CHAPITRE II : La coagulation du lait
A. Le lait
II.1. Définition et aspects et
généraux du lait
Le lait était défini en 1908 au cours du
congrès international de la répression des fraudes à
Genève comme étant « Le produit intégral de la traite
totale et ininterrompue d'une femelle laitière bien portante, bien
nourrie et nom surmenée. Le lait doit être recueilli proprement et
ne doit pas contenir du colostrum : les laits mal propres présentent des
inconvénients tant du point de vue hygiénique que du point de vue
économique » ( Codou Latyr, 1997; Souheila, 2011).
Le lait est un liquide sécrété par les
glandes mammaires des femelles après la naissance du jeune. Il s'agit
d'un fluide aqueux opaque, blanc, légèrement bleuté, d'une
saveur douceâtre et d'un pH (6.6 à 6.8) légèrement
acide, proche de la neutralité, il peut être
considéré comme une émulsion de matière grasse dans
une solution aqueuse (Zikiou, 2013).
11
II.2. La composition du lait
De très nombreux facteurs peuvent intervenir sur la
composition du lait dont l'espèce, la race, le stade de lactation, la
saison, l'état sanitaire, l'alimentation (Zikiou, 2013).
Le lait est constitué de quatre phases :
? Une émulsion de matière grasse ou phase grasse
constituée de globules gras et de vitamines liposolubles (A, D) ;
? Une phase colloïdale qui est une suspension de
caséines sous forme de micelles ;
? Une phase aqueuse qui contient les constituants solubles du
lait (protéines solubles, lactose, vitamine B et C, sels
minéraux, azote non protéique) ;
? Une phase gazeuse composée d'O2, d'azote et de CO2
dissous qui représente environ 5% du volume du lait.
L'analyse du lait permet de distinguer des composants chimiques
majeurs (Tableau 4) (eau, matière grasse, matières
azotées, glucides et matières minérales) et mineurs
(vitamines et enzymes) (Codou Latyr, 1997).
Tableau 4. Composition générale du
lait
Constituants majeurs Variations limites (%) Valeurs
moyennes (%)
Eau 85,5-89,5 87,6
Matières grasses 2,4-5,5 3,7
Protides 2,9-5,0 3,2
Glucides 3,6-5,5 4,6
Minéraux 0,7-0,9 0,8
Constituants mineurs Vitamines, enzymes, pigments Cellules
diverses, gaz
II.2.1. L'eau
L'eau du lait provient du sang par filtration au niveau de la
glande mammaire. Elle représente la phase dispersante des constituants
non hydrosolubles du lait et la phase solvant des substances solubles
(glucides, matières minérales et vitamines hydrosolubles)
(Tableau 4) (Codou Latyr, 1997).
II.2.2. Les glucides du lait
Dans le lait de vache, les glucides sont
représentés essentiellement par le lactose, ou galactosido 1-4
glucose, qui est synthétisé dans la glande mammaire. C'est un
disaccharide à saveur relativement peu sucré, peu soluble, et
possèdent un groupement réducteur.
Le lactose joue un rôle important dans les produits
laitiers en tant que substrat de fermentation pour les bactéries
lactiques qui l'hydrolysent en glucose et galactose, puis transforment ces
hexoses en acide lactique. (Codou Latyr, 1997).
II.2.3. La matière grasse
Le lait de vache, comme le lait de femme, contient environ 35
g/L de lipides. Les lipides du lait sont en partie synthétisés
dans la glande mammaire. Le fait que le lait de vache présente un
rapport acides gras saturés/acides gras insaturés bien plus
élevé que celui de la nourriture végétale
ingérée par l'animal s'explique toutefois aussi par le fait que
des acides gras non saturés sont hydrolysés dans le rumen de la
vache, sous l'influence des bactéries (Codou Latyr, 1997).
Les globules gras (Figure 3) dans le lait sont en
émulsion huile dans l'eau, chaque globule est formé de
différentes couches de triglycérides : les triglycérides
liquides, à bas point de fusion, sont au centre du globule et les
triglycérides solides, à haut point de fusion se superpose au
précédents. Le globule est entouré à la
périphérie d'une sorte d'enveloppe contenant des phospholipides,
qui jouent le rôle d'émulsifiant dans la stabilité du
globule gras, et des lipoprotéines (Zikiou, 2013). L'objectif principal
de ces lipides est de fournir une source d'énergie au
nouveau-né.
12
Figure 3. Structure d'un globule de matière
grasse du lait (Lapointe-Vignola, 2002).
13
II.2.4. L'Azote non protéique
L'azote non protéique (ANP) correspond à toutes
les molécules renfermant de l'azote, autres que les protéines.
Selon (Alais, 1984), ce sont des substances de bas poids moléculaire.
Elles ne précipitent pas dans les conditions de précipitation des
protéines du lait : acidification, élévation de
température ou addition de présure. Elles sont peu abondantes 1,5
à 16 g/L dans le lait de vache (Zikiou, 2013).
II.2.5. La matière minérale et
saline
Les matières minérales sont
représentées dans le lait à une proportion variant de 8
à 12 grammes par litre. C'est une fraction mineure par rapport aux
lipides, glucides et protides, mais leur importance est considérable.
Les matières salines les plus importantes sont les citrates, le calcium,
le phosphore et les chlorures.
Le lait contient des quantités importantes de
différents minéraux (Tableau 5). Les principaux minéraux
sont calcium, magnésium, sodium et potassium pour les cations et
phosphate, chlorure et citrate pour les anions (Souheila, 2011).
Tableau 5. Composition minérale du lait de vache
(Jeantet et al. 2017).
Eléments minéraux
|
Concentration (mg.kg-1)
|
Calcium
|
1043-1283
|
Magnésium
|
97-146
|
Phosphate inorganique
|
1805-2185
|
Citrate
|
1323-2079
|
Sodium
|
391-644
|
Potassium
|
1212-1681
|
Chlorure
|
772-1207
|
Les concentrations de calcium rapportées dans diverses
études varient de 25 à 35 mg / 100 ml. Le phosphore à 13 -
16 mg / 100 ml est beaucoup plus constant mais proportionnellement plus faible
à la caséine et au calcium que dans les laits de la plupart des
autres espèces (Williamson, 1944).
II.2.6. Les vitamines
Le lait a presque toutes les vitamines appartenant aux deux
groupes liposoluble et hydrosoluble (Tableau 6). Ces vitamines sont
essentiellement apportées par l'alimentation
14
et se retrouvent dans le lait sous forme de traces. Ainsi leur
taux est en relation avec le régime alimentaire et aussi avec le stade
de lactation. Certaines vitamines sont inactivées par la chaleur, par
l'oxydation ou par la photolyse (effet de la lumière solaire et des
rayonnements) (Laurent, 1992).
On distingue d'une part les vitamines hydrosolubles (vitamine
du groupe B et vitamine C) en quantité constantes, et d'autre part les
vitamines liposolubles (A, D, E et K) (Tableau 6).
Tableau 6. Composition vitaminique moyenne du lait cru
(Amiot et coll., 2002).
Vitamines
|
Teneur moyenne (ìg/100ml)
|
Vitamines liposolubles
Vitamine A (+carotènes)
Vitamine D
Vitamine E
Vitamine K
|
40 2.4 100 5
|
Vitamines hydrosolubles
|
|
Vitamine C (acide ascorbique)
|
200
|
Vitamine B1 (thiamine)
|
45
|
Vitamine B2 (riboflavine)
|
175
|
Vitamine B6 (pyridoxine)
|
50
|
Vitamine B12 cyanocobalamine)
|
0.45
|
Niacine et niacinamide
|
90
|
Acide pantothénique
|
350
|
Acide folique
|
5.5
|
Vitamine H (biotine)
|
3.5
|
II.2.7. Les protéines du lait
Le lait est un fluide sécrété par la
femelle de toutes les espèces de mammifères, principalement pour
répondre aux besoins nutritionnels complets du nouveau-né.
Le lait de renne et de lapin domestique contient aux environs
de 12% de protéines. Cette valeur est supérieure à celle
que peut contenir le lait humain ou de vache. (Tableau 7) (Fox, 2011).
Différentes structures et propriétés physicochimiques
distinguent les protéines du lait. On les classe en deux
catégories d'après leur solubilité dans l'eau et leur
stabilité : d'une part, les différentes caséines qui sont
en suspension colloïdale, qui se regroupent sous forme de micelles,
d'autre part les protéines du sérum qui sont en solution
colloïdale et qui précipitent sous l'action de la chaleur (Zikiou,
2013).
15
Tableau 7. Composition en % de laits de certaines
espèces (Fox, 2011).
Espèces
|
Solides totaux
|
Lipides
|
Protéines
|
Lactose
|
Cendres
|
Humain
|
12.2
|
3.8
|
1.0
|
7.0
|
0.2
|
Vache
|
12.7
|
4.5
|
2.9
|
4.1
|
0.8
|
Mouton
|
19.3
|
7.4
|
4.5
|
4.8
|
1.0
|
Porc
|
18.8
|
6.8
|
4.8
|
5.5
|
_
|
Cheval
|
11.2
|
1.9
|
2.5
|
6.2
|
0.5
|
Ane
|
11.7
|
1.4
|
2.0
|
7.4
|
0.5
|
Renne
|
33.1
|
16.9
|
11.5
|
2.8
|
_
|
Lapin domestique
|
32.8
|
18.3
|
11.9
|
2.1
|
1.8
|
Bison
|
14.6
|
3.5
|
4.5
|
5.1
|
0.8
|
Eléphant indien
|
31.9
|
11.6
|
4.9
|
4.7
|
0.7
|
Ours polaire
|
47.6
|
33.1
|
10.9
|
0.3
|
1.4
|
Phoque gris
|
67.7
|
53.1
|
11.2
|
0.7
|
_
|
II.2.7.1. Généralités sur la
caséine du lait
La caséine représente 80 % des protéines
du lait. La caséine constitue le coagulum qui donnera naissance,
après égouttage et maturation, au fromage.
Les protéines du lait peuvent être réparties
en deux catégories :
? les caséines (insoluble à pH: 4.6)
? les protéines du lactosérum (soluble à pH:
4.6)
L'appellation caséine regroupe en fait quatre
protéines majeures : les caséines OEs1, OEs2, f3 et K et des
protéines mineures (existant en plus faibles quantités) ainsi que
des composants issus de l'hydrolyse de la caséine f3 par la plasmine
(ã caséines et protéase-peptones). La micelle de
caséine est une particule sphérique d'un diamètre de 150
à 200 nm (Ado, 2017).
Chez les mammifères, elles permettent la transmission
des nutriments, et particulièrement de minéraux de la mère
à sa progéniture. Les caséines sont des protéines
phosphorylées et naturellement riches en minéraux. De plus, elles
sont principalement associées au phosphate de calcium qui est
indispensable pour le développement des os. Les concentrations en
calcium dans le lait sont si importantes que sans la présence des
caséines celui-ci précipiterait (McMahon et Brown, 2010).
16
II.2.7.2.1. Structure de la caséine
Jusqu'à maintenant, on a proposé
différents modèles structuraux de micelles et il semble clair que
les micelles sont formées de sous-micelles reliées ensemble par
des ponts phosphate de calcium. Les sous-micelles périphériques
sont plus hydrophiles et contiennent une plus grande proportion de
K-caséine.
La submicelle de caséine n'a pas une structure
homogène (Figure 4). Elle possède un coeur hydrophobe
constitué par la caséine f3 associée aux parties
hydrophobes des autres caséines. En périphérie, on
retrouve les parties hydrophiles des différentes caséines (partie
phosphorylée pour les caséines áS1 et S2) ainsi que la
partie glycosylée de la caséine K. La caséine kappa serait
susceptible de stabiliser 10 fois son propre poids en caséine
áS1, áS2 et f3 (Soumeya, 2017).
Figure 4 : Structure de la micelle de la caséine
(Amiot et al., 2002).
II.2.7.2.2. Les différents modèles
structuraux des micelles
De nombreux modèles ont été
proposés au fur et à mesure de l'avancée des connaissances
sur les caractéristiques physico-chimiques des micelles de
caséine. Ces modèles reposent sur des méthodologies
différentes et peuvent être classé en trois
catégories: les modèles coeur-enveloppe, les modèles
à sous unités et les modèles à structure ouverte
(Dalgleish et Corredig, 2012).
a. 17
Modèle coeur-enveloppe (Figure 5)
Cette modélisation (Waugh et al., 1970) est
basée d'une part, sur la présence de complexes constitués
de caséines áS et f3 au coeur de la micelle, capable de fixer le
calcium et d'autre part, sur la capacité de la caséine K à
stabiliser les caséines sensibles au calcium. En effet, en
présence de calcium, la précipitation des complexes áS-f3
est évitée par la formation de complexes áS1-k
situés en monocouche en surface de la micelle.
Figure 5. Modèle coeur-enveloppe
b. Modèle à sous unités (à
submicelles) (Figure 6)
La micelle serait composée de sous unités,
appelées submicelles de 10 à 20nm de diamètre qui seraient
l'unité de base de la macrostructure. Ces submicelles sont
structurées comme dans le modèle de Waugh, mais elles sont
reliées entre elles par du phosphate de calcium colloïdal (Schmidt
et al., 1982).
Figure 6. Modèle à sous unités
(à submicelles)
c. 18
Modèle à structure ouverte (Figure
7)
Le modèle à structure ouverte est basé
sur l'existence d'interactions spécifiques entre les caséines
individuelles, conduisant à la formation d'un gel protéique
poreux, dont le phosphate de calcium ferait partie intégrante et ne
serait plus un simple agent de pontage. Cette modélisation
rétablit la notion d'une répartition plus homogène des
caséines au sein de la micelle avec, non seulement la présence de
la caséine K à la surface des micelles, mais aussi celle de
caséines á et â (Holt, 1992).
Figure 7. Modèle à structure
ouverte
d. Modèle à double liaison
(Figure 8)
C'est un modèle basé sur la
polymérisation du réseau caséinique. Il s'agit d'un
assemblage de caséines individuelles par des liaisons hydrophobes et des
ponts de phosphate de calcium colloïdal. La formation et
l'intégrité des micelles sont contrôlées par un
équilibre entre les forces attractives et répulsives des micelles
de caséines (forces hydrophobes, forces électrostatiques). D'un
autre côté, du fait que la caséine k ne peut avoir que des
liaisons hydrophobes avec les autres caséines, elle semble agir comme
une chaîne terminale (superficielle) stabilisante (Horne, 2002).
19
Figure 8. Modèle à double
liaison
La formation et l'organisation de la micelle de caséine
implique des liaisons de nature hydrophobe et des liaisons
électrostatiques entre les caséines. Les liaisons
résultant de l'affinité entre les groupements
phosphoséryls et les ions calcium et magnésium interviennent
aussi (Brule et al., 1997). La structure et les propriétés de la
micelle de caséine ont été largement
étudiées en raison de son rôle déterminant dans les
propriétés physico-chimiques du lait et des produits laitiers
(Ado, 2017).
|