WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La victimisation du personnage féminin dans Walaandé, l'art de partager un mari et Munyal, les larmes de la patience de Djaili Amadou Amal


par Germaine DANGA MOUDA
Université de Maroua - Master2 2021
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Université de Maroua
The University of Maroua

Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines

******

Département de Langues,

Littératures et Cultures Africaines

Faculty of Arts, Letters and Social Sciences

********

Department of African Languages, Literatures and Cultures

LA VICTIMISATION DU PERSONNAGE FÉMININ DANS WALAANDÉ . L'ART DE PARTAGER UN MARI ET MUNYAL. LES LARMES DE LA PATIENCE DE DJAÏLI AMADOU AMAL

Mémoire présenté en vue de l'obtention d'un Master en littérature afriçaine

Spécialité : Littérature africaine

Option : Littérature écrite

par

Germaine DangaMouda

Licencié ès lettres

13D2151FL

Sous la direction de

M. Clément Dili Palaï

Professeur

Année académique 2021-2022

À

Ma famille

Remerciements

Nos remerciements vont d'abord à l'endroit de notre Directeur de mémoire, le Professeur Clément Dili Palaï, pour avoir consenti, en dépit des nombreuses occupations qui sont les siennes, à nous prendre sous sa direction. Sa rigueur dans le travail nous a permis de donner le meilleur de nous-même.

Ensuite, nous exprimons notre gratitude à tous les enseignants du Département de Langues, Littératures et Cultures Africaines de l'Université de Maroua, et plus spécialement au Pr Théophile KalbeYamo, pour ses conseils.

Enfin, nous remercionsDr Lucien BintiNgoute, Dr Oumar Guedalla, Dr Abraham Soussia pour leurs conseils, orientations et encouragements et le Dr BirweGodwepour la relecture de ce travail.

Que toute personne qui nous a aidés de près ou de loin trouve ici l'expression de ma profonde gratitude et ma reconnaissance.

Sommaire

Remerciements ii

Liste des abréviations iv

Résumé/Abstract v

Introduction générale 1

Chapitre 1. Les sources de victimisation de la femme dans le corpus 12

1.1. Les croyances et les textes sacrés 13

1.2. L'imposition du respect et des lois de la société peule à la femme...... 28

Chapitre 2. Les modes et techniques de sujétion de la femme 47

2.1. L'éducation discriminatoire 47

2.2. La dépersonnalisation de la femme 62

Chapitre 3. Walaandé . L'art de partager un mari et Munyal. Les larmes de la patience : une écriture de la dérive 74

3.1. L'impact de la victimisation 74

3.2. L'influence de la culture dans le foyer 86

Chapitre 4. La portée heuristique de l'écriture de Djaïli Amadou Amal. 95

4.1. L'originalité scripturale de l'auteure 95

4.2. Voies de libération de la femme 106

Conclusion générale 118

Bibliographie 122

Liste des abréviations

WAPM : Walaandé. L'art de partager un mari

MLP: Munyal. Les larmes de la patience

Résumé

La victimisation du personnage féminin dansWalaandé. L'art de partager un mariet Munyal. Les larmes de la patience de Djaïli Amadou Amal constituent le point d'ancrage de cette étude. Les deux romans décrivent une société africaine et les obstacles qui existent pour les femmes. L'objectif de cette recherche est d'écrire les procédés d'inscription de la femme victime dans les récits. Pour mieux orienter cette analyse, la problématique suivante a été formulée : Comment la victimisation de la femme se manifeste-t-elle dans l'oeuvre de Djaïli Amadou Amal ? La Sociocritique, telle que théorisée par Claude Duchet, permet de relever les multiples formes de l'assujettissement de la femme dans la société du texte ainsi que l'originalité scripturale de l'auteure. Ainsi, il ressort de cette recherche que la victimisation de la femme s'appuie sur des arguments d'ordre religieux et coutumier. Face à cette situation, l'auteure suggère la voie à suivre pour une émancipation de la femme du Sahel.Il s'agit du dévoilement des pratiques patriarcales, de la critique de la société, de la prise de conscience des femmes et des hommes à travers les modulations de l'action romanesque.

Mots clés : Littérature, victimisation, personnage féminin, sujétion, sociocritique.

Abstract

The victimization of the female character in Walaandé. L'art de partager un mari and Munyal. Les larmes de la patience byDjaïliAmadouAmal constitute the anchor point of this study. Both novels describe an African society and the barriers that exist for women. The objective of this research is to write the processes of inclusion of the female victim in the stories.To better guide this analysis, the following problem has been formulated: How does the victimization of women manifest itself in the book of DjaïliAmadouAmal? Sociocriticism, as theorized by Claude Duchet, makes it possible to identify the multiple forms of the subjugation of women in the society of the text as well as the scriptural originality of the author. Thus, it emerges from this research that the victimization of women is based on religious and customary arguments. Faced with this situation, the author suggests the way forward for the emancipation of women in the Sahel. The aim is to unveil the patriarchal practices, criticize society, sensitise women and men through modulations of the novelistic action.

Keywords:Literature, victimization, femalecharacter, subjection, sociocriticism.

Introduction générale

La littérature renvoie de façon générale à l'ensemble des productions littéraires d'un pays, d'une époque, d'un genre. Ainsi, selon Alain Viala, la littérature désigne en son sens premier l'ensemble des textes et, en un sens associé les savoirs dont ils sont porteurs. Cette acception fut longtemps dominante en français. Le sens moderne renvoie à l'ensemble des textes ayant une visée esthétique ou, en d'autres termes, à l'art verbal. Pour ce dernier, la littérature est perçue comme l'ensemble des écrits caractérisés par un fond et une forme, c'est-à-dire porteurs de sens et ayant un but esthétique. Ainsi la littérature prend donc en compte le roman, les poèmes, le théâtre, l'essai et les formes génériques nouvelles comme l'autobiographique. L'appellation de littérature est un nom adopté depuis deux siècles et demi, en français, pour désigner ce que furent les « lettres », puis les « belles-lettres » enfin la « littérature » au sens restreint moderne.

La littérature existe pour élargir l'espace vital, repousser les frontières du quotidien, esthétiser la banalité des choses et des êtres. Pour l'homme, elle lui permet de se découvrir des talents insoupçonnés. C'est par le verbe qu'il a traversé les âges et les civilisations. La mémoire n'est qu'oubli sur oubli si l'écriture n'était pas là pour rendre le souvenir impérissable. Dans le même ordre d'idée, PountunyinyiMache (2011: 1) pense que « Au même titre que l'art, la religion, l'action politique ou sociale, la littérature est l'une des manifestations spécifiques de l'activité spirituelle de l'homme »1(*). Selon elle, l'art littéraire reste, par la même occasion, l'un des aspects concrets de la culture d'un peuple ; c'est un miroir qui reflète pensées, douleurs et souffrances les plus insoupçonnées. Ainsi, chaque peuple a une littérature ou des écrits qui lui sont propres.Le domaine d'étude de ce travail est la littérature africaine. André Patient Bokiba, cité par l'auteure susmentionnée,définit la littérature africaine écrite en mettant en relief trois dimensions essentielles :

La littérature africaine écrite se définit au sein d'une triple postulation. Elle est d'abord littérature, c'est-à-dire un art dont l'essence réside dans le sens du mot, le seul matériau, la seule substance de création [...] la littérature est ensuite une littérature « de langue », « d'écrire » ou « de graphie » ou « d'expression ». La littérature est enfin le produit d'une histoire, l'histoire d'un cri, d'un sursaut qu'elle se charge de proférer au monde. (Bokiba, 1998 : 9).

La troisième définition assignée par Bokiba à la littérature africaine écrite à savoir la littérature comme produit de l'histoire, l'histoire d'un cri, d'un sursaut qu'elle se charge de proférer au monde ; est la raison qui justifierait l'implication de la femme dans l'écriture qui était au commencement l'apanage des hommes. La femme jadis ne pouvait pas matérialiser ses pensées ni exprimer son opinion ouvertement sans risque de se faire houspiller par les hommes. De nos jours, nombreuses sont des écrivaines qui occupent une place nodale dans l'arène de cet art depuis la libération de la parole due au vent Est et l'avènement de la démocratie. L'écriture s'est trouvée ainsi porteuse d'une nouvelle esthétique se déployant tant sur la thématique que sur le style. Notamment, la littérature camerounaise s'identifie à d'autres productions en Afrique à travers les thématiques féminines. C'est le cas de l'écrivaine camerounaise DjaïliAmadou Amal qui s'affranchit des carcans imposés par la religion et utilise sa plume comme moyen pour exprimer sa vision au monde.  Elle s'intéresse aux problèmes sociaux et se penche sur la condition sociale de la femme en s'attardant aussi sur l'aspect de la victimisation du personnage féminin à travers ses productions telles : Walaandé. L'art de partager un marietMunyal. Les larmes de la patience

Dans Walaandé. L'art de partager un mari, la femme est décrite comme cet être sans défense réduit à la soumission, injustement accusé, victime résignée d'un système qu'elle tente de démolir, en vain. La trame de l'histoire présente les soubresauts et péripéties de quatre épouses Aissatou,Djaili, Nafissa et Sakina d'un riche commerçant nommé AlhadjiOumarou qui déstabilisent le personnage féminin au point de lui ôter l'envie de vivre. Ce roman expose la tyrannie masculine faite de stéréotypes, de violences, de chosification de la femme ravalée au rang d'être inférieur ou exclue de la sphère des décisions.

Munyal.Les larmes de la patience relate les douloureuses histoires de trois femmes qui sont obligées par les circonstances de se soumettre aux fameuses lois de la tradition africaine, largement alimentées par la domination masculine, maltraitées par leur époux, les lois sociales et religieuses et l'entourage traditionnel. Esseulée et victime de divers préjugés et stéréotypes, la femme est désarmée et par conséquent réduite à la résignation et à la patience. En toute situation, on lui en conseille ladite patience, « Munyal » encore et toujours ce « munyal ».

La victimisation est, selon Mona Chollet, « une tendance coupable à s'enfermer dans une identité de victime » (2007 : 24). La victimisation renvoie au fait de traiter quelqu'un en victime ; c'est encore le fait d'être considérée comme particulièrement sensible à devenir victime d'un acte ou d'un phénomène donné : agression, persécution, catastrophe naturelle, le racisme etc. Par extension, Il désigne la tendance à conférer aux victimes un statut social, une attention exagérée. Le dictionnaire Le petit Larousse illustré définit une victime comme une personne qui subit les conséquences préjudiciables. Dans le processus initial, la femme se fait passer pour victime, bouc-émissaire, c'est dans ce sens que la victimisation peut être entendue dans ce travail comme une purification : l'acte qui consiste à sacrifier un être pour expier le désordre.

La notion de personnage est définie dans Le dictionnaire du littéraire par Marc André Bernier et Denis Saint-Jacques (2002 : 567) comme : « la représentation d'une personne dans une fiction ». Le terme apparu en français au XVe Siècle, dérivé du latin  persona  qui désignait le masque que les acteurs portaient sur scène. Il s'emploie par extension à propos de personnes réelles ayant joué un rôle dans l'histoire, et qui sont donc devenues des figures dans le récit de celles-ci (des « personnages historiques »). Les personnages sont toujours un élément majeur, du récit : à titre d'agent et de support de l'enchaînement des actions, ils en constituent les « actants » que le récit ou la pièce soient historiques ou de pure fiction.

En littérature, le personnage est un être fictif qui peut avoir les traits d'une personne. Chez Barthes(1977), le personnage est la clé du récit. Il est cet être de papier qui n'est pas une personne. Selon Valette, « le personnage littéraire se définit essentiellement en fonction des liens qui se tissent à l'intérieur du récit. La référence aux sources, le décryptage à partir de « clés » sont partiellement caducs et ne peuvent qu'entretenir une fâcheuse confusion entre personne (réelle) et personnage (imaginaire). (1985 : 82).

Le personnage féminin est une personne fictive, un être humain de sexe ou de genre féminin mis en action dans l'ouvrage. Il se dit aussi des personnages d'un poème narratif, d'un roman. C'est le rôle que joue un acteur ou une actrice. Dans notre texte, le personnage féminin est considéré comme un être sensible, soumis et de sexe faible.Parler de victimisation du personnage féminin revient à montrer comment la femme décrite dans le corpus souffre et par la même occasion est rendue victime, vulnérable et fragile par les lois socioreligieuses et par le sexe masculin. Djaïli à travers ses personnages dénonce les moeurs de la société peule et analyse le syndrome de la femme mal mariée et mal aimée.

Les motivations qui sous-tendent le choix du sujet n'ont rien à voir avec notre appartenance au sexe féminin. Notre intérêt pour le choix du corpus est dû à la pertinence des titres. En effet, le titre de Walaandé. L'art de partagé un mari, fait penser à la polygamie comme thème principal. Cette pratique a toujours été posée comme un circuit primordial dans lequel la femme africaine traditionnelle subit de l'homme toute forme de violence. Munyal.Les larmes de la patience fait allusion à l'endurance, la résignation et à la polygamie ; la synthèse de toutes les douleurs ressenties au sein des foyers par les personnages féminins.

Toutefois, un travail de recherche ne saurait avoir pour seul socle des considérations subjectives, aussi alléchantes soient-elles. C'est pourquoi il nous faut des mobiles d'ordre objectif. Après avoir exploré quelques romans, on s'est rendu compte que de plus en plus, les écrivains s'intéressent à la thématique féminine. Leur point convergent est la condition sociale de la femme ou du personnage féminin mal marié et mal aimé en quête de la liberté. Dans le cas d'espèce, nous voudrions notamment apporter notre contribution à la compréhension de la condition de la femme peule, écartelée entre religion et tradition.

L'étude vise donc à faire une lecture des signes et des symboles dont usent Djaïli Amadou Amal pour présenter et dépeindre la vie des femmes dans leurs différents statuts : statut de la femme au foyer polygamique et celui de la jeune fille. Et, à montrer comment le personnage féminin est traumatisé par un système qui favorise l'homme au détriment de la femme. Par le biais de ce travail, nous pensons apporter notre contribution à la compréhension du statut de la femme peule tel que perçue en Afrique en général au Nord-Cameroun en particulier.

Pour mener à bien cette réflexion, nous avons consulté des documents théoriques et méthodologiques devant nous permettre d'étayer nos points de vue. Effectivement, plusieurs travaux ont déjà été menés sur la diversité caractérielle de la femme. La majorité des recherches disponibles concernent ou alors représentent la gent féminine victime du pouvoir phallocratique. Kathleen Newland (2001) dans son essai Femme et Société, dresse un tableau des dominations qui s'exercent sur la gent féminine à la fois sur son corps et sur son esprit. La domination et le musèlement qui sont pour elles les deux dimensions essentielles de la condition féminine, prennent des formes diverses selon les pays, les époques et les systèmes sociopolitiques. Il importe de préciser que la place de la femme dans la famille ou dans la communauté et ses rapports avec l'homme varient sensiblement selon les cultures.

KalbéYamo (2018) met en vitrine l'émergence de la littérature féminine au Nord-Cameroun. Il a fait l'état des lieux de l'écriture féminine et la quadrature du cercle destructeur de la femme du Nord- Cameroun. Pour cette offre, la femme septentrionale apparaît comme une victime prise dans un carré infernal dont les côtés sont tenus par l'homme ou le mâle, la femme elle- même, les coutumes et l'environnement naturel. Pour KalbéYamo, les écrivaines du nord-Cameroun proposent des nouvelles voies dans leur relation au « mâle » qui apparaît comme un « mal ». Leurs oeuvres semblent véhiculer un message dont la femme et surtout l'élève camerounais ont nécessairement besoin dans une partie du pays ou la déperdition scolaire de la jeune fille demeure un problème réel. Cette analyse entend aussi esquisser des perspectives pour une mise en valeur de ces oeuvres dans les programmes officiels dans la mesure où l'école moderne y apparaît comme solution proposée à la gent féminine pour sortir de la férule masculine et du sous-développement.

Nalao Jacqueline et Atsol Me Zouna(2016) décrivent quelques éléments de la vie culturelle peule tels que les moeurs et habitudes, les symboles et images dans la société peule. Cette étude nous permettra de mieux appréhender la vision de l'auteur et de comprendre le fonctionnement de la société peule.

Oumar Guedalla(2019) présente le personnageféminin comme un être victimisé en premier par le genre masculin mais en second par la société et les croyances. En effet, ce travail est une réflexion sur les relations conflictuelles sur lesquelles l'oeuvre se construit socialement et a pour objectif d'étudier les relations de contrariété, d'implication et de contradiction à travers toutes les formes sociales d'exclusion qui provoquent l'implosion et le chaos. Avec lui, nous réalisons que les productions de Djaïli sont une mise en scène des tribulations de la femme confrontée aux désastres de la vie familiale.

Henriette PountunyinyiMache(2011)établie la différence qui existe entre « discours féminin » et « discours féministe » tout en faisant ressortir de multiples thèmes telsques le mariage , la polygamie, la sujétion de la femme par l'homme, la mort, et la répudiation . Par ailleurs, elle présente les positions des personnages féminins qui luttent contre les lois socioréligieuses établies. Cette longue réflexion nous a permis d'appréhender l'étude des personnages féminins dans leurs statuts et leurs rôles dans la société et de comprendre l'univers idéologique de Djaïli.

Doudou Darifou(2019) présente les institutions socioculturelles peules : il est question de la présentation de l'organigramme sociologique peul qui est hiérarchisé et composé de : chef de famille, imams, marabouts et griots. Par la suite, elle relève les techniques de représentation des valeurs et des normes peules, l'impact des normes sur les personnages textuels et pour finir elle donne la position de Djaïli face aux valeurs culturelles peules. Ce mémoire nous permettra de cerner la culture peule et son impact sur les personnages féminins.

De ce qui précède, il ressort que les questions de dominations féminines, de prise de parole des écrivains du Nord-Cameroun, d'imaginaire peul dans les romans de Djaïli, des tribulations de la femme confrontée aux difficultés de la famille, de discours féminin et discours féministe et aussi de représentation des valeurs culturelles peules ont été abordées. En prenant le relais des études antérieures susmentionnés qui appuient le nôtre qui va se démarquer dans la mesure où nous l'on va s'appesantir sur la victimisation du personnage féminin dans quelques oeuvres de Djaïli. Ce travail va questionner le statut de la fille et de la femme au foyer. Dans la société des textes du corpus, le personnage féminin est rendu victime et opprimés par les normes sociales, la préservation de la culture est menacée, les patriarches tentent de protéger la tradition et la religion. En outre, nous proposerons des voies et moyens pour la libération du personnage féminin.

À la lecture de Walaandé . L'art de partager un mari et Munyal. Les larmes de la patience il se dégage un problème fondamental, celui de la souffrance de la femme qui subit les affres du système socioreligieux et traditionnel. En effet, le personnage féminin est soumis à une pléthore de traitements incongrus au point de le défigurer. Ainsi, la victimisation est orchestrée par les tenants du pouvoir religieux et traditionnel qui perpétuent des lois et des systèmes qui impactent négativement la femme. Dès lors la question essentielle qui se pose est de savoir comment la victimisation se manifeste dans l'oeuvre de Djaïli Amadou Amal. Cette question en entraîne d'autres : quelles sont les différentes facettes de la victimisation des personnages féminins ? Comment l'écrivaine les exprime-t-elle dans les oeuvres étudiées ? Quelle en est la finalité ?

Cette formulation de la problématique induit l'hypothèse principale suivante : l'écriture de la victimisation féminine est effective à travers des procédés romanesques et se prête à une lecture idéologique. À cette hypothèse principale se greffent d'autres hypothèses secondaires :

-L'imaginaire et la tradition sont les principales sources de victimisation de la femme et ses manifestations scripturales sont la représentation de l'éducation discriminatoire et la personnalisation de la gent féminine.

-La dégénération de la famille est le corollaire de la victimisation de la femme et son écriture permet de dévoiler ces pratiques et une prise de conscience à travers le parcours des personnages.

L'analyse de ce sujet nécessite qu'on ait recours àla sociocritique. Cette dernière est une approche du fait littéraire qui s'attarde sur l'univers social présent dans le texte. Elle s'intéresse à la socialité du texte et s'inspire de la sociologie de la littérature. La sociocritique a été créée par Claude Duchet en 1971. Elle s'intéresse au texte, plus particulièrement à son contenu. Plusieurs auteurs ont fait des recherches sur cette notion. Il s'agit de Pierre Barbéris, PierreValentin Zima, ClaudeDuchet, Edmond Cros, Phillipe Hamon, Gérard Gemgembre pour ne citer que ceux-ci. Selon Pierre Berbéris (1996 :123) la sociocritique désigne la lecture de l'histoire, du social et attribue à la société son pouvoir de dévoiler et de décrypter les mauvais sorts et d'interpréter les cris des animaux qui peuvent parfois annoncer des mauvais présages ou le bon temps. Il ajoute que dans tout texte, il y a des contradictions qui tranchent sur le relativement clair de la vie et du cours du monde.

Pour éviter de sombrer dans des généralités et dans l'optique de vérifier nos hypothèses, s'avère nécessaire un appel aux acquis théoriques de la démarche de Claude Duchet. Dans un entretien avec Ruth Amossy destiné à clore un numéro de revue Littérature n°140, il donne une définition de la sociocritique : « la sociocritique n'est pas une sociologie de la littérature et elle n'a pas seulement la littérature pour objet mais tous les ensembles socio-sémiotiques. » (2005 :132). Cela signifie que la sociocritique peut s'opérer en convoquant la simple analyse du texte, la thématique, la narratologie, la rhétorique, la poétique, l'analyse du discours, la linguistique textuelle, etc.

Duchet soutient encore : « la sociocritique, en cherchant la socialité, cherche dans le texte et le hors ce qui force à sortie du texte en restant dans le texte ». La lecture sociocritique consiste alors dans un va et vient constant entre le texte et le hors texte. Ainsi, Claude Duchet dans sa démarche propose trois possibilités:

- la première consiste à étudier la forme et ensuite à montrer la corrélation sociologique pour favoriser l'appréhension de l'idéologie implicite. Cela à l'inconvénient de rendre la dernière partie qui porte sur les enjeux idéologiques, très sociologique.

- la seconde possibilité réside dans le va-et-vient entre le texte et le hors texte pour permettre une appréhension simultanée de la forme et de la corrélation sociologique.

- la troisième possibilité est, non seulement de faire le va-et-vient constant entre le texte et le hors texte, mais encore à résumer la corrélation sociologique, en dernier ressort, pour une meilleure appréhension de la pertinence idéologique du jeu scriptural.

L'on utilisera la troisième possibilité de la démarche sociocritique de Claude Duchet. Le retour constant des figures relatives à la victimisation et la présence des réseaux d'images qui se répètent dans l'oeuvre ne sont pas fortuites. La création artistique en tant qu'objectivation d'une conscience, permet à l'auteur de structurer son oeuvre en pleine conscience. La victimisation étant un fait social, cette grille nous sera d'une grande utilité. La sociocritique nous aidera à faire une lecture idéologique. Il s'agit alors de ressortir que l'ensemble des idées, des pensées ou des doctrines qui se dégagent de la lecture de la victimisation du personnage féminin dans les oeuvres de Djaïli, comme celle des autres écrivains, n'est pas innocente. Il faut remarquer que ladite vision du monde dont nous prévoyons l'étude est suggérée et non annoncée de vive voix.

Le présent travail s'articule autour de quatre chapitres. Au premier chapitre, il s'agira de l'étude des sources de la victimisation du personnage féminin. L'on voudrait montrer dans ledit chapitre, que les éléments comme l'imaginaire africain (stéréotypes et clichés sur la femme), la mauvaise interprétation des versets coraniques et les normes sociales favorisent le musèlement de la femme. Le deuxième chapitre présente les modes et techniques de l'assujettissement du personnage féminin qui sont l'éducation discriminatoire, le mariage forcé, la répudiation, la souffrance et la dépersonnalisation de la femme. Le troisième chapitre traite des conséquences de la maltraitance de la femme qui s'observent à travers les troubles psychologiques des personnages, la dislocation de la famille pour aboutir à la mort. Au quatrième chapitre, nous relèverons l'originalité scripturale de l'auteure.

Chapitre 1.Les sources de victimisation de la femme dans le corpus

En fonction de la société dans laquelle l'auteur est originaire, la réalité ressort toujours en fonction du regard du spécialiste, mais l'image de la femme a été présentée par les auteurs francophones, ou plus précisément ceux de la littérature africaine écrite, sous forme d'un dénominateur commun. Le dénominateur désigne de facto un ensemble de constellations et de représentations liées au type de société et qui offre aux auteurs une certaine représentation de la femme. On peut donc se poser la question de savoir comment la femme est-elle présentée dans la littérature africaine. L'image de la femme telle que présentée par les auteurs est- elle une description, une projection ou une construction ?

Partant du postulat selon lequel la littérature et la société sont deux mondes intimement liés, des lieux où les auteurs puisent généralement leur inspiration, leur motivation, leur environnement empirique, l'on peut fondamentalement prendre l'oeuvre littéraire comme une construction. L'oeuvre littéraire étant un produit de la société, qui ressort une réalité, on se demande si cette réalité est une découverte ou une invention. Autrement dit, l'oeuvre littéraire peut-elle refléter la réalité ou alors elle la construit ? La représentation du quotidien de la femme dans la littérature féminine camerounaise remonte au premier texte écrit par une femme. Il s'agit de Ngonda de Marie Claire Matip. Ce texte retrace le quotidien d'une jeune femme. Les événements qui ont marqué son enfance sont consignés dans ce roman. Bouclée au foyer, surexploitée au travail, éloignée de la décision politique, niée dans sa sexualité, conditionnée par la culture et la tradition dans l'Afrique traditionnelle, la femme apparaît comme un être enfermé. C'est ce qui amène Pascal BekoloBekolo à affirmer que « la littérature féminine est un concert de cris de femmes suffoquées par leur enfermement. Une littérature de claustration. » (Bekolo, 1997 : 99)

Différentes configurations de la situation de la femme ressortent dans les romans de Djaïli Amadou Amal. Ce chapitre entend ressortir les facteurs socioculturels qui permettent de maintenir la femme dans sa situation de captivité. Ainsi, nous analyserons à partir des ressources textuelles les croyances et les textes sacrés, puis les cultures du peuple en présence, facteurs d'avilissement du personnage féminin.

1.1. Les croyances et les textes sacrés

Léopold Sédar Senghor (1945) magnifiait la femme africaine dans son poème « Femme nue, femme noire». L'image faite d'elle y est idéalisée. Toutefois, avec la nouvelle génération d'écrivaines telles que CalixtheBeyala, Leonora Miano, ou encore FatouDiome, la représentation de la femme laisse paraître qu'elle oscille entre autonomie et asservissement. Elles décrivent le rôle de la femme dans l'Afrique contemporaine. Elles montrent la femme évoluant dans des contextes violents et des espaces rongés par le chaos et des dérives qui relèvent de l'imaginaire des peuples. La femme y est traditionnellement représentée dans le rôle de victime. C'est dans cette veine que se situe le style scriptural de Djaïli Amadou Amal dans Walaandé. L'art de partager un mari et Munyal. Les larmes de la patience.

1.1.1. Les préjugés et clichés sur le personnage féminin

Ce sont des croyances ancrées et simplistes qui attribuent des traits de caractère et des activités spécifiques à la femme. Ils essaient de justifier la domination des hommes sur les femmes, non pas à partir du mode d'organisation de la société, mais comme une situation relevant des caractères naturels des femmes. Amossy et Herschberg (2021 : 60) notent que les études littéraires ont accordé une place importante à la notion de cliché. Objet de la stylistique puis de la poétique, le cliché est considéré dans ses effets esthétiques, puis dans ses fonctions et son rôle dans la production du texte. Au-delà des formes langagières figées, la critique du XXe siècle s'est intéressée aussi aux représentations sociales à l'oeuvre dans la fiction. Des écrits de Barthes à la sociocritique et à l'imagologie, elle analyse l'expression de la doxa et des idées reçues,l'exploitation des stéréotypes culturels et ethniques dans le texte littéraire.

Les sociétés africaines sont dominées par des pratiques différentes. Ces pratiques sont liées essentiellement à des vieilles religions africaines. « Toute la société est en proie à ces croyances qui dirigent la vie quotidienne. Selon la croyance certains actes ont toujours une conséquence positive ou négative. » (IklasSidig, 2011 : 105). La discrimination de la femme dans la société se prolonge dans les oeuvres et au-delà puisque tout en étant dénoncée, cette image véhicule un stéréotype qui stigmatise. Le stéréotype reflète une réalité sociale qu'il contribue à entretenir. Dans ce sens, les allusions faites aux personnages féminins dans le corpus peuvent se lire en tant qu'écriture de la victimisation.

En fait, la lecture des textes de Djaïli Amadou Amal laisse entrevoir des traits de caractères protéiformes attribués à la femme. Ils relèvent de l'imaginaire du peuple en présence. Ces images attribuées à la femme telsques( la femme qui travaille commenderait son époux ; le paradis de la femme depend de sa soumission envers son mari ; une femme intéllectuelle est cataloguée par la famille comme un danger pour leur fils ...)se transforment en des règles communément admises au sein de la société textuelle. Dans un échange entre Alhadji et sa fiancée dans Walandé.L'art de partager un mari sur les conditions de vie dans le mariage et le fait de Sakina veuille continuer à travailler, l'homme tranche nettement en se basant sur les idées reçues en circulation dans la société : «  -Je ne veux pas que ma femme soit exposée à tous les regards. N'importe quel homme se permettre de te parler, à commencer par ton patron qui te commandera comme s'il était ton mari ». (WAPM : 23).

Comme on peut l'observer dans cet extrait, la femme et par ricochet toutes celles qui travaillent fricoteraient avec leurs patrons. Et ce seul motif, qui n'est d'ailleurs pas prouvé, encore moins étayé d'exemples par Alhadji, justifie l'interdiction pour la femme mariée de travailler. C'est un argument avancé par le futur époux pour maintenir l'épouse sous sa dépendance. Une femme au foyer ne dispose pas de son autonomie. Elle reste dépendante de l'homme qui à son tour se permet tous les traitements les plus dégradants à l'égard de cette dernière. Ce cliché n'est d'ailleurs pas le seul attribué à la femme travailleuse.

Toujours dans Walaandé. L'art de partager un mari, la femme est qualifiée d'irrespectueuse. En fait, dans les sociétés peules, le respect de l'époux par sa femme passe pour un principe cardinal qui régit la vie de couple. C'est pour cette raison que l'homme peul est intransigeant sur ce principe. Il n'admet aucun écart de comportement de la part de sa femme. Pour lui, tout geste déplacé est susceptible d'édulcorer ce respect qu'il tient en estime. Dans une discussion entre les deux époux cités ci-dessus, il ressort clairement l'intolérance de l'outrage à cette règle : « -Alhadji tu m'as menti. Quand on s'est marié, tu m'as fait des promesses et tu ne les as pas tenues. -C'est moi que tu viens de traiter de menteur ? C'est le petit travail que tu avais qui te rend si impolie envers moi ? » (WAPM : 25).

Selon la culture peule, certains écarts de langage ou de comportement sont intolérables. Dans cet extrait, le franc parlé de la femme est assimilé à du manque de respect. Toutefois, cet écart est selon Alhadji à mettre à l'actif de l'autonomie de la femme (femme employée dans le service public) et non du manquement dans le processus d'éducation qu'elle aurait reçue. Et de ce fait, l'époux s'emploie à tout mettre en oeuvre pour empêcher sa promise à effectuer, en dehors des tâches ménagères, des travaux relevant du service public.). Les principales fonctions de la femme dans la société sont : se marier, procréer et éduquer ses enfants. Sakina l'illustre en ces termes :

 Le mari est celui qui commande, ton maître, ton seigneur tout puisant. Et s'il était permis à un être humain de se prosterner devant un autre alors, la femme devrait se prosterner devant son époux. Depuis le plus jeune âge, on nous l'a appris. Nous l'avons assimilé, de telle sorte que nous méprisons même nos soeurs qui osent en dire le contraire  (WAPM : 60).

La situation professionnelle de l'épouse fait échos et inquiète dans la sphère familiale. C'est dans cette logique que lors d'un conseil familial, de fermes recommandations ont été adressées à AlhadjiOumarou par la fratrie de prendre garde, au risque de perdre le contrôle de sa concession au profit de cette femme intellectuelle : « -Fais attention à toi Oumarou ! Recommanda le deuxième frère Daouda. Les femmes qui ont fait les études veulent commander les hommes. Si tu laisses une femme prendre le dessus sur toi et diriger ta vie, tu es fini... » (WAPM : 67).

La femme intellectuelle est cataloguée par la famille comme un danger pour leur fils. Il perdrait toute autonomie face à elle. Pour la famille, l'épouse idéale se montre donc avant tout soumise et respectueuse envers son mari. Elle doit aussi être fidèle, bonne ménagère et de caractère doucereuse. Cependant, pour la fratrie, ces caractères ne seraient pas l'apanage des femmes scolarisées. Ce cliché attribuée à la femme scolarisée se trouve évoqué dans la seconde oeuvre du corpus.Munyal. Les larmes de la patiencetraite des idées reçues par rapport aux jeunes filles ayant fait des études. Pour les personnages masculins, toute fille qui a mis les pieds au sein de l'institution scolaire aurait un comportement irrévérencieux envers les siens, voire à l'égard de toute la société. Ce roman construit autour de la thématique du mariage forcé, ôte à toutes les jeunes filles toute possibilité de défendre leur intérêt ou leurs droits. Ramla, l'une des protagonistes, dans sa tentative désespérée de faire comprendre à sa famille qu'elle souhaite continuer ses études se voit réprimander et son comportement fiché : « -Voilà le résultat de laisser des filles trop longtemps sur les bancs de l'école. Elles se sentent pousser des ailes et se mêlent de tout. » (MLP : 42).

Pour son père, son attitude (lui dire ouvertement ne pas vouloir du mariage à elle imposé) est la conséquence de la scolarisation de sa jeune fille. Comme pour dire l'école est source de dépravation des jeunes filles. À y regarder de près, tous ces stéréotypes rentrent dans une logique qui vise à imposer à la jeune fille toute volonté jugée bonne par l'homme. Ils ont pour but de maintenir la femme sous le joug de la gent masculine. Pour les hommes, une épouse ne doit échapper au contrôle de l'homme. Pour ce faire, il doit rester en éveil, et mettre sur pied des stratégies permettant de circonscrire ses velléités d'émancipation.

Les fausses images attribuées à la femme concernent également celles qui ne sont pas scolarisées. C'est dire qu'il n'y a pas d'issue pour la gent féminine à échapper à ces appréhensions qui la cataloguent. Dans l'oeuvre citée ici, l'une des protagonistes, Hindou, après un mariage forcé et à la suite de violences conjugales répétées, sombre dans la solitude et la dépression. Elle délire. Son état est tout de suite attribué à « un djinn malveillant » (ML: 8). Pour la communauté et sa famille, « ce genre de pathologie survient généralement chez les jeunes mariés ainsi que les nouvelles mamans. [Et] Hindou est dans les deux états. » (MLP: 8). Cette calque se base sur des appréhensions, sur des conclusions élaborées sur la base des idées reçues. Selon l'opinion, une jeune mariée serait susceptible d'être possédée par de mauvais esprits. Or, une lecture du roman montre que le comportement délirant de la jeune femme est imputable à l'oppression qu'elle a subit à la fois de la figure paternelle que maritale. Ces deux « autorités » constituent ses bourreaux. Ce cliché ouvre ainsi la voie à toute sorte de traitement, voire de récriminations, sous le fallacieux prétexte que le personnage serait hanté par des esprits malicieux. Il permet également de voiler la bestialité de l'époux. Tous ses actes de violence sur Hindou passent pour une réponse au comportement malsain de cette dernière. Il rationalise le traitement affligeant de l'homme, Moubarak, avec la complicité de la famille.

En outre, l'imaginaire peule présente le côté inférieur de la femme et le fait qu'elle soit considérée comme un être dépourvu de toute réflexion parce qu'elle est tiré de la côte de l'homme. Selon le mythe de la création peule, elle est venue au monde courbée. Dans Walaandé. L'art de partager un mari, le grand imam de la mosquée rappelle ce stéréotype. Il dit : « Allah, qui dans sa grande Sagesse les a créées d'une côte, les a faites aussi courbées dans leurs réflexions que cette côte. Si tu essayes de la redresser, elle se brise. » (WAPM: 140) Selon les dires de l'Iman, la femme est inapte à l'activité intellectuelle à cause de sa nature incomplète. Elle n'est façonnée qu'à partir d'une côte de l'homme. C'est aussi une et raison valable pour qu'elle lui doive soumission. De ce fait, il est normal qu'on lui « [...] dénie toute capacité de réflexion et d'initiative, toute personnalité. » (Ndinda, 2002: 110).

L'analyse du roman fait également ressortir un cliché attribué à la femme : elle porterait bonheur à son époux. En effet, selon les croyances, dès l'entrée de la jeune femme dans le foyer, la fortune de l'époux est sensée se décupler. C'est ce qui est arrivé lorsque AlhadjiOumarou s'est marié : « -Pour mon père, elle est porte-bonheur. Dès leur mariage, ses affaires se sont améliorées. Dans l'imaginaire populaire, la bonne étoile d'une épouse détermine la prospérité de l'homme. » (MLP: 27). Se fondant sur ces croyances, dès le mariage, chaque époux espère de fait que sa situation s'améliore. C'est ainsi que l'épouse est l'objet d'une surveillance de tous les instants par les membres de la belle famille. Plutôt que de travailler à fructifier sa fortune, l'homme serait tenté d'espérer une manne. L'épouse est le libérateur qu'il appelle de tous ses voeux. Grâce à elle, il espère quitter sa situation d'au moment des noces pour devenir « un homme fortuné ». C'est une expression qu'il aura entendue très souvent et qui le remplit d'aise. Ne dit-on pas également de l'épouse qu'elle « illumine la maison  où elle va vivre désormais ? N'assure-t-on pas qu'elle le fera entrer dans le monde » ? (MLP : 122). Cette dernière formule est peut-être celle qui parle le plus, car elle relève de l'imaginaire commun. Tout homme qui se marie, dans l'univers peul, y voit la promesse de vastes horizons. Marié, il aura enfin un statut flatteur, celui de « homme respectable » (MLP : 68).

Vu sous un autre angle, ce préjugé pose problème du moment où, toutes les femmes ne sont pas chanceuses. Si d'aventure, un homme venait à faire faillite quelques temps après s'être convolé en juste noces, la femme serait considérée comme malchanceuse. Cette image ouvre la porte à toute sorte de traitement dégradant envers la femme. Elle expose cette dernière à des spéculations, à des actes de violence. Toutefois, il faut considérer que les croyances ne sont les seuls moyens de sujétion de la femme; il en est de même de la sous scolarisation.

1.1.2. L'illettrisme et le mutisme complice de la femme et de la société

Qualifiées de fameuses « silencieuses de l'Histoire » (Perrot, 1998), les femmes représentées dans le texte de Djaïli Amadou Amal ont des difficultés à rendre compte de la précarité de leur situation, à s'insurger contre le système patriarcal en place. Cette situation est redoublée par un processus d'invisibilisation des femmes. Elles sont cantonnées en seconde zone.

En effet, l'éducation ou la culture, en l'occurrence peule, dans laquelle évoluent les personnages femmes exclut toute possibilité d'une réponse. Ils sont conditionnés en sorte que leur situation, la plus inconfortable qu'elle soit, les plonge dans le mutisme. Plus précisément, la condition dans laquelle vit le personnage féminin n'émeut en rien son entourage. Bien plus, elle est ignorée. L'angoisse insoutenable plonge les personnages dans un « sommeil ». Il n'y a plus dès lors aucun stimulus qui permette de faire comprendre et de nommer ce qui advient. Subir la violence, marquée à la fois par l'excès et par l'irruption d'une étrangeté radicale, devient précisément une expérience, un vécu quotidien dont les femmes représentées dans le corpus s'accommodent.

Ainsi, dans Munyal, les larmes de la patience, Hindou, l'une des filles d'AlhadjiOumarou, est maltraitée au vu et au su de tous. Cette situation ne reçoit aucune dénonciation de la part du personnage féminin. Bien plus, raconte la narratrice, « le pire est de savoir que son infortune fera le plaisir de ses coépouses qui n'hésiteront pas à en rajouter. » (MLP : 100). Elles sont contentes de voir l'une des leurs traverser une situation inconfortable, humiliante voire dégradante. En fait ce phénomène banalisé par les femmes du corpus contribue à encourager les hommes dans cette lancée. La victime raconte son infortune dans l'extrait suivant :

Mon époux entretient des aventures multiples, boit, use de stupéfiants et regagne toujours le foyer à une heure tardive. Il continue de me brutaliser, de m'abreuver d'insultes aussi dégradantes qu'humiliantes. On ne compte plus les hématomes, égratignures et ecchymoses que ses coups laissent sur mon corps et ce dans la plus grande indifférence des membres de la famille. On sait que Moubarak me frappe, et c'est dans l'ordre des choses. (MLP : 100).

Le silence de la femme, et plus largement de la société qui range la violence à l'égard d'une épouse dans l'ordre des choses normales fait empirer la situation de la victime. L'absence de réaction de la part de la femme est imputable à une éducation discriminatoire. En effet, la conduite discriminatoire de la famille et du parent qui a tendance à cantonner les jeunes filles dans la cour intérieur, coupé de la sphère réservée aux hommes. Bien plus, la conduite du chef de famille ne nourrit également des comportements qui rétrogradent la femme. Ainsi, l'une des protagonistes raconte : « je ne sais pas si mon père m'a déjà portée dans ses bras, tenue par la main. Il garde une distance infranchissable avec ses filles. Et il ne m'est jamais venu à l'esprit de m'en plaindre. C'était ainsi, et ça ne pouvait être autrement. Seuls les garçons pouvaient voir mon père plus souvent. » (MLP : 25). Cette éducation inculque à la fois aux jeunes filles et garçons l'idée de supériorité de la gent masculine. De ce fait, cette dernière s'arroge tous les droits, mêmes les plus avilissants à l'égard de la femme. Et les jeunes filles grandissent ayant à l'idée le fait de ne pas se plaindre des actes discriminatoires à leur égard. Elles ne sont incapables de les dénoncer.

L'on peut également expliquer que cette absence de réactivité retard est due à une scolarité défavorable des filles représentées dans le corpus et liée au poids de la culture et de la religion. En effet, « peu instruites, leur univers se limite à la famille » (Milolo, 1986 : 26) et ainsi l'illettrisme ralentit les transformations sociales : analphabètes, personnages féminins ne voient pas les avantages de l'instruction pour la jeune fille. Dans Munyal. Les larmes de la patience, la narratrice explique :

Quand mes soeurs abandonnaient leurs études le plus tôt possible, sans chercher à désobéir à mon père, et quand elles acceptaient d'épouser l'homme que mon père ou l'un de mes oncles avaient choisi pour elles, [...] je m'obstinais à aller au collège. Et j'expliquais aux femmes de ma famille mon ambition de devenir pharmacienne, ce qui les faisait rire aux éclats. Elles me traitaient de folle et vantaient les vertus du mariage et de la vie de femme au foyer. Quand je réfléchissais sur l'épanouissement qu'une femme trouverait dans le plaisir d'avoir un emploi, de conduire une voiture, de gérer son patrimoine, elles interrompaient brutalement la conversation en me conseillant de redescendre sur terre et de vivre dans la vraie vie. (MLP : 29-30)

L'enseignement traditionnel qui est pratiqué et qui inculque aux jeunes filles les vertus familiales, du respect des parents, de la soumission, et de l'obéissance, ainsi que les vertus domestiques semble être une priorité. Cet extrait nous décrit clairement la vision de la femme mariée, dans la culture islamopeule. Elle ne doit être instruite. Le critique MiloloKembe renchérit en notant que « les seuls souhaits de son entourage sont de la voir s'occupant du ménage, de l'éducation, de l'accueil de la famille et des amis de son conjoint. Et cette forme de vie spécifique à la femme africaine, ce n'est pas à l'école des Blancs qu'elle doit l'apprendre » (Milolo, 1986 : 28). La lecture des textes de Djaïli Amadou Amal donne l'impression que ces pauvres femmes, tout au long des récits, sont humbles envers leurs familles et soumises aux hommes « tyranniques ». Par exemple, la loyale femme, la Dada saaré2(*) dans Walaandé. L'art de partager un mari, est douce et soumise à son mari, alors l'athmosphère dans laquelle elle vit est caractérisée par l'arrogance, la violence verbale de l'époux. Sa loyauté et l'obéissance inconditionnelle à son mari sont devenues un emblème de la culture peule.

À y regarder de près, le souhait des personnages de ces romans, surtout les femmes est de se contenter d'obéir à leurs époux; principe dont la scolarisation les éloigne en les faisant se sentir plus libre. De plus, comme cela est constaté dans le passage ci-dessus, le fait de recevoir une éducation scolaire fait l'objet de railleries de la part de la gent féminine. Et l'instruction des femmes effraient les hommes « l'école française est un lieu où le savoir acquis diffère de l'enseignement de la mère. [...] Et le résultat est souvent négatif. Le savoir, tel que la mère l'a reçu, est dévalorisé, voire ridiculisé. La fille est préparée à tourner le dos à son passé, à ses réalités. Le processus de l'aliénation est amorcé » (Milolo, 1986 : 27). C'est pour cette raison que de nombreux comportements déviants sont attribués à la gent féminine : révoltée, irrespectueuse, sans retenu... La discrimination envers les filles en matière d'éducation va être remise à bout du jour.

De manière générale, maintenir le lien de famille est une des raisons récurrentes qui empêchent les femmes violentées de se révolter et souvent, lorsqu'elles le font, il est trop tard. C'est ce qui est observable dans le corpus. Les personnages femmes agissent comme si toute leur énergie devait viser à maintenir le lien quel qu'en soit le prix. Or, leur souci pour le lien va de pair avec celui du partenaire maltraitant. Régulièrement, en effet, ce dernier déverse toutes les angoisses suscitées par le milieu des affaires. Aïssatou, la première femme d'Alhadji, dans Walaandé. L'art de partager un mari, s'est évertuée à maintenir l'unité au sein de son foyer pendant ses trente années de mariage. Elle a subit à la fois les humeurs massacrantes de son époux et des proches de la famille. Son époux agissait envers elle selon que ses affaires marchaient ou pas. La volonté de cette femme pour sauver le lien s'est accompagnée d'une mise à l'avant de l'affect. Cela peut se comprendre : l'amour chez cette femme a ceci de spécifique qu'elle pourrait tout donner ou consentir à tout pour le conserver. « Il n'y a pas de limites aux concessions que chacune fait pour unhomme : de son corps, de son âme, de ses biens », notait Lacan (1974 : 540).

Ainsi, ces femmes se taisent par amour pour leur homme ou afin d'être aimée de lui et reconnue par l'entourage ou encore pour le séduire et le reconquérir. La séparation et la perte sont impensables. Le lien semble représenter illusoirement une certaine sécurité affective et elles conservent longtemps l'espoir de changer leur partenaire. S'il est violent, c'est qu'il a manqué d'amour, c'est en effet fréquemment le cas. Elles peuvent aussi attendre.

Djaïli présente une situation où les femmes répondent aux attentes de leur environnement en servant leur mari, mais il n'y a aucune attente de la part du mari de servir sa femme. En outre, l'utilisation des mots « règle », « servir », « soumission » et « munyal » suggère qu'il y a plus à attendre de la femme, son dévouement personnel. Le lecteur se rend vite compte du pouvoir des hommes sur toute la gent féminine. Une règle stricte (sans réserve) est observée dans les concessions et toute la famille la respecte mais aussi, les femmes vivent dans une peur considérable des hommes, en lieu et place du respect. Hindou, l'une des protagonistes de Munyal. Les larmes de la patiencerelate son infortune:

La terreur me serre la gorge, m'étouffe et m'empêche de respirer. « Je fais vite ! Je me dépêche. » Quand il se rapproche de moi, je tremble tellement que, pour la seconde fois de la soirée, je fais sur moi. Le liquide tiède mouille le pagne déjà humide, dégouline le long de mes jambes et laisse une trace sur le sol poussiéreux. Un vide s'installe dans mon esprit. Tout mon corps se contracte de peur des coups. Je suis terrorisée. (MLP : 95)

Ici, l'époux, le bourreau inspire de la terreur à son épouse. Il ressort de cet extrait que l'épouse est obligée de rester dans ce foyer pour sauver les apparences. Les femmes mariées présentées dans la société peule sont « emprisonnées » par leurs maris trop protecteurs. Il ressort de cette analyse qu'il y a priorisation du droit des hommes et des aînés et la justification de ce droit dans les valeurs de parenté qui sont généralement soutenues par la religion, car, les personnages masculins justifient leurs agissements en évoquant les privilèges accordés par le Coran.

Il est clair que dans l'univers islamopeul représenté dans le corpus, l'illettrisme et la soumission sans faille est un obstacle pour les femmes, les enfants, la famille et elle touche à la santé, à l'éducation, au travail.

D'un autre côté, nous y retrouvons l'image d'une figure féminine traditionnelle, la douce et soumise femme qui reste éveillée tous les soirs ou du moins lorsque le tour de chacune arrive en attendant que son mari revienne de son « vagabondage » ou de ses interminables discussions avec les connaissances; au moins pour tenir la lampe pour lui pendant qu'il monte l'escalier et pour l'aider à se déshabiller avant qu'elle continue de dormir. Le narrateur révèle que :

Habitude l'a réveillée à cette heure. C'était une vieille habitude qu'elle avait développée quand elle était jeune. Et elle était restée avec elle pendant qu'elle mûrissait. Elle l'avait appris avec les autres règles de la vie conjugale. Elle s'est réveillée à minuit pour attendre le retour de son mari depuis elle le servait jusqu'à ce qu'il s'endorme. Elle s'assit sur son lit résolument pour vaincre la tentation du sommeil. Après avoir invoqué le nom de Dieu, elle a glissé sous les couvertures et sur le sol. (MLP : 82).

Malgré le fait que les épouses subissent très souvent certaines situations difficiles, elles n'osent pas faire connaître leurs pensées aux époux ou aux proches. Sakina ne va jamais oublier ce qu'elle a enduré lorsqu'elle a osé tenir tête à son époux par rapport aux promesses non tenues. Juste au cours de leur première année de mariage quand elle s'est plainte de ses nombreuses nuits de sortie.

La réponse de son époux avait été claire :

Par les oreilles et lui dire péremptoirement d'une voix forte. Je suis l'homme. C'est moi qui commande et interdit. Je n'accepterai aucune critique de mon comportement. Tout ce que je te demande, c'est de m'obéir. Ne me forcez pas à vous discipliner. Elle a tiré de cela et des autres leçons qui ont suivi, pour s'adapter à tout, même en vivant avec les djinns, afin d'échapper à l'éclat de sa colère aux yeux (WAPM : 102).

Les épouses sont dépeintes comme des femmes exceptionnellement patientes et dévouées, qui trouvent normal de sacrifier un peu de sommeil afin de s'assurer qu'elle fournit à son mari l'assistance nécessaire dont il a besoin. Elle croit que, le rôle de l'épouse est censé être une extension pour le rôle de la mère ; la femme s'occupe du mari comme de sa mère.

1.1.3. L'interprétation subjective des versets coraniques

Les romans de Djaïli, esquissent le portrait des femmes dont la soif de liberté se heurte à la réprobation de la société et de leur entourage incarnépar les préceptes de la religion (tabous persistants à l'encontre de l'émancipation féminine, parents lésés réclamant et exerçant l'autorité qui leur appartenait traditionnellement de droit), mais ils expriment également le face-à-face de ces femmes avec elles-mêmes et avec leurs désirs. Du point de vue de l'auteur de l'ouvrage La condition de la femme dans l'islam, Mansour Fahmy affirme : « L'islam, comme on le sait, a trouvé naissance dans une société patriarcale. L'autorité du père, qui avait sa source dans la coutume et qui était plus au moins adoucie par les liens familiaux, fait transmise, dès l'avènement de la nouvelle religion, à une puissance inflexible : la divinité » (Fahmy, 2021 : 96).

La religion, l'Islam, est omniprésente dans les deux textes du corpus. Elle se déploie à travers le Coran, ses versets. Leur interprétation n'est pas toujours objectivement faite, même par les érudits. L'argumentaire souvent déployé varie peu en amplitude et en solidité. En effet, les personnages du roman, des croyants musulmans, considèrent que la femme est dans l'obligation de subir les caprices de son époux, la femme est fondamentalement inférieure à l'homme et de ce fait devrait voir en celui-ci l'incarnation d'Allah, au point de « se prosterner devant son époux » (WAPM : 63) si cela était permis. Ainsi, les protagonistes masculins, soutiennent avec force détails que la soumission est avant tout une prescription religieuse, voire un commandement divin. Que ce soit l'Imam de la mosquée ou les frères d'AlhadjiOumarou dans Walandé. L'art de partager un mari, ces personnages semblent profondément convaincus que cette « prescription » doit être appliquée dans la famille et se perpétuer, par toutes les quatre épouses de Oumarou et ses filles parce qu'elle est une exigence du culte islamique et doit être obligatoirement pratiquée afin d'être digne musulman. Pour soutenir cette thèse, ils citent d'abord un premier argument selon lequel le « le devoir conjugal ! On me cite hadith du Prophète : « Malheur à une femme qui met en colère son mari, et heureuse est la femme dont l'époux est content ! ». Je ferais mieux d'apprendre tout de suite à satisfaire mon époux. » (MLP : 77). Il s'agit en réalité d'une portion du texte sacré détaché de son contexte : « C'est un droit divin, me souffle un jour une femme érudite. Il est écrit dans le Coran qu'un homme a la légitimité de punir et de battre son épouse si elle est insoumise. Mais il est tout de même interdit qu'il s'acharne sur son visage, ajoute-t-elle, scandalisée par mon oeil au beurre noir. » (MLP : 104).

Bien souvent tiraillées entre leur libre choix et le respect dû à la famille, confrontée à une liberté nouvelle et pourtant astreintes, par la force de la pression sociale, de leur condition, les personnages féminins n'entrevoient aucune solution viable qui leur garantirait, sinon le bonheur, un semblant d'apaisement et de tranquillité d'esprit. Illustrant parfaitement ce dilemme, Walandé. L'art de partager un mari dépeint, le désespoir de la jeune Yasmine, soumise à une pression familiale trop forte. Pour son père, il est impératif de l'envoyer en mariage, quoique cela coûte : « Regarde comment se comportent les jeunes filles et dis-moi s'il est possible pour un croyant d'accepter cela. C'est une chance que je puisse caser toutes mes filles. » (WAPM : 95). Garante de la morale, l'Islam permet aux hommes de confiner leurs filles et épouses, préférant les voir sombrer dans le désespoir que rompre le bouleversement de sa vie au lieu faire face à la situation que vise la gent féminine : s'émanciper. À la lecture du roman, « libérer » sa fille ou son épouse, est une chose impensable, tant il est vrai qu'en bon musulman honorable, il lui est préférable de voir mourir sa fille, que d'être plongée dans le déshonneur. Yasmine, décède des suites des traitements, de l'emprisonnement et de la pression que lui fait subir son père, au nom des préceptes de l'Islam.

Dans ces récits, une mise en lumière sur la situation de la femme face à la religion est faite. Tout d'abord celle de la morale qui pèse sur la gent féminine à l'évolution palpable mais lente et imparfaite. Une femme victime de la religion qui, dans l'ombre, n'a d'autre choix que de souffrir de la situation. La colère de la jeune femme à l'encontre des préceptes religieux, qui ne lui permettent pas de vivre comme femme, d'un côté, la femme pleine de piété filiale sacrifiant sa félicité à son devoir familial et social pendant son enfance, de l'autre, la femme individualiste libre poursuivant son propre bonheur comme femme. Consciente de se trouver dans une période de l'histoire qui fait jonction entre deux mondes, l'ancien au cadre rigide et le moderne ouvrant de nouvelles perspectives d'épanouissement personnel, elle accuse une société encore trop rétrograde d'être la cause de son malheur :

Nous n'appartenons à personne. Ni à notre mari, ni à nos parents, ni à nos enfants. En réalité, tout ce que les hommes nous racontent sur l'Islam est faux. Le prophète Mohammed a été le premier défenseur des femmes. Par exemple, ton consentement au mariage est obligatoire. On doit te demander ton avis. Ensuite, ton mari n'a pas le droit de t'insulter, ou de te menacer, ou même de te battre. Il doit te traiter avec respect et tendresse... (WAPM : 63)

Toutefois, les femmes apparaissent divisées face à cette situation. Celles qui incarnent l'éducation traditionnelle ne comprennent pas les désirs d'émancipation cette dernière. Pourtant, l'hypothétique émancipation que la jeune femme envisage à travers l'instruction et la compréhension des versets coraniques constituent une solution pour s'échapper du giron des hommes et vivre la féminité au grand jour.

1.2. L'imposition du respect et des lois de la société peule à la femme

L'imposition du respect et des lois traditionnelles passe par la soumission. Le Petit Robert donne plusieurs définitions : La soumission, c'est le fait de se soumettre, d'être soumis (à une autorité, une loi), avec toute une obéissance et sujétion : « la soumission filiale à l'autorité souveraine de l'Eglise ». Une autre définition : la soumission, c'est l'état d'une personne qui se soumet à une puissance autoritaire. Une personne qui se trouve dans une disposition d'accepter la dépendance et de vivre dans l'air de soumission. En ce qui concerne la relation homme/femme, en situation de vie conjugale, la soumission veut dire l'obéissance absolue de la femme à son mari dans le contexte traditionnel. À ce propos, KembeMilolo affirme que : « L'obéissance au mari est une tradition qui répond à la nature. C'est un penchant naturel de la femme de se mettre consciemment ou inconsciemment à la volonté de son mari » (KembeMilolo, 1985 : 178).

Dans le contexte traditionnel africain, la soumission obéit à une perception particulière, car la soumission est considérée comme une des qualités les plus appréciées chez la femme. Ainsi selon les traditions, l'épouse idéale se distingue par sa docilité, son obéissance et sa soumission. Une attitude qui se conforme aux normes sociales observées par tout le monde. Dès le bas âge, toutes les formations que la jeune fille reçoit visent à enraciner chez elle ces principes. Dans cette formation participent non seulement la mère ou les parents proches mais également les parents éloignés : les tantes, les oncles, etc. Ils répètent les mêmes conseils, les mêmes recommandations le jour du mariage et la nuit des noces. Quand la mariée rejoint le domicile conjugal, elle reçoit des conseils dans ce sens. Dans leurs voeux, leurs souhaits d'une vie conjugale heureuse à leur fille, les parents lui font une recette des devoirs : elle doit être patiente, douce, aimable, compréhensive. Dans la structure traditionnelle de la société, dans laquelle la femme éternellement mineure et soumise, l'homme est toujours dominant. Ainsi, à l'opposition de la soumission féminine se pose la domination masculine. L'homme est maître et seigneur. La vie lui donne tous les droits. Il fait ce qu'il veut : lui, il ordonne et elle, elle exécute ses ordres sans la moindre résistance, même les plus capricieux. Comme le constate LilyanKesteloot : « Il était le maître et le seigneur. Il se déshabillait où il voulait, s'installait où il voulait, mangeait où il voulait, salissait ce qu'il voulait. Les dégâts étaient aussitôt réparés sans murmure. Dans ce foyer, on prévenait ses moindres désirs » (LilyanKesteloot, 2001 : 129).

Il est notable que les oeuvres de Djaïli mettent en scène des femmes soumises à des injonctions de genre dont elles ne peuvent se départir, ainsi qu'avec une société dans laquelle les traditions pèsent encore très lourd. De la même façon, les oeuvres dépeignant des temps et comportements révolus, livrent une peinture des anciennes mentalités et pratiques non désirantes, soulignent explicitement l'asservissement des femmes par une société traditionnelle patriarcale.

Malgré que les sociétés représentées dans Walaandé. L'art de partager un mari et Munyal. Les larmes de la patience soient citadines, elles restent caractérisées par l'observation stricte des coutumes. Les personnages qui s'y meuvent ne sont pas scolarisées et certaines innovations sont limitées sinon refusées. La culture est passée de génération en génération et protégée. Toutefois, l'on constate que la vie d'une fille est programmée et sa destinée, déterminée par un certain nombre d'éléments relevant de la culture.

1.2.1. Le pulaaku

À l'identité peule, on associe invariablement la notion de pulaaku, la foulanité. Lepulaaku, peut se traduire par « mode ou style de vie peul ». Elle incite à la maîtrise de soi et fonde la foulanité. Pour ces peuples nomades, se maîtriser c'est, d'abord dominer ses besoins physiques et matériels. Le code culturel des peuls, lepulaaku, est entendu comme l'essence de la civilisation peule dans sa pluralité. Ce sont les coutumes que la société peule préconise et qui représentent une partie importante de son identité comme société distincte des autres.

Le pulaaku décrit le comportement attendu d'un peul, et il lui est enseigné par sa famille dès son enfance. C'est une coutume qui exige avant tout la réserve, la retenue, la maîtrise de soi. Ce comportement codifié permet au peul d'être distingué des autres non-peuls. Le mot pulaakua toujours existé dans les moeurs des peuls qui la considèrent comme une morale de vie. Djaïli le définit d'ailleurs dans son lexique comme un « ensemble de règles qui définit la vie d'un peul. Le respect, la discrétion, la pudeur, l'orgueil, la patience entre autres. Lepulaaku oblige un peul à rester digne en toute circonstance. C'est en bref, l'art de vivre dans la noblesse. » (WAPM: 108).

Le pulaaku exige une conduite docile sans opposition surtout pour faire plaisir à l'homme et ne pas le blesser. Voilà pourquoi, une jeune fille peule digne de son nom doit parler et répondre aux gens avec respect afin que le nom de ses parents soit honoré. Lorsqu'un homme lui adresse la parole, elle doit baisser la tête et lui répondre positivement « A ma guise, j'aurais voulu lui crier : « Mais comment veux-tu que je t'aime ? je ne te connais pas. De plus, je ne veux même pas te connaître ». En fille sage maîtrisant sur le bout de doigts son pulaaku, je baissais timidement les yeux et répondais - Mais si ! bien sûr que je t'aime Mais je veux quand même attendre un peu. » (MLP : 33).

En plus, le pulaaku exige le respect de la masse surtout les hommes. Cela s'explique par le fait que lorsque les hommes sont attroupés, la fille ou femme qui passerait devant ses hommes devrait enlever ses chaussures avant de les traverser et baissés les yeux. En enfreignant les règles établies, elle serait mal vue par la société et ceci porterait atteinte à sa dignité ainsi qu'à toute sa famille. Une jeune fille bien éduquée doit toujours agir ainsi. C'est le cas de Ramla qui accepte la proposition d'Alhadji en l'épousant : « où est passé le pulaaku qu'on m'a toujours inculqué ? Un peul meurt comme un mouton en se taisant et non en bêlant comme une chèvre ! ». (MLP : 84). Ainsi donc, pour avoir une bonne cohésion sociale et une intégrité, il serait judicieux voire obligatoire de respecter ses normes établies.

En outre, chez l'homme peul, une parole donnée est inchangeable, elle doit être respectée malgré tout. Elle est irrévocable car ceci relève des normes du pulaaku. Du coup, les jeunes sont contraints d'accepter les choix et décisions pris par leurs parents sans hésitation notoire. Ceux-ci abandonnent leurs rêves pour faire plaisir aux parents. C'est le cas de Moustapha qui doit épouser sa cousine sans riposter. Cela montre que les normes sociales ne se soucient pas des sentiments des personnes, mais cherchent plutôt à préserver ses intérêts personnels. Moustapha et sa cousine sont victimes de cette exigence sociale : « Tu sais Moustapha, un homme doit toujours tenir à sa parole et une fois celle-ci donnée, on en devient prisonnier. Le respect des aînés est non seulement une règle de pulaaku, mais aussi une « sunna » du prophète Mohammed (paix et bénédiction d'Allah soient sur lui). Ton oncle t'a donné sa fille, et à moins de lui faire un affront énorme, il ne t'est pas possible de refuser. Notre famille ne badine pas avec l'honneur, ni avec la bienséance » (WAPM : 86-87)

Le pulaaku est l'élément essentiel de la tradition culturelle peule, invisiblement associé à l'islam, est décrit comme un rouleau compresseur pour la femme : « Alhamdulillah. Louange à Allah ! C'était une formule comme une autre. Remercier toujours Dieu même quand ça ne va pas. Dire que c'est mieux même quand ça a empiré. C'est le pulaaku. » (WAPM : 108). Cette norme crée un blocage à la femme qui l'empêche d'avouer sa souffrance. Voilà pourquoi, une jeune fille peule digne de ce nom doit toujours répondre avec respect quand un homme lui adresse la parole, même si cela va à l'encontre de ce qu'elle pense, elle est obligée de feindre pour pouvoir honorer ses parents : « A ma guise, j'aurais voulu lui crier : « Mais comment veux-tu que je t'aime ? je ne te connais pas. De plus je ne veux même pas te connaître ». En fille sage maîtrisant sur le bout de doigts son pulaaku, je baissais timidement les yeux et répondais - mais si ! bien sûr que je t'aime mais je veux quand même attendre un peu. ». (MLP : 33)

Toutefois il faut prendre conscience que la pulaaku est complexe : elle renferme les notions de savoir-vivre, de bonnes manières, d'intelligence, et la connaissance d'un héritage culturel et ancestral peul. Malgré la nature du discours peul sur sa propre culture, elle laisse entrevoir les processus de transformation et d'adaptation qui la façonnent et permet la cohésion sociale.En dehors de ces considérations, il y a certaines coutumes érigées en règle qui contribuent à l'injustice faite à la femme. À l'exemple de pratiques telles que le lévirat ou le sororat. Déjà dans l'Afrique traditionnelle, le simple fait d'imposer le frère du mari à la veuve constituait une altération de tous les droits de la femme. C'est une manière de lui faire savoir qu'elle n'a pas à aimer, mais plutôt se soumettre et taire ses sentiments aussi sincères qu'ils peuvent être.

1.2.2. Le munyal

Selon les normes comportementales peules régies par le munyal, la retenue, les attitudes gestuelles féminines doivent manifester un sentiment de réserve ou de retenue, le munyal. Ce dernier consiste en un contrôle verbal et gestuel des émotions ressenties lors des interactions, selon les statuts des individus et leurs liens de parenté. Dans les représentations sociales, les femmes, à l'inverse des hommes sont pensées comme étant impulsives et ne contrôlant pas leurs affects. Posséder du munyal ou « posséder sa tête » comme disent les femmes signifie qu'elles ont appris à se contrôler. Pour les techniques du corps, cette expression se réfère à une réserve donnée aux expressions du visage et à l'absence de gestes qui trahiraient l'émotion ressentie. Le munyal apparaît comme une qualité, qui particularise le genre féminin. Les hommes ne possèdent pas de munyal, car leur attitude corporelle témoigne d'une assurance et d'un sentiment de fierté.

Malgré que les femmes dans Munyal Les larmes de la patience soient conscientes de l'oppression et de l'asservissement dont elles sont à la fois objets et victimes innocentes de la part d'une société patriarcale et fondamentalement phallocratique, elles n'ont pas la possibilité de s'en défaire. Bien plus, leurs efforts de résister, donc de survivre et affronter la réalité, à armes inégales, ne dussent-elles courir le risque d'en perdre l'âme, leur identité propre sont battus en brèche par les règles régissant le foyer polygamique. Ce faisant, elles apprennent à supporter, le munyal, face aux nombreux écueils qui jonchent l'existence d'une femme doublement affectée par leur statut et la tradition dans l'environnement social réputé hostile pour elles. Dans l'extrait suivant, la patience s'apparente à une préparation psychologique de la femme face aux difficultés : « Daada-saaré, tu seras aussi le souffre-douleur de la maison. Tu conserveras ta place de daada-saaré, même s'il en épouse dix autres. Alors, un seul mot, munyal, patience ! Car tout relève ici de ta responsabilité. Tu es le pilier de la maison. À toi de faire des efforts, d'être endurante et conciliante. Pour cela, tu devras intégrer à jamais la maîtrise de soi, le munyal. Toi, Safira, la daada-saaré, jiddere-saaré, la mère, la maîtresse du foyer et le souffre-douleur de la maison ! Munyal, munyal... »(MLP : 22)

En effet, la patience est un terme fétiche qui permet aux hommes de pousser la femme à accepter les différentes situations dégradantes dans le foyer. Ce comportement culturel est insidieusement inculqué à la femme. Elle est préparée à la docilité. Elle est tout le temps victime et est prédisposée à l'acceptation. Les mots dans cet enseignement sont choisis. Elle est flattée par son statut de première femme. Pourtant, les difficultés qu'elle doit supporter du fait de sa position sont disproportionnées. Il lui est enseigné entre autre la maîtrise de soi, la responsabilité. Tout se rapporte à elle. De ce fait, elle se sent responsable dans toutes les situations dans la famille, bonnes ou mauvaises. Il ressort de l'analyse ci-dessus que la patience est enseignée à la femme, surtout la première épouse Comme le dit l'auteure des romans, avec la patience, on peut réaliser des choses incroyables. Ceci se matérialise à travers l'extrait suivant :

Munyal ! Munyal... Munyal ma fille ! Combien de fois a-t-elle entendu ce mot ? Combien de personnes lui ont donné ce conseil ? Encore et toujours ! De la part de tous. Par toutes les circonstances douloureuses de sa vie. On le doit d'ailleurs, on ne conseille le fameux Munyal comme remède souverain à tous les maux que dans les moments difficiles. On le sait c'est dans la douleur qu'on dit à une personne : « supporte ! » ... Toute vie est faite de patience dit-on : « Avec de la patience, on peut vider un étang à l'aide d'un chameau » ! On peut aussi boire un puits de bouillie avec une aiguille ! (MLP: 7).

Notons encore que le munyal est une norme sociale qu'on inculque à la jeune fille dès le bas âge pour la préparer à la vie future dans la société peule. Une jeune fille doit s'armer de patience pour que son mariage perdure, une fois marié. Elle doit user de la patience car le Munyalest le remède à tout problème que cela soit dans un couple ou dans la vie sociale. C'est le premier conseil qu'on donne à toute jeune fille qui va en mariage et à toute personne éprouvée. Il est d'une importance capitale, même notre créateur apprécie ceux qui sont patients. «  Munyal ma fille ! Intègre déjà cela dans ta vie future. Inscris-le dans ton coeur, répète-le dans ton esprit ! Munyal ma fille, telle est la seule valeur du mariage de notre religion, de nos coutumes, du pulaaku, Munyal ma fille car c'est dans la douleur qu'on te le conseille. Alors tu ne dois jamais l'oublier ! » ... « Munyal ma fille car la patience est une vertu. Dieu aime les patients, avait précisé son oncle. Tu es à présent une grande fille. Tu es désormais mariée et dois respect et considération à ton époux. (MLP : 10-11).L'extrait représente les conseils que les oncles et tantes donnent à leurs nièces le jour du mariage.

Une lecture plus poussée du même roman permet de se rendre compte que c'est un enseignement qui se déroule toute la vie de la femme. Elle y est préparée dès sa jeunesse et la veille du mariage. Dans l'extrait suivant,AlhadjiOumarou prépare ses filles à accepter leur situation quoiqu'il en coûte : « Patience, mes filles ! Munyal ! Telle est la seule valeur du mariage et de la vie. Telle est la vraie valeur de notre religion, de nos coutumes, du pulaaku. Intégrez-la dans votre vie future. Inscrivez-la dans votre coeur, répétez-la dans votre esprit ! Munyal, vous ne devrez jamais l'oublier ! » fait mon père d'une voix grave. » (MLP :52) Cette prescription, sous le couvert du précepte de munyalest sensé régir la vie de la jeune fille. Elle doit s'y conformer, l'intérioriser, la faire sienne. Pour renforcer la force de précepte, le parent y adjoint un argument de force, celui de la religiosité de cette prescription.

La femme et fille peule doit s'armer de patience face à n'importe quelle situation de la vie. Pour une femme mariée, la patience est un impératif afin de pouvoir partagé son mari avec d'autres femmes. C'est le cas de la quatrième femme d'Alhadji. (Sakina). Malgré son éducation, doit subir les mêmes traitements que ses autres coépouses sans exception. Pourtant, elle a fait des études et espérait que son mari la traiterait différemment dans son foyer polygamique. Sakina réalisa qu'elle ne pouvait rien faire face à cette réalité du mariage, elle ne peut que se résigner et faire semblant d'être heureuse pour dissiper le regard social. Ceci s'illustre à travers le passage suivant :

 Sakina avait pris conscience désormais qu'elle vivait dans un ménage polygamique. Qu'elle partageait le même homme avec plusieurs femmes qu'elle voyait tous les jours. Des femmes avec lesquelles elle vivait, mangeait, parlait, discutait, plaisantait de fois. Des femmes qui partageaient le même lit que l'homme auquel elle était liée par l'amour. Elle suivait juste le mouvement, se laissait vivre sans espoir, sans projets. Elle attendait juste ! Elle attendait son Walaandé. Elle attendait que son Waalandé s'achève. Elle attendait elle ne sait quoi. Mais elle attendait quand même. (WAPM: 24).

1.2.3. Le semteendé

Le semteendé, encore appelé, « la honte », la réserve, la franchise, la pudeur se définit comme le fait d'être discret et de respecter les règles de la bienséance. La réserve est l'attitude de quelqu'un qui agit avec prudence, qui exige tout respect. Pour Nassourou , le semteendéest une conscience prescrivant une attitude, un comportement de réserve et de retenu avec le souci d'éviter de commettre des actes et des conduites indignes, humiliation, autrement dit, honteux. Les domaines susceptibles d'engendrer la honte, concernent au premier chef, l'expression des instincts et des émotions, tels les besoins physiologiques comme éviter de peter, d'uriner, de déféquer le désir de nourrir l'appétit charnel. Cet ensemble de disposition instinctive doit être maîtrisé, dominé par le peul vivant société [...] dans le domaine de l'expression des sentiments émotionnels, comme la joie, la peine, l'amour, la colère, le semteende impose la retenue également. (Nassourou, 2014 : 223).

Ce principe stipule que tout peul se doit d'avoir un comportement de réserve, de retenue et un contrôle constant des émotions. Le non-respect des règles ou des codes dictés par les nobles dans ce groupe conduisent à la honte, à l'humiliation, au déshonneur.Les sociétés peules sont fort différentes les unes des autres. La capacité à ressentir de la « honte » fait partie de l'éducation de l'enfant. Fortement intériorisée, la honte n'est pas une question de paraître mais une question d'être. Cette capacité consiste à ne pas subir la « honte » et à ne pas l'infliger à autrui, elle permet de renforcer la cohésion sociale. Toutefois, son emploi dans Munyal. Les larmes de la patiencevise, contrairement à son acception originelle, à assujettir la femme. L'invocation de ce principe permet de maintenir la femme dans le silence, et par ricochet sous la domination masculine. C'est le cas de Hindou, qui malgré qu'elle soit victime de harcèlement, tait sa situation sous prétexte du semteendé. Ainsi, voici sa réaction lorsque sa jeune soeur lui conseille de mettre sa mère au courant de ce problème : « -Tu en a parlé à ta mère ? -Que veux-tu que je dise ? Ce n'est pas un sujet qu'on évoque avec sa mère, tu le sais ! » (MLP : 58).La situation est pareilledans Walaandé. L'art de partager un mari. Nafisa, l'une des épouses d'AlhadjiOumarou est mariée contre sa volonté. Ses parents comptent sur les multiples biens matériel que leur donnerait leur gendre (WAPM : 37). Or, il se trouve que la jeune fille est amoureuse d'un autre homme. Elle se trouve dans l'obligation de consentir à ce mariage forcé : « De même, elle ne pouvait révéler à personne son secret. Elle essayait même de ne pas y penser tant ce serait commode d'oublier. »(WAPM : 37).

Il faut donc noter que le sentiment de honte, le semteendé, incline les femmes, victimes, à se taire. Il est d'autant plus fort dans la société peule que avouer certaines « choses » est considéré comme une honte, un déshonneur, et la victime peut être implicitement « condamnée », stigmatisée, montrée du doigt pour avoir « participé » à l'acte réprouvé. La victimisation trouve là une des explications possibles au sentiment de culpabilité toujours très présent chez les femmes victimes du corpus. On comprend mieux pourquoi la particularité des violences et partant, toutes les situations dégradantes à l'égard de la femme dans les romans de Djaïli sont tues, ne sont pas condamnées. Ceci focalise le regard sur la luxure et le pêché, aggravant encore l'état d'indignité de la victime, que le silence, le semteendécontribuent à ancrer dans la mémoire de la victime. La victime de violence et traitements dégradants dans la société peule représentée dans le corpus est prisonnière de son univers culturel. Elle fait d'ailleurs l'objet de rejet de la part de la famille et de la société en général.

1.2.4. L'éducation traditionnelle de la femme

L'image de l'épouse traditionnelle que souhaitent les hommes et la société dans les romans de Djaïli Amadou Amal revèle toujours des qualités favorables, des qualités admirées par les hommes. Elle est docile, soumise, travailleuse, courageuse et de plus, elle est ignorante des activités de son époux. Pour parvenir à cette stature de la femme, l'éducation qui correspond à cette image doit être inculquée dès le jeune âge. La jeune fille témoigne de l'éduction reçue dans l'extrait suivant : «  Je n'étais pas que la fille de mon père. J'étais celle de toute la famille. Et chacun de mes oncles pouvait disposer de moi comme de son enfant. Il était hors de question que je ne sois pas d'accord. J'étais leur fille. J'avais été élevée selon la tradition, initiée au respect strict que je devais à mes aînés. Mes parents savaient mieux que moi ce qu'il me fallait. » (MLP : 32)

Il est question dans cette éducation traditionnelle que la femme soit docile et obéissante pour que l'homme ait le pouvoir d'exercer son influence, son autorité sur elle. L'éducation qu'elle reçoit favorise le respect inconditionnel du mari. Elle doit être toujours disponible pour rendre des services sans même élever la voix. Son lot de femme est d'accepter, et de se taire, c'est ainsi qu'on le lui enseigne. Voilà une épouse décrite par l'Oncle Hayatou dans Munyal. Les larmes de la patience:

Soyez soumises à votre époux / Épargnez vos esprits de la diversion / Soyez pour lui une esclave et il vous sera captif / Soyez pour lui la terre et il sera votre ciel / Soyez pour lui un champ et il sera votre pluie / Soyez pour lui un lit et il sera votre case / Ne boudez pas / Ne méprisez pas un cadeau, ne le rendez pas / Ne soyez pas colériques / Ne soyez pas bavardes / Ne soyez pas dispersées / Ne suppliez pas, ne réclamez rien / Soyez pudiques / Soyez reconnaissantes / Soyez patientes. (MLP : 16)

À travers ces enseignements, il s'agit de préparer les jeunes filles avant qu'elles ne quittent le foyer des parents pour rejoindre celui de l'époux. L'idée ou la conception courante dit que la jeune fille est donnée à un homme. Elle est considérée dans certaines sociétés comme n'importe quel objet que l'homme possède pour toujours. Alors dès son arrivée au domicile conjugal elle doit justifier l'éducation à elle inculquée par ses parents à respectant les préceptes ci-dessus cités. Elle ne peut pas se comporter autrement parce que c'est la règle, les traditions, les valeurs héritées des parents.

Les femmes représentées dans Walaandé.L'art de partager un marisont un exemple soumission, grâce à l'éducation traditionnelle. Le fait que certaines soient des femmes modernes, femmes urbaines et instruites ne les épargne pas de ce mauvais sort. Cela montre que ce ne sont pas seulement les femmes illettrées qui subissent l'éducation traditionnelle. C'est vrai, comme nous le voyons, et d'une façon générale, la femme traditionnelle est dans tous les cas soumise par nature, à la volonté de l'homme; c'est-à-dire à l'autorité de l'homme qui est pour elle le père, le frère ou le mari, surtout le mari. Toutefois, cela ne veut pas forcément dire que toutes femmes modernes se révoltent contre l'ordre des hommes. Le cas de Sakina est illustratif. Il est convenable de découvrir la personnalité de cette dernière, pour comprendre le poids de l'éducation traditionnelle : elle est à la fois femme moderne et femme soumise. Donc pour juger son attitude dans son foyer, face à son époux, face à la polygamie, il importe de chercher à savoir quelles sont les raisons pour lesquelles elle se soumet.Sakina est la quatrième épouse d'AlhadjiOumarou. Elle est la seule épouse instruite. Elle est une synthèse de deux civilisations : la civilisation africaine et l'européenne. Sa formation traditionnelle est très évidente dans son comportement.

Des pratiques telles que l'accueil d'une foule qui vient pour adresser leurs salutations à Alhadji, les énormes repas à préparer à ceux-ci. Toutes ces pratiques sont dictées par les croyances et les rites religieux. De toute façon, nous pouvons dire que Sakina est une femme croyante qui jouit d'une foi respectable. Les prières et de la lecture du Coran en sont révélatrices de sa croyance. D'un autre côté, le personnage a reçu l'instruction scolaire. Donc nous constatons que ces deux types de formations laissent des traits remarquables sur le caractère du personnage, l'originalité et la modernité. Elle est une femme intelligente, pratique, dynamique et prudente. Dans toutes les étapes de son parcours dans le roman, elle montre une ouverture d'esprit. Dans un échange avec ses coépouses à propos de la santé de l'un de leur fils, elle démontre son intelligence : « -tu devrais amener cet enfant cher l'imam tous les matins pour qu'il lui fasse des incantations. C'est sûrement du mauvais oeil qu'il souffre. -Je pense plutôt que Aminou aura besoin d'une perfusion, fit Sakina sceptique. Il est déshydraté et c'est peut être... » (WAPM : 18)

Mais le destin lui cache une mauvaise surprise. Elle n'a pas la moindre pensée qu'un jour, elle vivra des situations troublantes. Et elle démontre ses capacités à supporter, à subir en silence, qui trouve une explication dans les faits suivants. Ils sont l'apanage de tous les personnages féminins.L'analyse de la situation des femmes dans le corpus laisse paraître qu'elles sont toutes soumises. Les romans abondent en exemples de ces femmes soumises à l'hégémonie de l'homme. Plusieurs aspects interviennent dans ce problème : des aspects économiques, psychologiques, sociaux et religieux.

Le problème le plus grave réside dans la dépendance morale et économique de la femme à l'homme. C'est à cause de cet état de subordination que la femme se trouve dans une situation de dépendance chronique. Elle ne supporte ni la solitude ni la pauvreté. Surtout pour celles qui ne travaillent. Tout est fait pour les assujettir. Elles sont éduquées de sorte qu'elles pensent ne pas survivre sans un conjoint. C'est ce dernier qui assure sa protection et l'abrite. Même si elle n'est pas heureuse avec le mari, sans lui, la situation serait encore pire surtout avec des enfants. En fait, ce traitement réservé à la femme est culturel : « Chez les peuls, les femmes savent que le domicile du mari n'est jamais un acquis. Ce n'est pas un chez soi et on peut y être répudié à tout moment. Alors elles se préparent en conséquence. » (WAPM : 142).

Avec l'entourage qui est très impliqué dans les affaires de mariage, c'est à dire, au-delà de l'union entre deux personnes, c'est un pacte en deux failles. Ainsi, adopter une réaction négative contre cette pratique ou ce que la femme vit dans son foyer sera vu comme un acte d'égoïsme. La société trouvera inconcevable qu'une femme se rebelle contre la tradition. Pour elle, la polygamie est une institution sociale qui doit être respectée par tout le monde, que personne ne doit contester. C'est ainsi que dans Munyal. Les larmes de la patience, les femmes n'osent pas quitter le ménage de leurs époux malgré tous les traitements qu'elles y subissent. Elles ont peur d'être rejetées par leurs parents et partant, tous les membres de la famille. Lorsqu'elles protestent, leurs entourages proposent le munyal, la patience :-Munyal ! Munyal... Munyalma fille !Combien de fois a-t-elle entendu ce mot ? Combien de personnes lui ont donné ce conseil ? Encore et toujours ! De la part de tous. Par toutes les circonstances douloureuses de sa vie. On le sait d'ailleurs, on ne conseille le fameux munyal comme remède souverain à tous les maux que dans les moments difficiles. (MLP : 6)

Toujours dans la logique de la sujétion de la femme, elle est très souvent dépouillée de tous ses biens : « Chez moi ! Chez mes parents. Oui c'est pathétique après trente ans de se rendre compte qu'on dit encore chez mes parents. Un seul mot pour lui à prononcer : je te répudie, et l'on se rend soudain compte que l'on n'a même pas un chez soi. On a beau construire ensemble, tout est à lui. Nous ne sommes rien, nous ne valons rien, nous n'avons rien. » (WAPM : 143). Ainsi elles digèrent difficilement leur mal et se soumettent à la polygamie et tous ses corollaires pour éviter la colère, la malédiction de leurs familles parents.

1.2.5. La polygamie

Le terme polygamie est formé à partir de deux mots grecs, polus qui signifie « plusieurs » ou « plus », et gamos, qui veut dire « mariage ». Ainsi la polygamie se situe en opposition à la monogamie. Cette dernière signifie le fait que le mari cohabite avec une seule épouse. Toutefois, selon Zalia Touré Maïga (2010), « dans le contexte de l'Islam on pense, qu'en principe, la pratique de la monogamie n'exclut pas totalement une l'éventualité » de disposer de concubines. Cela est cependant assorti d'une restriction de taille: seuls les enfants de la femme mariée seront considérés comme légitimes.

En substance, la polygamie est le régime matrimonial dans lequel l'homme (l'époux) est marié à deux ou à plusieurs femmes (épouses). Celles-ci entretiennent des rapports de coépouses, qui s'articulent essentiellement autour du système de « partage », généralement inégalitaire, d'un même époux.

Dans le contexte du corpus, la polygamie est un moyen de sujétion de la femme. Elle n'est pas considérée, ou du moins, elle reste un objet que l'époux doit protéger. Dans Walandé. L'art de partager un mari,Djaïli Amadou évoque cette pratique avilissante pour la femme : « Pauvre femme, obligée de vivre avec ses soeurs comme elle, prisonnières d'une grande maison avec des murs aux alentours afin qu'aucun regard extérieur ne la souille. Normal ! On doit bien garder ses épouses. » (WAPM : 10). Ainsi que le révèle ce passage, la polygamie est une pratique imposée à la femme. Elle n'a de choix que de se soumettre. Bien plus, elle y est astreinte à subir les corollaires de cette vie à plusieurs. Très souvent, les difficultés qu'elles y rencontrent s'amoncellent aussi haut que les murs aux alentours. Étant àl'abri des regards, le calvaire de la polygamie ne peut être dénoncé. Il est aussi protégé que l'être humain. Ce qui galvanise davantage l'époux à se livrer à la maltraitance de ses conjointes. C'est une attitude qui se conforme aux normes sociales observées par tout le monde peul.

Dans les romans de Djaïli, l'arrivée de nouvelles épouses dans la famille est décrite comme traumatisante pour la première épouse (ou les autres) ainsi que pour ses enfants.

Il poussa encore un soupir. Le jour où j'ai pris une deuxième femme, Aïssatou a complètement changé. Elle n'est plus là pour moi. Sous son silence, elle s'est retirée du devant de la scène. Elle n'a pas fait de reproches certes, elle ne me fait plus part de rien. Elle ses contente juste de remplir ses devoirs et ne se mêle pas de ma vie privée. Que j'en épouse une ou que j'en répudie une autre, elle n'est pas concernée. Djaïli aussi n'a plus été là. Elle si, plantureuse, si passionnée, me permit de découvrir de la lassitude sous ses colères. (WAPM : 60-70).

L'auteure insiste sur le fait que les protagonistes se comportent en victimes résignées. Elles sont toutes contre la polygamie. Mais, la question du traitement inéquitable des épouses par les maris demeure la préoccupation majeure. De plus, dans la polygamie, les femmes ne sont pas solidaires entre elles. Dans Munyal.Les larmes de la patience, l'auteure donne l'exemplede Safira qui trouve du plaisir à traumatiser sa coépouse pour l'empêcher de recevoir leur époux lors de son walandé. Elle confesse :

L'air de rien, je me révélais une adversaire redoutable et utilisais parfois mes enfants et les domestiques pour arriver à mes fins. Je n'arrêtais pas de monter des coups contre Ramla. Et tout y passait ! Je faisais verse des grains de sable sur ses grillades et dans sa farine destinée au couscous. Je rajoutais du sel dans sa sauce. Je glissais discrètement encore du sable mais sous les draps dans le lit conjugal au sortir de mon waalandé. Je dissimulais savon et papier hygiénique, salissais les serviettes, et Alhadji se plaignait, tempêtait et s'énervait contre Ramla sans qu'elle puisse se justifier. (WAPM : 149) .

Parce qu'elle ne supporte pas sa coépouse, elle use de stratagèmes pour contraindre son Alhadji à tempêter contre sa coépouse. Ainsi, peut-on parler d'une misogynie intériorisée mais qui sert les intérêts de certaines femmes et qui leur permet de prendre le pouvoir et de savourer une jouissance sur d'autres femmes ? Comment se libérer de la domination masculine si les femmes et/ou les mères sont les premières à pérenniser un système de pensée qui est défavorable aux femmes ? Force est de reconnaître que le regard des hommes sur les femmes, comme les perceptions que les protagonistes féminins du corpus ont d'elles-mêmes restent empreintes d'une idéologie conservatrice.

De plus, il est attendu de l'épouse qui aura bientôt une coépouse qu'elle accepte la situation et sauve les apparences. Au moment de recevoir les nouvelles du remariage de son époux, elle se doit de garder sa dignité et sa lucidité alors qu'elle éprouve en même temps des sentiments de rage et de tristesse. Dans les textes de Djaïli, les femmes telles que décrites sont porteuses de la pérennité des traditions. Elles ne veulent surtout pas donner à leurs visiteurs la satisfaction de raconter leur désarroi. Avoir une coépouse n'est pas une chose banale, cela remet en question une vie de famille, une relation de confiance, le bonheur construit dans le foyer et donc ce qui peut entraîner une souffrance psychique à force de ne pas en parler.

Une heure plus tard, ma coépouse vient me souhaiter la bienvenue. Sous mon voile, je la dévisage. Contrairement à ce que je m'étais imaginée, elle n'est pas âgée. C'est une femme à la trentaine épanouie, d'une grande beauté. J'aurais aimé m'en faire une alliée mais le regard qu'elle pose sur moi me l'interdit. Elle semble me détester avant même de me connaître. Elle aussi est entourée des femmes de sa famille arborant des sourires de bienséance. Deux camps se toisent, se scrutent en un duel feutré, où l'on devine une hypocrisie mielleuse. Je sens qu'elle fait un énorme effort pour rester calme. (MLP : 20)

Il existe des mots qui détruisent, comme il est des silences terriblement violents, par exemple lorsqu'elles taisent ce qui devrait être dénoncé. Il semble que les femmes qui sont dans la féminité accomplie sont réduites à concevoir, admettre, tolérer, servir et se taire.

Au terme de ce chapitre, il ressort que plusieurs facteurs sont à l'origine de la sujétion du personnage féminin. Nous avons pu relever quelques préjugés et clichés d'une part, ensuite l'interprétation faite du livre sacré d'autre part. Nous avons aussi relevé les lois sociales telles que le Munyal, lePulaaku, le Semteende et le mutisme de la femme sont des barrières à l'épanouissement du personnage féminin. Nous constatons que ces normes sociales qui sont d'une importance capitale pour le bon fonctionnement de la société peule et du foyer ne sont pas faciles à appliquer. Car elles demandent d'énormes sacrifices pour y parvenir et elles portent atteinte à la liberté et au bonheur surtout de la gent féminine. Tous ces éléments montrent incessamment des personnages féminins qui souffrent vivant dans un milieu régi par des normes.Le personnage féminin est réduit au silence, à la souffrance due à la marginalisation dans la société et à la violence physique qu'il subit en cas d'une quelconque réclamation. L'homme pour asseoir sa suprématie par rapport à la femme, a établi plusieurs stratégies au premier rang desquelles la privation du droit à l'éducation pour la fille. Il lui est inculqué dès sa plus tendre enfance le fait qu'elle soit faite pour servir l'homme, pour lui assurer une descendance et l'encadrer. Pour que ces éléments qui sont à l'origine de la victimisation soit plus significatifs, l'auteur les rend plus manifeste à travers les moyens et les techniques.

Chapitre 2. Les modes et techniques de sujétion de la femme dans le corpus

La représentation de la femme dans les deux romans de Djaïli Amadou Amal est une réponse à un certain nombre de principes du patriarcat. Ce système est omniprésent dans l'univers romanesque. Les personnages homme ou femme, d'une manière ou d'une autre sont concernés. Ainsi, ces principes se manifestent dans les comportements des personnages. Dans ce contexte, au-delà de la représentation des femmes dans une situation de victime, l'analyse dans ce chapitre s'attèle à comprendre les procédés qui permettent aux protagonistes masculins de tenir en laisse les personnages féminins.

2.1. L'éducation discriminatoire

La société traditionnelle africaine considère le masculin et le féminin comme des identités fixes correspondant à la distinction biologique du sexe.On privilégie l'éducation informelle de la jeune fille au détriment de l'éducation formelle. On dirait que l'école n'est pas faite pour les filles. Ce qui leur sied mieux c'est l'éducation qu'elles reçoivent d'une mère qui leur apprend à faire la cuisine. A garder un ménage etc. bref, on la prépare pour une vie conjugale à venir. L'éducation traditionnelle de la jeune fille met un point d'honneur sur l'obéissance, ce qui est une qualité. Ce qu'on déplore, c'est la soumission aveugle face à laquelle elle est mise, excluant toute possibilité d'initiative et de développement de sa personnalité, facteur clé par lequel tout être humain s'affirme. Ce genre d'éducation ne prodigue à la femme qu'un système d'acquisition de valeur qui la cantonne dans son gîte de dominée et de tutellée, construit par le phallocrate. On apprend très tôt aux filles : « Accepte avec humilité ce qu'Allah t'impose comme épreuve(...)le mari est celui qui te commande, ton maître, ton seigneur tout puissant. Et s'il était permis à un être humain de se prosterner devant un autre, alors, la femme devrait se prosterner devant son époux » (MLP : 59).

Les règles de la phallocratie veulent que tout individu mâle soit reconnu supérieur à la femme sans considération d'âge ou de classe linéale (ou de moralité ou de talent ou d'intelligence...). Ainsi, le petit garçon dominera sa grande soeur ou même sa mère. Pierre Bourdieu explique que la domination masculine est principalement assurée par trois instances : la Famille qui répartit les taches sur la base de l'identité sexuelle des membres, l'École qui ne s'est pas détachée vraiment de la tutelle de la religion, et enfin l'État qui légitime le pouvoir du père, consacrant de fait la prééminence de l'homme sur la femme (Bourdieu, 1998 : 92). Cette association du genre au pouvoir se remarque dans toutes les sphères de la vie, en particulier dans les relations du couple. Dans Walaande. L'art de partager un mari, l'auteure présente des femmes contenues dans la sphère familiale ; tandis que les garçons jouissent de leur liberté de mouvement. Dans Les membres de la famille évoluent dans deux mondes distincts. Bien qu'il n'y ait pas de séparation visible entre le groupe des femmes et celui des hommes, chaque membre du groupe connaît son domaine d'action et l'espace qui lui est circonscrit. Dans la description de la vie de la famille, il n'y a pas vraiment d'interaction privée entre les garçons et les filles. En fait, la partie extérieure, celle où tous les visiteurs ont accès, est réservée aux garçons. Elle leur octroie plus de liberté. Les filles quant à elles, doivent se contenter de la partie intérieure de la concession, à l'abri des regards. Les membres de la famille doivent garder ces espaces aux limites psychologiques infranchissables. (WAPM : 82).

L'éducation de la jeune fille est axée sur le code féminin. La discrétion, le sens du secret, le respect de la confidence et de la tradition sont les points important, la domination masculine commence dès le bas âge. L'auteure le démontre à travers une petite dispute au sujet de la télécommande, qui oppose les petits enfants, Nasser le fils de Djaïli et Halima, la fille de Sakina. Lorsque la fille demande au garçon de lui donner la télécommande, Nasser lui répond par la suivante : « c'est moi le garçon, donc c'est moi qui commande » (WLPM: 54). Cette idée est déjà fossilisée malheureusement. Un petit garçon qui sait qu'il a plus de droit que la fille.

Sur le plan religieux, il parait que la religion soit même le principal obstacle à l'éducation des filles. Puisqu'elle est catégorique sur le fait que les filles ne doivent pas fréquenter l'école occidentale sous prétexte que les enseignements véhiculés poussent au paganisme, à la non croyance, à l'existence d'un Dieu unique. En effet, les romans de notre corpus baignent dans l'univers islamo-peul. C'est la religion islamique qui domine alors tout se rapporte à Mohamed. Ainsi, lorsque Djaïli exprime son souhait de se rendre aussi à l'école comme sa camarade du quartier Aminata, sa mère lui recommande d'étudier le coran. Précisément parce que les saintes écritures enseignent des lois relatives aux devoirs de l'épouse et à l'autorité de l'homme. Pour éviter de sombrer dans les interdits des normes peules et de brûler dans les flammes de l'enfer ainsi que ses parents, la fille est censée rester à la maison, se faire inculquer des valeurs éthiques et spirituelles par ses parents.

Le fragment du dialogue suivant en dit tout :

- Mère, je veux aussi aller à l'école comme Aminata

- Non ! Etudie plutôt le coran. C'est mieux pour toi.

- Mais je veux aussi aller à l'école, pourquoi je ne pourrais pas y aller aussi ??

- Arrête de me déranger Djaïli !

Va demander à ton père !

Elle n'avait pas hésité, la petite.

Elle arrêta son père qui montait dans sa voiture un matin.

-Baaba, j'aimerais aussi aller à l'école avec mes frères.

- Les filles ne vont pas à l'école !

répondit son père avec un sourire.

-Pourquoi alors Aminata y va ?

- Quand une fille va à l'école, elle devient païenne et elle ira en enfer ainsi que ses parents.

Tu ne veux pas que j'aille en enfer ? (WAPM : 40).

Dans Munyal, on retrouve également un cas similaire au sujet de l'instruction scolaire du personnage féminin. La vie de la femme ne se résume que pour plaire à l'homme, sa vie ne se résume qu'aux fins de l'homme. Le personnage Ramla qui est si différente de ses soeurs dans le sens où elle était la seule dans sa famille à poursuivre ses études est découragé par sa mère et ses marâtres qui lui font comprendre que l'école ne lui servira à rien. Lorsqu'elle les parle de ses ambitions et rêves, elles se moquent de Ramla et lui demande de redescendre sur terre car la finalité d'une femme ce n'est pas de grande étude, non. Mais le mariage surtout être marié à un homme riche. Le fragment suivant est très éloquent :

Quand j'expliquais aux femmes de la famille mon ambition d'être pharmacienne, elles riaient aux éclats, me traitais de folle et vantaient les vertus du mariage et de la vie d'une femme au foyer. Quand je renchérissais sur l'épanouissement qu'il y aurait pour une femme d'avoir un emploi, de conduire sa voiture, de gérer son patrimoine, elles coupaient sévèrement que de toutes les façons peu importait à quoi je rêvais, il valait mieux pour moi redescendre sur terre et vivre dans la vraie vie. Une vie différente de celle que je lisais dans mes romans où de celles que je regardais dans les séries télévisées. Pour elles, le summum du bonheur était d'être marié à un homme riche. (MLP: 42).

Dans la religion islamique, c'est un péché d'envoyer sa fille à l'école. C'est un fait grave qui mériterait l'enfer. La fille doit seulement apprendre ses fonctions classiques qui sont nécessaires à l'accomplissement de son destin de femme.

2.1.1. Le mariage forcé

Le mariage forcé est le fait de marier une personne contre son gré. Il s'agit d'un mariage arrangé ou la famille impose cela à un enfant. L'auteure de notre corpus déploie le mariage forcé. Pour elle, c'est une violence faite à la jeune fille du sahel. Dans la société du texte, la condition de la jeune fille est déplorable en ce qui concerne le mariage car elle la place à l'écart de la société. Elle n'a pas de mot à dire concernant sa vie. Ce sont ses parents et la tradition qui décident à sa place. Dès sa naissance, elle est déjà destinée au mariage arrangé ou forcé qu'elle saura attendre sans effort. Dans Walaandé, l'auteure se plaint de la manière dont la société musulmane traite la femme, et par conséquent elle voudrait améliorer cette situation. C'est ce qui justifie ces termes : « pauvre petite femme, livrée un soir dans la chambre d'un inconnu qui a payé sa dot et qui a tous les droits sur elle. » (WAPM : 5). Le mariage impose du respect pour la femme. Serait-elle une raison pour laquelle beaucoup de femmes soufflent le chaud et le froid, cèdent aux caprices de leurs conjoints afin de ne pas se coller une étiquette ? C'est aussi pourquoi, maîtrisant les méfaits de la polygamie, certaines femmes l'acceptent, signant ainsi la perpétuité et la continuité de ce fait qui dépend des intérêts moraux sociaux, de même que la volonté des femmes.

Dans certaines cultures africaines, il faut noter qu'avant l'introduction de la culture et la loi occidentale, les femmes n'avaient pas de droit de choisir leurs maris. Selon Simone de Beauvoir, il était également le cas en Europe traditionnelle et patriarcale que ce fût le père qui fit le choix du mari à sa fille et se mit d'accord avec le soupirant sur la dot à lui remettre en tant que beau-fils (Siwoku-Awi, 2019 : 152). En Afrique c'était toute une autre tradition. C'était le mariage arrangé. Il revenait au père de faire le choix pour sa fille et très souvent le gagnant était le plus riche. Dans la pratique patriarcale le plus offrant devenait le mari. La dot payée aux parents pour s'approprier la fille était comme une somme pour l'acheter et par conséquent elle perdait sa liberté et elle pouvait être traitée comme une esclave.

L'un des principaux thèmes du corpus est la relation entre les sexes au sein de la famille. Dans la société représentée dans les deux romans, il y a une inégalité entre l'homme et la femme au sein des familles. La femme occupe une place subordonnée et l'homme domine. Simone de Beauvoir qualifie une telle situation de handicapée. Elle écrit : « La femme a toujours été, sinon l'esclave de l'homme, du moins sa vassale; les deux sexes ne se sont jamais partagé le monde à égalité; et aujourd'hui encore, bien que sa condition soit en train d'évoluer, la femme est lourdement handicapée » (De Beauvoir, 1949 : 22). Elle est assignée à des tâches telles que prendre soin de la maison et s'occuper des enfants et de l'homme. Les femmes quelques soient les efforts fournis, elles ne seront pas vues comme des individus équivalents aux hommes.

En effet, l'homme est celui qui défend la femme. Toutes les décisions la concernant sont prises par la gent masculine. C'est dans ce sens que le choix de se marier ne lui appartient pas. Dans Walaandé L'art de partager un mari, l'on repère plusieurs cas de mariage forcé. Aïssatou, la première épouse d'AlhadjiOumarou est l'une des victimes. Elle se remémore ce jour où son destin a basculé : Elle avait douze ans, Aïssatou, quand son père l'a donnée en mariage. Elle se rappelle de ce jour comme si c'était hier. Elle était partie puiser de l'eau au Mayo avec ses amies quand un groupe de jeunes hommes les avaient accostées, leur demandant à boire. « Elles s'étaient enfuient, rieuses. Quelques jours après, des hommes sont venus demander sa main et son père l'avait accordée. Pourquoi aurait-il demandé son avis ? À l'époque, cela ne se faisait pas. C'était un bon parti. » (WAPM : 58).

Ainsi, la femme est mariée sans son consentement. En plus d'être mineure, sans voix et sans défense, elle est envoyée en mariage chez un homme dont elle ignore. La tradition ne lui reconnaît que le devoir de subir son sort de « marchandise », vendue, échangée, donnée en gage. Il y a donc à travers la culture peule représentée un tableau si sombre que son dépassement devient une exigence dans une société en voie de modernisation. L'image de la femme persécutée doit disparaître. Il en est de même pour Hindou, dans Munyal. Les larmes de la patience :

-S'il te plaît, Baaba, écoute-moi : je ne veux pas me marier avec lui ! S'il te plaît, laisse-moi rester ici.

-Mais qu'est-ce que tu racontes, Hindou ?

-Je n'aime pas Moubarak ! fait-elle, en sanglotant de plus belle. Je ne veux pas me marier avec lui. C'est à peine si mon père lance un regard sur la jeune adolescente courbée à ses pieds. Se tournant vers moi, il ordonne calmement :

-Allez-y ! Qu'Allah leur accorde le bonheur.

Et c'est fini. Voilà tout l'adieu que je reçois de mon père que je ne reverrai probablement pas avant un an -si tout se passe normalement. (MLP : 19).

Pour se marier, la question du choix ne pose aucun problème. L'homme n'a pas besoin de se faire des relations ou d'avoir de contacts avec des filles comme c'est le cas de nos jours, pour choisir son épouse. Bien plus, la suggestion de ce mariage n'a été faite par la famille. Comme le dit Ken Bugul : « L'homme en âge de se marier jetait son dévolu sur une jeune fille ou était conseillé par la famille » (Ken Bugul, 1999 : 43). Dans ce cas donc, c'est la famille qui conseille, qui montre ou qui identifie une épouse potentielle. Le choix tombe toujours dans l'entourage, les proches de la famille du côté paternel ou maternel. Dans le cas ci-dessus cité, les deux conjoints sont cousin et cousine. Ainsi, la plupart des mariages sont célébrés entre les enfants de la grande famille.

Dans la société peule, le mariage est plus célébré coutumièrement que civilement. Sa conclusion est faite par les hommes. Les femmes n'ont pas à donner leur avis sur la question. Après qu'AlhadjiOumarou et ses frères aient forgé le mariage inter cousins, il charge Aissatou de l'annoncer aux filles. A peine cette dernière a articulé le premier mot pour donner son point de vue d'Alhadji l'interrompit sévèrement : « Arrête de me contredire toi aussi. Qu'est-ce vous avez toutes à vouloir donner votre avis depuis un certain temps ? Le mariage sont les affaires des hommes » (WLPM : 67). La célébration du mariage dans cette communauté est fixée dans un délai très bref. Le mariage de Fayza, Yasmine et Moustapha est prévu dans deux mois à compter du soir où les chefs de famille en ont eu l'idée. Par le mariage, une femme a une renommée sociale. Cependant, elle ne reflète pas autant de joie et de bonheur que son nom. Aïssatou le souligne si bien lorsqu'elle conseille sa fille Faysa : « le mariage n'est pas une prairie. Non ! C'est un chemin plein d'embûches qui demande patience et endurance à ceux qui l'emprunte » (WLPM : 121). Surtout, la narratrice fait savoir que « chez les peuls, les femmes savent que le domicile du mari n'est jamais un acquis. Ce n'est pas chez-soi et on peut y être répudié à tout moment » (WLPM : 128). Ceci témoigne la précarité du mariage dans cette communauté. Cette pratique ne mérite pas d'être prise au sérieux. C'est ce qu'Aissatou veut dire dans la phrase suivante : « Dans nos mariages, il ne faut pas y mettre du coeur ».

Une analyse approfondie du corpus montre que le mariage forcé est une tradition qui est considérée comme un signe d'obéissance et d'appartenance à la société. Dans cette situation, il y a peu ou peut-être pas du tout de place pour les sentiments, ou ce qu'on appelle amour. Pour la fille, le mariage ce n'est pas avec un homme, mais avec une situation, une vie et c'est pour toujours. Comme elle n'a pas le choix d'être célibataire, elle n'a pas non plus le choix de l'époux : « Le mariage est un contrat social entre familles, où le seul cadet à qui on demande son avis est le garçon. La fille est priée d'obéir. Si elle refuse, elle est maudite ou souvent on la force. Il faut respecter l'ordre établi » (LilyanKesteloot, 2001 : 284). Les romans abondent d'exemples de filles victimes d'un mariage forcé : « Nafissa avait quatorze ans quand Alhadji l'avait épousée. Elle se rappelle les mots de sa mère chargée de lui annoncer que son père l'avait promise. Nafissa, ton père a accordé ta main à AlhadjiOumarou, afin de lui montrer sa gratitude. Tu as de la chance ma fille. Ton père compte sur toi pour que tu lui fasses honneur et que tu te comportes dignement. » (WAPM : 35). Suite à cette annonce, la jeune fille, intelligente, est forcée de quitter l'école pour se marier contre son gré, malgré son intelligence, son goût pour les études et son ambition formidable.

Nafissa fait l'objet d'une transaction qui ne tient pas compte de son avis. Elle a été mariée de force à AlhadjiOumarou, un polygame assez vieux pour être son père. Pour la famille et la communauté, les promesses et les alliances sont très importantes et ne doivent en aucun cas être rompues. De même, le mariage dans la société peule revêt un caractère sacré dont la femme en est un simple membre. Il n'est pas seulement une union entre deux individus mais entre deux familles, deux villages, deux communautés. À ce titre, Nafissa doit, s'il le faut, sacrifier son bonheur en soumettant son corps à la cause de sa communauté. Jeune et intelligente, elle aurait pu se trouver un mari très facilement surtout qu'« à quatorze ans, Nafissa avait un corps qui semblait être l'oeuvre sublime du meilleur sculpteur.» (WAPM : 29) Mais son père l'avait promise à un riche commerçant pour qu'elle devienne la troisième épouse de ce dernier. Il entend respecter cette promesse et jouir de ses prérogatives de père. En plus, la mère en tant que femme, elle est classée au même niveau qu'un enfant. D'ailleurs, aux cérémonies de mariage, les femmes sont reléguées aux seconds rôles. Elles s'occupent des festivités tandis que les hommes discutent des points importants.

En bonnes femmes du sahel, elles sont astreintes à supporter leurs douleurs en silence. C'est pourquoi l'auteure écrit que les « les femmes se côtoient sans cesse au point de se sentir piégées aussi bien par les murs hauts qui nous entourent que par les étoffes de plus en plus sombres et lourdes que mon oncle Moussa nous oblige à revêtir. Il n'y a pas un jour où elles ne s'agacent voire s'entredéchirent à force de tourner en rond comme des lionnes en cage. » (MLP : 93). Nafissa et toutes les autres femmes du corpus ont dû subir la tradition en épousant malgré elles le vieil homme choisi par son père. Certaines sont envoyées en mariage par leurs parents pour raffermir les relations d'amitié qu'ils ont avec ce riche commerçant. Sans doute reçoit-il de la part de ce dernier des cadeaux en espèces et en nature en plus de la dote. On sait que dans plusieurs sociétés africaines, une fois la promesse faite, le futur mari commence à rendre différents services à ses futurs beaux-parents. Ces services peuvent être d'ordre manuel comme des travaux champêtres, du coupage du bois de chauffe, du bricolage de tous ordres (réparation des toits des cases). Dans cette situation, la femme se doit de se sacrifier en se tenant exemplaire dans son foyer, sans rechigner au risque de se voir congédiée.

2.1.2. La répudiation

Djaïli Amadou Amal est une des écrivaines camerounaises qui jouent un rôle important dans l'émancipation de la femme africaine. On peut déduire à travers ses oeuvres les conseils indispensables pour susciter la prise de conscience. Dans la plus part des cas, la représentation du divorce permet de constater qu'il est un moyen de libération du joug de l'homme. Il reflète une image de la femme affranchie. Toutefois, dans les textes de Djaïli, le divorce ou la répudiation est toujours l'initiative de l'homme. La répudiation est un moyen utilisé dans la société patriarcale peule comme un moyen de pression, une source de chantage à l'égard de la gent féminine. En dix-sept occurrences dans Munyal. Les larmes de la patience, elle plane comme une épée de Damoclès sur les personnages féminins.

Le critique féministe Rahman Azulfar explique que la femme, selon la loi islamique, peut être contrainte à continuer un lien qu'elle ne désire plus, et qu'il y a cinq catégories de situations où le divorce peut être concédé (Rahman, 1982:305). Parmi ces possibilités il y'en a aussi une, nommée le « triple divorce ». Ce dernier est l'apanage des romans de Djaïli Amadou Amal. Il s'agit, encore selon le même auteur, d'une coutume abusive pour la femme, étant donné que le mariage est dissolu juste après que le mari prononce la formule «  je te répudierai plutôt trois fois qu'une » (MLP : 38). Selon les notes de bas de page du roman Munyal, cette forme de divorce est irrévocable; elle est encore pratiquée, aujourd'hui, par les peuples islamopeuls. Une analyse de l'univers culturel représenté dans le corpus laisse entrevoir que la répudiation décidée par le mari, en présence ou en absence de l'épouse, sans qu'il soit besoin, pour lui, de justifier sa décision.

Comme le mariage, le divorce dans la tradition peule ou selon la religion musulmane traditionnelle n'est pas civil. La rupture des liens du mariage est verbale. Il suffit à l'homme de prononcer ces mots « je te répudie » pour que le divorce prenne acte. Conscient de l'importance du mariage dans la société, AlhadjiOumarou dans Walaandéfait du mot « répudier » son cheval de bataille contre ses épouses. La menace de répudiation est l'arme qu'il utilise à bon escient pour intimider ses femmes. Malheureusement, cela s'est retourné contre lui. Il est un beau flatteur qui ne tient pas les promesses qu'il fait à ses épouses. À Djaïli, il avait promis ne plus épouser de femme après Nafissa. Et lorsqu'après avoir appris qu'il était sur le point de prendre une quatrième, elle lui demande des explications, AlhadjiOumarou se fait pousser les épines sur le corps :

Qui te permet de me poser les questions ? Allah a permis aux hommes d'avoir quetres femmes et autant d'esclaves qu'ils désirent... Qui fait la ration dans cette maison ? C'est moi. C'est moi qui commande ! Alors, ne t'amuse plus jamais à me parler sur ce ton. Je vais épouser Sakina. Et je fais exactement ce qui me plait. C'est ma maison et si tu désires encore y rester, c'est tant mieux Si ça ne te plaît plus, je te répudie immédiatement. C'est clair ? Tu ne poses plus jamais de questions et ne fais pas de remarques. Ou alors, je te répudie. (WAPM : 41-42)

Toujours sur la défensive, AlhadjiOumarou centre son égo : « c'est moi qui commande », « je vais... », « je fais ce qui me plaît », « je te répudie ». Son langage est négateur de l'existence de sa conjointe qui ne mérite un peu de respect du simple fait d'être un être humain. Le divorce traditionnel accorde les « droits de grâce » lorsqu'il est prononcé une seule fois. Prononcé trois fois successivement, il devient définitif et n'offre aucune possibilité de réconciliation. Nafissa est trois fois répudiée et ceci inhibe toute relation intime entre elle et son mari qui, désormais ne la considère plus comme sa mère ; dans le sens où l'interdiction pour le fils de voir la nudité de sa maman est absolue. « Je te répudie, je te répudie, je te répudie, je te répudie. Tu es comme ma mère » ; dit AlhadjiOumarou à Nafissa. (WAPM : 128). Un tel divorce selon l'Imam ne saurait être revu. Personne, ni rien ne pourra le changer.Ce n'est que lorsqu'Aïssatou est répudiée qu'elle réalise et comprend le sens de ce précepte parental peul qui dit que « quiconque fait de son mari un deuxième père finira par mourir reniée » (WAPM : 129).

Toujours dans Walaande. L'art de partager un mari, Alhadji, dos au mur, ne parvient pas à convaincre ses épouses. Celles-ci lui reprochent son caractère violent, son manque de discernement fasse aux différentes situations qui arrivent à sa famille. Ses femmes l'accusent, et à raison, d'être indirectement la cause principale du décès de leur fille (WAPM : 140-142). De cet échange, le mari se rend compte que non seulement ses épouses essaient de s'affirmer de son autorité, mais aussi et surtout, elles ne lui obéiront pas. Cette attitude des épouses apparaîtrait comme une offense à son égard. Faute de pouvoir les convaincre verbalement, il utilise l'acte la répudiation pour les soumettre à sa volonté : « tu penses qu'étant ma première épouse, je ne pourrais pas te répudier ? Fais attention à toi Aïssatou ! Maîtrise ta langue rendue amère par la douleur ! » (WAPM : 141)

La répudiation est donc une arme pour dominer ses femmes qui n'arrêtaient de le harceler. Le but recherché dans cette action par le mari est de prendre contrôle de la situation plus tôt que de trouver une solution, un terrain d'entente. Cet acte met en relief le rapport de force entre l'homme et la femme dans le couple. Cet épisode montre que bien que bonnes peules, les épouses se sont révoltées. Alhadji, culturellement a le droit d'être le chef de famille. Toutefois, ce pouvoir n'est pas respecté. Les épouses refusent cette fois de se laisser dominer par lui et réclament leurs droits en s'engageant dans une lutte pour la libération de la femme. Il est évident qu'elles n'ont plus l'attitude d'une femme soumise. Elles n'acceptent pas qu'Alhadji leur impose sa volonté. Elles choisissent plutôt d'être de se défaire de leurs chaînes et décident de faire face au bourreau et malgré les menaces de répudiation de ce dernier.

2.1.3. La souffrance

Dans le corpus, le récit est singulier puisqu'il évoque une injustice face à laquelle la femme seule est confrontée. Elle vit l'hypocrisie, le machisme et partant, le patriarcat imposé par l'homme et la société. Toutes les actions et situations représentées dans le corpus sont en défaveur de la femme. Ce qu'elles vivent, les femmes, le mariage forcé, la polygamie, la violence, le déclassement et le mépris, ne visent qu'une seule chose : la faire souffrir. Dans Munyal. Les larmes de la patience, la souffrance de la femme est atteint son degré de paroxysme. Hindou, l'une des protagonistes en a vécu l'expérience : « Je prends une douche, laissant l'eau couler sur son corps meurtri comme pour me laver de mes souffrances. J'essaie d'étouffer mes sanglots de peur d'attiser à nouveau sa colère mais j'ai du mal à m'en empêcher » (MLP : 109). Ici, le personnage fait les frais de l'arrogance masculine. L'épouse est ici traitée comme un objet par son époux. Elle n'a aucune considération, aucun égard. La violence sous toutes ses formes s'abat sur elle. Et elle en souffre. Moubarak l'époux, s'est imposé comme le mâle dominant, il a investi l'espace conjugal, en occupant la place du bourreau, en la terrorisant tout en la privant de toute dignité. Le comble du malheur de la jeune Hindou est que la brutalité de son époux est de plus enplus fréquente et cela sans prétexte aucun : « Il continue de me brutaliser, de m'abreuver d'insultes aussi dégradantes qu'humiliantes. On ne compte plus les hématomes, égratignures et ecchymoses que ses coups laissent sur mon corps - et ce dans la plus grande indifférence des membres de la famille. On sait que Moubarak me frappe, et c'est dans l'ordre des choses. Il est naturel qu'un homme corrige, insulte ou répudie ses épouses. » (MLP :104).La souffrance qu'endure la jeune femme rentre désormais dans l'ordre normal des choses. Toute la famille est complice de ce traitement. Elle est seule face à son destin.

Le corpus est un roman de pleurs, de souffrance, une expression de la douleur de la femme. C'est la femme-souffrance par excellence. Un récit qui décrit la souffrance des mères et des épouses. Une souffrance qui est venue accroitre la douleur de ces femmes après qu'elles sont devenues objets entre les mains des hommes. Ce récit explique l'étendu de la souffrance chez toutes ces femmes. Une étape cruciale dans leur vie qui a été un point de départ dans un long chemin de lutte pour la plupart d'entre elles. Dans Walaandé. L'art de partager un mari, Nafissa, l'une des épouses de Alhadji, ne connais que souffrance dans ce foyer. En fait, jeune et frêle, elle est astreinte à des travaux domestiques, à des charges très lourdes. La concession qui ne désemplit pas de monde, elle est obligée de faire la cuisine pour satisfaire toute la population. Or, sa jeunesse ne lui permet pas de réaliser cette tâche. Pendant que toutes ses coépouses attendent leur tour avec impatience, elle redoute quant à elle ce jour. Elle est terrorisée par le fait de ne pas pouvoir assumer se tâches domestiques. Elle est terrorisée par son époux : « Tout dans ce duplex la met mal à l'aise. Elle s'y sent gauche et pas à sa place. Elle a peur d'ouvrir la bouche et de la froisser par une phrase pourtant simple. Elle a peur de lui, de tout, elle ne sait plus de quoi elle a peur, mais elle a peur quand même. » (WAPM : 46). Tous les traitements qu'elle subit au quotidien de la part de son époux l'on rendu frileuse. Elle est traumatisée par cette violence à la fois physique et psychologique qui est devenue son quotidien. Le plus souvent, quand le personnage féminin veut faire entendre sa voix, c'est pour exprimer et manifester sa souffrance dont l'époux est le responsable. C'est ce qui justifie les propos d'Aîssatou : « qu'il est court le temps de bonheur de la femme. La femme est née à genoux aux pieds de l'homme ; me disait une amie. Nous passons notre temps à souffrir ! Souffrir pour faire plaisir à nos pères, puis à nos maris, puis à nos enfants.Nous passons notre vie pour les autrescar en réalité, nous n'avons pas de vie » (WAPM :121).Cet extrait de texte nous montre à suffisance que la femme est un être né uniquement pour faire plaisir aux autre et partager leur souffrance.

Donc, les romans de Djaïli laissent transparaître les événements de la vie familiale et personnelle caractérisés par la souffrance des femmes. Elle a su dévoiler d'une façon surprenante les souffrances et les chagrins des coeurs liés à la femme : la précocité amoureuse, l'inégalité. Un vécu intime relaté tout au long de son oeuvre.La lecture des textes montre que les personnages féminins vivent tous dans les mêmes sentiments de détresse. D'une façon ou d'une autre, elles subissent les mêmes situations, chacune d'elle a un monde propre où elle se trouve séquestrée, cependant, on peut dire aussi que ces femmes vivent aussi ensemble dans une parfaite harmonie, elles ont pu s'adapter à leurs vies pour pouvoir vivre leurs journées en sérénité. Malgré leurs divergences vis-à-vis de leur statut familial, ces femmes sont restées toujours solidaires entre elles, et ont essayé de s'entraider. Elles ont toutes vécu une complicité permanente. On peut dire que la cause derrière cette réalité, c'est le fait que toutes ces femmes vivaient les mêmes conditions de vie et cachaient au fond d'elles les mêmes souffrances, la même amertume et la même soif de liberté.On peut donc dire que cette spécificité d'écriture est de caractère féminin.

2.2. La dépersonnalisation de la femme

La dépersonnalisationest un état dans lequel on se sent étrange. Les gens qui souffrent voient leur vie de l'extérieur, comme un film. Son propre corps, ses sentiments, mais aussi d'autres personnes et objets semblent étranges. Les rapports sociaux entre les deux sexes restent une question majeure, et surtout brûlante, parce que les hommes, dans leur objectif de mieux dominer, veulent que les femmes se plient aux exigences des moeurs, des croyances, des us et coutumes africains. Ils veulent maintenir les femmes dans la soumission totale. Dans cette foulée, il est question de l'objectivisation de la femme dans Walandé. L'art de partager un mari et Munyal. Les larmes de la patience. Elle est à la fois objet, sujet, esclave et victime. Cette représentation de la femme suggère les souffrances et les conditions dans lesquelles beaucoup de femmes africaines vivent quotidiennement dans leur ménage et leur société. Elles sont souvent victimes de préjugés sociaux ce qui fait qu'elles n'excellent pas à l'école parce qu'elles cumulent les travaux ménagers et parce que les hommes ne valorisent pas l'éducation pour elles. Ce fut le cas de Nafissa à l'image des milliers d'Africaines. On remarque le caractère ambivalent des charges du personnage féminin dans Walandé. L'art de partager un mari. De prime abord, elle est considérée comme un objet au sein de son ménage car c'est elle qui fait toutes les tâches domestiques sans l'aide de son mari et personne ne s'inquiète de son individualité. Dans ce roman, on remarque l'objectivisation de la femme et cela se voit nettement à travers la relation d'AlhadjiOumarou et ses épouses. Les conditions dans lesquelles elles vivent suggèrent les mauvais traitements infligés à la femme. Ensuite, on constate que la société ne protège pas la femme parce qu'elle est considérée comme un objet et c'est la raison pour laquelle elle est ostracisée par l'homme. En outre, la société interdisait tout ce qui peut promouvoir la liberté de la femme. Certaines attitudes d'AlhadjiOumarou suggèrent que toutes ses femmes sont à la disposition de ce dernier.

Le second roman de DjaïliMunyal. Les larmes de la patienceabonde dans le même sens car, selon elle, la femme est considérée comme un accessoire qui orne, un objet qu'on déplace. Au-delà de ce message, l'auteure critique le comportement injuste des hommes qui veulent toujours que les femmes soient dépendantes et soumises. Par ailleurs, on voit que la femme dans la société traditionnelle symbolise un objet qui est au service de l'homme mais aussi qui doit se soumettre à la volonté de son époux. Diverses raisons expliquent ce stéréotype, entres autres la mentalité, le niveau culturel et social n'étaient pas favorables aux femmes. Cette dernière est perçue comme objet de désir sexuel. Une femme objet peut être considérée comme une femme qui ne fait rien, attend tout de son mari. C'est le cas de toutes les femmes du corpus. Elle est soumise à ce dernier, elle n'a même pas le droit de choisir. Il lui impose. La relation n'est pas basée sur la complicité et l'échange car l'homme se croit supérieur à la femme et par-delà le manque de communication suggère l'objectivisation de la femme, un facteur particulier dans les romans à cause des coutumes et religions qui cherchent à entraver l'expression féminine.

Le rôle de la femme se résume au foyer et de s'occuper de l'ensemble des tâches ménagères. Donc c'est la femme qui prend en charge les travaux domestiques de la maison. Son rôle est exclusivement limité. Par contre, officiellement c'est l'homme, représenté dans le roman par AlhadjiOumarou, l'oncle Hayatou et bien d'autres) qui rapportent de l'argent pour couvrir les besoins de sa famille alors que la femme s'occupe du ménage, de la cuisine, mais aussi des enfants. La femme doit toujours respecter les décisions de son mari. Pour conclure, l'objectivisation de la femme est un moyen pour la société patriarcale, les coutumes et la tradition de maintenir la femme sous le joug de la dépendance.

Les personnages féminins sont à l'image d'une société en crise où l'individualisme et la solitude qu'elle génère déséquilibre l'homme. C'est pourquoi les êtres de papiers en souffrance dans les pièces apparaissent introvertis. Plus réflexifs qu'actifs, en effet, ceux-ci sont quasiment figés dans une sorte de remémoration aiguë perdant ainsi leur caractère de sujets agissants. Finalement, la dépersonnalisation de la femme réside ici plus dans l'accablement du personnage par les souffrances qu'elle vit au quotidien, que dans un affrontement inter personnages. Aïssatou dansWalaandé. L'art de partager un mari est immobiliséepar les situations, les multiples trahisons de son époux. « Hadja Aïssatou Aussi ne dormais pas. Comment pourrait-elle dormir alors que Djaïli faisait les cent pas. Mais pourquoi n'arrivait-elle pas à dormir ? Il fallait vraiment être bête pour croire en l'amour d'un homme polygame. » (WAPM : 52). La situation est identique. Flottant dans mes pagnes, je ne cesse de déambuler en proie à l'anxiété. Insomniaque, je passe désormais mes nuits, allongée dans le noir, à remuer toutes sortes de pensées morbides, et c'est seulement au petit matin que je trouve un peu de répit, au moment de la prière de l'aube. Je vis non plus comme au début en suivant le rythme immuable de la grande concession, mais plutôt en fonction des humeurs changeantes de Moubarak, de celles non moins versatiles de ma belle-mère et de l'ensemble de la gent féminine de la concession. (MLP : 105)

Les deux extraits ci-dessus traduisent la force avec laquelle les faits s'imposent à ces femmes. Elles sont désormais astreintes à ne mener aucune action. Elles sont assujetties par la souffrance, qui les maintient dans la même situation. C'est dans l'inactivité du personnage que se joue la violence. Nous avons à faire à des textes faits à partir des lamentations des femmes noyées dans leurs angoisses et de leur malaise.

En fait, les personnages femmes, à force de subir les assauts répétés des hommes, on l'air absente du texte. On est en présence des êtres sans voix dans la mesure où c'est une confusion narrative au sein de laquelle l'émetteur du discours est effacé, noyé dans le flux de parole. Les récits sont dénués de toute action physique. Il y a inexistence de sujets agissants. Ce sont plutôt des voix en procès qui racontent la vie carcérale des détenues. Les personnages de Hindou et les épouses de l'oncle Hayatou sont des figures illusoires qui ne vivent qu'à travers une construction romanesque.

Le caractère du personnage classique disparaît, provoquant ainsi un vide identitaire qui, aux dires de Jean-Pierre Ryngaert, pourrait s'expliquer par « la désertion des héros traditionnels de la sphère dramatique pour ne laisser place qu'à des intervenants simples, anodins, anonymes ». Cette mise en crise du personnage dans le roman de Djaïli établit la suprématie du langage sur l'action. C'est dans l'espace discursif que le personnage, en effet, essaie de se reconstruire par des bribes d'informations pas toujours explicites. La destruction du sujet parlant rime dans les textes avec un balbutiement du système dialogique.

2.2.1. La femme battue et meurtrie, abusée et violée

Dans le corpus, l'on dénombre plusieurs cas de violence. La dimension infâme du drame est renforcée par le fait que tous ces actes ont été effectués sur des jeunes filles. Cette forme de violence démontre à quel point les filles sont victimes des atrocités au quotidien. D'un côté, elles peuvent subir la violence des époux, de l'autre côté, elles peuvent être victime de leurs parents. Parmi les cas de violence mentionnés dans le récit, il y en a deux qui dépassent l'entendement : celui d'une violence sur la jeune Hindou par son géniteur.

Il entre comme un fou dans sa chambre, en ressort avec un long fouet dont il me cingle les épaules. Les coups sifflent sourdement dans l'air. L'angoisse, qui m'étrangle depuis ce matin, se mue en une véritable terreur. Je cherche un coin pour me protéger de ce déchaînement de violence car mon père ne se contrôle plus. La lanière du fouet me lacère la peau, déchirant le pagne que je porte. Moubarak et mes oncles assistent impassibles à cette flagellation.(MLP : 116)

Le fait pour AlhadjiOumarou d'exercer la violence sur sa fille ne présence de la mère met le lecteur en face d'une infamie hors du commun. Le caractère carnavalesque d'un tel acte donne au lecteur l'impression de se retrouver dans une société hors la loi, une société de l'horreur où l'honneur cède place à l'infamie. Ce déchainement impressionne toutes les femmes de la concession d'Alhadji et laisse imaginer la manière sauvage dont tout contrevenant s'exposerait. Le fragment de texte suivant montre la maltraitance et la violence physique et psychologique infligé à la femme. Notamment celle exercée sur la mère de Hindou par son époux.

Quand mon père estime la punition suffisante, il retourne sa rage contre ma mère. Elle ne bouge pas, ne pleure pas et reçoit stoïquement les coups sans ciller. Seuls ses yeux, noyés de larmes, brillent plus fort qu'à l'accoutumée. Elle ne se protège pas. Elle demeure figée et toise mon père dans un air de défi à la mesure de la sourde colère qui l'anime au fond du coeur. Toute la concession retient son souffle. C'est alors que mon oncle Yougouda, sans quitter sa place, intervient : « Ça suffit ! Ne la frappe pas devant son enfant ! » Mon père, après un ultime coup de pied, jette son fouet et s'essuie le visage ruisselant de sueur, puis prend une gorgée d'eau. Toujours aussi furieux, il s'adresse à ma mère : « Tu n'es qu'une incapable ! Je te répudie. (MLP : 116-117).

À travers la symbolique de cet acte de violence et le fait qu'il soit exercé en public, l'auteur parvient à toucher l'imagination des autres épouses et à laisser dans leur mémoire les traces d'une violence inouïe qui a marqué la famille.

Par ailleurs, la dimension infâme du drame est renforcée par le fait que tout cet acte de violence est effectué sur sa propre fille. Cette forme de violence démontre à quel point les femmes sont doublement victimes des atrocités du patriarcat. D'un côté elles peuvent subir la violence de leurs époux, comme c'est le cas de Hindou qui est constamment battue par Moubarak, de l'autre côté, elles peuvent être victime de leur parents. Suite à sa tentative d'échapper à la violence conjugale, elle est rattrapée par son second bourreau qui la réduit elle aussi à un objet.

La domination de la femme se fait souvent à un niveau mental. Dans le milieu traditionnel, la femme dès le jeune âge est soumise à la formation. Mais cette préparation psychique constituée entre autres de l'observation stricte des règles de conduite en société et au sein de la famille prédispose souvent la femme à des activités sexuelles douloureuses. Dans le roman Munyal.Les larmes de la patienceraconte la scène suivante qui prélude à la prise du corps de la femme, sa sujétion. Cette scène annonce la défaite de cette dernière dans une agression violente de la part de son époux car, telle que l'auteur la décrit, Hindou présente un corps sans défense : « Il considéra le lit d'un air dégoûté et me tire vers le sol. Je tombe brutalement et me mets à crier. Il me bâillonne d'une main. « Il est très tôt. Les gens dorment encore. Tais-toi ! Tu as suffisamment fait de bruit hier soir. Je n'aurais jamais cru que tu pouvais être aussi poltronne. Ne dira-t-on pas que je t'ai tuée ? Cette fois, tu la fermes ! » Il abuse encore de moi. La douleur est si vive que je tombe dans une bienveillante inconscience. » (MLP : 166).

Cette agression physique de la femme avec pour but de vulnérabiliser la victime est un acte de domination ou de démonstration de force. Dans la description, ce viol appelle à l'horreur et à la répulsion. Il s'avère être un acte qui rend captive à tout jamais la femme, la rend victime. En effet, dans la violence de l'acte, Hindou ne connaît aucune satisfaction sexuelle. Moubarak, à travers ces actes de violence répétitif sur sa femme, cherche à satisfaire sa libido et évacuer sa colère. Et par ricochet, le viol de Hindou a enfoui en elle des douleurs, des peurs qui se réveillent à la vue de son époux. Dorénavant Hindou est obligée d'accepter cette vie de femme non épanouie, meurtrie. Elle éprouve de la répulsion envers son violeur, elle se sent écoeurée.

L'évolution des événements après la première nuit des noces qui correspond à son viol montre une femme dépersonnalisée et qui ne ressent plus aucun plaisir. Moubarak jouit d'un certain pouvoir sur celle-ci. Désormais, la vue de cet homme provoque une réouverture des souvenirs des blessures physiques et mentales qu'elle a subie, mais aussi et surtout la jeune femme ne peut plus lutter pour prendre son sort en main. Elle se conforme aux exigences du mariage. Ce viol marque l'aliénation sexuelle de Hindou et le début du déclin de ses efforts de réappropriation de son propre corps.

Elle voit désormais en Moubarak l'agresseur. Ce dernier soumet à chaque fois son épouse aux besoins de son corps. Elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. L'époux la poursuit et s'approprie le corps son. La pression est tellement grande sur elle qu'elle finit par s'en fuir. L'homme marque le corps de la femme par le mariage et il le contrôle. Les femm qui refusent de se plier à la domination sont souvent soumises à la violence masculine qui peut prendre plusieurs formes (sévisses corporelles, viol, répudiation, etc.).

2.2.2. La femme muselée

La relation homme/femme, en situation de vie conjugale et polygame, est caractérisée par le musèlement, qui passe pour la soumission. Cette dernière est déterminée par l'obéissance absolue de la femme à son mari. À ce propos, KembeMilolo affirme que « l'obéissance au mari est une tradition qui répond à la nature. C'est un penchant naturel de la femme de se mettre consciemment ou inconsciemment à la volonté de son mari » (KembeMilolo, 1985 : 178). Dans le contexte traditionnel africain, la soumission obéit à une perception particulière, car la soumission est considérée comme une des qualités les plus appréciées chez la femme.

La religion joue également un rôle important dans le processus de musèlement de la femme dans la société représentée à l'oeuvre. L'univers dans lequel se meuvent les personnages est fondamentalement musulman et la religion y exerce une grande influence. À cause du mariage et de la religion, les épouses se sentent attachées aux époux. Elles ne peuvent s'imaginer une vie sans eux. La dépendance est une construction. Les passages du Coran sont interprétés de telle sorte que les femmes sont astreintes à la résignation, à accepter leur souffrance et se terrer dans le mutisme. Ainsi, l'Oncle Hayatou, explique aux épouses d'Alhadji la délicatesse et les conséquences d'un divorce : « On ne s'amuse pas avec ça. Le divorce est la chose permise la plus détestée d'Allah. Un hadith nous apprend que le divorce ébranle le trône d'Allah.» (MLP : 146). Ainsi, à partir de cette interprétation du Coran, les épouses ne croient pas qu'elles puissent être heureuses étant divorcées. Elles sont prisonnières de leur amour et de leur attachement aux époux. Désormais, les personnages féminins ne peuvent se réaliser et s'épanouir que dans le mariage. Elles ne peuvent concevoir le bonheur hors du foyer conjugal. C'est pour cette raison qu'elles choisissent la résignation et accepte une vie polygamique et toutes les conséquences qui en découleraient. Elles se sentent forcées à cause des hommes, de la société et des traditions.

L'image de l'époux Djaïlien, est celle d'une personne qui saute sur la moindre occasion qui se pointe pour nuire à sa compagne, sinon le générer par lui-même. La femme résignée, n'attend ni secours, ni espoirs et se conforme juste à ce que tous attendent d'elle. En plus des violences et souffrances que subit la femme de la part de son époux, l'avidité du père autoritaire la submerge de « bonus » alors qu'elle est hors de sa concession :

Il entra comme un fou dans sa chambre, en ressortit avec un long fouet dont il me cingla les épaules. Les coups sifflaient sourdement dans l'air.L'angoisse qui m'étranglait depuis le matin se mua en une véritable terreur.Je cherchais un coin pour me prémunir un tant soit peu de ce déchaînementde violence car mon père ne se contrôlait plus... Quand mon père estima laPunition suffisante, il retourna sa rage vers ma mère ! Elle ne bougea pas, ne pleura pas et reçut stoïquement coup après coup, sans ciller. (MLP : 116)

Dans le dernier passage ci-dessus, nous notons la présence d'une double conjonction éthique et narratif, car l'auteure s'arrange à ressortir d'un côté la bravoure de la femme peule (mère d'Hindou en l'occurrence) et de l'autre, elle énonce ce fait dans un style syntagmatique précis. La rage paternelle qui s'abat sur la gent féminine est aussi grande qu'on se demande si son autorité a des bornes. Sinon, comment expliquer cette violence qu'il exerce sur sa fille qui est mariée ? Et de cette question, on peut comprendre cette confusion de rôle parce que l'époux de sa fille est son fils. Cet argument familial permet une garantie de la main mise paternel en tout lieu et en tout temps.Il est écoeurant de constater que, même entant adulte la femme peule est traitée comme un enfant, violentée devant toute la famille sans que quiconque ne lève le petit doigt, pire encore, on la « corrige » devant sa propre fille des banalités.

Il faut signaler que la soumission est une attitude adoptée par la plupart des femmes qui ont subi la polygamie surtout celles qui ont grandi dans un milieu traditionnel proprement dit. Bien sûr la première réaction contre la polygamie varie d'une femme à une autre. C'est une question purement personnelle. Autrement dit, cela dépend de la personnalité de la femme concernée. De toute façon la femme manifeste son mécontentement. Mais sous la pression des contraintes et les obligations qui sont d'une part, de la famille et de l'entourage et d'autre part, de la société en général, elle cède volontairement ou involontairement à cette situation tellement difficile. Il en est ainsi du cas de Ramla dans Munyal.Les larmes de la patience :

-Ton oncle Hayatou a accordé ta main à un autre.

-Tu n'épouseras plus Aminou. Ton père te le fait savoir.

-Alhadji Issa ! L'homme le plus important de la ville. Tu gagnes au change.

-Mais, Diddi, je ne le connais pas !

-Lui, il te connaît. Apparemment, il a beaucoup insisté pour t'épouser. Ton père en est très fier, tu sais ?

-Mais, j'aime Aminou ! C'est avec lui que je veux me marier.

-L'amour n'existe pas avant le mariage, Ramla. Il est temps que tu redescendes sur terre. On n'est pas chez les Blancs ici.[...] D'ailleurs, as-tu le choix ? Épargne-toi des soucis inutiles, ma fille. Épargne-moi aussi, car ne te leurre pas, la moindre de tes désobéissances retombera invariablement sur ma tête.

À travers cet échange, l'on remarque qu'il s'agit ici de la volonté de la mère d'imposer à sa fille le désir de la famille. L'intérêt général prime sur celui de la fille. Son opinion, encore moins ses sentiments ne sont considérés.

Il existe donc assez de raisons pour lesquelles la femme est soumise. Il parait évident de dire que, la formation que la femme reçoit, est la première raison par excellence. Elle vise à la museler complètement. Ainsi nous pouvons dire que ce choix est motivé par plusieurs facteurs : la formation de la femme, son âge et le milieu dans lequel elle grandit. Toutes les femmes du corpus, d'une manière ou une autre sont concernées par le mutisme ou le musèlement. Évidemment, plusieurs aspects interviennent dans ce problème : des aspects économiques, psychologiques, sociaux et religieux. Le problème le plus grave réside dans la dépendance morale et économique de la femme sur l'homme. C'est une dépendance soigneusement préparée car, la femme est interdite de toute activité. La seule activité à laquelle est astreinte, est cantonnée dans le foyer. C'est à cause de cette dépendance que la femme se trouve dans une situation très dramatique. Elle ne supporte ni la solitude ni la pauvreté. Du moment où elle n'exerce aucune activité génératrice de revenus, elle pense ne pouvoir vivre sans son conjoint. Ainsi, c'est lui qui assure sa protection et l'abrite. Même si sa situation dans le foyer est des plus déconcertantes, elle se résigne à l'accepter.

Avec l'entourage qui met la pression, adopter une réaction négative contre toute pratique dégradante à l'égard de la femme devient difficile pour elle. D'ailleurs, la société trouvera inconcevable qu'elle se rebelle contre la tradition. Même ses propres parents ne l'admettent pas. Ainsi : « En catimini, les femmes de la famille me parlaient du mariage comme d'un devoir auquel on ne pouvait échapper. Et si, par malheur, il m'arrivait encore d'évoquer l'amour, elles me traitaient de folle, me disaient que j'étais égoïste et puérile, que je manquais de coeur et n'avais pas le sens de la dignité. J'étais belle, ce n'était pas à moi de courir vers mon futur mari. C'était plutôt à lui de tout faire pour me mériter. » (MLP : 46).

Le mariage, polygamie, la volonté de la famille sont une institution sociale qui doit être respectée par tout le monde, que personne ne doit contester. Nous voyons comment Ramla n'ose plus rien dire à propos de son mariage, encore moins de la polygamie qu'elle s'apprête à vivre. Elle a peur d'être maudite par son père et sa mère et tous les membres de la famille. Quand elle proteste, sa mère lui adresse fermement la parole en approuvant le geste de son oncle Hayatou. Ainsi elle digère difficilement son mal et se soumet à la polygamie pour éviter la colère, la malédiction de ses parents.

En somme, il était question dans le chapitre deux de présenter les modes et les techniques d'assujettissement du personnage féminin. Il ressort de cette analyse que ces éléments de domination de la femme sont de plusieurs ordres. En commençant par l'éducation distincte entre la fille et le garçon dans la société peule. Une fois donnée en mariage, le plus souvent sans son approbation, elle peut être répudiée à tout moment. La jeune fille vit dans un mariage polygamique parsemé d'embuche et de souffrance. Elle est conditionnée par les normes sociales qu'elle doit respecter, sa famille et son père qu'elle doit honorer. Au final, le personnage féminin vit une situation de captivité qui lui impose un musèlement. Ce dernier est un facteur de dépersonnalisation de la femme qui fait d'elle un être abusé et meurtrie par la souffrance et la tristesse. Cet état de choses ne reste pas sans impact.

Chapitre 3.Walaandé. L'art de partager un mari et Munyal. Les larmes de la patience : une écriture de la dérive

Les chapitres précédents ont permis de révéler que la femme dans l'univers culturel peul est assujettie par la société patriarcale qui limite sa liberté sur le plan social et culturel. Djaïli Amadou Amal avec une excellente connaissance de son milieu culturel traditionnel révèles les procédés et les moyens employés à des fins d'intimidation. Dans ses oeuvres à étudier, elle révèle le pouvoir de la société patriarcale dans un monde traditionnel africain. Elle montre qu'il y a une confrontation entre le monde masculin et féminin et c'est la raison pour laquelle la société patriarcale est présentée dans sa vie quotidienne mais aussi vue dans ses relations avec l'extérieur. Cet état de chose n'est pas sans conséquences sur la vie des femmes. Le présent chapitre s'attèle à monter les conséquences sur la vie des personnages féminins.

3.1. L'impact de la victimisation

Plusieurs paradigmes ont permis d'identifier le processus de victimisation des personnages féminins dans les romans de Djaïli Amadou Amal. Ces parangons permettent à l'homme, le mâle dominant, de maintenir la femme sous son attelage. La religion, les traditions et certaines pratiques y afférentes sont les outils usités pour maintenir en captivité la gent féminine. Ce processus, à la longue développent des conséquences qui impactent à la fois l'auteur et l'objet de la victimisation.

3.1.1 La dégénération de la famille

Il est vrai que la prise de décision de remariage est une affaire personnelle, mais dans la société traditionnelle africaine ce n'est pas le cas. Les parents, les proches, les amis peuvent intervenir d'une manière ou d'une autre. Il faut plaire à tout le monde et le deuxième mariage est parfois fait pour ce motif. Un fils peut prendre une deuxième femme pour contenter sa mère ou ses parents. Autrement dit la belle-famille exerce une influence sur la vie du couple. C'est le cas dans Walaandé. L'art de partager un mari, où la troisième épouse d'AlhadjiOumarou est la fille de l'imam du quartier. Il a pesé de tout son poids et de son influence auprès de sa communauté pour imposer sa fille à cet homme nanti. Ce qui n'a pas du tout été du goût des deux premières épouses qui jugent ce mariage opportuniste. Bien plus, elles estiment ce mariage inadmissible du moment où, la jeune mariée a le même âge que leur première fille et sont d'ailleurs amies (WAPM : 47). Ce qui a par conséquent contribué à dégrader les relations entre les deux jeunes collégiennes, qui doivent désormais assurer une relation de belle-mère.

La relation entre les épouses et les membres de la belle famille est toujours redoutable. De plus, gagner l'affection, le respect de la belle famille est une source de fierté entre les coépouses. Elles abondent de cadeaux pour se montrer aimable. Parallèlement, les époux se trouvent parfois obligés de soutenir des parents ou des proches de leurs femmes surtout ceux qui sont pauvres. Dans les deux oeuvres du corpus, les deux chefs de famille font cadeaux régulièrement à leurs beaux-parents. Ce qui non seulement permet de rallier ces derniers à la cause de leurs gendres, mais aussi de tout mettre en oeuvre pour que leurs filles restent dans leurs foyers conjugaux, malgré les souffrances qu'elles y endurent, afin de continuer à bénéficier des largesses de leurs beaux-fils.

Il est certes vrai que la religion et les lois traditionnelles définissent des règles de la polygamie. Elles indiquent qu'un polygame doit être juste avec ses femmes et qu'il doit les traiter équitablement. Toutefois, il lui arrive de léser ou d'abandonner définitivement son ancien ménage, son épouse et ses enfants au profit de sa nouvelle vie et la nouvelle épouse. Et la situation dégénère. À titre d'exemple, suite à la « trahison » de la part de son mari qui convole en justes noces après dix années de vie commune, sans partage, Aïssatou, ladada saaré, perd beaucoup de choses. Les sentiments les plus intimes d'union et d'affection deviennent pour elle des souvenirs plus qu'une réalité. AlhadjiOumarou songe un instant à la belle époque : « il se remémora son mariage avec Aïssatou. Elle était jolie. Si gracieuse dans ses pagnes, tenant en équilibre sa calebasse sur sa tête. Elle riait sans arrêt. Ils avaient vécu des années de bonheur avant qu'il ne devienne riche. » (WAPM : 68). Ce bonheur n'est plus qu'un souvenir lointain. Car, « quand il lui avait annoncé son remariage, elle était restée calme. Son visage n'avait pas trahi ce qu'elle en avait pensé. [...] Il en avait été impressionné et même honteux » (WAPM : 69). C'est à partir de cette déclaration de remariage qu'Aïssatou a perdu l'estime qu'elle avait pour son époux. Elle s'est complètement métamorphosée. Les égards dont Alhadji bénéficiait de la parte de cette dernière n'étaient plus au rendez-vous. Elle se contentait désormais de n'accomplir que ses devoirs conjugaux.

Il faut noter que cette situation où l'épouse perd toute affection, toute complicité avec l'époux après remariage est vécue par toutes les femmes du corpus. Alhadji note dans ce sens que même Djaïli, malgré sa jalousie qui frise l'obsession, a fini par se lasser de lui. Pour ce dernier, « le jour où j'ai épousé Nafissa, Djaïli aussi n'a plus été là. Elle, si plantureuse, si passionnée, me permis de découvrir de la lassitude sous ses colères. » (WAPM : 70).Il ne reste pour ces personnages qu'à évoquer les beaux souvenirs des jours de joie, de communication et de plaisir partagés avec son conjoint, les moments où ils vivaient, comblés de promesses et de bonheur. Ils comparent le temps passé avec le présent et ressentent de cruelles morsures de l'amertume. Ainsi les épouses sont livrées à l'insupportable solitude lorsque leurs maris prennent des secondes femmes et les abandonnent. Inversement, les époux ne reçoivent plus l'attention qui leur était dû. Le bouleversement du ménage, qui devient polygame, ne se limite pas à la vie sentimentale du couple. C'est un bouleversement global qui l'atteint de tous les côtés. Dans le cas de l'épouse abandonnée elle est obligée de jouer le rôle de mère et de père pour ses enfants. Elle a donc, plus des responsabilités et des tâches à accomplir. Grâce au travail, à la patience, à la volonté et au courage une femme comme Aïssatou peut réussir à surmonter toutes les difficultés. La situation d'un polygame qui garde toutes les épouses dans le même foyer n'est également pas admirable. Puisque ce n'est pas seulement la question d'ajouter à chaque fois une nouvelle femme, d'avoir de nouveaux enfants. Mais la question qui se pose, c'est celle du devenir du ménage. Le stress, les frustrations sentimentales, morales et psychologiques qu'on crée volontairement ou involontairement chez les siens.

Cette situation arrive à la dislocation de la famille. En effet, excédées par le comportement d'AlhadjiOumarou, qui est resté un incorrigible mâle dominant, ne prenant pas en compte les préoccupations de ses épouses, elles ont pris la décision de lui reprocher son comportement machiste. En réaction à cela, Alhadji répudie trois de ses épouses. Et la quatrième s'en ira d'elle-même : « toutes les quatre firent leurs bagages. » (WAPM : 142), rapporte le narrateur. Il faut dire que ces femmes sont excédées par la situation qu'elles vivent dans le foyer polygamique. Malgré le confort matériel qu'elles ont, cela n'a pas empêché qu'elles vivent une situation stressante. L'une des épouses, à la question de savoir pourquoi elle a demandé le divorce, elle répond : « juste parce que je le voulais vraiment. Ainsi, il n'y aura plus possibilité de réconciliation entre lui et moi. Même mon père n'y pourras rien. » (WAPM : 143). Elle est remarquable, cette fin malheureuse pour le foyer d'AlhadjiOumarou. Du jour au lendemain, d'homme marié à quatre femmes, qui passe à célibataire. Le narrateur rapporte que « la nouvelle fit le tour de la ville. Alhadjioumarou a répudié toutes ses épouses. Chacune a regagné sa famille. Dans la famille, il ne reste plus que les enfants et les domestiques » (WAPM : 144). Cette situation n'est pas sans conséquences pour Alhadji. Il regrette profondément son acte, bien qu'il ne l'admet pas ouvertement : « Alhadji, devant ses amis, faisait bonne figure, même si au fond de son coeur, il était triste à mourir. Il savait qu'elles avaient raison, mais ne pouvait décemment revenir en arrière et le reconnaître. » (WAPM : 144). La situation de victime de la femme a des conséquences sur la famille. Il ressort qu'elles touchent à la fois la vie au sein du foyer et les relations avec les belles familles. Il va sans dire que ce problème impacte psychologiquement les personnages impliqués.

3.1.2. Les troubles psychologiques

Parlant de la littérature africaine féminine, le critique marocain Nadia Chafaï, note que les écrivaines « expriment les obsessions qui les taraudent. Elles dévoilent leur intimité; et pour dévoiler cette intimité, elles ne peuvent agir autrement que par la mise à nu de leur sentiment à travers la mobilisation d'un vocabulaire hautement expressif. Celui-ci traduit primordialement leur fêlure, leur délicatesse de coeur, leur passion, leur fragilité, leur émotion et leur vie affective. » (Chafaï, 2014 : 14). S'inscrivant dans cette logique de l'écriture de l'intimité de la femme, Djaïli Amadou Amal met en scène la vie des femmes confrontées à l'enfermement patriarcal.

L'analyse des textes a permis de rendre compte que le phénomène de la polygamie affecte presque tous les personnages. Comme noté plus haut, il est une arme entre les mains de la gent masculine au service de la sujétion de la femme. Pour mieux dompter une épouse, prendre une seconde épouse paraît, quoique implicitement évoqué dans le corpus, la solution idoine. Et les principes qui régissent cette pratique matrimoniale rendent la femme en éternelle victime. Au-delà de la victimisation de la gent féminine, il y'a des conséquences qui en découlent. Il s'agit du côté psychique de la polygamie et son influence sur les coépouses, sur leurs enfants; ce qui implique par la suite la communauté toute entière.

Dans Walaandé. L'art de partager un mari, on peut dire que la cohabitation des épouses a de durs effets sur les concernées : des pleurs, des cris de détresse et de désespoir hantent leurs vies. Ce sont là les mots et les sensations qui reviennent souvent dans la bouche de Djaïli, Hadja Aïssatou, ou Safira dans Munyal. Les larmes de la patience, vivant dans cette situation. La polygamie prive la maison de sa tranquillité et de sa stabilité en nourrissant les haines des épouses qui sont en compétition pour attirer les attentions de l'homme. « En effet, les femmes se côtoient sans cesse au point de se sentir piégées aussi bien par les murs hauts qui nous entourent que par les étoffes de plus en plus sombres et lourdes que mon oncle Moussa nous oblige à revêtir. Il n'y a pas un jour où elles ne s'agacent voire s'entredéchirent à force de tourner en rond comme des lionnes en cage. » (MLP : 105) Ces haines les conduisent au conflit surtout lorsque, sous la pression d'un désir ou d'un sentiment, l'homme se montre attiré par l'une d'elles aux dépens des autres, ce qui peut rendre ces dernières psychologiquement « complexées » vis-à-vis de la première.

Cette situation est visible dans la même oeuvre lorsque Safira, après le remariage de son époux, s'engager à mener des actions visant à reconquérir le coeur de son époux malgré les assurances à lui données par ce dernier. Pour elle, rien ne pourra l'arrêter, quitte à faire perdre la raison ou la vie à la nouvelle élue, sa principale rivale. Elle ne tolère pas qu'après une semaine de noces, son époux ait pu changer de comportement aussi vite. En fait, lorsqu'Alhadji a convolé en deuxième noces, il a passé une semaine de lune de miel, conformément à la loi coranique. Toutefois, après ce délai, il décide d'effectuer un voyage sur Yaoundé (MLP : 147) et en compagnie de la nouvelle épouse. Ce qui prolonge les sept jours légalement dus. Ainsi, la première épouse s'est sentie lésée, méprisée, touchée dans son amour propre. Pour elle, il est inadmissible, qu'après près de deux décennies de mariage, son époux la traite de cette façon. Ainsi, malgré les conseils de son amie, elle reste décisive :

Je ne veux pas patienter, dis-je très irritée. Ne me parlez plus jamais de munyal. Je ne patienterai pas jusqu'à ce que son caprice finisse, comme tu dis. Je n'ai pas de temps pour attendre je ne sais quel hypothétique moment. Je veux qu'elle parte immédiatement. Je veux que tu fasses un karfaentre eux, que ce mauvais sort les sépare, qu'ils se déchirent à Yaoundé. Je veux qu'il regrette ce mariage. Je suis prête à perdre tout ce que je possède pour cela. Je dois retrouver ma dignité ! (MLP : 147)

À partir de cet extrait, l'on se rend compte de ce que Safira est devenue psychologiquement instable, au point d'attenter à la vie de son époux et de sa coépouse. Safira s'est complètement métamorphosée. Son amie ne manque pas de le lui rappeler : « Tu me fais peur Safira ! Comment as-tu pu changer ainsi seulement en une semaine ? » (MLP : 147)

Face aux diverses pressions qui l'incriminent, il arrive que la femme peule perde tout ce qui est logique, du fait de l'autorité absurde et dérangeante de la suprématie masculine. Elle commence (parlant de la femme peule engagée) tout d'abord par exprimer son désintéressement à ce qui l'embrasse, cherche secours et finis par exploser à bout de force. L'attitude du personnage Hindou dans l'oeuvre Munyalen dit plus : « Je ne veux plus patienter, criai-je, éclatant en sanglot. J'en ai marre ! Je suis fatiguée d'endurer, et j'ai essayé de supporter comme je le pouvais.Je ne veux plus entendre munyal encore. Ne me dite plus jamais munyal ! Plus jamais ce mot ! »(MLP : 168).

Ces paroles fiévreuses du personnage montrent son degré de lassitude face à des normes unilatérales. Ayant assez supporté, patienté, elle décide de proscrire ce mot de son vocabulaire et se refuse de l'entendre, elle a enduré autant qu'elle le pouvait, s'en est fini car elle est engagée et déterminée à finaliser sa décision. L'emprisonnement dont elle est victime de son jeune âge, à l'âge l'adulte la bouleverse totalement, en la plongeant dans un état psychotique chronique dont elle finit par succomber. Hindou explique les causes de sa « folie » comme suit : « On dit que je suis folle... ! Combien de temps suis-je restée dans la chambre, surveillée vain et de ne pas pouvoir respirer... vouloir crier et ne pas pouvoir ouvrir la bouche : vouloir pleurer et ne plus avoir les larmes : vouloir dormir et ne plus jamais se réveiller. »

La présence d'un vocabulaire de modalisation traduit l'effet textuel faisant par du désir interne du personnage féminin dans notre univers textuel. Le verbe vouloir, exprimant la volonté, l'intention et l'envie est capitale pour chaque être décisionnaire. Le verbe pouvoir pour sa part renvoie à la possibilité de faire quelque chose, être capable, en mesure de (en raison des qualités de la personne ou de la chose, ou en raison des moyens offerts par les circonstances). La mise en parallèle de ces verbes d'action est assez significative en ce sens qu'ils illustrent une envie (du personnage) qui n'aboutit pas. À ce propos, hindou donne succinctement les raisons de sa psychose et cite ses bourreaux :

On a commencé à m'attacher. Il parait que je cherche à fuir. Ce n'est pas vrai. Je cherche juste à respirer. Pourquoi m'empêche-t-on de respirer ? Pourquoi m'empêche-t-on de voir la lumière du soleil ? Pourquoi me prive-t-on d'air ?Je ne suis pas folle ! Si j'entends des voix, ce n'est pas celle du djinn. C'est juste la voix de mon père ! La voix de mon époux, de mon oncle ! La voix des hommes de ma famille ! Je ne suis pas folle ! Si je me déshabille, c'est pour mieux respirer tout l'oxygène de la terre.[...]Je ne suis pas folle ! (MLP :169).

La teneur sémantique (ensemble des significations diverses se rapportant à un ou plusieurs mots, en fonction de la situation d'énonciation.) du fragment précédent donne une idée assez précise sur l'immense barrière qui sépare « la prétendue malade » aux restes du groupe qui trouvent une raison autre que la véritable.

La victimisation renvoie à la notion de pouvoir et de contrôle d'un individu sur un autre, à une volonté d'emprise. Pour augmenter son pouvoir et son contrôle sur les femmes, les hommes ont recours à plusieurs modalités de fonctionnement : la coercition et les menaces : menacer de lui faire du mal et le mettre à exécution, intimidations, menacer de la confronter à ses peurs (jurer sur le coran) (MLP : 161). Au sein des familles polygamiques représentées dans le corpus, la violence est un mode opératoire évoluant sur plusieurs années, et a un fort impact psychique.

À partir du moment où la femme en général et celle vivant dans un foyer polygamique est victime de la phallocratie, il n'existe pour elle de possibilité de choix, de décision ou même de riposte face à ce qui leur arrive. Elle subit l'imposition du mode de vie impacte la vie des femmes. C'est ce qui arrive à Djaïli. Face à l'annonce brutale du remariage de son époux, elle se métamorphose et change de personnalité. Ainsi, « De dépit, elle avait développé un vrai art de la mesquinerie. [...] Elle était devenue triste, irritable et agressive. Elle commença à porter sur son visage, de plus en plus dur, la mutation effrayante de son caractère. » (WAPM : 49).

Le statut carcéral de la femme de suite de la rigidité des principes traditionnels et de la religion la pousse à adopter un comportement qui frise les troubles psychologiques. Il s'agit de sa réaction face aux conditions sociales précaires à lui imposées par l'homme. Ce dernier, tel que présenté dans le corpus n'admet aucune concession par pur orgueil. Conséquemment, la gent féminine se retrouve victime une fois de plus. Ce qui conduit à empester l'univers romanesque d'une sensation funeste.

3.1.3. De l'atmosphère funeste à la mort

Les romans de Djaïli Amal nous présentent une cartographie à la fois réelle et fictive de la femme dans la culture peule, Femme malade et moribonde. Sa façon d'envisager le statut de la femme peule repose sur le même constat de départ: la femme souffre. Triste, obscure, solitaire, angoissée, elle est réceptacle d'un foyer moribond. Il s'agit de révéler le vrai visage du système patriarcal. Il s'apparente à un système culturel qui donne à regarder les visages de la mort.

Il faut entendre par funeste, tout ce qui relève du tragique telle que la mort, thème évoqué dans le roman de Djaïli. La mort renvoie aussi bien à l'élimination physique qu'à l'anéantissement moral et/ou intellectuel. C'est « la mort de la vie » (Tansi, 1986 : 34), celle qui prive l'homme de liberté, de sa dimension humaine et spirituelle. La mort correspond également à un déficit d'inventivité, car selon Sony LabouTansi « notre siècle manque d'idéal, notre siècle est un danger pour demain » (Tansi, 1986 : 34). Quel que soit le type de mort, il constitue l'un des éléments de soubassement de l'écriture du funeste. La mort fonctionne de ce point de vue, comme l'une des sources d'inspiration de la romancière.

Faisant partie désormais de l'univers des personnages, le funeste conditionne leurs pensées et habite constamment son imaginaire. L'univers romanesque devient ainsi, la projection sur scène du quotidien fait de violences et d'atrocités. C'est pourquoi dans les oeuvres le récit, à certains endroits traduit pour la plupart, l'idée de désolation qu'a engendrée la mort de Yasmine dans Walaandé. L'art de partager un mari. Le funeste comme ressort romanesque se conçoit du point de vue du fond et de la forme, dans la mesure où le texte aborde le sujet de la mort. Le funeste est, en effet, annoncé à la page 119. À cette étape de l'oeuvre apparaissent des indices évoquant l'avènement d'une situation dramatique. Ainsi : « les larmes les plus amères, que l'on verse sur une tombe, viennent des mots qu'on n'a pas dits, et des choses qu'on n'a pas faites » (WAPM : 119). L'emploi du terme tombe fait régner une atmosphère lugubre sur la suite du roman. Teinté de regrets, le lecteur commence à avoir des sensations de tristesse au contact du texte.

La description de l'état de santé du personnage plonge davantage celui-ci dans sa conviction sur la situation funeste. La déliquescence de Yasmine ne fait que renforcer l'idée de la mort imminente rependue à travers le texte : « à cause de l'état de Yasmine, les mariages furent reportés. [...] les médecins se relayaient à son chevet, sans pouvoir la soulager. Fayza, assise sur le lit de sa soeur, tenait sa main et essuyait de temps en temps une larme discrète pour ne pas inquiéter la malade. » (WAPM : 120). L'on se rend compte à travers cet extrait que la mimique des personnages exprime corporellement le funeste. Elle annonce l'imminence de la mort, et met en exergue l'idée de la mort qui va rythmer le quotidien des personnages. Toutefois, l'ensemble des personnages concernés par cette situation se déploient pour éviter cette mort certaine. Du soutien psychologique à celui physique en passant par le transfert de la malade pour une structure hospitalière adaptée, tout concourt à transcender le funeste. Force est de constater à la suite du récit que ces efforts multiples restent vains. Car, « Yasmine n'a pas pu voyager. À la tombée de la nuit, alors que le muezzin procédait à l'appel de la prière, la jeune fille poussa un dernier soupir et ferma les yeux. » (WAPM : 121). Cet extrait marque l'instant fatidique. Il constitue un point névralgique pour le récit et pour la famille y représentée.

Avant de perdre sa vie, Yasmine perd d'abord délibérément sa virginité. Elle s'est préparée à mourir. Dans la tradition peule, c'est un sacrilège pour une fille que de perdre sa virginité avant le mariage ; même si celui qui la dépucelle a des intentions de noces. C'est une honte pour la famille, un grand déshonneur, une mauvaise étiquette colée à la réputation familiale. Avant de trépasser, elle se confie à a soeur Fayza : « je sens que je m'en vais, je meurs...je le sais et je me suis préparée...J'ai fait l'amour avec Aboubakar...Faire l'amour est toujours l'expression d'un désespoir. Mais je l'ai fait par amour, parceque je sens que je n'en ai plus pour longtemps... » (WAPM : 105). Cette mort de Yasmine fait d'elle une victime expiatoire, y prend la dimension d'un matyr, appelé à mourir innocemment pour sauver toute une postérité. Cette mort est aussi singulière. En rendant l'âme en martyr, elle a exprimé « l'inexprimable ». Autrement dit, elle a brisé les tabous de la société peule en particulier et de la société africaine traditionnelle en général.

En effet, à partir de cet instant, la suite du roman, des actions qui se succèdent sont liées d'une manière ou d'une autre, à cette mort. Après l'enterrement, les actes posés par les personnages proches ou indirectement liés à la défunte sont conditionnés. À commencer par Aboubakar, le fiancé. Malgré qu'il ne soit pas pris en compte lors des obsèques, il est le personnage qui vit le drame le plus. Intérieurement, il est consumé par cet événement tragique. Dans un monologue, il exprime son désarroi : « Comment ferais-je sans toi Yasmine ? Comment survivre sans toi ? Pourquoi devrais-je vivre sans toi ? » (WAPM : 123) La situation est devenue intenable au point où il décide de se terrer dans sa chambre. À longueur de journées, il se remémore les bons moments passés.

Pour le reste de la famille, la mort de Yasmine est restée une tache indélébile dans la vie de chaque membre. Que ce soit sa soeur Sakina, HadjaAïssatou sa mère, Alhadji son père, chacun subit à sa manière les affres de la mort de la jeune fille. Le géniteur, finit par être mis devant ses responsabilités dans la mort de sa fille. Son machisme, son intransigeance et son comportement suranné ont fini par le rattraper. Il est directement accusé par ses épouses sans exception d'avoir tué sa fille. Réunies un soir dans la cours, les épouses échangent sur les événements qui se sont déroulés depuis un certain temps dans la concession. Sakina, la plus instruite commença : «  -Nous devrions en parler. Ce sont nos enfants ! Il faudrait les chercher.-Jamais il ne leur pardonnera, dit tristement Aïssatou.-Ils ont pourtant eu raison de le faire ! Ils n'ont pas arrêté de dire qu'ils ne voulaient pas se marier. À cause de ça, Yasmine est morte, remarqua Djaïli. » (WAPM : 140). Il est clair que toutes les épouses sont convaincues de la responsabilité du chef de famille dans la mort de leur fille. Toutefois, l'évoquer frontalement en présence de celui-ci reste et demeure périlleux. Bien plus, il ne serait pas bien séant d'en discuter car, malgré que plusieurs semaines se soient écoulées après le deuil, toute la famille la porte encore, comme le démontre la réplique d'Aïssatou ci-dessus.

3.2. L'influence de la culture dans le foyer

Dans le contexte traditionnel africain, certains principes tels que l'obéissance et la soumission relèvent d'une perception particulière, car elles sont considérées comme une des qualités les plus appréciées chez la femme. Ainsi selon les traditions, l'épouse idéale se distingue par sa docilité, son obéissance et sa soumission. Une attitude qui se conforme aux normes culturelles observées par tout le monde. Dès le bas âge, toutes les formations que la jeune fille reçoit visent à enraciner chez elle ces principes culturels. Dans cette formation participent non seulement la mère ou les parents proches mais également les parents éloignés : les tantes, les oncles, etc. Dans cette structure traditionnelle de la société, dans laquelle la femme éternellement mineure et soumise, l'homme est toujours dominant. Ainsi, à l'opposition de la soumission féminine se pose la domination masculine. L'homme est maître et seigneur. La vie lui donne tous les droits. Il fait ce qu'il veut : lui, il ordonne et elle, elle exécute ses ordres sans la moindre résistance, même les plus capricieux. Comme le constate LilyanKesteloot : « Il était le maître et le seigneur. Il se déshabillait où il voulait, s'installait où il voulait, mangeait où il voulait, salissait ce qu'il voulait. Les dégâts étaient aussitôt réparés sans murmure. Dans ce foyer, on prévenait ses moindres désirs » (LilyanKesteloot, 2001 : 129).

3.2.1. Le poids de la culture peule

Les romans de Djaïli Amadou Amal, esquissent le portrait des femmes dont la soif de liberté se heurte à la réprobation de la société et de leur entourage (tabous persistants à l'encontre de l'émancipation féminine, parents lésés réclamant et exerçant l'autorité qui leur appartenait traditionnellement de droit), mais ils expriment également le face-à-face de ces femmes avec elles-mêmes et avec leurs désirs.

En effet, « l'islam, comme on le sait, a trouvé naissance dans une société patriarcale. L'autorité du père, qui avait sa source dans la coutume et qui était plus au moins adoucie par les liens familiaux, fait transmise, dès l'avènement de la nouvelle religion, à une puissance inflexible : la divinité ».Bien souvent tiraillées entre leur libre choix et le respect dû à la famille et des principes religieux, confrontées à une liberté nouvelle et pourtant empreintes, par la force de la pression sociale, elles n'entrevoient aucune solution viable qui leur garantirait, sinon le bonheur, un semblant d'apaisement et de tranquillité d'esprit. Illustrant parfaitement ce dilemme, Djailidépeint dans son roman Walaandé. L'art de partager un mari, le désespoir de la jeune Yasmine, soumise à une pression familiale trop forte et à un cas de bouleversement d'une identité : « Une fille masquée » par la volonté du père. Il en est de même de Hindou, dans Munyal.Les larmes de la patience. Garant de la morale traditionnelle et religieuse, les deux parents confinent leurs filles, préférant les voir sombrer dans le désespoir que rompre le bouleversement de leurs vies en laissant la latitude pour chacune de faire le choix de leurs conjoints. Pour eux, accepter la volonté de sa fille est une chose impensable, tant il est vrai qu'un peul, croyant, honorable, préférait voir mourir sa fille, quitte parfois à la tuer lui-même, que d'être plongé dans le déshonneur, le scandale.

À travers le parcours des personnages de Yasmine et Hindou, les romans présentent des « héroïnes » en train de s'élever comme femmes, incapables de changer le monde dans lequel elles vivent et vivre pleinement leur féminité avec les hommes qu'elles aiment. La situation de Yasmine et Hindouillustre le drame des femmes peules de la ville de Maroua, dans un univers caractérisé par des anciennesmentalités où la femme est tiraillée entre la modernité et les lourdes fondations de la tradition et de la religion : l'homme reste le seul maître.

Les deux romans de Djaïli Amadou Amal, à travers les personnages féminins clament la foi de l'auteure en la libération future des moeurs et des esprits faits d'isolement. Textes à la fois récit amer d'une souffrance mais plaidoyer plein d'espoir. Suivre le chemin de l'émancipation, rester et se contenter de son sort, ou mourir pour mettre fin à une existence sur laquelle elle n'a plus de contrôle sans avoir à faire un choix déchirant : telles sont les options qui s'offrent à Yasmine et Hindou, et partant à toutes les femmes du roman.

Tout d'abord celle de la morale et des traditions, qui pèsent sur une société à l'évolution palpable mais lente et imparfaite. Une femme victime de la tradition qui, dans l'ombre, n'a d'autre choix que de souffrir de la situation. La colère de la jeune femme à l'encontre des vieilles mentalités, qui ne lui permettent pas de vivre comme femme, d'un côté, la jeune femme pleine de piété filiale sacrifiant sa félicité à son devoir familial et social pendant son enfance, de l'autre, la femme individualiste libre poursuivant son propre bonheur comme femme. Conscientes de se trouver dans une période de l'histoire qui fait jonction entre deux mondes : l'ancien au cadre rigide et le moderne ouvrant de nouvelles perspectives d'épanouissement personnel, elles accusent une société encore trop rétrograde d'être la cause de leur malheur : « Ils invoquent la religion pour écraser et dominer » (MLP : 133). « En vérité, tout ce que les hommes nous racontent sur la religion est faux » (WAPM : 63). C'est alors que chacune des deux optera pour une solution qui convient le mieux à sa situation : Yasmine refusera de se nourrir et se faire soigner; Hindou quant à elle, s'en fuira du cadre conjugal.

Les différentes familles, elles-mêmes apparaîtront divisées après les options choisies. Ces deux personnages et leurs choix, constituent le symbole de l'univers dans lequel elles évoluent, tiraillé entre une nouvelle réalité sociale et des valeurs morales et culturelles millénaires. Leurs proches, les soeurs et frères, aux aspirations sans doute semblables aux leurs, comprennent les désirs d'émancipation de nos « héroïnes ». Pourtant, l'hypothétique fuite que la jeune Hindou a faite ne constitue en rien une solution pour s'échapper du giron de sa famille et vivre sa féminité au grand jour. En effet, déchirée entre la volonté familiale et ses désirs, elle ne sortira de cette lutte ni indemne, ni réconciliée avec elle-même :

Je ne déroge pas à la règle : je deviens égoïste. Je ne vais pas bien, les autres non plus, mais je ne me préoccupe que de moi. Mes insomnies se multiplient, et le manque de sommeil me donne des migraines. J'ai beau prendre des médicaments prescrits par les médecins, des filtres recommandés par des guérisseurs, rien n'y fait. La lassitude me ronge et j'éprouve une angoisse que rien ne peut atténuer [...] Je m'enfonce peu à peu dans la déprime et fais parfois des crises de spasmophilie, pendant lesquelles, la gorge serrée, je n'arrête pas de suffoquer. L'estomac noué, la mort me semble de plus la seule échappatoire. (MLP : 106-107)

Cependant, le mérite de cette fuite est d'avoir fait de son drame personnel un exemple, afin que chacun sache qu'il ne devrait plus être permis de confronter quiconque à ce genre de masque.

Il est notable que les oeuvres de Djaïli, mettent en scène des femmes soumises à des injonctions de genre dont elles ne peuvent se départir, ainsi qu'avec une société dans laquelle les traditions pèsent encore très lourd. De la même façon, les mêmes oeuvres dépeignent des temps révolus. Elles livrent une version de la longue histoire des femmes du sahel et les anciennes mentalités et pratiques non désirantes, soulignent explicitement l'asservissement des femmes par une société traditionnelle patriarcale.Dans les mêmes romans, la romancière revient sur les préjugés culturels bien ancrés qui soumettent les femmes à la tradition. Le récit illustre l'éternelle solitude de la femme face aux questions qui relèvent traditionnellement de leur sexe - féminité, identité, traumatisme et mariage forcé.

L'écriture de Djaïli Amadou Amal, pourrait être qualifiée de « nouvelle littérature », car elle offre de fait de nombreux personnages de femmes résolus, malgré les obstacles et les sacrifices que cela suppose, à affirmer leur individualité et gagner en autonomie. Les femmes, dans un contexte social brutal exacerbé par la tradition et les idées culturelles, apparaissent avant tout comme des proies, victime de la violence des hommes et des femmes et excitant leur concupiscence. Le caractère éphémère de leur existence, qui brûle aussi vite qu'un bâtonnet d'encens et dont il ne reste rien une fois qu'elle est consumée, apparaît d'autant plus tragique quand cette dernière est malheureuse. Le champ lexical utilisé par l'auteur est surprenant de brutalité, s'apparentant davantage à l'acharnement sauvage auquel un être peut se livrer sur un autre être dominé, plutôt qu'à une passion charnelle intense partagée.

3.2.2. L'image de la polygamie et de la procréation

L'attention que les romanciers africains accordent au thème du mariage nous indique à quel point cette institution est d'importance dans la vie des africains. Ce sujet est abordé sous des optiques différentes mais il reste toujours un thème dominant. « La vie familiale, les coutumes du mariage, la dot, la cola symbole de liens et de solidarité, le choix du conjoint, l'épouse traditionnelle idéale, la polygamie, toutes ces questions sont posées face au défi du modernisme qui gagne la vie des africains depuis plus d'un siècle. » (IkhlasSiddig, 2011 : 16). Suivant le rythme rapide de la vie, traçant les changements qui donnent leur impact sur la société, les écrivains ont leur mot à dire. Alors ils écrivent tantôt sur un ton plus ou moins nostalgique en chantant les louanges des moeurs et des valeurs traditionnelles. Tantôt sur un ton plus ou moins critique en envisageant certaines coutumes, certaines pratiques jugées comme non convenables aux exigences de la vie moderne. C'est le cas de la romancière Djaïli Amadou Amal. Ses oeuvres sont bâties sur un fondement de contrastes et de conflits sociaux qui résultent de la coexistence des cultures et des valeurs traditionnelles ou occidentales.

Les oeuvres mettent en avant principalement de l'ironie exprimée par le langage et les réflexions du point de vue du narrateur. Ce que racontent ces écrivains, il faut le prendre au sérieux, parce qu'ils sont les témoins de leurs époques. Il va sans dire que nous avons besoin de ces témoignages, de ces expériences qui servent d'éclairage et nous guident et qui nourrissent notre vie actuelle et celle de l'avenir. Le corpus sur lequel s'articule notre analyse traite de ce phénomène de société pour connaître, à travers les personnages particulièrement féminins, le statut de la femme, la première concernée par cette pratique.La polygamie telle que pratiquée dans les romans de Djaïli Amadou Amal présente des facettes assez négatives. Le ménage perd sa tranquillité. Il rompt avec la communication quotidienne entre le couple. L'atmosphère s'empoisonne. Ce sont les premiers symptômes. Les suivants seront encore plus durs lorsque le projet est réalisé.

En effet, les dépenses des coépouses fait partie de la compétition qui est entretenue entre elles. Chacune veut tirer le maximum de la poche de leur époux pour des motifs toujours différents. À titre d'exemple, pour AlhadjiOumarou, la deuxième femme qu'il a répudiée, son comportement dépensier, le gaspillage sont devenus une habitude. Elle dépensait pour rien, cela est dû à son caractère superficiel et léger. Elle possède un gout très poussé pour l'argent; au point d'en devenir addictive et se transformer en cleptomane.Le comportement dépensier de la seconde épouse, Djaili, dans Walaandé. L'art de partager un mari, frise également la mécréance. L'on remarque qu'elle dépense en peu de temps la même somme qu'elle parvient à économiser pendant des semaines. Elle le fait exprès, car elle pense à son avenir dans le foyer. Elle se dit qu'il ne lui reste qu'à s'accrocher, se mettre à l'abri des aléas de la vie. Dans sa situation elle a raison de s'inquiéter, puisque son mari ne se contente pas de la troisième épouse mais il en prend une quatrième. Donc, c'est mieux d'économiser pour les temps dûrs, pour l'avenir qui n'est pas toujours rassurant dans une famille polygame.

Pour résoudre des problèmes matrimoniaux, on constate un recours permanent au maraboutage, à la sorcellerie. Une pratique très répandue en Afrique que la polygamie encourage davantage. Les femmes abandonnées par les maris ou celles qui perdent le privilège d'être femmes préférées par leur mari ou même celles qui craignent que leurs maris prennent de nouvelles femmes, sont une bonne clientèle des marabouts. Pour écarter une nouvelle coépouse ou bien ramener l'époux à son foyer, il y a des charlatans reconnus partout. Ils sont excellents en philtre magique mais ils habitent toujours loin et il faut les payer cher.

La sorcellerie fait partie des activités journalières des femmes telles que de Djaïli. Quant à Aïssatou, la première femme AlhadjiOumarou dans Walaandé. .L'art de partager un mari, elles vont régulièrement chez un marabout cherchant la faveur d'Alhadji. Elles suivent scrupuleusement ses consignes.Il en est de même dans Munyal Les larmes de la patience. Sous l'impulsion de la jalousie provoquée par son détrônement par la nouvelle épouse, Ramla, Safira s'emploie à mettre en lumière des pratiques ésotérique dans le but de reconquérir son époux. Pour elle, tous les moyens mystiques sont bons, pourvu qu'elle retrouve sa place. Ainsi, Sakina envoie son amie chez le marabout et lui donne des instructions en ces termes : 

Dis-lui que je suis prête à tout. Je donnerai tout ce qu'il voudra. Je ferai tout ce qu'il demandera. Je veux seulement qu'elle parte ! Immédiatement ! Qu'Alhadji la répudie ! Reste là-bas le temps qu'il faudra. Tu as cinq cent mille francs dans cette enveloppe. N'hésite pas à dépenser. Même s'il demande un boeuf en sacrifice, fais-le ! L'argent n'est rien. Je veux qu'elle se casse ! Rappelle-toi bien son nom, celui de sa mère et celui de son père aussi pour qu'il lui jette un sort. (MLP : 146)

Cet extrait révèle la profondeur de l'engagement de cette épouse à nuire à sa rivale. Cette situation est provoquée par le remariage d'Alhadji. Elle est amplifiée par le traitement inégalitaire que celui-ci accorde à ses épouses, pourtant prescrit par le Coran. Safira se sent insultée dans son honneur. Elle se sent délaissée. De ce fait, elle se doit de reconquérir son trône.En plus des pratiques ésotériques, Safira se livre à de la mesquinerie pour parvenir à ses fins. Tout y passe, toutes les bassesses. Elle n'épargne personne et tous les moyens sont bons:

L'air de rien, je me révélais une adversaire redoutable et utilisais parfois mes enfants et les domestiques pour arriver à mes fins. Je n'arrêtais pas de monter des coups contre Ramla. Et tout y passait ! Je faisais verser des grains de sable sur ses grillades et dans sa farine destinée au couscous. Je rajoutais du sel dans sa sauce. Je glissais discrètement encore du sable mais sous les draps dans le lit conjugal au sortir de mon waalande. Je dissimulais savon et papier hygiénique, salissais les serviettes, et Alhadji se plaignait, tempêtait et s'énervait contre Ramla sans qu'elle puisse se justifier. (MLP : 181-182)

La révélation du comportement mesquin de cette épouse, est la face hideuse de la polygamie qui est étalée ici. Certainement la polygamie est l'une des pratiques dont la femme africaine souffre beaucoup. Le corpus attirer l'attention sur le fait que les souffrances de la femme africaine présentent de multiples visages, ce qui veut dire que la femme ne souffre pas uniquement à cause de la polygamie. Les exemples pris dans le cadre de cette analyse montrent qu'il existe d'autres souffrances qui sont parfois même pires que celles de la polygamie. À vrai dire la vie n'est pas toujours douce, souple ou agréable, les problèmes, les obstacles sont partout et dans la vie de tout le monde. Personne ne peut s'en échapper, même les hommes, ils ont leur partie de la misère, des souffrances. Il faut donc que les femmes soient fortes, solides et lucides pour les affronter.

Parvenu au terme de ce chapitre qui traite des conséquences de la victimisation, il ressort que cette pratique entraine d'importantes marques sur les victimes ainsi que sur la famille entière. Ainsi, l'on note la dislocation de la famille telle que celle d'AlhadjiOumarou, les troubles psychologiques et pour finir, la mort de la victime. Par ailleurs, la tradition et la culture impactent aussi dans le foyer.

Chapitre 4. La portée heuristique de l'écriture de Djaïli Amadou Amal

La représentation de la femme dans la littérature n'est pas anodine. Elle revêt une charge heuristique. En effet, malgré les multiples voix qui se sont élevées pour la cause de la femme, sa situation dans la société reste précaire. Le corpus sur lequel s'appuie cette analyse révèle des femmes prises au piège du patriarcat. L'univers culturel dans lequel elles évoluent fait mention de pratiques traditionnelles en défaveur de l'émancipation de la gent féminine. La prise de la plume par l'auteure n'est pas inutile. Son écriture révèle une prise de position, une exploration de la situation de la femme qui jusque-là est restée voilée, du fait du musèlement, du poids de la culture qui empêche la prise de parole. Ainsi, pour Pascal BekoloBekolo, « en littérature, la révolte est d'abord une rébellion du langage. Un arrachement de la parole et une utilisation efficace de celle-ci. En prenant la parole à leur tour, les « écrivaines » se donnent pour objectif de lutter contre l'omniprésence de la parole masculine. » (Bekolo, 1997 : 94). Pour mieux comprendre ce chapitre, nous posons les interrogations suivantes : qu'est ce qui caractérise l'écriture de Djaïli Amadou Amal ? Quelle est la portée de son écriture ?

4.1. L'originalité scripturale de l'auteure

L'écriture de Djaïli vaut son « pesant de poudre », pour reprendre l'expression de Kateb Yacine. En effet, la femme écrivaine, sempiternellement victime de la misogynie, doit désormais, s'atteler non pas à vivre dans une tour d'ivoire insidieusement baptisée littérature féminine, mais à recouvrer son identité appropriée. La production littéraire de cette écrivaine arrive à s'imposer dans un univers artistique dominé par la littérature masculine, beaucoup plus virile et exempte des pleurnicheries et autre sensibleries. La romancière à travers son écriture, montre à la femme qu'elle doit infirmer le statut qui lui a toujours été attribué et lutter contre les stéréotypes tenaces et les préjugés acharnés. Il faut que la femme affirme et confirme sa présence sans scrupule et énergiquement car les hommes ne lui feront aucune concession.

4.1.1. Une écriture du dévoilement

L'écriture de Djaïlientretient un rapport privilégié avec le contexte socio-culturel et esthétique dans lequel elle prend forme. L'auteure fait tomber d'un coup sec l'homme du piédestal sur lequel les principes du patriarcat l'avaient placé. D'abord, ses deux romans indiquent des thèmes d'actualité à même de heurter la sensibilité des lecteurs. Cette forme d'écriture apparaît « comme une véritable stratégie pour communiquer aux lecteurs le sentiment de l'inacceptable. » (Moumini, 2017). Il s'agit de la carnavalisation de la violence pratiquée par les personnages hommes sur les femmes. C'est un fait inédit, une pratique voilée dans la culture peule. Cette pratique scripturale montre qu'elle est dirigée envers un public qui est pris en compte. Dans ce style d'écriture romanesque, ce qui est voilé, protégé semble désormais exposé. Que ce soit dans Walandé. L'art de partager un mari ou dans Munyal. Les larmes de la patience, les récits se déroulent au sein des familles/foyers, dans l'intimité des épouses. Ces univers sont protégés par la culture peule. Ils sont interdits d'accès aux regards étrangers. Or, Djaïli parvient à mettre la lumière sur certaines pratiques telles les violences verbale et physique, dégradantes à l'égard des femmes qui y ont cours. Il apparaît en effet que le message des deux romans, leur force d'évocation et représentativité semblent aller de pair avec l'originalité et la qualité de sa forme. La subjectivité semble être gage de qualité : plus les récits contés sont profonds et personnels, plus les romans enthousiasment les lecteurs.

Dans les romans, rien n'apparait plus comme un fait et inaccessible, dont l'évocation et l'appréciation ne sont réservées qu'à quelques personnages, notamment les hommes. Au contraire, tout semble comme si le mot d'ordre est liberté et émancipation. Le lecteur est invité à participer à l'oeuvre, à s'exclamer et « encourager à haute voix aussi bien avant , pendant et après » la lecture. Contrairement à d'autres textes dans lesquels l'écriture ne rend pas compte des faits culturels en défaveur des femmes, ici se lit la volonté manifeste de l'auteure de mettre à nu.

La volonté de dévoilement est aussi particulièrement visible dans les thèmes abordés par la romancière. Les deux oeuvres du corpus déconstruisent l'idée de la supériorité de l'homme sur la femme. Désormais, à travers cette écriture, l'auteure dit haut ce qui n'est pas permis à la gent féminine. Elle montre que les deux sexes vivent dans une interdépendance. AlhadjiOumarou, bien qu'ayant congédié toutes ses épouses, pour montrer qu'il est le seul à tenir les reines de son foyer, est très vite désillusionné. Il est désemparé face à la tristesse qui s'est emparée de sa concession, du fait de l'absence de ses épouses. Il se rend à l'évidence de ce que sans ces dernières, il n'est que solitude. Ainsi, les personnages hommes qui paraissent forts, inébranlables se trouvent ici déconstruits.

Le type d'écriture de notre auteure traduit son expérience du monde. La première personne, très utilisée et le registre de langue est relativement proche du langage courant. L'on sent chez la romancière la volonté de créer une oeuvre valable pour tous et de tout temps, détachée de leur idiosyncrasie. Elle parle en tant que femme et de leur expérience au milieu de la société. Les récits dans les deux textes, teintés de noirceurs, de la souffrance de la femme témoignent des problèmes qui dépassent leur auteure. Le choix de l'affirmation de la subjectivité sert à ancrer plus profondément les revendications en faveur de la femme. Djaïli dénonce la violence d'une société où les différentes formes de discrimination pèsent lourdement sur la santé mentale et physique de la gent féminine. Elle ne lésine pas sur les détails. La dénonciation des normes traditionnelles et patriarcales est particulièrement prégnante dans le témoignage des personnages, femmes pour la plupart. L'ambition est universelle ou du moins, pour toutes les femmes qui vivent des situations semblables au quotidien. Les récits semblent valoir pour toutes, de tout temps, en tout lieu. 

Djaïli Amadou Amal porte un coup à la banalisation de la souffrance de la femme représentée dans ses deux romans. En effet, la volonté d'exposer au public la souffrance intérieure est noble, on peut s'interroger sur les manières dont ce choix pourrait être reçu. Le thème du mal-être de la femme est au coeur de ses textes. Il semble loisible de se demander si l'on ne peut pas lire là la preuve qu'elle s'insurge contre ce qui peut être vu comme un certain culte de la souffrance de la femme. Elle encourage l'écoute des revendications de la gent féminine.Ensuite, le fait que les sensibilités individuelles inscrites dans l'oeuvre semblent s'effacer derrière l'apparente similarité des oeuvres et de leurs thèmes peut être interprété comme inscription de la situation de la femme dans son contexte, mais aussi comme un renforcement de sa dénonciation et de son dévoilement. Plutôt que de voir la similarité des dénonciations d'un oeil négatif, on peut aussi la percevoir comme une preuve de l'ampleur des problèmes dénoncés. En effet, en exposant le quotidien des foyers représentés, elle inscrit l'existence de chaque personnage au sein d'un ensemble transcendant de sensibilités littéraires, où les combats individuels s'entrecoupent et les problèmes se partagent. Cela permet à l'auteure, souvent d'être entendue et aux revendications individuelles inscrites à l'oeuvre de gagner en puissance. 

La volonté de l'écrivaine de donner une voix à celles que l'on entend subordonne dans la société à travers le patriarcat est honorable et important. Cependant, il reste difficile de ne pas penser que seules les voix portant un message noir méritent d'être entendues. Cela semble positif dans la mesure où l'oeuvre littéraire diffuse des mots souvent bruyants. Le revers de cette médaille, à savoir le risque que cette diffusion donne l'impression que la souffrance est esthétique, doit cependant être pris en compte pour mieux empêcher cette souffrance de la femme de se perpétuer. Le dévoilement repose ainsi sur deux éléments fondamentaux. Démystifier la supériorité de l'homme et mettre la lumière sur certains évènements rendus tabou par le fait des traditions. Djaïli transgresse un tabou. Ce qui renvoie ainsi à deux réalités « la première consiste à choisir «l'action par dévoilement» et donc à dire le tabou pour le banaliser; la seconde, à imaginer une forme d'énonciation qui rompt avec les normes conventionnelles. » (Sanvee, 2000 : 183).

4.1.2. Une écriture du pathétique

Le Dictionnaire fondamental du français littéraire note que le terme « pathétique » vient du grec pathêtikos« dérivé de pathos : pathétique poussé jusqu'à l'exagération », qui est « relatif à la passion ». Selon Patrice Pavis, le pathétique est une « qualité du texte [...] provoquant une vive émotion ». C'est à dire c'est le « mode de réception » du texte littéraire provoquant la compassion du lecteur avec le récit. Par le pathétique, qui consiste à manifester ou provoquer une profonde émotion soit par la représentation du malheur ou de la souffrance.

Le pathétique, est l'un des éléments de l'esthétique tragique. Parce que le sentiment et l'affectivité du pathétique est un élément important de la tragédie. Comme le remarque Catherine Naugrette (2000 : 145), c'est « une nouvelle conception de l'oeuvre d'art, qui sanctionne le passage amorcé au XVIIe siècle d'une esthétique du plaisir à une esthétique du sentiment et du pathétique moralisant ».Le pathétique est ce qui, par l'expression du malheur ou de la souffrance, excite les passions et les émotions vives telles que tristesse, indignation, horreur, pitié, terreur.L'écriture dans Munyal. Les larmes de la patience et Walaandé. L'art de partager un mari est une mise en relation entre l'auteur, son imaginaire, son milieu de vie et un monde plus large qui se donne à lire via son entrée en résonnance avec une inspiration singulière.

Dans les deux romans, Djaïli Amadou Amal, dans un style simple et accessible à tous/toutes aux la romancière camerounaise fait une peinture sans complaisance, non seulement de la condition féminine dans le sahel islamisé du Nord du Cameroun, mais aussi une mise en exergue tant de la conception de l'amour et du mariage que des rapports hommes/femmes et femmes/femmes au sein des Saaré, sortes de concessions construites autour et par un homme polygame : le mâle dominant dans son harem. En bref, il s'agit de la mise en lumière de la souffrance de la femme.En effet, l'analyse revèle que la femme vit une situation précaire, caractérisée par une vie qui dépend de pesanteurs socioculturelles et religieuses. Celle-ci doit renoncer à son bonheur personnel dans la mesure où elle doit vivre et se sacrifier pour le bien-être du mari et de la famille. Cela revient à se faire belle de façon permanente pour son mari, à être coquette à chaque instant pour lui, à être souriante devant lui malgré ses propres problèmes, à se parfumer pour son plaisir, à ne pas le contrarier, à le respecter en toutes circonstances, à accepter la polygamie...

Bien plus, la femme dans les deux romans doit réussir à garder son mari et le rendre heureux . Un tel comportement fera honneur à sa famille qui se construira une excellente réputation dont l'acmé du mépris est la répudiation autorisée par l'islam. C'est à cette seule condition que la femme sahélienne et musulmane pourra « mettre son mari dans sa poche » et devenir la fierté de sa famille. De ce fait, la seule arme, mieux, la clé pour mériter cet amour sacrificiel est munyal, la patience. Le seul conseil que donne cette société du corpus à une jeune femme pour réussir ce parcours est : soit patiente et tout le reste te sera donné de surcroit (MLP : 7; 16; 68) (WAPM : 13; 37).

Toute sa vie, la femme est au service de l'homme et de la famille; qui en tirent du pouvoir et du bien-être au maximum. Le mari est bien entendu le grand gagnant. Il reçoit tous les honneurs, tous les plaisirs et toutes les attentions et rien ne lui est interdit en retour. Il peut, contrairement aux femmes, collectionner autant d'épouses que le lui permettent ses moyens (MLP : 140), il peut avoir des aventures extraconjugales et peut même être violent sur ses femmes ou les répudier car cela est pratiquement un droit, un privilège masculin, un droit que lui donne l'islam (WAPM : 69-70). La famille en profite aussi car sa réputation gagne à la fois des bonus grâce au munyal de la femme et des dividendes économicopolitiques et statutaires au cas où le mari à sa fille est un grand homme. À titre illustratif, Safira a été mariée de force à Alhadji Issa, le plus grand commerçant de la ville de Maroua (MLP : 36), un homme riche et important. Donner sa fille en mariage est donc un acte d'investissement dont le retour sur investissement pour le père et la grande famille est plus important que les sentiments de la femme, que les difficultés qu'elle peut vivre au sein du mariage polygamique.

En effet, ce que montrent les deux textes de Djaïli Amadou Amal est un ensemble de faits stylisés qui caractérisent la condition féminine. Les mariages forcés et précoces, l'arrêt brutal des études pour les jeunes filles ou leur absence totale (WAPM : 30; 35), les viols conjugaux, la violence physique, le danger de la répudiation, l'honneur à faire à sa famille en devenant « une bonne épouse », la polygamie et la recommandation d'être patiente et stoïque devant toutes les épreuves. C'est cela la condition féminine, un état du monde qui devient la normalité. Ce qui compte n'est pas qu'une fille ait des rêves mais qu'elle vive dans « la vraie vie » que met en place cette normalité. Les parents des filles, eux-mêmes issus de ce moule, préfèrent la sécurité de leur fille à l'amour de celle-ci pour un homme. Ils visent plus la sécurité de leur fille à sa liberté. Ils trouvent plus importants un choix collectif du mari à leur fille qu'un choix individuel d'un homme par leurs filles. Ils estiment plus porteur le mariage comme une alliance performante pour les familles par rapport au mariage d'amour : « le meilleur époux n'est pas celui qui chérit mais celui qui protège et qui est généreux » ; « l'amour n'existe pas avant le mariage » (MLP : 37); « dans un mariage on ne cherche pas que l'amour » ; « es-tu prête à sacrifier ta famille pour ton soi-disant bonheur ? » (MLP : 50), sont autant de répliques qui anéantissent et étouffent les velléités contestataires de Ramla lorsqu'elle est obligée de se marier à Alhadji Issa, un riche homme de la place. Les parents de Ramla préfèrent cette école de la vie à « l'école du blanc » que veut poursuivre leur fille par ailleurs brillante et amoureuse d'un autre, l'étudiant Aminou.

En conséquence, les piliers de cette école de la vie sont le saaré, concession familiale où règne le baba3(*) et la dada-saaré. Les récits fédérateurs de cet univers instable où les rapports femmes/femmes sont sournois, calculateurs et empreints de maraboutages réciproques de ses co-épouses et de son mari sont le coran qui recommande la soumission des épouses à leur époux, munyal, la patience dont doit s'armer chaque femme, et la coutume familiale dont la polygamie assure la continuité et le prestige.

Le corpus est aussi traversé par le conflit entre traditions (omniprésente d'Allah, de la famille élargie, des coutumes, des réciprocités, des parentèles, des solidarités, des marabouts) et modernité (besoin de liberté de Ramla, mercedes, bijoux, voyage en Europe, monnaies...). Il en résulte, comme dans L'aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, une société où le passage de la traditionnelle à la modernité s'avère difficile et marqué de plusieurs interrogations notamment sur « l'école des blancs ». Celle-ci, en reprogrammant Ramla et Safira, deux personnages phares du corpus, les déprogramme aussi par rapport au monde traditionnel. Ramla, ont besoin d'études, de choix individuels et de projets personnels de bonheur marquent les faiblesses du mode de vie traditionnel. Le lecteur est amené, en dehors des critiques de système traditionnel faites par Djaïli Amadou Amal, rendre sympathiser avec ces femmes sahéliennes anonymes dont la preuve de la force titanesque d'esprit est de s'être sacrifiées pour permettre à la romancière camerounaise de naître, de grandir et de devenir ce qu'elle est devenue. Ce sont peut-être elles les vraies héroïnes à mettre en avant.

4.1.3. Une écriture du tragique

Le tragique est le caractère de ce qui est funeste, alarmant ou attaché à la tragédie. Un personnage tragique semble soumis au destin, à la fatalité; il est emporté par ses passions ou subit un conflit intérieur proche de la folie. Le registre tragique est proche du registre pathétique parce qu'ils suscitent l'un et l'autre la pitié, mais il s'en distingue par le caractère terrifiant des situations dans lesquelles se trouvent les personnages. Ainsi, dans un roman par exemple, un personnage dont le destin est irrémédiable, souvent funeste. Une autre caractéristique d'une « fin tragique » peut être la mort du personnage dans d'atroces souffrances.

Que ce soit l'une ou l'autre des situations expliquées ci-dessus, elles se retrouvent représentées dans les deux romans de Djaïli Amadou Amal. En effet, dans Munyal. Les larmes de la patience, le personnage de Hindou est victime de ses malheurs. Elle est d'une manière générale responsable de ceux-ci. D'après Paul Ricoeur, « dans la tragédie, le héros tombe en faute comme il tombe en existence ». De fait, le personnage/Héros tragique est rarement innocent. Même s'il l'est, il demeure coupable de vivre. Le tragique repose souvent sur une tension entre une norme (tradition) et une transgression (une faute). Pour le cas précis, la faute de Hindou provient de ce qu'elle veut s'affranchir de son époux, du mariage, de son foyer conjugal. Ce qui lui est imposé par sa famille et ses parents, dignes représentants des lois traditionnelles. Or, elle est sans cesse poussée par sa volonté de reconquérir sa liberté. Ce qui constitue donc la faute. Il y a donc tension entre ces deux pôles : se conformer ou s'affranchir. Son malheur vient de là.

Ainsi, se déchaînent contre le personnage une série d'évènements. Le premier élément qui pèse sur Hindou résulte d'un châtiment que Moubarak lui inflige en réparation ou en expiation d'une faute : « Espèce de petite peste ! Tu m'as mordu mais tu verras. Tu ne perds rien pour attendre. » En fait, selon les propos du personnage de Hindou, son cousin Moubarak aurait voulu abuser d'elle. Cette dernière, en se défendant, par un coup de hasard, l'a mordu. Cette « faute », considérée comme un affront par son cousin, scelle son destin. Elle subira les conséquences dans le mariage. Arrivée dans le foyer conjugal, Hindou en rajoute à sa faute : elle défie l'autorité familiale, car elle fugue, tentant de s'échapper aux violences répétées de son cousin époux. Pour elle, « le jour où j'ai déserté la maison conjugale, sans destination précise, je n'avais guère imaginé les conséquences de ma fugue ni pour moi et encore moins pour le reste de la famille. » (MLP : 132)

Le personnage a provoqué les foudres de la société et l'a défiée avec son comportement. Le père, irrité par ce comportement, est décidé à lui faire subir un sort funeste : « je vais te tuer ». À sa manière, il la punit. Elle va subir une violence inouïe, qu'elle ne reconnaissait pas à son géniteur. À présent, Diddi, la mère de Hindoua l'esprit plein de remords et de culpabilité, croyant que ce malheur est de sa faute et le fruit de son attitude envers sa fille.

L'expression du tragique dans les romans de Djaïli Amadou Amal recourt à une expression sobre, à même de retenir l'attention du lecteur sur la situation que vit le personnage féminin. C'est dire que le codage du rapport émotionnel est facilité par le recours à un style simplifié par l'auteure. Les mécanismes à l'oeuvre employés par l'écrivaine constituent un appât pour le lecteur par rapport à la souffrance, à la tragédie que vivent les personnages.La représentation des personnages impliqués dans la situation tragique (il y a ceux qui souffre; et ceux qui font souffrir) rendle récit captivant. La souffrance, qu'elle soit physique ou émotionnelle, augmente considérablement l'implication émotionnelle du lecteur. Ainsi, Walaandé. L'art de partager un mari foisonne de marques d'écriture de ceregistre que nous allons repérer et relever. À cause de l'état de Yasmine, les mariages furent repoussés. La jeune fille n'allait pas bien. [...] Hadja Aïssatou, les yeux rouges par manque de sommeil, égrenait sans cesse son chapelet. [...] Fayza, assise sur le lit de sa soeur, tenait sa main amaigrie et essuyait de temps à autre une larme discrète pour ne pas inquiéter la malade. Même Alhadji ne parvenait plus à cacher son inquiétude.  (WAPM : 120). Tous les personnages impliqués dans le récit, ressentent chacun à un degré variable, l'intensité de la situation tragique vers laquelle s'achemine la famille. À travers des expressions simples, elle prend de l'ampleur chez le lecteur. Il se sent concerné par la tragédie.

Une autre des structures de l'écriture tragique est le personnage ou héros tragique Barthes le définit comme : « l'enfermé qui ne peut sortir sans mourir » (Barthes, 1963 : 22). Dans Munyal. Les larmes de la patience, Yasmine est enfermée dans un espace tragique qui est clos (la concession de son père) et lorsqu'elle entreprend de quitter cet espace, c'est la mort qui la guette au détour. Ainsi, s'installe en elle une situation d'instabilité, de confrontation entre la volonté du père et ses propres choix. En outre l'instabilité et la division sont caractéristiques du héros tragique: il est un être instable et divisé, si bien que son amour et ses émotions sont instables : « il ne se débat pas entre le bien et le mal, il se débat c'est tout » (Barthes, 1963). Le héros tragique est proche d'un patient atteint par le dédoublement de la personnalité, en d'autre termes il est atteint par la scission du « je ». C'est pourquoi le monologue intérieur est si fréquent dans ces oeuvres tragiques. Car il est l'expression idéale de la division.

On revient à la mort tragique pour dire que le héros tragique cherche la mort et ce pour rompre une situation, et cette même volonté-même si elle ne se concrétise pas, elle est cependant considérée comme une mort. C'est la mort rupture qui peut être la conséquence d'une découverte d'une vérité tragique ou l'inacceptation d'une situation. Comme c'est le cas de Yasmine qui refuse son mariage. Dans toute oeuvre tragique la figure du père est omniprésente : le sort de tout personnage tragique, Hindou et Yasmine est étroitement lié à leurs pères. À ce propos et comme le souligne Barthes : « Il n'ya pas de tragédie où il ne soit réellement où virtuellement présent ». Les souffrances auxquelles les deux jeunes filles sont confrontées dans les romans ne sont que les résultats des fautes que leurs pères respectifs ont commises. Il faut aussi avouer que concernant les pères, le moins qu'on puisse dire c'est qu'ils ne sont pas des pères idéaux. Ils sont violents. En outre, c'est sont eu qui ont rendu Yasmine et Hindou malheureuses pour toujours et ce en choisissant pour elles leurs époux, qu'elles n'aiment pas.

4.2. Voies de libération de la gent féminine

Les premières décennies de la littérature africaine ont connu une occupation hégémonique de l'univers littéraire par les écrivains hommes. C'est ainsi que pendant cette période de temps qu'on peut qualifier de long, les écrivains hommes s'étaient arrogés le droit de parler des femmes en leurs termes phallocentriques et selon l'idéologie patriarcale. À quelques exceptions près (en l'occurrence Ousmane Sembène et Henri Lopès), les personnages féminins ont toujours occupé des places secondaires dans les oeuvres des romanciers. En tant que simples subalternes, leur présence se limitait à faire valoir l'omniprésence et l'omnipotence du ou des héros. En poésie, elles ne sont vues que de l'extérieur, et de manière exagérée.

Magnifiées pour ne pas dire mythifiées ou mystifiées dans leur rôle de mère, elles sont chantées pour leur abnégation, candeur, douceur et plus superficiellement encore, pour leur beauté. On peut se référer ici au célèbre poème du président Senghor : « Femme nue, femme noire ».La femme africaine contemporaine a un statut singulier. De la fille non scolarisée à la fille scolarisée, elle a su se servir de son éducation livresque pour embarquer dans le navire des intellectuels. Jadis, qui disait femme africaine disait besogneuse sans répit, astreinte à des travaux accablants à l'instar des labeurs champêtres et domestiques. Les années soixante-dix marquent l'avènement d'un jour radieux pour ces femmes au destin prédéterminé. La reconsidération du statut de la femme ayant favorisé la libéralisation de sa parole, lui a permis non seulement de parler de sa condition face aux injustices commises par le système patriarcal à son égard, mais aussi de se poser avec une certaine sagacité un regard critique sur les problèmes économico-politique, pour pouvoir s'ériger en productrice de civilisation.

Djaïli Amadou Amal par sa littérature, applique à la lettre l'exhortation des femmes africaines à opérer positivement des changements à leur endroit. Dans son essai sur « la fonction politique des littératures africaines », Mariama Bâ écrit : «c'est à nous, femmes de prendre notre destin en main pour bouleverser l'ordre établi à notre détriment et ne point le subir. Nous devons user comme les hommes de cette arme qu'est l'écriture ». Par l'expression « comme les hommes », Bâ invite ses consoeurs à se mettre au même pied d'égalité que les hommes. Cette égalité ne se situe que sur le plan intellectuel afin de mieux parler de ses ressentiments. ». Allant dans ce sens, Joseph Ndinda dira que « les premiers discours littéraires féminins sont en réalité des contre-discours venant invalider l'image de la femme qui surgit de la plume des écrivains africains des périodes avant et immédiatement après les indépendances » (Ndinda, 2000 : 28). Nul ne connaît mieux la femme et les conditions dans lesquelles elle vit que la femme, donc, nul ne peut mieux parler de la femme et de son existence que la femme.

4.2.1. La recherche de soi

La recherche de soi ou la construction de l'identité féminine se passe de façon endogène par rapport à ce qui est féminin en premier lieu, par rapport à son corps. Dans cette perspective de non différenciation, la construction identitaire paraît plus difficile pour la femme, qui doit, d'après Paré &Zouyané (2022), suivre une voie plus tortueuse : elle doit devenir elle-même ce qui était d'abord l'objet de son (premier) amour. Elle doit achever son autoréalisation en devenant l'autre terme de sa première relation. Pour mieux comprendre les mécanismes de la recherche de soi féminin, il faut observer les différentes façons d'être des personnages féminins dans l'univers romanesque, au sein d'une société dont les lois lui sont hostiles. Il faut penser l'infinie diversité des situations existantes (et qui échappe à toute tentative de définition réelle) au regard de la société, ici, peule. Il faut donc appréhender les enjeux de la transformation de la femme, analyser tout ce qui détermine le comportement des personnages, comprendre ce qui les oblige à tenir un rôle dans la société, « conformément à la culture et aux impératifs sociaux ».

Les romans de Djaïli Amadou Amal traitent de la transformation intérieure de la femme. Dans Walaandé. L'art de partager un mari, le récit montre une transformation progressive des personnages féminins. Cette métamorphose est en rapport avec leur corps. En effet, Sakina et Nafissa, deux épouses d'AlhadjiOumarou, se sont sacrifiées au nom de la loi conjugale et la volonté de l''époux. Elles ont donné naissance à plusieurs enfants. Ce qui n'est pas sans incidence sur leur physique. À peine la vingtaine entamée, elles ont l'air d'en avoir trente. Les multiples accouchements ont conduit à la dégradation de leurs corps. Ce qui les inquiète. Pour apporter une solution à cette situation, les deux jeunes femmes décident, au mépris de la tradition de suspendre les accouchements. Ceci passe par la prise des contraceptifs. C'est une pratique qui pourrait courroucer l'époux. Mais elles y tiennent. Elles tiennent à prendre le contrôle de leurs corps.

Le processus de construction identitaire est une interrogation constante de la littérature féminine africaine. Cette littérature représente les chemins possibles pour parvenir enfin à être « soi », c'est-à-dire, paradoxalement, pour « être autre ». Selon Paré Daouda (2022), la notion d'identité est inséparable de la notion d'altérité. La narration chez Djaïli rend compte de ce va-et-vient entre soi et altérité. En effet, la quête identitaire l'une des thématiques et elle fait référence à une différence ardemment souhaitée : Sakina et Nafissa souhaitent être différentes. Elles aspirent à une identité nouvelle désirée (un être au monde à inventer). Évidemment, la question de l'identité se fonde sur la relation conjugale et l'héritage transmis. Elle pose le paradoxe entre l'identique (et la reproduction du même, soit de l'épouse modèle) et la différence (et donc l'altérité ou encore de l'épouse affranchie des traditions). L'écrivaine interroge les modes d'élaboration de l'identité et en premier lieu, la relation à l'époux, comme support identificatoire primordial. Elle met en place des stratégies narratives pour dire la construction féminine. Pour se faire, elle dote les personnages de femme d'un état initial qui n'est pas figé (épouse modèle), puisqu'il va être amené à évoluer en même temps que l'intrigue et la trame narrative. Dès le départ, l'identité des personnages femme est indécise, comme un peu effacée derrière la tradition et la religion, mais toujours liée à l'époux.

La recherche de soi de la femme passe également par la reconquête de sa liberté ou son affranchissement de l'autorité masculine. En effet, mariées dès l'âge de douze ou treize ans, toutes les femmes d'AlhadjiOumarou sont durant leur vie « la chose » des hommes. Avant leurs mariages, elles sont sous l'autorité parentale. Ce qui s'est soldé par des mariages précoces et forcés. Dans le foyer conjugal, elles ont perdu toute autonomie. Elles doivent accoucher le nombre d'enfants souhaité par Alhadji. Leur mobilité reste cantonnée à l'univers familial. Le travail dans le service public ne fait plus partie de leurs projets. Bref, elles ne peuvent plus aspirer à une ambition. Pour être, les femmes du corpus disent la tradition. Pour devenir ou pour s'imaginer, les personnages de filles femmes envisagent d'abord la tradition (éducation traditionnelle transmise par la mère, respect de la volonté du père, soumission à l'époux). La femme devient une projection de la tradition. Dans la littérature produite par Djaïli Amadou Amal, les personnages féminins sont obligés de se tourner vers les personnages figures de la tradition pour tenter de trouver des repères de ce qui les attend, pour trouver leur « devenir » identitaire féminin. Et ce, quel que soit le lien qu'elles entretiennent avec les lois traditionnelles (qu'elles soient torturées (Hindou, Sakina, Nafissa) ou passionnées, plus tempérées (Djaïli, Hadja Aïssatou)... Que la femme se sente trop ou mal aimée par son époux).

Ainsi, face à cette situation qui est en grande partie inconfortable pour la femme, elles procèdent à la recherche de soi. C'est le cas de Nafissa dans Walaandé. L'art de partager un mari. En effet, après quelques années de mariage forcé, celle-ci se sent à l'étroit dans le foyer conjugal. Elle ne peut exprimer librement son amour dans un foyer polygamique et du fait du semteende, la retenue. Pour s'affranchir, elle demande le divorce :

-Je veux ma répudiation aussi.

Il ne répondit pas, continua son chemin. Elle insista :

-tu as répudié les deux autres ! Je demande aussi ma répudiation.

-Nafissa, ne me cherche pas ! En vérité, vous êtes toutes devenues folles ou quoi ?

-Je veux vraiment ma répudiation !

-D'accord tu l'auras ! je te répudie trois fois ! je te répudie, je te répudie, je te répudie. Tu es comme ma mère, ça te va ?

-Merci Alhadji ! (WAPM : 142).

Il est de coutume que l'homme demande et autorise le divorce. Or, dans cet extrait, c'est Nafissa qui demande à être répudiée. Elle harcelle à la limite son époux à cet effet. Elle a la situation en main. Elle a réussi à inverser la tendance.

Les deux romans de Djaïli analysés dans cette section racontent la construction identitaire féminine entre tradition et quête émancipatoire, à travers différentes personnalités singulières inscrites dans la trame narrative, c'est-à-dire obéissant à une logique puisqu'elles vont passer d'un état à un autre. En effet, les personnages femmes vont aller d'un état initial à un état final, grâce à un élément perturbateur entrainant des changements et des perturbations « mis en continuité à travers l'enchaînement des différentes séquences de l'intrigue » (Erman, 2006 : 10) permettant ainsi de dévoiler une vérité. Leur vérité et leur identité. À la fin des récits, les personnages femmes ont mue, comme traversés par une quête absolue d'émancipation et donc de construction autre que celle transmise par la tradition. Ainsi, elles sont, in fine, sujets de leur histoire c'est-à-dire qu'elles ne sont pas uniquement le produit de la logique narrative. « Leur humanité » reposerait à la fois sur leurs actions et sur leur manière d'être au monde, de le penser, de le réfléchir et de vivre leurs aspirations, leurs désirs. Leur possibilité d'exercer leur volonté propre.

4.2.2. Conscientisation des hommes et des femmes

Djaïli Amadou Amal est l'une des écrivaines qui jouent un rôle important dans l'émancipation de la femme africaine. On peut déduire à travers ses oeuvres que l'école est un moyen indispensable pour susciter la prise de conscience. Les femmes instruites mettent toujours en cause leur état et refusent la place à laquelle la société les relègue. Dans Walaandé. L'art de partager un mari, Sakina prouve à ses coépouses que les différentes interprétations du coran données par les hommes sont fausses. Elles visent à les conforter dans leurs positions dominantes au sein de la famille tout simplement. Les jeunes enfants des différentes familles représentés dans le corpus, des collégiens, se rebellent contre la décision prise unilatéralement par leurs parents de les marier, ceci est dû au mépris de leurs ambitions.

Djaïli Amadou Amal se sert également de sa plume pour créer des héroïnes qui, à travers les évènements prennent conscience de leur état et finissent par se révolter. Par exemple dans le roman ci-dessus cité, Hadja Aïssatouqui a toujours été taciturne et soumise durant ses deux décennies de mariage est devenue une révoltée par la force des souffrances et des mépris. Ses propos démontrent clairement sa prise de conscience et elle se révolte : « Cette fois, tu vas m'écouter, car j'en ai marre de tes bêtises. J'ai toujours tout supporté en silence. Tes mariages, tes répudiations, tes ordres. Tu détruis tout sur ton passage, tu te prends pour Allah ? » (WAPM : 141).

Les femmes dans Munyal. Les larmes de la patience font montre d'une prise de conscience assez claire de l'injustice, du manque d'équité et de la violence que charrient la polygamie et le masochisme masculin, tels qu'elles les vivent dans leurs foyers et autour d'elles. Il faut dire tout que cette prise de conscience s'est notamment manifestée par un acte qui récuse la tradition en même temps que la morale religieuse :

Je ne dis rien mais je soulevai juste mon corsage dénudant mon dos, dévoilant les grandes ecchymoses que l'on pouvait encore voir. Avec le temps, elles avaient pris une couleur plus foncée, ce qui arracha à ma mère un cri de stupeur.

-« Oh ! Hindou, avec quoi t'a-t-il fait ça ? Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?

- Qu'as-tu fait à Moubarak pour qu'il abatte sur toi une telle fureur ? fit froidement ma tante. Qu'Allah nous préserve. Franchement, toi et ton époux, vous vous valez. Pas la peine d'entrer dans vos histoires.

- Je ne veux plus patienter, criai-je, éclatant en sanglots. J'en ai assez. Je suis fatiguée d'endurer, j'ai essayé de supporter mais ce n'est plus possible. Je ne veux plus entendre patience encore. Ne me dites plus jamais munyal ! Plus jamais ce mot !

-Tu en as trop supporté, Hindou. Plus que ce que tu aurais dû peut-être, ajouta ma mère, me réconfortant alors que je sanglotais de plus belle.

-Tu expliqueras cela à ton époux, Amraou ! »conclut sèchement GoggoNenné en se tournant vers ma mère. (MLP : 115)

En effet, après s'être mariée, la jeune Hindou subit des violences conjugales. Malheureusement elle ne trouve de soutien ni de la part de la belle-famille encore moins de ses parents. Elle décide d'engager une lutte suicidaire pour sa libération. Elle fugue de son foyer conjugal. Or, jusque-là, ses parents n'ont pas pris conscient de la gravité de la situation de leur fille. Cette dernière décide de dévoiler finalement les marques de violence sur son corps. Ce qui enclenche une prise de conscience. Sa mère est d'autant plus révoltée qu'elle est entre contradiction flagrante avec les principes moraux de silence et de soumission qui sont censés être à son quotidien. Tel est le cadre dans lequel a pris corps sa prise de conscience sur la condition de vie conjugale de sa fille; tel est également le creuset dans lequel se sont forgées, sa révolte contenue, velléitaire contre l'oppression et l'asservissement de sa fille par la structure polygamique ainsi que sa détermination à combattre les abus de cette pratique, par tous les moyens dont elle peut disposer. Aussi n'a-t-elle pas craint, dans le légitime souci d'assumer pleinement son humanité, de subir la colère d'un père en courroux, en contestant ouvertement la violence dont fait preuve son gendre Moubarack à l'égard de Hindou. Le brutal soufflet reçu du père, blessé dans son amour propre de mâle omnipotent, contrarié dans ses prises de position pour la première fois, mais aussi dans son orgueil de maître absolu du domicile, humilié, voire bafoué par une contestation « féminine » à l'interne, loin de la réduire au silence et à la résignation, l'a davantage enhardie et galvanisée dans son désir de poursuivre la lutte pour plus de justice sociale et d'équité en faveur de sa fille.

La prise de conscience se réalise également du côté des personnages masculins. À la fois individuelle et collective, les hommes se rendent à l'évidence de leur faute et rectifie le tir. Ils comprennent désormais leur entière responsabilité dans la souffrance endurée par les femmes dans l'univers familial.

Toi aussi, je suis au courant de ton comportement. Fais attention à toi, Moubarak ! Ça ne te servira à rien de te comporter comme un voyou. On a appris que tu maltraites ton épouse, que tu te drogues et que tu bois. Ce n'est pas sensé. Au-delà du fait qu'elle est ton épouse, c'est quand même ta cousine, et tu lui dois protection. Que ce soit la dernière fois que j'apprends que tu l'as frappée. Quand on épouse une inconnue, on lui doit des égards. Quand on épouse un membre de sa famille, on lui en doit deux fois plus. Tu veux diviser la famille ou quoi ? Tu n'es pas innocent dans ce qui s'est passé. (MLP : 118)

Comme nous pouvons le constater dans cet extrait, les hommes prennent la défense de la gent féminine. Bien que profondément ancrés dans le patriarcat, ils avouent timidement leur responsabilité. Désormais, la jeune Hindou peut compter sur le soutien parental, face à son époux.

Notons aussi que la louange et la valorisation des femmes martyres occupe une place importante. Aissatou a sacrifié son mariage pour libérer ses coépouses et par ricochet, toutes les femmes qui, comme elles vivent dans l'étau de la polygamie. Yasmine a sacrifié sa vie pour libérer ses frères et soeur, et par la même occasion la nouvelle génèration de la communauté peule qui se trouve coincée entre les griffes de la tradition ; et qui les empêche de prendre l'envol, de s'assumer en tant qu élément du monde. C'est grâce à la mort de Yasmine que Mustapha, Fayza et Amadou octroient la capacité d'être eux même.

Somme toute, il faut retenir qu'en l'état actuel de la société représentée dans les deux romans, avec une forte prédominance du mode de vie traditionnelle, il n'est pas aisé pour la gent féminine de trouver une solution toute faite aux problèmes liés au patriarcat, bref la tradition. Dans les deux textes, les personnages féminins visent une société qui soit un modèle d'équilibre dynamique entre les solides valeurs traditionnelles qui ont fait leurs preuves et l'adaptation judicieuse aux réalités actuelles. La réalisation d'un tel objectif passe par une véritable reconversion des mentalités obtenue à travers des efforts significatifs de mis en scène des personnages et d'éducation de toute la société et des femmes en particulier.

4.2.3. Critique de la société patriarcale

La critique de la société qui transparaît dans le roman de Djaïli Amadou Amal s'inscrit dans le discours dominant et a l'effet d'en mettre à nu les suppositions traditionnelles avec acceptation des conséquences. Son écriture va à l'encontre des règles ancestrales qui tentent d'enfermer la femme dans les liens traditionnels du patriarcat, malgré la désapprobation, voire l'opposition de des personnages femmes, représentantes et garantes de la perpétuation des principes coutumiers dans la famille. Agissant presque seules contre tous, puisque ne bénéficiant ni de complicité, ni même de sympathie pour leurs causes, certaines femmes suivent de manière imperturbable la voie qu'elles se sont tracée, sans que cela n'altère, de façon significative, leur identité féminine.

D'emblée, on peut remarquer de part et d'autre une dénonciation de la mentalité rétrograde que possèdent les pères de famille comme Alhadji Issa et Oncle Hayatou dans Munyal ou AlhadjiOumarou et l'Imam de la mosquée dans Walaandé. Il semble que ces derniers aient tendance à s'appuyer sur des principes traditionnels et religieux qui s'apparentent de près à ceux d'un « régime liberticide ». Ces hommes sont des croyants qui détiennent une attitude particulièrement répressive à l'égard de leurs jeunes filles. Se dévouant à l'Islam, AlhadjiOumarou prend au pied de la lettre toutes règles que lui dicte le coran. Il les applique notamment dans ses manières d'éduquer et de châtier ses épouses et ses filles, puisque celles-ci s'avèrent assez strictes. En vérité, cet homme ne manque pas seulement de souplesse, mais peine également à comprendre la détresse vécue par sa concession. On dirait qu'il considère la période de l'adolescence telle une phase de perversion où séduction, envies sexuelles, éveil à la féminité et plaisir sont synonymes de provocation, voire de délits. Outre les regards condescendants et les reproches incessants que ce commerçant respectable manifeste à ses épouses, on perçoit son puritanisme lorsqu'elle apprend que l'une d'entre elles lui a adressé une parole qui ne rentre pas dans les règles de l'art.

De l'autre côté se présente Moubarak, jeune homme colérique et qui lui aussi ne cesse de réprimander sa cousine épouse Hindou pour ses moindres faits et gestes. Reclus dans une situation précaire du fait de ses multiples échecs dans les affaires, ce dernier vit au milieu des gens attachées aux valeurs traditionnelles et islamiques, mais ne les respecte aucunement. Il tient des discours conservateurs sur les droits et libertés des femmes en estimant que ces dernières ne sont utiles que pour servir, cuisiner, nettoyer et enfanter.

Le fil de lecturedes deux romans amène à lire dans le même temps des récits de viesde femmes peules racontant comment les personnages féminins bataillent pour échapper à un avenir de soumission totale promis par la tradition et la religion, pour accéder au droit la parole et, donc, à la dignité féminine. Les romans de Djaïli Amadou Amal rappellent bien, sans emphase, quelle énergie il a fallu hier et faut encore aujourd'hui à une jeune fille peule sahélienne pour s'extirper du sort commun promis par le patriarcat coutumier à toutes les femmes en Afrique : obéir et se taire.Forte de cette conviction, Djaïli se lance dans un projet de récit un peu « fou » : révéler l'intérieur de la culture peule,les procédés qui permettent aux hommes de maintenir en captivité la femme avec la complicité des religieux et des femmes même.

En somme, ce chapitre nous a permis, à partir des exploitations des indices textuels, d'entrer dans le cosmos idéologique de notre auteur. Le résultat de l'analyse textuelle montre que Djaili Amadou Amal est une écrivaine féministe. Cependant, elle ne se contente pas seulement de présenter la condition féminine. Elle attire l'attention de la gent féminine africaine en générale et peule en particulier sur un fait. Il revient à la femme en générale de forger son propre destin pour se libérer de la domination masculine si elle estime être sous leur emprise. Comme les épouses d'AlhadjiOumarou, les femmes doivent agir ensemble en synergie pour opérer le changement auxquels elles aspirent. Ce changement viendra de la femme elle-même.

Conclusion générale

L'écriture de la victimisation de la femme dans deux romans de Djaïli Amadou Amal a été explorée tout au long de cette recherche. La femme africaine en général et celle représentée dans le corpus vit une situation d'inconfort. Elle est oppressée de toute part, à la fois par la famille, l'époux, la belle famille. Bien plus, les lois régissant le fonctionnement de la société ou de la famille/foyer ne sont pas en sa faveur. Elle nage dans un tourbillon de règles qui la maintienne en état de captivité. L'objectif était donc de faire voir la situation de sujétion de la gent féminine en ce qui concerne son statut, son rôle et ses conditions de vie dans la société représentée dans l'univers romanesque. En outre, l'état de personnage victime devrait être analysé afin de ressortir les sources, ou les faits qui sont le soubassement du statut de dominée de la femme. Étant donné que des prédispositions sont établies pour la domination, les personnages hommes emploient des moyens mis à leur disposition pour l'effectivité de la subordination. Cette analyse s'est attelée à comprendre ces procédés usités dans le but de maintenir la gent féminine sous le joug de l'homme. Ce qui n'est pas sans conséquence pour elle. Dans son statut de sujet, la femme subit un certain nombre de pratiques qui arrivent à la métamorphoser à la fois psychologiquement et physiquement. L'aspect idéologique de l'écriture de Djaïli n'est pas passé inaperçu. Il a fait partie de l'objectif de cette analyse.

Le cadre théorique dans lequel s'inscrit cette recherche est la Sociocritique telle que théorisée par Claude Duchet. En effet, le recours à la sociocritique était indispensable tout au long du travail, parce qu'elle nous permet de mettre en évidence les différents aspects de tradition dans les écritures romanesques francophones que seule l'analyse littéraire ne peut pas élucider. Cette méthode d'analyse propose une lecture sociohistorique du texte. Selon lui, l'approche sociocritique tente de construire « une poétique de la société, inséparable d'une lecture de l'idéologique dans sa spécificité textuelle » (Duchet, 1971 : 6). En fait, la méthode sociocritique a permis de s'intéresser à ce que le texte signifie, et aussi à ce qu'il transcrit, c'est-à-dire à ses modalités d'intégrer l'histoire au niveau du contenu aussi bien que la forme. Aussi elle s'est avérée efficace et importante pour l'analyse du corpus pour plusieurs raisons ainsi : L'auteure s'est fortement inspirée de la société et de ses faits et pratiques projetés dans la peinture du monde de fiction. De plus, il a été important d'utiliser la méthode sociocritique, car les heurts de la supériorité de l'homme à la femme retombent sur un échantillon des individus faisant partie de la société d'où tous les gens en sont sensibles. Ensuite, la domination masculine dans les sociétés africaines, c'est-à-dire la patriarchie, semble être source d'inspiration pour l'auteure. Ainsi, l'on a étudié l'organisation sociale, politique et économique, tant au niveau des normes que des pratiques en rapport avec la victimisation de la femme.

L'on s'est attelé dans le premier chapitre à étudier les sources de la victimisation dans les deux oeuvres du corpus. En effet, l'imaginaire du peuple représenté dans l'univers littéraire est l'élément duquel la subordination de la femme à l'homme est tramée. S'appuyant sur les croyances et les principes religieux, en l'occurrence l'Islam, les personnages homme font une interprétation subjective de ces éléments. Ils en détournent les sens afin de se placer au-dessus de la gent féminine. Certains préjugés calqués sur l'image de la femme que se représentent les peuples font partie des arguments avancés pour pérenniser la maltraitance. Aussi, la femme, du moment où elle n'a pas droit à la parole, elle ne bénéficie pas non plus de la scolarisation. L'absence de l'éducation scolaire chez la jeune femme ne lui permet pas de réclamer ses droits, encore moins de comprendre les fourberies de l'homme qui n'ont pour seul justificatif que l'affirmation de sa masculinité. Pour ce qui est des traditions, la société peule, source de création pour l'auteur, s'exprime à travers le corpus par des principes liés au patriarcat. La femme se doit de se conformer à ces règles qui sont extériorisés par le pulaaku. Ce principe qui repose sur la patience et la retenu. Ainsi, face aux vicissitudes de la vie au foyer, il est imposé à la femme de patienter, de faire preuve de retenu.

Pour ce qui est des moyens employés par les personnages hommes pour assujettir la femme, ils sont entre autre le mariage forcé, la répudiation, l'éducation discriminatoire, la dépersonnalisation de la femme, la femme muselée. Ainsi, toute femme qui s'écarte des principes du pulaaku ou qui tenterait de se soustraire de l'autorité masculine se voit mariée ou répudiée sans qu'elle n'ait à justifier son attitude. Au-delà, elle est violentée et violée sous prétexte qu'elle appartient, selon l'islam ou la tradition peule à l'homme.La victimisation n'est pas sans conséquence pour les personnages qui prennent part au forfait. Lorsque le patriarcat s'abat avec toute sa rigueur sur la gent féminine, elle manifeste des troubles psychologiques, la famille se disloque, le personnage peut même perdre la vie.

L'écriture de Djaïli Amadou Amal, à travers ses deux romans étudiés, a une forte teneur idéologique. En effet, engagée pour la cause de la femme du sahel, sa production littéraire permet une prise de conscience à la fois des hommes et des femmes. À cet effet, le parcours des personnages jonchés de changements d'attitudes et de regrets permet aux lecteurs de prendre conscience de la situation précaire de la femme. L'auteure véhicule des messages à travers les situations que traversent les femmes et les hommes. D'aucuns regrettent les actes de violence posés à l'égard de la femme, d'autres se révoltent contre le système en place et les hommes.

La recherche a révélé que la domination de l'homme se perpétue. Le patriarcat et la religion donnent la liberté à l'homme de dominer et d'opprimer la femme. Par le biais du sacrée coutume et tradition, l'homme réussi à faire accepter à la femme la mentalité d'infériorité. Par conséquent, la femme, celle représentée dans les deux romans, par rapport à l'homme, est placée à l'arrière-plan de la société. Elle accepte d'accomplir des rôles qui lui sont attribués par la société : une épouse, une procréatrice, une mère, une éducatrice de la formation précoce et un modèle de femme. Elle n'a pas de droits à être écoutée et reconnue. Elle n'a le droit de prendre des décisions dans sa famille et chez le mari même pour les affaires du mariage qui la concernent. Au cours de l'époque coloniale, le statut de la plupart des femmes africaines restait encore inférieur et n'a guère changé de meilleur, en dépit de l'introduction des valeurs occidentales dans la société africaine.

Au fil du récit, certains personnages féminins ont acquis de l'expérience et sont excédées par les agissements des hommes. Ce qui a soulevé chez elles la prise de conscience de leur situation d'opprimées. N'acceptant pas d'être opprimée et exploitée, la femme a eu recours à la révolte pour se libérer du système traditionnel et patriarcal. De nos analyses, il est clair qu'il y a plusieurs formes de révolte par lesquelles les femmes démontrent leur mécontentement de toutes formes de l'oppression contre les hommes. La révolte se manifeste par le biais de rejet, de refus, de réaction, de discours insolent, de mauvais comportement, de libre emploi du corps incluant, pour ne mentionner que ceux-là. Toutes ces formes de révolte sont bien articulées par notre auteure dont les oeuvres ont été explorées dans notre travail. Suite à la révolte, la femme évolue, de la femme ménagère, docile, soumise et passive à celle émancipée. Les personnages femmes ont découvert que leur aliénation par l'homme passe par l'emploi de la tradition et la religion comme mécanismes de l'aliénation. Elles ont compris que le phénomène du mariage comme un système où la femme n'a pas le droit de décision car, elle est contrainte à épouser un homme pour qui le sentiment le plus intime n'est jamais apparu pour parler d'amour. L'imposition d'époux à la femme (mariage forcé) par les familles les réduit au champ minimal de la liberté d'expression dont l'idéal aurait voulu qu'elle puisse donner son assentiment tout comme l'homme. La femme voit alors ce qui peut être le droit à son égard s'envoler comme si de rien n'était.

Bibliographie

Corpus

Amadou Amal, Djaili. Walaande. L'art de partager un mari. Yaoundé :Ifrikiya, 2010.

AmadouAmal, Djaili. Munyal. Les larmes de la patience. Yaoundé : Proximité, 2017.

Autres oeuvres de l'auteur

AmadouAmal, Djaili.Mistiriijo. La mangeused'âmes. Yaoundé :Ifrikiya, 2013.

Amadou Amal, Djaili.Les impatientes. Paris : Emmanuel Collas, 2020.

Amadou Amal, Djaili. Coeur du sahel. Paris : Emmanuel Collas, 2022.

Ouvrages généraux sur la littérature africaine

Amossy, Ruth &Herschberg, Pierrot-Anne. Stéréotypes et clichés: Langues, discours et société. Paris : Armand Colin, 2021.

Barthes Roland, Sur Racine.Paris : Seuil ,1963.

Dili Palaï, Clément. Oralité africaine. Enjeux contemporains d'une métamorphose. Yaoundé : Clé, 2015.

Erman, Michel. La Poétique du personnage de roman. Paris : Ellipses, 2006.

Kesteloot, Liliane. Histoire de la littérature nègre africaine. Paris : Karthala, 2001.

Milolo, Kembe. L'image de la femme chez les romancières de l'Afrique noire francophone. Fribourg : Éditions Universitaires Fribourg Suisse, 1986.

Mansour Fahmy.La condition de la femme dans l'islam. Paris : Allia, 2021.

Daouda, Paré &Zouyané, Gilbert, (Dir), L'identité en question : de la quête de soi à la rencontre de l'autre, Yaoundé, Dinimber et Larimber, 2020.

Perrot, Michelle. Les femmes ou les silences de l'histoire.Paris: Flammarion, 1998.

Pierre Brunel et al dans Qu'est-ce que la littérature comparée ? Paris, Armand Colin,1983 :151.

Rahman, Afzular. Role ofMuslim Woman in Society.London :Seerah Foundation, 1986.

Sédar, Senghor,Léopold. Chants d'ombre. Paris: Seuil, 1948.

Ouvrages critiques, théoriques et méthodologiques

Amabiamina, Flora. Femmes, parole et espace public au Cameroun. Analyse de textes des littératures écrite et populaire. Bruxelles : PIE Peter Lang, 2017.

Amossy, Ruth ; Herschberg, Pierrot. Stéréotype et clichés. Paris : Armand Colin, 2014-2015.

Barthes, Roland; Wolfgang Kayser; Booth, Wayne, Hamon, Philippe. Poétique du récit. Paris : Seuil,1977, Collection « Points ».

Beaud, Michel. L'Art de la thèse, comment préparer et rédiger un mémoire de master, une thèse de doctorat ou tout autre travail universitaire à l'ère du net. Paris : La Découverte, 2003.

Beauvoir, Simone De. Le deuxième sexe. Tome I. Paris : Gallimard, 1979.

Beauvoir, Simone De.Le deuxième sexe. Tome II. Paris :Gallimard, 1979.

Bourget, Carine.Coran et tradition islamiquedans la littérature magrébine . Paris : Karthala, 2002.

Bokiba, André-Patient. Écriture et identité dans la littérature africaine. Paris : L'Harmattan, 1998.

Bourdieu, Pierre. La domination masculine. Paris : Seuil, 2002.

Ndinda, Joseph, Révolutions et femmes en révolution dans le
roman africain francophone au sud du Sahara
, Paris :L'Harmattan, 2002.

Duchet. Claude. Sociocritique. Paris : Fernand Nathan, 1979.

Dugas, Ludovic.Moutier, Fouchey .La dépersonnalisation .Paris : Felix Alcan, 1911.

Genette, Gérard. Figures II. Paris : Seuil, 1969.

Hamon, Philippe. Pour un statut sémiologue du personnage. Paris : Seuil, 1977.

Mémoires

Darifou, Doudou. La représentation des valeurs culturelles peules dans Walaande, l'art de partager un mari et Munyal, les larmes de la patience de Djaïli Amadou Amal. Mémoire de Master en Littérature africaine. Université de Maroua, 2019.

Nalao Jacqueline et Atsol Me Zouna, Pracède. L'Imaginaire peul dans mistirijo, la mangeuse d'âmes de Djaïli Amadou Amal. Mémoire de DIPES II, ENS de Maroua, 2016.

PountunyinyiMache, Henriette. Discours féminin, discours féministe dans Walaande, l'art de partager un mari de Djaïli Amadou Amal et Malinda, l'amour sur fond de rêve brisé de Camille NkoaAtenga. Mémoire de Master en Littérature africaine, ENS de Maroua, 2011.

Articles

Amabiamina, Flora. « Dati et Bonono ou écriture féminine camerounaie aux confins d'Eros et de Bacchus ».In : Kaliao, Vol.1 ? Numéro 2, décembre 2009 pp181-195.

BekoloBekolo, Pascal. « Féminiture, Négritude : sexe, couleur, oppression et littérature », Annales de la FALSH de l'Université de Ngaoundéré, Vol. II, 1997, pp. 91-104.

Collin, Françoise et Laborie, Françoise, « Maternité » in Hirata, Helena et al. (sous la direction de). Dictionnaire critique du féminisme. Paris : Presses Universitaire de France, 2004. pp. 109-114.

Dili Palaï, Clément, « Du dysfonctionnement de l'espace urbain dans le Diamant maudit de Dahirou Yaya ». In :Dili Palaï, Clément et Daouda Paré. Littératures et déchirures. Paris : L'Harmattan, 2008. pp. 165-178.

KalbeYamo, Théophile, « Quand la femme du Nord-Cameroun prend la parole : voix féminines et voies féministes dans les oeuvres de Djaili Amadou Amal, Fidèle Djebba et Elisabeth Yaoudam ». In :Rhumsiki, Hors-série numéro 2, Des savoirs locaux en Afrique, 2018, pp. 177-192.

Larivaille, Paul, « L'analyse morphologique de récit », in Poétique, n°19, 1974.

Martinek, Claudia, « La figure de la femme nouvelle dans la littérature camerounaise contemporaine : La tache de sang et Sous la cendre le feu ». In :Fandio, Pierre et Madini, Mongi(sous la direction de). Figures de l'histoire et imaginaire au Cameroun. Paris : L'Harmattan, 2007. pp. 171-182.

Mvogo, Faustin et Akono, Edgard Claude,«Voix de femmes, voix des libertés ».In : Le Printemps arabe. Paris : L'Harmattan, 2012. pp. 25-57.

Mvogo, Faustin, « Espaces de domination masculine et son intériorisation dans Le Voile mis à nu de Badia Hadj Nasser et La Nuit sacrée de Tahar Ben Jelloun ». In Kaliao, Volume 2, numéro 3, mars 2010, pp. 125-141.

Ndinda, Joseph, « Femmes africaines en littérature : aperçu panoramique et diachronique ». In : Palabres, Volume 3, numéro 1 & 2, avril 2000, pp. 25-33.

Nnomo, Marceline, « Les modalités de la rébellion du féminin dans la réécriture de l'histoire chez CalixtheBeyala ». InFandio, Pierre et Madini, Mongi (sous la direction de). Figures de l'histoire et imaginaire au Cameroun. Paris : L'Harmattan, 2007. pp. 163-170.

Oumar Guedalla,« Des oppositions au tragique : une analyse des sociétés peules dans l'oeuvre de Djiali Amadou Amal » in Discourspolémiques et aspects de l'incisif dans les littératures africaines,L'Harmattan, 2019. PP .87-95.

Tanyi-Tang, Anne. « Women, Education and Power in Victor ElameMusinga'sNjema », Kaliao, Revue pluridisciplinaire de l'Ecole Normale Supérieure de Maroua, Série Lettres et sciences humaines, Vol.1, N°1, 2009, pp. 215-227. 

Sony LabouTansi cité in Revue Equateur, n°1, Octobre-Novembre, 1986 .

Webographie

Amossy, Ruth ; Duchet Claude. « Entretien avec Claude Duchet » in Littérature, numéro 140, 2005 «  Analyse du discours et Sociocritique ». P :132.http://www. Persée. fr/doc/litt-0047-4800-2005-num-140, consulté le 12/02/2020.

Batia, Yolande. « L'écriture du non-voilement chez les romancières francophones de l'Afrique au sud du Sahara » (2018). Electronic Thesis and Dissertation Repository. 5567. https://ir.lib.uwo.ca/etd/5567. Consulté le 12 avril 2022 .

Dagorn de Goïtisolo, Johanna. « les trois vagues féministes : une construction sociale ancrée dans une histoire » [en ligne]. Url : http://hal.archives-ouvertes.fr, consulté le 06 juin 2021.

Duchet, Claude. « Une écriture de la socialité » in Poétique N°16, 1973, pp.446-454.

Duchet, Claude. « Pour une sociocritique ou variation sur un incipit » in Littérature N°1, 1971 [En ligne] Url : www.Persee.fr/doc/litt-0047-4800-1971-1-2495, Consulté le 06-02-2018.

EkoMba, Fabrice. La représentation de l'intellectuel africain dans le roman africain francophone de 1950 à nos jours : du prométhéisme au repli narcissique. [En ligne] Url : https : //www.theses.fr/220063117, consulté le 03 aout 2020.

Siwoku-Awi: « Le Mariage Et La Dot Dans Les OEuvres De BuchiEmecheta Et De CalixtheBeyala », UJAH, Vol. 20, No 2, 2019, pp. 149-167, http://dx.doi./org/10.4314/ujah.v20i2.8 consulté le 12 Avril 2022.

Yaoudam, Elisabeth. La femme dans les contes et chants Mafa : discours et considérations sociales. Université de Ngaoundéré, DEA, 2006. [En ligne] httpps://codesria. Org, consulté le 09 février 2019.

Ouvrages de référence et Dictionnaires

Aron, Paul et al. Le Dictionnaire du littéraire. PUF, 2002.

Dictionnaire Le petit Larousse illustré. Paris : PUF, 2000.

Forest, Philippe etConio, Gérard. Dictionnaire fondamental du français littéraire, Paris : Pierre Bordas et Fils, 1993.

Laffont, Robert. Dictionnaire encyclopédique de la littérature française, Paris : Bompiani et Editions S.A., 1999.

Le Coran

Tamine Gardes, Marie-Joëlle et al. Le Dictionnaire de critique littéraire. Paris : Armand Colin, 2004.

Table des matières

Remerciements ii

Liste des abréviations iv

Résumé/Abstract v

Introduction générale 1

Chapitre 1. Les sources de victimisation de la femme dans Walaandé. L'art de partager un mari et Munyal. Les larmes de la patience 12

1.1. Les croyances et les textes sacrés 13

1.1.1. Les préjugés et clichés sur le personnage féminin 13

1.1.2. L'illettrisme et le mutisme complice de la femme et de la société 19

1.1.3. L'interprétation subjective des versets coraniques 25

1.2. L'imposition du respect et des lois de la société peule à la femme 28

1.2.1. Le pulaaku 30

1.2.2. Le munyal 33

1.2.3. Le semteendé 36

1.2.4. L'éducation traditionnelle de la femme 38

1.2.5. La polygamie 43

Chapitre 2. Les modes et techniques de sujétion de la femme dans le corpus 47

2.1. L'éducation discriminatoire 47

2.1.1. Le mariage forcé 51

2.1.2. La répudiation 56

2.1.3. La souffrance 59

2.2. La dépersonnalisation de la femme 62

2.2.1. La femme battue et meurtrie, abusée et violée 65

2.2.2. La femme muselée 68

Chapitre 3. Walaandé . L'art de partager un mari et Munyal. Les larmes de la patience : une écriture de la dérive 74

3.1. L'impact de la victimisation 74

3.1.1 La dégénération de la famille 74

3.1.2. Les troubles psychologiques 78

3.1.3. De l'atmosphère funeste à la mort 83

3.2. L'influence de la culture dans le foyer 86

3.2.1. Le poids de la culture peule 87

3.2.2. L'image de la polygamie et de la procréation 91

Chapitre 4. La portée heuristique de l'écriture de Djaïli Amadou Amal 95

4.1. L'originalité scripturale de l'auteure 95

4.1.1. Une écriture du dévoilement 96

4.1.2. Une écriture du pathétique 99

4.1.3. Une écriture du tragique 103

4.2. Voies de libération de la gent féminine 106

4.2.1. La recherche de soi 108

4.2.2. Conscientisation des hommes et des femmes 112

4.2.3. Critique de la société patriarcale 115

Conclusion générale 118

Bibliographie 122

* 1PountunyinyiMache fait appel au travail de Pierre Brunel et al dans Qu'est-ce que la littérature comparée ? (1983 :151) pour illustrer sa pensée.

* 2Première épouse régente et administratrice du saaré

* 3Père, chef de famille






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand