Annexe 3 : Retranscription - Valentin
21 ans, service civique dans une association qui promeut
l'économie sociale et solidaire dans le 13ème
arrondissement de Paris. A grandi toute sa vie à Aix-en-Provence, a
vécu 1 an à Rome, habite à Paris depuis septembre 2018.
Connaissance :
Je pense avoir une vision globale des choses. J'arrive
à bien comprendre les enjeux et liens entre chaque sujet. Mais je n'ai
pas forcément de connaissance précise, chiffrée,
sourcée, avec des noms d'auteurs en tête pour chaque sujet. Je
serais capable de présenter de manière cohérente tout ce
qui se passe ces temps-ci mais si ensuite les gens me posent des questions plus
précises, je ne saurais pas forcément immédiatement
leur
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répondre. Sur les sources d'informations, il y a eu
plusieurs livres mais là c'est essentiellement internet. C'est à
travers les réseaux sociaux, donc ce que mes amis vont partager. Il y a
l'effet boucle, algorithme qui va me permettre d'avoir du contenu
approprié. Et des sites d'information : Reporterre, Médiapart
principalement, un peu le Monde. Il y a aussi mes discussions avec d'autres
personnes. Le fait que j'habite à Paris me permet d'être en
contact avec des personnes qui me font découvrir des sujets vers
lesquels je ne me serais jamais penché tout seul et ça accroit
beaucoup ma connaissance - entre autres - des enjeux environnementaux et
sociaux.
Gravité des crises :
Il y a une période où ça me bouffait
énormément le moral et j'y pensais tout le temps. Aujourd'hui,
par instinct de survie en fait, j'y pense beaucoup moins, même si je
continue à agir et en parler autour de moi, mais au quotidien j'essaie
d'évacuer au maximum. Donc mon opinion dessus est qu'on a vraiment
dépassé un point de non-retour et qu'on ne va pas s'en sortir par
le haut. C'est vrai que je suis assez pessimiste. Il n'y a pas trop
d'avancées qui... enfin il faudrait en fait avoir changé de
civilisation d'ici 2 ans quoi d'après les experts... Donc c'est vrai que
ce serait assez utopiste. Qu'est-ce que je pense de la gravité de la
situation ? C'est tellement énorme que j'arrive même pas à
vraiment en parler, parce que dès que tu en parles à la hauteur
de la crise, t'as l'impression d'exagérer.
Leviers d'action :
Les 1ers que je recommande aux gens, ce sont plus les actions
individuelles car je pense que c'est quand même ce qui est le plus
gratifiant. Réduire sa consommation de viande, essayer d'acheter au
maximum bio, local, réduire drastiquement sa consommation de tout ce qui
n'est pas nécessaire (vêtements, objets qui nous entourent...),
être vraiment dans le sobre. Je pense qu'un des leviers d'action c'est de
devenir minimaliste et de manière quand même assez radicale, pas
juste dire « j'ai 100 t-shirts je vais en garder que 50 », de
vraiment aller à la source et de déconsommer à fond. C'est
déjà une grosse étape.
L'étape suivante, c'est de s'engager
professionnellement, donc de faire en sorte soit de changer son métier
de l'intérieur, soit de créer son métier dans une approche
résiliente.
Ensuite s'engager au niveau politique. Mais je pense que
ça ne sert à rien tant que les gens n'ont pas modifié leur
mode de vie et n'ont pas agi sur leur métier. Parce que c'est bien beau
d'agir politiquement mais on est en démocratie, donc les politiciens
qu'on a, c'est nous qui les avons élus et ils se font corrompre avec des
multinationales et des lobbys à qui nous on donne notre argent en fait.
Donc je pense que c'est quand même principalement notre faute. Agir
politiquement contre des gens qu'on a mis en place, c'est complètement
idiot. Je pense qu'on les fera tomber en leur coupant l'herbe sous le pied, pas
en leur disant « arrêtez de faire ça » alors que
derrière on leur donne de l'argent et des bulletins de vote.
Engagement dans le quotidien
Ces temps-ci je suis un peu en train de faire machine
arrière sur mes engagements, comme une période transitoire parce
que j'avais trop pris d'un seul coup, c'était plus gérable. Ma
prise de conscience arrive assez tôt, ça fait depuis presque tout
le temps que je suis sensibilisé (même si c'était
superficiel au début et que ça a évolué). Ce qui
fait que je n'ai jamais vraiment « profité », je me suis
toujours posé des questions un peu stressantes. Et de manière
générale je n'ai pas l'impression de m'être construit dans
le même ordre que les autres en fait. Du coup j'ai l'impression qu'il y a
beaucoup de gens aujourd'hui qui quand ils étaient au collège ou
lycée, ils profitaient. Par exemple, je n'ai jamais voyagé en
avion. Alors qu'il y en a qui ont bien eu le temps de s'éclater.
Maintenant en fait, j'ai l'impression qu'ils ont peut-être plus de recul
que moi sur ça. Alors que moi ça a été un peu
« réprimé » depuis tout le temps. Du coup je suis dans
une phase où j'essaie de juste « lâcher » sur beaucoup
de trucs pendant quelques mois, pour ensuite peut-être reprendre de
bonnes bases et savoir comment est-ce que, de manière
générale, quelqu'un de ma génération vit avant de
revenir comme avant. Et puis le train de vie à Paris est quand
même assez stressant. Par exemple les plats préparés, ce
serait assez dur pour moi de m'en passer, parce que c'est ultra pratique, et
que même si ça crée plein de surembal-lage et que c'est pas
du tout des produits locaux ni bio, je n'ai pas le temps de cuisiner. Et si
j'ai le temps de cuisiner, je me fais des pâtes et c'est pas du tout
équilibré. Pour avoir des fruits, légumes et tout
ça, je n'ai pas
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le temps de cuisiner ou la flemme. Donc là j'ai
énormément de déchets, mais vu tous les efforts que je
fais à côté, et surtout si c'est une phase transitoire, je
peux me le permettre. Donc sur mes engagements, paradoxalement, je suis dans
une phase où j'en ai de moins en moins mais de manière
volontaire, dans une phase provisoire.
Il y a deux trois trucs que je garde, par exemple être
végétarien ou ne pas prendre l'avion.
C'est surtout sur le zéro déchet que je ne fais
pas d'effort. Sur internet aussi, je ne me pose pas trop de questions sur ma
consommation numérique. J'ai un peu lâché sur ces
trucs-là, en me disant que dans quelques mois ou quelques années,
je reprendrai. Comme je serai consolidé sur les trucs sur lesquels
j'agis maintenant, je pourrai aussi passer là-dessus.
Engagement professionnel :
Au niveau de mes études, comme j'ai ces pensées
là depuis le lycée, je ne me suis jamais projeté dans un
parcours « standard ». J'ai fait toutes mes études sans aucune
vision d'avenir, sans me poser les questions. J'ai l'impression de me poser les
questions aujourd'hui que tout le monde se posait quand il était au
lycée. En fait j'étais tellement préoccupé sur des
sujets plus larges quand j'étais au lycée que je ne me posais
vraiment pas de questions de savoir ce que je voulais faire. J'ai
terminé ma licence à contre-coeur, j'aurais voulu arrêter
avant. Quand je suis arrivé en fin de licence, ça ne m'est
même pas passé par la tête de continuer en master, parce que
j'avais vraiment besoin de faire autre chose. Donc je suis monté
à Paris, j'ai fait ce service civique et je ne regrette vraiment pas,
c'était une bonne idée. Et maintenant que ça fait
plusieurs mois que je ne fais que des choses que j'aime, où je
fréquente des gens de l'associatif et que j'ai le temps de
réfléchir, je recommence à me poser la question de
reprendre un master pour ensuite m'engager professionnellement en faveur de la
transition, pour acquérir des compétences pour ensuite
créer un métier lié à tout ça.
Je ne m'imagine pas du tout ne pas intégrer ces enjeux
dans mon métier, ne serait-ce que par sécurité
personnelle. Je n'ai pas du tout envie de faire un métier qui contribue
à pérenniser ce système et qui ne m'amène pas dans
un futur particulièrement radieux, autant dans le mode de vie actuel que
si tout se casse la gueule.
Engagement collectif :
Je fais mon service civique dans une association qui fait de
l'économie sociale et solidaire. Dans le même temps, je me suis
engagé à Coexister, une association qui met ensemble des jeunes
de différentes convictions, religieuses (chrétien, musulman,
juif...) ou non religieuses (athée, agnostique), et ensemble on va faire
des actions de sensibilisation. Ça peut paraitre hors sujet mais en fait
ça a tout à voir car je considère que cette
société ne pourra avancer que s'il y a du lien social qui se
tisse et que si tout le monde travaille main dans la main. Donc Coexister
rentre vraiment dans mon engagement écologique. Et ce que je constate
aussi, c'est qu'à Coexister il y a énormément de gens qui
ont une vision globale des choses et qui commencent à parler du pb des
réfugiés climatiques par exemple, qui est très en lien
avec l'association car ils vont venir de pays avec des cultures religieuses
différentes.
Le deuxième engagement c'est Avenir Climatique.
Le troisième ANV COP21, qui organise des actions non
violentes. Je vais participer mardi à une action non violente
d'ailleurs, en tant que team leader, ce sera la 1ère fois que
je vais prendre un petit poste à responsabilité là-dedans.
Et ça fait 3-4 actions que j'ai faites depuis le début de
l'année. Je ne suis pas convaincu de la vraie utilité de ce type
d'action. C'est peut-être plus pour évacuer la pression et
être avec des gens qui se bougent que je fais ça. Je me demande
s'il n'y a pas certains engagements que je fais juste pour évacuer la
pression plutôt que pour changer le monde.
Actions plus utiles que d'autres :
Je pense que l'engagement professionnel est une des
clés de voûte. Je pense que créer un métier pour
rendre sa zone d'implantation plus résiliente, je pense que c'est une
des actions les plus efficaces sur le court terme, et qui peut le plus
traverser les crises. Car tu vas vraiment faire des choses qui vont rester.
Alors que le système politique, je ne suis pas sûr qu'il soit
possible ni souhaitable qu'il évolue de manière continue. Je
pense qu'il y aura un moment où il faudra faire une rupture. Les petites
avancées ridicules qu'on arrive à obtenir à coups de main
rouges sur le siège de Total, je les considère que comme des
choses qui contribuent à radicaliser mais
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dans le bon sens du terme notre génération, mais
ça n'aura pas de sens tant qu'il n'y aura pas d'actions de plus grande
envergure. La Vème république, par exemple,
intrinsèquement n'est pas capable de mener des actions à la
hauteur des enjeux, et là on parle que de la France (que 1% de la
population mondiale). Je ne pense pas qu'elle acceptera de se changer
radicalement.
Les trois choses les plus importantes vont être de
tisser du lien social de manière à ce que ce ne soit pas une
brèche dans laquelle les tensions puissent éclater le jour
où les choses empirent, s'engager professionnellement, et être
prêt le jour où il va falloir changer de système de
façon beaucoup plus poussée qu'aujourd'hui. Mais je pense que
d'ici un mois tu me reposes la question et j'aurai peut-être
changé d'avis. Tout ce que je dis, je n'en suis pas non plus super
sûr. C'est tellement nébuleux, il y a tellement de choses à
prendre en compte, que je suis encore dans un période où je
teste, et si ça se trouve d'ici un an j'aurai encore changé
d'opinion.
Cheminement :
En primaire, mes enseignants et la mère d'un ami
étaient très écolos et nous avaient fait pas mal de
sensibilisation. Donc je me demande si ce n'est pas un peu grâce à
eux qu'il y a beaucoup de gens de ma classe de primaire qui sont assez
politisés maintenant. Ils nous faisaient faire des potagers en CP, CE1.
La mère d'un ami nous avait fait des petites interventions.
Je me souviens qu'en 6ème j'avais vu un
documentaire, le Seigneur des mers, qui parlait de la surpêche des
requins. C'est là que j'ai eu un 1er traumatisme
écologique. Pendant pas mal de temps, je n'arrêtais pas de parler
autour de moi des requins, les gens ne comprenaient pas trop. Il y avait des
images ultra choquantes de surpêche des requins : 100 millions de requins
qui se faisaient tuer chaque année pour des trucs complètement
idiots, juste pour leurs ailerons, pour de la bouffe, pour des plats inutiles.
Alors que les requins, c'était bien expliqué dans le docu, sont
vraiment une des clés de voûte de l'écosystème des
océans. S'il n'y a plus de requin, les petits poissons se multiplient et
tout est déséquilibré. C'était la
1ère fois où j'ai eu une vision un peu
systémique d'un problème. Je pense que ça a
été un des déclics.
A partir de là, de la 6ème
jusqu'à aujourd'hui, ça a été une escalade
constante, il n'y a pas vraiment eu plus de déclic que ça,
ça a été progressif. Je pense que la
1ère fois où j'ai commencé à
réfléchir à la possibilité d'un effondrement,
c'était en 1ère-terminale. En fait, un autre
déclic peut-être a été de lire le manuel de
transition de Rob Hopkins. En fait c'était lui le 1er vrai
collapsologue, parce que c'est le 1er qui a vraiment fait des liens
entre crise climatique et crise du pétrole. C'était un peu le
préquel de « Comment tout peut s'effondrer », parce que
c'était un début de prise de conscience systémique du
problème. Et à partir de là, de moi-même je me suis
aussi posé la question des métaux. Et c'est qu'ensuite que
ça a été confirmé par Comment tout peut
s'effondrer. Ce livre n'a pas été trop un déclic pour moi,
ça n'a fait que confirmer des choses que j'avais lues par-ci
par-là, mais ça a quand même été une lecture
importante.
Je pense que c'est aussi un peu pour ça que mes
études ont bifurqué dans une direction complètement
différente. Si je n'avais pas eu cette prise de conscience, je pense que
je serais resté dans une voie littéraire, prépa, tout
ça. Alors que quand on a toutes ces données en tête et
qu'on n'a pas trop de recul, ça n'a pas de sens du tout. Et ça a
fait que pendant pas mal d'année, comme j'étais dans une petite
ville où rien ne bougeait et où les gens n'avaient pas trop de
conscience, il y avait aussi un sentiment d'impuissance, et peut-être
même de supériorité, parce que j'étais en mode
« mais pourquoi les gens sont aussi cons ». Je pense que c'est un
truc qui peut contribuer à te transformer en quelqu'un de pas bien.
Pendant plusieurs années, je faisais que me ressasser des données
stressantes, je n'avais personne à qui en parler. Et c'était
complètement inefficace. J'étais peut-être plus averti que
d'autres personnes mais je ne faisais rien, rien n'avait de sens.
C'était une période où j'étais un peu en mode
zombie. Je n'avais pas trop de volonté, ni d'attrait pour quoi que ce
soit. Je m'engageais un peu dans des assos mais sans plus. Je me laissais un
peu guidé par les années universitaires. Ce n'est que maintenant
que je suis arrivé à Paris et que j'ai rencontré des gens
qui pensent comme moi, que je me suis calmé. Je me dis que je ne suis
pas le seul à porter le fardeau du monde sur les épaules. Alors
que quand tu es juste entouré de familles et d'amis qui s'en fichent, tu
es un peu en mode « c'est moi qui sais tout ». Et le fait de
rencontrer des gens qui pensent la même chose que toi, ça te
rassérène beaucoup. C'est sûr qu'on ne doit pas rester
qu'entre nous, mais quand personne ne pense comme toi tu finis par devenir
fou.
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Cette année à Paris m'a vraiment
débloqué. Je m'engage beaucoup plus, je suis beaucoup plus en
phase avec moi-même, avec mes idées. J'ai beaucoup plus de recul
sur mes actions au quotidien ou de manière générale sur ma
vie personnelle.
Ça faisait des années que j'étais dans
mon coin, avec mes idées, je pensais à ça seul pendant des
années. Paris m'a permis de m'aérer, de me sentir plus actif.
Mine de rien, c'est que dans les grandes villes qu'on a des possibilités
d'action à la hauteur des sentiments négatifs que peut provoquer
la prise de conscience écologique contemporaine. Ça a
peut-être changé depuis, mais à l'époque
c'était nul, il n'y avait rien qui se passait quand tu voulais
t'engager. En plus à l'époque au lycée tu es très
passif, il n'y a pas la culture d'être actif, de l'enga-gement, ce
n'était pas mon caractère à l'époque.
Changement personnel
Je me suis toujours vu là-dedans. Il n'y a pas eu un
avant/après prise de conscience. D'aussi loin que je me souvienne je me
suis toujours intéressé à ça. Ce n'est pas comme
certaines personnes qui avaient une certaine vision du monde qui a
bifurqué, moi ça a été assez continu. Au contraire,
j'essaie aujourd'hui de rester engagé écologiquement, tout en
évacuant tous les trucs toxiques que ça avait entrainé
chez moi depuis des années (le fait d'être un peu
dégouté de tout). Là je suis en train de lutter à
travers des trucs qui n'ont rien à voir avec l'écologie (le
karaté, des trucs qui n'ont rien à voir...) pour essayer
d'évacuer les côtés négatifs de la prise de
conscience écologique. Je n'avais pas vraiment réfléchi
à cette question, mais ça ne m'a pas vraiment changé.
Emotions négatives
Comme ça fait longtemps, que c'était progressif,
j'ai peut-être moins de sentiments négatifs mais peut-être
plus pernicieux, plus profonds et agissent plus de manière inconsciente.
Je commence à prendre conscience que ça avait déteint sur
tous les aspects de ma vie. Je m'intéresse d'ailleurs à
l'écopsychologie car je pense que la crise environnementale touche
à beaucoup de points sensibles dans la psychologie humaine. Les gens qui
utilisent tout le temps les mots effondrement, destruction, se
détruisent avec des termes négatifs. Je me demande comment
ça a pu déteindre pour moi. Je pense qu'il ne faut pas trop se
morfondre dans ce genre d'idées car ça déteint sur tous
les aspects de ta vie de manière très profonde et inconsciente,
et c'est difficile d'en sortir. Je pense qu'il y a des gens que ça va
juste détruire et qui vont rester comme ça. Si j'avais dû
rester dans mon village, je vois pas très bien où j'en serais et
comment je m'en serais sorti.
Je ne me reconnais pas forcément dans les
émotions de tristesse, de colère... Mais le fait de ressasser
tout ça, d'avoir tout ça en arrière-plan, toutes ces
choses négatives, c'est pesant. Il n'y a pas trop de mot pour le
décrire. Il faudrait en inventer un. Sollastalgie,
écoanxiété. En fait le mot existe, ça correspond
assez à ce sentiment négatif omniprésent (que j'arrive de
plus en plus à évacuer ces temps-cis).
C'est inévitable, les sentiments négatifs, mais
il ne faut pas que ce soit une fin en soi.
Façons de sortir de
l'éco-anxiété :
J'ai besoin de penser à autre chose, par des
activités comme la méditation ou le karaté, ou par des
relations sociales avec des personnes moins sensibilisées. Il y a
à la fois besoin de fréquenter des gens qui pensent comme toi
pour voir que t'es pas tout seul, des gens moyennement sensibilisés avec
qui tu peux faire de la « propagande », et aussi des gens qui n'en
ont rien à foutre pour juste parler d'autre chose. Il faut aussi avoir
des relations comme ça, des relations diverses.
Il y a aussi le fait de m'analyser moi-même, et faire
des ponts entre ça et d'autres choses de ma psychologie. Car encore une
fois, tout est lié dans ta psychologie. Il n'y a pas d'un
côté l'éco-anxiété et les relations sociales.
Ça déteint sur tout. Donc tu prends du recul sur toi-même.
Le fait de s'autoanalyser permet de voir où il faut agir. Le travail que
j'ai fait sur moi-même il y a quelques temps, je le rapprocherais plus du
développement personnel. Le fait de maîtriser sa construction
psychologique : d'avoir tellement de recul sur toi-même que tu es capable
de redisposer les trucs comme tu veux. Je pense que c'est la principale
façon d'aller de l'avant. T'autoanalyser, te compartimenter, comprendre
comment tu es structuré. Une fois que tu as ce recul-là tu peux
agir. Parce que quand c'est juste des sentiments diffus dont tu ne sais pas
pourquoi ils arrivent, tu es juste prisonnier de toi-même. Je pense que
toutes ces choses, les relations sociales, aller à Paris, agir, j'ai
pu
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commencer à faire tout ça avec énergie
parce que j'ai appris à me connaitre. Tant que tu ne te connais pas, tu
ne peux pas vraiment agir.
Sentiments positifs :
On est dans une période tellement extrême. C'est
une période rêvée pour avoir du recul sur le monde, sur
l'humanité, sur la planète, sur le sens de la vie, sur
toi-même... qu'à n'importe quelle autre époque. On est dans
une époque complètement caricaturale. J'ai l'impression que tous
les facteurs sont tirés au maximum dans toutes les directions, que ce
soit au niveau psychologique, philosophique, écologique, social,
économique, politique... on n'a jamais été dans une
société aussi extrême qu'aujourd'hui. Une fois que tu
comprends tout ça, enfin une fois que tu as commencé à
comprendre tout ça car je ne pense pas qu'on soit capables en une vie
d'avoir un recul total sur tout ça, ça peut permettre de te faire
grandir beaucoup plus rapidement qu'avant. J'ai l'impression que les gens qui
ont conscience de tout ça sont beaucoup plus matures. J'ai l'im-pression
aussi que notre génération (jeune) a beaucoup plus de recul que
la génération précédente. Ça dépend
sur quoi, pas sur les trucs de la vie quotidienne, mais sur le long terme en
tout cas. Je pense que ça peut permettre d'être plus maître
de nous-même, le fait de se poser les bonnes questions à cette
époque. Le fait de m'engager me permet d'avoir beaucoup plus
d'énergie qu'avant, je fais les choses avec plus de force. C'est aussi
une notion de devoir. Par exemple, mon engagement professionnel, j'ai du mal
à en parler autour de moi. Parce qu'on me demande souvent « quel
métier tu as envie de faire, quel métier te correspond
», mais ce n'est pas la question que je me pose. C'est une question
secondaire. Pour moi le choix du métier est une question de devoir. Je
me demande plutôt « qu'est-ce que je dois faire ». Le
sens du devoir est un sentiment qui prévaut beaucoup pour moi. C'est
quelque chose qu'on a beaucoup oublié, et qui va devoir revenir en
force. On y pense même plus, quand on demande « pourquoi tu fais
ça », soit ils pensent que c'est parce que tu vas en retirer un
bénéfice, soit parce que tu aimes. Alors qu'en fait il y a une
troisième chose, juste le fait qu'il faut le faire.
Optimiste ou pessimiste
Ça dépend du point de vue.
Je me suis largement habitué à l'idée que
le 21ème siècle allait mal se passer. Ça ne me
provoque plus grand-chose. Si jamais je décrivais ma vision du futur,
certains seraient terrifiés parce que ce serait super négatif.
Mais moi ça ne me dérange plus.
Je pense plus à comment sera l'humanité dans 150
ans. Rien n'empêche qu'il y ait encore des universités, des gens
qui aient du sens à leur vie. Les gens vivront peut-être moins
longtemps, les gens auront une espérance de vie plus courte. Entre
temps, il y aura eu une baisse de la population. Mais quand j'en parle,
ça ne m'évoque rien de particulier ; Les gens me
définiraient comme pessimiste. Mais la question que je me pose c'est
est-ce que dans 150 ans les gens auront toujours une culture de laquelle ils
seront fiers, est-ce qu'ils seront toujours empathiques envers des gens qui
viennent de pays qui devront bouger pour des raisons politiques ou quoi, est-ce
qu'on leur transmettra des bonnes valeurs, est-ce qu'on aura un sens à
notre vie, des relations sociales. C'est largement possible. Les
aborigènes d'Australie ont vécu 40 000 ans dans un désert
stérile. Ils vivaient dans un environnement plus dur.
J'ai confiance dans le fait qu'on puisse leur léguer
quelque chose. Qu'il n'y ait pas une coupure entre au-jourd'hui et demain,
qu'on leur lègue une culture et un sens à leur vie.
Je me définirais plus comme optimiste dans le sens
où je ne suis pas collapse et apocalypse. Je sais qu'il y a quand
même la possibilité que les écosystèmes s'effondrent
complètement et que la terre soit anéantie et que
l'humanité disparaisse, mais je ne vois pas trop l'intérêt
de se poser la question. Je sais qu'il faut agir au maximum, il faut mettre
l'accélérateur à fond pour freiner à fond. Le
principal c'est de faire tout ce qui est en notre pouvoir, de se radicaliser,
mais il n'y a pas d'intérêt à se dire « si ça
se trouve ce sera pas assez on va tous mourir », à ce
moment-là on ne fait rien. Les seuls trucs qui retiennent mon attention,
ce sont les scénarios (même si ce ne sont pas les seuls) où
il y a une humanité qui est transmise. Là je me dis qu'on peut
transmettre quelque chose, ça a toujours du sens d'écrire des
livres, des films, de perpétuer la culture pour qu'elle soit transmise.
Je suis peut-être pessimiste mais pas défaitiste.
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Vision dans 30 ans
Je pense que ce que je voudrais c'est avoir une certaine
indépendance alimentaire. Mais ne pas être qu'agri-culteur, avoir
une activité à côté. Avoir un petit potager pour me
nourrir. Et un métier à côté que je suis en train de
décider.
Je n'ai pas non plus envie d'habiter à la campagne,
j'aimerais bien habiter près d'une ville, car il y a plus
d'ac-tivités culturelles, associatives... Il y aura un minimum de
confort qui restera dans les villes, alors qu'il n'y aura probablement plus
rien dans les campagnes. Peut-être quelque chose
d'intermédiaire.
Au niveau de la société en elle-même,
c'est impossible de prévoir. On peut s'imaginer des scénarios
probables, mais dire lequel est le plus probable c'est impossible.
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