Université de Maroua The University of
Maroua
Faculté des Arts, Lettres et Sciences
Humaines
******
Département de Langues,
Littératures et Cultures Africaines
Faculty of Arts, Letters and Social
Sciences
********
Department of African Languages, Literatures and
Cultures
LA VICTIMISATION DU PERSONNAGE FÉMININ DANS
WALAANDÉ . L'ART DE PARTAGER UN MARI ET MUNYAL. LES LARMES DE LA
PATIENCE DE DJAÏLI AMADOU AMAL
Mémoire présenté en vue de l'obtention
d'un Master en littérature afriçaine
Spécialité : Littérature africaine
Option : Littérature écrite
par
Germaine
DangaMouda
Licencié ès lettres
13D2151FL
Sous la direction de
M. Clément Dili Palaï
Professeur
Année
académique 2021-2022
À
Ma famille
Remerciements
Nos remerciements vont d'abord à l'endroit de notre
Directeur de mémoire, le Professeur Clément Dili Palaï, pour
avoir consenti, en dépit des nombreuses occupations qui sont les
siennes, à nous prendre sous sa direction. Sa rigueur dans le travail
nous a permis de donner le meilleur de nous-même.
Ensuite, nous exprimons notre gratitude à tous les
enseignants du Département de Langues, Littératures et Cultures
Africaines de l'Université de Maroua, et plus spécialement au Pr
Théophile KalbeYamo, pour ses conseils.
Enfin, nous remercionsDr Lucien BintiNgoute, Dr Oumar
Guedalla, Dr Abraham Soussia pour leurs conseils, orientations et
encouragements et le Dr BirweGodwepour la relecture de ce travail.
Que toute personne qui nous a aidés de près ou
de loin trouve ici l'expression de ma profonde gratitude et ma
reconnaissance.
Sommaire
Remerciements
ii
Liste des abréviations
iv
Résumé/Abstract
v
Introduction générale
1
Chapitre 1. Les sources de victimisation de
la femme dans le corpus
12
1.1. Les croyances et les textes sacrés
13
1.2. L'imposition du respect et des lois de la
société peule à la femme......
28
Chapitre 2. Les modes et techniques de
sujétion de la femme
47
2.1. L'éducation discriminatoire
47
2.2. La dépersonnalisation de la femme
62
Chapitre 3. Walaandé .
L'art de partager un mari et Munyal. Les larmes de la
patience : une écriture de la dérive
74
3.1. L'impact de la victimisation
74
3.2. L'influence de la culture dans le foyer
86
Chapitre 4. La portée heuristique de
l'écriture de Djaïli Amadou Amal.
95
4.1. L'originalité scripturale de
l'auteure
95
4.2. Voies de libération de la femme
106
Conclusion générale
118
Bibliographie
122
Liste des abréviations
WAPM : Walaandé. L'art de partager un mari
MLP: Munyal. Les larmes de la patience
Résumé
La victimisation du personnage féminin
dansWalaandé. L'art de partager un mariet Munyal. Les
larmes de la patience de Djaïli Amadou Amal constituent le point
d'ancrage de cette étude. Les deux romans décrivent une
société africaine et les obstacles qui existent pour les femmes.
L'objectif de cette recherche est d'écrire les procédés
d'inscription de la femme victime dans les récits. Pour mieux orienter
cette analyse, la problématique suivante a été
formulée : Comment la victimisation de la femme se manifeste-t-elle
dans l'oeuvre de Djaïli Amadou Amal ? La Sociocritique, telle que
théorisée par Claude Duchet, permet de relever les multiples
formes de l'assujettissement de la femme dans la société du texte
ainsi que l'originalité scripturale de l'auteure. Ainsi, il ressort de
cette recherche que la victimisation de la femme s'appuie sur des arguments
d'ordre religieux et coutumier. Face à cette situation, l'auteure
suggère la voie à suivre pour une émancipation de la femme
du Sahel.Il s'agit du dévoilement des pratiques patriarcales, de la
critique de la société, de la prise de conscience des femmes et
des hommes à travers les modulations de l'action romanesque.
Mots clés : Littérature,
victimisation, personnage féminin, sujétion, sociocritique.
Abstract
The victimization of the female character in
Walaandé. L'art de partager un mari and Munyal. Les larmes
de la patience byDjaïliAmadouAmal constitute the anchor point of this
study. Both novels describe an African society and the barriers that exist for
women. The objective of this research is to write the processes of inclusion of
the female victim in the stories.To better guide this analysis, the following
problem has been formulated: How does the victimization of women manifest
itself in the book of DjaïliAmadouAmal? Sociocriticism, as theorized by
Claude Duchet, makes it possible to identify the multiple forms of the
subjugation of women in the society of the text as well as the scriptural
originality of the author. Thus, it emerges from this research that the
victimization of women is based on religious and customary arguments. Faced
with this situation, the author suggests the way forward for the emancipation
of women in the Sahel. The aim is to unveil the patriarchal practices,
criticize society, sensitise women and men through modulations of the
novelistic action.
Keywords:Literature, victimization,
femalecharacter, subjection, sociocriticism.
Introduction générale
La littérature renvoie de façon
générale à l'ensemble des productions littéraires
d'un pays, d'une époque, d'un genre. Ainsi, selon Alain Viala, la
littérature désigne en son sens premier l'ensemble des textes et,
en un sens associé les savoirs dont ils sont porteurs. Cette acception
fut longtemps dominante en français. Le sens moderne renvoie à
l'ensemble des textes ayant une visée esthétique ou, en d'autres
termes, à l'art verbal. Pour ce dernier, la littérature est
perçue comme l'ensemble des écrits caractérisés par
un fond et une forme, c'est-à-dire porteurs de sens et ayant un but
esthétique. Ainsi la littérature prend donc en compte le roman,
les poèmes, le théâtre, l'essai et les formes
génériques nouvelles comme l'autobiographique. L'appellation de
littérature est un nom adopté depuis deux siècles et demi,
en français, pour désigner ce que furent les
« lettres », puis les
« belles-lettres » enfin la
« littérature » au sens restreint moderne.
La littérature existe pour élargir l'espace
vital, repousser les frontières du quotidien, esthétiser la
banalité des choses et des êtres. Pour l'homme, elle lui permet de
se découvrir des talents insoupçonnés. C'est par le verbe
qu'il a traversé les âges et les civilisations. La mémoire
n'est qu'oubli sur oubli si l'écriture n'était pas là pour
rendre le souvenir impérissable. Dans le même ordre d'idée,
PountunyinyiMache (2011: 1) pense que « Au même titre que
l'art, la religion, l'action politique ou sociale, la littérature est
l'une des manifestations spécifiques de l'activité spirituelle de
l'homme »1(*).
Selon elle, l'art littéraire reste, par la même occasion, l'un des
aspects concrets de la culture d'un peuple ; c'est un miroir qui
reflète pensées, douleurs et souffrances les plus
insoupçonnées. Ainsi, chaque peuple a une littérature ou
des écrits qui lui sont propres.Le domaine d'étude de ce travail
est la littérature africaine. André Patient Bokiba, cité
par l'auteure susmentionnée,définit la littérature
africaine écrite en mettant en relief trois dimensions
essentielles :
La littérature africaine écrite se
définit au sein d'une triple postulation. Elle est d'abord
littérature, c'est-à-dire un art dont l'essence réside
dans le sens du mot, le seul matériau, la seule substance de
création [...] la littérature est ensuite une littérature
« de langue », « d'écrire » ou
« de graphie » ou « d'expression ». La
littérature est enfin le produit d'une histoire, l'histoire d'un cri,
d'un sursaut qu'elle se charge de proférer au monde. (Bokiba,
1998 : 9).
La troisième définition assignée par
Bokiba à la littérature africaine écrite à savoir
la littérature comme produit de l'histoire, l'histoire d'un cri, d'un
sursaut qu'elle se charge de proférer au monde ; est la raison qui
justifierait l'implication de la femme dans l'écriture qui était
au commencement l'apanage des hommes. La femme jadis ne pouvait pas
matérialiser ses pensées ni exprimer son opinion ouvertement sans
risque de se faire houspiller par les hommes. De nos jours, nombreuses sont des
écrivaines qui occupent une place nodale dans l'arène de cet art
depuis la libération de la parole due au vent Est et l'avènement
de la démocratie. L'écriture s'est trouvée ainsi porteuse
d'une nouvelle esthétique se déployant tant sur la
thématique que sur le style. Notamment, la littérature
camerounaise s'identifie à d'autres productions en Afrique à
travers les thématiques féminines. C'est le cas de
l'écrivaine camerounaise DjaïliAmadou Amal qui s'affranchit des
carcans imposés par la religion et utilise sa plume comme moyen pour
exprimer sa vision au monde. Elle s'intéresse aux
problèmes sociaux et se penche sur la condition sociale de la femme en
s'attardant aussi sur l'aspect de la victimisation du personnage féminin
à travers ses productions telles : Walaandé. L'art de
partager un marietMunyal. Les larmes de la patience
Dans Walaandé. L'art de partager un
mari, la femme est décrite comme cet être
sans défense réduit à la soumission, injustement
accusé, victime résignée d'un système qu'elle tente
de démolir, en vain. La trame de l'histoire présente les
soubresauts et péripéties de quatre épouses
Aissatou,Djaili, Nafissa et Sakina d'un riche commerçant nommé
AlhadjiOumarou qui déstabilisent le personnage féminin au point
de lui ôter l'envie de vivre. Ce roman expose la tyrannie masculine faite
de stéréotypes, de violences, de chosification de la femme
ravalée au rang d'être inférieur ou exclue de la
sphère des décisions.
Munyal.Les larmes de la patience relate les
douloureuses histoires de trois femmes qui sont obligées par les
circonstances de se soumettre aux fameuses lois de la tradition africaine,
largement alimentées par la domination masculine, maltraitées par
leur époux, les lois sociales et religieuses et l'entourage
traditionnel. Esseulée et victime de divers préjugés et
stéréotypes, la femme est désarmée et par
conséquent réduite à la résignation et à la
patience. En toute situation, on lui en conseille ladite patience,
« Munyal » encore et toujours ce « munyal ».
La victimisation est, selon Mona Chollet, « une
tendance coupable à s'enfermer dans une identité de
victime » (2007 : 24). La victimisation renvoie au fait de
traiter quelqu'un en victime ; c'est encore le fait d'être
considérée comme particulièrement sensible à
devenir victime d'un acte ou d'un phénomène donné :
agression, persécution, catastrophe naturelle, le racisme etc. Par
extension, Il désigne la tendance à conférer aux victimes
un statut social, une attention exagérée. Le dictionnaire Le
petit Larousse illustré définit une victime comme une
personne qui subit les conséquences préjudiciables. Dans le
processus initial, la femme se fait passer pour victime, bouc-émissaire,
c'est dans ce sens que la victimisation peut être entendue dans ce
travail comme une purification : l'acte qui consiste à sacrifier un
être pour expier le désordre.
La notion de personnage est définie dans Le
dictionnaire du littéraire par Marc André Bernier et Denis
Saint-Jacques (2002 : 567) comme : « la
représentation d'une personne dans une fiction ». Le terme
apparu en français au XVe Siècle, dérivé
du latin persona qui désignait le masque que les
acteurs portaient sur scène. Il s'emploie par extension à propos
de personnes réelles ayant joué un rôle dans l'histoire, et
qui sont donc devenues des figures dans le récit de celles-ci (des
« personnages historiques »). Les personnages sont toujours
un élément majeur, du récit : à titre d'agent
et de support de l'enchaînement des actions, ils en constituent les
« actants » que le récit ou la pièce soient
historiques ou de pure fiction.
En littérature, le personnage est un être fictif
qui peut avoir les traits d'une personne. Chez Barthes(1977), le personnage est
la clé du récit. Il est cet être de papier qui n'est pas
une personne. Selon Valette, « le personnage littéraire se
définit essentiellement en fonction des liens qui se tissent à
l'intérieur du récit. La référence aux sources, le
décryptage à partir de « clés » sont
partiellement caducs et ne peuvent qu'entretenir une fâcheuse confusion
entre personne (réelle) et personnage (imaginaire). (1985 : 82).
Le personnage féminin est une personne fictive, un
être humain de sexe ou de genre féminin mis en action dans
l'ouvrage. Il se dit aussi des personnages d'un poème narratif, d'un
roman. C'est le rôle que joue un acteur ou une actrice. Dans notre texte,
le personnage féminin est considéré comme un être
sensible, soumis et de sexe faible.Parler de victimisation du personnage
féminin revient à montrer comment la femme décrite dans le
corpus souffre et par la même occasion est rendue victime,
vulnérable et fragile par les lois socioreligieuses et par le sexe
masculin. Djaïli à travers ses personnages dénonce
les moeurs de la société peule et analyse le syndrome de la
femme mal mariée et mal aimée.
Les motivations qui sous-tendent le choix du sujet n'ont rien
à voir avec notre appartenance au sexe féminin. Notre
intérêt pour le choix du corpus est dû à la
pertinence des titres. En effet, le titre de Walaandé. L'art de
partagé un mari, fait penser à la polygamie comme
thème principal. Cette pratique a toujours été
posée comme un circuit primordial dans lequel la femme africaine
traditionnelle subit de l'homme toute forme de violence. Munyal.Les larmes
de la patience fait allusion à l'endurance, la
résignation et à la polygamie ; la synthèse de toutes
les douleurs ressenties au sein des foyers par les personnages
féminins.
Toutefois, un travail de recherche ne saurait avoir pour seul
socle des considérations subjectives, aussi alléchantes
soient-elles. C'est pourquoi il nous faut des mobiles d'ordre objectif.
Après avoir exploré quelques romans, on s'est rendu compte que de
plus en plus, les écrivains s'intéressent à la
thématique féminine. Leur point convergent est la condition
sociale de la femme ou du personnage féminin mal marié et mal
aimé en quête de la liberté. Dans le cas d'espèce,
nous voudrions notamment apporter notre contribution à la
compréhension de la condition de la femme peule, écartelée
entre religion et tradition.
L'étude vise donc à faire une lecture des signes
et des symboles dont usent Djaïli Amadou Amal pour
présenter et dépeindre la vie des femmes dans leurs
différents statuts : statut de la femme au foyer polygamique et
celui de la jeune fille. Et, à montrer comment le personnage
féminin est traumatisé par un système qui favorise l'homme
au détriment de la femme. Par le biais de ce travail, nous pensons
apporter notre contribution à la compréhension du statut de la
femme peule tel que perçue en Afrique en général au
Nord-Cameroun en particulier.
Pour mener à bien cette réflexion, nous avons
consulté des documents théoriques et méthodologiques
devant nous permettre d'étayer nos points de vue. Effectivement,
plusieurs travaux ont déjà été menés sur la
diversité caractérielle de la femme. La majorité des
recherches disponibles concernent ou alors représentent la gent
féminine victime du pouvoir phallocratique. Kathleen Newland (2001) dans
son essai Femme et Société, dresse un tableau des
dominations qui s'exercent sur la gent féminine à la fois sur son
corps et sur son esprit. La domination et le musèlement qui sont pour
elles les deux dimensions essentielles de la condition féminine,
prennent des formes diverses selon les pays, les époques et les
systèmes sociopolitiques. Il importe de préciser que la place de
la femme dans la famille ou dans la communauté et ses rapports avec
l'homme varient sensiblement selon les cultures.
KalbéYamo (2018) met en vitrine l'émergence de
la littérature féminine au Nord-Cameroun. Il a fait l'état
des lieux de l'écriture féminine et la quadrature du cercle
destructeur de la femme du Nord- Cameroun. Pour cette offre, la femme
septentrionale apparaît comme une victime prise dans un carré
infernal dont les côtés sont tenus par l'homme ou le mâle,
la femme elle- même, les coutumes et l'environnement naturel. Pour
KalbéYamo, les écrivaines du nord-Cameroun proposent des
nouvelles voies dans leur relation au « mâle »
qui apparaît comme un « mal ». Leurs oeuvres
semblent véhiculer un message dont la femme et surtout
l'élève camerounais ont nécessairement besoin dans une
partie du pays ou la déperdition scolaire de la jeune fille demeure un
problème réel. Cette analyse entend aussi esquisser des
perspectives pour une mise en valeur de ces oeuvres dans les programmes
officiels dans la mesure où l'école moderne y apparaît
comme solution proposée à la gent féminine pour sortir de
la férule masculine et du sous-développement.
Nalao Jacqueline et Atsol Me Zouna(2016) décrivent
quelques éléments de la vie culturelle peule tels que les moeurs
et habitudes, les symboles et images dans la société peule. Cette
étude nous permettra de mieux appréhender la vision de l'auteur
et de comprendre le fonctionnement de la société peule.
Oumar Guedalla(2019) présente le
personnageféminin comme un être victimisé en premier par le
genre masculin mais en second par la société et les croyances. En
effet, ce travail est une réflexion sur les relations conflictuelles sur
lesquelles l'oeuvre se construit socialement et a pour objectif
d'étudier les relations de contrariété, d'implication et
de contradiction à travers toutes les formes sociales d'exclusion qui
provoquent l'implosion et le chaos. Avec lui, nous réalisons que les
productions de Djaïli sont une mise en scène des tribulations de la
femme confrontée aux désastres de la vie familiale.
Henriette PountunyinyiMache(2011)établie la
différence qui existe entre « discours
féminin » et « discours féministe »
tout en faisant ressortir de multiples thèmes telsques le mariage , la
polygamie, la sujétion de la femme par l'homme, la mort, et la
répudiation . Par ailleurs, elle présente les positions des
personnages féminins qui luttent contre les lois
socioréligieuses établies. Cette longue réflexion nous a
permis d'appréhender l'étude des personnages féminins dans
leurs statuts et leurs rôles dans la société et de
comprendre l'univers idéologique de Djaïli.
Doudou Darifou(2019) présente les
institutions socioculturelles peules : il est question de la
présentation de l'organigramme sociologique peul qui est
hiérarchisé et composé de : chef de famille, imams,
marabouts et griots. Par la suite, elle relève les techniques de
représentation des valeurs et des normes peules, l'impact des normes sur
les personnages textuels et pour finir elle donne la position de Djaïli
face aux valeurs culturelles peules. Ce mémoire nous permettra de cerner
la culture peule et son impact sur les personnages féminins.
De ce qui précède, il ressort que les
questions de dominations féminines, de prise de parole des
écrivains du Nord-Cameroun, d'imaginaire peul dans les romans de
Djaïli, des tribulations de la femme confrontée aux
difficultés de la famille, de discours féminin et discours
féministe et aussi de représentation des valeurs culturelles
peules ont été abordées. En prenant le relais des
études antérieures susmentionnés qui appuient le
nôtre qui va se démarquer dans la mesure où nous l'on va
s'appesantir sur la victimisation du personnage féminin dans quelques
oeuvres de Djaïli. Ce travail va questionner le statut de la fille et de
la femme au foyer. Dans la société des textes du corpus, le
personnage féminin est rendu victime et opprimés par les normes
sociales, la préservation de la culture est menacée, les
patriarches tentent de protéger la tradition et la religion. En outre,
nous proposerons des voies et moyens pour la libération du personnage
féminin.
À la lecture de Walaandé . L'art de
partager un mari et Munyal. Les larmes de la patience il se
dégage un problème fondamental, celui de la souffrance de la
femme qui subit les affres du système socioreligieux et traditionnel. En
effet, le personnage féminin est soumis à une pléthore de
traitements incongrus au point de le défigurer. Ainsi, la victimisation
est orchestrée par les tenants du pouvoir religieux et traditionnel qui
perpétuent des lois et des systèmes qui impactent
négativement la femme. Dès lors la question essentielle qui se
pose est de savoir comment la victimisation se manifeste dans l'oeuvre de
Djaïli Amadou Amal. Cette question en entraîne d'autres :
quelles sont les différentes facettes de la victimisation des
personnages féminins ? Comment l'écrivaine les
exprime-t-elle dans les oeuvres étudiées ? Quelle en est la
finalité ?
Cette formulation de la problématique induit
l'hypothèse principale suivante : l'écriture de la
victimisation féminine est effective à travers des
procédés romanesques et se prête à une lecture
idéologique. À cette hypothèse principale se greffent
d'autres hypothèses secondaires :
-L'imaginaire et la tradition sont les principales sources de
victimisation de la femme et ses manifestations scripturales sont la
représentation de l'éducation discriminatoire et la
personnalisation de la gent féminine.
-La dégénération de la famille est le
corollaire de la victimisation de la femme et son écriture permet de
dévoiler ces pratiques et une prise de conscience à travers le
parcours des personnages.
L'analyse de ce sujet nécessite qu'on ait recours
àla sociocritique. Cette dernière est une approche du fait
littéraire qui s'attarde sur l'univers social présent dans le
texte. Elle s'intéresse à la socialité du texte et
s'inspire de la sociologie de la littérature. La sociocritique a
été créée par Claude Duchet en 1971. Elle
s'intéresse au texte, plus particulièrement à son contenu.
Plusieurs auteurs ont fait des recherches sur cette notion. Il s'agit de Pierre
Barbéris, PierreValentin Zima, ClaudeDuchet, Edmond Cros, Phillipe
Hamon, Gérard Gemgembre pour ne citer que ceux-ci. Selon Pierre
Berbéris (1996 :123) la sociocritique désigne la
lecture de l'histoire, du social et attribue à la société
son pouvoir de dévoiler et de décrypter les mauvais sorts et
d'interpréter les cris des animaux qui peuvent parfois annoncer des
mauvais présages ou le bon temps. Il ajoute que dans tout texte, il y a
des contradictions qui tranchent sur le relativement clair de la vie et du
cours du monde.
Pour éviter de sombrer dans des
généralités et dans l'optique de vérifier nos
hypothèses, s'avère nécessaire un appel aux acquis
théoriques de la démarche de Claude Duchet. Dans un entretien
avec Ruth Amossy destiné à clore un numéro de revue
Littérature n°140, il donne une définition de la
sociocritique : « la sociocritique n'est pas une sociologie de
la littérature et elle n'a pas seulement la littérature pour
objet mais tous les ensembles socio-sémiotiques. » (2005
:132). Cela signifie que la sociocritique peut s'opérer en convoquant la
simple analyse du texte, la thématique, la narratologie, la
rhétorique, la poétique, l'analyse du discours, la linguistique
textuelle, etc.
Duchet soutient encore : « la
sociocritique, en cherchant la socialité, cherche dans le texte et le
hors ce qui force à sortie du texte en restant dans le
texte ». La lecture sociocritique consiste alors dans un va et vient
constant entre le texte et le hors texte. Ainsi, Claude Duchet dans sa
démarche propose trois possibilités:
- la première consiste à étudier la forme
et ensuite à montrer la corrélation sociologique pour favoriser
l'appréhension de l'idéologie implicite. Cela à
l'inconvénient de rendre la dernière partie qui porte sur les
enjeux idéologiques, très sociologique.
- la seconde possibilité réside dans le
va-et-vient entre le texte et le hors texte pour permettre une
appréhension simultanée de la forme et de la corrélation
sociologique.
- la troisième possibilité est, non seulement de
faire le va-et-vient constant entre le texte et le hors texte, mais encore
à résumer la corrélation sociologique, en dernier ressort,
pour une meilleure appréhension de la pertinence idéologique du
jeu scriptural.
L'on utilisera la troisième possibilité de la
démarche sociocritique de Claude Duchet. Le retour constant des figures
relatives à la victimisation et la présence des réseaux
d'images qui se répètent dans l'oeuvre ne sont pas fortuites. La
création artistique en tant qu'objectivation d'une conscience, permet
à l'auteur de structurer son oeuvre en pleine conscience. La
victimisation étant un fait social, cette grille nous sera d'une grande
utilité. La sociocritique nous aidera à faire une lecture
idéologique. Il s'agit alors de ressortir que l'ensemble des
idées, des pensées ou des doctrines qui se dégagent de la
lecture de la victimisation du personnage féminin dans les oeuvres de
Djaïli, comme celle des autres écrivains, n'est pas innocente. Il
faut remarquer que ladite vision du monde dont nous prévoyons
l'étude est suggérée et non annoncée de vive
voix.
Le présent travail s'articule autour de quatre
chapitres. Au premier chapitre, il s'agira de l'étude des sources de la
victimisation du personnage féminin. L'on voudrait montrer dans ledit
chapitre, que les éléments comme l'imaginaire africain
(stéréotypes et clichés sur la femme), la mauvaise
interprétation des versets coraniques et les normes sociales favorisent
le musèlement de la femme. Le deuxième chapitre présente
les modes et techniques de l'assujettissement du personnage féminin qui
sont l'éducation discriminatoire, le mariage forcé, la
répudiation, la souffrance et la dépersonnalisation de la femme.
Le troisième chapitre traite des conséquences de la maltraitance
de la femme qui s'observent à travers les troubles psychologiques des
personnages, la dislocation de la famille pour aboutir à la mort. Au
quatrième chapitre, nous relèverons l'originalité
scripturale de l'auteure.
Chapitre 1.Les sources de victimisation de la femme dans le
corpus
En fonction de la société dans laquelle l'auteur
est originaire, la réalité ressort toujours en fonction du regard
du spécialiste, mais l'image de la femme a été
présentée par les auteurs francophones, ou plus
précisément ceux de la littérature africaine
écrite, sous forme d'un dénominateur commun. Le
dénominateur désigne de facto un ensemble de
constellations et de représentations liées au type de
société et qui offre aux auteurs une certaine
représentation de la femme. On peut donc se poser la question de savoir
comment la femme est-elle présentée dans la littérature
africaine. L'image de la femme telle que présentée par les
auteurs est- elle une description, une projection ou une construction ?
Partant du postulat selon lequel la littérature et la
société sont deux mondes intimement liés, des lieux
où les auteurs puisent généralement leur inspiration, leur
motivation, leur environnement empirique, l'on peut fondamentalement prendre
l'oeuvre littéraire comme une construction. L'oeuvre littéraire
étant un produit de la société, qui ressort une
réalité, on se demande si cette réalité est une
découverte ou une invention. Autrement dit, l'oeuvre littéraire
peut-elle refléter la réalité ou alors elle la construit ?
La représentation du quotidien de la femme dans la littérature
féminine camerounaise remonte au premier texte écrit par une
femme. Il s'agit de Ngonda de Marie Claire Matip. Ce texte retrace le
quotidien d'une jeune femme. Les événements qui ont marqué
son enfance sont consignés dans ce roman. Bouclée au foyer,
surexploitée au travail, éloignée de la décision
politique, niée dans sa sexualité, conditionnée par la
culture et la tradition dans l'Afrique traditionnelle, la femme apparaît
comme un être enfermé. C'est ce qui amène Pascal
BekoloBekolo à affirmer que « la littérature
féminine est un concert de cris de femmes suffoquées par leur
enfermement. Une littérature de claustration. » (Bekolo,
1997 : 99)
Différentes configurations de la situation de la femme
ressortent dans les romans de Djaïli Amadou Amal. Ce chapitre entend
ressortir les facteurs socioculturels qui permettent de maintenir la femme dans
sa situation de captivité. Ainsi, nous analyserons à partir des
ressources textuelles les croyances et les textes sacrés, puis les
cultures du peuple en présence, facteurs d'avilissement du personnage
féminin.
1.1.
Les croyances et les textes sacrés
Léopold Sédar Senghor (1945) magnifiait la femme
africaine dans son poème « Femme nue, femme noire».
L'image faite d'elle y est idéalisée. Toutefois, avec la nouvelle
génération d'écrivaines telles que CalixtheBeyala, Leonora
Miano, ou encore FatouDiome, la représentation de la femme laisse
paraître qu'elle oscille entre autonomie et asservissement. Elles
décrivent le rôle de la femme dans l'Afrique contemporaine. Elles
montrent la femme évoluant dans des contextes violents et des espaces
rongés par le chaos et des dérives qui relèvent de
l'imaginaire des peuples. La femme y est traditionnellement
représentée dans le rôle de victime. C'est dans cette veine
que se situe le style scriptural de Djaïli Amadou Amal dans
Walaandé. L'art de partager un mari et Munyal. Les larmes
de la patience.
1.1.1. Les préjugés
et clichés sur le personnage féminin
Ce sont des croyances ancrées et simplistes qui
attribuent des traits de caractère et des activités
spécifiques à la femme. Ils essaient de justifier la domination
des hommes sur les femmes, non pas à partir du mode d'organisation de la
société, mais comme une situation relevant des caractères
naturels des femmes. Amossy et Herschberg (2021 : 60) notent que les
études littéraires ont accordé une place importante
à la notion de cliché. Objet de la stylistique puis de la
poétique, le cliché est considéré dans ses effets
esthétiques, puis dans ses fonctions et son rôle dans la
production du texte. Au-delà des formes langagières
figées, la critique du XXe siècle s'est
intéressée aussi aux représentations sociales à
l'oeuvre dans la fiction. Des écrits de Barthes à la
sociocritique et à l'imagologie, elle analyse l'expression de la
doxa et des idées reçues,l'exploitation des
stéréotypes culturels et ethniques dans le texte
littéraire.
Les sociétés africaines sont dominées par
des pratiques différentes. Ces pratiques sont liées
essentiellement à des vieilles religions africaines. « Toute
la société est en proie à ces croyances qui dirigent la
vie quotidienne. Selon la croyance certains actes ont toujours une
conséquence positive ou négative. » (IklasSidig,
2011 : 105). La discrimination de la femme dans la société
se prolonge dans les oeuvres et au-delà puisque tout en étant
dénoncée, cette image véhicule un stéréotype
qui stigmatise. Le stéréotype reflète une
réalité sociale qu'il contribue à entretenir. Dans ce
sens, les allusions faites aux personnages féminins dans le corpus
peuvent se lire en tant qu'écriture de la victimisation.
En fait, la lecture des textes de Djaïli Amadou Amal
laisse entrevoir des traits de caractères protéiformes
attribués à la femme. Ils relèvent de l'imaginaire du
peuple en présence. Ces images attribuées à la femme
telsques( la femme qui travaille commenderait son époux ; le
paradis de la femme depend de sa soumission envers son mari ; une femme
intéllectuelle est cataloguée par la famille comme un danger pour
leur fils ...)se transforment en des règles communément
admises au sein de la société textuelle. Dans un échange
entre Alhadji et sa fiancée dans Walandé.L'art de partager un
mari sur les conditions de vie dans le mariage et le fait de Sakina
veuille continuer à travailler, l'homme tranche nettement en se basant
sur les idées reçues en circulation dans la
société : « -Je ne veux pas que ma femme
soit exposée à tous les regards. N'importe quel homme se
permettre de te parler, à commencer par ton patron qui te commandera
comme s'il était ton mari ». (WAPM : 23).
Comme on peut l'observer dans cet extrait, la femme et par
ricochet toutes celles qui travaillent fricoteraient avec leurs patrons. Et ce
seul motif, qui n'est d'ailleurs pas prouvé, encore moins
étayé d'exemples par Alhadji, justifie l'interdiction pour la
femme mariée de travailler. C'est un argument avancé par le futur
époux pour maintenir l'épouse sous sa dépendance. Une
femme au foyer ne dispose pas de son autonomie. Elle reste dépendante de
l'homme qui à son tour se permet tous les traitements les plus
dégradants à l'égard de cette dernière. Ce
cliché n'est d'ailleurs pas le seul attribué à la femme
travailleuse.
Toujours dans Walaandé. L'art de partager un mari,
la femme est qualifiée d'irrespectueuse. En fait, dans les
sociétés peules, le respect de l'époux par sa femme passe
pour un principe cardinal qui régit la vie de couple. C'est pour cette
raison que l'homme peul est intransigeant sur ce principe. Il n'admet aucun
écart de comportement de la part de sa femme. Pour lui, tout geste
déplacé est susceptible d'édulcorer ce respect qu'il tient
en estime. Dans une discussion entre les deux époux cités
ci-dessus, il ressort clairement l'intolérance de l'outrage à
cette règle : « -Alhadji tu m'as menti. Quand on s'est
marié, tu m'as fait des promesses et tu ne les as pas tenues. -C'est moi
que tu viens de traiter de menteur ? C'est le petit travail que tu avais
qui te rend si impolie envers moi ? » (WAPM : 25).
Selon la culture peule, certains écarts de langage ou
de comportement sont intolérables. Dans cet extrait, le franc
parlé de la femme est assimilé à du manque de respect.
Toutefois, cet écart est selon Alhadji à mettre à l'actif
de l'autonomie de la femme (femme employée dans le service public) et
non du manquement dans le processus d'éducation qu'elle aurait
reçue. Et de ce fait, l'époux s'emploie à tout mettre en
oeuvre pour empêcher sa promise à effectuer, en dehors des
tâches ménagères, des travaux relevant du service public.).
Les principales fonctions de la femme dans la société
sont : se marier, procréer et éduquer ses enfants. Sakina
l'illustre en ces termes :
Le mari est celui qui commande, ton maître, ton
seigneur tout puisant. Et s'il était permis à un être
humain de se prosterner devant un autre alors, la femme devrait se prosterner
devant son époux. Depuis le plus jeune âge, on nous l'a appris.
Nous l'avons assimilé, de telle sorte que nous méprisons
même nos soeurs qui osent en dire le contraire (WAPM :
60).
La situation professionnelle de l'épouse fait
échos et inquiète dans la sphère familiale. C'est dans
cette logique que lors d'un conseil familial, de fermes recommandations ont
été adressées à AlhadjiOumarou par la fratrie de
prendre garde, au risque de perdre le contrôle de sa concession au profit
de cette femme intellectuelle : « -Fais attention à toi
Oumarou ! Recommanda le deuxième frère Daouda. Les femmes
qui ont fait les études veulent commander les hommes. Si tu laisses une
femme prendre le dessus sur toi et diriger ta vie, tu es fini... »
(WAPM : 67).
La femme intellectuelle est cataloguée par la famille
comme un danger pour leur fils. Il perdrait toute autonomie face à elle.
Pour la famille, l'épouse idéale se montre donc avant tout
soumise et respectueuse envers son mari. Elle doit aussi être
fidèle, bonne ménagère et de caractère doucereuse.
Cependant, pour la fratrie, ces caractères ne seraient pas l'apanage des
femmes scolarisées. Ce cliché attribuée à la femme
scolarisée se trouve évoqué dans la seconde oeuvre du
corpus.Munyal. Les larmes de la patiencetraite des idées
reçues par rapport aux jeunes filles ayant fait des études. Pour
les personnages masculins, toute fille qui a mis les pieds au sein de
l'institution scolaire aurait un comportement irrévérencieux
envers les siens, voire à l'égard de toute la
société. Ce roman construit autour de la thématique du
mariage forcé, ôte à toutes les jeunes filles toute
possibilité de défendre leur intérêt ou leurs
droits. Ramla, l'une des protagonistes, dans sa tentative
désespérée de faire comprendre à sa famille qu'elle
souhaite continuer ses études se voit réprimander et son
comportement fiché : « -Voilà le résultat
de laisser des filles trop longtemps sur les bancs de l'école. Elles se
sentent pousser des ailes et se mêlent de tout. »
(MLP : 42).
Pour son père, son attitude (lui dire ouvertement ne
pas vouloir du mariage à elle imposé) est la conséquence
de la scolarisation de sa jeune fille. Comme pour dire l'école est
source de dépravation des jeunes filles. À y regarder de
près, tous ces stéréotypes rentrent dans une logique qui
vise à imposer à la jeune fille toute volonté jugée
bonne par l'homme. Ils ont pour but de maintenir la femme sous le joug de la
gent masculine. Pour les hommes, une épouse ne doit échapper au
contrôle de l'homme. Pour ce faire, il doit rester en éveil, et
mettre sur pied des stratégies permettant de circonscrire ses
velléités d'émancipation.
Les fausses images attribuées à la femme
concernent également celles qui ne sont pas scolarisées. C'est
dire qu'il n'y a pas d'issue pour la gent féminine à
échapper à ces appréhensions qui la cataloguent. Dans
l'oeuvre citée ici, l'une des protagonistes, Hindou, après un
mariage forcé et à la suite de violences conjugales
répétées, sombre dans la solitude et la dépression.
Elle délire. Son état est tout de suite attribué à
« un djinn malveillant » (ML: 8). Pour la
communauté et sa famille, « ce genre de pathologie survient
généralement chez les jeunes mariés ainsi que les
nouvelles mamans. [Et] Hindou est dans les deux états. »
(MLP: 8). Cette calque se base sur des appréhensions, sur des
conclusions élaborées sur la base des idées reçues.
Selon l'opinion, une jeune mariée serait susceptible d'être
possédée par de mauvais esprits. Or, une lecture du roman montre
que le comportement délirant de la jeune femme est imputable à
l'oppression qu'elle a subit à la fois de la figure paternelle que
maritale. Ces deux « autorités » constituent ses
bourreaux. Ce cliché ouvre ainsi la voie à toute sorte de
traitement, voire de récriminations, sous le fallacieux prétexte
que le personnage serait hanté par des esprits malicieux. Il permet
également de voiler la bestialité de l'époux. Tous ses
actes de violence sur Hindou passent pour une réponse au comportement
malsain de cette dernière. Il rationalise le traitement affligeant de
l'homme, Moubarak, avec la complicité de la famille.
En outre, l'imaginaire peule présente le
côté inférieur de la femme et le fait qu'elle soit
considérée comme un être dépourvu de toute
réflexion parce qu'elle est tiré de la côte de l'homme.
Selon le mythe de la création peule, elle est venue au monde
courbée. Dans Walaandé. L'art de partager un mari, le
grand imam de la mosquée rappelle ce stéréotype. Il dit :
« Allah, qui dans sa grande Sagesse les a créées d'une
côte, les a faites aussi courbées dans leurs réflexions que
cette côte. Si tu essayes de la redresser, elle se brise. »
(WAPM: 140) Selon les dires de l'Iman, la femme est inapte à
l'activité intellectuelle à cause de sa nature incomplète.
Elle n'est façonnée qu'à partir d'une côte de
l'homme. C'est aussi une et raison valable pour qu'elle lui doive soumission.
De ce fait, il est normal qu'on lui « [...] dénie toute
capacité de réflexion et d'initiative, toute personnalité.
» (Ndinda, 2002: 110).
L'analyse du roman fait également ressortir un
cliché attribué à la femme : elle porterait bonheur
à son époux. En effet, selon les croyances, dès
l'entrée de la jeune femme dans le foyer, la fortune de l'époux
est sensée se décupler. C'est ce qui est arrivé lorsque
AlhadjiOumarou s'est marié : « -Pour mon père,
elle est porte-bonheur. Dès leur mariage, ses affaires se sont
améliorées. Dans l'imaginaire populaire, la bonne étoile
d'une épouse détermine la prospérité de
l'homme. » (MLP: 27). Se fondant sur ces croyances,
dès le mariage, chaque époux espère de fait que sa
situation s'améliore. C'est ainsi que l'épouse est l'objet d'une
surveillance de tous les instants par les membres de la belle famille.
Plutôt que de travailler à fructifier sa fortune, l'homme serait
tenté d'espérer une manne. L'épouse est le
libérateur qu'il appelle de tous ses voeux. Grâce à elle,
il espère quitter sa situation d'au moment des noces pour devenir «
un homme fortuné ». C'est une expression qu'il aura entendue
très souvent et qui le remplit d'aise. Ne dit-on pas également de
l'épouse qu'elle « illumine la maison où elle va vivre
désormais ? N'assure-t-on pas qu'elle le fera entrer dans le monde
» ? (MLP : 122). Cette dernière formule est
peut-être celle qui parle le plus, car elle relève de l'imaginaire
commun. Tout homme qui se marie, dans l'univers peul, y voit la promesse de
vastes horizons. Marié, il aura enfin un statut flatteur, celui de
« homme respectable » (MLP : 68).
Vu sous un autre angle, ce préjugé pose
problème du moment où, toutes les femmes ne sont pas chanceuses.
Si d'aventure, un homme venait à faire faillite quelques temps
après s'être convolé en juste noces, la femme serait
considérée comme malchanceuse. Cette image ouvre la porte
à toute sorte de traitement dégradant envers la femme. Elle
expose cette dernière à des spéculations, à des
actes de violence. Toutefois, il faut considérer que les croyances ne
sont les seuls moyens de sujétion de la femme; il en est de même
de la sous scolarisation.
1.1.2. L'illettrisme et le mutisme
complice de la femme et de la société
Qualifiées de fameuses « silencieuses de
l'Histoire » (Perrot, 1998), les femmes représentées dans le
texte de Djaïli Amadou Amal ont des difficultés à rendre
compte de la précarité de leur situation, à s'insurger
contre le système patriarcal en place. Cette situation est
redoublée par un processus d'invisibilisation des femmes. Elles sont
cantonnées en seconde zone.
En effet, l'éducation ou la culture, en l'occurrence
peule, dans laquelle évoluent les personnages femmes exclut toute
possibilité d'une réponse. Ils sont conditionnés en sorte
que leur situation, la plus inconfortable qu'elle soit, les plonge dans le
mutisme. Plus précisément, la condition dans laquelle vit le
personnage féminin n'émeut en rien son entourage. Bien plus, elle
est ignorée. L'angoisse insoutenable plonge les personnages dans un
« sommeil ». Il n'y a plus dès lors aucun stimulus
qui permette de faire comprendre et de nommer ce qui advient. Subir la
violence, marquée à la fois par l'excès et par l'irruption
d'une étrangeté radicale, devient précisément une
expérience, un vécu quotidien dont les femmes
représentées dans le corpus s'accommodent.
Ainsi, dans Munyal, les larmes de la patience,
Hindou, l'une des filles d'AlhadjiOumarou, est maltraitée au vu et au su
de tous. Cette situation ne reçoit aucune dénonciation de la part
du personnage féminin. Bien plus, raconte la narratrice, « le
pire est de savoir que son infortune fera le plaisir de ses coépouses
qui n'hésiteront pas à en rajouter. » (MLP :
100). Elles sont contentes de voir l'une des leurs traverser une situation
inconfortable, humiliante voire dégradante. En fait ce
phénomène banalisé par les femmes du corpus contribue
à encourager les hommes dans cette lancée. La victime raconte son
infortune dans l'extrait suivant :
Mon époux entretient des aventures multiples, boit, use
de stupéfiants et regagne toujours le foyer à une heure tardive.
Il continue de me brutaliser, de m'abreuver d'insultes aussi dégradantes
qu'humiliantes. On ne compte plus les hématomes, égratignures et
ecchymoses que ses coups laissent sur mon corps et ce dans la plus grande
indifférence des membres de la famille. On sait que Moubarak me frappe,
et c'est dans l'ordre des choses. (MLP : 100).
Le silence de la femme, et plus largement de la
société qui range la violence à l'égard d'une
épouse dans l'ordre des choses normales fait empirer la situation de la
victime. L'absence de réaction de la part de la femme est imputable
à une éducation discriminatoire. En effet, la conduite
discriminatoire de la famille et du parent qui a tendance à cantonner
les jeunes filles dans la cour intérieur, coupé de la
sphère réservée aux hommes. Bien plus, la conduite du chef
de famille ne nourrit également des comportements qui
rétrogradent la femme. Ainsi, l'une des protagonistes raconte :
« je ne sais pas si mon père m'a déjà
portée dans ses bras, tenue par la main. Il garde une distance
infranchissable avec ses filles. Et il ne m'est jamais venu à l'esprit
de m'en plaindre. C'était ainsi, et ça ne pouvait être
autrement. Seuls les garçons pouvaient voir mon père plus
souvent. » (MLP : 25). Cette éducation inculque
à la fois aux jeunes filles et garçons l'idée de
supériorité de la gent masculine. De ce fait, cette
dernière s'arroge tous les droits, mêmes les plus avilissants
à l'égard de la femme. Et les jeunes filles grandissent ayant
à l'idée le fait de ne pas se plaindre des actes discriminatoires
à leur égard. Elles ne sont incapables de les dénoncer.
L'on peut également expliquer que cette absence de
réactivité retard est due à une scolarité
défavorable des filles représentées dans le corpus et
liée au poids de la culture et de la religion. En effet, « peu
instruites, leur univers se limite à la famille » (Milolo,
1986 : 26) et ainsi l'illettrisme ralentit les transformations sociales :
analphabètes, personnages féminins ne voient pas les avantages de
l'instruction pour la jeune fille. Dans Munyal. Les larmes de la
patience, la narratrice explique :
Quand mes soeurs abandonnaient leurs études le plus
tôt possible, sans chercher à désobéir à mon
père, et quand elles acceptaient d'épouser l'homme que mon
père ou l'un de mes oncles avaient choisi pour elles, [...] je
m'obstinais à aller au collège. Et j'expliquais aux femmes de ma
famille mon ambition de devenir pharmacienne, ce qui les faisait rire aux
éclats. Elles me traitaient de folle et vantaient les vertus du mariage
et de la vie de femme au foyer. Quand je réfléchissais sur
l'épanouissement qu'une femme trouverait dans le plaisir d'avoir un
emploi, de conduire une voiture, de gérer son patrimoine, elles
interrompaient brutalement la conversation en me conseillant de redescendre sur
terre et de vivre dans la vraie vie. (MLP : 29-30)
L'enseignement traditionnel qui est pratiqué et qui
inculque aux jeunes filles les vertus familiales, du respect des parents, de la
soumission, et de l'obéissance, ainsi que les vertus domestiques semble
être une priorité. Cet extrait nous décrit clairement la
vision de la femme mariée, dans la culture islamopeule. Elle ne doit
être instruite. Le critique MiloloKembe renchérit en notant que
« les seuls souhaits de son entourage sont de la voir s'occupant du
ménage, de l'éducation, de l'accueil de la famille et des amis de
son conjoint. Et cette forme de vie spécifique à la femme
africaine, ce n'est pas à l'école des Blancs qu'elle doit
l'apprendre » (Milolo, 1986 : 28). La lecture des textes de
Djaïli Amadou Amal donne l'impression que ces pauvres femmes, tout au long
des récits, sont humbles envers leurs familles et soumises aux hommes
« tyranniques ». Par exemple, la loyale femme, la Dada
saaré2(*) dans
Walaandé. L'art de partager un mari, est douce et soumise
à son mari, alors l'athmosphère dans laquelle elle vit est
caractérisée par l'arrogance, la violence verbale de
l'époux. Sa loyauté et l'obéissance inconditionnelle
à son mari sont devenues un emblème de la culture peule.
À y regarder de près, le souhait des personnages
de ces romans, surtout les femmes est de se contenter d'obéir à
leurs époux; principe dont la scolarisation les éloigne en les
faisant se sentir plus libre. De plus, comme cela est constaté dans le
passage ci-dessus, le fait de recevoir une éducation scolaire fait
l'objet de railleries de la part de la gent féminine. Et l'instruction
des femmes effraient les hommes « l'école française est
un lieu où le savoir acquis diffère de l'enseignement de la
mère. [...] Et le résultat est souvent négatif. Le savoir,
tel que la mère l'a reçu, est dévalorisé, voire
ridiculisé. La fille est préparée à tourner le dos
à son passé, à ses réalités. Le processus de
l'aliénation est amorcé » (Milolo, 1986 : 27).
C'est pour cette raison que de nombreux comportements déviants sont
attribués à la gent féminine :
révoltée, irrespectueuse, sans retenu... La discrimination envers
les filles en matière d'éducation va être remise à
bout du jour.
De manière générale, maintenir le lien de
famille est une des raisons récurrentes qui empêchent les femmes
violentées de se révolter et souvent, lorsqu'elles le font, il
est trop tard. C'est ce qui est observable dans le corpus. Les personnages
femmes agissent comme si toute leur énergie devait viser à
maintenir le lien quel qu'en soit le prix. Or, leur souci pour le lien va de
pair avec celui du partenaire maltraitant. Régulièrement, en
effet, ce dernier déverse toutes les angoisses suscitées par le
milieu des affaires. Aïssatou, la première femme d'Alhadji, dans
Walaandé. L'art de partager un mari, s'est
évertuée à maintenir l'unité au sein de son foyer
pendant ses trente années de mariage. Elle a subit à la fois les
humeurs massacrantes de son époux et des proches de la famille. Son
époux agissait envers elle selon que ses affaires marchaient ou pas. La
volonté de cette femme pour sauver le lien s'est accompagnée
d'une mise à l'avant de l'affect. Cela peut se comprendre : l'amour chez
cette femme a ceci de spécifique qu'elle pourrait tout donner ou
consentir à tout pour le conserver. « Il n'y a pas de limites aux
concessions que chacune fait pour unhomme : de son corps, de son âme, de
ses biens », notait Lacan (1974 : 540).
Ainsi, ces femmes se taisent par amour pour leur homme ou afin
d'être aimée de lui et reconnue par l'entourage ou encore pour le
séduire et le reconquérir. La séparation et la perte sont
impensables. Le lien semble représenter illusoirement une certaine
sécurité affective et elles conservent longtemps l'espoir de
changer leur partenaire. S'il est violent, c'est qu'il a manqué d'amour,
c'est en effet fréquemment le cas. Elles peuvent aussi attendre.
Djaïli présente une situation où les femmes
répondent aux attentes de leur environnement en servant leur mari, mais
il n'y a aucune attente de la part du mari de servir sa femme. En outre,
l'utilisation des mots « règle »,
« servir », « soumission » et
« munyal » suggère qu'il y a plus à
attendre de la femme, son dévouement personnel. Le lecteur se rend vite
compte du pouvoir des hommes sur toute la gent féminine. Une
règle stricte (sans réserve) est observée dans les
concessions et toute la famille la respecte mais aussi, les femmes vivent
dans une peur considérable des hommes, en lieu et place du respect.
Hindou, l'une des protagonistes de Munyal. Les larmes de la
patiencerelate son infortune:
La terreur me serre la gorge, m'étouffe et
m'empêche de respirer. « Je fais vite ! Je me dépêche.
» Quand il se rapproche de moi, je tremble tellement que, pour la seconde
fois de la soirée, je fais sur moi. Le liquide tiède mouille le
pagne déjà humide, dégouline le long de mes jambes et
laisse une trace sur le sol poussiéreux. Un vide s'installe dans mon
esprit. Tout mon corps se contracte de peur des coups. Je suis
terrorisée. (MLP : 95)
Ici, l'époux, le bourreau inspire de la terreur
à son épouse. Il ressort de cet extrait que l'épouse est
obligée de rester dans ce foyer pour sauver les apparences. Les femmes
mariées présentées dans la société peule
sont « emprisonnées » par leurs maris trop
protecteurs. Il ressort de cette analyse qu'il y a priorisation du droit des
hommes et des aînés et la justification de ce droit dans les
valeurs de parenté qui sont généralement soutenues par la
religion, car, les personnages masculins justifient leurs agissements en
évoquant les privilèges accordés par le Coran.
Il est clair que dans l'univers islamopeul
représenté dans le corpus, l'illettrisme et la soumission sans
faille est un obstacle pour les femmes, les enfants, la famille et elle touche
à la santé, à l'éducation, au travail.
D'un autre côté, nous y retrouvons l'image d'une
figure féminine traditionnelle, la douce et soumise femme qui reste
éveillée tous les soirs ou du moins lorsque le tour de
chacune arrive en attendant que son mari revienne de son
« vagabondage » ou de ses interminables discussions avec
les connaissances; au moins pour tenir la lampe pour lui pendant qu'il monte
l'escalier et pour l'aider à se déshabiller avant qu'elle
continue de dormir. Le narrateur révèle que :
Habitude l'a réveillée à cette heure.
C'était une vieille habitude qu'elle avait développée
quand elle était jeune. Et elle était restée avec elle
pendant qu'elle mûrissait. Elle l'avait appris avec les autres
règles de la vie conjugale. Elle s'est réveillée à
minuit pour attendre le retour de son mari depuis elle le servait
jusqu'à ce qu'il s'endorme. Elle s'assit sur son lit résolument
pour vaincre la tentation du sommeil. Après avoir invoqué le nom
de Dieu, elle a glissé sous les couvertures et sur le sol.
(MLP : 82).
Malgré le fait que les épouses subissent
très souvent certaines situations difficiles, elles n'osent pas faire
connaître leurs pensées aux époux ou aux proches. Sakina ne
va jamais oublier ce qu'elle a enduré lorsqu'elle a osé tenir
tête à son époux par rapport aux promesses non tenues.
Juste au cours de leur première année de mariage quand elle s'est
plainte de ses nombreuses nuits de sortie.
La réponse de son époux avait été
claire :
Par les oreilles et lui dire péremptoirement d'une voix
forte. Je suis l'homme. C'est moi qui commande et interdit. Je n'accepterai
aucune critique de mon comportement. Tout ce que je te demande, c'est de
m'obéir. Ne me forcez pas à vous discipliner. Elle a tiré
de cela et des autres leçons qui ont suivi, pour s'adapter à
tout, même en vivant avec les djinns, afin d'échapper à
l'éclat de sa colère aux yeux (WAPM : 102).
Les épouses sont dépeintes comme des femmes
exceptionnellement patientes et dévouées, qui trouvent normal de
sacrifier un peu de sommeil afin de s'assurer qu'elle fournit à son mari
l'assistance nécessaire dont il a besoin. Elle croit que, le rôle
de l'épouse est censé être une extension pour le rôle
de la mère ; la femme s'occupe du mari comme de sa mère.
1.1.3. L'interprétation
subjective des versets coraniques
Les romans de Djaïli, esquissent le portrait des femmes
dont la soif de liberté se heurte à la réprobation de la
société et de leur entourage incarnépar les
préceptes de la religion (tabous persistants à l'encontre de
l'émancipation féminine, parents lésés
réclamant et exerçant l'autorité qui leur appartenait
traditionnellement de droit), mais ils expriment également le
face-à-face de ces femmes avec elles-mêmes et avec leurs
désirs. Du point de vue de l'auteur de l'ouvrage La condition de la
femme dans l'islam, Mansour Fahmy affirme : « L'islam,
comme on le sait, a trouvé naissance dans une société
patriarcale. L'autorité du père, qui avait sa source dans la
coutume et qui était plus au moins adoucie par les liens familiaux, fait
transmise, dès l'avènement de la nouvelle religion, à une
puissance inflexible : la divinité » (Fahmy, 2021 : 96).
La religion, l'Islam, est omniprésente dans les deux
textes du corpus. Elle se déploie à travers le Coran, ses
versets. Leur interprétation n'est pas toujours objectivement faite,
même par les érudits. L'argumentaire souvent déployé
varie peu en amplitude et en solidité. En effet, les personnages du
roman, des croyants musulmans, considèrent que la femme est dans
l'obligation de subir les caprices de son époux, la femme est
fondamentalement inférieure à l'homme et de ce fait devrait voir
en celui-ci l'incarnation d'Allah, au point de « se prosterner devant
son époux » (WAPM : 63) si cela était permis.
Ainsi, les protagonistes masculins, soutiennent avec force détails que
la soumission est avant tout une prescription religieuse, voire un commandement
divin. Que ce soit l'Imam de la mosquée ou les frères
d'AlhadjiOumarou dans Walandé. L'art de partager un mari, ces
personnages semblent profondément convaincus que cette
« prescription » doit être appliquée dans la
famille et se perpétuer, par toutes les quatre épouses de Oumarou
et ses filles parce qu'elle est une exigence du culte islamique et doit
être obligatoirement pratiquée afin d'être digne musulman.
Pour soutenir cette thèse, ils citent d'abord un premier argument selon
lequel le « le devoir conjugal ! On me cite hadith du
Prophète : « Malheur à une femme qui met en
colère son mari, et heureuse est la femme dont l'époux est
content ! ». Je ferais mieux d'apprendre tout de suite à
satisfaire mon époux. » (MLP : 77). Il s'agit en
réalité d'une portion du texte sacré détaché
de son contexte : « C'est un droit divin, me souffle un
jour une femme érudite. Il est écrit dans le Coran qu'un homme a
la légitimité de punir et de battre son épouse si elle est
insoumise. Mais il est tout de même interdit qu'il s'acharne sur son
visage, ajoute-t-elle, scandalisée par mon oeil au beurre
noir. » (MLP : 104).
Bien souvent tiraillées entre leur libre choix et le
respect dû à la famille, confrontée à une
liberté nouvelle et pourtant astreintes, par la force de la pression
sociale, de leur condition, les personnages féminins n'entrevoient
aucune solution viable qui leur garantirait, sinon le bonheur, un semblant
d'apaisement et de tranquillité d'esprit. Illustrant parfaitement ce
dilemme, Walandé. L'art de partager un mari dépeint, le
désespoir de la jeune Yasmine, soumise à une pression familiale
trop forte. Pour son père, il est impératif de l'envoyer
en mariage, quoique cela coûte : « Regarde comment se
comportent les jeunes filles et dis-moi s'il est possible pour un croyant
d'accepter cela. C'est une chance que je puisse caser toutes mes
filles. » (WAPM : 95). Garante de la morale, l'Islam
permet aux hommes de confiner leurs filles et épouses,
préférant les voir sombrer dans le désespoir que rompre le
bouleversement de sa vie au lieu faire face à la situation que vise la
gent féminine : s'émanciper. À la lecture du roman,
« libérer » sa fille ou son épouse, est une
chose impensable, tant il est vrai qu'en bon musulman honorable, il lui est
préférable de voir mourir sa fille, que d'être
plongée dans le déshonneur. Yasmine, décède des
suites des traitements, de l'emprisonnement et de la pression que lui fait
subir son père, au nom des préceptes de l'Islam.
Dans ces récits, une mise en lumière sur la
situation de la femme face à la religion est faite. Tout d'abord celle
de la morale qui pèse sur la gent féminine à
l'évolution palpable mais lente et imparfaite. Une femme victime de la
religion qui, dans l'ombre, n'a d'autre choix que de souffrir de la situation.
La colère de la jeune femme à l'encontre des préceptes
religieux, qui ne lui permettent pas de vivre comme femme, d'un
côté, la femme pleine de piété filiale sacrifiant sa
félicité à son devoir familial et social pendant son
enfance, de l'autre, la femme individualiste libre poursuivant son propre
bonheur comme femme. Consciente de se trouver dans une période de
l'histoire qui fait jonction entre deux mondes, l'ancien au cadre rigide et le
moderne ouvrant de nouvelles perspectives d'épanouissement personnel,
elle accuse une société encore trop rétrograde
d'être la cause de son malheur :
Nous n'appartenons à personne. Ni à notre mari,
ni à nos parents, ni à nos enfants. En réalité,
tout ce que les hommes nous racontent sur l'Islam est faux. Le prophète
Mohammed a été le premier défenseur des femmes. Par
exemple, ton consentement au mariage est obligatoire. On doit te demander ton
avis. Ensuite, ton mari n'a pas le droit de t'insulter, ou de te menacer, ou
même de te battre. Il doit te traiter avec respect et tendresse...
(WAPM : 63)
Toutefois, les femmes apparaissent divisées face
à cette situation. Celles qui incarnent l'éducation
traditionnelle ne comprennent pas les désirs d'émancipation cette
dernière. Pourtant, l'hypothétique émancipation que la
jeune femme envisage à travers l'instruction et la compréhension
des versets coraniques constituent une solution pour s'échapper du giron
des hommes et vivre la féminité au grand jour.
1.2. L'imposition du respect et des lois de la
société peule à la femme
L'imposition du respect et des lois traditionnelles passe par
la soumission. Le Petit Robert donne plusieurs définitions : La
soumission, c'est le fait de se soumettre, d'être soumis (à une
autorité, une loi), avec toute une obéissance et sujétion
: « la soumission filiale à l'autorité souveraine de
l'Eglise ». Une autre définition : la soumission, c'est
l'état d'une personne qui se soumet à une puissance autoritaire.
Une personne qui se trouve dans une disposition d'accepter la dépendance
et de vivre dans l'air de soumission. En ce qui concerne la relation
homme/femme, en situation de vie conjugale, la soumission veut dire
l'obéissance absolue de la femme à son mari dans le contexte
traditionnel. À ce propos, KembeMilolo affirme que : «
L'obéissance au mari est une tradition qui répond à la
nature. C'est un penchant naturel de la femme de se mettre consciemment ou
inconsciemment à la volonté de son mari » (KembeMilolo, 1985
: 178).
Dans le contexte traditionnel africain, la soumission
obéit à une perception particulière, car la soumission est
considérée comme une des qualités les plus
appréciées chez la femme. Ainsi selon les traditions,
l'épouse idéale se distingue par sa docilité, son
obéissance et sa soumission. Une attitude qui se conforme aux normes
sociales observées par tout le monde. Dès le bas âge,
toutes les formations que la jeune fille reçoit visent à
enraciner chez elle ces principes. Dans cette formation participent non
seulement la mère ou les parents proches mais également les
parents éloignés : les tantes, les oncles, etc. Ils
répètent les mêmes conseils, les mêmes
recommandations le jour du mariage et la nuit des noces. Quand la mariée
rejoint le domicile conjugal, elle reçoit des conseils dans ce sens.
Dans leurs voeux, leurs souhaits d'une vie conjugale heureuse à leur
fille, les parents lui font une recette des devoirs : elle doit être
patiente, douce, aimable, compréhensive. Dans la structure
traditionnelle de la société, dans laquelle la femme
éternellement mineure et soumise, l'homme est toujours dominant. Ainsi,
à l'opposition de la soumission féminine se pose la domination
masculine. L'homme est maître et seigneur. La vie lui donne tous les
droits. Il fait ce qu'il veut : lui, il ordonne et elle, elle exécute
ses ordres sans la moindre résistance, même les plus capricieux.
Comme le constate LilyanKesteloot : « Il était le maître et
le seigneur. Il se déshabillait où il voulait, s'installait
où il voulait, mangeait où il voulait, salissait ce qu'il
voulait. Les dégâts étaient aussitôt
réparés sans murmure. Dans ce foyer, on prévenait ses
moindres désirs » (LilyanKesteloot, 2001 : 129).
Il est notable que les oeuvres de Djaïli mettent en
scène des femmes soumises à des injonctions de genre dont elles
ne peuvent se départir, ainsi qu'avec une société dans
laquelle les traditions pèsent encore très lourd. De la
même façon, les oeuvres dépeignant des temps et
comportements révolus, livrent une peinture des anciennes
mentalités et pratiques non désirantes, soulignent explicitement
l'asservissement des femmes par une société traditionnelle
patriarcale.
Malgré que les sociétés
représentées dans Walaandé. L'art de partager un mari
et Munyal. Les larmes de la patience soient citadines, elles
restent caractérisées par l'observation stricte des coutumes. Les
personnages qui s'y meuvent ne sont pas scolarisées et certaines
innovations sont limitées sinon refusées. La culture est
passée de génération en génération et
protégée. Toutefois, l'on constate que la vie d'une fille est
programmée et sa destinée, déterminée par un
certain nombre d'éléments relevant de la culture.
1.2.1. Le pulaaku
À l'identité peule, on associe invariablement la
notion de pulaaku, la foulanité. Lepulaaku, peut se
traduire par « mode ou style de vie peul ». Elle incite à la
maîtrise de soi et fonde la foulanité. Pour ces peuples nomades,
se maîtriser c'est, d'abord dominer ses besoins physiques et
matériels. Le code culturel des peuls, lepulaaku, est entendu
comme l'essence de la civilisation peule dans sa pluralité. Ce sont les
coutumes que la société peule préconise et qui
représentent une partie importante de son identité comme
société distincte des autres.
Le pulaaku décrit le comportement attendu d'un
peul, et il lui est enseigné par sa famille dès son enfance.
C'est une coutume qui exige avant tout la réserve, la retenue, la
maîtrise de soi. Ce comportement codifié permet au peul
d'être distingué des autres non-peuls. Le mot pulaakua
toujours existé dans les moeurs des peuls qui la considèrent
comme une morale de vie. Djaïli le définit d'ailleurs dans son
lexique comme un « ensemble de règles qui définit la
vie d'un peul. Le respect, la discrétion, la pudeur, l'orgueil, la
patience entre autres. Lepulaaku oblige un peul à rester digne
en toute circonstance. C'est en bref, l'art de vivre dans la
noblesse. » (WAPM: 108).
Le pulaaku exige une conduite docile sans opposition
surtout pour faire plaisir à l'homme et ne pas le blesser. Voilà
pourquoi, une jeune fille peule digne de son nom doit parler et répondre
aux gens avec respect afin que le nom de ses parents soit honoré.
Lorsqu'un homme lui adresse la parole, elle doit baisser la tête et lui
répondre positivement « A ma guise, j'aurais voulu lui
crier : « Mais comment veux-tu que je t'aime ? je ne te
connais pas. De plus, je ne veux même pas te connaître ».
En fille sage maîtrisant sur le bout de doigts son pulaaku, je
baissais timidement les yeux et répondais - Mais si ! bien
sûr que je t'aime Mais je veux quand même attendre un
peu. » (MLP : 33).
En plus, le pulaaku exige le respect de la masse
surtout les hommes. Cela s'explique par le fait que lorsque les hommes sont
attroupés, la fille ou femme qui passerait devant ses hommes devrait
enlever ses chaussures avant de les traverser et baissés les yeux. En
enfreignant les règles établies, elle serait mal vue par la
société et ceci porterait atteinte à sa dignité
ainsi qu'à toute sa famille. Une jeune fille bien éduquée
doit toujours agir ainsi. C'est le cas de Ramla qui accepte la proposition
d'Alhadji en l'épousant : « où est passé le
pulaaku qu'on m'a toujours inculqué ? Un peul meurt comme
un mouton en se taisant et non en bêlant comme une
chèvre ! ». (MLP : 84). Ainsi donc, pour
avoir une bonne cohésion sociale et une intégrité, il
serait judicieux voire obligatoire de respecter ses normes établies.
En outre, chez l'homme peul, une parole donnée est
inchangeable, elle doit être respectée malgré tout. Elle
est irrévocable car ceci relève des normes du pulaaku. Du coup,
les jeunes sont contraints d'accepter les choix et décisions pris par
leurs parents sans hésitation notoire. Ceux-ci abandonnent leurs
rêves pour faire plaisir aux parents. C'est le cas de Moustapha qui doit
épouser sa cousine sans riposter. Cela montre que les normes sociales ne
se soucient pas des sentiments des personnes, mais cherchent plutôt
à préserver ses intérêts personnels. Moustapha et sa
cousine sont victimes de cette exigence sociale : « Tu sais
Moustapha, un homme doit toujours tenir à sa parole et une fois celle-ci
donnée, on en devient prisonnier. Le respect des aînés est
non seulement une règle de pulaaku, mais aussi une
« sunna » du prophète Mohammed (paix et
bénédiction d'Allah soient sur lui). Ton oncle t'a donné
sa fille, et à moins de lui faire un affront énorme, il ne t'est
pas possible de refuser. Notre famille ne badine pas avec l'honneur, ni avec la
bienséance » (WAPM : 86-87)
Le pulaaku est l'élément essentiel de
la tradition culturelle peule, invisiblement associé à l'islam,
est décrit comme un rouleau compresseur pour la
femme : « Alhamdulillah. Louange à Allah !
C'était une formule comme une autre. Remercier toujours Dieu même
quand ça ne va pas. Dire que c'est mieux même quand ça a
empiré. C'est le pulaaku. » (WAPM :
108). Cette norme crée un blocage à la femme qui l'empêche
d'avouer sa souffrance. Voilà pourquoi, une jeune fille peule digne de
ce nom doit toujours répondre avec respect quand un homme lui adresse la
parole, même si cela va à l'encontre de ce qu'elle pense, elle est
obligée de feindre pour pouvoir honorer ses parents : « A
ma guise, j'aurais voulu lui crier : « Mais comment veux-tu que
je t'aime ? je ne te connais pas. De plus je ne veux même pas te
connaître ». En fille sage maîtrisant sur le bout de
doigts son pulaaku, je baissais timidement les yeux et
répondais - mais si ! bien sûr que je t'aime mais je veux
quand même attendre un peu. ». (MLP : 33)
Toutefois il faut prendre conscience que la pulaaku
est complexe : elle renferme les notions de savoir-vivre, de bonnes
manières, d'intelligence, et la connaissance d'un héritage
culturel et ancestral peul. Malgré la nature du discours peul sur sa
propre culture, elle laisse entrevoir les processus de transformation et
d'adaptation qui la façonnent et permet la cohésion sociale.En
dehors de ces considérations, il y a certaines coutumes
érigées en règle qui contribuent à l'injustice
faite à la femme. À l'exemple de pratiques telles que le
lévirat ou le sororat. Déjà dans l'Afrique traditionnelle,
le simple fait d'imposer le frère du mari à la veuve constituait
une altération de tous les droits de la femme. C'est une manière
de lui faire savoir qu'elle n'a pas à aimer, mais plutôt se
soumettre et taire ses sentiments aussi sincères qu'ils peuvent
être.
1.2.2. Le munyal
Selon les normes comportementales peules régies par le
munyal, la retenue, les attitudes gestuelles féminines doivent
manifester un sentiment de réserve ou de retenue, le munyal. Ce
dernier consiste en un contrôle verbal et gestuel des émotions
ressenties lors des interactions, selon les statuts des individus et leurs
liens de parenté. Dans les représentations sociales, les femmes,
à l'inverse des hommes sont pensées comme étant impulsives
et ne contrôlant pas leurs affects. Posséder du munyal ou
« posséder sa tête » comme disent les femmes signifie
qu'elles ont appris à se contrôler. Pour les techniques du corps,
cette expression se réfère à une réserve
donnée aux expressions du visage et à l'absence de gestes qui
trahiraient l'émotion ressentie. Le munyal apparaît comme
une qualité, qui particularise le genre féminin. Les hommes ne
possèdent pas de munyal, car leur attitude corporelle
témoigne d'une assurance et d'un sentiment de fierté.
Malgré que les femmes dans Munyal Les larmes de la
patience soient conscientes de l'oppression et de l'asservissement dont
elles sont à la fois objets et victimes innocentes de la part d'une
société patriarcale et fondamentalement phallocratique, elles
n'ont pas la possibilité de s'en défaire. Bien plus, leurs
efforts de résister, donc de survivre et affronter la
réalité, à armes inégales, ne dussent-elles courir
le risque d'en perdre l'âme, leur identité propre sont battus en
brèche par les règles régissant le foyer polygamique. Ce
faisant, elles apprennent à supporter, le munyal, face aux
nombreux écueils qui jonchent l'existence d'une femme doublement
affectée par leur statut et la tradition dans l'environnement social
réputé hostile pour elles. Dans l'extrait suivant, la patience
s'apparente à une préparation psychologique de la femme face aux
difficultés : « Daada-saaré, tu seras
aussi le souffre-douleur de la maison. Tu conserveras ta place de
daada-saaré, même s'il en épouse dix autres.
Alors, un seul mot, munyal, patience ! Car tout relève ici de
ta responsabilité. Tu es le pilier de la maison. À toi de faire
des efforts, d'être endurante et conciliante. Pour cela, tu devras
intégrer à jamais la maîtrise de soi, le munyal.
Toi, Safira, la daada-saaré, jiddere-saaré, la
mère, la maîtresse du foyer et le souffre-douleur de la maison !
Munyal, munyal... »(MLP : 22)
En effet, la patience est un terme fétiche qui permet
aux hommes de pousser la femme à accepter les différentes
situations dégradantes dans le foyer. Ce comportement culturel est
insidieusement inculqué à la femme. Elle est
préparée à la docilité. Elle est tout le temps
victime et est prédisposée à l'acceptation. Les mots dans
cet enseignement sont choisis. Elle est flattée par son statut de
première femme. Pourtant, les difficultés qu'elle doit supporter
du fait de sa position sont disproportionnées. Il lui est
enseigné entre autre la maîtrise de soi, la responsabilité.
Tout se rapporte à elle. De ce fait, elle se sent responsable dans
toutes les situations dans la famille, bonnes ou mauvaises. Il ressort de
l'analyse ci-dessus que la patience est enseignée à la femme,
surtout la première épouse Comme le dit l'auteure des romans,
avec la patience, on peut réaliser des choses incroyables. Ceci se
matérialise à travers l'extrait suivant :
Munyal ! Munyal... Munyal ma fille ! Combien de fois
a-t-elle entendu ce mot ? Combien de personnes lui ont donné ce
conseil ? Encore et toujours ! De la part de tous. Par toutes les
circonstances douloureuses de sa vie. On le doit d'ailleurs, on ne conseille le
fameux Munyal comme remède souverain à tous les maux que dans les
moments difficiles. On le sait c'est dans la douleur qu'on dit à une
personne : « supporte ! » ... Toute vie est faite de
patience dit-on : « Avec de la patience, on peut vider un
étang à l'aide d'un chameau » ! On peut aussi
boire un puits de bouillie avec une aiguille ! (MLP: 7).
Notons encore que le munyal est une norme sociale
qu'on inculque à la jeune fille dès le bas âge pour la
préparer à la vie future dans la société peule. Une
jeune fille doit s'armer de patience pour que son mariage perdure, une fois
marié. Elle doit user de la patience car le Munyalest le
remède à tout problème que cela soit dans un couple ou
dans la vie sociale. C'est le premier conseil qu'on donne à toute jeune
fille qui va en mariage et à toute personne éprouvée. Il
est d'une importance capitale, même notre créateur apprécie
ceux qui sont patients. « Munyal ma fille !
Intègre déjà cela dans ta vie future. Inscris-le dans ton
coeur, répète-le dans ton esprit ! Munyal ma fille,
telle est la seule valeur du mariage de notre religion, de nos coutumes, du
pulaaku, Munyal ma fille car c'est dans la douleur qu'on te le
conseille. Alors tu ne dois jamais l'oublier ! » ...
« Munyal ma fille car la patience est une vertu. Dieu aime
les patients, avait précisé son oncle. Tu es à
présent une grande fille. Tu es désormais mariée et dois
respect et considération à ton époux. (MLP :
10-11).L'extrait représente les conseils que les oncles et tantes
donnent à leurs nièces le jour du mariage.
Une lecture plus poussée du même roman permet de
se rendre compte que c'est un enseignement qui se déroule toute la vie
de la femme. Elle y est préparée dès sa jeunesse et la
veille du mariage. Dans l'extrait suivant,AlhadjiOumarou prépare ses
filles à accepter leur situation quoiqu'il en coûte :
« Patience, mes filles ! Munyal ! Telle est la seule valeur
du mariage et de la vie. Telle est la vraie valeur de notre religion, de nos
coutumes, du pulaaku. Intégrez-la dans votre vie future.
Inscrivez-la dans votre coeur, répétez-la dans votre esprit !
Munyal, vous ne devrez jamais l'oublier ! » fait mon père
d'une voix grave. » (MLP :52) Cette prescription, sous
le couvert du précepte de munyalest sensé régir
la vie de la jeune fille. Elle doit s'y conformer, l'intérioriser, la
faire sienne. Pour renforcer la force de précepte, le parent y adjoint
un argument de force, celui de la religiosité de cette prescription.
La femme et fille peule doit s'armer de patience face à
n'importe quelle situation de la vie. Pour une femme mariée, la patience
est un impératif afin de pouvoir partagé son mari avec d'autres
femmes. C'est le cas de la quatrième femme d'Alhadji. (Sakina).
Malgré son éducation, doit subir les mêmes traitements que
ses autres coépouses sans exception. Pourtant, elle a fait des
études et espérait que son mari la traiterait différemment
dans son foyer polygamique. Sakina réalisa qu'elle ne pouvait rien faire
face à cette réalité du mariage, elle ne peut que se
résigner et faire semblant d'être heureuse pour dissiper le regard
social. Ceci s'illustre à travers le passage suivant :
Sakina avait pris conscience désormais qu'elle
vivait dans un ménage polygamique. Qu'elle partageait le même
homme avec plusieurs femmes qu'elle voyait tous les jours. Des femmes avec
lesquelles elle vivait, mangeait, parlait, discutait, plaisantait de fois. Des
femmes qui partageaient le même lit que l'homme auquel elle était
liée par l'amour. Elle suivait juste le mouvement, se laissait vivre
sans espoir, sans projets. Elle attendait juste ! Elle attendait son
Walaandé. Elle attendait que son Waalandé
s'achève. Elle attendait elle ne sait quoi. Mais elle attendait quand
même. (WAPM: 24).
1.2.3. Le semteendé
Le semteendé, encore
appelé, « la honte », la réserve, la
franchise, la pudeur se définit comme le fait d'être discret et de
respecter les règles de la bienséance. La réserve est
l'attitude de quelqu'un qui agit avec prudence, qui exige tout respect. Pour
Nassourou , le semteendéest une conscience prescrivant une
attitude, un comportement de réserve et de retenu avec le souci
d'éviter de commettre des actes et des conduites indignes, humiliation,
autrement dit, honteux. Les domaines susceptibles d'engendrer la honte,
concernent au premier chef, l'expression des instincts et des émotions,
tels les besoins physiologiques comme éviter de peter, d'uriner, de
déféquer le désir de nourrir l'appétit charnel. Cet
ensemble de disposition instinctive doit être maîtrisé,
dominé par le peul vivant société [...] dans le domaine de
l'expression des sentiments émotionnels, comme la joie, la peine,
l'amour, la colère, le semteende impose la retenue
également. (Nassourou, 2014 : 223).
Ce principe stipule que tout peul se doit d'avoir un
comportement de réserve, de retenue et un contrôle constant des
émotions. Le non-respect des règles ou des codes dictés
par les nobles dans ce groupe conduisent à la honte, à
l'humiliation, au déshonneur.Les sociétés peules sont fort
différentes les unes des autres. La capacité à ressentir
de la « honte » fait partie de l'éducation de l'enfant.
Fortement intériorisée, la honte n'est pas une question de
paraître mais une question d'être. Cette capacité consiste
à ne pas subir la « honte » et à ne pas l'infliger
à autrui, elle permet de renforcer la cohésion sociale.
Toutefois, son emploi dans Munyal. Les larmes de la patiencevise,
contrairement à son acception originelle, à assujettir la femme.
L'invocation de ce principe permet de maintenir la femme dans le silence, et
par ricochet sous la domination masculine. C'est le cas de Hindou, qui
malgré qu'elle soit victime de harcèlement, tait sa situation
sous prétexte du semteendé. Ainsi, voici sa
réaction lorsque sa jeune soeur lui conseille de mettre sa mère
au courant de ce problème : « -Tu en a parlé
à ta mère ? -Que veux-tu que je dise ? Ce n'est pas un
sujet qu'on évoque avec sa mère, tu le sais ! »
(MLP : 58).La situation est pareilledans Walaandé.
L'art de partager un mari. Nafisa, l'une des épouses
d'AlhadjiOumarou est mariée contre sa volonté. Ses parents
comptent sur les multiples biens matériel que leur donnerait leur gendre
(WAPM : 37). Or, il se trouve que la jeune fille est amoureuse
d'un autre homme. Elle se trouve dans l'obligation de consentir à ce
mariage forcé : « De même, elle ne pouvait
révéler à personne son secret. Elle essayait même de
ne pas y penser tant ce serait commode
d'oublier. »(WAPM : 37).
Il faut donc noter que le sentiment de honte, le
semteendé, incline les femmes, victimes, à se taire. Il
est d'autant plus fort dans la société peule que avouer certaines
« choses » est considéré comme une honte, un
déshonneur, et la victime peut être implicitement
« condamnée », stigmatisée, montrée du
doigt pour avoir « participé » à l'acte
réprouvé. La victimisation trouve là une des explications
possibles au sentiment de culpabilité toujours très
présent chez les femmes victimes du corpus. On comprend mieux pourquoi
la particularité des violences et partant, toutes les situations
dégradantes à l'égard de la femme dans les romans de
Djaïli sont tues, ne sont pas condamnées. Ceci focalise le regard
sur la luxure et le pêché, aggravant encore l'état
d'indignité de la victime, que le silence, le
semteendécontribuent à ancrer dans la mémoire de
la victime. La victime de violence et traitements dégradants dans la
société peule représentée dans le corpus est
prisonnière de son univers culturel. Elle fait d'ailleurs l'objet de
rejet de la part de la famille et de la société en
général.
1.2.4. L'éducation
traditionnelle de la femme
L'image de l'épouse traditionnelle que souhaitent les
hommes et la société dans les romans de Djaïli Amadou Amal
revèle toujours des qualités favorables, des qualités
admirées par les hommes. Elle est docile, soumise, travailleuse,
courageuse et de plus, elle est ignorante des activités de son
époux. Pour parvenir à cette stature de la femme,
l'éducation qui correspond à cette image doit être
inculquée dès le jeune âge. La jeune fille témoigne
de l'éduction reçue dans l'extrait
suivant : « Je n'étais pas que la fille de mon
père. J'étais celle de toute la famille. Et chacun de mes oncles
pouvait disposer de moi comme de son enfant. Il était hors de question
que je ne sois pas d'accord. J'étais leur fille. J'avais
été élevée selon la tradition, initiée au
respect strict que je devais à mes aînés. Mes parents
savaient mieux que moi ce qu'il me fallait. » (MLP :
32)
Il est question dans cette éducation traditionnelle que
la femme soit docile et obéissante pour que l'homme ait le pouvoir
d'exercer son influence, son autorité sur elle. L'éducation
qu'elle reçoit favorise le respect inconditionnel du mari. Elle doit
être toujours disponible pour rendre des services sans même
élever la voix. Son lot de femme est d'accepter, et de se taire, c'est
ainsi qu'on le lui enseigne. Voilà une épouse décrite par
l'Oncle Hayatou dans Munyal. Les larmes de la patience:
Soyez soumises à votre époux / Épargnez
vos esprits de la diversion / Soyez pour lui une esclave et il vous sera captif
/ Soyez pour lui la terre et il sera votre ciel / Soyez pour lui un champ et il
sera votre pluie / Soyez pour lui un lit et il sera votre case / Ne boudez pas
/ Ne méprisez pas un cadeau, ne le rendez pas / Ne soyez pas
colériques / Ne soyez pas bavardes / Ne soyez pas dispersées / Ne
suppliez pas, ne réclamez rien / Soyez pudiques / Soyez reconnaissantes
/ Soyez patientes. (MLP : 16)
À travers ces enseignements, il s'agit de
préparer les jeunes filles avant qu'elles ne quittent le foyer des
parents pour rejoindre celui de l'époux. L'idée ou la conception
courante dit que la jeune fille est donnée à un homme. Elle est
considérée dans certaines sociétés comme n'importe
quel objet que l'homme possède pour toujours. Alors dès son
arrivée au domicile conjugal elle doit justifier l'éducation
à elle inculquée par ses parents à respectant les
préceptes ci-dessus cités. Elle ne peut pas se comporter
autrement parce que c'est la règle, les traditions, les valeurs
héritées des parents.
Les femmes représentées dans
Walaandé.L'art de partager un marisont un exemple soumission,
grâce à l'éducation traditionnelle. Le fait que certaines
soient des femmes modernes, femmes urbaines et instruites ne les épargne
pas de ce mauvais sort. Cela montre que ce ne sont pas seulement les femmes
illettrées qui subissent l'éducation traditionnelle. C'est vrai,
comme nous le voyons, et d'une façon générale, la femme
traditionnelle est dans tous les cas soumise par nature, à la
volonté de l'homme; c'est-à-dire à l'autorité de
l'homme qui est pour elle le père, le frère ou le mari, surtout
le mari. Toutefois, cela ne veut pas forcément dire que toutes femmes
modernes se révoltent contre l'ordre des hommes. Le cas de Sakina est
illustratif. Il est convenable de découvrir la personnalité de
cette dernière, pour comprendre le poids de l'éducation
traditionnelle : elle est à la fois femme moderne et femme soumise. Donc
pour juger son attitude dans son foyer, face à son époux, face
à la polygamie, il importe de chercher à savoir quelles sont les
raisons pour lesquelles elle se soumet.Sakina est la quatrième
épouse d'AlhadjiOumarou. Elle est la seule épouse instruite. Elle
est une synthèse de deux civilisations : la civilisation africaine et
l'européenne. Sa formation traditionnelle est très
évidente dans son comportement.
Des pratiques telles que l'accueil d'une foule qui vient pour
adresser leurs salutations à Alhadji, les énormes repas à
préparer à ceux-ci. Toutes ces pratiques sont dictées par
les croyances et les rites religieux. De toute façon, nous pouvons dire
que Sakina est une femme croyante qui jouit d'une foi respectable. Les
prières et de la lecture du Coran en sont révélatrices de
sa croyance. D'un autre côté, le personnage a reçu
l'instruction scolaire. Donc nous constatons que ces deux types de formations
laissent des traits remarquables sur le caractère du personnage,
l'originalité et la modernité. Elle est une femme intelligente,
pratique, dynamique et prudente. Dans toutes les étapes de son parcours
dans le roman, elle montre une ouverture d'esprit. Dans un échange avec
ses coépouses à propos de la santé de l'un de leur fils,
elle démontre son intelligence : « -tu devrais amener cet enfant
cher l'imam tous les matins pour qu'il lui fasse des incantations. C'est
sûrement du mauvais oeil qu'il souffre. -Je pense plutôt que Aminou
aura besoin d'une perfusion, fit Sakina sceptique. Il est
déshydraté et c'est peut être... »
(WAPM : 18)
Mais le destin lui cache une mauvaise surprise. Elle n'a pas
la moindre pensée qu'un jour, elle vivra des situations troublantes. Et
elle démontre ses capacités à supporter, à subir en
silence, qui trouve une explication dans les faits suivants. Ils sont l'apanage
de tous les personnages féminins.L'analyse de la situation des femmes
dans le corpus laisse paraître qu'elles sont toutes soumises. Les romans
abondent en exemples de ces femmes soumises à l'hégémonie
de l'homme. Plusieurs aspects interviennent dans ce problème : des
aspects économiques, psychologiques, sociaux et religieux.
Le problème le plus grave réside dans la
dépendance morale et économique de la femme à l'homme.
C'est à cause de cet état de subordination que la femme se trouve
dans une situation de dépendance chronique. Elle ne supporte ni la
solitude ni la pauvreté. Surtout pour celles qui ne travaillent. Tout
est fait pour les assujettir. Elles sont éduquées de sorte
qu'elles pensent ne pas survivre sans un conjoint. C'est ce dernier qui assure
sa protection et l'abrite. Même si elle n'est pas heureuse avec le mari,
sans lui, la situation serait encore pire surtout avec des enfants. En fait, ce
traitement réservé à la femme est culturel :
« Chez les peuls, les femmes savent que le domicile du mari n'est
jamais un acquis. Ce n'est pas un chez soi et on peut y être
répudié à tout moment. Alors elles se préparent en
conséquence. » (WAPM : 142).
Avec l'entourage qui est très impliqué dans les
affaires de mariage, c'est à dire, au-delà de l'union entre deux
personnes, c'est un pacte en deux failles. Ainsi, adopter une réaction
négative contre cette pratique ou ce que la femme vit dans son foyer
sera vu comme un acte d'égoïsme. La société trouvera
inconcevable qu'une femme se rebelle contre la tradition. Pour elle, la
polygamie est une institution sociale qui doit être respectée par
tout le monde, que personne ne doit contester. C'est ainsi que dans Munyal.
Les larmes de la patience, les femmes n'osent pas quitter le ménage
de leurs époux malgré tous les traitements qu'elles y subissent.
Elles ont peur d'être rejetées par leurs parents et partant, tous
les membres de la famille. Lorsqu'elles protestent, leurs entourages proposent
le munyal, la patience :-Munyal ! Munyal...
Munyalma fille !Combien de fois a-t-elle entendu ce mot ?
Combien de personnes lui ont donné ce conseil ? Encore et
toujours ! De la part de tous. Par toutes les circonstances douloureuses
de sa vie. On le sait d'ailleurs, on ne conseille le fameux munyal
comme remède souverain à tous les maux que dans les moments
difficiles. (MLP : 6)
Toujours dans la logique de la sujétion de la femme,
elle est très souvent dépouillée de tous ses biens :
« Chez moi ! Chez mes parents. Oui c'est pathétique
après trente ans de se rendre compte qu'on dit encore chez mes parents.
Un seul mot pour lui à prononcer : je te répudie, et l'on se
rend soudain compte que l'on n'a même pas un chez soi. On a beau
construire ensemble, tout est à lui. Nous ne sommes rien, nous ne valons
rien, nous n'avons rien. » (WAPM : 143). Ainsi elles
digèrent difficilement leur mal et se soumettent à la polygamie
et tous ses corollaires pour éviter la colère, la
malédiction de leurs familles parents.
1.2.5. La polygamie
Le terme polygamie est formé à partir de deux
mots grecs, polus qui signifie « plusieurs » ou « plus
», et gamos, qui veut dire « mariage ». Ainsi la
polygamie se situe en opposition à la monogamie. Cette dernière
signifie le fait que le mari cohabite avec une seule épouse. Toutefois,
selon Zalia Touré Maïga (2010), « dans le contexte de
l'Islam on pense, qu'en principe, la pratique de la monogamie n'exclut pas
totalement une l'éventualité » de disposer de
concubines. Cela est cependant assorti d'une restriction de taille: seuls les
enfants de la femme mariée seront considérés comme
légitimes.
En substance, la polygamie est le régime matrimonial
dans lequel l'homme (l'époux) est marié à deux ou à
plusieurs femmes (épouses). Celles-ci entretiennent des rapports de
coépouses, qui s'articulent essentiellement autour du système de
« partage », généralement inégalitaire, d'un
même époux.
Dans le contexte du corpus, la polygamie est un moyen de
sujétion de la femme. Elle n'est pas considérée, ou du
moins, elle reste un objet que l'époux doit protéger. Dans
Walandé. L'art de partager un mari,Djaïli Amadou
évoque cette pratique avilissante pour la femme :
« Pauvre femme, obligée de vivre avec ses soeurs comme elle,
prisonnières d'une grande maison avec des murs aux alentours afin
qu'aucun regard extérieur ne la souille. Normal ! On doit bien garder
ses épouses. » (WAPM : 10). Ainsi que le
révèle ce passage, la polygamie est une pratique imposée
à la femme. Elle n'a de choix que de se soumettre. Bien plus, elle y est
astreinte à subir les corollaires de cette vie à plusieurs.
Très souvent, les difficultés qu'elles y rencontrent
s'amoncellent aussi haut que les murs aux alentours. Étant
àl'abri des regards, le calvaire de la polygamie ne peut être
dénoncé. Il est aussi protégé que l'être
humain. Ce qui galvanise davantage l'époux à se livrer à
la maltraitance de ses conjointes. C'est une attitude qui se conforme aux
normes sociales observées par tout le monde peul.
Dans les romans de Djaïli, l'arrivée de nouvelles
épouses dans la famille est décrite comme traumatisante pour la
première épouse (ou les autres) ainsi que pour ses enfants.
Il poussa encore un soupir. Le jour où j'ai pris une
deuxième femme, Aïssatou a complètement changé. Elle
n'est plus là pour moi. Sous son silence, elle s'est retirée du
devant de la scène. Elle n'a pas fait de reproches certes, elle ne me
fait plus part de rien. Elle ses contente juste de remplir ses devoirs et ne se
mêle pas de ma vie privée. Que j'en épouse une ou que j'en
répudie une autre, elle n'est pas concernée. Djaïli aussi
n'a plus été là. Elle si, plantureuse, si
passionnée, me permit de découvrir de la lassitude sous ses
colères. (WAPM : 60-70).
L'auteure insiste sur le fait que les protagonistes se
comportent en victimes résignées. Elles sont toutes contre la
polygamie. Mais, la question du traitement inéquitable des
épouses par les maris demeure la préoccupation majeure. De plus,
dans la polygamie, les femmes ne sont pas solidaires entre elles. Dans
Munyal.Les larmes de la patience, l'auteure donne l'exemplede Safira
qui trouve du plaisir à traumatiser sa coépouse pour
l'empêcher de recevoir leur époux lors de son
walandé. Elle confesse :
L'air de rien, je me révélais une adversaire
redoutable et utilisais parfois mes enfants et les domestiques pour arriver
à mes fins. Je n'arrêtais pas de monter des coups contre Ramla. Et
tout y passait ! Je faisais verse des grains de sable sur ses grillades et dans
sa farine destinée au couscous. Je rajoutais du sel dans sa sauce. Je
glissais discrètement encore du sable mais sous les draps dans le lit
conjugal au sortir de mon waalandé. Je dissimulais savon et
papier hygiénique, salissais les serviettes, et Alhadji se plaignait,
tempêtait et s'énervait contre Ramla sans qu'elle puisse se
justifier. (WAPM : 149) .
Parce qu'elle ne supporte pas sa coépouse, elle use de
stratagèmes pour contraindre son Alhadji à tempêter contre
sa coépouse. Ainsi, peut-on parler d'une misogynie
intériorisée mais qui sert les intérêts de certaines
femmes et qui leur permet de prendre le pouvoir et de savourer une jouissance
sur d'autres femmes ? Comment se libérer de la domination masculine si
les femmes et/ou les mères sont les premières à
pérenniser un système de pensée qui est défavorable
aux femmes ? Force est de reconnaître que le regard des hommes sur les
femmes, comme les perceptions que les protagonistes féminins du corpus
ont d'elles-mêmes restent empreintes d'une idéologie
conservatrice.
De plus, il est attendu de l'épouse qui aura
bientôt une coépouse qu'elle accepte la situation et sauve les
apparences. Au moment de recevoir les nouvelles du remariage de son
époux, elle se doit de garder sa dignité et sa lucidité
alors qu'elle éprouve en même temps des sentiments de rage et de
tristesse. Dans les textes de Djaïli, les femmes telles que
décrites sont porteuses de la pérennité des traditions.
Elles ne veulent surtout pas donner à leurs visiteurs la satisfaction de
raconter leur désarroi. Avoir une coépouse n'est pas une chose
banale, cela remet en question une vie de famille, une relation de confiance,
le bonheur construit dans le foyer et donc ce qui peut entraîner une
souffrance psychique à force de ne pas en parler.
Une heure plus tard, ma coépouse vient me souhaiter la
bienvenue. Sous mon voile, je la dévisage. Contrairement à ce que
je m'étais imaginée, elle n'est pas âgée. C'est une
femme à la trentaine épanouie, d'une grande beauté.
J'aurais aimé m'en faire une alliée mais le regard qu'elle pose
sur moi me l'interdit. Elle semble me détester avant même de me
connaître. Elle aussi est entourée des femmes de sa famille
arborant des sourires de bienséance. Deux camps se toisent, se scrutent
en un duel feutré, où l'on devine une hypocrisie mielleuse. Je
sens qu'elle fait un énorme effort pour rester calme. (MLP : 20)
Il existe des mots qui détruisent, comme il est des
silences terriblement violents, par exemple lorsqu'elles taisent ce qui devrait
être dénoncé. Il semble que les femmes qui sont dans la
féminité accomplie sont réduites à concevoir,
admettre, tolérer, servir et se taire.
Au terme de ce chapitre, il ressort que plusieurs facteurs
sont à l'origine de la sujétion du personnage féminin.
Nous avons pu relever quelques préjugés et clichés d'une
part, ensuite l'interprétation faite du livre sacré d'autre part.
Nous avons aussi relevé les lois sociales telles que le Munyal,
lePulaaku, le Semteende et le mutisme de la femme sont des
barrières à l'épanouissement du personnage féminin.
Nous constatons que ces normes sociales qui sont d'une importance capitale pour
le bon fonctionnement de la société peule et du foyer ne sont pas
faciles à appliquer. Car elles demandent d'énormes sacrifices
pour y parvenir et elles portent atteinte à la liberté et au
bonheur surtout de la gent féminine. Tous ces éléments
montrent incessamment des personnages féminins qui souffrent vivant dans
un milieu régi par des normes.Le personnage féminin est
réduit au silence, à la souffrance due à la
marginalisation dans la société et à la violence physique
qu'il subit en cas d'une quelconque réclamation. L'homme pour asseoir sa
suprématie par rapport à la femme, a établi plusieurs
stratégies au premier rang desquelles la privation du droit à
l'éducation pour la fille. Il lui est inculqué dès sa plus
tendre enfance le fait qu'elle soit faite pour servir l'homme, pour lui assurer
une descendance et l'encadrer. Pour que ces éléments qui sont
à l'origine de la victimisation soit plus significatifs, l'auteur les
rend plus manifeste à travers les moyens et les techniques.
Chapitre 2. Les modes et techniques de sujétion de la
femme dans le corpus
La représentation de la femme dans les deux romans de
Djaïli Amadou Amal est une réponse à un certain nombre de
principes du patriarcat. Ce système est omniprésent dans
l'univers romanesque. Les personnages homme ou femme, d'une manière ou
d'une autre sont concernés. Ainsi, ces principes se manifestent dans les
comportements des personnages. Dans ce contexte, au-delà de la
représentation des femmes dans une situation de victime, l'analyse dans
ce chapitre s'attèle à comprendre les procédés qui
permettent aux protagonistes masculins de tenir en laisse les personnages
féminins.
2.1. L'éducation discriminatoire
La société traditionnelle africaine
considère le masculin et le féminin comme des identités
fixes correspondant à la distinction biologique du sexe.On
privilégie l'éducation informelle de la jeune fille au
détriment de l'éducation formelle. On dirait que l'école
n'est pas faite pour les filles. Ce qui leur sied mieux c'est
l'éducation qu'elles reçoivent d'une mère qui leur apprend
à faire la cuisine. A garder un ménage etc. bref, on la
prépare pour une vie conjugale à venir. L'éducation
traditionnelle de la jeune fille met un point d'honneur sur
l'obéissance, ce qui est une qualité. Ce qu'on déplore,
c'est la soumission aveugle face à laquelle elle est mise, excluant
toute possibilité d'initiative et de développement de sa
personnalité, facteur clé par lequel tout être humain
s'affirme. Ce genre d'éducation ne prodigue à la femme qu'un
système d'acquisition de valeur qui la cantonne dans son gîte de
dominée et de tutellée, construit par le phallocrate. On apprend
très tôt aux filles : « Accepte avec
humilité ce qu'Allah t'impose comme épreuve(...)le mari est
celui qui te commande, ton maître, ton seigneur tout puissant. Et s'il
était permis à un être humain de se prosterner devant un
autre, alors, la femme devrait se prosterner devant son
époux » (MLP : 59).
Les règles de la phallocratie veulent que tout individu
mâle soit reconnu supérieur à la femme sans
considération d'âge ou de classe linéale (ou de
moralité ou de talent ou d'intelligence...). Ainsi, le petit
garçon dominera sa grande soeur ou même sa mère. Pierre
Bourdieu explique que la domination masculine est principalement assurée
par trois instances : la Famille qui répartit les taches sur la base de
l'identité sexuelle des membres, l'École qui ne s'est pas
détachée vraiment de la tutelle de la religion, et enfin
l'État qui légitime le pouvoir du père, consacrant de fait
la prééminence de l'homme sur la femme (Bourdieu, 1998 : 92).
Cette association du genre au pouvoir se remarque dans toutes les
sphères de la vie, en particulier dans les relations du couple. Dans
Walaande. L'art de partager un mari, l'auteure présente des
femmes contenues dans la sphère familiale ; tandis que les
garçons jouissent de leur liberté de mouvement. Dans Les membres
de la famille évoluent dans deux mondes distincts. Bien qu'il n'y ait
pas de séparation visible entre le groupe des femmes et celui des
hommes, chaque membre du groupe connaît son domaine d'action et l'espace
qui lui est circonscrit. Dans la description de la vie de la famille, il n'y a
pas vraiment d'interaction privée entre les garçons et les
filles. En fait, la partie extérieure, celle où tous les
visiteurs ont accès, est réservée aux garçons. Elle
leur octroie plus de liberté. Les filles quant à elles, doivent
se contenter de la partie intérieure de la concession, à l'abri
des regards. Les membres de la famille doivent garder ces espaces aux limites
psychologiques infranchissables. (WAPM : 82).
L'éducation de la jeune fille est axée sur le
code féminin. La discrétion, le sens du secret, le respect de la
confidence et de la tradition sont les points important, la domination
masculine commence dès le bas âge. L'auteure le démontre
à travers une petite dispute au sujet de la télécommande,
qui oppose les petits enfants, Nasser le fils de Djaïli et Halima, la
fille de Sakina. Lorsque la fille demande au garçon de lui donner la
télécommande, Nasser lui répond par la
suivante : « c'est moi le garçon, donc c'est moi qui
commande » (WLPM: 54). Cette idée est
déjà fossilisée malheureusement. Un petit garçon
qui sait qu'il a plus de droit que la fille.
Sur le plan religieux, il parait que la religion soit
même le principal obstacle à l'éducation des filles.
Puisqu'elle est catégorique sur le fait que les filles ne doivent pas
fréquenter l'école occidentale sous prétexte que les
enseignements véhiculés poussent au paganisme, à la non
croyance, à l'existence d'un Dieu unique. En effet, les romans de notre
corpus baignent dans l'univers islamo-peul. C'est la religion islamique qui
domine alors tout se rapporte à Mohamed. Ainsi, lorsque Djaïli
exprime son souhait de se rendre aussi à l'école comme sa
camarade du quartier Aminata, sa mère lui recommande d'étudier le
coran. Précisément parce que les saintes écritures
enseignent des lois relatives aux devoirs de l'épouse et à
l'autorité de l'homme. Pour éviter de sombrer dans les interdits
des normes peules et de brûler dans les flammes de l'enfer ainsi que ses
parents, la fille est censée rester à la maison, se faire
inculquer des valeurs éthiques et spirituelles par ses parents.
Le fragment du dialogue suivant en dit tout :
- Mère, je veux aussi aller à l'école
comme Aminata
- Non ! Etudie plutôt le coran. C'est mieux pour
toi.
- Mais je veux aussi aller à l'école, pourquoi
je ne pourrais pas y aller aussi ??
- Arrête de me déranger Djaïli !
Va demander à ton père !
Elle n'avait pas hésité, la petite.
Elle arrêta son père qui montait dans sa voiture
un matin.
-Baaba, j'aimerais aussi aller à l'école avec
mes frères.
- Les filles ne vont pas à l'école !
répondit son père avec un sourire.
-Pourquoi alors Aminata y va ?
- Quand une fille va à l'école, elle devient
païenne et elle ira en enfer ainsi que ses parents.
Tu ne veux pas que j'aille en enfer ?
(WAPM : 40).
Dans Munyal, on retrouve également un cas
similaire au sujet de l'instruction scolaire du personnage féminin. La
vie de la femme ne se résume que pour plaire à l'homme, sa vie ne
se résume qu'aux fins de l'homme. Le personnage Ramla qui est si
différente de ses soeurs dans le sens où elle était la
seule dans sa famille à poursuivre ses études est
découragé par sa mère et ses marâtres qui lui font
comprendre que l'école ne lui servira à rien. Lorsqu'elle les
parle de ses ambitions et rêves, elles se moquent de Ramla et lui demande
de redescendre sur terre car la finalité d'une femme ce n'est pas de
grande étude, non. Mais le mariage surtout être marié
à un homme riche. Le fragment suivant est très
éloquent :
Quand j'expliquais aux femmes de la famille mon ambition
d'être pharmacienne, elles riaient aux éclats, me traitais de
folle et vantaient les vertus du mariage et de la vie d'une femme au foyer.
Quand je renchérissais sur l'épanouissement qu'il y aurait pour
une femme d'avoir un emploi, de conduire sa voiture, de gérer son
patrimoine, elles coupaient sévèrement que de toutes les
façons peu importait à quoi je rêvais, il valait mieux pour
moi redescendre sur terre et vivre dans la vraie vie. Une vie différente
de celle que je lisais dans mes romans où de celles que je regardais
dans les séries télévisées. Pour elles, le summum
du bonheur était d'être marié à un homme riche.
(MLP: 42).
Dans la religion islamique, c'est un péché
d'envoyer sa fille à l'école. C'est un fait grave qui
mériterait l'enfer. La fille doit seulement apprendre ses fonctions
classiques qui sont nécessaires à l'accomplissement de son destin
de femme.
2.1.1. Le mariage forcé
Le mariage forcé est le fait de marier une personne
contre son gré. Il s'agit d'un mariage arrangé ou la famille
impose cela à un enfant. L'auteure de notre corpus déploie le
mariage forcé. Pour elle, c'est une violence faite à la jeune
fille du sahel. Dans la société du texte, la condition de la
jeune fille est déplorable en ce qui concerne le mariage car elle la
place à l'écart de la société. Elle n'a pas de mot
à dire concernant sa vie. Ce sont ses parents et la tradition qui
décident à sa place. Dès sa naissance, elle est
déjà destinée au mariage arrangé ou forcé
qu'elle saura attendre sans effort. Dans Walaandé, l'auteure se
plaint de la manière dont la société musulmane traite la
femme, et par conséquent elle voudrait améliorer cette situation.
C'est ce qui justifie ces termes : « pauvre petite femme,
livrée un soir dans la chambre d'un inconnu qui a payé sa dot et
qui a tous les droits sur elle. » (WAPM : 5). Le
mariage impose du respect pour la femme. Serait-elle une raison pour laquelle
beaucoup de femmes soufflent le chaud et le froid, cèdent aux caprices
de leurs conjoints afin de ne pas se coller une étiquette ? C'est
aussi pourquoi, maîtrisant les méfaits de la polygamie, certaines
femmes l'acceptent, signant ainsi la perpétuité et la
continuité de ce fait qui dépend des intérêts moraux
sociaux, de même que la volonté des femmes.
Dans certaines cultures africaines, il faut noter qu'avant
l'introduction de la culture et la loi occidentale, les femmes n'avaient pas de
droit de choisir leurs maris. Selon Simone de Beauvoir, il était
également le cas en Europe traditionnelle et patriarcale que ce
fût le père qui fit le choix du mari à sa fille et se mit
d'accord avec le soupirant sur la dot à lui remettre en tant que
beau-fils (Siwoku-Awi, 2019 : 152). En Afrique c'était toute une
autre tradition. C'était le mariage arrangé. Il revenait au
père de faire le choix pour sa fille et très souvent le gagnant
était le plus riche. Dans la pratique patriarcale le plus offrant
devenait le mari. La dot payée aux parents pour s'approprier la fille
était comme une somme pour l'acheter et par conséquent elle
perdait sa liberté et elle pouvait être traitée comme une
esclave.
L'un des principaux thèmes du corpus est la relation
entre les sexes au sein de la famille. Dans la société
représentée dans les deux romans, il y a une
inégalité entre l'homme et la femme au sein des familles. La
femme occupe une place subordonnée et l'homme domine. Simone de Beauvoir
qualifie une telle situation de handicapée. Elle écrit :
« La femme a toujours été, sinon l'esclave de l'homme, du
moins sa vassale; les deux sexes ne se sont jamais partagé le monde
à égalité; et aujourd'hui encore, bien que sa condition
soit en train d'évoluer, la femme est lourdement handicapée
» (De Beauvoir, 1949 : 22). Elle est assignée à des
tâches telles que prendre soin de la maison et s'occuper des enfants et
de l'homme. Les femmes quelques soient les efforts fournis, elles ne seront pas
vues comme des individus équivalents aux hommes.
En effet, l'homme est celui qui défend la femme. Toutes
les décisions la concernant sont prises par la gent masculine. C'est
dans ce sens que le choix de se marier ne lui appartient pas. Dans
Walaandé L'art de partager un mari, l'on repère
plusieurs cas de mariage forcé. Aïssatou, la première
épouse d'AlhadjiOumarou est l'une des victimes. Elle se remémore
ce jour où son destin a basculé : Elle avait douze ans,
Aïssatou, quand son père l'a donnée en mariage. Elle se
rappelle de ce jour comme si c'était hier. Elle était partie
puiser de l'eau au Mayo avec ses amies quand un groupe de jeunes hommes les
avaient accostées, leur demandant à boire. « Elles
s'étaient enfuient, rieuses. Quelques jours après, des hommes
sont venus demander sa main et son père l'avait accordée.
Pourquoi aurait-il demandé son avis ? À l'époque,
cela ne se faisait pas. C'était un bon parti. »
(WAPM : 58).
Ainsi, la femme est mariée sans son consentement. En
plus d'être mineure, sans voix et sans défense, elle est
envoyée en mariage chez un homme dont elle ignore. La tradition ne lui
reconnaît que le devoir de subir son sort de
« marchandise », vendue, échangée,
donnée en gage. Il y a donc à travers la culture peule
représentée un tableau si sombre que son dépassement
devient une exigence dans une société en voie de modernisation.
L'image de la femme persécutée doit disparaître. Il en est
de même pour Hindou, dans Munyal. Les larmes de la
patience :
-S'il te plaît, Baaba, écoute-moi : je ne veux
pas me marier avec lui ! S'il te plaît, laisse-moi rester ici.
-Mais qu'est-ce que tu racontes, Hindou ?
-Je n'aime pas Moubarak ! fait-elle, en sanglotant de plus
belle. Je ne veux pas me marier avec lui. C'est à peine si mon
père lance un regard sur la jeune adolescente courbée à
ses pieds. Se tournant vers moi, il ordonne calmement :
-Allez-y ! Qu'Allah leur accorde le bonheur.
Et c'est fini. Voilà tout l'adieu que je reçois
de mon père que je ne reverrai probablement pas avant un an -si tout se
passe normalement. (MLP : 19).
Pour se marier, la question du choix ne pose aucun
problème. L'homme n'a pas besoin de se faire des relations ou d'avoir de
contacts avec des filles comme c'est le cas de nos jours, pour choisir son
épouse. Bien plus, la suggestion de ce mariage n'a été
faite par la famille. Comme le dit Ken Bugul : « L'homme en âge de
se marier jetait son dévolu sur une jeune fille ou était
conseillé par la famille » (Ken Bugul, 1999 : 43). Dans ce cas
donc, c'est la famille qui conseille, qui montre ou qui identifie une
épouse potentielle. Le choix tombe toujours dans l'entourage, les
proches de la famille du côté paternel ou maternel. Dans le cas
ci-dessus cité, les deux conjoints sont cousin et cousine. Ainsi, la
plupart des mariages sont célébrés entre les enfants de la
grande famille.
Dans la société peule, le mariage est plus
célébré coutumièrement que civilement. Sa
conclusion est faite par les hommes. Les femmes n'ont pas à donner leur
avis sur la question. Après qu'AlhadjiOumarou et ses frères aient
forgé le mariage inter cousins, il charge Aissatou de l'annoncer aux
filles. A peine cette dernière a articulé le premier mot pour
donner son point de vue d'Alhadji l'interrompit
sévèrement : « Arrête de me contredire toi
aussi. Qu'est-ce vous avez toutes à vouloir donner votre avis depuis un
certain temps ? Le mariage sont les affaires des hommes »
(WLPM : 67). La célébration du mariage dans cette
communauté est fixée dans un délai très bref. Le
mariage de Fayza, Yasmine et Moustapha est prévu dans deux mois à
compter du soir où les chefs de famille en ont eu l'idée. Par le
mariage, une femme a une renommée sociale. Cependant, elle ne
reflète pas autant de joie et de bonheur que son nom. Aïssatou le
souligne si bien lorsqu'elle conseille sa fille Faysa : « le
mariage n'est pas une prairie. Non ! C'est un chemin plein
d'embûches qui demande patience et endurance à ceux qui
l'emprunte » (WLPM : 121). Surtout, la narratrice fait
savoir que « chez les peuls, les femmes savent que le domicile du
mari n'est jamais un acquis. Ce n'est pas chez-soi et on peut y être
répudié à tout moment » (WLPM :
128). Ceci témoigne la précarité du mariage dans cette
communauté. Cette pratique ne mérite pas d'être prise au
sérieux. C'est ce qu'Aissatou veut dire dans la phrase suivante :
« Dans nos mariages, il ne faut pas y mettre du coeur ».
Une analyse approfondie du corpus montre que le mariage
forcé est une tradition qui est considérée comme un signe
d'obéissance et d'appartenance à la société. Dans
cette situation, il y a peu ou peut-être pas du tout de place pour les
sentiments, ou ce qu'on appelle amour. Pour la fille, le mariage ce n'est pas
avec un homme, mais avec une situation, une vie et c'est pour toujours. Comme
elle n'a pas le choix d'être célibataire, elle n'a pas non plus le
choix de l'époux : « Le mariage est un contrat social entre
familles, où le seul cadet à qui on demande son avis est le
garçon. La fille est priée d'obéir. Si elle refuse, elle
est maudite ou souvent on la force. Il faut respecter l'ordre établi
» (LilyanKesteloot, 2001 : 284). Les romans abondent d'exemples de filles
victimes d'un mariage forcé : « Nafissa avait quatorze
ans quand Alhadji l'avait épousée. Elle se rappelle les mots de
sa mère chargée de lui annoncer que son père l'avait
promise. Nafissa, ton père a accordé ta main à
AlhadjiOumarou, afin de lui montrer sa gratitude. Tu as de la chance ma fille.
Ton père compte sur toi pour que tu lui fasses honneur et que tu te
comportes dignement. » (WAPM : 35). Suite à
cette annonce, la jeune fille, intelligente, est forcée de quitter
l'école pour se marier contre son gré, malgré son
intelligence, son goût pour les études et son ambition formidable.
Nafissa fait l'objet d'une transaction qui ne tient pas compte
de son avis. Elle a été mariée de force à
AlhadjiOumarou, un polygame assez vieux pour être son père. Pour
la famille et la communauté, les promesses et les alliances sont
très importantes et ne doivent en aucun cas être rompues. De
même, le mariage dans la société peule revêt un
caractère sacré dont la femme en est un simple membre. Il n'est
pas seulement une union entre deux individus mais entre deux familles, deux
villages, deux communautés. À ce titre, Nafissa doit, s'il le
faut, sacrifier son bonheur en soumettant son corps à la cause de sa
communauté. Jeune et intelligente, elle aurait pu se trouver un mari
très facilement surtout qu'« à quatorze ans, Nafissa avait
un corps qui semblait être l'oeuvre sublime du meilleur sculpteur.»
(WAPM : 29) Mais son père l'avait promise à un
riche commerçant pour qu'elle devienne la troisième épouse
de ce dernier. Il entend respecter cette promesse et jouir de ses
prérogatives de père. En plus, la mère en tant que femme,
elle est classée au même niveau qu'un enfant. D'ailleurs, aux
cérémonies de mariage, les femmes sont reléguées
aux seconds rôles. Elles s'occupent des festivités tandis que les
hommes discutent des points importants.
En bonnes femmes du sahel, elles sont astreintes à
supporter leurs douleurs en silence. C'est pourquoi l'auteure écrit que
les « les femmes se côtoient sans cesse au point de se sentir
piégées aussi bien par les murs hauts qui nous entourent que par
les étoffes de plus en plus sombres et lourdes que mon oncle Moussa nous
oblige à revêtir. Il n'y a pas un jour où elles ne
s'agacent voire s'entredéchirent à force de tourner en rond comme
des lionnes en cage. » (MLP : 93). Nafissa et toutes
les autres femmes du corpus ont dû subir la tradition en épousant
malgré elles le vieil homme choisi par son père. Certaines sont
envoyées en mariage par leurs parents pour raffermir les relations
d'amitié qu'ils ont avec ce riche commerçant. Sans doute
reçoit-il de la part de ce dernier des cadeaux en espèces et en
nature en plus de la dote. On sait que dans plusieurs sociétés
africaines, une fois la promesse faite, le futur mari commence à rendre
différents services à ses futurs beaux-parents. Ces services
peuvent être d'ordre manuel comme des travaux champêtres, du
coupage du bois de chauffe, du bricolage de tous ordres (réparation des
toits des cases). Dans cette situation, la femme se doit de se sacrifier en se
tenant exemplaire dans son foyer, sans rechigner au risque de se voir
congédiée.
2.1.2. La répudiation
Djaïli Amadou Amal est une des écrivaines
camerounaises qui jouent un rôle important dans l'émancipation de
la femme africaine. On peut déduire à travers ses oeuvres les
conseils indispensables pour susciter la prise de conscience. Dans la plus part
des cas, la représentation du divorce permet de constater qu'il est un
moyen de libération du joug de l'homme. Il reflète une image de
la femme affranchie. Toutefois, dans les textes de Djaïli, le divorce ou
la répudiation est toujours l'initiative de l'homme. La
répudiation est un moyen utilisé dans la société
patriarcale peule comme un moyen de pression, une source de chantage à
l'égard de la gent féminine. En dix-sept occurrences dans
Munyal. Les larmes de la patience, elle plane comme une
épée de Damoclès sur les personnages féminins.
Le critique féministe Rahman Azulfar explique que la
femme, selon la loi islamique, peut être contrainte à continuer un
lien qu'elle ne désire plus, et qu'il y a cinq catégories de
situations où le divorce peut être concédé (Rahman,
1982:305). Parmi ces possibilités il y'en a aussi une, nommée le
« triple divorce ». Ce dernier est l'apanage des romans de
Djaïli Amadou Amal. Il s'agit, encore selon le même auteur, d'une
coutume abusive pour la femme, étant donné que le mariage est
dissolu juste après que le mari prononce la formule « je te
répudierai plutôt trois fois qu'une »
(MLP : 38). Selon les notes de bas de page du roman
Munyal, cette forme de divorce est irrévocable; elle est encore
pratiquée, aujourd'hui, par les peuples islamopeuls. Une analyse de
l'univers culturel représenté dans le corpus laisse entrevoir que
la répudiation décidée par le mari, en présence ou
en absence de l'épouse, sans qu'il soit besoin, pour lui, de justifier
sa décision.
Comme le mariage, le divorce dans la tradition peule ou selon
la religion musulmane traditionnelle n'est pas civil. La rupture des liens du
mariage est verbale. Il suffit à l'homme de prononcer ces mots
« je te répudie » pour que le divorce prenne acte.
Conscient de l'importance du mariage dans la société,
AlhadjiOumarou dans Walaandéfait du mot
« répudier » son cheval de bataille contre ses
épouses. La menace de répudiation est l'arme qu'il utilise
à bon escient pour intimider ses femmes. Malheureusement, cela s'est
retourné contre lui. Il est un beau flatteur qui ne tient pas les
promesses qu'il fait à ses épouses. À Djaïli, il
avait promis ne plus épouser de femme après Nafissa. Et
lorsqu'après avoir appris qu'il était sur le point de prendre une
quatrième, elle lui demande des explications, AlhadjiOumarou se fait
pousser les épines sur le corps :
Qui te permet de me poser les questions ? Allah a permis
aux hommes d'avoir quetres femmes et autant d'esclaves qu'ils
désirent... Qui fait la ration dans cette maison ? C'est moi. C'est
moi qui commande ! Alors, ne t'amuse plus jamais à me parler sur ce
ton. Je vais épouser Sakina. Et je fais exactement ce qui me plait.
C'est ma maison et si tu désires encore y rester, c'est tant mieux Si
ça ne te plaît plus, je te répudie immédiatement.
C'est clair ? Tu ne poses plus jamais de questions et ne fais pas de
remarques. Ou alors, je te répudie. (WAPM : 41-42)
Toujours sur la défensive, AlhadjiOumarou centre son
égo : « c'est moi qui commande »,
« je vais... », « je fais ce qui me
plaît », « je te répudie ». Son
langage est négateur de l'existence de sa conjointe qui ne mérite
un peu de respect du simple fait d'être un être humain. Le divorce
traditionnel accorde les « droits de grâce »
lorsqu'il est prononcé une seule fois. Prononcé trois fois
successivement, il devient définitif et n'offre aucune
possibilité de réconciliation. Nafissa est trois fois
répudiée et ceci inhibe toute relation intime entre elle et son
mari qui, désormais ne la considère plus comme sa
mère ; dans le sens où l'interdiction pour le fils de voir
la nudité de sa maman est absolue. « Je te répudie, je
te répudie, je te répudie, je te répudie. Tu es comme ma
mère » ; dit AlhadjiOumarou à Nafissa.
(WAPM : 128). Un tel divorce selon l'Imam ne saurait être
revu. Personne, ni rien ne pourra le changer.Ce n'est que lorsqu'Aïssatou
est répudiée qu'elle réalise et comprend le sens de ce
précepte parental peul qui dit que « quiconque fait de son
mari un deuxième père finira par mourir reniée »
(WAPM : 129).
Toujours dans Walaande. L'art de partager un mari,
Alhadji, dos au mur, ne parvient pas à convaincre ses épouses.
Celles-ci lui reprochent son caractère violent, son manque de
discernement fasse aux différentes situations qui arrivent à sa
famille. Ses femmes l'accusent, et à raison, d'être indirectement
la cause principale du décès de leur fille (WAPM :
140-142). De cet échange, le mari se rend compte que non seulement ses
épouses essaient de s'affirmer de son autorité, mais aussi et
surtout, elles ne lui obéiront pas. Cette attitude des épouses
apparaîtrait comme une offense à son égard. Faute de
pouvoir les convaincre verbalement, il utilise l'acte la répudiation
pour les soumettre à sa volonté : « tu penses
qu'étant ma première épouse, je ne pourrais pas te
répudier ? Fais attention à toi Aïssatou !
Maîtrise ta langue rendue amère par la douleur ! »
(WAPM : 141)
La répudiation est donc une arme pour dominer ses
femmes qui n'arrêtaient de le harceler. Le but recherché dans
cette action par le mari est de prendre contrôle de la situation plus
tôt que de trouver une solution, un terrain d'entente. Cet acte met en
relief le rapport de force entre l'homme et la femme dans le couple. Cet
épisode montre que bien que bonnes peules, les épouses se sont
révoltées. Alhadji, culturellement a le droit d'être le
chef de famille. Toutefois, ce pouvoir n'est pas respecté. Les
épouses refusent cette fois de se laisser dominer par lui et
réclament leurs droits en s'engageant dans une lutte pour la
libération de la femme. Il est évident qu'elles n'ont plus
l'attitude d'une femme soumise. Elles n'acceptent pas qu'Alhadji leur impose sa
volonté. Elles choisissent plutôt d'être de se
défaire de leurs chaînes et décident de faire face au
bourreau et malgré les menaces de répudiation de ce dernier.
2.1.3. La souffrance
Dans le corpus, le récit est singulier puisqu'il
évoque une injustice face à laquelle la femme seule est
confrontée. Elle vit l'hypocrisie, le machisme et partant, le patriarcat
imposé par l'homme et la société. Toutes les actions et
situations représentées dans le corpus sont en défaveur de
la femme. Ce qu'elles vivent, les femmes, le mariage forcé, la
polygamie, la violence, le déclassement et le mépris, ne visent
qu'une seule chose : la faire souffrir. Dans Munyal. Les larmes de la
patience, la souffrance de la femme est atteint son degré de
paroxysme. Hindou, l'une des protagonistes en a vécu
l'expérience : « Je prends une douche, laissant l'eau
couler sur son corps meurtri comme pour me laver de mes souffrances. J'essaie
d'étouffer mes sanglots de peur d'attiser à nouveau sa
colère mais j'ai du mal à m'en empêcher »
(MLP : 109). Ici, le personnage fait les frais de l'arrogance
masculine. L'épouse est ici traitée comme un objet par son
époux. Elle n'a aucune considération, aucun égard. La
violence sous toutes ses formes s'abat sur elle. Et elle en souffre. Moubarak
l'époux, s'est imposé comme le mâle dominant, il a investi
l'espace conjugal, en occupant la place du bourreau, en la terrorisant tout en
la privant de toute dignité. Le comble du malheur de la jeune Hindou est
que la brutalité de son époux est de plus enplus fréquente
et cela sans prétexte aucun : « Il continue de
me brutaliser, de m'abreuver d'insultes aussi dégradantes
qu'humiliantes. On ne compte plus les hématomes, égratignures et
ecchymoses que ses coups laissent sur mon corps - et ce dans la plus grande
indifférence des membres de la famille. On sait que Moubarak me frappe,
et c'est dans l'ordre des choses. Il est naturel qu'un homme corrige, insulte
ou répudie ses épouses. » (MLP :104).La
souffrance qu'endure la jeune femme rentre désormais dans l'ordre normal
des choses. Toute la famille est complice de ce traitement. Elle est seule face
à son destin.
Le corpus est un roman de pleurs, de souffrance, une
expression de la douleur de la femme. C'est la femme-souffrance par excellence.
Un récit qui décrit la souffrance des mères et des
épouses. Une souffrance qui est venue accroitre la douleur de ces femmes
après qu'elles sont devenues objets entre les mains des hommes. Ce
récit explique l'étendu de la souffrance chez toutes ces femmes.
Une étape cruciale dans leur vie qui a été un point de
départ dans un long chemin de lutte pour la plupart d'entre elles. Dans
Walaandé. L'art de partager un mari, Nafissa, l'une des
épouses de Alhadji, ne connais que souffrance dans ce foyer. En fait,
jeune et frêle, elle est astreinte à des travaux domestiques,
à des charges très lourdes. La concession qui ne désemplit
pas de monde, elle est obligée de faire la cuisine pour satisfaire toute
la population. Or, sa jeunesse ne lui permet pas de réaliser cette
tâche. Pendant que toutes ses coépouses attendent leur tour
avec impatience, elle redoute quant à elle ce jour. Elle est
terrorisée par le fait de ne pas pouvoir assumer se tâches
domestiques. Elle est terrorisée par son époux :
« Tout dans ce duplex la met mal à l'aise. Elle s'y sent
gauche et pas à sa place. Elle a peur d'ouvrir la bouche et de la
froisser par une phrase pourtant simple. Elle a peur de lui, de tout, elle ne
sait plus de quoi elle a peur, mais elle a peur quand même. »
(WAPM : 46). Tous les traitements qu'elle subit au quotidien de
la part de son époux l'on rendu frileuse. Elle est traumatisée
par cette violence à la fois physique et psychologique qui est devenue
son quotidien. Le plus souvent, quand le personnage féminin veut faire
entendre sa voix, c'est pour exprimer et manifester sa souffrance dont
l'époux est le responsable. C'est ce qui justifie les propos
d'Aîssatou : « qu'il est court le temps de bonheur de
la femme. La femme est née à genoux aux pieds de l'homme ;
me disait une amie. Nous passons notre temps à souffrir ! Souffrir
pour faire plaisir à nos pères, puis à nos maris, puis
à nos enfants.Nous passons notre vie pour les autrescar en
réalité, nous n'avons pas de vie »
(WAPM :121).Cet extrait de texte nous montre à suffisance
que la femme est un être né uniquement pour faire plaisir aux
autre et partager leur souffrance.
Donc, les romans de Djaïli laissent transparaître
les événements de la vie familiale et personnelle
caractérisés par la souffrance des femmes. Elle a su
dévoiler d'une façon surprenante les souffrances et les chagrins
des coeurs liés à la femme : la précocité
amoureuse, l'inégalité. Un vécu intime relaté tout
au long de son oeuvre.La lecture des textes montre que les personnages
féminins vivent tous dans les mêmes sentiments de détresse.
D'une façon ou d'une autre, elles subissent les mêmes situations,
chacune d'elle a un monde propre où elle se trouve
séquestrée, cependant, on peut dire aussi que ces femmes vivent
aussi ensemble dans une parfaite harmonie, elles ont pu s'adapter à
leurs vies pour pouvoir vivre leurs journées en
sérénité. Malgré leurs divergences vis-à-vis
de leur statut familial, ces femmes sont restées toujours solidaires
entre elles, et ont essayé de s'entraider. Elles ont toutes vécu
une complicité permanente. On peut dire que la cause derrière
cette réalité, c'est le fait que toutes ces femmes vivaient les
mêmes conditions de vie et cachaient au fond d'elles les mêmes
souffrances, la même amertume et la même soif de liberté.On
peut donc dire que cette spécificité d'écriture est de
caractère féminin.
2.2. La dépersonnalisation de la femme
La dépersonnalisationest un état dans lequel on
se sent étrange. Les gens qui souffrent voient leur vie de
l'extérieur, comme un film. Son propre corps, ses sentiments, mais aussi
d'autres personnes et objets semblent étranges. Les rapports sociaux
entre les deux sexes restent une question majeure, et surtout brûlante,
parce que les hommes, dans leur objectif de mieux dominer, veulent que les
femmes se plient aux exigences des moeurs, des croyances, des us et coutumes
africains. Ils veulent maintenir les femmes dans la soumission totale. Dans
cette foulée, il est question de l'objectivisation de la femme dans
Walandé. L'art de partager un mari et Munyal. Les larmes de
la patience. Elle est à la fois objet, sujet, esclave et victime.
Cette représentation de la femme suggère les souffrances et les
conditions dans lesquelles beaucoup de femmes africaines vivent quotidiennement
dans leur ménage et leur société. Elles sont souvent
victimes de préjugés sociaux ce qui fait qu'elles n'excellent pas
à l'école parce qu'elles cumulent les travaux ménagers et
parce que les hommes ne valorisent pas l'éducation pour elles. Ce fut le
cas de Nafissa à l'image des milliers d'Africaines. On remarque le
caractère ambivalent des charges du personnage féminin dans
Walandé. L'art de partager un mari. De prime abord, elle est
considérée comme un objet au sein de son ménage car c'est
elle qui fait toutes les tâches domestiques sans l'aide de son mari et
personne ne s'inquiète de son individualité. Dans ce roman, on
remarque l'objectivisation de la femme et cela se voit nettement à
travers la relation d'AlhadjiOumarou et ses épouses. Les conditions dans
lesquelles elles vivent suggèrent les mauvais traitements
infligés à la femme. Ensuite, on constate que la
société ne protège pas la femme parce qu'elle est
considérée comme un objet et c'est la raison pour laquelle elle
est ostracisée par l'homme. En outre, la société
interdisait tout ce qui peut promouvoir la liberté de la femme.
Certaines attitudes d'AlhadjiOumarou suggèrent que toutes ses femmes
sont à la disposition de ce dernier.
Le second roman de DjaïliMunyal. Les larmes
de la patienceabonde dans le même sens car, selon elle, la femme est
considérée comme un accessoire qui orne, un objet qu'on
déplace. Au-delà de ce message, l'auteure critique le
comportement injuste des hommes qui veulent toujours que les femmes soient
dépendantes et soumises. Par ailleurs, on voit que la femme dans la
société traditionnelle symbolise un objet qui est au service de
l'homme mais aussi qui doit se soumettre à la volonté de son
époux. Diverses raisons expliquent ce stéréotype, entres
autres la mentalité, le niveau culturel et social n'étaient pas
favorables aux femmes. Cette dernière est perçue comme objet de
désir sexuel. Une femme objet peut être considérée
comme une femme qui ne fait rien, attend tout de son mari. C'est le cas de
toutes les femmes du corpus. Elle est soumise à ce dernier, elle n'a
même pas le droit de choisir. Il lui impose. La relation n'est pas
basée sur la complicité et l'échange car l'homme se croit
supérieur à la femme et par-delà le manque de
communication suggère l'objectivisation de la femme, un facteur
particulier dans les romans à cause des coutumes et religions qui
cherchent à entraver l'expression féminine.
Le rôle de la femme se résume au foyer et de
s'occuper de l'ensemble des tâches ménagères. Donc c'est la
femme qui prend en charge les travaux domestiques de la maison. Son rôle
est exclusivement limité. Par contre, officiellement c'est l'homme,
représenté dans le roman par AlhadjiOumarou, l'oncle Hayatou et
bien d'autres) qui rapportent de l'argent pour couvrir les besoins de sa
famille alors que la femme s'occupe du ménage, de la cuisine, mais aussi
des enfants. La femme doit toujours respecter les décisions de son mari.
Pour conclure, l'objectivisation de la femme est un moyen pour la
société patriarcale, les coutumes et la tradition de maintenir la
femme sous le joug de la dépendance.
Les personnages féminins sont à l'image d'une
société en crise où l'individualisme et la solitude
qu'elle génère déséquilibre l'homme. C'est pourquoi
les êtres de papiers en souffrance dans les pièces apparaissent
introvertis. Plus réflexifs qu'actifs, en effet, ceux-ci sont quasiment
figés dans une sorte de remémoration aiguë perdant ainsi
leur caractère de sujets agissants. Finalement, la
dépersonnalisation de la femme réside ici plus dans l'accablement
du personnage par les souffrances qu'elle vit au quotidien, que dans un
affrontement inter personnages. Aïssatou dansWalaandé. L'art de
partager un mari est immobiliséepar les situations, les multiples
trahisons de son époux. « Hadja Aïssatou Aussi ne dormais
pas. Comment pourrait-elle dormir alors que Djaïli faisait les cent pas.
Mais pourquoi n'arrivait-elle pas à dormir ? Il fallait vraiment
être bête pour croire en l'amour d'un homme polygame. »
(WAPM : 52). La situation est identique. Flottant dans mes
pagnes, je ne cesse de déambuler en proie à
l'anxiété. Insomniaque, je passe désormais mes nuits,
allongée dans le noir, à remuer toutes sortes de pensées
morbides, et c'est seulement au petit matin que je trouve un peu de
répit, au moment de la prière de l'aube. Je vis non plus comme au
début en suivant le rythme immuable de la grande concession, mais
plutôt en fonction des humeurs changeantes de Moubarak, de celles non
moins versatiles de ma belle-mère et de l'ensemble de la gent
féminine de la concession. (MLP : 105)
Les deux extraits ci-dessus traduisent la force avec laquelle
les faits s'imposent à ces femmes. Elles sont désormais
astreintes à ne mener aucune action. Elles sont assujetties par la
souffrance, qui les maintient dans la même situation. C'est dans
l'inactivité du personnage que se joue la violence. Nous avons à
faire à des textes faits à partir des lamentations des femmes
noyées dans leurs angoisses et de leur malaise.
En fait, les personnages femmes, à force de subir les
assauts répétés des hommes, on l'air absente du texte. On
est en présence des êtres sans voix dans la mesure où c'est
une confusion narrative au sein de laquelle l'émetteur du discours est
effacé, noyé dans le flux de parole. Les récits sont
dénués de toute action physique. Il y a inexistence de sujets
agissants. Ce sont plutôt des voix en procès qui racontent la vie
carcérale des détenues. Les personnages de Hindou et les
épouses de l'oncle Hayatou sont des figures illusoires qui ne vivent
qu'à travers une construction romanesque.
Le caractère du personnage classique disparaît,
provoquant ainsi un vide identitaire qui, aux dires de Jean-Pierre Ryngaert,
pourrait s'expliquer par « la désertion des héros
traditionnels de la sphère dramatique pour ne laisser place qu'à
des intervenants simples, anodins, anonymes ». Cette mise en crise du
personnage dans le roman de Djaïli établit la suprématie du
langage sur l'action. C'est dans l'espace discursif que le personnage, en
effet, essaie de se reconstruire par des bribes d'informations pas toujours
explicites. La destruction du sujet parlant rime dans les textes avec un
balbutiement du système dialogique.
2.2.1. La femme battue et
meurtrie, abusée et violée
Dans le corpus, l'on dénombre plusieurs cas de
violence. La dimension infâme du drame est renforcée par le fait
que tous ces actes ont été effectués sur des jeunes
filles. Cette forme de violence démontre à quel point les filles
sont victimes des atrocités au quotidien. D'un côté, elles
peuvent subir la violence des époux, de l'autre côté, elles
peuvent être victime de leurs parents. Parmi les cas de violence
mentionnés dans le récit, il y en a deux qui dépassent
l'entendement : celui d'une violence sur la jeune Hindou par son
géniteur.
Il entre comme un fou dans sa chambre, en ressort avec un long
fouet dont il me cingle les épaules. Les coups sifflent sourdement dans
l'air. L'angoisse, qui m'étrangle depuis ce matin, se mue en une
véritable terreur. Je cherche un coin pour me protéger de ce
déchaînement de violence car mon père ne se contrôle
plus. La lanière du fouet me lacère la peau, déchirant le
pagne que je porte. Moubarak et mes oncles assistent impassibles à cette
flagellation.(MLP : 116)
Le fait pour AlhadjiOumarou d'exercer la violence sur sa fille
ne présence de la mère met le lecteur en face d'une infamie hors
du commun. Le caractère carnavalesque d'un tel acte donne au lecteur
l'impression de se retrouver dans une société hors la loi, une
société de l'horreur où l'honneur cède place
à l'infamie. Ce déchainement impressionne toutes les femmes de la
concession d'Alhadji et laisse imaginer la manière sauvage dont tout
contrevenant s'exposerait. Le fragment de texte suivant montre la maltraitance
et la violence physique et psychologique infligé à la femme.
Notamment celle exercée sur la mère de Hindou par son
époux.
Quand mon père estime la punition suffisante, il
retourne sa rage contre ma mère. Elle ne bouge pas, ne pleure pas et
reçoit stoïquement les coups sans ciller. Seuls ses yeux,
noyés de larmes, brillent plus fort qu'à l'accoutumée.
Elle ne se protège pas. Elle demeure figée et toise mon
père dans un air de défi à la mesure de la sourde
colère qui l'anime au fond du coeur. Toute la concession retient son
souffle. C'est alors que mon oncle Yougouda, sans quitter sa place, intervient
: « Ça suffit ! Ne la frappe pas devant son enfant ! » Mon
père, après un ultime coup de pied, jette son fouet et s'essuie
le visage ruisselant de sueur, puis prend une gorgée d'eau. Toujours
aussi furieux, il s'adresse à ma mère : « Tu n'es qu'une
incapable ! Je te répudie. (MLP : 116-117).
À travers la symbolique de cet acte de violence et le
fait qu'il soit exercé en public, l'auteur parvient à toucher
l'imagination des autres épouses et à laisser dans leur
mémoire les traces d'une violence inouïe qui a marqué la
famille.
Par ailleurs, la dimension infâme du drame est
renforcée par le fait que tout cet acte de violence est effectué
sur sa propre fille. Cette forme de violence démontre à quel
point les femmes sont doublement victimes des atrocités du patriarcat.
D'un côté elles peuvent subir la violence de leurs époux,
comme c'est le cas de Hindou qui est constamment battue par Moubarak, de
l'autre côté, elles peuvent être victime de leur parents.
Suite à sa tentative d'échapper à la violence conjugale,
elle est rattrapée par son second bourreau qui la réduit elle
aussi à un objet.
La domination de la femme se fait souvent à un niveau
mental. Dans le milieu traditionnel, la femme dès le jeune âge est
soumise à la formation. Mais cette préparation psychique
constituée entre autres de l'observation stricte des règles de
conduite en société et au sein de la famille prédispose
souvent la femme à des activités sexuelles douloureuses. Dans le
roman Munyal.Les larmes de la patienceraconte la scène suivante
qui prélude à la prise du corps de la femme, sa sujétion.
Cette scène annonce la défaite de cette dernière dans une
agression violente de la part de son époux car, telle que l'auteur la
décrit, Hindou présente un corps sans défense :
« Il considéra le lit d'un air dégoûté et
me tire vers le sol. Je tombe brutalement et me mets à crier. Il me
bâillonne d'une main. « Il est très tôt. Les gens
dorment encore. Tais-toi ! Tu as suffisamment fait de bruit hier soir. Je
n'aurais jamais cru que tu pouvais être aussi poltronne. Ne dira-t-on pas
que je t'ai tuée ? Cette fois, tu la fermes ! » Il abuse encore de
moi. La douleur est si vive que je tombe dans une bienveillante
inconscience. » (MLP : 166).
Cette agression physique de la femme avec pour but de
vulnérabiliser la victime est un acte de domination ou de
démonstration de force. Dans la description, ce viol appelle à
l'horreur et à la répulsion. Il s'avère être un acte
qui rend captive à tout jamais la femme, la rend victime. En effet, dans
la violence de l'acte, Hindou ne connaît aucune satisfaction sexuelle.
Moubarak, à travers ces actes de violence répétitif sur sa
femme, cherche à satisfaire sa libido et évacuer sa
colère. Et par ricochet, le viol de Hindou a enfoui en elle des
douleurs, des peurs qui se réveillent à la vue de son
époux. Dorénavant Hindou est obligée d'accepter cette vie
de femme non épanouie, meurtrie. Elle éprouve de la
répulsion envers son violeur, elle se sent écoeurée.
L'évolution des événements après
la première nuit des noces qui correspond à son viol montre une
femme dépersonnalisée et qui ne ressent plus aucun plaisir.
Moubarak jouit d'un certain pouvoir sur celle-ci. Désormais, la vue de
cet homme provoque une réouverture des souvenirs des blessures physiques
et mentales qu'elle a subie, mais aussi et surtout la jeune femme ne peut plus
lutter pour prendre son sort en main. Elle se conforme aux exigences du
mariage. Ce viol marque l'aliénation sexuelle de Hindou et le
début du déclin de ses efforts de réappropriation de son
propre corps.
Elle voit désormais en Moubarak l'agresseur. Ce dernier
soumet à chaque fois son épouse aux besoins de son corps. Elle
n'est plus que l'ombre d'elle-même. L'époux la poursuit et
s'approprie le corps son. La pression est tellement grande sur elle qu'elle
finit par s'en fuir. L'homme marque le corps de la femme par le mariage et il
le contrôle. Les femm qui refusent de se plier à la domination
sont souvent soumises à la violence masculine qui peut prendre plusieurs
formes (sévisses corporelles, viol, répudiation, etc.).
2.2.2. La femme muselée
La relation homme/femme, en situation de vie conjugale et
polygame, est caractérisée par le musèlement, qui passe
pour la soumission. Cette dernière est déterminée par
l'obéissance absolue de la femme à son mari. À ce propos,
KembeMilolo affirme que « l'obéissance au mari est une tradition
qui répond à la nature. C'est un penchant naturel de la femme de
se mettre consciemment ou inconsciemment à la volonté de son mari
» (KembeMilolo, 1985 : 178). Dans le contexte traditionnel africain, la
soumission obéit à une perception particulière, car la
soumission est considérée comme une des qualités les plus
appréciées chez la femme.
La religion joue également un rôle important dans
le processus de musèlement de la femme dans la société
représentée à l'oeuvre. L'univers dans lequel se meuvent
les personnages est fondamentalement musulman et la religion y exerce une
grande influence. À cause du mariage et de la religion, les
épouses se sentent attachées aux époux. Elles ne peuvent
s'imaginer une vie sans eux. La dépendance est une construction. Les
passages du Coran sont interprétés de telle sorte que les femmes
sont astreintes à la résignation, à accepter leur
souffrance et se terrer dans le mutisme. Ainsi, l'Oncle Hayatou, explique aux
épouses d'Alhadji la délicatesse et les conséquences d'un
divorce : « On ne s'amuse pas avec ça. Le divorce est la chose
permise la plus détestée d'Allah. Un hadith nous apprend
que le divorce ébranle le trône d'Allah.»
(MLP : 146). Ainsi, à partir de cette
interprétation du Coran, les épouses ne croient pas qu'elles
puissent être heureuses étant divorcées. Elles sont
prisonnières de leur amour et de leur attachement aux époux.
Désormais, les personnages féminins ne peuvent se réaliser
et s'épanouir que dans le mariage. Elles ne peuvent concevoir le bonheur
hors du foyer conjugal. C'est pour cette raison qu'elles choisissent la
résignation et accepte une vie polygamique et toutes les
conséquences qui en découleraient. Elles se sentent
forcées à cause des hommes, de la société et des
traditions.
L'image de l'époux Djaïlien, est celle d'une
personne qui saute sur la moindre occasion qui se pointe pour nuire à sa
compagne, sinon le générer par lui-même. La femme
résignée, n'attend ni secours, ni espoirs et se conforme juste
à ce que tous attendent d'elle. En plus des violences et souffrances que
subit la femme de la part de son époux, l'avidité du père
autoritaire la submerge de « bonus » alors qu'elle est hors
de sa concession :
Il entra comme un fou dans sa chambre, en ressortit avec un
long fouet dont il me cingla les épaules. Les coups sifflaient
sourdement dans l'air.L'angoisse qui m'étranglait depuis le matin se mua
en une véritable terreur.Je cherchais un coin pour me prémunir un
tant soit peu de ce déchaînementde violence car mon père ne
se contrôlait plus... Quand mon père estima laPunition suffisante,
il retourna sa rage vers ma mère ! Elle ne bougea pas, ne pleura
pas et reçut stoïquement coup après coup, sans ciller.
(MLP : 116)
Dans le dernier passage ci-dessus, nous notons la
présence d'une double conjonction éthique et narratif, car
l'auteure s'arrange à ressortir d'un côté la bravoure de la
femme peule (mère d'Hindou en l'occurrence) et de l'autre, elle
énonce ce fait dans un style syntagmatique précis. La rage
paternelle qui s'abat sur la gent féminine est aussi grande qu'on se
demande si son autorité a des bornes. Sinon, comment expliquer cette
violence qu'il exerce sur sa fille qui est mariée ? Et de cette
question, on peut comprendre cette confusion de rôle parce que
l'époux de sa fille est son fils. Cet argument familial permet une
garantie de la main mise paternel en tout lieu et en tout temps.Il est
écoeurant de constater que, même entant adulte la femme peule est
traitée comme un enfant, violentée devant toute la famille sans
que quiconque ne lève le petit doigt, pire encore, on la
« corrige » devant sa propre fille des banalités.
Il faut signaler que la soumission est une attitude
adoptée par la plupart des femmes qui ont subi la polygamie surtout
celles qui ont grandi dans un milieu traditionnel proprement dit. Bien
sûr la première réaction contre la polygamie varie d'une
femme à une autre. C'est une question purement personnelle. Autrement
dit, cela dépend de la personnalité de la femme concernée.
De toute façon la femme manifeste son mécontentement. Mais sous
la pression des contraintes et les obligations qui sont d'une part, de la
famille et de l'entourage et d'autre part, de la société en
général, elle cède volontairement ou involontairement
à cette situation tellement difficile. Il en est ainsi du cas de Ramla
dans Munyal.Les larmes de la patience :
-Ton oncle Hayatou a accordé ta main à un autre.
-Tu n'épouseras plus Aminou. Ton père te le fait
savoir.
-Alhadji Issa ! L'homme le plus important de la ville. Tu
gagnes au change.
-Mais, Diddi, je ne le connais pas !
-Lui, il te connaît. Apparemment, il a beaucoup
insisté pour t'épouser. Ton père en est très fier,
tu sais ?
-Mais, j'aime Aminou ! C'est avec lui que je veux me marier.
-L'amour n'existe pas avant le mariage, Ramla. Il est temps
que tu redescendes sur terre. On n'est pas chez les Blancs ici.[...]
D'ailleurs, as-tu le choix ? Épargne-toi des soucis inutiles, ma fille.
Épargne-moi aussi, car ne te leurre pas, la moindre de tes
désobéissances retombera invariablement sur ma tête.
À travers cet échange, l'on remarque qu'il
s'agit ici de la volonté de la mère d'imposer à sa fille
le désir de la famille. L'intérêt général
prime sur celui de la fille. Son opinion, encore moins ses sentiments ne sont
considérés.
Il existe donc assez de raisons pour lesquelles la femme est
soumise. Il parait évident de dire que, la formation que la femme
reçoit, est la première raison par excellence. Elle vise à
la museler complètement. Ainsi nous pouvons dire que ce choix est
motivé par plusieurs facteurs : la formation de la femme, son âge
et le milieu dans lequel elle grandit. Toutes les femmes du corpus, d'une
manière ou une autre sont concernées par le mutisme ou le
musèlement. Évidemment, plusieurs aspects interviennent dans ce
problème : des aspects économiques, psychologiques, sociaux et
religieux. Le problème le plus grave réside dans la
dépendance morale et économique de la femme sur l'homme. C'est
une dépendance soigneusement préparée car, la femme est
interdite de toute activité. La seule activité à laquelle
est astreinte, est cantonnée dans le foyer. C'est à cause de
cette dépendance que la femme se trouve dans une situation très
dramatique. Elle ne supporte ni la solitude ni la pauvreté. Du moment
où elle n'exerce aucune activité génératrice de
revenus, elle pense ne pouvoir vivre sans son conjoint. Ainsi, c'est lui qui
assure sa protection et l'abrite. Même si sa situation dans le foyer est
des plus déconcertantes, elle se résigne à l'accepter.
Avec l'entourage qui met la pression, adopter une
réaction négative contre toute pratique dégradante
à l'égard de la femme devient difficile pour elle. D'ailleurs, la
société trouvera inconcevable qu'elle se rebelle contre la
tradition. Même ses propres parents ne l'admettent pas. Ainsi :
« En catimini, les femmes de la famille me parlaient du mariage comme
d'un devoir auquel on ne pouvait échapper. Et si, par malheur, il
m'arrivait encore d'évoquer l'amour, elles me traitaient de folle, me
disaient que j'étais égoïste et puérile, que je
manquais de coeur et n'avais pas le sens de la dignité. J'étais
belle, ce n'était pas à moi de courir vers mon futur mari.
C'était plutôt à lui de tout faire pour me mériter.
» (MLP : 46).
Le mariage, polygamie, la volonté de la famille sont
une institution sociale qui doit être respectée par tout le monde,
que personne ne doit contester. Nous voyons comment Ramla n'ose plus rien dire
à propos de son mariage, encore moins de la polygamie qu'elle
s'apprête à vivre. Elle a peur d'être maudite par son
père et sa mère et tous les membres de la famille. Quand elle
proteste, sa mère lui adresse fermement la parole en approuvant le geste
de son oncle Hayatou. Ainsi elle digère difficilement son mal et se
soumet à la polygamie pour éviter la colère, la
malédiction de ses parents.
En somme, il était question dans le chapitre deux de
présenter les modes et les techniques d'assujettissement du personnage
féminin. Il ressort de cette analyse que ces éléments de
domination de la femme sont de plusieurs ordres. En commençant par
l'éducation distincte entre la fille et le garçon dans la
société peule. Une fois donnée en mariage, le plus souvent
sans son approbation, elle peut être répudiée à tout
moment. La jeune fille vit dans un mariage polygamique parsemé d'embuche
et de souffrance. Elle est conditionnée par les normes sociales qu'elle
doit respecter, sa famille et son père qu'elle doit honorer. Au final,
le personnage féminin vit une situation de captivité qui lui
impose un musèlement. Ce dernier est un facteur de
dépersonnalisation de la femme qui fait d'elle un être
abusé et meurtrie par la souffrance et la tristesse. Cet état de
choses ne reste pas sans impact.
Chapitre 3.Walaandé. L'art de partager un mari et
Munyal. Les larmes de la patience : une écriture de la
dérive
Les chapitres précédents ont permis de
révéler que la femme dans l'univers culturel peul est assujettie
par la société patriarcale qui limite sa liberté sur le
plan social et culturel. Djaïli Amadou Amal avec une excellente
connaissance de son milieu culturel traditionnel révèles les
procédés et les moyens employés à des fins
d'intimidation. Dans ses oeuvres à étudier, elle
révèle le pouvoir de la société patriarcale dans un
monde traditionnel africain. Elle montre qu'il y a une confrontation entre le
monde masculin et féminin et c'est la raison pour laquelle la
société patriarcale est présentée dans sa vie
quotidienne mais aussi vue dans ses relations avec l'extérieur. Cet
état de chose n'est pas sans conséquences sur la vie des femmes.
Le présent chapitre s'attèle à monter les
conséquences sur la vie des personnages féminins.
3.1. L'impact de la victimisation
Plusieurs paradigmes ont permis d'identifier le processus de
victimisation des personnages féminins dans les romans de Djaïli
Amadou Amal. Ces parangons permettent à l'homme, le mâle dominant,
de maintenir la femme sous son attelage. La religion, les traditions et
certaines pratiques y afférentes sont les outils usités pour
maintenir en captivité la gent féminine. Ce processus, à
la longue développent des conséquences qui impactent à la
fois l'auteur et l'objet de la victimisation.
3.1.1 La
dégénération de la famille
Il est vrai que la prise de décision de remariage est
une affaire personnelle, mais dans la société traditionnelle
africaine ce n'est pas le cas. Les parents, les proches, les amis peuvent
intervenir d'une manière ou d'une autre. Il faut plaire à tout le
monde et le deuxième mariage est parfois fait pour ce motif. Un fils
peut prendre une deuxième femme pour contenter sa mère ou ses
parents. Autrement dit la belle-famille exerce une influence sur la vie du
couple. C'est le cas dans Walaandé. L'art de partager un mari,
où la troisième épouse d'AlhadjiOumarou est la fille
de l'imam du quartier. Il a pesé de tout son poids et de son influence
auprès de sa communauté pour imposer sa fille à cet homme
nanti. Ce qui n'a pas du tout été du goût des deux
premières épouses qui jugent ce mariage opportuniste. Bien plus,
elles estiment ce mariage inadmissible du moment où, la jeune
mariée a le même âge que leur première fille et sont
d'ailleurs amies (WAPM : 47). Ce qui a par conséquent
contribué à dégrader les relations entre les deux jeunes
collégiennes, qui doivent désormais assurer une relation de
belle-mère.
La relation entre les épouses et les membres de la
belle famille est toujours redoutable. De plus, gagner l'affection, le respect
de la belle famille est une source de fierté entre les coépouses.
Elles abondent de cadeaux pour se montrer aimable. Parallèlement, les
époux se trouvent parfois obligés de soutenir des parents ou des
proches de leurs femmes surtout ceux qui sont pauvres. Dans les deux oeuvres du
corpus, les deux chefs de famille font cadeaux régulièrement
à leurs beaux-parents. Ce qui non seulement permet de rallier ces
derniers à la cause de leurs gendres, mais aussi de tout mettre en
oeuvre pour que leurs filles restent dans leurs foyers conjugaux, malgré
les souffrances qu'elles y endurent, afin de continuer à
bénéficier des largesses de leurs beaux-fils.
Il est certes vrai que la religion et les lois traditionnelles
définissent des règles de la polygamie. Elles indiquent qu'un
polygame doit être juste avec ses femmes et qu'il doit les traiter
équitablement. Toutefois, il lui arrive de léser ou d'abandonner
définitivement son ancien ménage, son épouse et ses
enfants au profit de sa nouvelle vie et la nouvelle épouse. Et la
situation dégénère. À titre d'exemple, suite
à la « trahison » de la part de son mari qui convole
en justes noces après dix années de vie commune, sans partage,
Aïssatou, ladada saaré, perd beaucoup de choses. Les
sentiments les plus intimes d'union et d'affection deviennent pour elle des
souvenirs plus qu'une réalité. AlhadjiOumarou songe un instant
à la belle époque : « il se remémora son
mariage avec Aïssatou. Elle était jolie. Si gracieuse dans ses
pagnes, tenant en équilibre sa calebasse sur sa tête. Elle riait
sans arrêt. Ils avaient vécu des années de bonheur avant
qu'il ne devienne riche. » (WAPM : 68). Ce bonheur
n'est plus qu'un souvenir lointain. Car, « quand il lui avait
annoncé son remariage, elle était restée calme. Son visage
n'avait pas trahi ce qu'elle en avait pensé. [...] Il en avait
été impressionné et même honteux »
(WAPM : 69). C'est à partir de cette déclaration de
remariage qu'Aïssatou a perdu l'estime qu'elle avait pour son
époux. Elle s'est complètement métamorphosée. Les
égards dont Alhadji bénéficiait de la parte de cette
dernière n'étaient plus au rendez-vous. Elle se contentait
désormais de n'accomplir que ses devoirs conjugaux.
Il faut noter que cette situation où l'épouse
perd toute affection, toute complicité avec l'époux après
remariage est vécue par toutes les femmes du corpus. Alhadji note dans
ce sens que même Djaïli, malgré sa jalousie qui frise
l'obsession, a fini par se lasser de lui. Pour ce dernier, « le jour
où j'ai épousé Nafissa, Djaïli aussi n'a plus
été là. Elle, si plantureuse, si passionnée, me
permis de découvrir de la lassitude sous ses colères. »
(WAPM : 70).Il ne reste pour ces personnages qu'à
évoquer les beaux souvenirs des jours de joie, de communication et de
plaisir partagés avec son conjoint, les moments où ils vivaient,
comblés de promesses et de bonheur. Ils comparent le temps passé
avec le présent et ressentent de cruelles morsures de l'amertume. Ainsi
les épouses sont livrées à l'insupportable solitude
lorsque leurs maris prennent des secondes femmes et les abandonnent.
Inversement, les époux ne reçoivent plus l'attention qui leur
était dû. Le bouleversement du ménage, qui devient
polygame, ne se limite pas à la vie sentimentale du couple. C'est un
bouleversement global qui l'atteint de tous les côtés. Dans le cas
de l'épouse abandonnée elle est obligée de jouer le
rôle de mère et de père pour ses enfants. Elle a donc,
plus des responsabilités et des tâches à accomplir.
Grâce au travail, à la patience, à la volonté et au
courage une femme comme Aïssatou peut réussir à surmonter
toutes les difficultés. La situation d'un polygame qui garde toutes les
épouses dans le même foyer n'est également pas admirable.
Puisque ce n'est pas seulement la question d'ajouter à chaque fois une
nouvelle femme, d'avoir de nouveaux enfants. Mais la question qui se pose,
c'est celle du devenir du ménage. Le stress, les frustrations
sentimentales, morales et psychologiques qu'on crée volontairement ou
involontairement chez les siens.
Cette situation arrive à la dislocation de la famille.
En effet, excédées par le comportement d'AlhadjiOumarou, qui est
resté un incorrigible mâle dominant, ne prenant pas en compte les
préoccupations de ses épouses, elles ont pris la décision
de lui reprocher son comportement machiste. En réaction à cela,
Alhadji répudie trois de ses épouses. Et la quatrième s'en
ira d'elle-même : « toutes les quatre firent leurs
bagages. » (WAPM : 142), rapporte le narrateur. Il faut
dire que ces femmes sont excédées par la situation qu'elles
vivent dans le foyer polygamique. Malgré le confort matériel
qu'elles ont, cela n'a pas empêché qu'elles vivent une situation
stressante. L'une des épouses, à la question de savoir pourquoi
elle a demandé le divorce, elle répond : « juste
parce que je le voulais vraiment. Ainsi, il n'y aura plus possibilité de
réconciliation entre lui et moi. Même mon père n'y pourras
rien. » (WAPM : 143). Elle est remarquable, cette fin
malheureuse pour le foyer d'AlhadjiOumarou. Du jour au lendemain, d'homme
marié à quatre femmes, qui passe à célibataire. Le
narrateur rapporte que « la nouvelle fit le tour de la ville.
Alhadjioumarou a répudié toutes ses épouses. Chacune a
regagné sa famille. Dans la famille, il ne reste plus que les enfants et
les domestiques » (WAPM : 144). Cette situation n'est
pas sans conséquences pour Alhadji. Il regrette profondément son
acte, bien qu'il ne l'admet pas ouvertement : « Alhadji, devant
ses amis, faisait bonne figure, même si au fond de son coeur, il
était triste à mourir. Il savait qu'elles avaient raison, mais ne
pouvait décemment revenir en arrière et le
reconnaître. » (WAPM : 144). La situation de
victime de la femme a des conséquences sur la famille. Il ressort
qu'elles touchent à la fois la vie au sein du foyer et les relations
avec les belles familles. Il va sans dire que ce problème impacte
psychologiquement les personnages impliqués.
3.1.2. Les troubles
psychologiques
Parlant de la littérature africaine féminine, le
critique marocain Nadia Chafaï, note que les écrivaines «
expriment les obsessions qui les taraudent. Elles dévoilent leur
intimité; et pour dévoiler cette intimité, elles ne
peuvent agir autrement que par la mise à nu de leur sentiment à
travers la mobilisation d'un vocabulaire hautement expressif. Celui-ci traduit
primordialement leur fêlure, leur délicatesse de coeur, leur
passion, leur fragilité, leur émotion et leur vie
affective. » (Chafaï, 2014 : 14). S'inscrivant dans cette
logique de l'écriture de l'intimité de la femme, Djaïli
Amadou Amal met en scène la vie des femmes confrontées à
l'enfermement patriarcal.
L'analyse des textes a permis de rendre compte que le
phénomène de la polygamie affecte presque tous les personnages.
Comme noté plus haut, il est une arme entre les mains de la gent
masculine au service de la sujétion de la femme. Pour mieux dompter une
épouse, prendre une seconde épouse paraît, quoique implicitement évoqué dans le corpus,
la solution idoine. Et les principes qui régissent cette pratique
matrimoniale rendent la femme en éternelle victime. Au-delà de la
victimisation de la gent féminine, il y'a des conséquences qui en
découlent. Il s'agit du côté psychique de la polygamie et
son influence sur les coépouses, sur leurs enfants; ce qui implique par
la suite la communauté toute entière.
Dans Walaandé. L'art de partager un mari, on
peut dire que la cohabitation des épouses a de durs effets sur les
concernées : des pleurs, des cris de détresse et de
désespoir hantent leurs vies. Ce sont là les mots et les
sensations qui reviennent souvent dans la bouche de Djaïli, Hadja
Aïssatou, ou Safira dans Munyal. Les larmes de la patience,
vivant dans cette situation. La polygamie prive la maison de sa
tranquillité et de sa stabilité en nourrissant les haines des
épouses qui sont en compétition pour attirer les attentions de
l'homme. « En effet, les femmes se côtoient sans cesse au point
de se sentir piégées aussi bien par les murs hauts qui nous
entourent que par les étoffes de plus en plus sombres et lourdes que mon
oncle Moussa nous oblige à revêtir. Il n'y a pas un jour où
elles ne s'agacent voire s'entredéchirent à force de tourner en
rond comme des lionnes en cage. » (MLP : 105) Ces
haines les conduisent au conflit surtout lorsque, sous la pression d'un
désir ou d'un sentiment, l'homme se montre attiré par l'une
d'elles aux dépens des autres, ce qui peut rendre ces dernières
psychologiquement « complexées » vis-à-vis de
la première.
Cette situation est visible dans la même oeuvre lorsque
Safira, après le remariage de son époux, s'engager à mener
des actions visant à reconquérir le coeur de son époux
malgré les assurances à lui données par ce dernier. Pour
elle, rien ne pourra l'arrêter, quitte à faire perdre la raison ou
la vie à la nouvelle élue, sa principale rivale. Elle ne
tolère pas qu'après une semaine de noces, son époux ait pu
changer de comportement aussi vite. En fait, lorsqu'Alhadji a convolé en
deuxième noces, il a passé une semaine de lune de miel,
conformément à la loi coranique. Toutefois, après ce
délai, il décide d'effectuer un voyage sur Yaoundé
(MLP : 147) et en compagnie de la nouvelle épouse. Ce qui
prolonge les sept jours légalement dus. Ainsi, la première
épouse s'est sentie lésée, méprisée,
touchée dans son amour propre. Pour elle, il est inadmissible,
qu'après près de deux décennies de mariage, son
époux la traite de cette façon. Ainsi, malgré les conseils
de son amie, elle reste décisive :
Je ne veux pas patienter, dis-je très irritée.
Ne me parlez plus jamais de munyal. Je ne patienterai pas
jusqu'à ce que son caprice finisse, comme tu dis. Je n'ai pas de temps
pour attendre je ne sais quel hypothétique moment. Je veux qu'elle parte
immédiatement. Je veux que tu fasses un karfaentre eux, que ce
mauvais sort les sépare, qu'ils se déchirent à
Yaoundé. Je veux qu'il regrette ce mariage. Je suis prête à
perdre tout ce que je possède pour cela. Je dois retrouver ma
dignité ! (MLP : 147)
À partir de cet extrait, l'on se rend compte de ce que
Safira est devenue psychologiquement instable, au point d'attenter à la
vie de son époux et de sa coépouse. Safira s'est
complètement métamorphosée. Son amie ne manque pas de le
lui rappeler : « Tu me fais peur Safira ! Comment as-tu pu
changer ainsi seulement en une semaine ? » (MLP :
147)
Face aux diverses pressions qui l'incriminent, il arrive que
la femme peule perde tout ce qui est logique, du fait de l'autorité
absurde et dérangeante de la suprématie masculine. Elle commence
(parlant de la femme peule engagée) tout d'abord par exprimer son
désintéressement à ce qui l'embrasse, cherche secours et
finis par exploser à bout de force. L'attitude du personnage Hindou dans
l'oeuvre Munyalen dit plus : « Je ne veux plus
patienter, criai-je, éclatant en sanglot. J'en ai marre ! Je suis
fatiguée d'endurer, et j'ai essayé de supporter comme je le
pouvais.Je ne veux plus entendre munyal encore. Ne me dite plus jamais
munyal ! Plus jamais ce mot ! »(MLP :
168).
Ces paroles fiévreuses du personnage montrent son
degré de lassitude face à des normes unilatérales. Ayant
assez supporté, patienté, elle décide de proscrire ce mot
de son vocabulaire et se refuse de l'entendre, elle a enduré autant
qu'elle le pouvait, s'en est fini car elle est engagée et
déterminée à finaliser sa décision.
L'emprisonnement dont elle est victime de son jeune âge, à
l'âge l'adulte la bouleverse totalement, en la plongeant dans un
état psychotique chronique dont elle finit par succomber. Hindou
explique les causes de sa « folie » comme
suit : « On dit que je suis folle... ! Combien de
temps suis-je restée dans la chambre, surveillée vain et de ne
pas pouvoir respirer... vouloir crier et ne pas pouvoir ouvrir la bouche :
vouloir pleurer et ne plus avoir les larmes : vouloir dormir et ne plus
jamais se réveiller. »
La présence d'un vocabulaire de modalisation traduit
l'effet textuel faisant par du désir interne du personnage
féminin dans notre univers textuel. Le verbe vouloir, exprimant la
volonté, l'intention et l'envie est capitale pour chaque être
décisionnaire. Le verbe pouvoir pour sa part renvoie à la
possibilité de faire quelque chose, être capable, en mesure de (en
raison des qualités de la personne ou de la chose, ou en raison des
moyens offerts par les circonstances). La mise en parallèle de ces
verbes d'action est assez significative en ce sens qu'ils illustrent une envie
(du personnage) qui n'aboutit pas. À ce propos, hindou donne
succinctement les raisons de sa psychose et cite ses bourreaux :
On a commencé à m'attacher. Il parait que je
cherche à fuir. Ce n'est pas vrai. Je cherche juste à respirer.
Pourquoi m'empêche-t-on de respirer ? Pourquoi m'empêche-t-on
de voir la lumière du soleil ? Pourquoi me prive-t-on
d'air ?Je ne suis pas folle ! Si j'entends des voix, ce n'est pas
celle du djinn. C'est juste la voix de mon père ! La voix de mon
époux, de mon oncle ! La voix des hommes de ma famille ! Je ne
suis pas folle ! Si je me déshabille, c'est pour mieux respirer
tout l'oxygène de la terre.[...]Je ne suis pas folle !
(MLP :169).
La teneur sémantique (ensemble des significations
diverses se rapportant à un ou plusieurs mots, en fonction de la
situation d'énonciation.) du fragment précédent donne une
idée assez précise sur l'immense barrière qui
sépare « la prétendue malade » aux
restes du groupe qui trouvent une raison autre que la véritable.
La victimisation renvoie à la notion de pouvoir et de
contrôle d'un individu sur un autre, à une volonté
d'emprise. Pour augmenter son pouvoir et son contrôle sur les femmes, les
hommes ont recours à plusieurs modalités de fonctionnement : la
coercition et les menaces : menacer de lui faire du mal et le mettre à
exécution, intimidations, menacer de la confronter à ses peurs
(jurer sur le coran) (MLP : 161). Au sein des familles
polygamiques représentées dans le corpus, la violence est un mode
opératoire évoluant sur plusieurs années, et a un fort
impact psychique.
À partir du moment où la femme en
général et celle vivant dans un foyer polygamique est victime de
la phallocratie, il n'existe pour elle de possibilité de choix, de
décision ou même de riposte face à ce qui leur arrive. Elle
subit l'imposition du mode de vie impacte la vie des femmes. C'est ce qui
arrive à Djaïli. Face à l'annonce brutale du remariage de
son époux, elle se métamorphose et change de personnalité.
Ainsi, « De dépit, elle avait développé un vrai
art de la mesquinerie. [...] Elle était devenue triste, irritable et
agressive. Elle commença à porter sur son visage, de plus en plus
dur, la mutation effrayante de son caractère. »
(WAPM : 49).
Le statut carcéral de la femme de suite de la
rigidité des principes traditionnels et de la religion la pousse
à adopter un comportement qui frise les troubles psychologiques. Il
s'agit de sa réaction face aux conditions sociales précaires
à lui imposées par l'homme. Ce dernier, tel que
présenté dans le corpus n'admet aucune concession par pur
orgueil. Conséquemment, la gent féminine se retrouve victime une
fois de plus. Ce qui conduit à empester l'univers romanesque d'une
sensation funeste.
3.1.3. De l'atmosphère
funeste à la mort
Les romans de Djaïli Amal nous présentent une
cartographie à la fois réelle et fictive de la femme dans la
culture peule, Femme malade et moribonde. Sa façon d'envisager le statut
de la femme peule repose sur le même constat de départ: la femme
souffre. Triste, obscure, solitaire, angoissée, elle est
réceptacle d'un foyer moribond. Il s'agit de révéler le
vrai visage du système patriarcal. Il s'apparente à un
système culturel qui donne à regarder les visages de la mort.
Il faut entendre par funeste, tout ce qui relève du
tragique telle que la mort, thème évoqué dans le roman de
Djaïli. La mort renvoie aussi bien à l'élimination physique
qu'à l'anéantissement moral et/ou intellectuel. C'est « la
mort de la vie » (Tansi, 1986 : 34), celle qui prive l'homme de
liberté, de sa dimension humaine et spirituelle. La mort correspond
également à un déficit d'inventivité, car selon
Sony LabouTansi « notre siècle manque d'idéal, notre
siècle est un danger pour demain » (Tansi, 1986 : 34). Quel
que soit le type de mort, il constitue l'un des éléments de
soubassement de l'écriture du funeste. La mort fonctionne de ce point de
vue, comme l'une des sources d'inspiration de la romancière.
Faisant partie désormais de l'univers des personnages,
le funeste conditionne leurs pensées et habite constamment son
imaginaire. L'univers romanesque devient ainsi, la projection sur scène
du quotidien fait de violences et d'atrocités. C'est pourquoi dans les
oeuvres le récit, à certains endroits traduit pour la plupart,
l'idée de désolation qu'a engendrée la mort de Yasmine
dans Walaandé. L'art de partager un mari. Le funeste comme
ressort romanesque se conçoit du point de vue du fond et de la forme,
dans la mesure où le texte aborde le sujet de la mort. Le funeste est,
en effet, annoncé à la page 119. À cette étape de
l'oeuvre apparaissent des indices évoquant l'avènement d'une
situation dramatique. Ainsi : « les larmes les plus
amères, que l'on verse sur une tombe, viennent des mots qu'on n'a pas
dits, et des choses qu'on n'a pas faites » (WAPM :
119). L'emploi du terme tombe fait régner une atmosphère
lugubre sur la suite du roman. Teinté de regrets, le lecteur commence
à avoir des sensations de tristesse au contact du texte.
La description de l'état de santé du personnage
plonge davantage celui-ci dans sa conviction sur la situation funeste. La
déliquescence de Yasmine ne fait que renforcer l'idée de la mort
imminente rependue à travers le texte : « à cause
de l'état de Yasmine, les mariages furent reportés. [...] les
médecins se relayaient à son chevet, sans pouvoir la soulager.
Fayza, assise sur le lit de sa soeur, tenait sa main et essuyait de temps en
temps une larme discrète pour ne pas inquiéter la
malade. » (WAPM : 120). L'on se rend compte à
travers cet extrait que la mimique des personnages exprime corporellement le
funeste. Elle annonce l'imminence de la mort, et met en exergue l'idée
de la mort qui va rythmer le quotidien des personnages. Toutefois, l'ensemble
des personnages concernés par cette situation se déploient pour
éviter cette mort certaine. Du soutien psychologique à celui
physique en passant par le transfert de la malade pour une structure
hospitalière adaptée, tout concourt à transcender le
funeste. Force est de constater à la suite du récit que ces
efforts multiples restent vains. Car, « Yasmine n'a pas pu voyager.
À la tombée de la nuit, alors que le muezzin procédait
à l'appel de la prière, la jeune fille poussa un dernier soupir
et ferma les yeux. » (WAPM : 121). Cet extrait marque
l'instant fatidique. Il constitue un point névralgique pour le
récit et pour la famille y représentée.
Avant de perdre sa vie, Yasmine perd d'abord
délibérément sa virginité. Elle s'est
préparée à mourir. Dans la tradition peule, c'est un
sacrilège pour une fille que de perdre sa virginité avant le
mariage ; même si celui qui la dépucelle a des intentions de
noces. C'est une honte pour la famille, un grand déshonneur, une
mauvaise étiquette colée à la réputation familiale.
Avant de trépasser, elle se confie à a soeur
Fayza : « je sens que je m'en vais, je meurs...je le sais
et je me suis préparée...J'ai fait l'amour avec Aboubakar...Faire
l'amour est toujours l'expression d'un désespoir. Mais je l'ai fait par
amour, parceque je sens que je n'en ai plus pour longtemps... »
(WAPM : 105). Cette mort de Yasmine fait d'elle une victime
expiatoire, y prend la dimension d'un matyr, appelé à mourir
innocemment pour sauver toute une postérité. Cette mort est
aussi singulière. En rendant l'âme en martyr, elle a
exprimé « l'inexprimable ». Autrement dit, elle a
brisé les tabous de la société peule en particulier et de
la société africaine traditionnelle en général.
En effet, à partir de cet instant, la suite du roman,
des actions qui se succèdent sont liées d'une manière ou
d'une autre, à cette mort. Après l'enterrement, les actes
posés par les personnages proches ou indirectement liés à
la défunte sont conditionnés. À commencer par Aboubakar,
le fiancé. Malgré qu'il ne soit pas pris en compte lors des
obsèques, il est le personnage qui vit le drame le plus.
Intérieurement, il est consumé par cet événement
tragique. Dans un monologue, il exprime son
désarroi : « Comment ferais-je sans toi
Yasmine ? Comment survivre sans toi ? Pourquoi devrais-je vivre sans
toi ? » (WAPM : 123) La situation est devenue
intenable au point où il décide de se terrer dans sa chambre.
À longueur de journées, il se remémore les bons moments
passés.
Pour le reste de la famille, la mort de Yasmine est
restée une tache indélébile dans la vie de chaque membre.
Que ce soit sa soeur Sakina, HadjaAïssatou sa mère, Alhadji son
père, chacun subit à sa manière les affres de la mort de
la jeune fille. Le géniteur, finit par être mis devant ses
responsabilités dans la mort de sa fille. Son machisme, son
intransigeance et son comportement suranné ont fini par le rattraper.
Il est directement accusé par ses épouses sans exception d'avoir
tué sa fille. Réunies un soir dans la cours, les épouses
échangent sur les événements qui se sont
déroulés depuis un certain temps dans la concession. Sakina, la
plus instruite commença : « -Nous devrions en
parler. Ce sont nos enfants ! Il faudrait les chercher.-Jamais il ne leur
pardonnera, dit tristement Aïssatou.-Ils ont pourtant eu raison de le
faire ! Ils n'ont pas arrêté de dire qu'ils ne voulaient pas
se marier. À cause de ça, Yasmine est morte, remarqua
Djaïli. » (WAPM : 140). Il est clair que toutes
les épouses sont convaincues de la responsabilité du chef de
famille dans la mort de leur fille. Toutefois, l'évoquer frontalement en
présence de celui-ci reste et demeure périlleux. Bien plus, il ne
serait pas bien séant d'en discuter car, malgré que plusieurs
semaines se soient écoulées après le deuil, toute la
famille la porte encore, comme le démontre la réplique
d'Aïssatou ci-dessus.
3.2. L'influence de la culture dans le foyer
Dans le contexte traditionnel africain, certains principes
tels que l'obéissance et la soumission relèvent d'une perception
particulière, car elles sont considérées comme une des
qualités les plus appréciées chez la femme. Ainsi selon
les traditions, l'épouse idéale se distingue par sa
docilité, son obéissance et sa soumission. Une attitude qui se
conforme aux normes culturelles observées par tout le monde. Dès
le bas âge, toutes les formations que la jeune fille reçoit visent
à enraciner chez elle ces principes culturels. Dans cette formation
participent non seulement la mère ou les parents proches mais
également les parents éloignés : les tantes, les oncles,
etc. Dans cette structure traditionnelle de la société, dans
laquelle la femme éternellement mineure et soumise, l'homme est toujours
dominant. Ainsi, à l'opposition de la soumission féminine se pose
la domination masculine. L'homme est maître et seigneur. La vie lui donne
tous les droits. Il fait ce qu'il veut : lui, il ordonne et elle, elle
exécute ses ordres sans la moindre résistance, même les
plus capricieux. Comme le constate LilyanKesteloot : « Il était le
maître et le seigneur. Il se déshabillait où il voulait,
s'installait où il voulait, mangeait où il voulait, salissait ce
qu'il voulait. Les dégâts étaient aussitôt
réparés sans murmure. Dans ce foyer, on prévenait ses
moindres désirs » (LilyanKesteloot, 2001 : 129).
3.2.1. Le poids de la culture
peule
Les romans de Djaïli Amadou Amal, esquissent le portrait
des femmes dont la soif de liberté se heurte à la
réprobation de la société et de leur entourage (tabous
persistants à l'encontre de l'émancipation féminine,
parents lésés réclamant et exerçant
l'autorité qui leur appartenait traditionnellement de droit), mais ils
expriment également le face-à-face de ces femmes avec
elles-mêmes et avec leurs désirs.
En effet, « l'islam, comme on le sait, a trouvé
naissance dans une société patriarcale. L'autorité du
père, qui avait sa source dans la coutume et qui était plus au
moins adoucie par les liens familiaux, fait transmise, dès
l'avènement de la nouvelle religion, à une puissance inflexible :
la divinité ».Bien souvent tiraillées entre leur libre choix
et le respect dû à la famille et des principes religieux,
confrontées à une liberté nouvelle et pourtant empreintes,
par la force de la pression sociale, elles n'entrevoient aucune solution viable
qui leur garantirait, sinon le bonheur, un semblant d'apaisement et de
tranquillité d'esprit. Illustrant parfaitement ce dilemme,
Djailidépeint dans son roman Walaandé. L'art de partager un
mari, le désespoir de la jeune Yasmine, soumise à une
pression familiale trop forte et à un cas de bouleversement d'une
identité : « Une fille masquée » par la
volonté du père. Il en est de même de Hindou, dans
Munyal.Les larmes de la patience. Garant de la morale traditionnelle
et religieuse, les deux parents confinent leurs filles, préférant
les voir sombrer dans le désespoir que rompre le bouleversement de leurs
vies en laissant la latitude pour chacune de faire le choix de leurs conjoints.
Pour eux, accepter la volonté de sa fille est une chose impensable, tant
il est vrai qu'un peul, croyant, honorable, préférait voir mourir
sa fille, quitte parfois à la tuer lui-même, que d'être
plongé dans le déshonneur, le scandale.
À travers le parcours des personnages de Yasmine et
Hindou, les romans présentent des
« héroïnes » en train de s'élever comme
femmes, incapables de changer le monde dans lequel elles vivent et vivre
pleinement leur féminité avec les hommes qu'elles aiment. La
situation de Yasmine et Hindouillustre le drame des femmes peules de la ville
de Maroua, dans un univers caractérisé par des
anciennesmentalités où la femme est tiraillée entre la
modernité et les lourdes fondations de la tradition et de la
religion : l'homme reste le seul maître.
Les deux romans de Djaïli Amadou Amal, à travers
les personnages féminins clament la foi de l'auteure en la
libération future des moeurs et des esprits faits d'isolement. Textes
à la fois récit amer d'une souffrance mais plaidoyer plein
d'espoir. Suivre le chemin de l'émancipation, rester et se contenter de
son sort, ou mourir pour mettre fin à une existence sur laquelle elle
n'a plus de contrôle sans avoir à faire un choix déchirant
: telles sont les options qui s'offrent à Yasmine et Hindou, et partant
à toutes les femmes du roman.
Tout d'abord celle de la morale et des traditions, qui
pèsent sur une société à l'évolution
palpable mais lente et imparfaite. Une femme victime de la tradition qui, dans
l'ombre, n'a d'autre choix que de souffrir de la situation. La colère de
la jeune femme à l'encontre des vieilles mentalités, qui ne lui
permettent pas de vivre comme femme, d'un côté, la jeune femme
pleine de piété filiale sacrifiant sa félicité
à son devoir familial et social pendant son enfance, de l'autre, la
femme individualiste libre poursuivant son propre bonheur comme femme.
Conscientes de se trouver dans une période de l'histoire qui fait
jonction entre deux mondes : l'ancien au cadre rigide et le moderne
ouvrant de nouvelles perspectives d'épanouissement personnel, elles
accusent une société encore trop rétrograde d'être
la cause de leur malheur : « Ils invoquent la religion pour écraser
et dominer » (MLP : 133). « En
vérité, tout ce que les hommes nous racontent sur la religion est
faux » (WAPM : 63). C'est alors que chacune des deux
optera pour une solution qui convient le mieux à sa situation :
Yasmine refusera de se nourrir et se faire soigner; Hindou quant à elle,
s'en fuira du cadre conjugal.
Les différentes familles, elles-mêmes
apparaîtront divisées après les options choisies. Ces deux
personnages et leurs choix, constituent le symbole de l'univers dans lequel
elles évoluent, tiraillé entre une nouvelle réalité
sociale et des valeurs morales et culturelles millénaires. Leurs
proches, les soeurs et frères, aux aspirations sans doute semblables aux
leurs, comprennent les désirs d'émancipation de nos
« héroïnes ». Pourtant, l'hypothétique
fuite que la jeune Hindou a faite ne constitue en rien une solution pour
s'échapper du giron de sa famille et vivre sa féminité au
grand jour. En effet, déchirée entre la volonté familiale
et ses désirs, elle ne sortira de cette lutte ni indemne, ni
réconciliée avec elle-même :
Je ne déroge pas à la règle : je deviens
égoïste. Je ne vais pas bien, les autres non plus, mais je ne me
préoccupe que de moi. Mes insomnies se multiplient, et le manque de
sommeil me donne des migraines. J'ai beau prendre des médicaments
prescrits par les médecins, des filtres recommandés par des
guérisseurs, rien n'y fait. La lassitude me ronge et j'éprouve
une angoisse que rien ne peut atténuer [...] Je m'enfonce peu à
peu dans la déprime et fais parfois des crises de spasmophilie, pendant
lesquelles, la gorge serrée, je n'arrête pas de suffoquer.
L'estomac noué, la mort me semble de plus la seule échappatoire.
(MLP : 106-107)
Cependant, le mérite de cette fuite est d'avoir fait de
son drame personnel un exemple, afin que chacun sache qu'il ne devrait plus
être permis de confronter quiconque à ce genre de masque.
Il est notable que les oeuvres de Djaïli, mettent en
scène des femmes soumises à des injonctions de genre dont elles
ne peuvent se départir, ainsi qu'avec une société dans
laquelle les traditions pèsent encore très lourd. De la
même façon, les mêmes oeuvres dépeignent des temps
révolus. Elles livrent une version de la longue histoire des femmes du
sahel et les anciennes mentalités et pratiques non désirantes,
soulignent explicitement l'asservissement des femmes par une
société traditionnelle patriarcale.Dans les mêmes romans,
la romancière revient sur les préjugés culturels bien
ancrés qui soumettent les femmes à la tradition. Le récit
illustre l'éternelle solitude de la femme face aux questions qui
relèvent traditionnellement de leur sexe - féminité,
identité, traumatisme et mariage forcé.
L'écriture de Djaïli Amadou Amal, pourrait
être qualifiée de « nouvelle
littérature », car elle offre de fait de nombreux personnages
de femmes résolus, malgré les obstacles et les sacrifices que
cela suppose, à affirmer leur individualité et gagner en
autonomie. Les femmes, dans un contexte social brutal exacerbé par la
tradition et les idées culturelles, apparaissent avant tout comme des
proies, victime de la violence des hommes et des femmes et excitant leur
concupiscence. Le caractère éphémère de leur
existence, qui brûle aussi vite qu'un bâtonnet d'encens et dont il
ne reste rien une fois qu'elle est consumée, apparaît d'autant
plus tragique quand cette dernière est malheureuse. Le champ lexical
utilisé par l'auteur est surprenant de brutalité, s'apparentant
davantage à l'acharnement sauvage auquel un être peut se livrer
sur un autre être dominé, plutôt qu'à une passion
charnelle intense partagée.
3.2.2. L'image de la polygamie et
de la procréation
L'attention que les romanciers africains accordent au
thème du mariage nous indique à quel point cette institution est
d'importance dans la vie des africains. Ce sujet est abordé sous des
optiques différentes mais il reste toujours un thème dominant.
« La vie familiale, les coutumes du mariage, la dot, la cola symbole
de liens et de solidarité, le choix du conjoint, l'épouse
traditionnelle idéale, la polygamie, toutes ces questions sont
posées face au défi du modernisme qui gagne la vie des africains
depuis plus d'un siècle. » (IkhlasSiddig, 2011 : 16). Suivant
le rythme rapide de la vie, traçant les changements qui donnent leur
impact sur la société, les écrivains ont leur mot à
dire. Alors ils écrivent tantôt sur un ton plus ou moins
nostalgique en chantant les louanges des moeurs et des valeurs traditionnelles.
Tantôt sur un ton plus ou moins critique en envisageant certaines
coutumes, certaines pratiques jugées comme non convenables aux exigences
de la vie moderne. C'est le cas de la romancière Djaïli Amadou
Amal. Ses oeuvres sont bâties sur un fondement de contrastes et de
conflits sociaux qui résultent de la coexistence des cultures et des
valeurs traditionnelles ou occidentales.
Les oeuvres mettent en avant principalement de l'ironie
exprimée par le langage et les réflexions du point de vue du
narrateur. Ce que racontent ces écrivains, il faut le prendre au
sérieux, parce qu'ils sont les témoins de leurs époques.
Il va sans dire que nous avons besoin de ces témoignages, de ces
expériences qui servent d'éclairage et nous guident et qui
nourrissent notre vie actuelle et celle de l'avenir. Le corpus sur lequel
s'articule notre analyse traite de ce phénomène de
société pour connaître, à travers les personnages
particulièrement féminins, le statut de la femme, la
première concernée par cette pratique.La polygamie telle que
pratiquée dans les romans de Djaïli Amadou Amal présente des
facettes assez négatives. Le ménage perd sa tranquillité.
Il rompt avec la communication quotidienne entre le couple. L'atmosphère
s'empoisonne. Ce sont les premiers symptômes. Les suivants seront encore
plus durs lorsque le projet est réalisé.
En effet, les dépenses des coépouses fait partie
de la compétition qui est entretenue entre elles. Chacune veut tirer le
maximum de la poche de leur époux pour des motifs toujours
différents. À titre d'exemple, pour AlhadjiOumarou, la
deuxième femme qu'il a répudiée, son comportement
dépensier, le gaspillage sont devenus une habitude. Elle
dépensait pour rien, cela est dû à son caractère
superficiel et léger. Elle possède un gout très
poussé pour l'argent; au point d'en devenir addictive et se transformer
en cleptomane.Le comportement dépensier de la seconde épouse,
Djaili, dans Walaandé. L'art de partager un mari, frise
également la mécréance. L'on remarque qu'elle
dépense en peu de temps la même somme qu'elle parvient à
économiser pendant des semaines. Elle le fait exprès, car elle
pense à son avenir dans le foyer. Elle se dit qu'il ne lui reste
qu'à s'accrocher, se mettre à l'abri des aléas de la vie.
Dans sa situation elle a raison de s'inquiéter, puisque son mari ne se
contente pas de la troisième épouse mais il en prend une
quatrième. Donc, c'est mieux d'économiser pour les temps
dûrs, pour l'avenir qui n'est pas toujours rassurant dans une famille
polygame.
Pour résoudre des problèmes matrimoniaux, on
constate un recours permanent au maraboutage, à la sorcellerie. Une
pratique très répandue en Afrique que la polygamie encourage
davantage. Les femmes abandonnées par les maris ou celles qui perdent le
privilège d'être femmes préférées par leur
mari ou même celles qui craignent que leurs maris prennent de nouvelles
femmes, sont une bonne clientèle des marabouts. Pour écarter une
nouvelle coépouse ou bien ramener l'époux à son foyer, il
y a des charlatans reconnus partout. Ils sont excellents en philtre magique
mais ils habitent toujours loin et il faut les payer cher.
La sorcellerie fait partie des activités
journalières des femmes telles que de Djaïli. Quant à
Aïssatou, la première femme AlhadjiOumarou dans
Walaandé. .L'art de partager un mari, elles vont
régulièrement chez un marabout cherchant la faveur d'Alhadji.
Elles suivent scrupuleusement ses consignes.Il en est de même dans
Munyal Les larmes de la patience. Sous l'impulsion de la jalousie
provoquée par son détrônement par la nouvelle
épouse, Ramla, Safira s'emploie à mettre en lumière des
pratiques ésotérique dans le but de reconquérir son
époux. Pour elle, tous les moyens mystiques sont bons, pourvu qu'elle
retrouve sa place. Ainsi, Sakina envoie son amie chez le marabout et lui donne
des instructions en ces termes :
Dis-lui que je suis prête à tout. Je donnerai
tout ce qu'il voudra. Je ferai tout ce qu'il demandera. Je veux seulement
qu'elle parte ! Immédiatement ! Qu'Alhadji la répudie ! Reste
là-bas le temps qu'il faudra. Tu as cinq cent mille francs dans cette
enveloppe. N'hésite pas à dépenser. Même s'il
demande un boeuf en sacrifice, fais-le ! L'argent n'est rien. Je veux qu'elle
se casse ! Rappelle-toi bien son nom, celui de sa mère et celui de son
père aussi pour qu'il lui jette un sort. (MLP : 146)
Cet extrait révèle la profondeur de l'engagement
de cette épouse à nuire à sa rivale. Cette situation est
provoquée par le remariage d'Alhadji. Elle est amplifiée par le
traitement inégalitaire que celui-ci accorde à ses
épouses, pourtant prescrit par le Coran. Safira se sent insultée
dans son honneur. Elle se sent délaissée. De ce fait, elle se
doit de reconquérir son trône.En plus des pratiques
ésotériques, Safira se livre à de la mesquinerie pour
parvenir à ses fins. Tout y passe, toutes les bassesses. Elle
n'épargne personne et tous les moyens sont bons:
L'air de rien, je me révélais une adversaire
redoutable et utilisais parfois mes enfants et les domestiques pour arriver
à mes fins. Je n'arrêtais pas de monter des coups contre Ramla. Et
tout y passait ! Je faisais verser des grains de sable sur ses grillades et
dans sa farine destinée au couscous. Je rajoutais du sel dans sa sauce.
Je glissais discrètement encore du sable mais sous les draps dans le lit
conjugal au sortir de mon waalande. Je dissimulais savon et papier
hygiénique, salissais les serviettes, et Alhadji se plaignait,
tempêtait et s'énervait contre Ramla sans qu'elle puisse se
justifier. (MLP : 181-182)
La révélation du comportement mesquin de cette
épouse, est la face hideuse de la polygamie qui est étalée
ici. Certainement la polygamie est l'une des pratiques dont la femme africaine
souffre beaucoup. Le corpus attirer l'attention sur le fait que les souffrances
de la femme africaine présentent de multiples visages, ce qui veut dire
que la femme ne souffre pas uniquement à cause de la polygamie. Les
exemples pris dans le cadre de cette analyse montrent qu'il existe d'autres
souffrances qui sont parfois même pires que celles de la polygamie.
À vrai dire la vie n'est pas toujours douce, souple ou agréable,
les problèmes, les obstacles sont partout et dans la vie de tout le
monde. Personne ne peut s'en échapper, même les hommes, ils ont
leur partie de la misère, des souffrances. Il faut donc que les femmes
soient fortes, solides et lucides pour les affronter.
Parvenu au terme de ce chapitre qui traite des
conséquences de la victimisation, il ressort que cette pratique entraine
d'importantes marques sur les victimes ainsi que sur la famille entière.
Ainsi, l'on note la dislocation de la famille telle que celle d'AlhadjiOumarou,
les troubles psychologiques et pour finir, la mort de la victime. Par ailleurs,
la tradition et la culture impactent aussi dans le foyer.
Chapitre 4. La portée heuristique de l'écriture
de Djaïli Amadou Amal
La représentation de la femme dans la
littérature n'est pas anodine. Elle revêt une charge heuristique.
En effet, malgré les multiples voix qui se sont élevées
pour la cause de la femme, sa situation dans la société reste
précaire. Le corpus sur lequel s'appuie cette analyse
révèle des femmes prises au piège du patriarcat. L'univers
culturel dans lequel elles évoluent fait mention de pratiques
traditionnelles en défaveur de l'émancipation de la gent
féminine. La prise de la plume par l'auteure n'est pas inutile. Son
écriture révèle une prise de position, une exploration de
la situation de la femme qui jusque-là est restée voilée,
du fait du musèlement, du poids de la culture qui empêche la prise
de parole. Ainsi, pour Pascal BekoloBekolo, « en littérature,
la révolte est d'abord une rébellion du langage. Un arrachement
de la parole et une utilisation efficace de celle-ci. En prenant la parole
à leur tour, les « écrivaines » se donnent
pour objectif de lutter contre l'omniprésence de la parole
masculine. » (Bekolo, 1997 : 94). Pour mieux comprendre ce
chapitre, nous posons les interrogations suivantes : qu'est ce qui
caractérise l'écriture de Djaïli Amadou Amal ? Quelle
est la portée de son écriture ?
4.1. L'originalité scripturale de l'auteure
L'écriture de Djaïli vaut son « pesant
de poudre », pour reprendre l'expression de Kateb Yacine. En effet,
la femme écrivaine, sempiternellement victime de la misogynie, doit
désormais, s'atteler non pas à vivre dans une tour d'ivoire
insidieusement baptisée littérature féminine, mais
à recouvrer son identité appropriée. La production
littéraire de cette écrivaine arrive à s'imposer dans un
univers artistique dominé par la littérature masculine, beaucoup
plus virile et exempte des pleurnicheries et autre sensibleries. La
romancière à travers son écriture, montre à la
femme qu'elle doit infirmer le statut qui lui a toujours été
attribué et lutter contre les stéréotypes tenaces et les
préjugés acharnés. Il faut que la femme affirme et
confirme sa présence sans scrupule et énergiquement car les
hommes ne lui feront aucune concession.
4.1.1. Une écriture du
dévoilement
L'écriture de Djaïlientretient un rapport
privilégié avec le contexte socio-culturel et esthétique
dans lequel elle prend forme. L'auteure fait tomber d'un coup sec l'homme du
piédestal sur lequel les principes du patriarcat l'avaient placé.
D'abord, ses deux romans indiquent des thèmes d'actualité
à même de heurter la sensibilité des lecteurs. Cette forme
d'écriture apparaît « comme une véritable
stratégie pour communiquer aux lecteurs le sentiment de
l'inacceptable. » (Moumini, 2017). Il s'agit de la carnavalisation de
la violence pratiquée par les personnages hommes sur les femmes. C'est
un fait inédit, une pratique voilée dans la culture peule. Cette
pratique scripturale montre qu'elle est dirigée envers un public qui est
pris en compte. Dans ce style d'écriture romanesque, ce qui est
voilé, protégé semble désormais exposé. Que
ce soit dans Walandé. L'art de partager un mari ou dans
Munyal. Les larmes de la patience, les récits se
déroulent au sein des familles/foyers, dans l'intimité des
épouses. Ces univers sont protégés par la culture peule.
Ils sont interdits d'accès aux regards étrangers. Or, Djaïli
parvient à mettre la lumière sur certaines pratiques telles les
violences verbale et physique, dégradantes à l'égard des
femmes qui y ont cours. Il apparaît en effet que le message des deux
romans, leur force d'évocation et représentativité
semblent aller de pair avec l'originalité et la qualité de sa
forme. La subjectivité semble être gage de qualité :
plus les récits contés sont profonds et personnels, plus les
romans enthousiasment les lecteurs.
Dans les romans, rien n'apparait plus comme un fait et
inaccessible, dont l'évocation et l'appréciation ne sont
réservées qu'à quelques personnages, notamment les hommes.
Au contraire, tout semble comme si le mot d'ordre est liberté et
émancipation. Le lecteur est invité à participer à
l'oeuvre, à s'exclamer et « encourager à haute voix aussi
bien avant , pendant et après » la lecture. Contrairement à
d'autres textes dans lesquels l'écriture ne rend pas compte des faits
culturels en défaveur des femmes, ici se lit la volonté manifeste
de l'auteure de mettre à nu.
La volonté de dévoilement est aussi
particulièrement visible dans les thèmes abordés par la
romancière. Les deux oeuvres du corpus déconstruisent
l'idée de la supériorité de l'homme sur la femme.
Désormais, à travers cette écriture, l'auteure dit haut ce
qui n'est pas permis à la gent féminine. Elle montre que les deux
sexes vivent dans une interdépendance. AlhadjiOumarou, bien qu'ayant
congédié toutes ses épouses, pour montrer qu'il est le
seul à tenir les reines de son foyer, est très vite
désillusionné. Il est désemparé face à la
tristesse qui s'est emparée de sa concession, du fait de l'absence de
ses épouses. Il se rend à l'évidence de ce que sans ces
dernières, il n'est que solitude. Ainsi, les personnages hommes qui
paraissent forts, inébranlables se trouvent ici déconstruits.
Le type d'écriture de notre auteure traduit son
expérience du monde. La première personne, très
utilisée et le registre de langue est relativement proche du langage
courant. L'on sent chez la romancière la volonté de créer
une oeuvre valable pour tous et de tout temps, détachée de leur
idiosyncrasie. Elle parle en tant que femme et de leur expérience au
milieu de la société. Les récits dans les deux textes,
teintés de noirceurs, de la souffrance de la femme témoignent des
problèmes qui dépassent leur auteure. Le choix de l'affirmation
de la subjectivité sert à ancrer plus profondément les
revendications en faveur de la femme. Djaïli dénonce la violence
d'une société où les différentes formes de
discrimination pèsent lourdement sur la santé mentale et physique
de la gent féminine. Elle ne lésine pas sur les détails.
La dénonciation des normes traditionnelles et patriarcales est
particulièrement prégnante dans le témoignage des
personnages, femmes pour la plupart. L'ambition est universelle ou du
moins, pour toutes les femmes qui vivent des situations semblables au
quotidien. Les récits semblent valoir pour toutes, de tout temps, en
tout lieu.
Djaïli Amadou Amal porte un coup à la banalisation
de la souffrance de la femme représentée dans ses deux romans. En
effet, la volonté d'exposer au public la souffrance intérieure
est noble, on peut s'interroger sur les manières dont ce choix pourrait
être reçu. Le thème du mal-être de la femme est
au coeur de ses textes. Il semble loisible de se demander si l'on ne peut pas
lire là la preuve qu'elle s'insurge contre ce qui peut être vu
comme un certain culte de la souffrance de la femme. Elle encourage
l'écoute des revendications de la gent féminine.Ensuite, le fait
que les sensibilités individuelles inscrites dans l'oeuvre semblent
s'effacer derrière l'apparente similarité des oeuvres et de leurs
thèmes peut être interprété comme inscription de la
situation de la femme dans son contexte, mais aussi comme un renforcement de sa
dénonciation et de son dévoilement. Plutôt que de voir la
similarité des dénonciations d'un oeil négatif, on peut
aussi la percevoir comme une preuve de l'ampleur des problèmes
dénoncés. En effet, en exposant le quotidien des foyers
représentés, elle inscrit l'existence de chaque personnage au
sein d'un ensemble transcendant de sensibilités littéraires,
où les combats individuels s'entrecoupent et les problèmes se
partagent. Cela permet à l'auteure, souvent d'être entendue et aux
revendications individuelles inscrites à l'oeuvre de gagner en
puissance.
La volonté de l'écrivaine de donner une
voix à celles que l'on entend subordonne dans la société
à travers le patriarcat est honorable et important. Cependant, il reste
difficile de ne pas penser que seules les voix portant un message noir
méritent d'être entendues. Cela semble positif dans la mesure
où l'oeuvre littéraire diffuse des mots souvent bruyants. Le
revers de cette médaille, à savoir le risque que cette diffusion
donne l'impression que la souffrance est esthétique, doit cependant
être pris en compte pour mieux empêcher cette souffrance de la
femme de se perpétuer. Le dévoilement repose ainsi sur deux
éléments fondamentaux. Démystifier la
supériorité de l'homme et mettre la lumière sur certains
évènements rendus tabou par le fait des traditions. Djaïli
transgresse un tabou. Ce qui renvoie ainsi à deux réalités
« la première consiste à choisir «l'action par
dévoilement» et donc à dire le tabou pour le banaliser; la
seconde, à imaginer une forme d'énonciation qui rompt avec les
normes conventionnelles. » (Sanvee, 2000 : 183).
4.1.2. Une écriture du
pathétique
Le Dictionnaire fondamental du français
littéraire note que le terme « pathétique » vient
du grec pathêtikos« dérivé de pathos :
pathétique poussé jusqu'à l'exagération », qui
est « relatif à la passion ». Selon Patrice Pavis, le
pathétique est une « qualité du texte [...] provoquant une
vive émotion ». C'est à dire c'est le « mode de
réception » du texte littéraire provoquant la compassion du
lecteur avec le récit. Par le pathétique, qui consiste à
manifester ou provoquer une profonde émotion soit par la
représentation du malheur ou de la souffrance.
Le pathétique, est l'un des éléments de
l'esthétique tragique. Parce que le sentiment et l'affectivité du
pathétique est un élément important de la tragédie.
Comme le remarque Catherine Naugrette (2000 : 145), c'est « une
nouvelle conception de l'oeuvre d'art, qui sanctionne le passage amorcé
au XVIIe siècle d'une esthétique du plaisir à
une esthétique du sentiment et du pathétique moralisant ».Le
pathétique est ce qui, par l'expression du malheur ou de la souffrance,
excite les passions et les émotions vives telles que tristesse,
indignation, horreur, pitié, terreur.L'écriture dans Munyal.
Les larmes de la patience et Walaandé. L'art de partager un
mari est une mise en relation entre l'auteur, son imaginaire, son milieu
de vie et un monde plus large qui se donne à lire via son entrée
en résonnance avec une inspiration singulière.
Dans les deux romans, Djaïli Amadou Amal, dans un style
simple et accessible à tous/toutes aux la romancière camerounaise
fait une peinture sans complaisance, non seulement de la condition
féminine dans le sahel islamisé du Nord du Cameroun, mais aussi
une mise en exergue tant de la conception de l'amour et du mariage que des
rapports hommes/femmes et femmes/femmes au sein des Saaré, sortes de
concessions construites autour et par un homme polygame : le mâle
dominant dans son harem. En bref, il s'agit de la mise en lumière de la
souffrance de la femme.En effet, l'analyse revèle que la femme vit une
situation précaire, caractérisée par une vie qui
dépend de pesanteurs socioculturelles et religieuses. Celle-ci doit
renoncer à son bonheur personnel dans la mesure où elle doit
vivre et se sacrifier pour le bien-être du mari et de la famille. Cela
revient à se faire belle de façon permanente pour son mari,
à être coquette à chaque instant pour lui, à
être souriante devant lui malgré ses propres problèmes,
à se parfumer pour son plaisir, à ne pas le contrarier, à
le respecter en toutes circonstances, à accepter la polygamie...
Bien plus, la femme dans les deux romans doit réussir
à garder son mari et le rendre heureux . Un tel comportement fera
honneur à sa famille qui se construira une excellente réputation
dont l'acmé du mépris est la répudiation autorisée
par l'islam. C'est à cette seule condition que la femme
sahélienne et musulmane pourra « mettre son mari dans sa poche
» et devenir la fierté de sa famille. De ce fait, la seule arme,
mieux, la clé pour mériter cet amour sacrificiel est
munyal, la patience. Le seul conseil que donne cette
société du corpus à une jeune femme pour réussir ce
parcours est : soit patiente et tout le reste te sera donné de surcroit
(MLP : 7; 16; 68) (WAPM : 13; 37).
Toute sa vie, la femme est au service de l'homme et de la
famille; qui en tirent du pouvoir et du bien-être au maximum. Le mari est
bien entendu le grand gagnant. Il reçoit tous les honneurs, tous les
plaisirs et toutes les attentions et rien ne lui est interdit en retour. Il
peut, contrairement aux femmes, collectionner autant d'épouses que le
lui permettent ses moyens (MLP : 140), il peut avoir des
aventures extraconjugales et peut même être violent sur ses femmes
ou les répudier car cela est pratiquement un droit, un privilège
masculin, un droit que lui donne l'islam (WAPM : 69-70). La
famille en profite aussi car sa réputation gagne à la fois des
bonus grâce au munyal de la femme et des dividendes
économicopolitiques et statutaires au cas où le mari à sa
fille est un grand homme. À titre illustratif, Safira a
été mariée de force à Alhadji Issa, le plus grand
commerçant de la ville de Maroua (MLP : 36), un homme
riche et important. Donner sa fille en mariage est donc un acte
d'investissement dont le retour sur investissement pour le père et la
grande famille est plus important que les sentiments de la femme, que les
difficultés qu'elle peut vivre au sein du mariage polygamique.
En effet, ce que montrent les deux textes de Djaïli
Amadou Amal est un ensemble de faits stylisés qui caractérisent
la condition féminine. Les mariages forcés et précoces,
l'arrêt brutal des études pour les jeunes filles ou leur absence
totale (WAPM : 30; 35), les viols conjugaux, la violence
physique, le danger de la répudiation, l'honneur à faire à
sa famille en devenant « une bonne épouse », la polygamie et
la recommandation d'être patiente et stoïque devant toutes les
épreuves. C'est cela la condition féminine, un état du
monde qui devient la normalité. Ce qui compte n'est pas qu'une fille ait
des rêves mais qu'elle vive dans « la vraie vie » que met en
place cette normalité. Les parents des filles, eux-mêmes issus de
ce moule, préfèrent la sécurité de leur fille
à l'amour de celle-ci pour un homme. Ils visent plus la
sécurité de leur fille à sa liberté. Ils trouvent
plus importants un choix collectif du mari à leur fille qu'un choix
individuel d'un homme par leurs filles. Ils estiment plus porteur le mariage
comme une alliance performante pour les familles par rapport au mariage d'amour
: « le meilleur époux n'est pas celui qui chérit mais celui
qui protège et qui est généreux » ; « l'amour
n'existe pas avant le mariage » (MLP : 37); « dans un
mariage on ne cherche pas que l'amour » ; « es-tu prête
à sacrifier ta famille pour ton soi-disant bonheur ? »
(MLP : 50), sont autant de répliques qui
anéantissent et étouffent les velléités
contestataires de Ramla lorsqu'elle est obligée de se marier à
Alhadji Issa, un riche homme de la place. Les parents de Ramla
préfèrent cette école de la vie à «
l'école du blanc » que veut poursuivre leur fille par ailleurs
brillante et amoureuse d'un autre, l'étudiant Aminou.
En conséquence, les piliers de cette école de la
vie sont le saaré, concession familiale où règne
le baba3(*) et la
dada-saaré. Les récits fédérateurs de cet
univers instable où les rapports femmes/femmes sont sournois,
calculateurs et empreints de maraboutages réciproques de ses
co-épouses et de son mari sont le coran qui recommande la soumission des
épouses à leur époux, munyal, la patience dont
doit s'armer chaque femme, et la coutume familiale dont la polygamie assure la
continuité et le prestige.
Le corpus est aussi traversé par le conflit entre
traditions (omniprésente d'Allah, de la famille élargie, des
coutumes, des réciprocités, des parentèles, des
solidarités, des marabouts) et modernité (besoin de
liberté de Ramla, mercedes, bijoux, voyage en Europe, monnaies...). Il
en résulte, comme dans L'aventure ambiguë de Cheikh
Hamidou Kane, une société où le passage de la
traditionnelle à la modernité s'avère difficile et
marqué de plusieurs interrogations notamment sur « l'école
des blancs ». Celle-ci, en reprogrammant Ramla et Safira, deux personnages
phares du corpus, les déprogramme aussi par rapport au monde
traditionnel. Ramla, ont besoin d'études, de choix individuels et de
projets personnels de bonheur marquent les faiblesses du mode de vie
traditionnel. Le lecteur est amené, en dehors des critiques de
système traditionnel faites par Djaïli Amadou Amal, rendre
sympathiser avec ces femmes sahéliennes anonymes dont la preuve de la
force titanesque d'esprit est de s'être sacrifiées pour permettre
à la romancière camerounaise de naître, de grandir et de
devenir ce qu'elle est devenue. Ce sont peut-être elles les vraies
héroïnes à mettre en avant.
4.1.3. Une écriture du
tragique
Le tragique est le caractère de ce qui est funeste,
alarmant ou attaché à la tragédie. Un personnage tragique
semble soumis au destin, à la fatalité; il est emporté par
ses passions ou subit un conflit intérieur proche de la folie. Le
registre tragique est proche du registre pathétique parce qu'ils
suscitent l'un et l'autre la pitié, mais il s'en distingue par le
caractère terrifiant des situations dans lesquelles se trouvent les
personnages. Ainsi, dans un roman par exemple, un personnage dont le destin est
irrémédiable, souvent funeste. Une autre caractéristique
d'une « fin tragique » peut être la mort du personnage dans
d'atroces souffrances.
Que ce soit l'une ou l'autre des situations expliquées
ci-dessus, elles se retrouvent représentées dans les deux romans
de Djaïli Amadou Amal. En effet, dans Munyal. Les larmes de la
patience, le personnage de Hindou est victime de ses malheurs. Elle est
d'une manière générale responsable de ceux-ci.
D'après Paul Ricoeur, « dans la tragédie, le
héros tombe en faute comme il tombe en existence ». De fait,
le personnage/Héros tragique est rarement innocent. Même s'il
l'est, il demeure coupable de vivre. Le tragique repose souvent sur une tension
entre une norme (tradition) et une transgression (une faute). Pour le cas
précis, la faute de Hindou provient de ce qu'elle veut s'affranchir de
son époux, du mariage, de son foyer conjugal. Ce qui lui est
imposé par sa famille et ses parents, dignes représentants des
lois traditionnelles. Or, elle est sans cesse poussée par sa
volonté de reconquérir sa liberté. Ce qui constitue donc
la faute. Il y a donc tension entre ces deux pôles : se conformer ou
s'affranchir. Son malheur vient de là.
Ainsi, se déchaînent contre le personnage une
série d'évènements. Le premier élément qui
pèse sur Hindou résulte d'un châtiment que Moubarak lui
inflige en réparation ou en expiation d'une faute : « Espèce
de petite peste ! Tu m'as mordu mais tu verras. Tu ne perds rien pour attendre.
» En fait, selon les propos du personnage de Hindou, son cousin Moubarak
aurait voulu abuser d'elle. Cette dernière, en se défendant, par
un coup de hasard, l'a mordu. Cette « faute »,
considérée comme un affront par son cousin, scelle son destin.
Elle subira les conséquences dans le mariage. Arrivée dans le
foyer conjugal, Hindou en rajoute à sa faute : elle défie
l'autorité familiale, car elle fugue, tentant de s'échapper aux
violences répétées de son cousin époux. Pour elle,
« le jour où j'ai déserté la maison conjugale,
sans destination précise, je n'avais guère imaginé les
conséquences de ma fugue ni pour moi et encore moins pour le reste de la
famille. » (MLP : 132)
Le personnage a provoqué les foudres de la
société et l'a défiée avec son comportement. Le
père, irrité par ce comportement, est décidé
à lui faire subir un sort funeste : « je vais te
tuer ». À sa manière, il la punit. Elle va subir une
violence inouïe, qu'elle ne reconnaissait pas à son
géniteur. À présent, Diddi, la mère de Hindoua
l'esprit plein de remords et de culpabilité, croyant que ce malheur est
de sa faute et le fruit de son attitude envers sa fille.
L'expression du tragique dans les romans de Djaïli Amadou
Amal recourt à une expression sobre, à même de retenir
l'attention du lecteur sur la situation que vit le personnage féminin.
C'est dire que le codage du rapport émotionnel est facilité par
le recours à un style simplifié par l'auteure. Les
mécanismes à l'oeuvre employés par l'écrivaine
constituent un appât pour le lecteur par rapport à la souffrance,
à la tragédie que vivent les personnages.La représentation
des personnages impliqués dans la situation tragique (il y a ceux qui
souffre; et ceux qui font souffrir) rendle récit captivant. La
souffrance, qu'elle soit physique ou émotionnelle, augmente
considérablement l'implication émotionnelle du lecteur. Ainsi,
Walaandé. L'art de partager un mari foisonne de marques
d'écriture de ceregistre que nous allons repérer et
relever. À cause de l'état de Yasmine, les mariages furent
repoussés. La jeune fille n'allait pas bien. [...] Hadja Aïssatou,
les yeux rouges par manque de sommeil, égrenait sans cesse son chapelet.
[...] Fayza, assise sur le lit de sa soeur, tenait sa main amaigrie et essuyait
de temps à autre une larme discrète pour ne pas inquiéter
la malade. Même Alhadji ne parvenait plus à cacher son
inquiétude. (WAPM : 120). Tous les personnages
impliqués dans le récit, ressentent chacun à un
degré variable, l'intensité de la situation tragique vers
laquelle s'achemine la famille. À travers des expressions simples, elle
prend de l'ampleur chez le lecteur. Il se sent concerné par la
tragédie.
Une autre des structures de l'écriture tragique est le
personnage ou héros tragique Barthes le définit comme :
« l'enfermé qui ne peut sortir sans mourir »
(Barthes, 1963 : 22). Dans Munyal. Les larmes de la patience,
Yasmine est enfermée dans un espace tragique qui est clos (la
concession de son père) et lorsqu'elle entreprend de quitter cet espace,
c'est la mort qui la guette au détour. Ainsi, s'installe en elle une
situation d'instabilité, de confrontation entre la volonté du
père et ses propres choix. En outre l'instabilité et la division
sont caractéristiques du héros tragique: il est un être
instable et divisé, si bien que son amour et ses émotions sont
instables : « il ne se débat pas entre le bien et le mal, il se
débat c'est tout » (Barthes, 1963). Le héros
tragique est proche d'un patient atteint par le dédoublement de la
personnalité, en d'autre termes il est atteint par la scission du «
je ». C'est pourquoi le monologue intérieur est si fréquent
dans ces oeuvres tragiques. Car il est l'expression idéale de la
division.
On revient à la mort tragique pour dire que le
héros tragique cherche la mort et ce pour rompre une situation, et cette
même volonté-même si elle ne se concrétise pas, elle
est cependant considérée comme une mort. C'est la mort rupture
qui peut être la conséquence d'une découverte d'une
vérité tragique ou l'inacceptation d'une situation. Comme c'est
le cas de Yasmine qui refuse son mariage. Dans toute oeuvre tragique la figure
du père est omniprésente : le sort de tout personnage tragique,
Hindou et Yasmine est étroitement lié à leurs
pères. À ce propos et comme le souligne Barthes : « Il n'ya
pas de tragédie où il ne soit réellement où
virtuellement présent ». Les souffrances auxquelles les deux jeunes
filles sont confrontées dans les romans ne sont que les résultats
des fautes que leurs pères respectifs ont commises. Il faut aussi avouer
que concernant les pères, le moins qu'on puisse dire c'est qu'ils ne
sont pas des pères idéaux. Ils sont violents. En outre, c'est
sont eu qui ont rendu Yasmine et Hindou malheureuses pour toujours et ce en
choisissant pour elles leurs époux, qu'elles n'aiment pas.
4.2. Voies de libération de la gent féminine
Les premières décennies de la
littérature africaine ont connu une occupation hégémonique
de l'univers littéraire par les écrivains hommes. C'est ainsi que
pendant cette période de temps qu'on peut qualifier de long, les
écrivains hommes s'étaient arrogés le droit de parler des
femmes en leurs termes phallocentriques et selon l'idéologie
patriarcale. À quelques exceptions près (en l'occurrence Ousmane
Sembène et Henri Lopès), les personnages féminins ont
toujours occupé des places secondaires dans les oeuvres des romanciers.
En tant que simples subalternes, leur présence se limitait à
faire valoir l'omniprésence et l'omnipotence du ou des héros. En
poésie, elles ne sont vues que de l'extérieur, et de
manière exagérée.
Magnifiées pour ne pas dire mythifiées ou
mystifiées dans leur rôle de mère, elles sont
chantées pour leur abnégation, candeur, douceur et plus
superficiellement encore, pour leur beauté. On peut se
référer ici au célèbre poème du
président Senghor : « Femme nue, femme noire ».La femme
africaine contemporaine a un statut singulier. De la fille non
scolarisée à la fille scolarisée, elle a su se servir de
son éducation livresque pour embarquer dans le navire des intellectuels.
Jadis, qui disait femme africaine disait besogneuse sans répit,
astreinte à des travaux accablants à l'instar des labeurs
champêtres et domestiques. Les années soixante-dix marquent
l'avènement d'un jour radieux pour ces femmes au destin
prédéterminé. La reconsidération du statut de la
femme ayant favorisé la libéralisation de sa parole, lui a permis
non seulement de parler de sa condition face aux injustices commises par le
système patriarcal à son égard, mais aussi de se poser
avec une certaine sagacité un regard critique sur les problèmes
économico-politique, pour pouvoir s'ériger en productrice de
civilisation.
Djaïli Amadou Amal par sa littérature, applique
à la lettre l'exhortation des femmes africaines à opérer
positivement des changements à leur endroit. Dans son essai sur
« la fonction politique des littératures
africaines », Mariama Bâ écrit : «c'est
à nous, femmes de prendre notre destin en main pour bouleverser l'ordre
établi à notre détriment et ne point le subir. Nous devons
user comme les hommes de cette arme qu'est l'écriture ». Par
l'expression « comme les hommes », Bâ invite ses
consoeurs à se mettre au même pied d'égalité que les
hommes. Cette égalité ne se situe que sur le plan intellectuel
afin de mieux parler de ses ressentiments. ». Allant dans ce sens,
Joseph Ndinda dira que « les premiers discours littéraires
féminins sont en réalité des contre-discours venant
invalider l'image de la femme qui surgit de la plume des écrivains
africains des périodes avant et immédiatement après les
indépendances » (Ndinda, 2000 : 28). Nul ne connaît
mieux la femme et les conditions dans lesquelles elle vit que la femme, donc,
nul ne peut mieux parler de la femme et de son existence que la femme.
4.2.1. La recherche de soi
La recherche de soi ou la construction de l'identité
féminine se passe de façon endogène par rapport à
ce qui est féminin en premier lieu, par rapport à son corps. Dans
cette perspective de non différenciation, la construction identitaire
paraît plus difficile pour la femme, qui doit, d'après Paré
&Zouyané (2022), suivre une voie plus tortueuse : elle doit devenir
elle-même ce qui était d'abord l'objet de son (premier) amour.
Elle doit achever son autoréalisation en devenant l'autre terme de sa
première relation. Pour mieux comprendre les mécanismes de la
recherche de soi féminin, il faut observer les différentes
façons d'être des personnages féminins dans l'univers
romanesque, au sein d'une société dont les lois lui sont
hostiles. Il faut penser l'infinie diversité des situations existantes
(et qui échappe à toute tentative de définition
réelle) au regard de la société, ici, peule. Il faut donc
appréhender les enjeux de la transformation de la femme, analyser tout
ce qui détermine le comportement des personnages, comprendre ce qui les
oblige à tenir un rôle dans la société, «
conformément à la culture et aux impératifs sociaux
».
Les romans de Djaïli Amadou Amal traitent de la
transformation intérieure de la femme. Dans Walaandé. L'art
de partager un mari, le récit montre une transformation progressive
des personnages féminins. Cette métamorphose est en rapport avec
leur corps. En effet, Sakina et Nafissa, deux épouses d'AlhadjiOumarou,
se sont sacrifiées au nom de la loi conjugale et la volonté de
l''époux. Elles ont donné naissance à plusieurs enfants.
Ce qui n'est pas sans incidence sur leur physique. À peine la vingtaine
entamée, elles ont l'air d'en avoir trente. Les multiples accouchements
ont conduit à la dégradation de leurs corps. Ce qui les
inquiète. Pour apporter une solution à cette situation, les deux
jeunes femmes décident, au mépris de la tradition de suspendre
les accouchements. Ceci passe par la prise des contraceptifs. C'est une
pratique qui pourrait courroucer l'époux. Mais elles y tiennent. Elles
tiennent à prendre le contrôle de leurs corps.
Le processus de construction identitaire est une interrogation
constante de la littérature féminine africaine. Cette
littérature représente les chemins possibles pour parvenir enfin
à être « soi », c'est-à-dire, paradoxalement,
pour « être autre ». Selon Paré Daouda (2022), la notion
d'identité est inséparable de la notion d'altérité.
La narration chez Djaïli rend compte de ce va-et-vient entre soi et
altérité. En effet, la quête identitaire l'une des
thématiques et elle fait référence à une
différence ardemment souhaitée : Sakina et Nafissa
souhaitent être différentes. Elles aspirent à une
identité nouvelle désirée (un être au monde à
inventer). Évidemment, la question de l'identité se fonde sur la
relation conjugale et l'héritage transmis. Elle pose le paradoxe entre
l'identique (et la reproduction du même, soit de l'épouse
modèle) et la différence (et donc l'altérité ou
encore de l'épouse affranchie des traditions). L'écrivaine
interroge les modes d'élaboration de l'identité et en premier
lieu, la relation à l'époux, comme support identificatoire
primordial. Elle met en place des stratégies narratives pour dire la
construction féminine. Pour se faire, elle dote les personnages de femme
d'un état initial qui n'est pas figé (épouse
modèle), puisqu'il va être amené à évoluer en
même temps que l'intrigue et la trame narrative. Dès le
départ, l'identité des personnages femme est indécise,
comme un peu effacée derrière la tradition et la religion, mais
toujours liée à l'époux.
La recherche de soi de la femme passe également par la
reconquête de sa liberté ou son affranchissement de
l'autorité masculine. En effet, mariées dès l'âge de
douze ou treize ans, toutes les femmes d'AlhadjiOumarou sont durant leur vie
« la chose » des hommes. Avant leurs mariages, elles sont
sous l'autorité parentale. Ce qui s'est soldé par des mariages
précoces et forcés. Dans le foyer conjugal, elles ont perdu toute
autonomie. Elles doivent accoucher le nombre d'enfants souhaité par
Alhadji. Leur mobilité reste cantonnée à l'univers
familial. Le travail dans le service public ne fait plus partie de leurs
projets. Bref, elles ne peuvent plus aspirer à une ambition. Pour
être, les femmes du corpus disent la tradition. Pour devenir ou pour
s'imaginer, les personnages de filles femmes envisagent d'abord la tradition
(éducation traditionnelle transmise par la mère, respect de la
volonté du père, soumission à l'époux). La femme
devient une projection de la tradition. Dans la littérature produite par
Djaïli Amadou Amal, les personnages féminins sont obligés de
se tourner vers les personnages figures de la tradition pour tenter de trouver
des repères de ce qui les attend, pour trouver leur « devenir
» identitaire féminin. Et ce, quel que soit le lien qu'elles
entretiennent avec les lois traditionnelles (qu'elles soient torturées
(Hindou, Sakina, Nafissa) ou passionnées, plus tempérées
(Djaïli, Hadja Aïssatou)... Que la femme se sente trop ou mal
aimée par son époux).
Ainsi, face à cette situation qui est en grande partie
inconfortable pour la femme, elles procèdent à la recherche de
soi. C'est le cas de Nafissa dans Walaandé. L'art de partager un
mari. En effet, après quelques années de mariage
forcé, celle-ci se sent à l'étroit dans le foyer conjugal.
Elle ne peut exprimer librement son amour dans un foyer polygamique et du fait
du semteende, la retenue. Pour s'affranchir, elle demande le
divorce :
-Je veux ma répudiation aussi.
Il ne répondit pas, continua son chemin. Elle
insista :
-tu as répudié les deux autres ! Je demande
aussi ma répudiation.
-Nafissa, ne me cherche pas ! En vérité,
vous êtes toutes devenues folles ou quoi ?
-Je veux vraiment ma répudiation !
-D'accord tu l'auras ! je te répudie trois
fois ! je te répudie, je te répudie, je te répudie.
Tu es comme ma mère, ça te va ?
-Merci Alhadji ! (WAPM : 142).
Il est de coutume que l'homme demande et autorise le divorce.
Or, dans cet extrait, c'est Nafissa qui demande à être
répudiée. Elle harcelle à la limite son époux
à cet effet. Elle a la situation en main. Elle a réussi à
inverser la tendance.
Les deux romans de Djaïli analysés dans cette
section racontent la construction identitaire féminine entre tradition
et quête émancipatoire, à travers différentes
personnalités singulières inscrites dans la trame narrative,
c'est-à-dire obéissant à une logique puisqu'elles vont
passer d'un état à un autre. En effet, les personnages femmes
vont aller d'un état initial à un état final, grâce
à un élément perturbateur entrainant des changements et
des perturbations « mis en continuité à travers
l'enchaînement des différentes séquences de l'intrigue
» (Erman, 2006 : 10) permettant ainsi de dévoiler une
vérité. Leur vérité et leur identité.
À la fin des récits, les personnages femmes ont mue, comme
traversés par une quête absolue d'émancipation et donc de
construction autre que celle transmise par la tradition. Ainsi, elles sont,
in fine, sujets de leur histoire c'est-à-dire qu'elles ne sont
pas uniquement le produit de la logique narrative. « Leur humanité
» reposerait à la fois sur leurs actions et sur leur manière
d'être au monde, de le penser, de le réfléchir et de vivre
leurs aspirations, leurs désirs. Leur possibilité d'exercer leur
volonté propre.
4.2.2. Conscientisation des hommes
et des femmes
Djaïli Amadou Amal est l'une des écrivaines qui
jouent un rôle important dans l'émancipation de la femme
africaine. On peut déduire à travers ses oeuvres que
l'école est un moyen indispensable pour susciter la prise de conscience.
Les femmes instruites mettent toujours en cause leur état et refusent la
place à laquelle la société les relègue. Dans
Walaandé. L'art de partager un mari, Sakina prouve à ses
coépouses que les différentes interprétations du coran
données par les hommes sont fausses. Elles visent à les conforter
dans leurs positions dominantes au sein de la famille tout simplement. Les
jeunes enfants des différentes familles représentés dans
le corpus, des collégiens, se rebellent contre la décision prise
unilatéralement par leurs parents de les marier, ceci est dû au
mépris de leurs ambitions.
Djaïli Amadou Amal se sert également de sa plume
pour créer des héroïnes qui, à travers les
évènements prennent conscience de leur état et finissent
par se révolter. Par exemple dans le roman ci-dessus cité, Hadja
Aïssatouqui a toujours été taciturne et soumise durant ses
deux décennies de mariage est devenue une révoltée par la
force des souffrances et des mépris. Ses propos démontrent
clairement sa prise de conscience et elle se révolte :
« Cette fois, tu vas m'écouter, car j'en ai marre de tes
bêtises. J'ai toujours tout supporté en silence. Tes mariages, tes
répudiations, tes ordres. Tu détruis tout sur ton passage, tu te
prends pour Allah ? » (WAPM : 141).
Les femmes dans Munyal. Les larmes de la patience
font montre d'une prise de conscience assez claire de l'injustice, du manque
d'équité et de la violence que charrient la polygamie et le
masochisme masculin, tels qu'elles les vivent dans leurs foyers et autour
d'elles. Il faut dire tout que cette prise de conscience s'est notamment
manifestée par un acte qui récuse la tradition en même
temps que la morale religieuse :
Je ne dis rien mais je soulevai juste mon corsage dénudant
mon dos, dévoilant les grandes ecchymoses que l'on pouvait encore voir.
Avec le temps, elles avaient pris une couleur plus foncée, ce qui
arracha à ma mère un cri de stupeur.
-« Oh ! Hindou, avec quoi t'a-t-il fait ça ? Pourquoi
ne m'as-tu rien dit ?
- Qu'as-tu fait à Moubarak pour qu'il abatte sur toi une
telle fureur ? fit froidement ma tante. Qu'Allah nous préserve.
Franchement, toi et ton époux, vous vous valez. Pas la peine d'entrer
dans vos histoires.
- Je ne veux plus patienter, criai-je, éclatant en
sanglots. J'en ai assez. Je suis fatiguée d'endurer, j'ai essayé
de supporter mais ce n'est plus possible. Je ne veux plus entendre patience
encore. Ne me dites plus jamais munyal ! Plus jamais ce mot !
-Tu en as trop supporté, Hindou. Plus que ce que tu aurais
dû peut-être, ajouta ma mère, me réconfortant alors
que je sanglotais de plus belle.
-Tu expliqueras cela à ton époux, Amraou !
»conclut sèchement GoggoNenné en se tournant vers ma
mère. (MLP : 115)
En effet, après s'être mariée, la jeune
Hindou subit des violences conjugales. Malheureusement elle ne trouve de
soutien ni de la part de la belle-famille encore moins de ses parents. Elle
décide d'engager une lutte suicidaire pour sa libération. Elle
fugue de son foyer conjugal. Or, jusque-là, ses parents n'ont pas pris
conscient de la gravité de la situation de leur fille. Cette
dernière décide de dévoiler finalement les marques de
violence sur son corps. Ce qui enclenche une prise de conscience. Sa
mère est d'autant plus révoltée qu'elle est entre
contradiction flagrante avec les principes moraux de silence et de soumission
qui sont censés être à son quotidien. Tel est le cadre dans
lequel a pris corps sa prise de conscience sur la condition de vie conjugale de
sa fille; tel est également le creuset dans lequel se sont
forgées, sa révolte contenue, velléitaire contre
l'oppression et l'asservissement de sa fille par la structure polygamique ainsi
que sa détermination à combattre les abus de cette pratique, par
tous les moyens dont elle peut disposer. Aussi n'a-t-elle pas craint, dans le
légitime souci d'assumer pleinement son humanité, de subir la
colère d'un père en courroux, en contestant ouvertement la
violence dont fait preuve son gendre Moubarack à l'égard de
Hindou. Le brutal soufflet reçu du père, blessé dans son
amour propre de mâle omnipotent, contrarié dans ses prises de
position pour la première fois, mais aussi dans son orgueil de
maître absolu du domicile, humilié, voire bafoué par une
contestation « féminine » à l'interne, loin de la
réduire au silence et à la résignation, l'a davantage
enhardie et galvanisée dans son désir de poursuivre la lutte pour
plus de justice sociale et d'équité en faveur de sa fille.
La prise de conscience se réalise également du
côté des personnages masculins. À la fois individuelle et
collective, les hommes se rendent à l'évidence de leur faute et
rectifie le tir. Ils comprennent désormais leur entière
responsabilité dans la souffrance endurée par les femmes dans
l'univers familial.
Toi aussi, je suis au courant de ton comportement. Fais
attention à toi, Moubarak ! Ça ne te servira à rien de te
comporter comme un voyou. On a appris que tu maltraites ton épouse, que
tu te drogues et que tu bois. Ce n'est pas sensé. Au-delà du fait
qu'elle est ton épouse, c'est quand même ta cousine, et tu lui
dois protection. Que ce soit la dernière fois que j'apprends que tu l'as
frappée. Quand on épouse une inconnue, on lui doit des
égards. Quand on épouse un membre de sa famille, on lui en doit
deux fois plus. Tu veux diviser la famille ou quoi ? Tu n'es pas innocent dans
ce qui s'est passé. (MLP : 118)
Comme nous pouvons le constater dans cet extrait, les hommes
prennent la défense de la gent féminine. Bien que
profondément ancrés dans le patriarcat, ils avouent timidement
leur responsabilité. Désormais, la jeune Hindou peut compter sur
le soutien parental, face à son époux.
Notons aussi que la louange et la valorisation des femmes
martyres occupe une place importante. Aissatou a sacrifié son mariage
pour libérer ses coépouses et par ricochet, toutes les femmes
qui, comme elles vivent dans l'étau de la polygamie. Yasmine a
sacrifié sa vie pour libérer ses frères et soeur, et par
la même occasion la nouvelle génèration de la
communauté peule qui se trouve coincée entre les griffes de la
tradition ; et qui les empêche de prendre l'envol, de s'assumer en
tant qu élément du monde. C'est grâce à la mort
de Yasmine que Mustapha, Fayza et Amadou octroient la capacité
d'être eux même.
Somme toute, il faut retenir qu'en l'état
actuel de la société représentée dans les deux
romans, avec une forte prédominance du mode de vie traditionnelle, il
n'est pas aisé pour la gent féminine de trouver une solution
toute faite aux problèmes liés au patriarcat, bref la tradition.
Dans les deux textes, les personnages féminins visent une
société qui soit un modèle d'équilibre dynamique
entre les solides valeurs traditionnelles qui ont fait leurs preuves et
l'adaptation judicieuse aux réalités actuelles. La
réalisation d'un tel objectif passe par une véritable
reconversion des mentalités obtenue à travers des efforts
significatifs de mis en scène des personnages et d'éducation de
toute la société et des femmes en particulier.
4.2.3. Critique de la
société patriarcale
La critique de la société qui transparaît
dans le roman de Djaïli Amadou Amal s'inscrit dans le discours dominant et
a l'effet d'en mettre à nu les suppositions traditionnelles avec
acceptation des conséquences. Son écriture va à l'encontre
des règles ancestrales qui tentent d'enfermer la femme dans les liens
traditionnels du patriarcat, malgré la désapprobation, voire
l'opposition de des personnages femmes, représentantes et garantes de la
perpétuation des principes coutumiers dans la famille. Agissant presque
seules contre tous, puisque ne bénéficiant ni de
complicité, ni même de sympathie pour leurs causes, certaines
femmes suivent de manière imperturbable la voie qu'elles se sont
tracée, sans que cela n'altère, de façon significative,
leur identité féminine.
D'emblée, on peut remarquer de part et d'autre une
dénonciation de la mentalité rétrograde que
possèdent les pères de famille comme Alhadji Issa et Oncle
Hayatou dans Munyal ou AlhadjiOumarou et l'Imam de la mosquée
dans Walaandé. Il semble que ces derniers aient tendance
à s'appuyer sur des principes traditionnels et religieux qui
s'apparentent de près à ceux d'un « régime
liberticide ». Ces hommes sont des croyants qui détiennent une
attitude particulièrement répressive à l'égard de
leurs jeunes filles. Se dévouant à l'Islam, AlhadjiOumarou prend
au pied de la lettre toutes règles que lui dicte le coran. Il les
applique notamment dans ses manières d'éduquer et de
châtier ses épouses et ses filles, puisque celles-ci
s'avèrent assez strictes. En vérité, cet homme ne manque
pas seulement de souplesse, mais peine également à comprendre la
détresse vécue par sa concession. On dirait qu'il
considère la période de l'adolescence telle une phase de
perversion où séduction, envies sexuelles, éveil à
la féminité et plaisir sont synonymes de provocation, voire de
délits. Outre les regards condescendants et les reproches incessants que
ce commerçant respectable manifeste à ses épouses, on
perçoit son puritanisme lorsqu'elle apprend que l'une d'entre elles lui
a adressé une parole qui ne rentre pas dans les règles de l'art.
De l'autre côté se présente Moubarak,
jeune homme colérique et qui lui aussi ne cesse de réprimander sa
cousine épouse Hindou pour ses moindres faits et gestes. Reclus dans une
situation précaire du fait de ses multiples échecs dans les
affaires, ce dernier vit au milieu des gens attachées aux valeurs
traditionnelles et islamiques, mais ne les respecte aucunement. Il tient des
discours conservateurs sur les droits et libertés des femmes en estimant
que ces dernières ne sont utiles que pour servir, cuisiner, nettoyer et
enfanter.
Le fil de lecturedes deux romans amène à lire
dans le même temps des récits de viesde femmes peules racontant
comment les personnages féminins bataillent pour échapper
à un avenir de soumission totale promis par la tradition et la religion,
pour accéder au droit la parole et, donc, à la dignité
féminine. Les romans de Djaïli Amadou Amal rappellent bien, sans
emphase, quelle énergie il a fallu hier et faut encore aujourd'hui
à une jeune fille peule sahélienne pour s'extirper du sort commun
promis par le patriarcat coutumier à toutes les femmes en Afrique :
obéir et se taire.Forte de cette conviction, Djaïli se lance dans
un projet de récit un peu « fou » :
révéler l'intérieur de la culture peule,les
procédés qui permettent aux hommes de maintenir en
captivité la femme avec la complicité des religieux et des femmes
même.
En somme, ce chapitre nous a permis, à partir des
exploitations des indices textuels, d'entrer dans le cosmos idéologique
de notre auteur. Le résultat de l'analyse textuelle montre que Djaili
Amadou Amal est une écrivaine féministe. Cependant, elle ne se
contente pas seulement de présenter la condition féminine. Elle
attire l'attention de la gent féminine africaine en
générale et peule en particulier sur un fait. Il revient à
la femme en générale de forger son propre destin pour se
libérer de la domination masculine si elle estime être sous leur
emprise. Comme les épouses d'AlhadjiOumarou, les femmes doivent agir
ensemble en synergie pour opérer le changement auxquels elles aspirent.
Ce changement viendra de la femme elle-même.
Conclusion générale
L'écriture de la victimisation de la femme dans deux
romans de Djaïli Amadou Amal a été explorée tout au
long de cette recherche. La femme africaine en général et celle
représentée dans le corpus vit une situation d'inconfort. Elle
est oppressée de toute part, à la fois par la famille,
l'époux, la belle famille. Bien plus, les lois régissant le
fonctionnement de la société ou de la famille/foyer ne sont pas
en sa faveur. Elle nage dans un tourbillon de règles qui la maintienne
en état de captivité. L'objectif était donc de faire voir
la situation de sujétion de la gent féminine en ce qui concerne
son statut, son rôle et ses conditions de vie dans la
société représentée dans l'univers romanesque. En
outre, l'état de personnage victime devrait être analysé
afin de ressortir les sources, ou les faits qui sont le soubassement du statut
de dominée de la femme. Étant donné que des
prédispositions sont établies pour la domination, les personnages
hommes emploient des moyens mis à leur disposition pour
l'effectivité de la subordination. Cette analyse s'est attelée
à comprendre ces procédés usités dans le but de
maintenir la gent féminine sous le joug de l'homme. Ce qui n'est pas
sans conséquence pour elle. Dans son statut de sujet, la femme subit un
certain nombre de pratiques qui arrivent à la métamorphoser
à la fois psychologiquement et physiquement. L'aspect idéologique
de l'écriture de Djaïli n'est pas passé inaperçu. Il
a fait partie de l'objectif de cette analyse.
Le cadre théorique dans lequel s'inscrit cette
recherche est la Sociocritique telle que théorisée par Claude
Duchet. En effet, le recours à la sociocritique était
indispensable tout au long du travail, parce qu'elle nous permet de mettre en
évidence les différents aspects de tradition dans les
écritures romanesques francophones que seule l'analyse littéraire
ne peut pas élucider. Cette méthode d'analyse propose une lecture
sociohistorique du texte. Selon lui, l'approche sociocritique tente de
construire « une poétique de la société,
inséparable d'une lecture de l'idéologique dans sa
spécificité textuelle » (Duchet, 1971 : 6). En fait, la
méthode sociocritique a permis de s'intéresser à ce que le
texte signifie, et aussi à ce qu'il transcrit, c'est-à-dire
à ses modalités d'intégrer l'histoire au niveau du contenu
aussi bien que la forme. Aussi elle s'est avérée efficace et
importante pour l'analyse du corpus pour plusieurs raisons ainsi : L'auteure
s'est fortement inspirée de la société et de ses faits et
pratiques projetés dans la peinture du monde de fiction. De plus, il a
été important d'utiliser la méthode sociocritique, car les
heurts de la supériorité de l'homme à la femme retombent
sur un échantillon des individus faisant partie de la
société d'où tous les gens en sont sensibles. Ensuite, la
domination masculine dans les sociétés africaines,
c'est-à-dire la patriarchie, semble être source d'inspiration pour
l'auteure. Ainsi, l'on a étudié l'organisation sociale, politique
et économique, tant au niveau des normes que des pratiques en rapport
avec la victimisation de la femme.
L'on s'est attelé dans le premier chapitre à
étudier les sources de la victimisation dans les deux oeuvres du corpus.
En effet, l'imaginaire du peuple représenté dans l'univers
littéraire est l'élément duquel la subordination de la
femme à l'homme est tramée. S'appuyant sur les croyances et les
principes religieux, en l'occurrence l'Islam, les personnages homme font une
interprétation subjective de ces éléments. Ils en
détournent les sens afin de se placer au-dessus de la gent
féminine. Certains préjugés calqués sur l'image de
la femme que se représentent les peuples font partie des arguments
avancés pour pérenniser la maltraitance. Aussi, la femme, du
moment où elle n'a pas droit à la parole, elle ne
bénéficie pas non plus de la scolarisation. L'absence de
l'éducation scolaire chez la jeune femme ne lui permet pas de
réclamer ses droits, encore moins de comprendre les fourberies de
l'homme qui n'ont pour seul justificatif que l'affirmation de sa
masculinité. Pour ce qui est des traditions, la société
peule, source de création pour l'auteur, s'exprime à travers le
corpus par des principes liés au patriarcat. La femme se doit de se
conformer à ces règles qui sont extériorisés par le
pulaaku. Ce principe qui repose sur la patience et la retenu. Ainsi,
face aux vicissitudes de la vie au foyer, il est imposé à la
femme de patienter, de faire preuve de retenu.
Pour ce qui est des moyens employés par les personnages
hommes pour assujettir la femme, ils sont entre autre le mariage forcé,
la répudiation, l'éducation discriminatoire, la
dépersonnalisation de la femme, la femme muselée. Ainsi, toute
femme qui s'écarte des principes du pulaaku ou qui tenterait de
se soustraire de l'autorité masculine se voit mariée ou
répudiée sans qu'elle n'ait à justifier son attitude.
Au-delà, elle est violentée et violée sous prétexte
qu'elle appartient, selon l'islam ou la tradition peule à l'homme.La
victimisation n'est pas sans conséquence pour les personnages qui
prennent part au forfait. Lorsque le patriarcat s'abat avec toute sa rigueur
sur la gent féminine, elle manifeste des troubles psychologiques, la
famille se disloque, le personnage peut même perdre la vie.
L'écriture de Djaïli Amadou Amal, à travers
ses deux romans étudiés, a une forte teneur idéologique.
En effet, engagée pour la cause de la femme du sahel, sa production
littéraire permet une prise de conscience à la fois des hommes et
des femmes. À cet effet, le parcours des personnages jonchés de
changements d'attitudes et de regrets permet aux lecteurs de prendre conscience
de la situation précaire de la femme. L'auteure véhicule des
messages à travers les situations que traversent les femmes et les
hommes. D'aucuns regrettent les actes de violence posés à
l'égard de la femme, d'autres se révoltent contre le
système en place et les hommes.
La recherche a révélé que la domination
de l'homme se perpétue. Le patriarcat et la religion donnent la
liberté à l'homme de dominer et d'opprimer la femme. Par le biais
du sacrée coutume et tradition, l'homme réussi à faire
accepter à la femme la mentalité d'infériorité. Par
conséquent, la femme, celle représentée dans les deux
romans, par rapport à l'homme, est placée à
l'arrière-plan de la société. Elle accepte d'accomplir des
rôles qui lui sont attribués par la société : une
épouse, une procréatrice, une mère, une éducatrice
de la formation précoce et un modèle de femme. Elle n'a pas de
droits à être écoutée et reconnue. Elle n'a le droit
de prendre des décisions dans sa famille et chez le mari même pour
les affaires du mariage qui la concernent. Au cours de l'époque
coloniale, le statut de la plupart des femmes africaines restait encore
inférieur et n'a guère changé de meilleur, en dépit
de l'introduction des valeurs occidentales dans la société
africaine.
Au fil du récit, certains personnages féminins
ont acquis de l'expérience et sont excédées par les
agissements des hommes. Ce qui a soulevé chez elles la prise de
conscience de leur situation d'opprimées. N'acceptant pas d'être
opprimée et exploitée, la femme a eu recours à la
révolte pour se libérer du système traditionnel et
patriarcal. De nos analyses, il est clair qu'il y a plusieurs formes de
révolte par lesquelles les femmes démontrent leur
mécontentement de toutes formes de l'oppression contre les hommes. La
révolte se manifeste par le biais de rejet, de refus, de
réaction, de discours insolent, de mauvais comportement, de libre emploi
du corps incluant, pour ne mentionner que ceux-là. Toutes ces formes de
révolte sont bien articulées par notre auteure dont les oeuvres
ont été explorées dans notre travail. Suite à la
révolte, la femme évolue, de la femme ménagère,
docile, soumise et passive à celle émancipée. Les
personnages femmes ont découvert que leur aliénation par l'homme
passe par l'emploi de la tradition et la religion comme mécanismes de
l'aliénation. Elles ont compris que le phénomène du
mariage comme un système où la femme n'a pas le droit de
décision car, elle est contrainte à épouser un homme pour
qui le sentiment le plus intime n'est jamais apparu pour parler d'amour.
L'imposition d'époux à la femme (mariage forcé) par les
familles les réduit au champ minimal de la liberté d'expression
dont l'idéal aurait voulu qu'elle puisse donner son assentiment tout
comme l'homme. La femme voit alors ce qui peut être le droit à son
égard s'envoler comme si de rien n'était.
Bibliographie
Corpus
Amadou Amal, Djaili. Walaande. L'art de partager un
mari. Yaoundé :Ifrikiya, 2010.
AmadouAmal, Djaili. Munyal. Les larmes de la
patience. Yaoundé : Proximité, 2017.
Autres oeuvres de l'auteur
AmadouAmal, Djaili.Mistiriijo. La
mangeused'âmes. Yaoundé :Ifrikiya, 2013.
Amadou Amal, Djaili.Les impatientes. Paris : Emmanuel
Collas, 2020.
Amadou Amal, Djaili. Coeur du sahel. Paris : Emmanuel
Collas, 2022.
Ouvrages généraux sur la
littérature africaine
Amossy, Ruth &Herschberg, Pierrot-Anne.
Stéréotypes et clichés: Langues, discours et
société. Paris : Armand Colin, 2021.
Barthes Roland, Sur Racine.Paris : Seuil
,1963.
Dili Palaï, Clément. Oralité africaine.
Enjeux contemporains d'une métamorphose. Yaoundé :
Clé, 2015.
Erman, Michel. La Poétique du personnage de
roman. Paris : Ellipses, 2006.
Kesteloot, Liliane. Histoire de la littérature
nègre africaine. Paris : Karthala, 2001.
Milolo, Kembe. L'image de la femme chez les
romancières de l'Afrique noire francophone. Fribourg :
Éditions Universitaires Fribourg Suisse, 1986.
Mansour Fahmy.La condition de la femme dans l'islam.
Paris : Allia, 2021.
Daouda, Paré &Zouyané, Gilbert, (Dir),
L'identité en question : de la quête de soi à la
rencontre de l'autre, Yaoundé, Dinimber et Larimber, 2020.
Perrot, Michelle. Les femmes ou les silences de
l'histoire.Paris: Flammarion, 1998.
Pierre Brunel et al dans Qu'est-ce que la
littérature comparée ? Paris, Armand
Colin,1983 :151.
Rahman, Afzular. Role ofMuslim Woman in
Society.London :Seerah Foundation, 1986.
Sédar, Senghor,Léopold. Chants d'ombre.
Paris: Seuil, 1948.
Ouvrages critiques, théoriques et
méthodologiques
Amabiamina, Flora. Femmes, parole et espace public au
Cameroun. Analyse de textes des littératures écrite et
populaire. Bruxelles : PIE Peter Lang, 2017.
Amossy, Ruth ; Herschberg, Pierrot.
Stéréotype et clichés. Paris : Armand Colin,
2014-2015.
Barthes, Roland; Wolfgang Kayser; Booth, Wayne, Hamon,
Philippe. Poétique du récit. Paris : Seuil,1977,
Collection « Points ».
Beaud, Michel. L'Art de la thèse, comment
préparer et rédiger un mémoire de master, une thèse
de doctorat ou tout autre travail universitaire à l'ère du
net. Paris : La Découverte, 2003.
Beauvoir, Simone De. Le deuxième sexe. Tome I.
Paris : Gallimard, 1979.
Beauvoir, Simone De.Le deuxième sexe. Tome II.
Paris :Gallimard, 1979.
Bourget, Carine.Coran et tradition islamiquedans la
littérature magrébine . Paris : Karthala, 2002.
Bokiba, André-Patient. Écriture et
identité dans la littérature africaine. Paris : L'Harmattan,
1998.
Bourdieu, Pierre. La domination masculine. Paris :
Seuil, 2002.
Ndinda, Joseph, Révolutions et femmes en
révolution dans le roman africain francophone au sud du Sahara,
Paris :L'Harmattan, 2002.
Duchet. Claude. Sociocritique. Paris : Fernand
Nathan, 1979.
Dugas, Ludovic.Moutier, Fouchey .La
dépersonnalisation .Paris : Felix Alcan, 1911.
Genette, Gérard. Figures II. Paris :
Seuil, 1969.
Hamon, Philippe. Pour un statut sémiologue du
personnage. Paris : Seuil, 1977.
Mémoires
Darifou, Doudou. La représentation des valeurs
culturelles peules dans Walaande, l'art de partager un mari et Munyal, les
larmes de la patience de Djaïli Amadou Amal. Mémoire de Master
en Littérature africaine. Université de Maroua, 2019.
Nalao Jacqueline et Atsol Me Zouna, Pracède.
L'Imaginaire peul dans mistirijo, la mangeuse d'âmes de Djaïli
Amadou Amal. Mémoire de DIPES II, ENS de Maroua, 2016.
PountunyinyiMache, Henriette. Discours féminin,
discours féministe dans Walaande, l'art de partager un mari de
Djaïli Amadou Amal et Malinda, l'amour sur fond de rêve brisé
de Camille NkoaAtenga. Mémoire de Master en Littérature
africaine, ENS de Maroua, 2011.
Articles
Amabiamina, Flora. « Dati et Bonono ou
écriture féminine camerounaie aux confins d'Eros et de
Bacchus ».In : Kaliao, Vol.1 ? Numéro 2,
décembre 2009 pp181-195.
BekoloBekolo, Pascal. « Féminiture,
Négritude : sexe, couleur, oppression et
littérature », Annales de la FALSH de l'Université
de Ngaoundéré, Vol. II, 1997, pp. 91-104.
Collin, Françoise et Laborie, Françoise, «
Maternité » in Hirata, Helena et al. (sous la direction
de). Dictionnaire critique du féminisme. Paris : Presses
Universitaire de France, 2004. pp. 109-114.
Dili Palaï, Clément, « Du dysfonctionnement
de l'espace urbain dans le Diamant maudit de Dahirou Yaya ».
In :Dili Palaï, Clément et Daouda Paré.
Littératures et déchirures. Paris : L'Harmattan, 2008.
pp. 165-178.
KalbeYamo, Théophile, « Quand la femme du
Nord-Cameroun prend la parole : voix féminines et voies
féministes dans les oeuvres de Djaili Amadou Amal, Fidèle Djebba
et Elisabeth Yaoudam ». In :Rhumsiki, Hors-série
numéro 2, Des savoirs locaux en Afrique, 2018, pp. 177-192.
Larivaille, Paul, « L'analyse morphologique de
récit », in Poétique, n°19, 1974.
Martinek, Claudia, « La figure de la femme nouvelle dans
la littérature camerounaise contemporaine : La tache de sang et
Sous la cendre le feu ». In :Fandio, Pierre et Madini,
Mongi(sous la direction de). Figures de l'histoire et imaginaire au
Cameroun. Paris : L'Harmattan, 2007. pp. 171-182.
Mvogo, Faustin et Akono, Edgard Claude,«Voix de femmes,
voix des libertés ».In : Le Printemps arabe. Paris :
L'Harmattan, 2012. pp. 25-57.
Mvogo, Faustin, « Espaces de domination masculine et son
intériorisation dans Le Voile mis à nu de Badia Hadj
Nasser et La Nuit sacrée de Tahar Ben Jelloun ». In
Kaliao, Volume 2, numéro 3, mars 2010, pp. 125-141.
Ndinda, Joseph, « Femmes africaines en littérature
: aperçu panoramique et diachronique ». In : Palabres,
Volume 3, numéro 1 & 2, avril 2000, pp. 25-33.
Nnomo, Marceline, « Les modalités de la
rébellion du féminin dans la réécriture de
l'histoire chez CalixtheBeyala ». InFandio, Pierre et Madini, Mongi (sous
la direction de). Figures de l'histoire et imaginaire au Cameroun.
Paris : L'Harmattan, 2007. pp. 163-170.
Oumar Guedalla,« Des oppositions au tragique :
une analyse des sociétés peules dans l'oeuvre de Djiali Amadou
Amal » in Discourspolémiques et aspects de l'incisif dans
les littératures africaines,L'Harmattan, 2019. PP .87-95.
Tanyi-Tang, Anne. « Women, Education and Power in
Victor ElameMusinga'sNjema », Kaliao, Revue
pluridisciplinaire de l'Ecole Normale Supérieure de Maroua, Série
Lettres et sciences humaines, Vol.1, N°1, 2009, pp. 215-227.
Sony LabouTansi cité in Revue Equateur,
n°1, Octobre-Novembre, 1986 .
Webographie
Amossy, Ruth ; Duchet Claude. « Entretien avec
Claude Duchet » in Littérature, numéro 140, 2005
« Analyse du discours et Sociocritique ».
P :132.http://www. Persée. fr/doc/litt-0047-4800-2005-num-140,
consulté le 12/02/2020.
Batia, Yolande. « L'écriture du non-voilement
chez les romancières francophones de l'Afrique au sud du
Sahara » (2018). Electronic Thesis and Dissertation Repository. 5567.
https://ir.lib.uwo.ca/etd/5567.
Consulté le 12 avril 2022 .
Dagorn de Goïtisolo, Johanna. « les trois vagues
féministes : une construction sociale ancrée dans une histoire
» [en ligne]. Url :
http://hal.archives-ouvertes.fr,
consulté le 06 juin 2021.
Duchet, Claude. « Une écriture de la
socialité » in Poétique N°16, 1973,
pp.446-454.
Duchet, Claude. « Pour une sociocritique ou variation sur
un incipit » in Littérature N°1, 1971 [En ligne] Url
:
www.Persee.fr/doc/litt-0047-4800-1971-1-2495,
Consulté
le 06-02-2018.
EkoMba, Fabrice. La représentation de
l'intellectuel africain dans le roman africain francophone de 1950 à nos
jours : du prométhéisme au repli narcissique. [En ligne] Url
: https : //www.theses.fr/220063117, consulté le 03 aout 2020.
Siwoku-Awi: « Le Mariage Et La Dot Dans Les OEuvres
De BuchiEmecheta Et De CalixtheBeyala », UJAH, Vol. 20, No
2, 2019, pp. 149-167,
http://dx.doi./org/10.4314/ujah.v20i2.8
consulté le 12 Avril 2022.
Yaoudam, Elisabeth. La femme dans les contes et chants
Mafa : discours et considérations sociales. Université de
Ngaoundéré, DEA, 2006. [En ligne] httpps://codesria. Org,
consulté le 09 février 2019.
Ouvrages de référence et
Dictionnaires
Aron, Paul et al. Le Dictionnaire du
littéraire. PUF, 2002.
Dictionnaire Le petit Larousse illustré.
Paris : PUF, 2000.
Forest, Philippe etConio, Gérard. Dictionnaire
fondamental du français littéraire, Paris : Pierre
Bordas et Fils, 1993.
Laffont, Robert. Dictionnaire encyclopédique de la
littérature française, Paris : Bompiani et Editions
S.A., 1999.
Le Coran
Tamine Gardes, Marie-Joëlle et al. Le
Dictionnaire de critique littéraire. Paris : Armand Colin, 2004.
Table des matières
Remerciements
ii
Liste des abréviations
iv
Résumé/Abstract
v
Introduction générale
1
Chapitre 1. Les sources de victimisation de
la femme dans Walaandé. L'art de partager un mari et
Munyal. Les larmes de la patience
12
1.1. Les croyances et les textes sacrés
13
1.1.1. Les préjugés et clichés
sur le personnage féminin
13
1.1.2. L'illettrisme et le mutisme complice de la
femme et de la société
19
1.1.3. L'interprétation subjective des
versets coraniques
25
1.2. L'imposition du respect et des lois de la
société peule à la femme
28
1.2.1. Le pulaaku
30
1.2.2. Le munyal
33
1.2.3. Le semteendé
36
1.2.4. L'éducation traditionnelle de la
femme
38
1.2.5. La polygamie
43
Chapitre 2. Les modes et techniques de
sujétion de la femme dans le corpus
47
2.1. L'éducation discriminatoire
47
2.1.1. Le mariage forcé
51
2.1.2. La répudiation
56
2.1.3. La souffrance
59
2.2. La dépersonnalisation de la femme
62
2.2.1. La femme battue et meurtrie, abusée
et violée
65
2.2.2. La femme muselée
68
Chapitre 3. Walaandé .
L'art de partager un mari et Munyal. Les larmes de la
patience : une écriture de la dérive
74
3.1. L'impact de la victimisation
74
3.1.1 La dégénération de la
famille
74
3.1.2. Les troubles psychologiques
78
3.1.3. De l'atmosphère funeste à la
mort
83
3.2. L'influence de la culture dans le foyer
86
3.2.1. Le poids de la culture peule
87
3.2.2. L'image de la polygamie et de la
procréation
91
Chapitre 4. La portée heuristique de
l'écriture de Djaïli Amadou Amal
95
4.1. L'originalité scripturale de
l'auteure
95
4.1.1. Une écriture du
dévoilement
96
4.1.2. Une écriture du pathétique
99
4.1.3. Une écriture du tragique
103
4.2. Voies de libération de la gent
féminine
106
4.2.1. La recherche de soi
108
4.2.2. Conscientisation des hommes et des
femmes
112
4.2.3. Critique de la société
patriarcale
115
Conclusion générale
118
Bibliographie
122
* 1PountunyinyiMache fait
appel au travail de Pierre Brunel et al dans Qu'est-ce que la
littérature comparée ? (1983 :151) pour illustrer
sa pensée.
* 2Première épouse
régente et administratrice du saaré
* 3Père, chef de
famille
|
|