CHAPITRE III : LES ENJEUX DE LA LEGISLATION SUR LA
FORET ET L'ENVIRONNEMENT
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L'indépendance du Cameroun a été
marquée en 1960 par une autonomie politique, économique et
sociale ; et la prise en main de tous ces domaines. Ainsi, pour lutter contre
la déforestation et la dégradation de l'environnement, les
autorités camerounaises ont entrepris la mise sur pied d'une politique
forestière appropriée à la situation du pays. C'est dans
les années 90 que les problèmes environnementaux ont
commencé à se poser. Averti par les écologistes sur les
causes de ces problèmes dont la déforestation en est l'une,
conscient du danger que cette situation représente pour le pays et le
monde, l'Etat camerounais se voyait dans l'obligation d'encadrer toutes les
activités liées à l'environnement par un cadre juridique
quelques années plus tard. Alors cinquante ans plus tard, que pouvons
nous dire de l'évolution de cette politique ? Ce chapitre traite la
dynamique des normes forestières et environnementales, les mutations
qu'ont connues les institutions en charge de ces questions et la dynamique des
enjeux de la lutte contre la déforestation entre 1960 et 2010.
I - LA POLITIQUE FORESTIERE AU CAMEROUN (1960-1994)
La mise sur pied des premières lois forestières
au Cameroun n'était pas une chose aisée au vue de
l'immaturité du jeune Etat à définir une politique
forestière adéquate. Plusieurs défis l'attendaient, dont
la réglementation de l'exploitation des forêts et la protection et
la conservation de celles-ci. C'est ce qui explique un lent décollage
entre 1960 et 1994. Ce processus s'était fait en deux étapes : de
1960 à 1981 et de 1981 à 1994.
A- LA REGLEMENTATION SUR LES FORETS DE 1960 A 1981
Après l'indépendance du Cameroun sous tutelle
britannique et la réunification avec la République du Cameroun en
1961, la politique forestière de chaque Etat fédéré
était restée distinctes de l'autre jusqu'en 19730.
C'est au lendemain de l'unification de 1972 que ces différentes
politiques se sont vues harmonisées pour devenir une seule.
0 `'Politique forestière du Cameroun, document de
politique générale», MINEF, Yaoundé, juin 1995, p.
10
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1 - Deux régimes forestiers distincts au
Cameroun entre 1961 et 1973
Au Cameroun oriental, les différentes lois y
afférentes étaient calquées sur le modèle de la
gestion des forets de l'AEF0. L'exploitation forestière en
1964 n'était pas régie par des régimes spécifiques
à cette période. Aucune loi n'avait été
établie pendant ce temps au Cameroun jusqu'en 1968. De 1964 à
1968, l'exploitation forestière était subordonnée aux
régimes forestiers ultérieurement abrogés au Cameroun
oriental avant et après l'indépendance de 1960, notamment la loi
forestière n°58/24 du 26 mars 1958, l'ordonnance n°61/OF/14 du
16 novembre 1961 et le décret n°62/2 du 9 janvier 19630.
Ces lois visaient à régulariser l'activité
forestière et lui donner un caractère légal. Ainsi les
articles 33 et 37 de l'ordonnance de 1961 mettaient en exergue le reboisement
des forêts et la conservation des sols. Il fallait replanter les essences
comme l'ébène qui ne pouvait se régénérer
seul. En outre, cette ordonnance intégrait les populations
locales0. Celles-ci pouvaient bénéficier des
réalisations sociales (écoles, hôpitaux ; etc.) des
sociétés exploitantes.
Manifestement, d'autres études montrent qu'après
l'indépendance, le régime forestier du Cameroun oriental a
continué à être régi par le texte français de
1946, car il faut préciser que le texte de 1959 ne fixait que le
régime de propriété de la forêt. Il faudra attendre
1961 pour qu'une ordonnance, celle n° 61/OF/14 du16 novembre
19610, abrogeant le décret du 3 mai 1946, fixât le
régime forestier sur le territoire du Cameroun oriental.0
Cependant, cette ordonnance n'était qu'une édition
modifiée du décret français.0 Pendant cette
période, l'exploitation forestière était
conditionnée par l'obtention d'une licence. Celle-ci avait une
durée de cinq ans. Et une licence donnait accès à une
pluralité de permis de coupe. La SFID présente à Dimako
dans la région de l'Est depuis 1946, avait obtenu des autorités
camerounaises de 1955 à 1983, neuf licences d'exploitation0.
Et cette société n'était pas la seule en activité
en ce moment. Il y avait d'autres à l'instar de HFC créée
en 1960 et agissant dans la forêt de Campo0.
En se basant sur ces informations, il n'y a aucun doute que le
Cameroun oriental, jusqu'en 1968, s'était appuyé sur les lois
forestières de la période coloniale française. Ceci
0 Ebela, `'L'exploitation forestière et le
développement», 2007/2008, p.10.
0 Ibid. pp. 10-11.
0 Ibid.
0 AAN. Décret n°64/34/COR du 04 mars 1964 accordant
un permis d'exploitation.
0 Après l'unification, la gestion des forêts a
été laissée dans les affaires relevant des Etats
fédérés.
0 R. Tene, `' L'aspect juridique de la gestion», 1977-1978,
Université de Yaoundé, p. 10.
0 Elong, `'L'impact d'une exploitation forestière»,
1984, p. 254.
0 Labrousse, Verschaves, Les pillards de la forêt,
2002, p. 69.
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peut s'expliquer par l'état de jeunesse du nouvel Etat,
qui faisait immédiatement face à plusieurs réalités
au point où il fallait partir des lois laissées par les colons
pour établir ses propres règles sur la gestion du patrimoine
forestier. On peut aussi signaler la situation politico-géographique du
Cameroun. Le pays était divisé en deux Etats
fédérés, le Cameroun oriental et le Cameroun occidental,
avec chacun un héritage colonial différent de l'autre qui rendait
difficile la mise en place d'une politique forestière unique et fiable
pour le jeune Etat. En plus, les nouveaux dirigeants du pays ne
s'étaient pas encore bien imprégnés de tous les
problèmes des forêts.
Soulignons quand même que la loi de 1961, dans ses
articles 33 et 37, a insisté sur le reboisement et la conservation des
sols ; ce qui n'était pas le cas des régimes de 1958 qui
n'étaient pas stricts en matière de protection de la
forêt0.
L'inertie observée allait s'étendre jusqu'en
19680. Il convient de retenir qu'en 1964, l'exploitation
forestière était toujours conditionnée par l'obtention
d'un titre d'exploitation. Il permettait de déterminer la superficie de
forêt dont devait bénéficier l'exploitant et surtout lui
signifiait à travers un cahier de charges, ses devoirs envers les
populations locales0. Parmi ces titres, on observe le permis de
coupe ordinaire, le permis de chantier, le permis de coupe
d'ébène et la licence0.
C'est dans cette ambiance qu'a été signé
le décret n°68/1 du 11 juillet 1968 rendu applicable par celui
n°68/179 du 8 novembre 1968. Cette loi reposait sur la définition
de la notion de forêt. L'Etat camerounais s'était rendu compte que
les régimes forestiers précédents n'avaient pas mis
l'accent sur la définition de la forêt, pourtant c'était sa
priorité. Pour lui, la définition de la forêt permettait de
mieux cerner ses problèmes.0Il était donc
qualifié de forêt, les terrains recouverts d'une formation
végétale, soit capable de produire du bois ou des produits ne
constituant pas des denrées agricoles, soit exerçant sur le sol,
le climat et le régime des eaux, un effet indirect0. Cette
loi insistait aussi sur la réglementation forestière et les
conditions de la régénération de la forêt. Ce
premier point était nécessaire car le secteur
0 Ebela, `' L'exploitation forestière», 12007/2008,
p. 12.
0 Ibid. p. 11.
0 Ibid. p. 12.
0 Les différents titres d'exploitation de cette
législation de 1964 étaient repartis par apport à la
superficie et à la période d'exploitation. Ainsi, le permis de
coupe ordinaire était délivré pour une période de 5
ans sur une superficie de 2 500 hectares, pour les permis de chantier, il
s'agissait des superficies de moins de 100 hectares dans une période
d'un an, quant aux permis de coupe d'ébène ils disposaient de
l'exploitation de dix tonnes de bois pour un an, et en ce qui concerne les
licences, elles étaient accordées pour une période de cinq
ans pour une superficie supérieure à 250 000 hectares.
0Ebela, `' L'exploitation forestière», 2007/2008, p.
13.
0 Ibid.
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des forêts faisait face à une certaine anarchie.
Celle-ci se traduisait parfois par le non respect des devoirs des exploitants.
Quant à l'appel à la régénération, il
encourageait le reboisement afin de remplacer ces énormes forêts
détruites pendant l'exploitation forestière0.
Dans l'étude de Tene, la loi n°68/1/COR du 11
juillet 1968 modifiée par la loi n°71/4/COR du 21 juillet 1971
fixant le régime forestier de l'Etat Fédéré du
Cameroun Oriental accordait déjà une grande importance à
la conservation des ressources forestières en stipulant que certaines
zones étaient fermées à l'exploitation0. Les
principales dispositions de cette loi reposaient sur la définition de la
notion de forêt. En effet, le gouvernement camerounais s'était
aperçu qu'avec le premier régime forestier de 1921, l'accent
n'avait pas été mis sur cette définition0. Elle
insistait sur la régénération afin de remplacer ces
énormes forêts détruites pendant leur exploitation. Cette
mesure liée à l'exploitation intense de la forêt a
donné lieu à la constitution de superficies relativement
importantes de forêts fermées à l'exploitation, dont la
forêt de Yokadouma de 2.000.000 ha0.
Ce qu'il faut dire est que la loi de 1968 apportait une
certaine précision sur la notion de forêt, facilitant ainsi la
conservation des produits issus de celle-ci. Mais comme dans les lois
précédentes, il fallait avoir une licence pour obtenir une
concession forestière. La SEFAC voit le jour en 1968 en même temps
que cette loi. Et elle obtenait une licence cette même année pour
l'exploitation d'une zone forestière située dans la région
du Sud-Est et plus précisément sur le rivage camerounais du
fleuve Sangha dont la localité s'appelle aujourd'hui
Libongo0. Malgré ses lacunes, l'anarchie et le non respect
des devoirs des exploitants, cette norme forestière marquait le
début d'un long processus de réformes dans le secteur des
forêts du pays.
Pourtant la situation était différente au
Cameroun occidental qui, avant son indépendance, formait une union
administrative avec le Nigeria et était gouverné comme une partie
de ce pays0. Les lois du Nigeria s'étendaient donc à
l'ensemble de cette union. Il faut rappeler qu'en matière des
forêts, c'est l'ordonnance de 1938 sur la préservation et le
contrôle des forêts qui va rester en vigueur même
après l'indépendance0. Elle est remplacée plus
tard
0 Ibid.
0 Tene, `' L'aspect juridique», 1977/1978, p. 11.
0 Ebela, `'L'exploitation forestière», 2007/2008, p.
13.
0 Ibid.
0`'Groupe sefac», htt://
www. Groupesefac. Com.
Consulté le 15 Octobre 2010.
0 V. T. Le Vine, Le Cameroun, volume II, Berkey et Los
Angeles, University of California press, 1964, pp. 118-
119.
0 Ibid.
91
par la loi n°69/LW/12 du 2 septembre 1969 qui tend
déjà à s'harmoniser avec les textes du Cameroun oriental ;
elle a certainement été inspirée par la loi n°
68/1/COR du 11 Juillet 19680.
En effet, cette situation de bivalence dans la politique de
gestion des forêts au Cameroun était un obstacle dans une
politique qui se voulait unique et dynamique. Il fallait donc réagir
face à ce problème.
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