dans un régime démocratique est soumise au
contrôle d'une instance intermédiaire, d'une institution
essentielle à l'exercice de la démocratie moderne, qui est
l'assemblée législative. Il ne saurait exister de régime
démocratique sans cette institution. Le mode de formation de cette
assemblée est susceptible de varier d'un État à un
autre ; la représentation peut être soit professionnelle,
soit territoriale ; le scrutin législatif peut-être aussi
proportionnel ou majoritaire. Mais il n'en demeure pas moins que sans une telle
institution, la démocratie est inconcevable dans un État.
1 .1.2 - Le pouvoir
législatif
Le pouvoir législatif joue un rôle
prépondérant dans le processus de fonctionnement de la
démocratie. Il est comme le souligne Eric Weil lui-même,
l'institution qui caractérise principalement l'Etat
constitutionnel34(*),
lequel exprime les désirs et la morale vivante de la
société-communauté particulière. Exprimant de ce
fait les désirs et la morale vivante de la
société-communauté, sa tâche consiste à
contrôler l'action rationnelle et raisonnable du gouvernement et donne
à celui-ci la possibilité d'éduquer le peuple35(*). Dans un Etat
démocratique, le pouvoir législatif est la représentation
du peuple. Sa fonction, tel que l'exprime Eric Weil, ne se comprend que par
rapport au gouvernement, devant lequel il représente la nation :
vérité évidente, mais souvent oubliée parce que le
souvenir est trop vif de l'époque où l'institution a acquis son
importance dans la lutte contre les gouvernements arbitraires.36(*)Le parlement gêne
l'action du gouvernement et l'activité de l'administration, cela est
exact, - et c'est en cela précisément que réside sa
fonction positive. Aucun gouvernement, aucune administration ne peut
prétendre à l'infaillibilité. Le parlement est le lieu
où le désir traditionnel, voire le besoin, les
préférences, les goûts, toute la vie morale entrent en
contact avec les nécessités de la rationalité, pour se les
soumettre en s'y soumettant. Il incombe à l'assemblée
législative d'organiser la discussion des choix politiques
opérés par le pouvoir exécutif, par le gouvernement. Le
répéter semble être d'une grande trivialité. Mais,
outre qu'il faut se méfier du culte de l'originalité quand il est
question de pensée, il convient d'indiquer que l'organisation de la
discussion dans l'assemblée législative traduit la conviction,
essentielle à l'esprit démocratique, que nul n'est infaillible.
Il a déjà été indiqué que le régime
démocratique consacre l'amenuisement de la croyance en la
toute-puissance du gouvernement. La raison de cette démarche devient
seulement accessible maintenant. Le régime démocratique se fonde
sur le principe selon lequel aucun homme n'est naturellement destiné
à commander aux autres, à les guider. Les hommes naissent tous
égaux en droits. Dès lors toute autorité ne peut
s'établir en leur sein qu'avec leur consentement. La discussion dans
l'assemblée législative a pour objectif de susciter le
consentement indispensable à l'exercice de l'autorité. Il est
significatif de constater que, quelle que soit la composition d'une
assemblée législative dans une démocratie moderne, ses
membres sont toujours désignés par voie de vote. La fonction de
délégué des citoyens n'est pas héréditaire..
Tous les citoyens sont, dans des conditions déterminées par la
loi, éligibles aux fonctions de représentants du corps politique.
Aristote avait déjà relevé que l'égalité est
un principe fondamental dans l'État démocratique37(*). Cette égalité
des citoyens est le principal trait caractéristique de l'idéal
démocratique.
1.1.3 - Le pouvoir judiciaire
L'indépendance de la magistrature est aujourd'hui
unanimement considérée comme une condition capitale du
régime démocratique. L'institution de la magistrature est
désormais un pilier de l'État démocratique. Cette
consécration devrait pourtant surprendre. Le magistrat n'est ni
élu par les citoyens, ni choisi parmi ou par leurs
délégués. Il est nommé par le gouvernement. Sa
désignation n'est cependant pas abandonnée aux humeurs des
gouvernants : elle s'appuie sur des critères rationnellement
définis, elle exige une qualification, une formation, en un mot, une
compétence. Le magistrat est un spécialiste du droit. La
consécration de la magistrature comme support du régime
démocratique révèle un élément
incarné par cette institution, aussi indispensable au fonctionnement de
l'État démocratique que l'autorité réclamée
par le gouvernement et la discussion organisée par
l'assemblée : la compétence.
L'indépendance des tribunaux et la participation
requise par la loi, des citoyens à la législation et à la
prise des décisions politiques, affirme Eric Weil, caractérise le
gouvernement constitutionnel. Dans un Etat démocratique, le
gouvernement, de même que son administration, est soumis au juge, et les
organes du gouvernement sont tenus d'exécuter les décisions
judiciaires, d'ordinaire sur instruction du gouvernement, réellement
donnée ou supposée telle. Cet état de choses traduit bien
l'autonomie des tribunaux et le souci du respect de la loi, car dit-on, nul
n'est au-dessus de la loi, y compris l'Etat même qui la crée.
L'autonomie du pouvoir judiciaire traduit également que nous sommes
effectivement dans un Etat de droit. Et le magistrat est chargé,
à son tour, de dire le droit. Il ne doit pas être partial, sinon
il risque de tordre le coup à la justice. Ce droit n'est cependant pas
laissé à son inspiration. Il est bien connu que la jurisprudence
est une source du droit, que le jugement rendu par une cour est un acte de
création de normes juridiques38(*). Mais le droit consiste d'abord et avant tout en un
ensemble de règles explicitement formulées, codifiées, qui
régissent les rapports entre les membres d'une collectivité. Cet
ensemble est organisé, ordonné, hiérarchisé.
À son sommet se trouve, dans un État démocratique, la loi
fondamentale, la constitution, qui fixe la configuration générale
de cet Etat et définit jusqu'aux rapports entre les institutions. La
connaissance et l'application de ce droit que coiffe la constitution
bâtissent ensemble l'ultime garantie de la pérennité du
régime démocratique. Cette connaissance n'est pas accessible
à tous les citoyens. Le droit est une affaire de spécialistes, et
les représentants de l'ordre étatique ne sont pas toujours de
tels spécialistes. D'où la nécessité de recourir
souvent à la magistrature pour indiquer le droit, parfois en
contradiction avec les décisions même des dirigeants de
l'État.
Il est significatif d'observer que l'évolution
récente de l'État démocratique culmine dans l'installation
de juridictions constitutionnelles et la consolidation de leur
rôle39(*). La cour
suprême aux États-Unis, ou le conseil constitutionnel en France ou
dans certains pays africains où le processus de démocratisation
est effectif, montrent que l'instauration de la démocratie semble
reposer autant, sinon plus, sur la compétence des spécialistes
que sur le consentement des citoyens. Le triomphe de l'institution de la
magistrature, avec la hiérarchie de ses juridictions, manifeste bien
l'emprise du phénomène de l'institution sur l'État
démocratique. L'institution n'est pas seulement nécessaire au
fonctionnement de l'État démocratique. La démocratie, du
moins telle qu'elle apparaît à l'opinion contemporaine, est le
régime des institutions. Nulle part ailleurs la suprématie de
l'institution n'est aussi forte que dans l'État démocratique.
L'État de droit qu'est le régime démocratique est
l'État du droit, l'État des juridictions et, en
définitive, des institutions.
I.1.4 - L'Etat de droit
Pour Eric Weil, l'Etat de droit est ce qu'il appelle du le
terme allemand de Rechtsstaat. Il s'agit pour lui d'un Etat qui voit
l'essentiel non pas dans le monopole de la violence, mais plutôt dans le
fait que l'action de l'Etat, de même que celle de tout citoyen soit
réglée par les lois40(*).Cela démontre que l'Etat apparaît sous
forme rationnelle aux yeux de tous les citoyens, comme ce cadre des lois qui
règle tous leurs rapports entre eux, avec la société et
avec l'Etat pour autant que ces relations peuvent donner lieu à l'emploi
de la violence41(*). La
loi est souveraine. Elle est, comme le souligne Eric Weil lui-même
la forme dans laquelle l'Etat existe en se pensant...
C'est à elle de donner la forme de la conscience aux buts derniers de la
communauté et puisque la vie consciente de la communauté, capable
de transformer tout donné, s'exprime en elle. 42(*)
La loi est loi pour tous les citoyens et tous les citoyens
sont égaux devant elle. Cela suppose donc que ce n'est pas l'existence
de lois formellement universelles qui donnent à un Etat le qualificatif
de démocratique, mais plutôt le fait que les lois sont
respectées d'une part, et d'autre part, le fait que les lois existantes
ne sauraient être modifiées sans le consentement des citoyens
donné dans des formes prescrites par la loi fondamentale. Partant de
cette analyse d'Eric Weil, nous pouvons affirmer avec conviction que l'Etat de
droit est l'Etat qui respecte les canons du droit, c'est-à-dire n'agit
pas contre la loi (nihil contra legem). Il agit toujours en fonction
d'un texte juridique (omnia secundum legem). L'Etat de droit respecte
une hiérarchie des normes, c'est-à-dire la constitutionnalisation
de l'organisation juridique. Cette idée suppose qu'il y a une pyramide
de droits dont les plus fondamentaux sont les plus contraignants (on peut donc
remettre en cause une loi plus faible au nom d'une loi plus forte). Une telle
idée émane du positivisme juridique pour lequel le droit est un
système abstrait de règles dotées de force logique. Cette
hiérarchie est, en cas de conflit, déterminée par un
tribunal adéquat (juridiction constitutionnelle)
L'Etat de droit est une manière de discipliner,
d'organiser, mais aussi bien de limiter et de confisquer le respect des droits
de l'homme comme droit naturel. Nous pouvons nuancer cette analyse selon
laquelle la seule compréhension moderne de la liberté est la
liberté dans le droit. C'est dire que l'Etat de droit suppose une
logique intérieure à l'Etat ; entre les droits de l'homme et
l'Etat de droit, il ya donc une affinité : en fait elle
dérive du droit naturel qui postule que le droit n'est pas une
entité simple, mais un complexe organisé à partir d'une
hiérarchie dite désormais de normes. Les décrets, les
arrêtés, les circulaires doivent être conformes aux lois,
lesquelles doivent être, à leur tour, conformes à la
constitution. D'où le contrôle de la constitutionnalité des
lois, qui limitent le pouvoir des législateurs eux-mêmes. En
d'autres mots, on considère que les institutions qui exercent la
souveraineté doivent prendre des décisions conformes au droit et
que, si le droit est modifié, ce doit être selon les
procédures elles-mêmes légales. D'où l'Etat de droit
est l'Etat où, dans les rapports avec les citoyens, l'administration est
soumise à des règles de droit. Les citoyens disposent d'une
possibilité de recours contre les décisions si et seulement si
celles-ci sont arbitraires ; il y a donc une existence de juridictions qui
jugent les différends entre les citoyens et l'Etat. Par ce fait,
celui-ci s'oppose à l'Etat de police et devient comme le souligne G.
Lebreton
l'Etat qui,étant à la fois esclave et
protecteur des libertés, tire sa légitimité de son
aptitude à les développer et à s'y soumettre. Pour que
cette « mission-soumission » caractéristique de
l'Etat de droit soit menée à bien, deux conditions doivent
être réunies. Il faut d'une part que l'action des gouvernants soit
enserrée dans une hiérarchie des normes, au sommet de laquelle
figure la déclaration des droits, d'autre part que les juges soient
suffisamment indépendants pour en sanctionner la
méconnaissance 43(*).
La conception d'un Etat soumis au droit soulève
cependant une difficulté majeure. Puisque c'est l'Etat qui produit le
droit, comment peut-il être soumis au droit qu'il produit
lui-même ? Autrement dit, étant donné qu'il est
souverain, comment son action pourrait-elle être limitée ?
A cette question, il convient de dire que l'Etat est certes
souverain, mais qu'il accepte de lui-même de se soumettre à un
ordre juridique qu'il ne peut décider de remettre en cause sans saper
les bases mêmes de son action. Ensuite, il faut évoquer le fait
que les Etats démocratiques sont des Etats qui ne sont pas nés ex
nihilo. Comme le souligne Eric Weil, ils sont le résultat d'une
révolution ou d'une lutte, d'un refus de gouvernement
autocratique44(*). Et
s'ils sont le résultat d'une révolution, d'un refus de
gouvernement autocratique, cela suppose que les droits de l'homme
étaient bafoués ; et pour que de telles injustices ne se
reproduisent plus dorénavant, il faut donc qu'au sommet de la
hiérarchie se trouve la déclaration des droits de l'homme qui
reconnaît les droits naturels, inaliénables et sacrés. Dans
cette perspective, c'est la conformité du contenu des lois aux principes
fondateurs des droits de l'homme qui définit l'Etat de droit. Bref, on
ne peut parler d'Etat de droit que si et seulement si les gouvernants sont
responsables de leurs actes, si les tribunaux sont indépendants et si
les citoyens se voient garantir les droits qui en fait leur revenaient de
droit.
L'idée que l'action de l'Etat doit se soumettre
à des règles juridiques qui garantissent les droits et les
devoirs inviolables des citoyens est largement admise. Il y a donc un lien
entre Etat de droit et démocratie, car « si tout Etat de
droit n'est pas nécessairement une démocratie, toute
démocratie doit être un Etat de droit »45(*). Cela conduit à
une réflexion sur la nature du droit et sur la distinction entre la
légalité et la légitimité des normes juridiques.
Par ailleurs, l'Etat de droit n'est pas une réalité statique. Il
n'est pas l'expression ou la traduction de principes immuables. Il est une
réalité dynamique, liée à l'activité
politique. Les principes fondamentaux sont eux-mêmes l'objet
d'interprétations et de débats. Par exemple au nom des principes
juridiques, la cour suprême des Etats-Unis a sanctionné les
principaux textes adoptés à l'initiative du président
Franklin Delano Roosevelt lors du New Deal. Mais la réélection de
ce dernier, l'évolution des idées relatives à
l'intervention de l'Etat dans l'économie, la mise en cause de la
légitimité même de la cour par les intellectuels
progressistes ont conduit à une évolution des juges
constitutionnels. Ces derniers ne sont pas insensibles aux rapports de force
politiques et à l'état de l'opinion. La loi elle-même est
susceptible d'interprétations, notamment à travers la
jurisprudence, mais aussi sous l'influence de la doctrine juridique. Le droit
doit être relié à la démocratie ; l'ordre
juridique n'est légitime que si les citoyens sont les acteurs du
processus d'élaboration des lois (et pas seulement sous forme de
l'élection des parlementaires). Les citoyens ne peuvent se percevoir
comme collectivement auteurs des règles auxquelles ils sont soumis que
dans la mesure où des pratiques et des règles
délibératives permettent l'existence d'une véritable
démocratie juridique.
Au total, d'après ce qui vient d'être ci-dessus,
on déduit que la notion d'Etat de droit recouvre les notions de justice,
de respect des libertés d'opinion, d'expression, de pensée, de
religion. A ceci, s'ajoute l'instauration réelle et non en
théorie du multipartisme où la liberté d'opinion des
partis politiques, qu'ils soient de l'opposition ou de la mouvance au pouvoir
est garantie. Bref, l'Etat de droit est l'Etat dans lequel il
y'a d'une part, la garantie par l'Etat de la paix intérieure et de la
sécurité juridique pour tous les citoyens, mais il y a tout
autant d'autre part, l'exigence que l'ordre de l'Etat soit reconnu par les
citoyens comme légitime, et ce de leur propre chef, c'est-à-dire
délibérément.
I.1.5 - La place de la
discussion
Eric Weil estime que c'est dans et par la réflexion
sur ce qui est nécessaire que se fait l'éducation des citoyens (y
compris des gouvernants). Elle s'effectue sous la forme de la
discussion. Dès lors, se pose la question suivante : la
discussion est-elle vraiment le seul instrument d'éducation ? Et la
vie des Etats modernes est-elle vraiment et exclusivement
caractérisée par elle ? En réponse, Eric Weil
déclare que cela dépendra du sens dans lequel on aura pris la
question. Si l'on cherche un jugement qui porte sur les faits, il faudra
reconnaître que la violence joue un rôle de premier plan dans la
vie des Etats existants, soit comme violence active, qui tâche d'imposer
par tous les moyens ce qu'elle conçoit être le bien, soit comme
violence passive qui refuse de servir ce qui lui semble inadmissible, serait-ce
au prix de la vie. D'où la discussion forme, selon le principe de l'Etat
moderne, ce qu'Eric Weil appelle l'accès à la décision
rationnelle. La discussion, pour Eric Weil, est le fondement
idéal46(*) du
système démocratique. Elle suppose que tout citoyen est
considéré comme capable de partager les responsabilités du
gouvernement et cela comme gouvernant en puissance47(*).En effet, l'objectif de la
discussion est de faire éclater la vérité car
« la discussion est le tamis de la vérité et son
but ne doit pas être la victoire, mais
l'amélioration 48(*)». Mais doit-on tout discuter dans une
démocratie ? Il m'est difficile de répondre à cette
question si je ne considère pas d'abord une certaine tendance qui a
abêti les hommes. Certains hommes ont eu recours aux arguments
d'autorité pour fermer la porte à toute discussion, parce qu'ils
croyaient que les auteurs auxquels ils se referaient avaient tout dit, qu'ils
avaient raison et qu'on ne pouvait rien leur reprocher. C'est une erreur de
croire que la liberté de discussion ne fait pas partie intégrante
des droits naturels. Enlever à l'homme la liberté de discussion,
c'est lui arracher manu militari son être d'homme. Selon Emmanuel
Kant,
la liberté de penser est prise au sens où
elle s'oppose à la contrainte exercée sur la conscience. C'est
là ce qui se passe lorsqu'en matière de religion, en dehors de
toute contrainte externe, les citoyens se posent en tuteurs à
l'égard d'autres citoyens et que, au lieu de donner des arguments, ils
s'entendent, au moyen des formules de foi obligatoire et en inspirant la
crainte poignante du danger d'une recherche personnelle à bannir tout
examen de la raison grâce à l'impression produite sur les
esprits49(*).
Le droit de discussion n'est effectif qu'en passant au droit
à la discussion. Le droit à la discussion est un devoir civil et
politique. Lorsqu'un chef d'Etat ou un gouvernement retire à un individu
le droit à la parole, il lui enlève de fait le droit à la
discussion et fondamentalement la liberté de pensée. Car penser,
c'est réfléchir et confronter sa pensée à d'autres
pensées. Une pensée n'est valide que si elle accepte de passer
par le creuset de la critique, de la discussion et de la loi que s'est
fixée l'individu. Le problème du droit à la discussion
conduit à celui de la connaissance. On discute pour connaître, ou
bien, quand on connaît on doit soumettre sa connaissance à la
critique et aux lois de sa propre raison. L'individu doit se convaincre que,
pour sortir de l'erreur ou pour être utile à sa
société, il a besoin de jouir pleinement de sa liberté de
discussion qui est un droit naturel dont il devrait jouir indépendamment
de l'apport spécifique de la société pour se critiquer,
pour prendre distance par rapport au vécu immédiat, et de sa
liberté à la discussion relevant des droits politiques. Cette
liberté à la discussion est en fait le droit à la libre
expression de la pensée et la garantie de ce droit politique implique la
tolérance, le respect de la pensée et de la manière
d'être d'autrui ainsi que du respect de l'ordre public50(*).
Si le respect de la dignité de la personne, de sa
liberté responsable et de la justice à lui rendre en tout domaine
est une référence cardinale, on comprend alors que la
démocratie implique une manière de résoudre les conflits
et les tensions sociales qui tentera d'écarter le plus possible l'usage
de la violence, de la séduction, de la tromperie, de la manoeuvre qui
écrase ou terrorise. Autrement dit, la démocratie ne va pas sans
une forte dose de non-violence. Plutôt que de dresser les uns contre les
autres ou d'écraser l'adversaire, la voie démocratique cherche
mille et un moyens de laisser s'exprimer les revendications, ce que Machiavel
appelait « les humeurs d'une société » ;
et pour ce faire, elle s'ingénie à mettre en place une
pluralité de canaux permettant l'expression publique de ces
humeurs : existence de partis, de syndicats ou clubs de pensée,
presse pluraliste, acceptation de la manifestation des désaccords, y
compris par la grève, en tout cas par des expressions publiques fortes,
etc. Elle cherche à les laisser s'exprimer pour tenter, au sein de ce
concert de protestations et de réclamations qui constitue le surprenant
théâtre quotidien de la vie démocratique, de trouver un
chemin de solution et de parvenir à des accords satisfaisants. Autrement
dit, par rapport à la lutte ou à la violence physique, la
démocratie privilégie le débat, la discussion,
l'échange d'arguments, ce qui est aussi une façon de faire
prévaloir la raison sur la passion, ou plutôt de chercher à
travers l'expression des passions ou des indignations ce qui peut encore faire
tenir ensemble ceux-là mêmes qui s'opposent. C'est ce qui permet
à Eric Weil d'affirmer que la démocratie entretient un rapport
essentiel avec la vérité et la raison. Elle présuppose...
qu'individus et groupes aient des opinions différentes et des
intérêts divergents, mais qu'il existe toujours une voie pour
résoudre les conflits si toutes les parties en cause déclarent
ouvertement ce qu'elles visent et ce qu'elles veulent et se soumettent à
l'obligation de ne proposer que des solutions de portée universelle.
Utopie sans doute à bien des égards, mais elle entraîne
à parier plutôt sur le débat raisonnable que sur la
violence, sur la confrontation d'arguments plutôt que sur
l'échange de coups ou de pavés. Par là encore une forme de
non-violence constitue bien une valeur de référence. Et cette
recherche de non-violence imposera toujours aussi que les
« vainqueurs », qui ne sont jamais que des vainqueurs
relatifs et temporaires (ainsi dans une élection) aient le souci de
respecter la minorité, et non pas de jouer à ceux qui
incarneraient seuls la raison, le bon droit ou la justice. Ils devront donc
aussi tenir compte des frustrations de l'opposition et continuer à
tendre l'oreille à ses revendications. C'est bien pourquoi l'exercice de
la démocratie passe par la recherche du compromis. Vais-je choquer si
j'affirme que le compromis est une valeur démocratique éminente,
justement en ce qu'elle est liée à une volonté de
non-violence et à la recherche permanente du bien ou de la justice,
alors qu'on sait qu'aucune solution, aucune loi, aucune disposition
administrative, si heureuses soient-elles, ne seront pleinement justes ou
pleinement satisfaisantes ? Le compromis est en effet lié à
une modestie de la raison démocratique, osons le mot : à un
sain relativisme qui s'oppose à toute tyrannie d'une
vérité supposée connue ou détenue par certains.
Certes il est des compromis qui sont des compromissions, des
lâchetés, des fuites devant les sacrifices nécessaires, des
alibis pour les responsables incapables de prendre les mesures amères
qui s'imposeraient. Mais ces fléchissements ne doivent pas compromettre
la recherche du compromis, et ils le doivent d'autant moins que tel est bien le
régime ordinaire et nécessaire de la vie démocratique,
lié à sa philosophie. Eric Weil défend encore avec force
l'idée selon laquelle toute démocratie suppose une philosophie
précise de la vérité. Il écrit à ce
sujet :
personne, proclame toute démocratie, ne
possède la totalité de la vérité, et personne n'est
absolument « objectif » (ou ne pense d'une manière
totalement « universelle ») ; il y'a de la
vérité et elle est le résultat de cette confrontation
non-violente d'idées et d'intérêts que l'on appelle une
discussion. Personne n'est entièrement
« raisonnable », mais il y'a une différence
significative entre raison et violence, entre hommes et groupes qui veulent
convaincre, et hommes et groupes qui pensent que la victoire justifie la
violence51(*)
Le relativisme dont on accuse souvent la démocratie
n'est pas un refus de la vérité, mais il a partie liée
avec la perception que toute vérité pratique est le fruit de
débats et de confrontations entre points de vue opposés, tout
autant que tentative de parvenir à des accords qui ne seront que
provisoires, précaires, susceptibles d'être remis en cause, soumis
à révision. Et cela implique bien une conception non dogmatique
de la vérité, mais une conception fort précise et fort
honorable. Il s'agit moins alors de croire que la décision prise ou le
compromis atteint répondent à la vérité absolue,
mais d'admettre qu'ils cernent au plus près ou au moins mal le bien qui
nous est accessible ici et maintenant. Ces valeurs de référence
essentielles à l'exercice de la démocratie ne présupposent
pas un total accord sur les fins entre les citoyens, elles sont certes
liées à un régime de la raison et à un sens de la
dignité de l'homme, mais elles ne disent rien sur le destin ultime de
l'humanité.
Chapitre 3 : Les faiblesses
de la démocratie
En voyant mes analyses ci-dessus, beaucoup doivent se
demander si je n'affiche pas un optimisme bien naïf, et donc dangereux, en
exaltant ainsi les valeurs de la démocratie. Serais-je
assez idéaliste pour ignorer qu'entre affirmation de
valeurs et fidélité concrète à celles-ci, il y'a
souvent et toujours un abîme ? En effet, un auditeur avisé,
attentif n'aura pas été dupe. La démocratie n'est pas un
système politique parfait. Elle a ses limites et ses faiblesses. Et nous
savons tous combien nos démocraties sont fragiles, et travaillées
par des éléments de corruption qui peuvent signer leur
arrêt de mort. L'une des façons pour expliquer cette situation
consiste à se placer au niveau des institutions pour analyser les
dysfonctionnements. Dès lors que l'on parle
des « valeurs » comme il
m'était donné de le faire dans les pages
précédentes, on parle d'entités suprêmement
friables, fragiles, sans cesse menacées de dégradation et
même de disparition. Une valeur en effet n'est pas une chose qui serait
là, donnée une fois pour toutes, acquise définitivement
parce qu'on en aurait, individuellement ou socialement, reconnu la pertinence
ou la beauté. Une valeur, c'est aussi une visée, comme un
idéal qu'on se donne mais qu'on ne réalise jamais pleinement.
Parler en termes de valeurs, c'est nécessairement penser hors des
conforts des théories qui croient qu'une fois bien perçue
l'objectivité du réel, du bien, de la vérité,
l'assise de l'action est alors assurée. Parler de valeurs, c'est se
situer à un entrecroisement entre un principe et une
volonté : il n'est de valeur que voulue et assumée par une
liberté, donc par un sujet, par un sujet forcément situé
en un moment de l'histoire et de sa société. Dès lors
qu'une valeur n'est plus voulue, plus comprise, plus assumée, dès
lors qu'un sujet se détourne de cet univers de sens ou refuse d'y
adhérer, le monde des valeurs se trouve atteint de décadence ou
se voit même menacé de mort. Dans les parties
précédentes, je montrais que la démocratie n'est pas un
fait de nature, mais elle découle d'une culture. Il est donc le produit
d'une éducation hautement élaborée, d'un travail des
volontés sur elles-mêmes pour qu'elles soient persuadées de
la grandeur des valeurs à elles proposées. Or il peut se faire en
effet que les volontés se désagrègent,
désespèrent de leurs valeurs et donc que les plus belles
références se dégradent et se pervertissent. Les valeurs
démocratiques n'échappent pas à ce possible déclin
au risque d'être elles mêmes dévaluées par ce que
Nietzsche appelait le nihilisme.
Faut-il faire ici un long tableau des vices de nos
systèmes démocratiques, et évoquer la corruption, les
impuissances des pouvoirs à décider, la démagogie
exagérée de nombreux acteurs politiques, la complaisance envers
l'opinion, la manipulation de cette opinion par mille et un moyens dont
disposent nos sociétés armées de média et de
sondages ? Surtout comment ignorer le sentiment largement partagé
selon lequel les citoyens n'ont plus la certitude de contrôler
réellement les pouvoirs (ce contrôle étant la base de toute
démocratie), donc d'être les jouets plus que les acteurs de nos
systèmes représentatifs ? Comment ne pas reconnaître
que ces vices viennent compromettre les discours démocratiques, et
détourner les volontés de vouloir les valeurs, les faisant
même apparaître comme de pseudo valeurs ou comme des alibis, des
masques idéalistes maquillant des pratiques tout à fait
opposées ? Il faut en convenir qu'un système
démocratique est structurellement dégradable, exposé sans
cesse à la dévalorisation, car les valeurs qui le portent
doivent être entretenues, inculquées, désirées comme
bonnes et souhaitables de préférence à l'abandon, au
destin ou à la fatigue devant l'engagement. Le goût de la justice
et de la solidarité, le sens, la dignité de la personne humaine,
la volonté de contrôler les pouvoirs peuvent disparaître, et
qui niera qu'en ce tragique XX è et XXI è siècles en
effet, bon nombre de démocraties ont capitulé devant les
contre-valeurs de la force, de la violence, de la démagogie ou devant
les illusions d'avenirs radieux qui pouvaient dispenser temporairement des
chemins malaisés de la démocratie. Pas de démocratie, sans
les démocrates convaincus des valeurs de la démocratie. Le pire
vient quand la volonté manque. Pour rappel, la démocratie est le
gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Or, depuis quelques
décennies, les démocraties sont confrontées à un
paradoxe. Alors que ces régimes ne voient plus leur autorité
contestée, les études de sociologie électorale soulignent
une désaffection grandissante des citoyens pour le jeu
démocratique, en particulier pour les élections (locales ou
nationales). C'est une défiance croissante des représentés
pour les représentants qui se manifeste notamment par des taux
d'abstention élevés aux élections. La démocratie a
eu raison de ses ennemis jurés, les systèmes totalitaires. Seul
type de régime dorénavant acceptable, modèle
indépassable, elle n'en est pas pour autant exempte de tout reproche.
Cependant le péril qui la menace n'est plus de nature
extérieure, mais plutôt endogène : séparation
fictive des pouvoirs, conflits insoluble de la liberté et de
l'égalité, défaillances du parlementarisme et du
sectarisme des partis, assujettissement choquant du citoyen à
l'administration, du droit à la politique, complaisance obstinée
des « clercs » pour des idéologies, corruption
généralisée trahissant une crise magistrale de l'esprit
civique et un recul sans précédent de l'éthique. La
démocratie n'est sans doute pas le régime le plus facile à
faire fonctionner. L'homme rêve parfois d'un monde aux contours nets,
d'une régression dans le giron d'un système paternaliste et
autoritaire dont il pourrait dépendre comme le petit enfant
dépend de ses parents. Ainsi, il serait délivré du fardeau
consistant à prendre des décisions, à s'engager, à
revendiquer et il serait de plus délivré de la mauvaise
conscience que l'on peut plus ou moins éprouver dans un système
démocratique lorsqu'on « laisse faire » quand bien
même on pourrait agir ; car l'action demande beaucoup
d'énergie et d'abnégation et peut-être une forme de foi. La
tentation d'un régime fort, d'un despotisme plus ou moins
éclairé est sans aucun doute latente. Le grand frisson des
dernières élections présidentielles en France en 2002 nous
l'a rappelé. On a frôlé l'abîme dans lequel une
partie non négligeable des Français était prête
à plonger. L'originalité de la démocratie tient sans doute
beaucoup plus au pouvoir que se donnent les hommes de décider
collectivement de leur avenir en agissant ainsi sur eux-mêmes. Mais la
démocratie ne doit pas se résumer à des apparences
formelles, elle doit pour exister réellement être une pratique.
La question des limites et des paradoxes de la
démocratie n'est pas une question nouvelle, mais de nouveaux
problèmes qui lui sont inhérents se posent aujourd'hui avec une
acuité toute particulière. Ayant vaincu les totalitarismes, la
démocratie triomphante se trouve confrontée à
elle-même, à ses propres démons, à ses limites. La
crise de la démocratie vient, selon certains observateurs de la
« perte de sens ». Pour Marcel Gauchet52(*), les trois piliers que sont la
religion, l'éducation, la politique sont en crise et
entraîneraient une véritable désagrégation
anthropologique préjudiciable au fonctionnement de la démocratie.
Luc Ferry, s'appuyant sur Marcel Gauchet, estime pour sa part que ce qui plus
que tout autre trait spécifique à nos espaces
démocratiques, ce qui fait obstacle au bon fonctionnement de la
démocratie, c'est la fin de l'enracinement des normes et des valeurs
collectives dans un univers théologique.
Par ailleurs, il sied de dégager d'autres
éléments plus nombreux qui expliquent que nos démocratie
soient en crise. Il y a quelques années (en1990), un processus
électoral démocratique a été interrompu par le
pouvoir algérien, car selon toute probabilité, il allait porter
au pouvoir u parti islamiste radical. On se souvient qu'Hitler lui-même a
accédé au pouvoir par les élections... On sait ce qu'il
est advenu par la suite... L'année 1989 a été
marquée par la chute du mur de Berlin. Deux ans après, la
démocratie avait théoriquement triomphé dans toutes les
nations de l'Est européen et dans toutes les républiques de
l'ex-URSS. Mais les rêves entourant l'accès à la
démocratie dans les pays de l'Est ne se sont-ils pas transformés
pour beaucoup en cauchemars ? En 2002, la France s'est offert une grande
frayeur quand un certain Jean-Marie Le Pen, leader populiste d'extrême
droite dont les valeurs semblent bien éloignées de l'idéal
démocratique est parvenu au second tour des présidentielles. La
démocratie peut-elle, doit-elle tolérer en son sein des
mouvements qui cherchent à la détruire et qui peuvent arriver au
pouvoir en utilisant les opportunités offertes par la démocratie
elle même ? Ce que Charles Benoist traduira par le
« n'importequisme ». On sait qu'en Angleterre,
pays de l'habeas corpus des mouvements islamistes radicaux pouvaient
en toute impunité et en toute légalité développer
leur propagande anti-démocratique et leurs discours poussant à la
haine et au terrorisme. Aujourd'hui, la nation phare de la démocratie,
les Etats-Unis, se sont lancés dans une offensive militaire en Irak,
sans l'aval de l'ONU et sans avoir réussi à convaincre ses
alliés au bien fondé de cette action. De même, les opinions
publiques sont désormais majoritairement opposées à un
conflit dont on comprend mal les raisons. En fonction de quelle
légitimité cette décision est-elle prise ? On pouvait
pourtant s'imaginer que dans un pays démocratique, la participation des
citoyens au calcul des coûts et des bénéfices d'une
solution violente allait freiner les ardeurs belliqueuses et que les
contraintes institutionnelles - notamment la séparation des pouvoirs
législatif et exécutif - ainsi que la complexité des
processus de prise de décision tendraient à limiter l'autonomie
et la marge de manoeuvre des dirigeants et donc les risques de
débordements arbitraires. Enfin, on pourrait espérer que la
culture politique qui est celle des démocraties inciterait à
rechercher une solution négociée transposant au niveau
international les normes, les règles et les procédures reconnues
comme valides privilégiant la tolérance, la négociation de
compromis et la recherche de consensus plutôt que la menace ou l'usage de
la force.
Ce fut la déception de plus d'un. On pouvait penser
que la guerre en Irak, allait faire émerger des personnes
désireuses de débattre sur le thème de la
démocratie, sur ses problèmes, ses paradoxes et ses
limites...Mais malheureusement, le sujet n'a pas fait déplacer les
foules. Si l'on en croit les réactions des uns et des autres, des
constats plus ou moins pessimistes voire désabusés, montreraient
la démocratie est en crise. Démocratie de quelle forme ?
Démocratie directe ou démocratie représentative ?
Nous constatons que dans les pays qui se disent démocratiques, qu'ils
soient de l'Occident ou du TIERS-MONDE, le pouvoir du peuple doit
nécessairement être délégué. Mais quelle est
la marge de manoeuvre des hommes politiques, des élus ? Certains
pensent que le vrai pouvoir est ailleurs, au niveau des décideurs
économiques, financiers, des experts... Entre pessimisme absolu et
optimisme relatif, il convient de rappeler cette phrase de Churchill qui
considérait la démocratie comme le pire des systèmes...
à l'exception de tous les autres. Si la démocratie porte en elle
de tels malaises, n'est- ce pas là tôt ou tard un mauvais signe
annonçant son requiem et le retour en force des vieux démons de
l'autocratie ?
CONCLUSION DE LA DEUXIEME
PARTIE
L'Etat démocratique est cette organisation
historique de la communauté où le gouvernement se
considère, et est considéré par les citoyens, comme tenu
à l'observation de certaines règles légales qui limitent
sa liberté d'action par l'intervention obligatoire d'autres institutions
et définissent ainsi les conditions de la validité des actes
gouvernementaux. En d'autres termes, dans l'Etat constitutionnel, la loi
règle et limite la liberté d'action du gouvernement. Il n'est pas
un système politique né ex nihilo. Il est un système qui
tire son origine des vieilles autocraties. La démocratie est, à
mon humble avis, le dépassement et le souci d'amélioration, de
rejet des caprices et autres inepties des autocraties. Son mode de
fonctionnement est centré sur le respect des lois et des
règlements en vigueur. Car dans la démocratie, nul ne peut
prétendre être au-dessus de la loi. Du gouvernement jusqu'aux
simples citoyens, tous sont tenus au respect et à l'application de la
loi fondamentale. De par ses caractéristiques propres, la
démocratie est un système politique qualifié de moindre
mal. Comme tout système de valeurs, la démocratie se constitue
dans une opposition à un mal qu'elle refuse et qu'elle tente par
conséquent de repousser. Il s'agit bien entendu de l'arbitraire, du
pouvoir despotique, de la dépendance envers les caprices ou les
volontés obscures des puissances en place. La démocratie veut, de
par ses principes, redonner à l'homme sa dignité, une
dignité longtemps bafouée par les régimes autocratiques.
Les conséquences de la démocratie sont la liberté
d'opinion, de parole, de pensée, de religion, la libre entreprise, la
stabilité politique fondée sur des élections
régulières, libres et transparentes. Le souci majeur de l'Etat
démocratique, c'est de favoriser l'esprit créateur en chaque
individu et de respecter ses droits naturels ainsi que la recherche, la bonne
gestion et la distribution équitable du Bien commun. Mais à
côté de ce souci, demeurent d'innombrables difficultés
auxquelles la démocratie est appelée à faire face et
à se corriger si elle veut assurer durablement son existence.
CONCLUSION GENERALE
Au terme de cette longue réflexion avec Eric Weil, il
convient de noter que l'Etat est une notion diversement perçue par les
hommes. En tant que communauté historique organisée, l'Etat est
capable de prendre des décisions. Il s'agit de décisions portant
sur ses actions, son fonctionnement, bref, des décisions qui engagent
son devenir ou sa destinée. L'Etat est le produit et l'invention de la
rationalité de l'homme, car l'homme, voyant qu'il ne sera toujours assez
fort pour être toujours le maître, a eu l'idée d'une telle
institution pour garantir sa sécurité personnelle et celle de ses
biens. En d'autres termes, l'Etat n'est pas né par un coup de baguette
magique. Il est le fruit d'un long processus, qui s'est
révélé finalement prometteur et a atteint ses buts. Dans
ce cadre du processus, il apparaît clairement qu'avant de parvenir
à ce que nous appelons de nos jours Etat, l'homme est passé par
d'autres organisations intermédiaires qui sont entre autres la famille,
la tribu, de la morale à la communauté, de la
société à l'Etat proprement dit. Etant instauré,
l'Etat comme nouvelle organisation politique et rationnelle de la
communauté historique s'est donné pour tâche d'assumer un
certain nombre de rôles ou fonctions et ce pour les intérêts
généraux et particuliers de la communauté historique. Ces
rôles sont d'une part, la défense du territoire et des
intérêts généraux et vitaux de la communauté
particulière contre les dangers qui la menacent soit de
l'intérieur, soit de l'extérieur, la garantie de la paix et de la
sécurité de l'individu, etc.
Pour finir, je dirai que l'Etat tout en étant le fruit
d'une longue organisation, est un processus dynamique qui évolue dans le
temps et dans l'espace. Parler de l'Etat, c'est parler d'un tout complexe qui
implique divers paramètres. L'Etat ne se réduit pas seulement au
gouvernement. L'Etat, c'est tout le monde. Donc, l'Etat est plus que nous
pensions, et c'est sans lui, règnerait un perpétuel état
de nature, un état qui pourrait être caractérisé par
la vengeance, la guerre de tous contre tous, où l'homme serait un loup
pour l'homme. Contrairement à d'aucuns qui considèrent l'Etat
comme un mal, comme une institution détestable qui prive l'homme de ses
droits naturels, je dirai plutôt que l'Etat est un moindre mal. Il est un
moindre mal, parce qu'il est institué par le consentement de tous qui
confient leurs droits à une autorité alors qu' en retour cette
dernière a pour tâche de sauvegarder leurs droits dans le cadre
d'institutions justes et légitimes. Ces institutions, pour que leur
justice et leur légitimité acquièrent la confiance des
contractants, doivent, dans l'exercice de leurs tâches, être
impartiales pour ne pas créer des frustrations qui constituent une
menace pour l'existence même de l'Etat.
L'Etat démocratique est cette organisation historique
de la communauté où le gouvernement se considère, et est
considéré par les citoyens comme tenu à l'observation de
certaines règles légales limitant sa liberté d'action et
comme requérant l'intervention obligatoire d'autres institutions
définissant les conditions de validité des actes gouvernementaux.
En d'autres termes, dans l'Etat démocratique, la loi règle et
limite la liberté d'action du gouvernement. Il n'est cependant pas un
système politique né ex nihilo. Il est un système qui tire
son origine des vieilles autocraties. Sa devise est centrée sur le
respect des lois et règlements en vigueur. Car dans la
démocratie, nul ne peut prétendre être au dessus de la loi.
Du gouvernement jusqu'aux simples citoyens, tous sont tenus au respect et
à l'application de la loi fondamentale. De par ses
caractéristiques propres, la démocratie est un système
politique qualifié de moindre mal. Comme tout système de valeurs,
la démocratie se constitue dans une opposition à un mal qu'il
refuse et qu'il tente par conséquent de repousser. Il s'agit bien
entendu de l'arbitraire, du pouvoir despotique, de la dépendance
à l'égard des caprices ou les volontés obscures des
puissances en place. La démocratie veut, de par ses principes, redonner
à l'homme sa dignité, une dignité longtemps bafouée
par les régimes autocratiques. Les conséquences de la
démocratie sont la liberté d'opinions, de parole, de
pensée, de religion, la libre entreprise, la stabilité politique
fondée sur des élections régulières, libres et
transparentes. Le souci majeur de l'Etat démocratique, c'est de
favoriser l'esprit créateur en chaque individu et de respecter ses
droits naturels ainsi que la recherche, la bonne gestion et la distribution
équitable du Bien commun. Mais à côté de ce souci,
demeurent d'innombrables difficultés auxquelles la démocratie est
appelée à faire face et à se corriger si elle veut
assurer durablement son existence.
BIBLIOGRAPHIE (*)53(*)
A - OEuvres d'ERIC
WEIL
ERIC WEIL, Philosophie politique, Paris, J. Vrin,
1984.
, Philosophie morale, Paris, J. Vrin ,
1961.
, Logique de la philosophie, Paris, J.
Vrin, 1950.
, Essais et Conférences, tome II,
Paris, Plon, 1970-1971.
B - Etudes sur ERIC WEIL
CANIVEZ P. , Eric Weil ou la question du sens,
ellipses, Paris, collection « Philo-philosophes, 1998.
C - OUVRAGES DIVERS
ARISTOTE, La politique, traduction de J. Tricot,
Paris, édition J.Vrin, 1995
G. LEBRETON, Libertés publiques et droits de
l'homme, Paris, Armand Collin, Collection U, 1995.
M.TROPER, Sur le concept d'Etat de droit, Droits,
Paris, n°15, 1992.
MALOUX M. , Dictionnaire des proverbes, sentences, et
maximes, Librairie Larousse, Paris.
KANT E. , Qu'est-ce que s'orienter dans la
pensée ?, Commentaire, traduction et notes par Alexis
Philenko, Paris, J.Vrin, 1959.
KELSEN H. , Théorie pure du droit,
traduction C.Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962.
CHEVALIER,J., L'Etat de droit, Collection CLES,
3è édition, Montchrestien, Paris, 1999
LAVIGNE P. , Article in Encyclopaedia Universalis,
corpus 7, 1999.
Table des matières
Introduction générale
1
PREMIERE PARTIE : DE L'ETAT
5
Chapitre 1 : Approche weilienne de la
notion de l'Etat
6
Introduction
6
I.2 - La conception weilienne de l'Etat
6
II - Les types d'Etat moderne chez Eric Weil
9
Chapitre 2 : Du processus historique
de l'institution de l'Etat
10
Introduction
10
1 - La genèse de l'Etat
10
1.1 - De la morale à la
communauté
10
1.2 - De la Société à
l'Etat
14
CONCLUSION DE LA PREMIERE
PARTIE
19
DEUXIEME PARTIE : DE l'ETAT
DEMOCRATIQUE
22
Chapitre 1 : La
démocratie : l'approche weilienne de l'Etat constitutionnel ou
démocratique
23
Introduction
23
I - La démocratie
24
I.1- Approche étymologique de la notion
24
I.2 - La démocratie selon Eric Weil
26
I.3 - Les raisons de la démocratie
28
II - La notion d'Etat démocratique
30
II.1 - L'analyse de l'Etat démocratique
selon Eric Weil
30
II.2 - Etat démocratique : Etat
né ex nihilo ou rejeton des vieilles autocraties ?
32
II.3 - Son mode de fonctionnement
34
Chapitre 2 : Les
caractéristiques de l'Etat démocratique
36
Introduction
36
I - Les caractéristiques de l'Etat
démocratique
36
I.1 - La séparation des pouvoirs
37
I.1.1- Le pouvoir exécutif
37
1 .1.2 - Le pouvoir législatif
38
1.1.3 - Le pouvoir judiciaire
40
I.1.4 - L'Etat de droit
42
Chapitre 3 : Les faiblesses de la
démocratie
51
CONCLUSION DE LA DEUXIEME
PARTIE
56
CONCLUSION GENERALE
57
BIBLIOGRAPHIE (*)
60
Table des matières
61
* 1 Eric Weil, Philosophie
politique, Paris, J.Vrin, p.70.
* 2 Eric Weil n'utilise pas le
terme d'Etat démocratique. Il parle d'Etat constitutionnel. Mais
après une lecture sérieuse de son livre Philosophie
politique, l'Etat démocratique chez Eric Weil correspond, pour moi,
à ce qu'il appelle l'Etat constitutionnel. La description qu'il fait de
l'Etat constitutionnel est celle que nous reconnaissons aux Etats que nous
qualifions de nos jours d'Etats démocratiques.
* 3 Eric Weil, Philosophie
politique, Paris, J.Vrin, 1984, p.142
* 4 Idem, p.131.
* 5 Idem, p.132
* 6 Patrice Canivez, Eric
Weil ou la question du sens, Philo-philosophes, collection dirigée
par Jean-Pierre Zarader, Paris, Ellipses / édition Marketing S.A., 1998
* 7 Eric Weil, Philosophie
politique, Paris, J. Vrin, 1984, p.70
* 8 Eric Weil, op.cit, p.34
* 9 Eric Weil, idem ,
pp.37-38
* 10 Cette théorie est
pour l'essentiel exposée dans deux textes. D'une part, elle est
développée dans la Philosophie politique, dans les
paragraphes 11 à 14 ( Cf Eric Weil , Philosophie politique ,
Paris, Vrin, 1956) . D'autre part, Eric Weil y consacre un texte de 1968
intitulé « Du droit naturel » qui est repris dans le
premier tome des Essais et Conférences, Paris,
Plon,1970, réédité depuis aux éditions Vrin.
* 11, idem p.38
* 12 Eric Weil, Logique de
la philosophique, Paris, J Vrin, 1950, p.148
* 13 Eric Weil, philosophie
politique, p.62
* 14 Ibidem
* 15 Eric Weil, idem, p.93
* 16 Idem, p.103
* 17 Idem, p.131
* 18 Eric Weil, Essais et
Conférences, Paris, Plon, 1971, p.366.
* 19 Eric Weil, Essais et
Conférences
* 20 Aristote, La
politique, livre VI, 4, 14, Paris, J. Vrin, 1995, pp.438-439
* 21 Eric Weil, idem, p.173
* 22 Idem, pp.172-173
* 23 Ibidem
* 24 Idem, p.157
* 25 Ibid
* 26 Idem, p.161
* 27 Idem, p.163
* 28 Idem, p.164
* 29 Idem, p.158
* 30 Idem, p.159
* 31 Idem, p.174
* 32 Op.cit
* 33 Eric Weil, Essais et
Conférences
* 34 L'Etat constitutionnel au
sens de l'Etat démocratique, tel que je l'ai déjà
évoqué dans les pages précédentes.
* 35 Eric Weil, Philosophie
politique, p.167
* 36 Idem, p.169
* 37 Cf. La
politique, Paris, Vrin 1977.
* 38 Cf. Hans. Kelsen,
Théorie pure du droit, traduction C. Eisenmann, Paris, Dalloz,
1962.
* 39 Voir à ce sujet J.
Chevalier, L'État de droit, Paris, Monchrestien 1992.
* 40Idem, p.143
* 41 Ibid
* 42 Idem, p.144
* 43 G. Lebreton,
Liberté publiques et droits de l'homme, Paris, Armand Colin, Coll
. U, 1995, p.24
* 44 Eric Weil,, op.cit,
p.158
* 45 M. Troper, Sur
le concept d'Etat de droit, Paris, Droits, 1992, n°15, p.59
* 46 Idem, p.203
* 47 Ibid
* 48 Maurice Maloux,
Dictionnaire des proverbes, sentences et maximes, Larousse-Paris
Montparnasse et 1960, p. 136
* 49 E. Kant, Qu'est-ce que
s'orienter dans la pensée ?, Commentaire, traduction et notes
par A. Philonenko, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1959, p.86
* 50 Article de Pierre Lavigne,
in Encyclopaedia Universalis, corpus 7, 1993, p.714
* 51 Eric Weil, Essais et
Conférences, op.cit, p.356
* 52 Marcel Gauchet est
l'auteur d'un livre dont le titre est : La démocratie contre
elle-même, Paris, Gallimard.
* 53 Ne sont
répertoriés que les oeuvres que j'ai utilisées pour mon
travail
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