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Les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Côte d'Ivoire


par Boubacar GUISSE
Université Alassane Ouattara de Bouaké - Master 2 Recherche 2014
  

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CONCLUSION

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Il semble qu'un certain équilibre soit respecté entre les différents organes de l'exécutif et du législatif ivoiriens. Cet équilibre se manifeste, d'abord, par un partage des compétences normatives entre le président de la République et l'Assemblée nationale. L'un et l'autre disposent, en effet, d'une compétence normative propre : le président de la République du pouvoir réglementaire et l'Assemblée nationale du pouvoir de faire des lois340. Ce partage des compétences normatives est par ailleurs sanctionné, c'est-à-dire que ni le président de la République ni l'Assemblée nationale ne peuvent, en principe, intervenir en dehors de leurs domaines de compétences respectifs341 ; s'ils le faisaient, cette irrégularité s'exposerait notamment à une déclaration d'annulation -en ce qui concerne les décrets réglementaires- ou à une déclaration d'inconstitutionnalité -en ce qui concerne les lois342. Mais, comme il est également nécessaire que les organes exécutif et législatif ne soient pas isolés en ce que cela comporterait des risques de paralysie, la Constitution a prévu, en de nombreux domaines, une collaboration étroite entre eux343. C'est sur ce plan que se manifeste, ensuite, l'équilibre des pouvoirs exécutif et législatif. Cette collaboration part de la matière des prérogatives d'initiative (en matière de sessions extraordinaires du Parlement, d'initiatives législative et de révision constitutionnelle), à celle des situations exceptionnelles (état de siège et état d'urgence), du référendum législatif et des engagements internationaux344.

Il apparaît plus fondamentalement, cependant, que l'équilibre entre le président de la République et l'Assemblée nationale soit plus apparent, plus formel que réel. L'hégémonie du pouvoir exécutif -du président de la République- et l'abaissement corrélatif du pouvoir législatif -de l'Assemblée nationale- le montrent clairement. La première se traduit, en premier lieu, par le droit d'information et le pouvoir d'intervention dont dispose le président de la République à l'égard de l'Assemblée nationale. Concernant le droit d'information, le Chef de l'État tient un droit d'information sur le bureau et la conférence des présidents d'une

340 Le partage des compétences normatives est opéré par les articles 71 et 72 de la Constitution. La compétence normative du président de la République établie en vertu de l'article 72, qu'il faut distinguer de sa compétence de mise en application des lois (art. 44), est un pouvoir autonome, indépendant, c'est-à-dire qu'elle n'est pas soumise à la loi ; ce pouvoir réglementaire rivalise avec le pouvoir législatif, il est maître en son domaine.

341 Il est toutefois possible au président de la République d'intervenir dans le domaine législatif en accord avec l'Assemblée nationale (art. 75) ou sans l'accord de celle-ci (art. 48).

342 C'est la chambre administrative de la Cour suprême qui peut déclarer la nullité des actes réglementaires du président de la République, tandis que la déclaration d'inconstitutionnalité des lois revient au Conseil constitutionnel.

343 L'aspect de la collaboration entre les pouvoirs exécutif et législatif l'emporte clairement, dans le schéma constitutionnel ivoirien, sur l'aspect de leur isolement réciproque.

344 L'aspect de l'équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif a fait l'objet de toute la première partie de notre développement.

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part et sur les travaux des commissions parlementaires d'autre part. Concernant le pouvoir d'intervention, il s'étend au domaine législatif par le droit de veto présidentiel sur les lois votées à l'Assemblée nationale et au domaine budgétaire par l'établissement du projet de loi de finances par ordonnance345. L'hégémonie du président de la République prend un caractère plus extrême, en second lieu, lorsqu'il en vient à se substituer purement et simplement à l'Assemblée nationale dans la fonction législative par la mise en oeuvre de l'article 48346. Quant à l'abaissement des pouvoirs de l'Assemblée nationale -seconde manifestation du déséquilibre, cela empêche qu'elle fasse efficacement contrepoids aux pouvoirs énormes du président de la République. La faiblesse de ses pouvoirs provient, d'abord, de ce qu'elle est strictement cantonnée dans un domaine d'action étroit : la manière dont sont délimitées ses compétences l'oblige à ne se mouvoir que dans un espace assez restreint347 et, même à l'intérieur de cet espace, elle n'est guère à l'abri des empiètements du président de la République, car les mécanismes de protection des compétences présentent un caractère unilatéral (les compétences du Président sont très bien protégées et celles de l'Assemblée nationale le sont beaucoup moins)348. Elle provient, ensuite, de ce que les initiatives dont dispose l'Assemblée nationale sont bridées : au plan législatif, il existe à la fois des entraves politiques aux propositions des députés de la majorité et de l'opposition et des entraves institutionnelles consistant essentiellement à des irrecevabilités opposables aux propositions faites par tout député, et particulièrement aux députés de l'opposition ; au plan financier, des restrictions sont apportées aux initiatives parlementaires et il y a un déficit de contrôle parlementaire en matière financière349.

Il était ainsi nécessaire de se pencher sur le problème de l'équilibre des pouvoirs exécutif et législatif. En effet, cela a permis de nous rendre compte de la complexité de la nature du régime politique ivoirien, régime à mi-chemin entre le régime parlementaire et le

345 La demande de seconde délibération est, en effet, un véritable droit de veto aux mains du président de la République (art. 42) et, en matière budgétaire, le Président a la faculté, sous certaines conditions, de dessaisir l'Assemblée nationale du vote de la loi de finances (art. 80).

346 Inutilisés sous la première République (art. 19 de la Constitution de 1960), les pouvoirs exceptionnels le seront, pour la première fois de notre histoire constitutionnelle, pendant la crise politico-militaire (2002-2010), par le Président L. Gbagbo. Les décisions prises en vertu de l'article 48 de la Constitution auront notamment permis à tous les signataires de l'accord politique de Linas-Marcoussis de se présenter aux élections présidentielles de 2010.

347 Le fait pour les auteurs de la Constitution d'avoir défini un domaine de compétences duquel le Parlement ne peut pas sortir (art. 71 et autres), porte incontestablement atteinte, comme a pu le soutenir un auteur, aux prérogatives de la représentation nationale.

348 Les auteurs de la Constitution de 2000 ne se sont pas, en effet, particulièrement préoccupés de la protection du domaine législatif ; celle-ci ne peut ainsi se faire que par des voies détournées, indirectes.

349 C'est la deuxième partie de notre développement relative au déséquilibre réel entre les pouvoirs exécutif et législatif.

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régime présidentiel ou, plus simplement, régime de confusion des pouvoirs au profit du président de la République. La question est toutefois loin d'être tranchée, d'autant plus que la pratique sous la seconde République, et pas plus que sous la première du reste, ne nous a guère encore donné l'occasion de voir fonctionner les institutions dans le schéma d'une non-coïncidence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire : si le Président se trouvait en présence d'une Assemblée nationale dominée par l'opposition, les rapports entre lui et l'Assemblée nationale pourraient se rééquilibrer, voire tourner à l'avantage de cette dernière350. Dès lors, le présidentialisme consacré dans la Constitution elle-même pourrait, à l'épreuve de la pratique de la cohabitation entre un Président et une Assemblée opposés, s'atténuer fortement. C'est dire que le régime politique dont les auteurs de la Constitution de 2000 ont voulu doter la Côte d'Ivoire est peut-être plus fonction des liens politiques réels entre le président de la République et le parti majoritaire à l'Assemblée nationale que d'une simple lecture (théorique) de la Constitution351. Quoiqu'il en soit, il y a un intérêt pratique certain à résoudre la difficulté : l'édification d'un État de droit -et par ricochet l'essor économique et social- est intimement liée à une séparation effective des pouvoirs, à un équilibre satisfaisant entre eux352.

Le déséquilibre des pouvoirs au profit du président de la République peut être, en effet, source de risques pour le régime établi par la Constitution : puisque le Président dispose de presque tous les pouvoirs sans contrepoids efficace à sa prééminence -le pouvoir judiciaire ne constitue même pas, en réalité, un contrepoids- il pourrait aisément faire un putsch contre les pouvoirs publics constitutionnels. Nous pensons, en particulier, à cet article 48 qui lui permet d'accaparer tous les pouvoirs sans -en réalité- aucun contrôle ni politique ni juridictionnel353. Il conviendrait, dès lors, de procéder -par la voie d'une révision constitutionnelle ou de l'établissement d'une nouvelle Constitution- à un rééquilibrage dans les rapports qu'entretiennent le Président et l'Assemblée, en dotant celle-ci de pouvoirs plus renforcés. La limitation du nombre de mandats présidentiels est, déjà, une atténuation de la grande

350 Une telle hypothèse n'est guère gratuite ; si elle ne s'est pas encore produite, c'est en raison du système de parti unique (1960-1990) et, après 1990, de la fraude électorale assurant à l'ex-parti unique la quasi-totalité des sièges (1990-1999) ou encore du boycott des élections législatives par des partis politiques significatifs (boycott par le R.D.R. des législatives de 2000 et boycott par le F.P.I. de celles de 2011).

351 Les liens politiques réels entre le Président et l'Assemblée sont très déterminants. Ils expliquent, en effet, pourquoi les députés n'usent pas de moyens de contrôle pourtant efficaces sur l'action gouvernementale. Il s'agit notamment des moyens d'information (les questions orale et écrite et la commission d'enquête) et du vote de résolutions de recommandations au Gouvernement consacrés à l'article 82.

352 Boutros BOUTROS-GHALI, L'interaction entre démocratie et développement, op.cit., rapport de synthèse publié par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), 2003, p. 10-13.

353 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 539-540.

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puissance du Président : celui-ci a d'énormes pouvoirs, mais pour un temps limité, sous peine d'aboutir à un pouvoir personnel et dictatorial354. Mais cette limitation est insuffisante, car les risques demeurent pendant l'exercice du mandat présidentiel.

Mais, un rééquilibrage même profond des seuls rapports entre le Président et l'Assemblée ne suffirait pas. Il faudrait également prendre en compte cette nouvelle séparation des pouvoirs qui ne se fait plus, dans les faits, entre les pouvoirs exécutif et législatif, mais entre le pouvoir d'État et le pouvoir tribunicien : la majorité (le pouvoir d'État) possède à la fois le pouvoir exécutif pour gouverner et le pouvoir législatif pour légiférer tandis que l'opposition (le pouvoir tribunicien) ne peut pas empêcher les titulaires du pouvoir d'État de prendre des décisions, des décrets et d'adopter les lois qu'ils veulent355. De ce fait, il faudrait, là encore, pour rééquilibrer le pouvoir de gouverner-légiférer aux mains d'un même parti, institutionnaliser et renforcer les prérogatives du parti ou de la coalition de l'opposition356.

D'autre part, il faudrait également assurer une indépendance effective du pouvoir judiciaire357 et du Conseil constitutionnel. Concernant le Conseil constitutionnel plus spécifiquement, il est incompréhensible qu'une institution aussi importante dans la vie institutionnelle et politique nationale358 soit aussi inféodée au président de la République et aux autres organes de la majorité qui en choisissent tous les membres, y compris son président359! Il faudrait, par conséquent, transformer ce Conseil constitutionnel en une

354 La prépondérance du président de la République dans les schémas constitutionnels africains conjuguée avec la difficile pratique de la démocratie impose, ici plus qu'ailleurs, non seulement une limitation du nombre de mandats présidentiels dans les textes mais également la renonciation, de la part des Présidents africains, à des modifications intempestives des dispositions constitutionnelles relatives à une telle limitation. Les réactions vigoureuses, au sein de la société civile, de l'opposition politique ou même de l'armée, à ces manipulations de la Constitution à des fins de présidences à vie sont alors compréhensibles. Comment ne pas penser, à cet effet, à la destitution du Président nigérien, Mamadou Tandja, par l'armée en 2010 et, plus près de nous encore, à la formidable révolution populaire burkinabè du 31 octobre 2014 qui a mis fin à 27 ans de pouvoir autocratique et monarchisant du Président Blaise Compaoré ?

355 Maurice DUVERGER, Echec au Roi, Paris, Albin Michel, 1978, p. 298 et s.

356 On pourrait, suivant en cela l'exemple tunisien, accorder de plein droit à l'opposition la présidence de la Commission des finances ou le poste de rapporteur au sein de la Commission des relations extérieures (art. 60 de la Constitution tunisienne).

357 La promesse du candidat A. Ouattara à la veille du second tour de l'élection présidentielle de 2010 relativement au Conseil supérieur de la magistrature : il avait, dans le débat qui l'opposa au candidat L. Gbagbo, critiqué le fait que la présidence de ce Conseil soit assurée par le président de la République (art. 104 de la Constitution).

358 Le Conseil constitutionnel est en effet juge de la constitutionnalité des lois et l'organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics (art. 88 de la Constitution).

359 En dehors des membres de droit qui sont les anciens présidents de la République, tous les conseillers constitutionnels sont choisis pour moitié par le président de la République et pour l'autre moitié par le président de l'Assemblée nationale (art. 89) ; le président de l'institution est, en outre, nommé par le président

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véritable juridiction rendant des décisions en droit et indépendante des autorités politiques : le Conseil constitutionnel doit devenir une Cour constitutionnelle à l'image de celles qui exercent un contrôle de constitutionnalité dans de nombreux États africains360.

de la République (art. 90). Comment ne pas penser, à cet égard, à la crise postélectorale de 2010-2011 et au discrédit jeté sur le Conseil constitutionnel suite à sa proclamation successive et contradictoire de deux vainqueurs du second tour de la présidentielle de 2010 ?

360 Robert BADINTER, « Une longue marche : du Conseil constitutionnel à la Cour constitutionnelle », in Nouveaux Cahiers du Conseil, cahier n° 25, août 2009. Au Niger par exemple, les sept membres de la Cour constitutionnelle sont nommés par décret du président de la République (pour six ans non renouvelables), mais celui-ci ne peut en proposer qu'un seul tandis que les six autres membres sont désignés comme suit : un proposé par le bureau de l'Assemblée nationale, deux magistrats élus par leurs pairs, un avocat élu par ses pairs, un enseignant-chercheur titulaire d'un doctorat en droit public élu par ses pairs et un représentant des associations de défense des droits humains et de promotion de la démocratie, titulaire au moins d'un diplôme de 3e cycle en droit public élu par les collectifs de ces associations (art. 121 de la Constitution nigérienne). Par ailleurs, le président de l'institution est élu par ses pairs pour une durée de trois ans renouvelable (art. 123).

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius