2.2.2. Gouvernance dans les sites d'exploitation
Dans la gestion de la chose publique, MULUMBA (2006)
définit la bonne gouvernance à l'aide de six indicateurs
puisés dans les voeux des institutions de Bretton Woods à savoir
:
(1) Expression démocratique & redevabilité
;
(2) Stabilité politique ;
(3) Efficacité du gouvernement ;
(4) Qualité de règlementation ;
(5) Etat de droit ;
(6) Contrôle de la corruption.
La Banque Africaine de Développement (BAD)
définit la gouvernance comme étant la manière dont le
pouvoir est exercé eu égard à la gestion des affaires
publiques d'un pays (FIDA, 1999). Selon la BAD, les caractéristiques de
la bonne gouvernance sont :
(1) Responsabilité ;
(2) Transparence ;
(3) Lutte contre la corruption ;
(4) Participation ;
(5) Réformes juridiques et judiciaires.
Le Programme des Nations Unies pour le Développement
(PNUD) caractérise la bonne gouvernance par (FIDA, 1999) :
(1) Participation ;
(2) Primauté du droit ;
(3) Transparence ;
(4) Capacité d'ajustement ;
(5) Equité ;
(6) Orientation du consensus ;
(7)
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Efficacité et efficience ;
(8) Responsabilité ;
(9) Vision stratégique.
Qu'il s'agisse des institutions de Bretton Woods, de la BAD ou
du PNUD, toutes ces caractéristiques de la bonne gouvernance sont
taillées à la dimension d'un Etat.
Pour ce qui est de cette étude, autant l'on ne peut pas
comparer le fonctionnement de tout un Etat à celui des carrières
d'exploitation artisanale de moellons et de graviers autant l'on ne saura pas
apprécier l'aspect de gouvernance dans ces carrières à
base de ces indicateurs ci-dessus présentés ; néanmoins,
l'on peut faire une appréciation sur base de quelques indicateurs
proches de ceux-là et appropriés à ce sujet
d'étude.
Décider donc de parler gouvernance dans ce travail
revient à un exercice d'appréciation rapide des mécanismes
de gestion des sites, de prise des décisions, de l'alternance du pouvoir
des comités des creuseurs, de gestion des cotisations des membres et de
la redevabilité, de promotion du genre et de la protection de
l'environnement.
Dans l'enquête menée dans les sites, il n'a pas
été prévu des variables spécifiques à la
gouvernance dans les sites mais des informations significatives ont
été recueillies auprès des creuseurs dans la partie en
rapport avec les rôles, les critiques et les attentes vis-à-vis
des comités de creuseurs et de l'Etat congolais. C'est à base de
ces informations que l'on apprécie rapidement la gouvernance au travers
les aspects suivants: le management général de la
carrière, l'alternance au pouvoir et la redevabilité, la
promotion du genre et la protection de l'environnement.
1. Management général de la
carrière :
Les sites sont gérés par la Division provinciale
des Mines, service public de tutelle, conjointement avec les comités des
creuseurs. Dans les 4 sites pris pour échantillon, 3 ont des
comités démocratiquement élus et 1 fonctionne avec un
comité désigné par le service public de tutelle. Les
comités élus sont positivement appréciés par les
creuseurs et les décisions sont prises avec les creuseurs tandis que
l'unique imposé par le service de tutelle n'est pas accepté, ses
décisions ne sont pas suivies et ce comité fonctionne sous menace
de destitution.
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A tous ces comités, élus ou non, les creuseurs
ont reproché le manque de plaidoyer pour ce qui est de la
réduction des taxes payées à l'Etat et l'éventuelle
délocalisation
(cas spécifique du site de Gihamba) et de
l'intervention en vue d'en finir avec des tracasseries militaires dans certains
sites; ils sont presque comme des caisses de résonance de la Division
provinciale des Mines.
2. Alternance du pouvoir et redevabilité
:
Les trois comités élus respectent leur mandat
et les élections se déroulent généralement dans la
transparence.
La gestion des cotisations des creuseurs est jugée
opaque dans plus de 50 % de sites ; les comités ne rendent pas compte de
l'utilisation des cotisations versées par les creuseurs.
Les agents de la Division provinciale des Mines
affectés dans les carrières perçoivent des taxes et autres
redevances sans reçus aux contribuables ; comme n'étant pas
financièrement bien encadrés par leur service, les agents de la
Division provinciale des Mines affectés dans ces sites s'abattent sur
les creuseurs en leur extorquant de petits frais illégaux au su et au vu
des membres de comités.
3. Promotion du genre
Dans les sites d'exploitation, il n'existe pas des
activités spécifiques pro gender ; les femmes s'intègrent
parmi le grand nombre des creuseurs hommes sans subir aucune forme de
discrimination.
Une dame membre du comité des creuseurs du site Gihamba
s'exprime en ces termes : « La plupart de fois les femmes sont
marginalisées dans nos sociétés. Cela est tributaire de la
façon dont se prennent les femmes. Lorsqu'on se donne de la valeur on ne
peut pas être marginalisée mais lorsqu'on se néglige, on
ouvre la piste à certains hommes qui méprisent les femmes. Je
suis vice-présidente du comité des creuseurs dans cette
carrière ; mon travail est bien apprécié par mes
collègues hommes parce que je donne à chacun ses droits, et s'ils
sont violés je fais tout pour rétablir chacun dans ce qui lui est
dû. Je me sens donc à l'aise dans mon travail et je le fais bien.
»
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Dans les informations collectées au cours de
l'enquête, il s'est dégagé qu'aux sites de Hongo
1er, de Gihamba, de Kasihe et de Nyakavogo les femmes sont
respectivement de l'ordre de 7, 30, 40 et 21 ; soit un total de 98, dont 1
mineure, sur plus ou moins 545 creuseurs artisanaux identifiés.
Le comité désigné par le service public
de tutelle est curieusement le seul présidé par une dame ; un
indicateur qu'il n'est pas aisé, dans nos sociétés
toujours dirigées par des personnes de sexe masculin, à une femme
de gagner par voie électorale une quelconque position sociale
élevée contraignant les hommes à se soumettre.
S'agissant de l'activité d'extraction et la promotion
de l'enfance, il y a lieu de retenir que des enfants, dans des faibles
proportions, n'ayant pas encore atteint l'âge de la maturité
exercent illégalement cette activité au su et au vu des
comités de creuseurs et des agents de la Division provinciale des Mines.
Notre enquête ayant été effectuée pendant une
période ne coïncidant pas avec les vacances scolaires, nous pouvons
donc affirmer que tous les enfants âgés de moins de 18 ans
rencontrés en plein travail dans les carrières ne sont pas/plus
scolarisés.
4. Protection de l'environnement
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Dans les 4 sites investigués, il n'existe aucune mesure
de protection et/ou de conservation environnementale prise ou même
envisagée. On observe la destruction de la flore (petits boisements
d'eucalyptus, champs de cultures, bananiers, haies anti érosives, etc.)
et de la faune (les petits animaux, les insectes vivant dans ces
écosystèmes sont soit décimés soit contraints
à quitter leurs milieux de vie pour aller s'installer ailleurs).
On observe aussi la pollution des cours d'eau parcourant ces
carrières. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) un
cours d'eau est pollué lorsque la composition ou l'état de ses
eaux est directement ou indirectement modifié, du fait de
l'activité de l'homme, dans une mesure telle que celles-ci se
prêtent moins facilement à toutes les utilisations auxquelles
elles pourraient servir à leur état naturel ou à certaines
d'entre elles (Michel, L. et al, 1994 :11).
Les sites où les substances minérales sont
épuisées sont abandonnés en faveur de nouveaux
emplacements sans songer à refaire la couverture végétale
d'antan par des méthodes artificielles groupées sous le concept
général de reboisement ou de reforestation.
De grandes carrières au site de Kasihe sont
exploités en amont d'une source d'eau potable unique et donc
indispensable dans le milieu car approvisionnant plus de 3000 personnes dans un
village où la population ne rêve jamais accéder à
l'eau potable produite et distribuée par la société de
Régie de distribution d'eau (Regideso) ; des milliers de passants
faisant des navettes entre Bukavu et les Groupements administratifs de Mudusa,
Mumosho, Kamisimbi et Karhongo étanchent leur soif à cette
source, sans oublier les familles du Quartier Panzi en Commune d'Ibanda (Ville
de Bukavu) qui y font recours en cas de coupures récurrentes ou
pénuries en eau de la Regideso. Cette carrière menace encore
dangereusement la nationale N°5 Bukavu-Uvira.
La terre charriée par les eaux de ruissellement rend
boueuse l'eau de la rivière Nyaciderha utilisée en son aval par
des populations villageoises entières de la localité de
Buhozi.
Exploité à plus ou moins 100 m du Lac Kivu,
à proximité d'une des zones de frayère, le site de Hongo
1er constitue, par les eaux boueuses charriées dans cet
écosystème, une menace pour les êtres vivants de cette
partie du Lac. En effet, ces eaux boueuses compliquent la respiration et
l'alimentation des ces êtres. La nationale N°4 Bukavu-Goma se trouve
aussi menacée suite à la terre et la boue charriées par
les eaux de pluies en provenance de versants de la carrière sur la
chaussée asphaltée.
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L'exploitation au site de Nyakavogo se fait dans la
rivière portant le même nom et sur la colline Mulege. Cette
exploitation a profondément changé la configuration de cet
affluent du Lac Kivu et menace aujourd'hui, par des éboulements de
terres, certaines habitations au Quartier C en commune de Bagira et les champs
des villageois longeant les rives de cette rivière ; elle trouble cette
eau pourtant utilisée en aval à des multiples usages.
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