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La construction sociale de la notoriété et de la reconnaissance comme enjeu d'une minorité: le cas d'un fan-club


par Estelle Couture
Université de Provence - DEA Sociologie 2006
  

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Réflexions sur l'exhaustivité

Plus un discours est exhaustif et plus il tend vers l'objectivité ; plus il sélectionne les informations à verbaliser et plus il encourt le risque de passer pour subjectif, ce constat est très marquant dans l'étude de la presse. Or, l'absence porte sens comme la présence201(*). Il faudra donc nous intéresser à ce qui est dit mais aussi à ce qui ne l'est pas de manière explicite ou implicite. Etre exhaustif ne veut pas dire, tout dire sur tout, mais dire tout et seulement ce qui, dans une situation donnée et compte tenu des savoirs préalables des énonciateurs, est pertinent sur un sujet donné, et par rapport à cette norme informationnelle, peuvent se mesurer des écarts aussi bien positifs (informations superfétatoires et « déplacées ») que négatifs (informations lacunaires).

Nous avons donc opté pour une analyse qualitative de l'énonciation plutôt qu'une analyse quantitative dont nous n'avons jugé la réelle pertinence, que ce soit pour les messages du forum ou pour les entretiens. Il nous a semblé plus juste qu'une analyse continue ainsi que les articulations pouvaient nous montrer la conscience, l'évidence et le côté communautaire du groupe étudié. En effet, il n'est pas certain que l'on y trouverait une signification statistique. Il convient donc plutôt de s'attarder sur les « échappées de l'inconscient202(*) », annoncées et véhiculées par les indications fournies, leur forme, les nominations...etc...tout ce que l'on pourra trouver de subjectif dans l'énonciation, voire même dans l'argumentation. Il ne s'agit pas de comptabiliser ou de classifier mais de « reconstituer le puzzle d'un sens » en s'attardant également sur les thématiques mises en scène, puisque le discours est le résultat d'une construction203(*), surtout lorsqu'il est écrit et en situation d'entretien.

Ce qui n'est pas dit, a une aussi grande importance que ce qui surgit involontairement, et ce qui surgit involontairement a plus d'importance que l'expression volontaire. On y trouvera plus de vérité que dans la parole réductible à la conscience et à la logique. Les distinctions entre ce qui est explicite et ce qui est implicite204(*) dans le discours, ainsi que ce qui est tu, latent et ce qui est dit, ont ici toute leur importance.

Au fil de l'analyse se sont rajoutés d'autres éléments qui nous ont paru pertinents, comme notamment la manière dont se désigne le groupe, la manière dont les membres du forum se désignaient entre eux, les mots ou expressions inventés par les membres qui peuvent constituer une sorte de vocable propre au groupe, mais aussi les différentes expressions de la solidarité. Il faudra cependant se demander, compte tenu de notre interrogation, si ce système de valeurs « solidaires » est propre à un groupe de fans, un mouvement lesbien naissant ou plus généralement aux jeunes adolescentes, dont nous avons constaté la majorité sur ce forum.

De plus, nous avons tenté de prendre en considération les différentes étapes de la carrière de la chanteuse dans l'analyse des messages. Certains thèmes apparaissaient au début du forum, à son ouverture, puis ont totalement été rendus tabous, c'est notamment le cas pour l'homosexualité, thème qui nous intéresse particulièrement ici.

6. L'analyse de contenu appliquée aux entretiens 

Nous avons appliqué une analyse linguistique de l'énonciation aux messages constituant la première partie de notre corpus. Une telle analyse peut également s'appliquer aux entretiens, même si le discours oral est plus spontané que le discours écrit, les tournures énonciatives utilisées par les enquêtés peuvent aussi être décomposées et nous fournir des indications. Cependant, c'est l'analyse de contenu thématique qui a été mise en oeuvre pour les entretiens afin d'extraire les éléments pertinents pour l'objet de notre recherche, ils prendront alors le statut d'indices205(*). Ces données permettent ainsi la confrontation des hypothèses aux faits et viennent consolider ou infirmer les premiers résultats obtenus grâce à l'analyse des messages interactifs du forum de discussions.

Cette analyse s'est effectué sur l'ensemble de notre corpus, c'est-à-dire, l'ensemble des discours produits par les interviewés et l'enquêteur, retranscrits de manière littérale206(*). Nous rappelons que ce discours est une production et non une donnée, il est largement pré-fabriqué et co-construit par l'interaction, et les biais qu'elle peut engendrer, comme par exemple l'influence que l'enquêteur peut avoir sur les enquêtés, même si nous avons essayé de créer un climat de confiance et de connivence avec les personnes que nous avons interrogées. Les discours sont retranscrits et ce sont ces matériaux écrits que nous avons tenté de « faire parler, après avoir fait parler les interviewés »207(*).

Découper l'entretien par thèmes revient à ne pas tenir compte de la logique cohérente et chronologique du discours. Nous opérons des découpes transversales permettant d'organiser l'analyse de chacun de nos entretiens en différents thèmes. Nous avons donc recherché une « cohérence thématique inter-entretien »208(*). Cette méthode s'est révélée efficace surtout lorsque nous avons eu à interroger les discours recueillis par messagerie instantanée, étant donné la faible architecture constructive de ces discours209(*). L'identification des thèmes et la construction de ce qui pourrait être une grille d'analyse s'effectuent à partir de nos hypothèses de départ qui peuvent éventuellement être reformulées après la lecture et la confrontation des entretiens. Dans notre cas, cette grille d'analyse correspond à notre guide d'entretien qui avait préalablement été conçu selon certains thèmes que nous voulions alors aborder avec les personnes interrogées.

CHAPITRE III) LA RECONNAISSANCE MEDIATIQUE ET VIRTUELLE : ENJEUX D'UNE CULTURE JUVENILE ACTUELLE ?

Les études sur la sociologie des publics et de la réception se sont souvent centrées sur la télévision. De plus, les enquêtes sur les pratiques culturelles des français210(*) ont montré que la télévision était la première source d'occupation en la matière : 96% des foyers sont équipés d'un téléviseur, 77% des personnes la regardent tous les jours, et la durée d'écoute moyenne est de 21 heures par semaine. Ces études font apparaître que la multiplication des programmes rend l'écoute de plus en plus individualisée, chaque membre de la famille regardant ses émissions, ses programmes. Cette individualisation se poursuit avec le déploiement des nouvelles pratiques médiatiques et aux nouveaux modes de communication à distance, principalement Internet. La consommation dite culturelle, même de masse, s'individualise et les premiers touchés sont les jeunes, malgré le fait que ce sujet reste peu abordé dans les travaux sur la jeunesse. Ce phénomène est à l'origine de, ou a été entraîné par, l'autonomie croissante que les jeunes acquièrent au détriment de la socialisation familiale : « plusieurs indices semblent montrer que l'autonomie culturelle des jeunes, c'est-à-dire le fait d'affirmer des goûts et des fréquentations en partie indépendants des normes et des choix familiaux, se manifeste de plus en plus précocement »211(*). Ce contrôle de moins en moins pesant des parents s'est effectué en faveur de la culture de masse qui joue désormais un rôle grandissant dans la construction identitaire des adolescents, tout comme l'organisation des sociabilités juvéniles qu'elle entraîne. La création d'un groupe de fans qui constituent notre population d'enquête s'inscrit, au départ, dans ce processus. Nous qualifions nos enquêtés de « jeunes », l'âge moyen étant de 21 ans au moment de l'analyse, qui se trouve être aussi l'âge de la chanteuse.

Nous avons élargi la reconnaissance médiatique à la reconnaissance virtuelle car il semble d'après nos résultats que le réseau de fans auquel nous nous sommes intéressés sur Internet ait, comme nous l'avons vu, des fonctions expressives comme l'affinité et l'amitié et des fonctions instrumentales comme la solidarité et l'entraide, qui nous semble être des notions importantes dans le processus de reconnaissance, dont un des enjeux les plus importants chez les jeunes aujourd'hui est la sexualité212(*).

I ) LES MEDIAS : VECTEURS D'UNE CONSTRUCTION IDENTITAIRE INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE

A l'ère de la communication, les médias bénéficient d'un poids symbolique non négligeable, ils servent notamment à définir et banaliser des réalités sociales213(*). La télévision par exemple, offre une expérience collective, elle est un support pour les interactions sociales. Elle s'insère dans le tissu social pour y redéfinir des identités. Les téléspectateurs d'un programme peuvent avoir le sentiment d'appartenir à une communauté imaginée214(*). Ainsi, ce que l'on regarde à la télévision nous inscrit dans un groupe social ou nous en exclut215(*). Les programmes de télé-réalité ont pris beaucoup de poids dans le paysage télévisuel français, même si aujourd'hui les audiences s'essoufflent. Cependant, ils permettent de constituer des groupes de soutien pour les différents candidats, et donc des sortes de groupes éphémères défendant ce que nous pourrions appeler des « intérêts communs ». Chaque participant des émissions de télé-réalité va représenter un certain type social auquel le public peut facilement s'identifier, et notamment le public jeune qui nous intéressent plus particulièrement ici. Autour de ce mouvement s'organise une sociabilité, qui prend son essor, nous l'avons vu, sur Internet. Cette scène des interactions à distance semble occuper aujourd'hui une place très importante dans la régulation de la sociabilité juvénile216(*). Elle possède certains éléments propres aux scènes intimes, comme la possibilité de se confier, le dévoilement de soi ou encore le droit de se montrer différent. Le point d'équilibre entre la singularité et le conformisme de « l'être fan de » réside dans le fait de trouver des semblables, un groupe à intégrer permettant de partager avec d'autres les expériences liées d'une part au fanatisme et d'autre part, dans ce cas, liées aussi à d'autres paramètres que nous avons tenté de mettre au jour. La passion n'est donc pas seulement une affaire d'individualisation, elle est aussi prétexte à relations sociales217(*).

1. Les médias comme diffuseur de modèle et de ressources identitaires

Le fait de s'intéresser à une participante d'une émission de télé-réalité, implique de travailler également sur ce programme télévisé et par conséquent sur son public avant même de parler de fans. Dans ce sens l'étude de D.Pasquier218(*) sur l'expérience télévisuelle des adolescents à travers l'exemple de la série « Hélène et les garçons » peut nous éclairer. Nous ne pouvons pas véritablement comparer ces deux genres de programmes, cependant ils se recoupent en ce qu'ils sont tous deux destinés à un certain public, bien que Star Academy semble touchée un public plus large, du fait notamment de son horaire de programmation (en prime time le samedi ou le vendredi soir), mais les deux programmes sont plutôt féminins. Ce constat se vérifie au sein du fan-club d'Anne-Laure, où 94% des membres sont des filles, à cela il faut ajouter que les fan-clubs font plutôt partie des préoccupations féminines pour ne pas se laisser trop influencer par ce chiffre. La télévision est un support important à l'expression de soi chez les filles219(*) et elle donne lieu à des échanges notamment au sein du groupe de pairs. Ces échanges permettent de parler de soi sous couvert d'un personnage du petit écran, que ce soit dans une série ou dans une émission, d'affirmer des préférences ou de porter des jugements moraux. Les programmes de télévision se révèlent être des supports particulièrement utiles pour exprimer les identités personnelles.

« Hélène et les garçons » est une fiction mettant en scène des personnages qui suivent un scénario évoquant généralement les rapports entre les sexes, Star Academy doit aussi être appréhendée comme une fiction, dont les candidats sont des acteurs du quotidien et qui répondent à un certain nombre de critères auxquels chaque téléspectateur potentiel pourra se rattacher. Le fait de voir les comédiens de sitcom, ou les candidats d'une émission de télé-réalité comme Star Academy de façon quotidienne donne au public un sentiment de familiarité. On peut suivre le déroulement de leur journée, vivre leur joie, leur peine, vivre avec eux le moment de leur nomination (chaque semaine, 3 élèves sont nominés à la Star Academy, et le soir du prime time, un est éliminé selon les votes du public tout au long de la semaine) et bien sur leur départ. Il peut ainsi se créer comme le signaler D.Pasquier à propos des personnages de la série, une amitié télévisuelle. La télévision est organisée pour créer un climat de proximité avec le téléspectateur220(*). Ainsi toutes les personnalités que l'on retrouve sur le petit écran font partie de l'existence quotidienne. Cette amitié n'est pas irrationnelle, elle est sans doute nécessaire à certain à un moment donné, elle s'inscrit dans une communauté passagère, fugitive, transitoire dans un moment de la vie. Quand les personnages ne jouent plus ce rôle, ils sont oubliés pour d'autres ou désertés, c'est cette dernière solution qui est le plus à l'oeuvre quand l'adolescent grandit. Dans notre cas, nous avons fait l'hypothèse qu'Anne-Laure, en ayant fait son coming-out, a pu tenir ce rôle, ce rôle d' « amie qui nous ressemble » pour des jeunes (ou moins jeunes) filles en pleine découverte de leur homosexualité. Elle en a d'ailleurs tout à fait conscience : « Il y a plein de petites puces en France qui m'écrivent des lettres, qui ne se sentaient pas bien, qui ont regardé la télévision et que j'ai pu aider »221(*).

De plus, les termes que les membres du fan-club utilisent pour évoquer ce que leur a apporté Anne-Laure correspond tout à fait au rôle de planche de salut qu'elle a pu jouer ; Anne-Laure les aurait aidées à « s'assumer », « survivre » ou « remonter la pente », et elles n'hésitent pas à employer des expressions sur le thème du secours et de la révélation222(*) :

o « Sans elle, je ne serais pas là »

o « Grâce à elle, j'ai une nouvelle vie rayonnante »

o « Grâce à elle, j'ai eu un déclic »

o « Grâce à elle, j'ai appris à ne plus vivre cachée »

o « Elle m'a permis d'assumer des amours différentes ».

Un des constats que nous avons pu faire en majorité lors de l'analyse des entretiens, est celui la représentativité que les enquêtées ont évoqué en utilisant des mots comme « modèle », « identifier », « se reconnaître », « se sentir proche », « mode d'emploi » pour parler d'Anne-Laure. Cela peut valider l'hypothèse de l'identification comme un des usages sociaux de certains programmes télévisés, malgré le fait que les personnes interrogées ont conscience que les producteurs de ces émissions savent savamment orchestrer des stratégies de mise en proximité223(*) avec le public. Le personnage d'Anne-Laure est constitué pour certaines, en modèles de vie : il faut lui ressembler pour arriver à être soi : « J'ai fait la même chose quand Mauresmo l'a dit, il y a quelques années. Ca aide forcément parce que tu peux te cacher derrière quelqu'un en disant « Y'a pas que moi, y a pas que moi, et en plus elle est bien, elle est pas droguée, elle est pas ceci ou cela... » »224(*). De cette façon, le fan-club d'Anne-Laure pourrait jouer un rôle important dans la reconnaissance de l'homosexualité de ces jeunes filles. Ainsi, pour « apprendre à être lesbienne » au sens très primaire du terme c'est-à-dire dans un premier temps pour apprendre à se reconnaître en tant que telle et à s'assumer (pour reprendre les mots employés par certaines), les jeunes filles ont recours comme les jeunes filles hétérosexuelles - si l'on peut se permettre cette classification normalisatrice - à des modèles, des images positives que l'on veut bien leur donner à voir. C'est ainsi que peut naître le fan, mais l'identification à une célébrité peut se faire par rapport à ses oeuvres, à sa propre vie et à son physique225(*). Anne-Laure aurait donc pu poser les limites d'une mode vestimentaire et comportementale de la nouvelle génération de lesbienne, c'est-à-dire celles qui ont son âge et qui représentent la majorité du forum de discussions. En effet, l'apparence physique et vestimentaire de la chanteuse a été suivi de prés par les fans, allant même jusqu'à servir de référence en matière de sexualité :

o « Moi, je préférais nettement quand elle avait son look sportwear...elle faisait plus homo...plus proche de nous... »226(*)

o « Je trouve qu'elle a parfois l'air ridicule dans ses nouvelles tenues...elle veut se la jouer féminine mais bon...moi je trouve que ça lui va pas... »227(*)

Ces messages font donc clairement référence à l'homosexualité ; ainsi, en plus de jouer le rôle de modèle au sens physique du terme, elle a pu jouer un rôle de modèle au sens moral et c'est en ce sens que les fans disent qu'elle leur a apporté de l'aide. Les fans pouvant s'inspirer des réflexions de leur idole pour construire leurs propres opinions, il n'est pas impossible qu'Anne-Laure ait servi également de révélateur. De cette façon, pour certaines, admirer Anne-Laure a pu être un moyen pour affirmer ses choix, sa personnalité propre : prendre parti pour ou contre Anne-Laure peut être considéré comme un révélateur de l'homosexualité de la personne dans l'opinion générale et publique, notamment au sein du groupe de pairs et au sein de la cellule familiale ; c'est en tout cas, ce que rapportent certains messages que nous avons étudiés et sur lesquels nous reviendrons.

L'affirmation identitaire devient une explication de la conduite des publics228(*) ; et comme nous l'avons déjà souligné nos identités ne sont pas construites seulement par notre origine sociale et nos moyens économiques229(*). Ainsi pour chaque téléspectateur, la relation à un programme se joue sur deux registres à la fois : comme mode de consolidation du soi et comme mode d'affirmation du soi pour les autres230(*).

2. Internet comme vecteur d'autonomisation « sexuelle »

De plus en plus et de plus en plus tôt, l'enjeu de l'adolescence se situe au niveau du corps qui se sexualise. Et beaucoup de jeunes d'aujourd'hui231(*), jugent et jaugent leur corps et leur sexualité à l'aune des « miroirs médiatiques »232(*), parfois déformants, parfois complaisants, parfois stéréotypant, parfois insuffisant. Internet apparaît comme une véritable technologie sociale233(*). Les jeunes se racontent, se mettent en mots, en images, en scène. Les nouvelles technologies font écran devant cette sorte de tension identitaire que les adolescents vivent, et permettent de contrôler l'image que l'on donne de soi de façon autonome. A travers Internet, les jeunes cherchent de profonds besoins d'appartenance, de reconnaissance et de différenciation. L'identité se forgeant ainsi en permanence par une auto-réflexivité qui permet de se raconter sa propre histoire et d'en réaffirmer sans cesse la cohérence234(*). En instaurant une interactivité, Internet devient l'endroit approprié pour mettre à l'épreuve cette réflexivité, comme cela a pu être le cas pour des émissions de radio comme « Lovin'Fun » où les auditeurs exposaient à l'antenne leurs difficultés au niveau sentimental ou sexuel235(*). Inciter les individus à se confier revient à un besoin de dialogue et de reconnaissance, dans la mesure où l'on ne peut découvrir son identité qu'en la négociant dans le dialogue.

Les messageries instantanées constituent un immense champ d'expression et d'expérimentation de la parole sur autrui, à un âge où on construit son identité. L'écran permet des audaces que les jeunes ne s'autoriseraient peut être pas aussi facilement dans le réel, il lève les inhibitions et libère les convenances sociales et de leurs peurs propres à cette période de la vie236(*). Toutes nos enquêtées ont évoqué leur présence régulière sur Internet à travers des messageries instantanées comme MSN Messenger237(*) en y accordant souvent simplement une attention phatique, c'est-à-dire, parler pour parler, pour maintenir et renforcer le lien en s'inscrivant dans une certaine tyrannie du branchement, du sentiment de connexion, une obsession du lien : le fait de recevoir un mail, ou une réponse à un message que l'on aurait posté sur le forum de discussion peut apparaître comme une caresse à l'égo238(*) : « Oui, je suis connectée en permanence, mais je ne suis pas toujours vraiment présente...mais ça me permet de surveiller si quelqu'un se connecte etc... »239(*).

L'ordinateur connecté au réseau Internet offre à chacun, et notamment à ceux en quête d'autonomie et en phase d'élaboration identitaire (ici les jeunes de notre enquête), la possibilité de construire ou de faire vivre des liens échappant largement au contrôle du groupe des pairs et à celui des parents240(*). Les jeunes adolescents vivant chez leurs parents et utilisant l'ordinateur familial ont mis en place de nombreuses stratégies d'individualisation : possession de répertoires ou de dossiers réservés, propre code d'accès, adresse e-mail personnelle, nettoyage systématique de l'historique des sites après usage241(*). Cette « autonomie relationnelle »242(*) permet de saisir différentes utilisations d'Internet selon des variables, comme la plus ou moins grande sociabilité de l'individu ou le niveau plus ou moins élevé de contrôle parental. Nos résultats ont montré qu'Internet peut constituer une fenêtre ouverte sur l'extérieur, une ouverture improbable que n'offre pas le monde réel mais aussi une sorte d'échappatoire, un refuge, une fuite hors du monde. Ce constat revient souvent dans nos entretiens, en particulier quand les jeunes sont en conflit avec leurs parents ou leur groupe de pairs à qui ils ne peuvent pas parler de leur passion pour la chanteuse. En effet, une des expériences communes qui revient souvent dans le fil des messages est que la façon dont l'entourage appréhende le fait de défendre et d'admirer une candidate lesbienne plutôt qu'une autre. Certains ont tendance à faire l'assimilation « fans d'Anne-Laure = lesbienne »243(*), constat qui n'est pas forcément faux dans la plupart des cas étudiés ici, mais cela peut être vu par l'entourage comme un coming-out indirect244(*) :

o « Mes parents m'ont dit que j'avais 5 ans d'âge mental pour la Star Ac puis après pour Choupi, c'était le pompom, en plus ils apprécient pas trop sa différence, ils pensent que je la cultive aussi »

o « Elle est cool Anne-Laure mais je te laisserais passer toute une nuit avec elle »

o « J'veux pas Anne-laure comme beau-fils »

o « Ma famille ne comprend comment on peut adorer une personne qui a cette différence »

o « T'adore Anne-Laure alors t'as la même différence qu'elle »

o « Moi, ma mère l'aimait bien jusqu'au moment où elle a su que j'étais ... »

o « Mon père est homophobe »

o « Mon mari se fout de moi d'apprécier une camionneuse »

o « Anne-Laure=lesbienne. Je déteste cette mentalité. On me traite aussi de lesbienne, alors je réponds que oui, et on me regarde comme si j'étais bizarre »

Au sein de la famille, les enquêtés se construisent des espaces objectifs et symboliques d'intimité nécessaires à une certaine autonomie. Le repli sur une sorte de communauté virtuelle permet d'accéder à un espace privé où le contrôle familial n'existe quasiment pas, même si cette pratique nécessite l'achat d'un ordinateur, le plus souvent aux frais des parents : « Etant donné que je ne suis pas sur mon propre ordinateur et que je suis un peu pudique, je me débrouille pour laisser le moins de traces possibles...je vois mal laisser mon frère accéder à des sites homos...même s'il est au courant...je ne sais pas c'est une sorte de respect...[...]...j'ai des espaces de liberté [...] quand je suis enfermée seule dans ma chambre. Le net n'est pas pour moi un espace de liberté mais je le considère parfois comme un moyen d'évasion »245(*).

3. La création de collectifs entre marginalité et conformisme

Nous trouvons sur Internet, et suivant notre analyse, des sites dits personnels (ou blogs) où s'expriment les passions individuelles et des sites de minorités actives ou de groupes d'affinités où s'expriment les passions collectives. Cet effet de rupture et d'isolement et cet effet de création et de formation de « groupes » ou encore de « tribus » sont complémentaires. En effet, le relâchement ou la dissolution des liens sociaux traditionnels permet une recomposition du social, un « nouveau tissage de la sociabilité »246(*). Ils permettent à la fois de s'affirmer individuellement tout en recherchant une agrégation à un groupe, afin de valider une certaine reconnaissance, notamment au niveau des passions ou encore au niveau d'une certaine identité revendiquée. Nous avons pu constater que la formation des groupes sur Internet s'effectue sur des bases très sélectives d'appartenance identitaires.

Cependant, malgré la relative marginalité que les individus, en particulier les jeunes, mettent en avant dans la recherche de collectif, le groupe reste construit selon des normes sociales, propres au réseau Internet. Les membres doivent utiliser un langage spécifique, respecter des règles de savoir-vivre propres au groupe et, dans les forums de discussions, ne pas s'écarter des thèmes fédérateurs sous peine d'exclusion247(*) ; nous avons retrouvé ces constats dans l'étude du forum de discussions qui nous intéresse ici ; nous verrons plus après que les règles du fan-club sont assez strictes. La vie sociale alternative qu'offre Internet n'est donc pas complètement dégagée des contraintes et des tabous du monde réel. En effet, même si les adultes et parents ont un pouvoir moindre sur les différents choix des jeunes, le groupe de pairs vient exercer une certaine pression sociale sur ses membres. Les groupes dictent des codes, et le ridicule et la marginalisation guettent ceux qui refusent de les suivre. Ce sont souvent des mises en scène qui sont destinées à faciliter l'intégration dans un groupe plutôt que de véritables goûts personnels248(*). Si le groupe de pairs est un espace de découverte et d'autonomisation, il se pose également comme un lieu de contrôle et de régulation sociale. Le collectif prend des fonctions de régulateur dans le processus de construction identitaire, mais contraint également les membres à se conformer à certains codes, certaines règles auxquels il faut se plier pour en faire parti.

Les groupes qui se créent sur Internet répondent à des codes distinctifs fondant une communauté virtuelle, comme nous l'avons définit précédemment. Au coeur de ces groupes, se trouvent très souvent des fondements idéologiques mais aussi marchands. Il ne faut pas oublier la valeur mercantile que représentent les sphères numériques d'Internet. Ainsi, certains portails Internet dits communautaires ont des visées plus commerciales et spéculatives destinées à des groupes en particulier249(*) : nous prendrons ici le cas des sites de rencontres pour gays, qui moyennant un abonnement, permettent de dialoguer, voire de faire des rencontres.

Les jeunes présents sur Internet veulent à la fois se différencier, se singulariser mais parallèlement ils sont régis par des logiques puissantes d'appartenance et d'identification au groupe. Les opérateurs et les publicitaires l'ont bien compris : ils vendent de la « communauté » ou de la « tribu ». Ainsi la notion de « club » est omniprésente sur les pages d'accueil de leurs sites commerciaux250(*) ; comme par exemple, les opérateurs de téléphonie mobile251(*). Plus généralement c'est l'idée de « tribu numérique » qui est omniprésente, un espace hors du temps et de l'espace qui échappe aux contraintes familiales. Cette « nouvelle culture », si l'on utilise les termes médiatiques concernant le phénomène, possède ses codes, ses règles, ses langages, ses icônes, ses mythes, ses tribus et son éthique.

Internet a la capacité de fabriquer des mondes de substitution à nos échanges sociaux quotidiens. Il invente de nouvelles manières d'être ensemble, de dire, de faire, de vivre ; de nouvelles façons de se confronter à l'autre, de le rejoindre et de lier avec lui des interactions. Mais aussi peut être de nouvelles façons d'appréhender notre propre identité en offrant une « théâtralisation nouvelle des émotions »252(*). Il faut chercher dans les motifs d'agrégation et de reconnaissance que la vie réelle ignore ou refuse pour voir les véritables fondements communautaires sur Internet.

L'opposition entre le conformisme et la marginalité au sein du collectif, notamment celui qui nous préoccupe ici se retrouve dans la façon dont les membres appréhendent l'homosexualité de la chanteuse. D'une manière générale, par rapport à ce sujet, les fans ont des opinions partagées : il y a ceux qui mettent tout de même en avant le fait de l'aimer pour son talent et pas pour son homosexualité, ils argumentent et justifient leur position par leur inquiétude quant à la marginalisation que pourrait engendrer un tel coming-out :

o « Il ne faut pas penser que tous les fans d'Anne-Laure sont homos »253(*)

o « C'est quelque chose de privé, c'est sa vie ! »254(*)

o « Je ne suis pas fan d'Anne-Laure parce qu'elle est lesbienne, ce serait débile et réducteur »255(*)

Et, il y a ceux moins catégoriques qui avouent que c'est une bonne chose qu'elle ait été vraie avec le public ; et il y a ceux qui parlent d'elle avec fierté en tant que nouvelle icône lesbienne et qui avouent s'être intéressés à elle aussi pour cette raison256(*) :

o « Grâce à elle, j'ai enfin su m'avouer qui j'étais vraiment »

o « Je lui dois beaucoup et je la remercie »

o « [...] même si j'admets que ses yeux au bleu pétillant et son sourire me font aussi craquer »

o « En tant que gay, je peux dire que je suis fière de mon icône »

o « Je voudrais remercier cette fille (Anne-Laure) car elle a permis de m'ouvrir les yeux et de me trouver et surtout on peut être fier de Choupinette car c'est vraiment notre symbole pour tous et puis je la remercie »

o « Je crois au fond de moi savoir vraiment pourquoi c'est elle que j'affectionne autant... ».

Il y a donc celles qui mettent en avant l'homosexualité, et celles qui la cantonnent à la sphère privée de la vie personnelle. Ainsi, les désaccords entre les fans ont pour enjeu leur propre identité, l'image qu'ils ont d'eux-mêmes, nous sommes alors dans une logique de stratégie identitaire. L'identité différentielle est utilisée pour désigner cette recherche de positionnement particulier257(*).

II ) LA MISE EN VITRINE DE L'INTIMITE ET DE LA SEXUALITE

Aujourd'hui, la sexualité apparaît sur la scène publique. L'intimité se transforme258(*) et certaines pratiques et représentations qui, jusqu'à une certaine époque pouvaient sembler provocantes, choquantes ou étaient tout simplement interdites, se dévoilent259(*), essentiellement dans les médias. Les émissions de télévision, les séries, les films, les émissions de radio, la presse, et maintenant des sites Internet, tous mettent en scène ou en récit des images de la sexualité, ou qui touchent à la sexualité, utiles aux individus dans leur construction identitaire et sociale260(*). La sexualité fait de moins en moins partie des territoires de l'intime tout en devenant un enjeu central de la construction de soi261(*).

En 2000, sont apparus sur la toile Internet, les blogs, un phénomène qui ne cesse de prendre une ampleur considérable262(*) chez les jeunes et qui s'inscrit bien dans ce processus de mise en vitrine de l'intimité. Le blog est la contraction du mot web et log et qui peut se traduire par « carnet de bord ». Il désigne une « page personnelle » interactive, une sorte de journal intime numérique, ouvert à tous ceux qui souhaitent le lire et le commenter, une sorte de carte d'identité améliorée, avec des photographies, des confidences, des avis sur la vie, des coups de coeur, des coups de gueule en mots et en images. Nous retrouvons ici les thèmes de notre corpus de messages du forum interactif de discussion et le principe est un peu le même, en ce qui concerne la mise en scène de soi. On retrouve un sentiment de communion et une impression de maîtrise de ce que l'on y dit.

Ces pratiques courantes, presqu'usuelles pour les jeunes sur Internet (dans tous nos entretiens, se connecter à Internet est devenu un geste machinal) apparaissent comme des sortes de « bricolages esthético-identitaires » délimitant une « self-culture » ou « culture sur mesure » reliée à un individualisme expressif contemporain263(*). Dans le cadre de cette étude, il etait pertinent de poser la question des modalités de la validation de la reconnaissance de ces formes singulières d'expression de soi par autrui, durant le processus de construction identitaire de nos jeunes enquêtées, l'expression, écrite même numériquement, favorisant une auto-réflexivité264(*).

1. La nécessaire organisation réflexive de la sexualité

La sexualité, nous dit M.Bozon, « socialement construite par le contexte culturel dans lequel elle est inscrite, tire son importance politique de ce qu'elle contribue en retour à structurer les rapports sociaux dont elle dépend en les « incorporant » et en les représentant »265(*). La sexualité est une construction sociale et lui donner un sens fait parti du processus de construction identitaire.

Aujourd'hui, nous sommes passés du modèle de l'autorité à celui du contrat, du respect des normes dictées par les adultes à celui de l'expression et de la valorisation des individualités266(*). Ce processus de « démocratisation de la sphère privée »267(*) entraîne chez les acteurs un projet réflexif du soi, mais qui s'inscrit, chez les jeunes, dans des réseaux de sociabilité à travers lesquels ils forment leurs relations amicales, amoureuses et sexuelles268(*). Le groupe des pairs ainsi que les médias jouent un rôle important dans l'élaboration des normes et des valeurs. Le corps et le paraître deviennent des enjeux de la construction sexuée adolescente. C.Moulin montre que la presse jeune place le corps et l'apparence au centre des préoccupations ; la féminité adolescente est alors mise en images269(*). Elle observe que les revues véhiculent un modèle assez normatif de la féminité basé sur la dichotomie traditionnelle entre les sexes. La moitié des filles que nous avons interrogées se référe à de tels critères de définition de la féminité, mais cela varie en fonction de leur niveau social et de leur niveau de scolarité. Plus les personnes montent dans la hiérarchie sociale et plus elles ont de diplômes, plus elles ont une réflexion critique sur les modèles définis de la féminité et de la sexualité. Pour les plus jeunes, on voit que les parents participent à leur socialisation sexuelle, que l'éducation traduit des comportements sexuels adaptés à chaque sexe (c'est notamment le cas pour une de nos enquêtés qui se compare avec son frère en ce qui concerne la permissivité sexuelle), et enfin que le discours ou l'absence de discours (extrait d'entretiens) entraîne chez l'adolescente une intériorisation d'une certaine représentation de la sexualité, d'en délimiter les tabous, le socialement acceptable270(*). Cependant, il apparaît clairement que la famille n'est plus le lieu de l'apprentissage, surtout pour les lesbiennes, dans ce cas minoritaire et non basé sur l'évidence hétérosexuelle, la socialisation secondaire est très importante, notamment par le biais des médias (extrait d'entretiens) ou par le groupe de pairs auquel les jeunes vont se rattacher, fonction que peut remplir le forum de discussions, comme nous l'avons constaté chez certains membres, étant donné que le plus souvent le groupe de pairs « réel » est composé d'hétérosexuels271(*). Ainsi, même si ces derniers ont une opinion favorable quant à l'homosexualité, ils ne peuvent toutefois pas renvoyer une image constructive de celle-ci.

Les représentations sont utiles pour accomplir des actes sexuels. Désir et relations nécessitent des improvisations qui se construisent à partir d'expériences vécues ou connues et de représentations cultuelles disponibles. L'expérience médiatique chez les jeunes renvoie aux questions liées à l'identité sexuelle. Des études ont montré que la télévision renvoyait des manières de manifester l'émotion amoureuse et d'extérioriser le désir de séduction272(*). Cela peut renvoyer à la théorie des scripts sexuels273(*) que les adolescents piocheraient dans les médias afin de construire leur propre modèle de sexualité. Les scripts sexuels apparaissant comme des scénarios, guides d'orientation ou de lecture permettant aux individus de donner un sens sexuel à des sensations, des situations274(*). Le corps et l'apparence deviennent des lecteurs identitaires.

L'étude des blogs que nous avons effectuée nous permet de mieux saisir les enjeux d'une telle implication virtuelle. Nous avons recensé pour le moment environ 70 membres du forum possédant un blog. Nous avons consulté chacun d'entre eux pour tenter de trouver des éléments pouvant participer à l'élaboration de notre étude et de notre guide d'entretien. La tendance générale voit se dessiner 2 types de « créatrice de blog », de « blogueuse » :

Ø Les filles entre 15 et 17 ans ayant des préoccupations d'adolescentes, qui ne mettent en avant aucune sexualité affirmée, qui sont plutôt mal dans leur peau - parce-que ne correspondant pas aux critères physiques de la majorité - qui se rattachent aux stars ( et pas forcément Anne-Laure qui n'a pas toujours sa place dans ces blogs), au virtuel, au rêve...C'est ce que nous nous proposons d'appeler, les « fans midinettes ».

Ø Les filles dont l'âge se rapproche plus de celui de la chanteuse, qui montrent une (homo)sexualité affirmée - photographies et textes personnels à l'appui- qui se côtoient très souvent entre Choupifans...C'est ce que nous nous proposons d'appeler, les « fans impliquées » (impliquées plutôt que politisées qui nous semblait trop fort pour ce genre de groupe) voire même les « fans intimes » parlant d'Anne-Laure comme d'une copine.

Ces deux catégories se retrouvent également au sein même du forum. Nous voyons donc ici, que le fan-club peut avoir, pour ces adolescentes, des fonctions différentes. Internet permet d'exposer publiquement son intimité, c'est-à-dire, mettre des textes personnels en ligne, des photographies de famille, d'amis, de raconter des expériences vécues...Internet peut être vécu comme un nouveau moyen de communication à distance. Il fait de plus en plus partie intégrante du processus de socialisation des jeunes qui se servent d'Internet pour communiquer, rencontrer des personnes qui leur ressemblent, échanger tout un tas de choses...des actes qui ne s'effectuent pas aussi facilement pour tout le monde dans la réalité, où les individualités ne peuvent pas s'exprimer aussi librement275(*).

La puissance de diffusion des moyens modernes de communication explique en grande partie la prolifération et l'exploitation lucrative des images du sexe. Très omniprésent dans les médias, le sexe est un produit de consommation qui se donne à voir, se vend et fait vendre276(*). L'intimité des comportements sexuels des gens ordinaires est dévoilée, analysée, au cours d'émissions télévisées et la sexualité a envahi l'univers de la publicité. La médiatisation des expériences sexuelles, des plus ordinaires aux plus insolites, en banalisant certaines formes d'érotisme, a pu transformer les représentations de la sexualité.

La relation amoureuse et sexuelle devient « démocratique »277(*). Chacun cherche dans la rencontre de l'autre, réellement ou virtuellement, une instance de reconnaissance comme accomplissement d'une invention de soi. La sexualité devient affaire de poursuite de son identité dans la relation.

2. L'expression des sentiments

Le sentiment est une tonalité affective envers un objet, marquée par la durée, homogène dans son contenu sinon sa forme. Il manifeste « une combinaison de sensations corporelles, de gestes et de significations culturelles apprises à travers les relations sociales »278(*). L'émotion est très souvent le fait d'une négociation avec soi, avec les autres en soi, elle résulte d'une interprétation. Elle peut apparaître aussi comme un mode d'affiliation à une communauté sociale, une manière de se reconnaître et de pouvoir communiquer ensemble sur le fond d'un ressenti proche.

L'expérience médiatique est appréhendée comme une expérience émotionnelle et physique. L'émotion, quelle qu'elle soit, est la matière première des médias de masse279(*), et le sentiment de proximité que les téléspectateurs ressentent vis-à-vis de ce qu'ils voient sur le petit écran rend légitime cette émotionnalité ; les membres du forum Planèteannelaure ne cessent de faire partager ces sentiments au fil des messages, en évoquant notamment ce qu'elles ont ressenti quand Anne-Laure a été éliminée du jeu : les membres ont employé des expressions liées à la tristesse et ont largement manifesté un sentiment d'injustice.

Cette expérience permet des échanges, vécus, par les membres du forum, comme un acte de solidarité et entraînant de véritables relations d'amitié. Les enquêtes sur les valeurs des jeunes ont montré la place considérable que la sociabilité amicale occupe dans la vie des jeunes280(*), 61% des jeunes de 18 à 29 ans estimaient que les amis sont très importants dans la vie. Ils sont un vecteur important de la socialisation, de même que le fait d'appartenir à un groupe de pairs pour les adolescents. Les mêmes circonstances déclenchent des comportements affectifs sensiblement différents si l'individu est seul, devant sa télévision par exemple ou mêlé à un groupe de gens qui lui sont proches ou inconnus281(*). Les autres, à plus fortes raisons lorsque ceux-ci partagent la même passion, sont les modulateurs, exerçant selon les circonstances et leur influence un rôle d'apaisement ou d'exacerbation. De ce point de vue, les relations interpersonnelles qui se nouent entre les membres du forum nous ont apporté des éléments quant au sentiment de proximité qu'ils entretiennent entre eux alors qu'ils ne se connaissent pas nécessairement « réellement ». Bien sûr certains facteurs comme l'âge ou la proximité dû à un regroupement comme celui du forum de discussion entraînent un tutoiement instantané. On trouve également les marques de la relation à travers les interpellations directes par le véritable prénom du membre, qui sous-entend une connaissance plus intime ou encore l'utilisation de petits affectueux employant généralement un pronom possessif282(*) :

o « Et Kro arrête de te poser des questions »

o « Cette fois Juky c'est plus de l'amour c'est de la rage »

o « Lili fait ce qu'il te plait, ne change rien pour personne »

o « Yes Aurore ça faisait longtemps qu'on t'avait pas vu ici, tu nous as manqué »

o « Bonjour mon papa-loup »

o « Courage ma p'tite Manue »

De plus, lorsque l'on demande aux fans de parler de leur sentiment vis-à-vis du forum, ils le font tous dans des termes aspirant à l'amitié virtuelle, à la convivialité, à la solidarité, à la liberté, au soutien, au partage voire même à l'amour. Ils aiment à se mettre en mots surtout lorsqu'il s'agit d'évoquer leur passion et ce que cette dernière a entraîné : l'éclosion d' « une nouvelle famille », cette expression revient dans quasiment tous les messages, les fans se désignant comme membre de la Choupifamily.

Nous l'avons vu, les échanges par ordinateur permettent d'ouvrir le registre de la parole de l'intime283(*). Ce processus s'effectue de manière différente chez les filles et chez les garçons, les prédispositions à l'amour et à la sexualité n'étant pas intériorisées de la même manière284(*). Notre corpus étant presqu'entièrement féminin (nous n'avons pu interroger qu'un seul garçon), nous nous penchons donc plus généralement sur l'expression des sentiments au féminin, et dans une optique minoritaire du point de vue de la sexualité.

3. Les « choix sexuels » conditionnent-ils les choix culturels, médiatiques et virtuels ?

Nous avons posé au départ l'hypothèse qu'un grand nombre de jeunes lesbiennes sont inscrites au sein du fan-club d'Anne-Laure, du fait de son coming-out. Les résultats de l'analyse n'ont pas directement répondu par l'affirmative, mais il faut s'attarder sur certains détails pour comprendre que cela peut tout de même être le cas. Les membres ont du mal à « avouer » les raisons qui les ont poussés à soutenir une telle candidate - non pas que nous pensons qu'une candidate lesbienne ne peut être encouragée par un public homogène, mais le fait est que la grande majorité revendique une homosexualité, qui a souvent été mise au jour « grâce à Anne-Laure » selon les propos de certaines. Il serait faux de dire que ce sont les textes des chansons ou la musique d'Anne-Laure qui ont influé le soutien des membres lesbiennes du forum, étant donné que l'on n'y trouve aucune allusion à l'homosexualité, chaque texte prenant au contraire grand soin de ne pas impliquer de pronom particulier, ni de « elle », ni de « il » dans les chansons d'amour notamment. Il s'agit bien de la chanteuse elle-même. C'est pourtant la première justification que les fans nous ont donnée, en se définissant comme des sortes de « consommateurs émotionnels »285(*), ne cherchant qu'à trouver un exutoire à ses propres sentiments dans l'oeuvre de l'artiste. Les membres parlent d'une sensibilité qu'elles retrouvent dans les chansons d'Anne-Laure. Une phrase tirée d'un entretien exprime bien ce paradoxe, entre la sensibilité d'une part et le rapport à l'homosexualité d'autre part : « Ce qui m'a touché en premier, c'est sa sensibilité, elle dégageait un truc spécial, son charme, son talent, m'avaient sauté aux yeux » et elle poursuit, « elle m'avait donné les frissons un soir en interprétant une chanson de Lara Fabian sur l'homosexualité, c'est là que c'était une sorte de déclic pour moi »286(*).

Nous l'avons vu, l'étude des blogs met au jour ces différences d'affirmation. Celles qui mettent en avant leur homosexualité, comme une sorte de fierté en affichant photographies de baisers entre filles ou encore les couleurs de l'arc-en-ciel représentant le drapeau gay et lesbien, s'inscrivent dans une mouvance, que nous avions mise en lumière lors d'une première étude sur les notions de culture et de communauté homosexuelle. Le forum aborde également certains thèmes287(*), que nous pourrions retrouver sur un forum de discussions lesbiens avec des sujets relatifs au coming-out ou à l'homophobie, avec un vocabulaire presque militant : « courage » lorsque l'on évoque le coming-out d'Anne-Laure, « combativité » lorsque l'on évoque les affrontements auxquels les lesbiennes peuvent être soumises, « reconnaissance » à travers l'homosexualité d'Anne-Laure, « fierté » revenant comme un leitmotiv tout au long des messages. A l'inverse, le fait, pour certaines de nier le lien qui peut exister entre la sexualité et les choix « culturels et médiatiques » pourrait s'expliquer par une volonté d'affirmer des choix réfléchis et consentis et non des choix subis. Ces dernières auraient plutôt tendance à réfuter l'idée d'une culture spécifiquement homosexuelle et auraient pour souhait de banaliser l'existence homosexuelle.

La socialisation en matière de sexualité fait donc pleinement partie du processus de construction de l'identité sociale. Nous avons vu que l'identité se caractérise par la dualité entre une image pour soi et une image pour autrui, par la « nécessité de sauvegarder une part de ses identifications antérieures (identités héritées) et le désir de se construire de nouvelles identités (identités visées) »288(*). Le contenu des identités va dépendre de leur reconnaissance par les institutions et « partenaires » sociaux mais aussi et surtout de la trajectoire vécue par l'individu lui-même. Les lesbiennes, tout comme la majorité, construisent leur soi réel à partir des identités héritées, attribuées et visées. Le mouvement des modèles d'identification permet de comprendre comment les adolescentes, surtout si elles se reconnaissent dans une minorité, s'approprient une histoire qui n'est pas le simple reflet d'une trajectoire familiale. La cellule familiale participe dans un premier temps à la socialisation sexuelle de leur enfant. L'éducation traduit par exemple des comportements sexuels adaptés à chaque sexe permettant ainsi l'identification à un modèle sexuel. De plus, le discours ou l'absence de discours permet à l'enfant d'intérioriser une reproduction de la sexualité, d'en délimiter les tabous, le socialement acceptable. De cette façon, les adolescentes découvrant leur homosexualité ne trouvent pas, dans la majorité des cas, les réponses qui les concernent en matière de sexualité au sein du cercle familial, l'homosexualité étant un sujet peu évoqué ou alors sur le ton de la plaisanterie, de la moquerie voire même d'un rejet total. Très souvent, les individus entendent des injures sur l'homosexualité avant même de connaître leur propre sexualité289(*). Dans ce climat peu propice, les adolescentes, qui ne trouvent pas les réponses à leurs besoins ni au sein de leur famille, ni au sein de leur groupe de pairs, vont alors se lancer à la recherche de semblables. (extraits d'entretiens, montrer les indices)

III ) LE PROCESSUS DES AFFINITES ELECTIVES

Les jeunes cherchent donc des moyens de se socialiser, de se reconnaître en dépit des transformations des repères, tant au niveau familial qu'au niveau institutionnel. Nos entretiens ont tous, pour message sous-jacent, qu'il faut pouvoir se situer pour donner du sens à son existence et agir. Nous l'avons vu, la mise en scène et en récit de l'intimité et de la sexualité, le processus différentiel de construction identitaire chez les garçons et les filles290(*), ainsi que le développement des nouveaux médias entraînent une nouvelle forme de sociabilité. Une des valeurs centrales qui ressort de notre analyse est celle de l'amitié, cela tient peut être au fait que ce soit une des valeurs les plus répandues chez les jeunes en général291(*), ou peut être encore que le groupe de fans que nous avons pris pour exemple est justement un regroupement dont les membres partagent la même passion, créant irrémédiablement des affinités entre eux. De ce fait, l'association que forme le fan-club, n'est pas uniquement le cadre d'une activité, elle est surtout le lieu où l'on passe du temps avec des personnes. Ainsi, malgré le faible effectif qu'elle représente, cette association apparaît comme le lieu d'un réel investissement pour ses membres. Cependant, nous avons constaté que le niveau d'études et social étaient une variable assez pertinente dans la considération du groupe. Plus le niveau de scolarité et le niveau social sont élevés et plus les membres prennent du recul pour parler de leur expérience, pour évoquer des questions d'ordre politique comme pour aborder l'homosexualité. Enfin ce qui apparaît nettement, que ce soit dans l'analyse des messages du forum de discussions, ou dans les entretiens, ce sont les élans de solidarité des membres entre eux : une solidarité explicite à l'égard du fan-club et une solidarité parfois implicite lorsqu'il est question d'homosexualité.

1. Le groupe comme réponse à un besoin d'intimité homolatique ?

La fabrication des identités sexuées et sexuelles s'inscrit dans un processus d'expériences socialisantes comprenant des sociabilités, des modèles, des représentations, des conformités ou encore des déviances. Nous l'avons vu, la construction identitaire s'interroge à travers des dynamiques interactives. La socialisation dite secondaire, se fait au contact d'autrui : des pairs ou encore de certaines représentations médiatiques ; elle permet à l'individu d'intérioriser, de concrétiser et d'exprimer les changements identitaires qui l'affectent et participe à « l'appropriation intérieure d'un monde »292(*). La période de l'adolescence est un processus, un temps de recomposition identitaire, d'expérimentation et d'autonomisation, durant lesquels filles et garçons forment des groupes sociaux, des valeurs échappant aux processus d'institutionnalisation, voire aux normes dominantes, en créant des groupes, des sous-groupes, des contre-cultures293(*).

Nous avons utilisé pour cette partie le terme d'homolalie employé par C.Moulin et qui désigne les sociabilités entretenues entre individus de même sexe et de même âge294(*). Notre corpus est presque exclusivement féminin, cette donnée s'explique, d'une part parce que les fan-clubs ont majoritairement des participations féminines comme nous l'avons déjà vu295(*) ; d'autre part, parce que le public de l'émission Star Academy est plutôt féminin comme nous l'avons dit précédemment, et enfin parce que ce regroupement rassemble des jeunes filles qui se reconnaissent en la chanteuse ayant effectué son coming-out, selon une des nos hypothèses. Dans de telles conditions, l'homolalie est évidente : les membres du fan-club se retrouvent donc entre filles et leur âge varie peu, à quelques exceptions prés. En effet, certains membres très actifs du forum sont plus âgés que la moyenne, mais ils jouent très souvent le rôle de modérateur ou de pilier du forum, c'est-à-dire, une personne qui est présente depuis le début de la carrière de la chanteuse et qui gère plus ou moins le bon fonctionnement du site.

Les messages du forum mettent en avant cette idée d'exacerbation de la revendication de tous critères de différenciation dont parlait C.Moulin à propos du groupe des filles qui insistait sur le pronom personnel « nous » pour s'affirmer en tant que groupe : « nous les filles »296(*). Les membres emploient les mêmes expressions : « nous les fans » ou encore « nous les Choupifans ». Les féminités étudiées par C.Moulin se construisent dans un repli homolatique et donc en référence et en opposition à l'autre groupe, celui des garçons. Il n'est pas certain que le groupe des fans d'Anne-Laure se construise en réelle opposition avec un autre groupe de fans, mais il existe pourtant quelque chose qui le différencie des autres. Comme dans tous les groupes, les membres doivent se soumettre à un ou plusieurs rites de conformation, comme peut l'être le maquillage pour le groupe des filles ; le rite de conformation étant une manière pour les adolescents de constituer le socle d'un groupe social en l'inscrivant comme communauté de goûts et de pratiques, de manières d'être et d'agir. Dans le cadre d'un forum de discussions sur Internet, les rites sont tout d'abord des rites d'intégration au groupe, passant par la création d'un pseudonyme et d'un mot de passe pour pouvoir y accéder, puis par la suite de certaines règles auxquelles il faut se soumettre. C.Moulin défend l'idée selon laquelle le repli homolatique est à l'origine de la composition d'une « sous-culture de genre », s'inscrivant dans une société adolescente, elle-même située dans la société globale. Les codes, les rites, les normes et les modes de sociabilité sont propres à ces adolescents et produisent le sens construit du collectif, de l'entre soi. Nous sommes, avec le fan-club d'Anne-Laure, confrontés à une « sous-culture de goûts » mais aussi peut être à une « sous-culture de pratiques » sans se revendiquer comme telle. Il se dégage de cette revendication, un sentiment de fierté et de solidarité, que nous mettrons en parallèle avec les sentiments d'un groupe minoritaire, celui des gays et des lesbiennes, dans un prochain chapitre. Les individus cherchent à se rattacher à un groupe valorisant un certain modèle de référence correspondant à leurs propres choix identitaires, et dans lequel ils peuvent se reconnaître.

Les pairs apparaissent comme porteurs de références et de normes et le repli homolatique apparaît comme une phase de transition vers d'autres modes de sociabilités, homosexuées ou hétérosexuées. Dans notre cas, elles permettent aux membres de s'inscrire dans une classe d'âge et de sexe, mais aussi de goûts et d'exister au sein du groupe de pairs virtuel. Tout comme la presse jeune297(*), les sites Internet auxquels les jeunes participent, travaillent « l'inscription du jeune dans des communautés (musicales, de fans, de goûts, de mode, de manière d'être) où celui-ci peut trouver des alternatives ou des substituts, à l'égard des groupes familiaux et scolaires, vis-à-vis desquels il se trouve alors en décalage, en conflit, sinon en rupture »298(*). Les messages, de même que les entretiens évoquent souvent le fait qu'elles ne puissent partager leur passion avec leur entourage, leur groupe d'ami(e)s réel, car ces derniers considèrent le fait d'être fans avec mépris, et encore plus le fait d'être fan d'une chanteuse lesbienne, certaines ont fait l'expérience de l'homophobie. En effet, C.Moulin a montré, à travers l'étude de la presse jeune, qu'inconsciemment les adolescentes se plient aux exigences attendues par leur sexe ; elles évoluent « naturellement » vers un conservatisme de genre, comme si la construction identitaire passait par l'exacerbation des traits de définition des genres, afin d'exprimer clairement une identité cohérente pour soi et pour autrui. Cette presse jeune se réfère toujours à la différence entre les sexes pour fonder les identités de genre, jamais sur une appartenance culturelle ou générationnelle. Ainsi, « l'intimité homolatique se pose comme un espace d'apprentissage d'une continuité identitaire par identification au semblable et par distanciation d'avec les différences ». Les adolescentes qui se sentent en décalage avec ces valeurs dans le monde réel, peuvent se retirer et ressentir le besoin d'un repli homolatique quelque peu différent voire virtuel, où les critères dits de féminité sont plus hybrides, plus neutres, à travers le modèle d'Anne-Laure.

Cette exclusion est symbolique car elle n'est pas conscientisée. Les jeunes lesbiennes cherchent donc d'autres vecteurs d'identification entraînant la reconnaissance de leur propre corps et ainsi de leur propre sexualité. « Les adolescents doivent composer avec un corps qui se transforme physiquement [et] son émergence participe d'un processus plus large de reconstruction identitaire », le corps et le paraître vont alors devenir des enjeux de la féminité, elle-même enjeu d'un jeu de séduction voire d'une sexualité à venir. Celles qui ne rentrent pas dans la norme des critères de féminité en vigueur vont tenter de construire leur définition du genre féminin contre des modèles perçus comme contraignants et dévalorisants. Chez les lesbiennes, la masculinisation du genre peut constituer de manière générale une étape d'acceptation et de construction de leur homosexualité, comme une sorte de revendication communautaire299(*), un moyen de reconnaissance, en s'y identifiant ou en la rejetant. (extraits d'entretien)

2. La recherche de « semblables »

Cette recherche, d'un autre soi que n'offre pas forcément la société, peut s'établir au travers d'Internet, avec le développement d'une « socialité élective »300(*) que l'on peut définir comme des « communautés émotionnelles » au sens de M.Weber301(*). Les sites et forums sont accessibles avec un mot de passe ; on y entre donc après franchissement des rituels archaïques, commençant par l'apprentissage du vocabulaire et des terminologies propres à la dite communauté302(*). Sans trop nous attarder ici sur le vocable propre aux internautes (login, topic, post, forum...), nous pouvons citer les expressions que les membres de notre forum emploient entre eux et qui sont des dérivés du surnom d'Anne-Laure. Nous avons déjà évoqué les Choupifans et la Choupifamily, mais nous en avons noté toute une série : choupikiss, choupiteam, choupichef, choupiland, choupibonheur, choupifolie, choupipassion, choupirencontre, choupibise, choupistar, choupipotes, choupivoiture, choupi-anniversaire, choupifree, choupimania, choupifanesque, choupipuce, choupiheureuse, choupiesprit, choupiamitiés...et la liste est loin d'être exhaustive. Le fait de se constituer un langage commun permet aux membres de montrer leur adhésion à un certain esprit. En effet, il est question tout au long des messages de l'esprit de la Choupifamily. Cet esprit se retrouve pour une grande partie dans la catégorie que nous avons appelée, l'accueil et la solidarité entre les membres, avec très souvent une distinction entre les « anciens » du forum et les « petits nouveaux » ou les « néochoupifans » à qui il faut inculquer un certain nombre de valeurs303(*) :

o « Si tu as un souci sur le forum, je suis là pour t'expliquer »

o « Qu'est ce qu'on ferait pas pour faire partie de la Choupifamily »

o « J'espère que vous m'acceptez au sein de votre communauté choupinienne »

o « Bienvenue à tous les petits nouveaux »

Ainsi émerge un sentiment d'appartenance nouveau, une réinvention des sociabilités réduites et sélectives s'exerçant entre initiés désormais volontairement isolés du plus grand nombre, de la foule sociale. Internet permet un rapprochement impossible géographiquement dans la réalité. Il permet de donner à ces réseaux une « périodicité d'échange »304(*) qui n'est pas permise aux jeunes au vue de leurs faibles possibilités de déplacement, faute de moyens de transport autonomes et de moyens financiers suffisants. Beaucoup de membres se plaignent de ne pas pouvoir se déplacer pour assister aux concerts ou pour rencontrer d'autres membres. Ce nouvel espace, éloigné du champ social ordinaire et tout entier bâti sur le désir d'être « entre soi » mais cette recherche de semblables signifie par conséquent exclusion de ceux qui ne nous ressemblent pas. L'analyse des messages a notamment permis de révéler que les fans parlent à la première personne du pluriel et s'opposent très souvent à la troisième personne du pluriel : le « nous » s'oppose à « eux », qui n'est d'ailleurs pas clairement défini305(*) :

o « Nous sommes des Choupifans si fiers et si soudés »

o « Ils sont jaloux de nous... »

o « Est-ce qu'elle pense à nous ? »

o « Ca reflète notre communauté »

L'analyse des entretiens ainsi que de certains messages du forum ont montré que les membres pouvaient défendre certaines idées, se révolter contre certaines choses avec une certaine fierté. Les expressions de cette fierté reviennent à plusieurs reprises, et les membres sont solidaires enter eux lorsque les messages prêtent au débat. Mais encore une fois, même si le forum ne permet pas d'identifier socialement les membres, il semble que ce soit les personnes les plus âgées qui ont le regard le plus critique. La participation contestataire est alimentée par l'interactivité : soit les membres tentent de se démarquer par leurs opinions, soit elles se rangent aux côtés de celles qui ont la plus grande légitimité, c'est-à-dire, les modératrices ou les membres les plus influents du forum, les plus anciennes. Par principe, tous les messages sont interactifs. Toutefois, certains sujets ne demandent pas forcément des réponses, ils ne sont là que pour venir témoigner d'un sentiment, d'un souvenir, d'une rencontre etc...Mais la catégorie « Partage d'opinions » encourage les fans à émettre leur point de vue sur tel ou tel thème, l'interactivité est alors évidente dans des sujets comme :

o « Anne-Laure : une nouvelle icône gay ? Qu'en pensent nos membres ? »

o « Pourquoi nous l'aimons tant ? »

o « Les looks d'Anne-Laure : lequel préférez-vous ? »

o « Vous ressentez quoi ? »

o « Que pense votre entourage d'Anne-Laure ? »

o « Que représente Anne-Laure pour vous ? »

Il nous semble que l'emploi du pronom personnel « vous » implique bien une marque d'interactivité. Les membres ont conscience de s'adresser à un collectif. Ils prennent en compte le fait qu'ils n'écrivent pas que pour eux-mêmes, qu'ils vont être lu. Cette interaction se voit également lors des différentes relances ou autres interpellations ponctuant certaines réponses306(*) :

o « Vous suivez toujours »

o « Vous trouvez pas que... »

o « Vous voyez ce que je veux dire par là »

o « Si vous permettez ce terme »

o « Je ressens les mêmes choses que vous tous »

o « Elle n'est pas faite pour toi puisqu'elle préfère les filles »

o « Bon aprem à tous ceux qui liront ce message et à ce soir »

Ces forums de discussions correspondent à des machines à relier307(*). Les troubles de l'identité, rejetés dans la vie réelle, que rencontrent les jeunes, deviennent des motifs de regroupement sur Internet. Dans notre étude, le signe de ralliement, l'élément fédérateur est la chanteuse autour de laquelle gravitent un certain nombre d'éléments eux même fédérateurs, comme son homosexualité notamment. De plus, plus la passion est peu commune, plus le rôle d'Internet est important car il est difficile de recruter d'autres passionnés dans l'entourage direct. A ce sujet, les messages envoyés évoquent le site comme étant un sauveur, et remercient amplement l'équipe qui l'a instauré.

Il ne faut toutefois pas oublier, que ce qui rassemble et organise un fan-club est, au départ, un artiste, ou une passion. Ici, les membres nous révèlent que la musique et les textes d'Anne-Laure canalisent l'insatisfaction fuyante des sentiments ordinaires308(*), ils véhiculent une émotion à laquelle elles sont sensibles selon leurs propos. Cependant, tout discours sur la musique est relativement absent des messages et des entretiens. Pourtant les fans garantissent d'une certaine manière que le disque apparaît comme un moyen d'expression et de reconnaissance sociales pour des groupes qui partagent une réalité peu formulée, et qui cherchent à se définir eux-mêmes à travers une certaine communauté musicale, et en particulier chez les jeunes qui ont peu accès à d'autres modes d'identification sociale.

3. Le mouvement de fans comme recours à un collectif

Le sentiment d'appartenance est important dans le processus de construction identitaire et dans celui de la reconnaissance. La sociabilité peut s'étendre à l'appartenance associative, dont le fan-club est un exemple. Les associations peuvent être considérées comme un indice de la sociabilité générale de la collectivité humaine309(*: « la participation associative peut ainsi être saisie dans la double perspective de la formation des groupes en vue d'activités précises et de relations de pure réciprocité sans fins pratiques »310(*). Aujourd'hui, beaucoup d'associations visent l'épanouissement personnel, témoin d'un renforcement de l'individualisation croissante de la société, même si de tels groupes peuvent apparaître comme éphémères et provisoires, comme la constitution d'un public.

D.Pasquier donne une définition du terme de fan, à propos de celles et ceux dont elle a étudié les lettres pour les comédiens de la série « Hélène et les garçons »: elle dit qu'être fan, c'est « mettre plus de passion. Le fan se manifeste plus dans sa vie sociale et suit de plus près ce qui se passe autour d'une série, c'est tout. Elle rêve d'une relation idéale avec un être idéal. A un moment donné de sa propre histoire et pour un temps donné. C'est d'ailleurs une passion plus éphémère que celles qui animent bien des collectionneurs. Il faut aussi rappeler que les fans se recrutent dans des lieux sociaux et géographiques où la télévision occupe une place plus importante. Elles se recrutent dans les milieux populaires où la télévision est plus regardée qu'ailleurs et dans des zones non-urbaines où la confrontation quotidienne avec des modes de vie différents est plus rare »311(*). Le programme étudié par l'auteur et celui dont est issue Anne-Laure peuvent se recouper par les controverses qu'ils ont suscitées. La série « Hélène et les garçons » se voyait reprocher d'éloigner les adolescents de la réalité sociale et Star Academy est taxée de nombreuses critiques notamment à propos de ses candidats jugés sans talent artistique, mais également car la télé-réalité ne reflète pas la réalité sociale. L'objectif de D.Pasquier était de comprendre la relation des jeunes avec la fiction télévisuelle et de savoir comment elle était utilisée pour appréhender le monde, alors qu'elle semble très éloignée de la réalité dans laquelle les adolescents évoluent. J.Jensen défend une hypothèse intéressante, en disant que ce qui est socialement stigmatisé n'est pas tant le fait d'être fan mais l'objet de la passion : les héros de la culture populaire -les chanteurs, les comédiens de la télévision, etc- ne seraient pas dignes d'une passion312(*), c'est ce qui va pousser les fans à ce regrouper entre eux, et à se démarquer des autres. Les entretiens et les messages font très souvent état de cette non-légitimité dénoncée par leur entourage du fait d'admirer une candidate de la télé-réalité.

Le recours aux divers sous-ensembles d'Internet semble définitivement représenter pour certains utilisateurs intensifs l'ultime tentative de construire un substitut à un réel qui s'échappe, en tentant de créer de nouvelles organisations sociales, un nouvel ordre de « l'être ensemble », de nouvelles façons de rejoindre les autres, « ces autres comme soi » qui semblent plutôt participer d'un retrait vis-à-vis du monde social quotidien que d'une simple volonté d'être seul. Les refuges d'Internet regroupent sûrement une foule d'individus isolés, mais convaincus désormais de faire groupe au sein d'une communauté virtuelle s'établissant sur des mobiles communs et utilisant le même jargon. Ces regroupements tiennent de nouvelles relations sociales s'instaurant par Internet.

Le principe de toute relation sociale est l'échange ; le slogan du site officiel de l'artiste qui nous intéresse est, d'ailleurs : « bienvenue sur la planète...communiquez et échangez » ; et cela, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'un regroupement basé sur le soutien et la solidarité, même dans un but commercial de construction de carrière. L'échange se trouve au coeur du système du site Internet fonctionnant comme un gigantesque réseau ; comme pour les adeptes du téléchargement, il s'agit autant de donner que de prendre. La nature des échanges que l'on observe peuvent être multiples. La frontière est floue entre le déclenchement d'une réelle solidarité et la recherche d'intérêts personnels, tant nous avons vu que le fait de se mettre en récit et d'appartenir à un groupe solidaire peut faire parti du processus de construction de soi, et de la recherche de la reconnaissance.

 Ce ne sont donc pas nécessairement des biens qui s'échangent dans les relations sociales mais aussi des services, des messages, des symboles313(*)...Cette circulation va dépendre des rapports qu'entretiennent les individus entre eux. Alors que le troc et l'échange monétaire sont les formes de l'échange marchand, le partage, le don, la réciprocité, la redistribution constitue les modalités principales de l'échange non marchand314(*). Pour M.Mauss, ces échanges donnaient naissance à des liens entre les individus puisque celui qui reçoit est dans l'obligation de rendre ; et notre morale se rattache toujours à cette atmosphère du don, de l'obligation et de la liberté mêlés. Ainsi les personnes impliquées dans l'échange forment un système de prestation sociale. La mise en place de ce système est peut être favorable à l'élaboration constructiviste de la légitimité d'un regroupement telle que celui que nous étudions ici. Les échanges peuvent constituer un réseau d'entraide apportant des conseils à quiconque en demande : des conseils propos de la chanteuse comme des dates de concerts, des passages télévisés, des recherches de coupures presse (tout ce qui se trouve dans la partie appelée « Choupimédia ») ; des conseils à propos d'un problème personnel, sentimental, familial ou autre (tout ce que l'on peut trouver dans la partie « Choupifamily ») ; ou encore des conseils concernant des problèmes informatiques (tout ce que l'on trouve dans la partie « Le garage de la planète »).

Dans son dernier chapitre, D.Pasquier aborde directement la question liée aux fans et à l'élaboration d'un collectif. Elle emploie alors le terme de « communauté de fans » lorsque le « je » du téléspectateur se transforme en « nous », un être ensemble face à la télévision. La communauté des fans est celle qui se met socialement en scène de manière la plus visible. Le fan est quelqu'un qui se montre comme fan, tout d'abord vis-à-vis de son idole (justification en début de lettres, objets dérivés, posters, vêtements...). L'intégration dans un réseau d'échange et de discussion est indispensable. Isolée, le fan serait condamné à redevenir un simple téléspectateur, éventuellement plus assidue que d'autres.

Le « Nous », renvoyant à l'appartenance, que les membres utilisent très souvent, n'est pas stratégique, il sert à rétablir du lien par-delà l'exclusion symbolique et les dispositifs qui relient les individus au monde, autrement que par le travail aliénant du 19ème siècle. P.Bouvier constate que près d'un(e) Français(e) sur deux est membre d'une association, soit en 2002, plus de 21 millions de personnes âgées de 15 ans et plus. Ces adhésions recouvrent des associations de loisirs pour 37%, de défense de droit et intérêts partagés pour 36% et pour 27% de divers types : quartier, religion, troisième âge...Ces associations remplissent aujourd'hui le rôle exercé antérieurement par l'Eglise et l'Etat. Elles occupent la fonction de vecteur d'un lien social anémié par la relative fragilisation des institutions consacrées. Ainsi le « Je » s'inscrit toujours dans un groupe, une entité plus large...autant de formes d'appartenance à une réalité transindividuelle qui permettent de décliner son identité. Le lien social doit être étudié dans le contexte des dynamiques affectives qui le portent. Dans ces rassemblements, décrits par P.Bouvier comme les associations ou encore des manifestations, des repas de quartiers, cherche à se dire un sentiment ou une volonté d'exister ensemble, sur des temps plus ou moins longs et dans des implications de basse ou de plus haute intensité. « Elles mettent en scène des manières probables, nouvelles mais virtuelles, de se relier sociologiquement à l'environnement et anthropologiquement aux identités et aux attentes existentielles contemporaines ».

Cela nous renvoie à la notion de solidarité à laquelle le terme de lien social est associé, et qui revient très souvent dans notre corpus. La solidarité se définit comme l'existence de liens sociaux se manifestant par des comportements de coopération réciproque entre les membres d'un groupe. Cette notion est très déclinée chez les jeunes315(*). Dans notre cas précis, il s'agit de se demander si la solidarité qui se dégage des groupes que nous distinguons est une solidarité provisoire, utile à un moment donné dans le processus de construction identitaire ; si le lien social ainsi mis en place peut être considéré comme un vecteur de reconnaissance. Nous répondrons que les deux explications sont justes et se complètent. Cette solidarité est provisoire, d'une part entre les membres mais aussi entre les membres et leur « idole » : en effet, pour certaines, la star devient quelqu'un qui peut être présent à n'importe quel moment, comme une « planche de salut » qui aide à tout surmonter, une sorte d' « amie imaginaire ». De plus, la relative proximité d'Anne-Laure du fait de sa relative notoriété comme nous le verrons, permet de créer du lien affectif. Même si cela rentre dans une stratégie, que ce soit de sa part ou de celle de sa production, elle reste proche de ses fans, notamment en participant au forum de discussions sur son propre site. Ses messages sont autant d'occasion de ressouder l'équipe, de rétablir le lien qui semble parfois se relâcher316(*), notamment en évoquant des souvenirs, ou en tenant en haleine les fans en leur promettant une actualité chargée. Dans l'extrait qui suit, elle ressoude le groupe avec une intention claire de faire venir ses membres à ces différents concerts :

« Bonjour les Choupifans,

Après un travail acharné où j'étais un peu loin de vous, par la force des choses puisque je suis entrée en studio et j'ai multiplié les réunions et rendez-vous de toutes sortes, je suis ravie de revenir avec plein de bonnes nouvelles à vous annoncer !!!

Je suis plus qu'impatiente de vous retrouver comme quand on s'est connu au moment de la tournée Starac !

Ca a été long et difficile, mais pour les choses bien et jusqu'au bout, rien n'est laissé au hasard, et je suis très fière du travail avec mon équipe et du résultat final.

J'ai confié à Wilo les dernières news qui seront sur le site très vite, on se revoit très vite alors à Agen, Nîmes, Avignon et même en clubs cet été.

Gros gros bisous à tous et merci d'être là !!!

Anne-Laure »

Enfin, être fan de quelqu'un, c'est appartenir à une bande, à un groupe, et le choix de la star est souvent confrontée, comme nous l'avons vu à l'avis général ; prendre parti pour ou contre une star, c'est choisir son clan, affirmer ou assumer son avis, voire sa personnalité. La star peut devenir un patron-modèle317(*) qui peut déterminer l'allure extérieure de certains fans voire même un ressenti intérieur. Certaines de nos enquêtées supposent qu'un certain de membres sont « devenues lesbiennes » uniquement par rapport à Anne-Laure. (illustrations à partir des représentations)

Ainsi, un regroupement tel que celui des fans d'Anne-Laure mobilise la reconnaissance pour soi, c'est-à-dire une identification individuelle qui passe par un modèle médiatique favorisant du même coup l'émergence d'une solidarité collective, d'une reconnaissance pour autrui d'un certain mouvement, pas forcément revendicatif, pas forcément conscient, via le développement sur Internet d'un certain réseau de fan.

Les blogs mais aussi les discussions sur les forums interactifs permettent une mise en scène de l'individu, mais aussi et surtout, la validation par autrui de ce que l'on montre de soi, même si cela se fait par la procuration d'écrans318(*). Le forum apparaît comme un lieu d'échanges, de conseils et de confidences : « l'écriture sur Internet est d'abord bien souvent une image de ses émotions et de ses intuitions tendue à l'autre dans l'attente qu'il les reconnaisse et les valide »319(*). L'individu sélectionne sur Internet, le lieu de rencontre, l'univers où il peut espérer trouver le maximum de personnes partageant ses centres d'intérêts et ses préoccupations. Il n'hésite pas ainsi à mettre en mot, en récit voire même en images, son intimité pensant qu'elle sera comprise et bien accueillie par les interlocuteurs potentiels d'un forum de discussion, d'un chat ou d'un blog. Cette « culture de l'extimité »320(*) est vécue par les jeunes interrogées, à la fois comme une démonstration de soi et comme une sollicitation de reconnaissance par autrui.

Les jeunes s'emparent des médias afin d'y trouver leurs « héros » qui leur ressemblent et qui partagent leurs questions et leurs intérêts. La télé-réalité semble offrir ces images proches du réel tout en étant manipulées dans un but commercial. Les téléspectateurs sont invités, par la construction d'un tel programme notamment, à s'identifier à l'un des participants ou encore à l'ensemble des téléspectateurs : un certain nombre d'émotions communes pouvant donner une signification commune aux images, et favoriser la création d'un éventuel collectif.

Aujourd'hui, la télévision publique donne une place plus grande à des membres de catégories sociales jusque-là peu représentées : par exemple en matière de sexualité, la fonction érotique s'étant dissociée de la fonction procréative, permettant une reconnaissance plus poussée de la sexualité des femmes321(*), et de ce fait de la sexualité lesbienne. Nous pouvons dire que les émissions de télé-réalité, à commencer par le lancement de Loft Story322(*), ont permis de rendre visible des bouleversements sociaux comme « des déplacements des limites de l'intimité et des repères de l'identité, des héros radicalement différents de ceux des générations précédentes [...]»323(*).

CHAPITRE IV ) L'EXPLOITATION ET LA RECUPERATION DE LA NOTORIETE PUBLIQUE

Le choix d'éclaircir cette problématique en s'intéressant à une candidate de la télé-réalité, nous amène à penser tout d'abord en terme de production médiatique et télévisuelle et tout ce que cela comporte comme mise en scène, et comme stratégies commerciales qui vont susciter les publics324(*) : le public étant « cette partie de la population qui s'est distinguée en comprenant les ambitions d'un auteur, la complexité d'une structure textuelle ou les antécédents génériques d'une production culturelle »325(*). Le but aujourd'hui, plus que jamais, est de faire de l'audience. Pour cela, les télévisions recherchent les scandales, les scoops, ainsi elles montrent aux téléspectateurs ce qu'ils attendent et ce qu'ils jugent bon pour l'audimat même si pour cela elles doivent exercer une certaine censure symbolique comme on l'a déjà vu chez P.Bourdieu326(*). La post-télévision, notamment avec l'avènement des programmes dits de télé-réalité, est devenue un intercesseur entre le public et les stars en devenir (rappelons ici l'interactivité de ses programmes), les individus qui souhaitent acquérir rapidement une quelconque notoriété. Sans revenir sur les principes fondateurs de ce genre d'émission, il est important de souligner que ces jeunes candidats se trouvent rapidement confrontés à la réalité de la célébrité sans y être préparés. La chanteuse qui nous intéresse ici est issue de la deuxième saison de Star Academy (la saison dont on a sans doute le plus parlé médiatiquement), elle a été éliminée du jeu en novembre 2002. Le constat que nous avons pu faire, est que, encore aujourd'hui ses fans sont encore là pour la soutenir malgré les fluctuations relativement faibles de son actualité.

Dans ce chapitre, nous allons voir quels peuvent être les usages d'une telle notoriété, en déduisant de notre analyse les éléments constitutifs pour notre hypothèse d'exploitation et de récupération de l'image. Dans un but, essentiellement de reconnaissance identitaire, nous avons souligné dans le chapitre précédent, l'utilisation que les individus peuvent faire des représentations. Il faudra également tenir compte des stratégies commerciales des productions visant justement à favoriser cette identification.. Nous situons, ici, notre problématique dans une logique minoritaire, c'est-à-dire en prétendant que celle-ci puisse avoir recours à ce processus de construction identitaire médiatique à des fins de reconnaissance ou de visibilité, comme celle de l'homosexualité, après voir vu précédemment une logique juvénile plus vaste.

I ) LA TYRANNIE DE LA MINORITE

Les produits de l'industrie de masse, tout comme les produits culturels s'adressent à des publics de plus en plus ciblés. En effet, on ne compte plus le nombre de chaînes de télévision thématiques sur le câble, la presse et le nombre de sites Internet spécialisés mais aussi la complexification des genres musicaux327(*). Cela repose sur la même logique que la spécificité des candidats des émissions de télé-réalité qui se doivent de représenter chacun un type social particulier afin de séduire le plus grand nombre de téléspectateurs, afin de leur donner une raison de « ressemblance identitaire » de suivre l'émission et ceci dans un contexte de grande écoute ; les émissions de télé-réalité s'adressant à une tranche d'âge relativement étendue, même si nous savons que ce sont les jeunes qui sont les plus assidus. Cette logique peut donner lieu, comme c'est le cas pour notre groupe d'étude à des rassemblements, comme celui d'un fan-club, défendant un goût commun, une représentation commune ou des intérêts minoritaires communs. Même si lorsque celui est très exposé, il arrive de constater une disparition médiatique des marges, c'est-à-dire, dans notre cas, qu'il va s'agir de mettre en avant une reconstitution artificielle de la réalité gay et lesbienne. En effet, d'une certaine manière, l'homosexualité se banalise, certaines lois visant à lui conférer un statut de plus en plus légitimé, et cela se répercute immanquablement sur la scène médiatique, comme pour avoir une bonne conscience d'accorder une place aux gays et aux lesbiennes328(*) presque dans un respect de quotas d'images.

1. L'homosexualité à la télévision : état des lieux

Comme nous l'avons vu, la télévision tient un rôle important dans la médiatisation de l'homosexualité : elle a largement évoqué les débats sur le PACS, elle aborde aujourd'hui les questions liées au mariage et à l'homoparentalité, elle médiatise les candidats gays et lesbiennes des jeux de télé-réalité et elle est particulièrement sollicitée lors des Marches des fiertés lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles annuellement ; et depuis le 24 octobre 2004, Pink TV, la première chaîne gay et gay friendly a ouvert son antenne avec pour slogan : « la liberté, ça se regarde »329(*). Les médias parlent donc désormais volontiers de tout ce qui a trait à l'homosexualité, parfois pour des raisons positives, mais parfois pour des raisons lucratives et commerciales.

Media-G330(*) a relevé 786 émissions abordant l'homosexualité à la télévision française en 2004331(*), dont 250 sur les chaînes hertziennes qui représentent 32 % des programmes. Ces résultats, en légère augmentation, sont comparables à l'année 2003. La bonne forme des chaînes thématiques du câble depuis 2002 se confirme et les 536 programmes diffusés sur le câble et le satellite l'année dernière constituent un record absolu depuis la création de Media-G en 1997. Comme en 2003, les bouquets de chaînes consacrées au cinéma ont pour leur part diffusé un nombre élevé de programmes à thématique lesbienne ou gay en 2004.

La répartition mensuelle des scores des chaînes hertziennes indique un nombre important de programmes pendant le printemps 2004, la plupart étant liée aux débats en cours comme l'homophobie, le mariage ou l'homoparentalité. Le nombre de prime times relevés sur les chaînes hertziennes a légèrement diminué (57 en 2004 contre 60 en 2003), et reste inférieur à son niveau de 2001 (67). M6, qui était l'année dernière la chaîne ayant consacré le moins de prime times à l'homosexualité, double son score de 2003 et se place cette année en première position avec 17 soirées à thématique lesbienne ou gay, dont une programmation importante de films, téléfilms et séries.

L'actualité de l'année 2004 a été jalonnée d'événements liés à l'homosexualité qui ont largement été couverts par les journaux télévisés et les magazines d'actualité comme par exemple les mariages homosexuels aux États-Unis, puis en France à Bègles, ou les agressions homophobes comme celle de Sébastien Nouchet. Lors du premier semestre 2004, le traitement de l'information par les principales rédactions a été assez faible, notamment sur TF1, en particulier à propos de l'homophobie. Fin juin, c'est au contraire un traitement détaillé de la Marche des fiertés qui a été constaté sur la Une, tandis que France Télévisions était moins fidèle aux observations sur place lors du défilé avec des choix dans l'ensemble plutôt stéréotypés. En 2004, Arte se démarque de ses consoeurs grâce à son traitement de l'information : elle est la seule à dénoncer l'homophobie des slogans de manifestants opposés au mariage de Bègles et à apporter un éclairage original sur les difficultés des homosexuels turcs en marge de la Marche des fiertés LGBT.

Au-delà des débats de société du premier semestre 2004, la visibilité homosexuelle à la télévision a été très importante dans de nouveaux programmes de divertissement dont le concept intègre l'homosexualité comme thème principal. En 2004, deux programmes, Follement gay sur M6 et Queer sur TF1, ont déclenché un flot d'articles et de commentaires dans les médias tout en véhiculant une image particulièrement stéréotypée de l'homosexualité : icônes gays sorties de nulle part, travestissement, « branchitude », consumérisme. Non contentes de programmer des divertissements reposant sur des clichés liés à l'homosexualité, TF1 et M6 ont également croisé le fer sur le terrain de la télé-réalité avec pour la première fois en 2004 des programmes en concurrence directe, c'est-à-dire aux mêmes horaires, et une surenchère de candidats gays. Dans La Ferme célébrités, Le Chantier ou Les Colocataires, les téléspectateurs ont pu découvrir des candidats -- tous des hommes -- revendiquant leur homosexualité comme rarement ce fut le cas jusqu'ici dans ce type de programme. La télé-réalité peut résume ce que l'on peut retenir à propos de la visibilité lesbienne et gay en 2004 sur les écrans de télévision, avec certains contrastes : l'extravagant stéréotype avec Vincent McDoom dans La Ferme célébrités332(*) par exemple, ou la « normalité »333(*) avec le couple gagnant du Chantier334(*), et où la visibilité lesbienne est pratiquement inexistante à l'exception de quelques débats ou reportages sur l'homoparentalité. Rappelons que jusqu'à présent, la seule figure de l'homosexualité féminine des émissions de télé-réalité a été représentée par Anne-Laure en 2002, ou en tout cas, la seule figure visible et reconnue comme telle.

Pour certains observateurs, en particulier anglo-saxons, qui suivent l'aventure Pink TV, le danger qui guette aujourd'hui les gays à la télévision viendrait de ce genre de chaîne « ghettoisée » diront certains. Après une naissance difficile, la première chaîne gay et gay-friendly est en train de trouver sa place et a rempli ses objectifs de lancement avec 50000 abonnés. Le pari, il y a cinq ans encore, était considéré comme impossible. Aujourd'hui, il pourrait bien être gagné. Les gays ayant désormais leur chaîne, les autres télévisions n'auraient donc plus d' « efforts » à faire, comme le prouve l'exemple canadien : depuis l'arrivée de la Pride Vision TV, on ne trouve quasiment plus un programme homosexuel ni un personnage gay sur les chaînes dites « généralistes ».

2. La mise en scène du politiquement correct

D'une manière générale, la sexualité mise en avant médiatiquement permet d'augmenter les chiffres de l'audience d'un programme. Le sexe est un moyen convaincant pour interpeller le public. Si certains opérateurs d'accès à Internet ou d'accès aux chaînes câblées proposent de diffuser certaines émissions de télé-réalité dans leur intégralité, c'est-à-dire, une diffusion 22 heures sur 24335(*), les personnes s'y abonnant, attendent entre autres qu'il se passe quelque chose entre deux candidats : « Moi...ben, pour les deux premières saisons de Star Academy...euh...je m'étais abonnée à TPS pour avoir la chaîne 24 heures sur 24...bon des fois c'était l'arnaque, la caméra bloquait sur une porte pendant des heures [...] en fait je m'en foutais un peu des les voir répéter et tout...non moi ce qui m'intéressait c'était les relations qui pouvaient se faire...et qu'on nous montrait pas sur la Une... »336(*). (Compléter avec JOST sur le loft) Les ébats amoureux et/ou sexuels ayant lieu dans ce genre d'émission sont largement répandus dans les autres médias comme la presse, discuter sur Internet, tout comme cela avait été le cas pour l'histoire entre Loana et Jean-Edouard dans la première saison de Loft Story337(*). Cependant, il est évident que les médias ne parlent de la même façon de toutes les sexualités.

Même si aujourd'hui, le public n'est plus tellement appréhendé comme une masse inactive, les fonctions des médias décrites par les fonctionnalistes dans les années 60338(*) peuvent se prêter à notre regard actuel sur le sujet. Nous adhérons au fait que les médias permettent de conférer un certain prestige et une certaine célébrité aux personnalités qui y apparaissent et qui sont mis en lumière en leur donnant une certaine légitimité. Le fait de voir accéder des gays et des lesbiennes sur le devant de la scène publique permet d'une part de les considérer et d'autre part de les légitimer dans une relative mesure. Les médias jouent également le rôle de consolidateur de normes sociales en présentant à profusion les attitudes et les comportements normalement admis. Le gay ou le gay friendly font partis de la culture médiatique actuelle tout en restant cantonnés dans certains contextes. Ainsi, c'est pendant le mois de juin, mois des Gay Pride que l'Observatoire du traitement de l'homosexualité dans les médias339(*) constate le pic de représentation le plus important. Ainsi, si auparavant, les homosexuels desservaient une image stéréotypée de l'homosexualité que ce soit masculine ou féminine, aujourd'hui, avec les différents débats qui ont eu lieu que ce soit à propos du PACS ou encore à propos de l'homoparentalité, les gays et les lesbiennes à l'écran véhiculent, selon un certaine volonté des médias certainement, une image lisse et normée sous peine d'être taxée de racoleur. Thomas, gagnant de Loft Story deuxième saison, et Anne-Laure ont joué ce rôle de façon à encadrer une certaine minorité, alors que comme nous le verrons plus loin, les cultures dites homosexuelles inventées tout au long du siècle précédent se voulaient résistantes face à la normalité340(*).

Ce constat se répercute dans le discours des fans, que ce soit dans les messages du forum de discussions ou dans nos entretiens. Il coexiste deux formes de légitimation de l'homosexualité d'Anne-Laure et le degré d'implication dans une de ces deux formes va dépendre d'une part de l'âge mais aussi du niveau social et du niveau scolaire de la personne membre : les plus jeunes ont tendance à mettre en avant ses talents et à cantonner son coming out à la sphère de sa vie privée, alors que lorsque l'on se rapproche de l'âge moyen des membres, c'est-à-dire celui de la chanteuse (21 ans), il est plutôt question de mettre aussi en avant le fait que le coming-out a été une occasion de se créer une image positive ; de même les plus dotés socialement vont avoir un regard plus critique à ce sujet, en nous parlant de leur propre expérience. Ainsi, certaines voient en Anne-Laure l'icône lesbienne qui manquait au paysage médiatique français, d'autres dénoncent la mise en avant de ce côté intime de sa vie en prônant un réel cloisonnement entre ses fonctions artistiques et sa vie personnelle, ce sont souvent ceux-là qui assimile l'homosexualité à un secret341(*) :

o « En tant que gay, je peux dire que je suis fière de mon icône »

o « J'ai toujours soutenu Anne-Laure pour des raisons purement artistiques »

o « Sa sexualité ne me regarde pas »

o « Au risque de paraître un peu réac, je trouve dommage qu'Anne-Laure ait tendance à trop se livrer aux médias homos »

Ceux qui disent respecter sa vie personnelle le font sous couvert de justifications, mettant en avant notamment leur sexualité :

o « De toutes façons, je suis un mec et je suis hétéro, donc à priori je n'ai aucune chance avec elle... »

Ces derniers refusent de voir leur site se sectoriser, devenir un site pro-lesbien, et refusent l'idée que leur vie sexuelle dicte leurs goûts, leurs comportements. Portant, certaines de ces mêmes membres mettent en ligne leur vie dans des blogs, et notamment en avançant sur le terrain de l'homosexualité. Nous ne remettons pas en cause la sincérité des propos tenus dans les messages, cependant la volonté de rester quelqu'un d'ouvert et de non-circonscrit à la sphère homosexuelle de leur vie se fait largement jour.

De plus, si au commencement du forum, les sujets touchant à la sexualité de la chanteuse s'enchaînaient :

o « Anne-Laure : une nouvelle icône gay ?Je lance un sujet brûlant, qu'en pensent nos membres ? Défoulez-vous ! Je veux dire par là...ouvrez votre coeur sur ce sujet que les fans ne peuvent ignorer...pas de tabou ! »342(*)

o « Notre site gay friendly : qu'on nous traite d'homophobe me fait bien rire »343(*)

aujourd'hui, cela devient complètement tabou, et certains sujets jugés un peu trop axés sur l'homosexualité d'Anne-Laure sont clairement censurés, c'est-à-dire qu'ils sont immédiatement retirés par les modérateurs ; la nouvelle charte stipulant bien qu'il s'agit d'un site de fan et que par conséquent, la vie privée de la chanteuse devait rester privée. Nous le verrons par la suite lorsque nous aborderons les règles que ce dernier dicte à ses membres.

La publicité semble, elle aussi, un bon révélateur de la prise en compte de l'homosexualité dans les médias et ses représentations. Comme tout discours médiatisé, elle et l'objet d'un double rapport avec la société qui la produit. A la fois, reflet et symptôme, elle est en outre, du fait de sa puissance évocatrice, un acteur agissant dans les mentalités344(*). Puisqu'il s'agit d'économiser du temps et de l'espace, le discours publicitaire est un discours qui ne peut être que réducteur et simplificateur. Il n'a fait donc que renforcer, à une certaine époque, la représentation stéréotypée de l'homosexualité essentiellement masculine, même si aujourd'hui son intention est plutôt liée à la légitimité sociale croissante de l'homosexualité, mais aussi à un marketing qui tente de cibler un certain public. En effet, à la fin du millénaire, la publicité connaît un tournant avec l'émergence de cette nouvelle cible marketing bien structurée et d'un marché spécifique : les homosexuels eux mêmes jouant quelques fois encore sur les clichés345(*). Les lesbiennes semblent toutefois tenues à l'écart de ce phénomène, elles restent relativement absentes des publicités ou lorsqu'elles y apparaissent, c'est dans une imagerie hétérocentrée. En effet, la vague de ce que l'on a appelé le « porno chic » en publicité à partir de 1995, a favorisé le « développement du fantasme masculin archétypique de la lesbienne hyper-sexuée »346(*). Le fait de mettre en scène des lesbiennes contribue surtout ici à alimenter de vieux fantasmes hétérosexuels masculins, voire machistes.

Tout se passe comme s'il ne fallait pas « choquer » le public dit universel, et donc leur donner des images de l'homosexualité et de la sexualité en général qui les rassurent ou les confortent dans leurs représentations. Ainsi, lorsqu'en 1994, la première soirée du Sidaction347(*) est diffusée sur les chaînes de télévision, les reportages font quasiment l'impasse sur les modes de contamination sexuels du virus en accordant la plus grande place aux questions du sang contaminé, des drogués et de la transmission du virus de la femme enceinte à son bébé. En ce sens, la médiatisation d'une candidate lesbienne d'une émission de télé-réalité, même si elle apparaît normée, ou qu'elle est jugée comme étant un « coup médiatique », comme cela a pu être reproché au coming-out d'Amélie Mauresmo, permet une visibilité quotidienne de l'homosexualité, étant donné la proximité des participants avec le public. Comme les personnages de sitcom348(*), les candidats sont familiers : « on m'a dit qu'en matière de lutte contre l'homophobie j'avais fait beaucoup. Au départ je voulais juste qu'on m'accepte [...] mais après tu te rends compte que ça s'élargit, que tu deviens le stéréotype d'un groupe, d'une communauté »349(*).

3. Les recours du minoritaire

Lorsqu'un programme aborde le sujet de l'homosexualité, le message qu'il transmet va d'abord être reçu par des spectateurs ou des auditeurs attentifs, c'est-à-dire, relativement concernés par le sujet : ce sont toujours les personnes déjà intéressées par la problématique d'un message qui sont disponibles pour le recevoir, et ensuite tenter de le faire diffuser d'une manière plus large. En ce sens, les festivals de cinéma gay et lesbien touchent avant tout un public gay et lesbien et que très minoritairement le grand public.

Les gays et les lesbiennes ayant conscience de faire partis d'une minorité, ont besoin, comme toute personne cherchant des repères constructifs, d'une image, ils sont donc à l'affût du moindre appel, de la moindre ambiguïté, de la moindre révélation, quitte à déformer parfois quelque peu les images, et quitte à, comme nous le verrons plus après, à ériger certaines célébrités en icônes sous couverts de quelques doutes ou simplement parce qu'elles ont à un moment donné joué la carte de l'ambiguïté sexuelle, que ce soit dans l'attitude ou dans les oeuvres. Ainsi, les membres interrogés nous ont fait part de leur prise de conscience de l'homosexualité d'Anne-Laure, en mettant soit en avant une sensibilité différente, un look différent ou tout simplement la mise en marche de leur « sens pratique » :

o « Sa sensibilité a été pour moi...un déclic »350(*)

o « Je dirais tout simplement qu'elle avait un style différent des autres »351(*)

o « J'avais lu un article disant que dans le château, il y avait une fille qui avait dit qu'elle était lesbienne...du coup j'ai regardé et bon ben j'avais compris de suite que c'était elle »352(*)

o « J'ai accroché sur son look »353(*)

o « Je l'ai su dés la première fois que je l'ai vue qu'elle était gay...ça doit être mon antenne »354(*)

De plus, ces images récupérées sont mises en avant dans différents médias et alimentent l'existence de certains goûts communs aux gays et/ou aux lesbiennes, de sorte à construire artificiellement l'idée d'une culture médiatique propre. Le groupe minoritaire valide son entrée dans le majoritaire par la récupération et l'appropriation de certaines représentations, de certains codes, de certaines figures. Tout le groupe minoritaire est sensé se retrouver dans ces représentations, moyennant à un niveau plus ou moins conscient, un but, un cadre de référence et un vécu commun, entraînant une idée de cohésion du groupe, c'est-à-dire « la totalité du champ des forces ayant pour effet de maintenir ensemble les membres d'un groupe et de résister aux forces de désintégration, de l'attrait global du groupe pour tous ses membres, l'accent pouvant être mis tantôt sur l'aspect fonctionnel de contrôle, de normalisation, de pression vers l'uniformité, tantôt sur l'aspect émotionnel de spontanéité collective et le sentiment du « nous » de « l'être ensemble » »355(*).

Dans notre cas, les facteurs de la cohésion du groupe proviennent d'une part de critères socio-affectif, les membres du groupe de fans ont un attrait pour un but et/ou un goût commun, un attrait pour l'action collective notamment à travers l'existence du forum de discussions, et l'attrait pour l'appartenance au groupe favoriser par l'emploi massif du « nous »; et d'autre part, de critères opératoires et fonctionnels, c'est-à-dire, que le fan-club a aussi des fins informatives sur l'artiste dont chaque membre est demandeur. Cela signifie aussi que certains membres ont des rôles bien précis dans cette action collective et qu'il existe pour cela un leader. Ici, le leader est représenté par les modérateurs du site. Il a des fonctions socio-opératoires : il s'occupe des opérations concernant l'information et la méthode de travail (les modérateurs dictent les normes du forum de discussions), des opérations concernant la coordination des apports et des efforts (ils mobilisent les fans pour les événements) et des opérations concernant les prises de décisions. Il a également des fonctions socio-affectives : les modérateurs interviennent à la stimulation et au soutien des membres et à la facilitation sociale, c'est-à-dire, qu'ils arrangent les différents problèmes d'entente dans le groupe. Et enfin, il est l'intermédiaire entre l'artiste et les fans. Celle que l'on nomme la « Choupichef » est très souvent citée dans les messages des membres, comme si le site était devenu le site de Wilo (pseudonyme de la modératrice en chef, et l'initiatrice du site et du forum) plus que le site officiel d'Anne-laure. Les membres usent de termes honorifiques pour parler d'elle, il peut ici s'agir d'une véritable forme d'affection, ou d'une stratégie visant à obtenir les faveurs de la personne qui détient le pouvoir sur le forum356(*) :

o « Merci Chef de remettre les choses à leur place »

o « [...] ma Webmother »

o « [...] ma Wilo qui compte tant »

o « [...] ma petite Wilo [...] ma pupuce »

o « Pour moi, tu es un être exceptionnel »

o « Tu es tout simplement parfaite »

o « Pour moi Planète, c'est avant tout chez Wilo...et après seulement arrive la Choup' »

En effet, les modérateurs ont le pouvoir de faire évoluer les membres vers des statuts plus importants ; nous avons pu déjà noté les différentes distinctions existantes, elles sont valorisantes et valorisées aux yeux de tous, elles confèrent une certaine légitimité357(*) :

o « T'as de la chance, moi j'en ai marre d'être planétalienne »

o « Tu n'as juste qu'à être présente et actif sur le forum et ton tour viendra »

Ainsi, pour engendrer une certaine reconnaissance, le minoritaire va récupérer un certain nombre d'images, d'oeuvres ou de personnalités à son compte, même si au départ tous ces éléments vont partis d'un univers symbolique commun qu'il partage avec le majoritaire. Les conduites des minoritaires apparaissent comme des réponses à des impératifs de la société majoritaire et leur propre identité se déploie dans un premier temps à partir d'une reprise des impératifs qui leur sont donnés par la culture majoritaire où ils vivent et dont ils dépendent358(*).

Certains programmes ont donné lieu à de véritables « cérémonies télévisuelles » regroupant le public assidu, les fans de telle ou telle série par exemple. Dynasty a pu jouer un rôle important dans des communautés gays américaines parce que ces publics avaient pris l'habitude de se rassembler lors des diffusions359(*). De plus, être fan de Dynasty et participer aux soirées organisées lors de chaque diffusion d'un épisode, c'est d'abord affirmer son homosexualité. Ces soirées fonctionnent donc comme des rites d'affirmation permettant le partage identitaire. La communauté, comprise comme une sorte de tribu ou de clan, y réaffirme sa présence et y reconstitue son unité.

II ) LA GESTION DE L'IMAGE

Les images que diffusent les médias sont contrôlées, mises en scène, voire même manipulées et censurées. Les masses culturelles peuvent s'illustrer par le système totalitaire360(*), profitant du désarroi d'un public pour s'installer en proposant une certaine image maintenue dans les représentations collectives dont le rôle est de sceller l'union des masses. Certains produits culturels ou images font obstacles à la réalité, sont utopistes mais sont largement diffusés, « et les stars qui vendent ces produits sont les façades des industries du divertissement »361(*). Star Academy pré-fabrique des stars, et Anne-Laure aussi est façonnée d'une certaine manière, sa production voulant gommer quelque peu l'image de l'icône lesbienne362(*) qu'elle est devenue malgré elle après son coming-out discret mais repris dans la presse. Aujourd'hui, la télévision semble régir un certain nombre de représentations majoritaires mais aussi minoritaires comme nous l'avons vu, elle a le pouvoir de « montrer les choses » au plus grand nombre, et elle offre au public ce que celui-ci demande. Nous avons vu qu'elle permettait de créer du lien, le fan-club est l'exemple de ce lien ; mais comme toute production médiatique, le fan-club est aussi géré parfois par des manipulations et des censures.

1. Des usages de la notoriété : le cas des icônes gays et lesbiennes

Les médias font parfois référence, à travers une émission de télévision, d'un reportage ou dans les colonnes people de l'actualité de certains sites gays ou lesbiens, à ce que l'on appelle les icônes gays ou dans un moindre cas, les icônes lesbiennes. La presse gay que nous avions étudiée auparavant validait largement leur existence, un magazine avait même été lancé, sans succès, et se proclamait « magazine de la culture gay »363(*) véhiculant un certain nombre d'égéries des gays de toutes sortes.

Les icônes gays sont généralement des femmes, des artistes, des chanteuses. Aujourd'hui, ce terme est couramment employé, pour parler par exemple de Madonna, Mylène Farmer, Barbara ou encore Sheila. Certains vont mettre en avant le fait que ce qui attire les gays, ce ne serait pas la femme mais l'essence absolue de la femme, sa représentation fantasmée, son image parfaite364(*). Ainsi, les gays s'éprendraient des divas, symbole de la femme idéale et inaccessible, même si nous sommes en droit de questionner la légitimité de considérer certaines chanteuses comme Sheila ou Kylie Minogue comme des divas. Cet amour sans désir trouverait même sa réalisation dans un « fétichisme des plus fervents », certains vont jusqu'à écrire qu'elles sont « les stars incontestées du panthéon gay » et formeraient « incontestablement une culture gay ». Ces artistes cultivent plus ou moins leur rôle d'icône gay.

Cet engouement est différent chez les lesbiennes : on parle d'icône lesbienne, lorsqu'une certaine personnalité révèle son homosexualité, comme c'est le cas actuellement pour Amélie Mauresmo ou Anne-Laure. Nous avons fait l'expérience en tapant « icônes lesbiennes » dans un moteur de recherche sur Internet, puis « icônes gays ». Les premiers résultats nous renvoyaient à des noms tels que la chanteuse à l'image ambiguë Tracy Chapman, la série lesbienne « The L Word », Amélie Mauresmo, la chanteuse lesbienne Mélissa Etheridge, le groupe russe lesbien Tatu, les marseillaises du groupe des Belladonna, la comédienne Ellen Degeneres de la série « Ellen ! » ouvertement lesbienne, ou encore le groupe lesbien Indigo Girls ; les seconds résultats renvoyaient à des noms comme Dalida, Mylène Farmer ou Madonna.

Ce constat peut s'expliquer par le fait que les lesbiennes, plus que les gays cherchent à se voir représenter car elles sont le plus souvent soumises à l'indifférence. La visibilité va alors se trouver au coeur même des enjeux liés à la reconnaissance des droits des minorités dans l'espace public. De plus en plus, les lesbiennes produisent leur propre image dans les médias et le discours public. Dés lors, il ne s'agit plus uniquement d'être filmés par la caméra comme un objet de regard, mais aussi d'intervenir directement sur l'image de soi que les médias et les discours publics reproduisent et font circuler. Dans cette logique de marché, le droit d'être vu et entendu, d'être visible, devient un part essentielle d'une « économie identitaire dans laquelle la marchandisation du corps lesbien est une valeur à la hausse dans la mesure où sont respectés les préceptes capitalistes de la saine compétition pour le maintien de l'ordre social365(*) ». Il en découle des conséquences sur la façon de s'auto-présenter comme lesbienne. Cette économie identitaire va avoir une influence sur la perception de l'identité lesbienne. Ce que l'on voit à l'écran va immanquablement se ressentir dans l'espace public.

La mise en avant d'icônes est investie, comme la valorisation de culte médiatique366(*), de revendications identitaires, elle fédère les membres d'une même génération ou d'une même minorité autour de styles de vie ou goûts communs, elle traduit des stratégies d'affirmation de soi, elle apparaît comme rassembleuse et distinctive, puisque c'est quelquefois en fonction des goûts et des valeurs que nous sommes renseignés sur l'affiliation identitaire d'une personne.

2. L'éphémérité et la multiplicité de l'«être star» : le rôle du fan-club dans la construction d'une carrière

Aujourd'hui, la première remarque que l'on peut faire est qu'il faut d'abord passer à la télévision pour pouvoir espérer devenir « star » ; nous prenons ce mot au sens médiatique du terme, étant donné que n'importe qui passant à la télévision devient une star, il n'y a plus vraiment de mythe367(*) autour des vedettes du petit écran. Au sein des émissions de télé-réalité, la vocation artistique qui fait le plus recette est celle de la chanson. Les chaînes françaises, comme TF1 ou M6, l'ont bien compris en créant une filiale, une société de production de disques. Ce qui explique le rôle du média télévision dans la promotion d'un artiste. Il s'agit alors d'un phénomène de masse « vite fabriqué, vite consommé et vite jeté ». La musique que la télévision propose est un simple produit marketing destiné à vendre toujours plus de disques, notamment aux adolescents, cible privilégiée des ventes.

Ainsi, la télé-réalité aide à devenir célèbre rapidement mais ne promet une carrière d'artiste, ce procédé est contesté par certains comme étant la starisation de l'artiste moderne comme la première marche vers la disparition de l'artiste, vers la transformation progressive de l'art en instrument de communication. Pierre-Yves Garcin, directeur commercial de « Une musique », filiale disque de TF1 parle d'alliance objective entre la télévision et la musique, il confirme alors un fait établi : la musique est désormais un simple business, le disque, un pur produit et le chanteur, une marionnette dont les fils sont tirés à la fois par les maisons de disques et par la télévision. Prenons le seul exemple de Star Academy qui développe une véritable économie parallèle notamment par la création de produits dérivés et la vente de ses licences. Pour Star Academy saison 3, TF1 a remporté 130 millions d'euros rien qu'en produits dérivés, appels téléphoniques et surtout en recettes publicitaires (Star Academy saison 2 : 105 millions d'euros, Star Academy saison 1: 60 millions d'euros). De plus, la liaison entre télévision et musique a des répercutions sur d'autres secteurs comme la presse pour adolescents et la presse people. TF1 a lancé le « Star Ac Mag », un mensuel vendus environ à 350 000 exemplaires où l'on parle des candidats du moment, des candidats précédents mais également d'artistes en vogue et touchant le même public que celui de Star academy. Le coming-out d'Anne-Laure est bien sûr pas ou peu abordé dans les magazines pour jeunes368(*) où l'on préfère évoquer son côté « sportive, battante » ou poser à côté de son idole « venue assister au show », Amélie Mauresmo ou encore dire qu'elle « apprend à être féminine », un seul article titrait : « il n'y a pas de honte à préférer les filles ». La presse dite « people », au contraire, s'oriente plus généralement sur la vie sentimentale des célébrités et Anne-Laure ne fut pas épargnée, on la voit notamment en compagnie de sa petite amie de l'époque, ou tout dernièrement à la une d'un magazine avec celle qui va devenir sa femme en Belgique dans les mois à venir.

Ce marché fonctionne sur l'identification, les producteurs ont vite compris que les cibles étaient les adolescentes qui s'identifient de plus en plus à leur soeur aînée ou à leurs idoles et adoptent les codes de l'adolescence où l'apparence est décisive. A travers leurs mimiques, elles s'essaient à être. C'est le travail de l'identité. Or les normes de l'apparence sont fortement induites par les médias, la publicité et le star system. Nos enquêtés nous ont parfois révélé qu'elles avaient adopté pour un temps l'apparence vestimentaire d'Anne-Laure.

Nous sommes ici dans un monde marchand où règne le profit avant toute chose. Les caractères internes du star-system sont ceux même du grand capitalisme industriel, marchand et financier. Le star-system est d'abord une fabrication369(*). Le site Internet pourrait d'ailleurs être utilisé comme portail avec des arrières pensées commerciales et lucratives, comme peuvent l'être les sites destinés à des groupes spécifiques comme par exemple, le site Adventice de vente en ligne de produits socio-culturels entre autres, qui s'adressent aux gays et aux lesbiennes. Cette contrainte économique doit être prise en compte dans la construction de la notoriété qui doit forcément obéir à une loi du marché qui offre donc une logique d'action propre à celui-ci370(*).

Dans un contexte de guerre concurrentielle, le système médiatique a frénétiquement besoin de célébrités. Il veut les produire vite et les exploiter à chaud. C'est exactement ce qui se passe après que les candidats soient sortis du château de Star Academy. De la même façon que la série « Hélène et les garçons » étudiée par D. Pasquier, Star Academy génère de grands groupes de fans qui passent d'abord par la constitution d'un public, d'une audience. Le cadre autour de la série est le même que celui que l'on trouve autour de l'émission. Il est géré par une société de production, plus ou moins, indépendamment de la chaîne qui diffuse le programme, il donne lieu à des fanzines consacrés exclusivement à la série ou à l'émission, il se décline en une multitude d'objets merchandising et donne donc l'occasion aux fans de devenir de véritables petits collectionneurs (Images Panini, tee-shirts, casquettes, disques, livres, vidéos, vêtements et accessoires en tout genre), sachant que la collection sera éphémère ; la série « Hélène et les garçons » ne pouvant pas durer éternellement et une promotion de Star Academy ne durant qu'une année (après on choisit de suivre tel ou tel personne qui continue une carrière en solo ou bien on se replonge dans la nouvelle promotion de l'année).

Autour de ce fan-club, autour de l'artiste gravite un certain nombre de personnes. Même s'il s'agit ici d'un art mineur, on pourrait considérer ce groupe de personnes comme un réseau qui coordonnerait leurs activités pour la production d'une oeuvre371(*), ou même d'une artiste. La production aurait donc une dimension collective, H.S.Becker parle de réseaux coopératifs372(*) avec une segmentation du travail en tâches diverses allant de la conception des idées à l'appréciation et la critique. Les préoccupations esthétiques, financières et professionnelles sont différentes de celles de l'artiste. Chacun obéit à des normes et à des préoccupations propres. L'artiste est dépendant d'une part des ressources matérielles mais aussi, et peut être même surtout, des ressources humaines pour produire et se faire connaître. La mobilisation des ressources va plus ou moins influer sur le projet initial de l'artiste.

Dans notre cas, les ressources humaines ont la plus grande importance. Pour notre part, ces ressources engloberaient également le public, sans qui il n'y aurait pas d'artiste, de vedette. C'est à travers le public que peut se construire une quelconque notoriété mais aussi à travers les intermédiaires spécialisés qui s'en occupent, en obéissant à des intérêts souvent différents de ceux des artistes dont ils diffusent les oeuvres. Ici nous parlons des producteurs, des attachés de presse...du monde des affaires qui fait également parti du monde de l'art. Il peut, comme le montre certains messages, parfois y avoir des conflits entre la production qui veut générer une certaine image de son artiste, le public qui se réapproprie cette image comme il le souhaite (notamment en érigeant Anne-Laure en icône lesbienne) et les fans qui sont entre les deux et qui tentent de gérer la carrière de l'artiste de façon à suivre les exigences de la production tout en mettant en avant certains aspects de leur vie personnelle. Ces personnes cherchent à « produire » et diffuser l'oeuvre la plus rentable et pas toujours forcément pour son côté esthétique. A ce sujet, nous avons pu participer à la discussion concernant le choix du premier single d'Anne-Laure ; malgré l'unanimité que faisaient certains titres forts, comme notamment un titre contre la pédophilie, le producteur a opté pour un titre plus commercial, plus passe-partout et traitant d'un sujet léger, et surtout pas tabou. Nous voyons bien sûr les enjeux que peuvent représenter la sortie du tout premier single. L'art commercial est fait pour répondre à une demande de plus en plus éphémère.

D'une manière générale, la constitution sur Internet d'un fan-club tend à produire le phénomène grandissant de la carrière de l'artiste autant qu'il le décrit.

2. La mise en place d'un système normé : les règles du fan-club

Ainsi, il nous paraît juste d'inclure le regroupement des fans dans ces réseaux coopératifs. Il semble être au coeur d'un système mis en place au profit de l'artiste. Derrière un effort de solidarité à l'oeuvre dans un tel rassemblement de personnes, la production y voit peut-être des enjeux économiques importants. Ce thème a fait l'objet d'un questionnement. Il est, en effet, paradoxal d'avancer qu'il peut y avoir des solidarités d'un certain type dans un tel système, d'autant plus lorsque l'on sait qu'il provient d'un système encore plus construit et médiatisé qu'est celui d'un programme télévisé comme Star Academy.

Ce regroupement pourrait se définir en terme d'équipe au sens de Goffman373(*), comme un ensemble de personnes coopérant à la mise en scène d'une routine particulière. En étant membre d'une équipe, les acteurs se trouvent placés dans une étroite relation d'interdépendance mutuelle. Cette mise en scène se retrouve, notamment dans les messages émanant de la production d'Anne-Laure ou bien des modérateurs du site Internet et du forum. C'est le cas en particulier des messages de mise à contribution ou de mobilisation qui s'avèrent être bien réglés et organisés par la production dans le but de promouvoir au mieux la carrière de l'artiste. Le producteur « dicte » en quelques sortes l'attitude que les fans doivent avoir. Il fait très attention à l'image de sa protégée, et cette image passe évidemment par le fan-club, par les fans. Selon E.Goffman, tout membre de l'équipe a le pouvoir de « vendre la mèche », de casser le spectacle par une conduite inappropriée.

Voilà ce que les membres ont pu recevoir lors de la sortie du premier single d'Anne-Laure :

Sujet:

Soutien intensif au "démarrage médiatique" d'Anne Laure

 

Anne-Laure, à 1 mois de la sortie de son single, est à un tournant décisif de sa "vraie" carrière.
Le succès de son single, et pour cela la campagne de promotion radio TV qui va l'introduire, sera décisive.

Le Producteur fait appel au partenariat et au "relais" des fans, par l'intermédiaire des administrateurs de ses 2 sites Planète et AL.net qui sont plus que jamais unis dans leur soutien à Anne-Laure.
Il faut appuyer cette campagne et garantir son succès. Mais il faut le faire avec intelligence et avec naturel, et pas de manière excessive et fanatique. Pour cela nous avons décidé de ne pas faire un affichage de consignes publiques sur nos forums.
Voici la méthode que nous proposons :
1/ Nous ferons figurer , au fur et à mesure, dans le forum A-L officiel, les dates de passage d'A-L sur les radios, et les coordonnées (phone ou mail) de la radio. Nous ouvrons pour cela un post "passages radio d'A-L" dans le forum A-L officiel.
2/ Ensuite, chaque fois que le titre est entendu sur une radio, le fan qui l'a entendu pourra appeler la radio pour dire qu'il a aimé. Surtout, il pourra faire passer l'info à son "réseau" ou poster dans le forum single -album des sujets tel que " j'ai entendu Imagine sur telle radio"...en donnant le jour et l'heure, mais sans donner de consigne de "matraquage". A partir de ces infos, vous pourrez, à votre tour, appeller le media, ou lui envoyer un email pour dire que vous avez aimé, remercier, redemander le titre, etc...
Soyez NATURELS, ne montrez pas que vous êtes fans de la première heure, il faut que la radio ait envie de vous croire et de vous faire plaisir (sinon, ça peut faire l'effet inverse).
3/ Utilisez votre "réseau" d'amis (mail, msn, MP...) pour faire passer vos infos. Anne-laure a besoin de chacun.

Retransmettez ce message à vos amis. Si vous l'avez reçu en email, quand vous le retransmettrez à vos amis prenez soin d'effacer la liste des destinataires précédents, pour ne pas multiplier les risques de diffusions de virus !
Merci à tous. Votre action dans les deux mois à venir, même si elle vous paraît microscopique, sera décisive.
La choupiteam d'Annelaure.net

1ère action concrète : samedi 9 octobre Montivilliers. Anne-Laure sur Radio Résonance
02.35.28.78.7 ou par mail (directement sur le site
www.resonance.best.cd )

Cathy et la choupiteam.
Bisous.

Le forum exige des règles : il faut bien sûr se respecter les uns les autres, ne pas tenir de propos déplacés, respecter la vie privée d'Anne-Laure, tout un ensemble de règles éthiques et juridiques mais aussi une sorte d'habitus de membre, chacun doit savoir où poster son message, il faut pour cela respecter les catégories du forum, les modérateurs étant là pour rappeler à l'ordre ceux qui se tromperaient. Il existe d'ailleurs une charte qui figure en annexes. Les anciens membres sont là pour rappeler les « nouveaux » à l'ordre, pour leur inculquer les règles en vigueur. Ils vont employer un ton supérieur et bienveillant alors que les nouveaux ne vont cesser de s'auto-justifier à chaque fois qu'ils vont poster un sujet374(*) :

o « Je vous écris ce post pour m' excuser de ma trop rare présence »

o « Je sais que je vais me faire taper sur les doigts parce que ce mail n'a rien à voir avec Choupi mais... »

o « je suis désolée du message qui va suivre »

Les anciens se considèrent un peu comme la relève de l'équipe modératrice. Beaucoup proposent leur service afin de « soulager » le travail des modérateurs. Quelquefois leur zèle conduit à une trop grande distance avec les nouveaux membres. Quelques sujets ont été lancés afin de se plaindre de la difficulté de s'intégrer sur le forum : « c'est cool d'être apprentie choupifan mais c'est chaud de s'intégrer quand on débarque... »375(*). Ainsi nous avons bien ici le sentiment de l'existence d'un clan, d'une tribu et des problèmes d'intégration que cela engendre.

Les nombreuses justifications, les auto-justifications qui ont été repérées très souvent en début de sujet montrent également à quel point les membres tiennent compte des autres. En effet, tout est fait pour ne pas les choquer, les offusquer, les déranger, un peu comme s'il y avait des codes à respecter. Il y a plusieurs sortes de justification. Celles qui justifient le fait de dire certaines choses par des excuses (1), ou encore des affirmations(2), ou encore des caractéristiques propres à la personne (3). Par exemple :

(1)

o « Pardonnez moi si vous l'avez déjà lu »

o « Afin de ne pas raconter ma vie (on me l'a assez reproché à mon arrivée, je crois alors que je ne vais pas recommencer)... »

o « Désolé d'avoir ouvert un sujet parlant de moi »

(2)

o « Nous parlons moins d'homosexualité que d'autres sites sur elle, c'est vrai ! »

o « Je sais que tous les fans d'AL ne sont pas homos... »

(3)

o « Avant qu'on me traite d'homophobe, je précise que pour moi, le terme « gougnette » est affectueusement gentil et vice-versa »

o « De toutes façons, je suis un mec et je suis hétéro... »

o « Je précise que je suis un gars hétéro... »

o « Je suis homo, j'ai 35 ans... »

Les justifications permettent également de ne pas « sortir » du cadre du forum, c'est-à-dire, étant donné que les règles sont strictes et que les modérateurs veillent à ce qui est dit, le fait de se justifier minimise ce qui pourrait éventuellement déranger et ainsi cela permet au membre en question d'éviter la sanction ou la réprimande. Les guillemets comme les parenthèses ont également, une valeur de justification, et sont utilisés notamment pour des termes qui peuvent être discutables et discutés, des termes qui ne sont pas neutres. Ils peuvent aussi être utilisés lorsqu'un membre emploie un mot ou une expression qui ne peut se comprendre qu'entres membres. Dans les rares sujets évoquant clairement l'homosexualité, les guillemets sont massivement employés : « gougnette », la « communauté gay », un passage « obligé » qui ne la suivra pas forcément toute sa carrière, [...] ne fait que « victimiser » la différence, devenir la « mascotte », « coming out », communauté « lesbienne », certains consommateurs « hétéros », sa « différence », « sexualité », « gay friendly », je viens « prendre de ses nouvelles », un site « neutre », « homosexualité », qu'elle soit « récupérée » par la « communauté », des personnes « comme elle ». Ce qui révèle une sorte de malaise face à ces sujets, malaise qui se justifie par la censure des modérateurs à ce propos.

Le fan-club se trouve donc dans une double position, celle de défendre les intérêts d'une artiste sous couvert de défendre les intérêts de ses membres, cependant ces derniers peuvent l'utiliser dans un souci de cohésion, de lien social avec ceux qui leur ressemblent, mais toujours en prétextant le faire dans le cadre d'un goût commun pour la chanteuse ici représentée.

III ) LA MOBILISATION ET LE SOUTIEN DES FANS

Ce terme de fan est assez récent dans notre vocabulaire, il date de 1958, il est une abréviation du mot anglais fanatic, signifiant admirateur. Le fan, serait alors, d'après le dictionnaire usuel : un admirateur enthousiaste d'une vedette. Ce terme semble être indissociable de l'avènement de la pop music avec l'engouement des jeunes gens pour des groupes comme les Beatles ou des chanteurs comme Elvis Presley. Le peu d'études sociologiques faites à ce sujet portent d'ailleurs sur ces artistes là considérés comme des mythes, comme des objets de culte. Ce culte donne à voir la formation d'une sorte de « groupe religieux »376(*) autour d'une figure charismatique largement sacralisée et célébrée comme celle du King. A partir de ce groupe peut s'élaborer une identité sociale et collective, se créer du sens collectif, des significations individuelles, alors que l'on tend à constater la fin des grands dispositifs producteurs de sens. Dans ce cas là, on peut parler de communauté émotionnelle ou même de fratrie imaginaire, et le fait d'être fan joue sur la construction identitaire des individus377(*). Aujourd'hui, la star est de plus en plus banalisée, elle devient plus présente et plus intime, elle est souvent à la disposition de ses admirateurs, nous ne sommes plus dans le registre mythique des stars hollywoodiennes de la grande époque du cinéma décrite par E.Morin378(*).

1. Retour sur la notion de fan

Le terme « fanatique » provient du latin « fanaticus » signifiant  « le serviteur du temple », et de « fanum » qui signifie « le temple », il est employé ainsi depuis 1532. C'est à partir de la seconde moitié du 18ème siècle que l'on parle du verbe « fanatiser », c'est-à-dire, rendre fanatique : ses discours fanatisent les foules, on peut citer ici l'exemple de la montée des fascismes en Europe avec à leur tête des dictateurs capables de telle fascination sur la population. Le fanatisme se définit alors comme l'attitude de celui qui croit de façon aveugle à un dogme, un homme, une idée, un parti...et qui se comporte en conséquence. Au 18ème siècle, le mot fanatisme est opposé à celui de philosophie. Le fanatique est celui dont la conviction est telle qu'elle le rend incapable de juger par lui-même, ni d'envisager, ou même de tolérer, tout autre option que la sienne. Comme l'explique le philosophe Alain, paradoxalement, le fanatique s'appuie sur cette idée juste selon laquelle « il n'est point de vérité qui subsiste sans serment à soi » : considérant abusivement son opinion comme une vérité, le fanatique refuse en conséquence d'en changer ou qu'autrui puisse en avoir une différente. Il existe beaucoup d'a priori sur les fans, ils apparaissent quelquefois comme une « [...] sorte d'adolescent aliéné, dépourvu de personnalité, manipulé par l'industrie du show-business [...] »379(*).

Le parcours de fan pourrait, selon certaines transpositions, ressembler, dans la forme, à la construction de la carrière de déviant380(*) au sens où l'entendait H.S.Becker, et notre analyse, parallèlement à celle de C.Le Bart va nous guider dans notre démarche. Le fan va passer par un certain nombre d'étapes. La première est celle de la découverte de la passion : les fans utilisent la thématique de la révélation pour l'évoquer, il est même parfois question d'un avant et d'un après381(*) :

o « C'est mon modèle »

o « Elle représente la femme idéale »

o « C'est la femme parfaite »

o « Grâce à elle, je me suis découverte »

o « Elle m'a appris indirectement à accepter mon attirance...à faire le premier pas qui a changé ma vie »

Même s'il ne s'agit pas ici, comme le veut H.S.Becker d'une transgression d'une norme définit institutionnellement ou non, le fait de se particulariser en étant fan de tel ou tel artiste permet d'éviter de se conformer aux autres, sauf dans le cas des phénomènes de mode. Dans cette première étape, les médias jouent un rôle très important, ainsi que l'environnement dans lequel le fan évolue. Dans notre cas, il s'agit le plus souvent du milieu familial, qui peut être conciliant et compréhensif ( « Mes parents trouvaient que c'était bien que je découvre une autre vision de la chanson grâce à elle, il m'encourageait à soutenir cette artiste »382(*)) ou hostile ( « Ma famille ne comprend pas qu'on puisse admirer une personne qui a cette différence »383(*) ).

La deuxième étape peut donc être celle de l'étiquetage du fan, et ce d'autant plus si l'objet de sa passion n'est pas considéré comme un objet légitime, comme cela peut être le cas pour les candidats de télé-réalité, et encore plus lorsque l'objet de la passion est lui-même stigmatisé, comme cela peut être le cas pour Anne-Laure384(*) :

o « [mes parents] n'apprécient pas trop sa différence, ils pensent que la cultive aussi »

o « Anne-Laure = lesbienne, je déteste cette mentalité. On me traite aussi de lesbienne, alors je réponds oui, et on me regarde comme si j'étais bizarre »

o « Bien sûr j'ai eu droit aux questions genre : tu l'aimes parce qu'elle est homo ? »

Cette étape entraîne la formation d'un univers à soi comme le lieu d'affirmation identitaire, pouvant être symbolisé soit par le lieu de vie comme la chambre du fan, soit par son blog virtuel, soit encore par son intrusion dans un forum de discussions concernant l'objet de sa passion. L'environnement familial joue, dans cette étape, le rôle de médiateur. Il participe au processus de « domestication de la passion ». C'est un « espace intermédiaire entre l'exclusivité symbolisée par la chambre (où se déchaîne la passion) et la censure imposée par la vie sociale »385(*).

Enfin, la dernière étape dont H.S.Becker fait état est celle de l'entrée dans un groupe déviant organisé qui va développer chez les individus une identité déviante. Ici, il peut être question de l'adhésion des individus à un fan-club, ou au moins la quête du semblable : la passion n'est pas seulement une affaire d'individualisation, elle aussi prétexte à relation sociale. Au contact des autres fans se développent des stratégies identitaires d'affirmation de soi de plus en plus importantes, il faut montrer et afficher sa passion et l'inscription dans un fan-club est un rapprochement symbolique avec la communauté imaginaire. Ce dernier offre des modèles d'affirmation et de légitimation de la passion, il met à dispositions des ressources identitaires collectives et confère à ses membres, fierté, conviction et solidarité, d'autant plus dans un contexte où ils sont discrédité et marginalisé, comme nous avons pu le voir dans le cas des icônes gays et lesbiennes. Les messages utilisant ce genre de vocabulaire thématique ne sont pas en reste, les membres n'hésitent pas à mettre en avant la subjectivité de leur propos, demandant des conseils, relatant leurs expériences. Elles argumentent par la ressemblance des expériences, que ce soit des expériences de fans, de jeunes filles adolescentes ou de jeunes filles qui se découvrent lesbiennes et qui sont confrontées à l'homophobie dans leur vie « réelle » quotidienne.

Mais derrière cette forme de solidarité se tissent également des concurrences entre les fans, d'une sorte de compétition, notamment autour d'un concours de proximité : « [...] moi, j'ai son numéro de portable », « je la connais bien [...] », « son père m'a parlé plusieurs fois [...] »386(*)...Cela n'a aucune valeur pour les non-fans, d'où l'importance de connaître des semblables, cela permettant également de se donner une certaine valeur, et d'être reconnu parmi les autres. Le groupe a donc ses attributs et les posséder confère une légitimité supplémentaire sur les autres, comme nous avons pu le voir lors de notre pré-enquête, le fait d'avoir été choisi pour travailler au côté d'Anne-Laure nous glorieux à nos dépens. Cela nous permet de penser les fans en terme de catégorie, chacun ayant une attitude particulière, le rendant un peu singulier face aux autres.

Le magazine Technikart387(*) a publié un dossier sur les fans. Il a élaboré une typologie du fan, qui n'a rien de sociologique mais qui nous montre l'ampleur du phénomène. Il distingue 12 catégories de fans :

- Le fan anachronique, fan de l'artiste mort. Mort en tout cas d'un point de vue artistique (Wham, Duran Duran par exemple).

- Le fan érudit, fan d'artiste ayant suscité une analyse aussi volumineuse qu'éternellement renouvelable (Beatles par exemple).

- Le fan collectionneur, il collectionne tout de son idole et court les conventions du disques pour concurrencer les autres fans (Mylène farmer).

- Le fan midinette, fan de l'artiste caméléon, qui s'adonne à de multiples changement, physique, conceptuel ou musical (Madonna).

- Le fan autiste, fan discret qui correspond avec d'autres rares fans, il est fan de l'artiste maudit (Jim Morrisson).

- Le fan intime, le fan qui croit que son idole est son ami, il trouve des similitudes entre sa vie et les paroles de ses chansons (Alanis Morissette)

- Le fan politisé, qui a une solide conscience sociale et la conviction de partager avec son artiste préféré des autres valeurs autres que musicales (Noir désir, Manu Chao, Bob Marley).

- Le fan clone, fan de l'artiste créature dont il cherche à s'approprier l'apparence (The Cure, Kiss).

- Le fan anorak, capable de suivre son artiste préféré pendant toute une tournée (Johnny Halliday).

- Le fan apôtre, entièrement dévoué à l'artiste messie qu'il croit chargé d'une mission (Kurt Cobain).

- Le fan stalker, il connaît tout de l'artiste et est capable de tout même du pire, c'est le cas de Mark Chapman qui, pour lui témoigner son affection, assassina son idole John Lennon (Bjork).

- Le fan fétichiste, fan de l'artiste idole (Elvis Presley).

En ce qui concerne les fans que nous nous somme proposés d'étudier, 4 catégories nous semblent pertinentes du point de vue de l'analyse. Le fan midinette paraît incontournable lorsque l'on évoque les émissions de télé-réalité comme Star academy ; le fan intime, étant donné la proximité d'Anne-Laure avec son public, elle reste encore très accessible ; le fan anorak, constat que nous avons pu faire au cours de notre observation ; et enfin le cas du fan politisé pourrait également se rencontrer, étant donné qu'Anne-Laure peut représenter, même sans le vouloir, une icône lesbienne, comme nous avons pu l'évoquer auparavant.

2. L'opération de traduction : le cas du coming out

Dans notre corpus, la politisation du fan n'est pas conscientisée, voire inexistante. Les fans se contentent d'évoquer le talent d'Anne-Laure qui a orienté leur choix, et mettent une distance avec le caractère jugé privé de sa vie personnelle et sexuelle, comme nous avons fait le constat à plusieurs reprises. Pourtant, nous sommes parvenus à déceler la réappropriation des enjeux du coming-out de la chanteuse, que ce soit dans les messages étudiés sur le forum de discussions ou à travers les entretiens que nous avons mené.

M.Bozon fait état d'un paradoxe en montrant que la visibilité et la relative acceptation sociale d'orientations sexuelles alternatives ont permis de redéfinir à l'époque contemporaine, « l'horizon de l'expérience sexuelle pour tous les individus, même si paradoxalement cette extériorisation semble pourtant aller à rebours du processus historique de privatisation et de cantonnement des manifestations sexuelles ordinaires à l'intimité »388(*).

Le coming-out apparaît comme un rite de passage à la fois personnel et politique, car dire son homosexualité, c'est s'inscrire dans un certain groupe, une certaine communauté qui s'inscrit elle-même sur le devant de la scène politique389(*) : c'est l'expression communautaire d'une expérience privée. A partir des années 60, la politisation de l'intimité et de la sexualité a été mise à l'ordre du jour. Il s'agissait de faire débattre publiquement de questions jusque-là dissimulées dans le non-dit du fonctionnement de la famille patriarcale390(*). Cela a favorisé une prise de conscience et une croissance du mouvement gay et lesbien à l'époque permettant de lutter contre les multiples discriminations. Auparavant, la sociabilité et le style de vie homosexuels étaient fondés sur une grande capacité d'adaptation, l'usage de langages codés et un art de la double vie391(*).

Ainsi, devant des images leur renvoyant une certaine image d'eux-mêmes, les gays et les lesbiennes peuvent devenir des « consommateurs émotionnels »392(*), comme nous avons pu le voir lorsque les fans d'Anne-Laure évoque la sensibilité commune qu'elles retrouvent dans ses compositions. Nous voyons comment certains produits parviennent à entrer dans la vie affective de leurs publics393(*). L'engagement du téléspectateur est plus grand lorsque le sujet le touche : « c'est l'ouverture de l'oeuvre qui rend possible l'installation de la passion dans la durée »394(*), notamment lorsque celle-ci permet de s'en réapproprier les enjeux395(*), en opérant une traduction de du contenu de l'oeuvre, soit en s'identifiant à l'artiste, ou encore en imaginant une sorte de « bricolages identitaires »396(*) leur permettant de « coller » au mieux avec les images et les représentations. Ce bricolage identitaire permettant notamment aux individus de rejoindre un certain groupe, de se donner une raison d'être fan de quelqu'un, ou encore pour espérer en retour la même reconnaissance que celle qui est accordée à l'artiste lui-même. Nous reviendrons plus loin sur cette reconnaissance de substitution. Pour certaines Anne-Laure apparaît comme une grille de lecture des événements de leur vie.

C'est le public qui confère en dernière instance du sens à l'oeuvre, c'est lui qui décode les messages, en acceptant, négociant ou rejetant la lecture institutionnelle, celle de la majorité, selon ses propres caractéristiques sociales397(*), même si les contenus médiatiques sont des mises en scène prévues par avance par les productions. La consommation médiatique est une forme d'affirmation de soi.

3. La constitution d'un « clan »

L'étape que nous venons de décrire est certainement un moyen de créer du lien supplémentaire que celui accordait par le simple fait de se passionner pour un même objet, car au-delà de la passion commune, il fait émerger un sentiment de solidarité envers une certaine cause.

Peu d'études sociologiques ont été faites sur le sujet, les seules qui existent traitent généralement des chanteurs ou groupes mythiques, comme les Beatles ou plus massivement Elvis Presley. Les fans du King ne sont bien sûr pas étudiés de la même façon que nous nous sommes attachés à étudier les fans d'Anne-Laure, le phénomène est bien différent, pour le moment en tous les cas. Autour de Presley s'est développé un véritable culte qui s'inscrit dans le cadre plus vaste de la mutation des formes du croire. Ce culte donne à voir la formation d'un « groupe religieux » autour d'une figure charismatique largement sacralisée et célébrée. G.Segré a montré à partir de ce groupe, comment pouvait s'élaborer une identité sociale et collective, comment pouvait se créer du sens collectif, des significations individuelles, alors que l'on tend à constater la fin des grands dispositifs producteurs de sens398(*). Sans aller jusqu'à parler de mythe ou de culte, les constats qu'a opérés Gabriel Segré pourraient dans une certaine mesure, s'appliquer à n'importe quel artiste et à ses fans. Il parle de ces derniers en terme de communauté émotionnelle liée par leur attachement à l'artiste, porteur de traits charismatiques. Ils constituent alors une sorte de fratrie imaginaire. Les fans partagent certaines valeurs et références. Ils connaissent les mêmes épreuves, affrontent moqueries et parfois mépris, se confrontent à l'étonnement, à l'incompréhension ou à la stigmatisation. Ils se rencontrent et se côtoient dans les fans-clubs. La dimension communautaire du fan-club peut reposer sur un langage spécifique, une certaine mémoire collective, des codes de reconnaissance. Le groupe se dote d'une représentation de lui-même, dans notre étude de cas, il s'est même donné un nom : les Choupifans. Pour le cas d'Elvis Presley, cette représentation est renforcée et développée après la mort du chanteur.

Le fan-club est a une fonction intégratrice qui s'auto-célèbre comme une communauté, notamment avec l'emploi massif du pronom personnel « nous » et un vocabulaire presque religieux avec notamment l'emploi du verbe « croire » et du terme « hommage »399(*) :

o « Nous croyons en elle »

o « Hommage à une personne qui nous a réuni ici »

Le sentiment du « nous collectif » est présent dans de nombreux messages déposés par les Choupifans sur les forums de la chanteuse dont il est question ici. Ce sentiment se trouve renforcé lors des rassemblements lors de concerts ou simplement lors de rencontres entre fans qui sont régulièrement organisées. Chaque admirateur prend conscience de l'existence du groupe, et de sa propre appartenance à celui-ci, il se dote d'une identité individuelle et collective, qu'il soit « fan de Presley » ou « choupifans ». Le « nous collectif » est quelquefois opposé aux « autres », aux « non-fans », ou dans le cas présent aux « ré- tracteurs de star academy », ce qui renforce la cohésion du groupe et valide son existence. Certains textes ou messages ne peuvent faire sens que pour un lecteur ou un auditeur déjà en possession d'une certaine connaissance minimale de la chanteuse. La représentation du groupe par lui-même est une donnée valorisée et valorisante, on trouve souvent sur les forums des messages prônant la fierté d'être fans, la fierté de défendre tel artiste, comme nous l'avons vu plus avant.

Le groupe s'inscrit également symboliquement sur la scène sociale. Les membres peuvent porter les attributs du groupe, les signes de reconnaissance : pour Elvis, l'auteur cite le sigle TCB (Taking Care of Business) qui était inscrit sur une de ses bagues, résume l'esprit Elvis. Puis, les vêtements, eux-mêmes signifient l'appartenance au groupe des admirateurs. En ce qui concerne Anne-Laure, nous avons pu voir que les fans suivaient la mode plus ou moins lancée par elle et ses camarades durant les émissions ou même pendant la tournée (superposition de ceinture cloutée, tee-shirt déchiré ou customisé, baskets converses remises au goût du jour...), les fans portent également des tee-shirt à l'effigie de la chanteuse ou encore des accessoires telle qu'une casquette ou un sac marqué avec ses initiales AL ou ALS.

L'intégration du fan dans un réseau d'échange et de discussion est indispensable. Isolé, le fan serait condamné à redevenir un simple spectateur ou téléspectateur, éventuellement plus assidue que les autres400(*). Autrefois, ces échanges passaient par l'inscription dans un fan-club organisé comme une association ayant pour but de regrouper « épistolairement » des admirateurs d'un artiste. Aujourd'hui, avec la prolifération d'artistes via la télévision, la notoriété est de plus en plus précaire et éphémère, et c'est grâce à Internet que peuvent circuler rapidement les informations et se constituer des mouvements de soutien aux artistes, pour finalement créer une version moderne des fan-clubs, les fan-sites. Le multimédia va donc permettre de regrouper certaines personnes qui admirent, un peu partout en France ou ailleurs (dans notre étude, il s'agit essentiellement de la France, de la Belgique et de la Suisse), le même artiste à travers des sites qui lui sont consacrés. Il est donc adapté à un groupement dispersé géographiquement dont les membres doivent se reconnaître et se trouver. Internet répond donc à un double effet, d'une part un effet de rupture et d'isolement et d'autre part un effet de création, de formation de ce que certains qualifient de cybertribus401(*).

Ces deux effets sont complémentaires car le relâchement ou la dissolution des liens sociaux traditionnels permettent une recomposition du social, un nouveau tissage de la socialité. Les sites personnels seraient l'expression des passions individuelles et les sites des minorités actives ou des groupes d'affinités, l'expression des passions collectives. Ainsi, la société d'aujourd'hui, loin d'être individualiste, se caractérise par la multiplication des groupes d'affinités, de partage des passions, des sentiments, des idées, des croyances402(*). Nous voyons ici que le concept d'historicité à son importance dans la perspective constructiviste, c'est-à-dire que le mot « construction » renvoie tout à la fois aux produits des élaborations antérieures et aux processus en cours de restructuration. L'historicité est majeure selon un triple aspect403(*) : le monde social se construit à partir des pré-constructions passées (ici la notion de solidarité et de lien social par exemple), les formes sociales passées sont reproduites, appropriées, déplacées et transformées alors que d'autres sont inventées, dans les pratiques et les interactions de la vie quotidienne des acteurs ( transformation et nouvelles formes de lien social) et enfin cet héritage du passé ainsi que ce travail de restructuration quotidien permettent d'élargir le champ des possibles pour le futur (importance des nouvelles technologies dans les nouvelles limites du lien social).

CHAPITRE V ) LES RESEAUX DE SOLIDARITE AU SEIN DE LA « COMMUNAUTE VIRTUELLE » COMME ENJEUX D'UNE RECONNAISSANCE MINORITAIRE

Le fait de se constituer en groupe, ou plus formellement en communauté favorise la légitimation du groupe dans les actions qu'il peut entreprendre404(*). On comprend ainsi le phénomène des fans, et peut être d'autant plus celui des fans d'Anne-Laure. Nous avons souligné lors de notre analyse, des marques d'un tel processus d'intégration au sein des forums de discussions. Ce processus impliquerait que soient définis et acceptés des buts communs à l'entreprise collective, que les individus partagent un certain nombre de pratiques et de croyances communes, qu'il existe des interactions entre les membres du groupe. Ce travail d'incorporation et d'apprentissage est l'oeuvre de la socialisation, dans le cas de l'apprentissage de la citoyenneté chez D.Schnapper, c'est la socialisation à l'école qui joue un rôle très important ; mais dans notre cas, il ne s'agit pas du même type de socialisation. Dans le troisième chapitre, nous avons évoqué le processus de construction identitaire et sexuelle des adolescentes de notre corpus, qui peuvent se trouver en rupture avec leur socialisation primaire, du fait des non-dits qui peuvent encore planer sur l'homosexualité. Le fan-club ou fan-site que nous étudions tient lieu, selon notre hypothèse, d'une instance socialisatrice, que ce soit au niveau de l'homosexualité ou plus généralement au niveau du groupe de pairs virtuel que les jeunes se créent, tout comme peuvent l'être différents médias, comme la presse gay et lesbienne, qui apparaît comme une sorte de ciment social405(*).

Nous l'avons déjà remarqué lors d'un précédent travail, il existerait une socialisation homosexuelle ; citons Michael Pollack qui disait : « on ne naît pas homosexuel, on apprend à l'être406(*) ». La majorité des homosexuels dans la société actuelle, même s'ils s'acceptent comme tels, portent en eux un conflit existentiel permanent. L'homophobie407(*) intériorisée n'a pas de fin : elle ressurgit, sous différentes formes, tout au long du cycle vital. Elle complique la perception que gays et lesbiennes ont d'eux-mêmes et des autres ; elle régit plus ou moins leurs relations interpersonnelles ainsi que leur projet de vie et leur vision du monde, et c'est elle qui engendre le phénomène communautaire comme organe de résistance. De cela, il peut dériver une image de soi dévalorisée, du moins durant la période de l'adolescence ou plus généralement dans la période où l'on découvre sa (homo)sexualité. Cette sensation diffuse d'être désavantagé est rarement verbalisée comme telle et n'est pas nécessairement consciente, mais engage un réflexe collectif.

* 201 MAINGUENEAU D. op.cit.(1976)

* 202 GUILLAUMIN C. L'idéologie raciste, Gallimard, Folio Essai, Paris, 2002

* 203 MAINGUENEAU D. op.cit. (1976)

* 204 MUCCHIELLI A. Les méthodes qualitatives, PUF, Coll. Que sais-je, Paris, 1991

* 205 BERTAUX D. Les récits de vie, Nathan Université, Coll.128, Paris, 1997

* 206 BLANCHET A.& GOTMAN A. op.cit

* 207 BLANCHET A.&GOTMAN A. op.cit.

* 208 BLANCHET A.&GOTMAN A. op.cit

* 209 BARDIN L. op.cit.

* 210 DONNAT O. Les pratiques culturelles des français. Enquête 1997, La documentation française, Paris, 1998

* 211 GALLAND O. « Individualisation des moeurs et choix culturels » in DONNAT O. & TOLILA P. (dir.) Les publics de la culture : politiques publiques et équipements culturels, Presses de Sciences Po, Paris, 2003

* 212 BOZON M. Sociologie de la sexualité, Nathan Université, Coll. 128, Paris, 2002

* 213 MOULIN C. Féminités adolescentes : itinéraires personnels et fabrication des identités sexuées, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2005

* 214 DAYAN D. in PASQUIER D. La culture des sentiments, Ed. Maison des sciences de l'homme, Paris, 1999

* 215 PASQUIER D. (1999) op.cit.

* 216 PASQUIER D. Cultures lycéennes : la tyrannie de la majorité, Ed. Autrement, Coll. Mutations n°235, Paris, 2005

* 217 LE BART C. Les fans des Beatles : sociologie d'une passion, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2000

* 218 PASQUIER D. (1999) op.cit.

* 219 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 220 CHALVON & PASQUIER 1990, PASQUIER 1995, NEVEU 1996, CHAMPAGNE 1971

* 221 Anne-Laure in La dixième muse n°3, juillet-août 2003

* 222 Citations extraites de différents messages du forum de discussions de différents membres.

* 223 PASQUIER D. (1999) op.cit.

* 224 Anne-Laure in La dixième muse op.cit.

* 225 LAROUSSINIE C. Fan Mania, Ed. de la Martinière Jeunesse, Paris, 2000

* 226 in entretien n°14

* 227 in entretien n°15

* 228 ESQUENAZI J.P. Sociologie des publics, La découverte, Coll. Repères, Paris, 2003

* 229 LAHIRE B. L'homme pluriel, Nathan, Paris, 1998

* 230 PASQUIER D. « Chère Hélène : les usages sociaux des séries collège » in Réseaux n°70, 1995

* 231 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 232 LARDELLIER P. Le pouce et la souris : enquête sur la culture numérique des ados, Fayard, Paris, 2005

* 233 LARDELLIER P. op.cit.

* 234 RUI S. « La foule sentimentale: récit amoureux, média et réflexivité » in Réseaux n°70, 1995

* 235 RUI S. op.cit.

* 236 LARDELLIER P. op.cit.

* 237 MSN Messenger est la messagerie instantanée de Microsoft. Il s'agit d'un mode de communication par ordinateur qui permet d'échanger en temps réel avec un petit groupe de personnes, tous connectés en même temps.

* 238 LARDELLIER P. op.cit.

* 239 in entretien n°6

* 240 MARTIN O. « L'Internet des 10-20 ans, une ressource pour une communication autonome » in Réseaux vol XXII n°123, 2004

* 241PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 242 METTON C. « Les usages de l'Internet par les collégiens. Explorer les mondes sociaux depuis le domicile » in Réseaux vol XXII n°123, 2004

* 243 in entretien n°7

* 244 extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 245 in entretien n°2

* 246 MOATTI M. La vie cachée d'Internet: réseaux, tribus, accros, Imago, Paris, 2002

* 247 MOATTI M. op.cit.

* 248 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 249 MOATTI M. op.cit.

* 250 LARDELLIER P. op.cit.

* 251 Certains opérateurs mettent en avant l'appartenance à une même tribu : on entendait parlait de tribus « nomad » chez Bouygues Télécom (Nomad étant un forfait sans engagement) ou « Do you speak Orange ?» (Parlez-vous Orange ?) comme s'il y avait un langage propre à cette opérateur.

* 252 MOATTI M. op.cit.

* 253 in entretien MSN n°2

* 254 in entretien MSN n°4

* 255 in entretien n°8

* 256 extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 257 LE BART C. op.cit.

* 258 GIDDENS A. La transformation de l'intimité. Sexualité, amour et érotique dans les sociétés modernes, Ed. La Rouergue/Chambon, Paris, 2004 (trad.)

* 259 On notera par exemple en France, une évolution des pratiques sexuelles entre l'enquête Simon (1972) et l'enquête ACSF (1993) sur le comportement sexuel des français, comme notamment la banalisation de la sexualité orale.

* 260 BOZON M. op.cit.

* 261 GIDDENS A. op.cit.

* 262 On évoque à longueur de reportages la blogosphère, la blogmania ou encore la blogattitude.

* 263 ALLARD L. «Express Yourself ! Les pages perso: entre légitimation technologique de l'individualisme expressif et authenticité réflexive peer to peer» in Réseaux vol XXI n°117, 2003

* 264 RUI S. op.cit.

* 265 BOZON M. op.cit.

* 266 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 267 GIDDENS A. op.cit.

* 268 LAGRANGE H. & LHOMOND B. (dir.) L'entrée des jeunes dans la sexualité. Le comportement des jeunes dans le contexte du sida, La découverte, Paris, 1997

* 269 MOULIN C. op.cit.

* 270 GIAMI A. « Pour une éducation sexualisée » in Information sociale n°55, 1990 in MOULIN C. op.cit. p.160

* 271 BOZON M. op.cit.

* 272 PASQUIER D. (1995) op.cit.

* 273 BOZON M. op.cit.

* 274 GAGNON J.H. « Les usages explicites t implicites de la perspective des scripts sexuels dans les recherches sur la sexualité : présentation de Michel Bozon et Alain Giami » in Actes de recherches en sciences sociales n°128, Juin 1999, pp 73-79

* 275 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 276 JASPARD M. Sociologie des comportements sexuels, La découverte, Coll. Repères, paris, 2005 (nouvelle ed.)

* 277 GIDDENS A. op.cit.

* 278 LE BRETON D. Les passions ordinaires. Anthropologie des émotions, Petite Bibliothèque Payot, 2004 (1998)

* 279 PASQUIER D. (1995) op.cit.

* 280 GALLAND O. & ROUDET B. Les valeurs des jeunes. Tendances en France depuis 20 ans, L'Harmattan, Coll. Débats jeunesses, Paris, 2001

* 281 LE BRETON D. op.cit.

* 282 extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 283 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 284 JASPARD M. op ;cit.

* 285 ADORNO T. « Types d'attitudes musicales » in Introduction à la sociologie de la musique, Contrechamps, Paris, 1974

* 286 in entretien n°2

* 287 Ces thèmes apparaissent en début de corpus, dans les débuts du forum, puis disparaissent au fil du temps, comme subissant une forme de censure

* 288 DUBAR C. La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, A.Colin, Paris, 1991

* 289 ERIBON D. Réflexion sur la question gay, Fayard, Paris, 1999

* 290 MOULIN C. op.cit.

* 291 GALLAND O. & ROUBET B. (dir.) op.cit.

* 292 BERGER P. & LUCKMANN T. La construction sociale de la réalité, Méridien Klincksieck, Paris, 1986

* 293 FIZE M. « Sociologie de l'adolescence » in Société n°42, 1993

* 294 MOULIN C. op.cit.

* 295 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 296 MOULIN C. op.cit.

* 297 MOULIN C. op.cit.

* 298 CHARON J.M. La presse des jeunes, La découverte, Paris, 2002

* 299 CARAGLIO M. « Les lesbiennes dites masculines ou quand la masculinité n'est qu'un paysage » in Nouvelles Questions Féministes n°1 Vol. 18, 1997, pp 58-75

* 300 MAFFESOLI M. Le temps des tribus, Méridien Klincksieck, Paris, 1988

* 301 WEBER M. Economie et société, Plon, Paris, 1971

* 302 MOATTI M. op.cit.

* 303 extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 304 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 305 extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 306 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 307 MOATTI M. op.cit.

* 308 HENNION A. Les professionnels du disque. Une sociologie des variétés, A.Métailié, Paris, 1981

* 309 AGULHON M. Le cercle dans la France bourgeoise, 1810-1848. Etude d'une mutation de sociabilité, A.Colin, Paris, 1977 in GALLAND O.& ROUDET B. op.cit.

* 310 GALLAND O.& ROUDET B. op.cit. p.149

* 311 PASQUIER D. (1999) op.cit.

* 312 JENSEN J. « Fandom as pathology : the consequence of characterisation » in Lewis L. The adoring audience. Fan culture and popular media, Routledge, Londres, 1992 in PASQUIER D. (1999)

* 313 MAUSS M. « Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïque »s in L'année sociologique, 2nde série, 1923-1924, T. 1

* 314 POLANYI K. & ARENSBERG C. Les systèmes économiques dans l'histoire et dans la théorie, Larousse, Paris 1975 (1957)

* 315 GALLAND O. & ROUDET B. (dir.) op.cit.

* 316 Ce constat peut se faire par faible nombre de messages pour une époque donnée, ou encore par les tensions qui s'observent parfois sur certains messages.

* 317 MORIN E. Les stars, Le seuil, Coll. Points, Paris, 1972

* 318 LARDELLIER P. op.cit.

* 319 TISSERON S. L'intimité surexposée, Hachette littératures, Paris, 2001

* 320 TISSERON S. op.cit.

* 321 HITE S. Le nouveau rapport Hite, J'ai lu, Paris, 2004

* 322 TISSERON S. op.cit.

* 323 TISSERON S. op.cit.

* 324 ESQUENAZI J.P. Sociologie des publics, La découverte, Coll. Repères, Paris, 2003

* 325 ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 326 BOURDIEU P. Sur la télévision, Raisons d'agir éditions, Paris, 1996

* 327 MIEGE B. Les industries du contenu face à l'ordre informationnel, PUG, Grenoble, 2000 in ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 328 A ce propos, Anne-Laure déclare à propos de la directrice de casting qui lui a donné sa chance de participer à l'émission : « elle m'a dit qu'elle adorait mon look de sportive...finalement il lui manquait juste la goudou du château ! » in La dixième muse n°3, juillet-août 2003

* 329 Le site Internet de la chaîne nous la présente : « PinkTV, la première chaîne gay et « gay friendly » du PAF a ouvert son antenne le 25 octobre 2004. A la pointe des tendances, PinkTV est une chaîne généraliste associant culture et glamour. Elle est destinée aux gays, filles et garçons, et à tous ceux qui ont envie d'une télé différente construite autour de la liberté, de la tolérance, de l'humour et de la séduction. PinkTV, c'est une diffusion 24H / 24 et 7 jours / 7 avec une programmation riche et diversifiée. PinkTV, c'est tous les jours la découverte de nouveaux talents, de courants culturels émergents, ou encore des dernières tendances mode, design, musique...
PinkTV, c'est chaque semaine des films, des documentaires, des séries, des courts-métrages qui vous ressemblent... et du X qui nous rassemble. PinkTV, c'est une fenêtre d'expression pour que chacun puisse échanger et partager son expérience au travers de débats, de talk-shows, de petites annonces... »
in www.pinktv.fr

* 330 Média-G est l'observatoire du traitement de l'homosexualité dans les médias. Il est présent sur Internet via un site et publie chaque année un bilan de l'année écoulée concernant la télévision et l'homosexualité. Ce site est réalisé par des bénévoles et est publié gratuitement grâce à l'association Soutenir Média-G.

* 331 Nous nous basons sur le compte rendu Média-G pour l'année 2004, le bilan 2005 n'étant pas encore édité.

* 332 Cette émission avait pour but de faire vivre des célébrités dans une ferme à la campagne, sans tout le confort moderne. Vincent McDoom était un des participants, il se définit comme quelqu'un d'androgyne. On a pu le voir évoluer dans la ferme avec ses hauts-talons, son maquillage et ses grands chapeaux.

* 333 Nous employons ici le terme de «normalité» pour évoquer le fait que ce couple était présenté aux côtés de couples hétérosexuels et que la volonté de la chaîne était ne pas les différencier.

* 334 Cette émission avait pour but de faire participer un certain nombre de couple, mariés ou non, à la construction d'une maison. Le couple gagnant à l'issu d'éliminations successives, par les autres candidats puis par le public, devenait propriétaire de cette maison.

* 335 Des fournisseurs d'accès à Internet ou aux chaînes câblées proposent une chaîne spécialement conçue pour diffuser tout au long de la journée les images tournées dans les émissions de télé-réalité ; les candidats bénéficiant de deux heures non filmées par jour.

* 336 In entretien n°8

* 337 Ces deux candidats s'étaient autorisés quelques ébats sexuels dans la piscine du Loft, et ces images ont été largement reprises et utilisées par la suite.

* 338 LAZARSFELD P.F. & MERTON R.K. «Mass communication, popular taste, and organized social action» in The Process and Effetcs of Mass Communication, University of Illinois Press, Chicago, 1962 in ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 339 http://www.media-g.net. Voir en annexes.

* 340 ERIBON D. Papiers d'identité. Intervention sur la question gay, Fayard, Paris, 2000

* 341 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions lorsque la question du coming-out d'Anne-Laure avait été posé.

* 342 Message ouvert par Wilo, la modératrice du forum le 14 janvier 2003

* 343 Message ouvert par Slayer, un membre influant du forum le 4 décembre 2002

* 344 ERIBON D. (dir.) Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, Paris, 2003

* 345 Exemple d'un spot publicitaire pour la lessive Vizir mettant en scène un couple d'homosexuels efféminés et utilisant des clichés de référence.

* 346 ERIBON D. (2003) op.cit.

* 347 Soirée dont le but est de collecter des fonds pour la recherche contre le sida.

* 348 PASQUIER D. La culture des sentiments, Ed. Maison des sciences de l'homme, Paris, 1999

* 349 Anne-Laure in La dixième muse n°3, juillet-août 2003

* 350 in entretien n°2

* 351 in entretien n°1

* 352 in entretien test

* 353 in entretien MSN n°1

* 354 in entretien MSN n°3

* 355 MAISONNEUVE J. La dynamique des groupes, PUF, Coll. Que sais-je, Paris, 1968

* 356 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 357 Idem.

* 358 GUILLAUMIN C. L'idéologie raciste, Gallimard, Folio Essai, Paris, 2002

* 359 FEUER J. Seeing Through the Eighties, Duke University Press, Durham, 1995 in ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 360 ARENDT H. Le système totalitaire, Points/Seuil, Paris, 1972

* 361 ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 362 Ce constat s'est largement fait ressentir durant notre observation de pré-enquête.

* 363 Egéries n°1 (l'exemplaire pilote) décembre 2004/janvier 2005

* 364 LELAIT D. Gay Culture, Ed. Anne Carrière, Paris, 1998

* 365 NADEAU C. op.cit

* 366 LE GUERN P. (dir.) Les cultes médiatiques : culture fan et oeuvres cultes, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2002

* 367 MORIN E. Les stars, Le seuil, Coll. Points, Paris, 1972

* 368 Star Ac Mag n°2 Hors Série, Juin 2003

* 369 MORIN E. op.cit

* 370 BOLTANSKI L. & THEVENOT L. De la justification. Les économies de la grandeur, Gallimard, Paris, 1991

* 371 BECKER H.S. Les mondes de l'art, Flammarion (trad.), Paris, 1988

* 372 BECKER H.S. Le monde de l'art, Flammarion (trad.), Paris, 1988

* 373 GOFFMAN E. La mise en scène de la vie quotidienne, Editions de minuit, Paris, 1973

* 374 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 375 Extrait illustratif d'un message d'une nouvelle inscrite sur le forum de discussions

* 376 SEGRE G. La communauté des fans d'Elvis Presley. De la fraternité élective au « groupe religieux , in Socio-Anthropologie n°10

* 377 LE BART C. Les fans des Beatles : sociologie d'une passion, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2000

* 378 MORIN E. op.cit.

* 379 LEWIS L.A. (dir.) The Adoring Audience, Routledge, Londres, 1992 in LE BART C. Les fans des Beatles: sociologie d'une passion, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2000

* 380 BECKER H.S. Outsiders, Ed. Métailié, Paris, 1985 (1963)

* 381 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 382 in entretien MSN n°1

* 383 in entretien MSN n°2

* 384 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 385 LE BART C. op.cit.

* 386 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 387 Tecknikart n°84, juillet-août 2004

* 388 BOZON M. Sociologie de la sexualité, Nathan Université, Coll.128, Paris, 2002, p.40

* 389 FASSIN E. L'inversion de la question homosexuelle, Ed. Amsterdam, Paris, 2005

* 390 BOZON M. op.cit. p.66

* 391 TAMAGNE F. Mauvais genre. Une histoire des représentations de l'homosexualité, Ed. LM, Coll. Les reflets du savoir, Paris, 2001

* 392 ADORNO T. « Types d'attitudes musicales » in Introduction à la sociologie de la musique, Contrechamps, Paris, 1974 in ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 393 ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 394 LE BART C. op.cit.

* 395 STAIGER J. « Interpreting films », Princeton University Press, 1992 & « Perverse Spectators », New York University Press, 2000 in ESQUENAZI J.P. op.cit

* 396 LE BART C. op.cit.

* 397 SCANNELL P. « L'intentionnalité communicationnelle dans les émissions de radio et de télévision » in Réseaux n°68, 1994

* 398 SEGRE G. La communauté des fans d'Elvis Presley. De la fraternité élective au « groupe religieux », in Socio-anthropologie n°10

* 399 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 400 PASQUIER D. La culture des sentiments, éditions Maison des sciences de l'Homme, Paris, 1999

* 401 MOATTI M. La vie cachée d'Internet: réseaux, tribus, accros, Imago, Paris, 2002

* 402 MAFFESOLI M. Le temps des tribus, La table ronde, Paris, 2000 (1988)

* 403 CORCUFF P. Les nouvelles sociologies, Nathan Université, Coll. 128, Paris, 1995

* 404 SCHNAPPER D. La communauté des citoyens. Sur l'idée moderne de nation, Gallimard, Paris, 1994

* 405 RAMBACH A. & RAMBACH M. La culture gaie et lesbienne, Fayard, Paris, 2003

* 406 POLLACK M. « L'homosexualité masculine ou le bonheur dans le ghetto ? » in Communications n°35, 1982

* 407 Donnons quelques définitions de l'homophobie :

· Celle du grand dictionnaire terminologique408

Homophobie : phobie de l'homosexualité (rubrique psychologie)

Homophobe : personne qui craint ou hait les homosexuels (rubrique sociologie)

· Celle de l'Encyclopédie Larousse409

Homophobie : rejet de l'homosexualité, hostilité systématique à l'égard des homosexuels

Homophobe : qui est hostile à l'homosexualité, aux homosexuels.

· Celle de l'Encyclopédie Hachette410

Homophobie : peur de l'homosexualité et des contacts, émotionnels ou autres, avec les personnes du même sexe que soi. Hostilité marquée, attitude méprisante ou haineuse à l'endroit des personnes homosexuelles. L'homophobie de certains groupes d'extrême-droite. Synonyme : hétérosexisme.

Homophobe : qui est marqué par l'homophobie. Une législation homophobe.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery