IV. Le positionnement cadre
Ce travail de recherche, avec à la fois
l'éclairage théorique que nous avons réalisé et les
enquêtes de terrain que nous avons analysées, nous a permis de
mener une réflexion sur notre futur rôle d'encadrant. Certains
éléments que nous allons développer dans ce chapitre
seront transposables à la gestion d'une équipe ayant un profil
différent.
1. La projection cadre au regard de la
recherche
77
Ce travail nous a permis de prendre du recul sur notre propre
expérience.
78
1.1 Le rôle du cadre dans la
communication
Nous sommes convaincue qu'il est essentiel pour un cadre de
communiquer. La communication est pour nous une forme de reconnaissance.
Connaître les agents, s'intéresser à eux, reconnaître
leurs efforts et le leur dire, nous paraît essentiel et cela ne doit pas
attendre les entretiens annuels.
Nous pensons que la communication nous permettra de faire
connaître cette équipe, de mettre en avant leurs
compétences et de mettre en lumière les missions qui leurs sont
confiées, cela afin de transmettre l'information à l'ensemble des
professionnels de santé. Nous croyons que cette équipe est
indispensable dans le parcours du patient et qu'elle lui apporte autre chose.
Les brancardiers ne connaissent pas la pathologie du patient la plupart du
temps, ils ont quelques informations mais peu de détails. Cela leur
permet d'avoir une approche du patient différente, ils
réussissent généralement à détendre le
patient avant d'aller à un examen ou au bloc opératoire se
servant de l'humour toujours adapté et mesuré pour permettre au
patient de se sentir détendu dans une situation qui pourrait être
très angoissante. Cette capacité relationnelle est vraiment
à mettre en avant car ils ont cette faculté à vraiment
rassurer les patients.
Comme nous avons pu le démontrer dans
l'éclairage théorique et empirique, cette équipe se
gère à distance. Nous n'avions pas forcément conscience de
cela lorsque nous étions en poste. Nous pensons qu'il est souhaitable de
favoriser des temps d'échanges afin d'encourager chacun à prendre
la parole. Ces temps d'échanges pourront être formels pour faire
circuler l'information ascendante et descendante mais ils seront
également informels car ce sont des moments où le cadre de
santé peut percevoir des éléments qui ne ressortent pas
toujours sur des moments formels, notamment lorsqu'il y a des tensions, des
problématiques dans une équipe. C'est toujours intéressant
de partager des moments informels car les agents vont livrer plus facilement
leur ressenti, ils vont échanger entre eux et cela permet au cadre de
santé de connaître un peu leur état de bien-être au
travail ou même de savoir s'ils ne sont pas parasités par des
soucis personnels qui peuvent expliquer certains comportements au travail.
Nous pensons également que la communication avec les
autres cadres de santé facilitera la collaboration entre les
différents professionnels. En effet, nous pensons que demander aux
équipes des unités de soins de désencombrer les couloirs
faciliterait le travail des brancardiers et serait une preuve de
considération de leur travail et de leur place au sein de
l'établissement. Nous pensons que la communication avec les autres
services permettra également d'éviter aux brancardiers de
dépasser leur champ de compétences. Nous voulons leur faire
prendre conscience qu'il n'est pas de leur rôle de s'occuper de
l'oxygène, ou de débrancher un patient scopé par exemple
car cela engage leur responsabilité.
79
1.2 Le rôle du cadre et le management
participatif
Nous pensons que le management participatif permet de mettre
en valeur le travail des agents et que c'est en cela que nous pouvons dire que
c'est aussi une forme de reconnaissance.
Nous pensons également que le management participatif
renforce l'implication des agents. Il est intéressant de leur proposer
de participer à des réunions institutionnelles ou à des
groupes de travail sur des sujets qui les concernent ; cela leur permet de se
sentir importants et utiles comme nous l'a exprimer le CDS-E8. Les impliquer
leur permet de donner du sens à ce qu'ils font et leur permet
également de se placer dans une posture réflexive et de tirer
parti de leur expérience pour soumettre des propositions. Être
dans cette réflexion nous paraît essentiel pour qu'ils soient
acteurs dans les organisations de travail. Nous sommes convaincue que les
brancardiers sont un maillon essentiel dans l'organisation hospitalière
et qu'ils participent, au même titre que les autres professionnels de
santé, à une prise en charge de qualité des patients.
Nous avons bien conscience que certains agents ne souhaitent
pas participer à des groupes de travail ou s'investir davantage,
cependant il est de notre rôle en tant que cadre de santé de
repérer les compétences des agents et d'être en mesure de
leur permettre d'évoluer. Nous pensons que leur confier des missions
comme par exemple être référent dans un domaine, qui ne
soient pas chronophages pour les agents, c'est aussi leur montrer que nous
avons confiance en eux, que nous souhaitons les faire progresser, leur faire
faire autre chose. Nous pensons aussi que lorsqu'il s'agit de choisir du
matériel, c'est leur demander leur avis pour qu'ils aient le sentiment
d'être considéré et qu'on les sollicite dans les prises de
décision.
Le management participatif pourra être un levier pour
favoriser la qualité de vie au
travail.
1.3 Le rôle du cadre dans la qualité de vie
au travail
Tout d'abord, nous avons pu prendre conscience que les
brancardiers étaient peu considérés, ne serait ce que par
le peu d'ouvrages existant sur le sujet, comme nous avons pu le constater au
travers de l'éclairage théorique. Par ailleurs, les lectures que
nous avons pu nous procurer portent sur des témoignages de brancardiers
qui décrivent leur travail et expriment leur ressenti sur la
façon dont ils ont vécu leur métier.
Nous serons amenée à gérer tout profil
d'équipe et il nous paraît essentiel que chaque agent quel que
soit son statut et son diplôme, se sente considéré, en tant
qu'individu. Nous pensons que la reconnaissance est non seulement un levier de
motivation au travail mais également de bien-être au travail.
Comme nous l'avons expliqué, nous considérons
que reconnaître les efforts d'un agent est un levier de motivation. Cette
reconnaissance peut être formulée de façon individuelle
lorsqu'elle concerne l'agent lui-même ou collective. Cependant, valoriser
les efforts individuels peut avoir des répercussions sur la motivation
du groupe. En effet, nous sommes persuadée que les agents communiquent
entre eux lorsqu'ils sont reçus par le cadre de santé que ce soit
lors
80
d'un feedback (un retour) positif ou négatif. Cet
échange entre collègues permet à l'équipe de se
questionner sur son travail.
Le cadre de santé va être honnête,
transparent et authentique lorsqu'il donnera des signes de reconnaissance, car
les agents détecteront tôt ou tard si cette reconnaissance est
dépourvue de sincérité. Cette honnêteté et
cette authenticité favoriseront une relation basée sur la
confiance qui est selon nous essentielle pour gérer une équipe.
Cette confiance doit être réciproque, que ce soit du cadre de
santé envers son équipe ou l'inverse, et nous pensons
qu'instaurer une relation de confiance permet de se faire respecter. Une
équipe qui n'a pas confiance en son manager ne sera pas en accord avec
lui et un manque de confiance peut même être
délétère car si l'équipe n'a pas confiance en son
cadre, ce dernier pourra faire des propositions mais elles ne seront pas
étudiées ; en outre, si le cadre n'a pas confiance en ses
équipes, cela aura des répercussions sur sa façon de les
manager et il sera alors davantage dans le contrôle.
Selon nous, la posture du cadre de santé
nécessite d'être disponible autant que possible, à
l'écoute des agents et d'être bienveillant. Nous sommes convaincue
qu'un cadre bienveillant avec son équipe peut avoir l'adhésion de
celle-ci. Bien évidemment la bienveillance n'empêche pas de rester
ferme lorsqu'il le faut car nous entendons par là qu'il faut aussi dire
à un agent lorsque des choses ne vont pas.
Nous pensons que mettre en avant tout ce qu'ils font au
quotidien permettra de valoriser leur travail, de faire connaître cette
profession, ses contraintes et ses responsabilités.
Les brancardiers ont besoin de se sentir reconnus par les
autres professionnels de santé et de ne pas être
considérés comme les « petites mains » comme nous
l'expliquait à sa manière le CDS-E1. Nous pensons alors qu'il
paraît intéressant d'organiser des temps de rencontres entre les
différents professionnels pour leur permettre de communiquer sur leurs
difficultés et cela afin non seulement d'améliorer la
collaboration mais également d'optimiser la prise en charge des
patients. La valorisation monétaire est aussi quelque chose de
nécessaire pour eux. Au vu de leur statut, ils sont comme le dit le
DO-E6 « en bas de l'échelle sur le plan des salaires » alors
qu'ils font un travail pénible physiquement. Nous pensons qu'il est
intéressant de valoriser les efforts par une compensation
financière, bien que nous sachions également que la situation
économique des établissements publics de santé est
compliquée. Nous pensons également qu'en tant que cadre de
santé nous devons permettre aux agents de travailler dans de bonnes
conditions et cela passe par l'acquisition de matériel. Par ailleurs, la
valorisation non monétaire se manifeste par une reconnaissance de leur
travail, de leurs efforts, de leurs compétences, de leur implication.
Nous pensons qu'il est essentiel de dire merci aux agents lorsqu'ils se sont
rendus disponibles sur une période d'absentéisme d'un
collègue, lorsqu'ils vont aller aider d'autres professionnels pour
installer un patient, pour le relever car il a chuté, pour le calmer par
une présence lorsqu'il montre des signes d'agressivité. Nous
pensons qu'il est nécessaire de les remercier
régulièrement pour tout ce qu'ils font au quotidien.
Nous pensons à l'importance de valoriser de
façon individuelle pour qu'un agent se sente considéré en
tant qu'individu à part entière, pour ce qu'il est lui, mais
aussi de façon collective pour développer la cohésion
d'équipe, maintenir l'effort collectif et cultiver l'esprit
d'équipe et la solidarité. Nous pensons qu'il est
également primordial de connaitre le
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positionnement de chacun au sein du groupe. Nous avons le
sentiment que le fait de se sentir intégré dans son
équipe, favorise le bien-être au travail.
Nous avons à coeur de faire du management en tenant
compte de nos valeurs personnelles et professionnelles. Nous pensons qu'un
manager doit faire preuve de patience, de tolérance, ne pas porter de
jugement mais plutôt chercher à analyser une situation. Nous
ferons preuve de discernement et valoriserons les erreurs des agents
plutôt que de les pointer du doigt. Car nous sommes persuadée que
personne n'est à l'abri de faire une erreur. Nous tenons cependant
à nuancer nos propos car il faudra tenir compte du seuil de
gravité de l'erreur. Pour autant, nous pensons que l'erreur permet de
questionner le collectif afin d'apporter des axes d'amélioration et
d'éviter que cela ne se reproduise.
Nos valeurs soignantes sont toujours présentes et notre
management sera en lien avec nos valeurs professionnelles telles que l'empathie
pour pouvoir comprendre les difficultés d'un agent. Nous souhaitons
également être intègre et nous préférons agir
avec honnêteté et transparence en expliquant aux agents pourquoi
nous mettons en place certaines choses. Nous avons à coeur d'être
respectueuse des agents car nous sommes convaincue que sans cela il nous est
impossible de faire un tel métier. Ces valeurs personnelles et
professionnelles nous ont portée et nous ont permis d'être ce que
nous sommes aujourd'hui.
Les brancardiers ont un rôle à jouer, comme tout
professionnel de santé. C'est pour cela que nous nous assurerons en tant
que future cadre de santé, que les équipes que nous encadrerons
se sentent bien au travail. Nous travaillerons en collaboration avec les
partenaires sociaux et le service de santé au travail, pour chercher des
solutions afin d'améliorer les conditions de travail des agents.
Enfin nous partageons le point de vue du DO-E6 lorsqu'il
aborde la notion de « tripode ». En effet selon lui, le cadre de
santé prend en compte trois notions essentielles : l'efficience, la
qualité des soins et la qualité de vie au travail. Cela nous
semble vraiment cohérent. Au regard de ce qu'il mentionne, nous pensons
qu'un établissement ne peut pas fonctionner si les patients sont
insatisfaits car ils ne reviendront pas, c'est pour cela qu'il faut tout mettre
en oeuvre pour optimiser la qualité des soins et du service rendu au
patient. Aussi, il est déterminant que les agents se sentent bien au
travail pour faire un travail de qualité, qu'ils y trouvent du sens et
qu'ils restent motivés.
Aujourd'hui, grâce aux échanges que nous avons pu
avoir avec les différents professionnels interrogés, nous portons
un autre regard sur cette équipe et nous prenons conscience que nous ne
leur avons peut-être pas accordé toute la reconnaissance dont ils
avaient besoin, notamment pour défendre leur présence à
certaines réunions. Avoir la gestion d'une autre équipe notamment
de soins, ne nous a pas permis d'apporter aux brancardiers toute la
considération qu'ils méritent car nous avons été
happée par le quotidien, et que nous n'avions pas suffisamment
conscience qu'ils en avaient besoin, peut-être parce que ce sont des
hommes. Nous espérons cependant, que nous aurons la chance de
gérer à nouveau cette équipe afin de lui consacrer plus de
temps et de lui apporter des signes de reconnaissance. Enfin, nous pensons que
d'avoir réalisé ce travail de recherche sur eux, sur leur
fonction c'est déjà quelque part notre façon de leur
montrer que nous reconnaissons leur travail.
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2. Le positionnement au regard de la fonction cadre de
santé
Au regard de ce que nous venons de dire, voici comment nous
nous projetons dans notre future fonction de cadre de santé et ce que
nous envisageons de proposer à notre retour.
Si nous sommes amenée à gérer de nouveau
cette équipe de brancardiers, nous proposerons de mettre en avant cette
profession dans le journal de l'hôpital. Cela permettra de rendre visible
leur travail, et de mettre en lumière leurs qualités et leurs
compétences auprès des autres professionnels de l'hôpital.
Pour cela, nous ferons part de notre demande au service communication.
Par ailleurs, nous avions pensé à faire une
demande auprès du service qualité, pour inclure un item, sur le
questionnaire de satisfaction, concernant le transport interne des patients au
sein de l'établissement. Cela permettrait de leur faire des retours sur
les commentaires des usagers, dans le but de les féliciter pour ce
qu'ils font de bien, et de réfléchir ensemble à ce qui
devrait être amélioré. Avoir la reconnaissance
écrite des usagers, pourra déjà être très
valorisant pour eux.
Nous envisageons de valoriser davantage cette équipe,
car nous avons pris conscience que le cadre est le pivot pour faire
reconnaître cette profession, même si nous savons qu'il ne pourra
pas tout mener seul. Nous savons également que cette quête de
reconnaissance est valable pour tous les professionnels mais nous pensons
qu'elle est davantage ressentie par cette profession en particulier. Il s'agit
bien là de montrer la valeur de ces agents qui, malgré l'absence
de formation initiale, de diplôme et un statut inapproprié au
regard des missions qui leur sont confiées, sont un maillon très
important, dans le parcours du patient et dans sa prise en charge.
Nous savons que certains établissements proposent des
journées d'observation (« vis ma vie ») afin de faire partager
le quotidien des professionnels. Ce principe permettrait de comprendre les
contraintes organisationnelles de chacun, et de limiter les
représentations concernant le travail de l'Autre. Cependant, nous avons
conscience qu'au vu du contexte économique des établissements,
une telle proposition paraît illusoire.
Par ailleurs, pour faciliter les évaluations annuelles,
nous comptons suivre les agents dans leurs missions au quotidien et pouvoir
questionner le patient à l'issu du transport, pour savoir comment il a
perçu sa prise en charge ; nous ne l'avions jamais fait auparavant et
nous le regrettons.
Nous mettrons également à disposition des outils
de traçabilité des transports pour évaluer au mieux leur
charge de travail sur le long terme et pas seulement sur une période
donnée.
En outre, nous avons vu durant notre formation, que des moyens
existaient pour réunir les agents sur un temps limité : ce sont
les « stand-up meeting » ( Delaire, 2019). Ces réunions se
font debout, et c'est ce que nous souhaitons mettre en place dans une telle
équipe. Ce serait selon nous, une idée pertinente dans la mesure
où ces réunions s'effectuent sur une temporalité
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relativement courte et évitent donc, de mobiliser les
agents trop longtemps, tout en permettant d'échanger de façon
constructive sur des sujets bien ciblés.
Enfin, suite à une intervention que nous avons eu au
cours de notre formation (Bergeot & Neveu, 2019), il nous est apparu
intéressant d'établir une charte éthique dans ce service,
afin d'établir des règles de savoir-être mais aussi de
savoir travailler et bien vivre ensemble. Pour que leur travail soit reconnu,
le respect de cette charte pourra être un indicateur. Elle sera
réalisée avec les agents, pour qu'ils prennent conscience
ensemble de ce qui est attendu d'eux, et qu'ils puissent aussi faire entendre
quelles sont leurs valeurs et ce qu'ils attendent de l'Autre. Cette charte nous
permettra également de rechercher des qualités et des valeurs
chez les candidats qui se présentent pour un recrutement, mais aussi d'y
faire référence si un agent ne respecte pas ce qui y est inscrit.
Nous avons également pensé que cette charte pouvait
s'écrire avec l'acrostiche du mot « brancardier » afin de
vraiment la personnaliser à leur image.
Voici comment nous envisageons notre retour et comment nous
nous projetons en tant que future cadre de santé. Nous avons eu
plusieurs mois pour prendre du recul sur nos pratiques et
réfléchir à des outils permettant d'améliorer la
gestion de cette équipe. Cependant, nous avons conscience que nous ne
gérerons pas uniquement cette équipe. Pour autant, certains
éléments apportés sont transposables à la gestion
d'une équipe fixe, et comme nous l'avons explicité, un cadre de
santé peut être amené à travailler dans un service,
même si les missions ne correspondent pas à celles de la
filière dont il est issu.
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