1.5. LA REPRESENTATION DES FEMMES DE COULEURS ET SES
CONSEQUENCES.
Regardons nos classiques et réfléchissons, y'a
-t-il un personnage féminin de couleur ? Nous ne pourrions pas en citer
beaucoup. Les femmes et les personnes de couleurs sont déjà
sous-représentées, alors imaginez les femmes de couleurs. Il est
difficile de trouver une femme noire, magrébine ou issue d'autre
minorité dans un film. Lorsqu'il y en a une, elle est souvent
caractérisée par des stéréotypes raciaux. Nous
allons parcourir ensemble les différents tropes dans lequel sont
enfermées ces femmes.
Commençons avec la minorité la plus
présente aux Etats Unis. Par conséquent, elle a plus de
représentation que les autres. Nous allons nous pencher sur la «
Strong Black Women » ou la femme noire forte. Elle a été
initialement créée par les femmes noires afin de
démanteler les trois autres tropes fortement réducteurs qui
régnaient sur le cinéma américain. Le premier étant
« The Mamy », en français, la Mama est une esclave ou une
servante pour une famille blanche. Elle est toujours souriante et elle aime
servir cette famille.
Suivie de près par « The Jezebel » ou
Jezabél, selon l'histoire biblique, est sexuellement insatiable et elle
éprouve des désirs animaux. Ce cliché a donc souvent
été utilisé pour justifier les abus sexuels que les
propriétaires d'esclaves faisaient subir aux femmes noires.
Arrive ensuite « The Angry Black Women » ou la femme
noire en colère, représentée comme masculine, elle
s'exprime fort et s'énerve vite. Ce trope reflète la peur de la
société de cette colère que peut éprouver la femme
noire. Ce qualificatif est utilisé à tort et à travers.
15
Notamment pour la réduire chaque fois qu'elle tente de
mettre la lumière sur les discriminations auxquelles elle fait face au
quotidien. Ce qui la pousse à devoir supprimer ses émotions pour
éviter d'être catégorisée et invalidée.
Shuri dans « Black Panther »
Vers les années 50- 60, prend place la femme noire
forte en même temps que la fin de l'apartheid américain. Elle est
de nature nourricière, elle aide les autres jusqu'à ignorer ses
propres besoins et elle a un grand sens de la morale. Durant sa vie, elle a
subi toutes sortes de traumas et a su surpasser tous les obstacles.
Représentée comme femme surhumaine voire fantastique. Nous
pouvons parfaitement lui appliquer le slogan « ce qui ne nous tue pas nous
rend plus fort ». Nous pensons donc aux femmes noires immunisées
contre la peine. Alors nous n'avons pas besoin de changer le système car
elle peut tout endurer et elle ira toujours bien. Cette manière de
penser en plus d'être moralement fausse à de graves
conséquences sur la santé mentale et physique des femmes noires.
En effet, elles ont le taux le plus élevé de dépression
tout en étant sous-traitées. Elles n'ont pas le même
accès aux soins qu'une personne blanche. Beaucoup de médecins ont
cette idée erronée, perpétuée encore plus par ce
trope, que les personnes noires sont plus résistantes. Malgré
cela, ce trope plait. L'audience aime voir la femme noire
représentée de cette façon. La preuve, sur douze femmes
noires nominées pour l'oscar de la meilleure actrice depuis la
création de la cérémonie, huit l'étaient pour des
rôles de « Strong Black women ». Ce trope est un second
personnage qui est là pour épauler le premier rôle blanc.
Son personnage n'est pas traité en profondeur ni dans toute sa
complexité. Elle nous est présentée pour ce qu'elle fait
et non pour ce qu'elle est. Nous ne connaissons jamais ce qui se passe dans sa
vie personnelle. Finalement bien que cette représentation renvoie une
bonne image de la femme noire, elle n'a pas fait beaucoup pour améliorer
la condition de celle-ci.
Vers 2010, nous avons eu droit à une autre
représentation beaucoup plus positive de la femme noire. « The
Quirky/ Awkward Black Girl » ou la fille noire excentrique/ bizarre. Ce
trope, lui aussi créé par des femmes noires, pour se
libérer des trois autres tropes originels, fait son apparition avec la
websérie « The Mis-Adventure of Awckward Black Girl » d'Issa
Rae qui est
Issa Dee et Molly Carter dans « Insecure
,,
16
d'ailleurs aujourd'hui devenue réalisatrice. Cet
archétype dépeint les femmes noires de manières
multidimensionnelles. Il ne les laisse plus dans le rôle de personnage
solidaire au protagoniste principal blanc. Il n'est donc pas comparable au
trope de la meilleure amie noire. La femme noire excentrique appartient
à la classe moyenne et elle a grandi dans un quartier
majoritairement blanc. Elle sera souvent la seule personne
noire de son groupe d'amis, ce qui n'exclut pas qu'il y ait quand même de
la diversité. Elle a des centres d'intérêts qui ne sont pas
habituellement attribués aux noirs. Elle offre une représentation
plus inclusive et réaliste.
Marisa Ventura dans « Coup de foudre à
Manhattan ,,
La « spicy latina », ou l'exotique femme
d'Amérique latine, incarne la femme volatile et sexuelle. Elle est
voluptueuse, porte des vêtements moulants et peu couvrant. Elle a des
cheveux foncés, une peau olive et une bouche pulpeuse. Elle a un fort
caractère, parle sans filtre, elle est bruyante. Elle représente
un fantasme de l'homme blanc, américain. La rumeur est qu'elle volera
ton homme juste parce qu'elle en a le pouvoir. Le mythe de la « spicy
latina » a commencé dès le XIXe siècle avec le film
« Carmen ». Carmen est une jeune femme libre et intense qui
séduit un soldat américain. Cette passion va amener la jeune
fille à le tuer. Cette image sera ensuite perpétuée avec
la montée du Vaudeville et des salles de bal. Les femmes latines seront
surnommées « Spicy Senoritas » ou « Hot Tamales ».
Sous-entendu, qu'elles sont agréables mais douloureuses à aimer
car elles ne sont pas dignes de confiance. Les grandes actrices qui ont
joué ce rôle à répétition se sont
retrouvées marginalisées lorsque ce personnage a cessé
d'être à la mode. Elles se sont retrouvées sans autre
proposition de film. Elles sont mortes jeunes, d'alcoolisme ou en se suicidant,
accentuant une autre caractéristique de la « spicy latina »
qui se sabote. Bien plus tard, nous avons vu apparaitre une variante de ce
trope la « life changing bombshel latina ». Celle-ci, souvent issue
de la classe ouvrière apparait dans la vie d'un homme blanc plus
fortuné. Par exemple, sous l'apparence d'une femme de ménage
invisible qui attend d'être
Rosa Diaz et Amy Santiago dans « Brooklyn 99
»
17
sauvée. Elle apparait souvent en opposition avec la femme
blanche de celui-ci qui est froide et fausse. Elle représente le
désir de l'homme. Malgré sa personnalité imposante, la
« spicy latina » est le plus souvent un second rôle, là
pour encourager les autres et les inciter à se défendre eux
même. Le problème de ce type de trope c'est qu'il pousse toutes
les femmes d'une même origine à s'identifier à un
personnage qui pose des standards impossibles. Il pousse les femmes latines
à s'hyper sexualiser à un très jeune âge. Elles
apporteront une forte importance à leur apparence ce qui peut provoquer
des problèmes d'anxiété, de dysmorphie et d'alimentation
de type anorexie et boulimie. Ils poussent aussi les hommes à les
réduire à leurs corps. 77% des femmes d'origine latine
déclarent avoir subi des agressions sexuelles sur leur lieu de travail.
Si cette femme reste sous représentée, nous pouvons voir des
évolutions quant aux rôles qui lui sont présentés
comme dans « Brooklyn 99 » avec Rosa Diaz et Amy Santiago.
La « model minority » ou la minorité
exemplaire, ce trope-ci vise les personnes asiatiques mais concentrons-nous sur
les femmes. La « model minority » travaille dure. Elle est
naturellement intelligente, souvent mal à l'aise en
société. Elle suit les règles qui lui sont
imposées. Mais malgré ses aptitudes, elle ne représente
jamais une menace pour le premier rôle blanc. Elle lui apporte
plutôt un soutien. Ce trope ne challenge pas la hiérarchie raciale
et promeut l'idée erronée que le racisme peut être
surmonté en travaillant dur. Ce qui offre une justification aux
discriminations que peuvent subir d'autres minorités ethniques.
Représentant les asiatiques comme les bons immigrés, cela
créé un fossé entre ceux qui sont perçus comme des
voyous, membres de gang comme les noirs ou les latinos aux Etats Unis.
Malgré leur bonne image, nous constatons que ces minorités
exemplaires ne tendent pas à évoluer professionnellement. Elles
restent coincées sous un plafond de verre. Ce trait de soumission se
retrouve chez un autre trope qui colle aux femmes asiatiques. « The Asian
Hooker » ou la prostituée asiatique, celui-ci n'a aucun
découlé positif sur les femmes asiatiques. Il est même
18
|
une des causes des violentes agressions auxquelles font face
les femmes asiatiques surtout aux Etats Unis dernièrement. Ce
stéréotype fait son entrée dans les années
1960-1970 avec l'arrivée des forces militaires américaines en
Asie. Les soldats allaient chercher du réconfort chez les femmes de
ces
|
« Full Metal Jacket »
|
Devi Vishwakumar dans « Never Have I Ever
»
pays en développement qui vendaient leurs corps afin de
subvenir à leurs besoins. La femme asiatique est réduite à
son appareil génital et tous les clichés qui l'entourent comme sa
petitesse. Quarante-et-une femmes asiatiques vivants dans une
société occidentale sur soixante-six ont déjà subi
des violences physiques ou sexuelles par un partenaire. Il est difficile
d'améliorer le trope de la prostituée asiatique. Par contre, nous
avons vu une large amélioration quant à la « model minority
» qui a eu droit à ses propres séries ou films. Comme dans
« Never Have I Ever », où Devi Vishwakumar, le personnage
principal vit sa vie de lycéenne. Même si, elle rêve d'aller
à Princeton, une grande université, sa personnalité ne se
résume pas à ça. Nous voyons le personnage dans toute sa
complexité et contrairement à ses prédécesseurs,
elle est triste, en colère et a les mêmes centre
d'intérêts que les filles de son âge.
La dernière femme de couleur que nous allons passer en
revue est la femme arabe/ maghrébine/ musulmane, car le cinéma
occidental ne fait pas la différence entre les cultures ou la religion.
Comme nous avons pu le voir avec la princesse Disney, Jasmine, où le
moyen orient et la culture arabe se mélangent. Les repères
spatio-temporels et identitaires sont confondus. Le seul point commun entre ces
cultures est le rattachement à l'Islam. Nous remarquons que toutes ces
femmes, pratiquantes ou non, tombent dans le trope de la femme musulmane
opprimée. L'histoire se déroule en général de cette
façon : tout allait bien, puis cette femme va rentrer dans un milieu
majoritairement blanc que ce soit une école ou simplement le pays. Elle
rencontre un homme blanc, si elle porte le foulard elle le retira pour
19
|
celui-ci, si elle ne le porte pas elle se rebellera d'une
autre manière. Dans les deux cas, c'est présenté comme une
volonté de s'émanciper puisqu'auparavant, elle était
soumise aux hommes de sa famille et sa religion. Ce trope a des
conséquences directes sur notre société. Nous l'avons vu
dernièrement en Belgique avec l'arrêt autorisant les hautes
écoles et universités à prohiber le
|
Nadia dans « Elite »
|
port du voile. Ce qui pousse les femmes musulmanes qui ont
décidé de se voiler à choisir une école, non pas en
fonction de leurs études mais en fonction de la liberté
d'exister. La femme musulmane oppressée permet une justification
à l'islamophobie de nombreux dirigeants politiques. Ils
prétendent protéger les jeunes filles de la pression familiale
excluant l'idée que cela pourrait simplement être un choix
religieux.
Finalement, le cinéma doit contrôler les
différentes images qu'il renvoie de la femme car celles-ci ont des
conséquences au quotidien. Le but n'étant jamais de supprimer ces
tropes mais toujours de les nuancer et de permettre un développement aux
personnages qui les incarne. Un seul cliché perpétué par
le cinéma influence toute la vision d'une société sur une
femme d'une certaine ethnie et dicte les comportements à adopter avec
celle-ci.
DEUXIEME PARTIE
2.2.1. LE CINEMA VU PAR LES HOMMES
A ce stade-ci, nous nous demandons sûrement pourquoi les
femmes sont-elles si mal dépeintes ? Pourquoi l'image renvoyée
est souvent très éloigné de la réalité ?
Pour faire court, la réponse est le « male gaze », traduit par
le regard masculin. Ce concept a été théorisé en
1975 par l'écrivaine Laura Mulvey. Il s'agit de la manière dont
l'homme va regarder puis filmer la femme comme un objet du désir. Les
hommes étant plus présents à tous les niveaux du
cinéma. Le regard masculin est posé comme la base, le regard
neutre. Ce qui participe au renforcement de la domination masculine
générale. Les personnages féminins sont regardés
à travers trois visions : celle du personnage masculin, celle de l'homme
derrière la caméra et
20
celle du spectateur masculin. Le « male gaze » se
caractérise par de longues scènes de sexe injustifiées,
des plans se concentrant sur une seule partie du corps de la femme. Son corps
est toujours montré avant son visage. Nous précisons que seules
les femmes sont sexualisées, la caméra ne s'attarde pas sur les
atouts des acteurs masculins. Les corps représentés sont toujours
conventionnellement attirants ; pas de bourrelets, pas de poils ni de
vergetures. Même lorsque le personnage féminin est au plus bas,
elle sera toujours présentable et même maquillée. Ce qui
pousse certaines femmes à mépriser leur corps qui n'atteint pas
ce niveau de perfection irréaliste. Au sein d'un même film deux
femmes ne seront pas filmées de la même manière, le premier
rôle sera montré comme belle tandis que sa meilleure amie sera
dépeinte comme banale. Un autre trait propre au male gaze est la
scopophilie, le plaisir de voyeurisme. L'homme regarde la femme sans que
celle-ci le voit, à travers une serrure ou grâce à des
jumelles. Cela nous apprend à prendre du plaisir en objectivant les
femmes. Dans cette position, l'homme à le pouvoir, cela fait partie de
notre intégration de la domination masculine. Tous ces réflexes
qu'ont les réalisateurs ont tendance à déshumaniser la
femme.
|
Le réalisateur enchainé au male gaze est
Abdelatif Kechiche qui relance le débat à la sortie de chacun de
ses films. Les corps de femmes ont toujours été présents
dans son travail, ils sont devenus son empreinte. Ses dernières oeuvres
peuvent se résumer à une masse de courbes féminines. Nous
découvrons le
|
Abdelatif Kechiche et Hafzia Herzi
|
corps de Hafzia Herzi qui effectue une danse du ventre de
seize minutes dans « La Graine et le Mulet ». Puis, il y a aussi les
nombreuses scènes de sexes entre Léa Seydoux et d'Adèle
Exarchopoulos dans « La Vie d'Adèle ». Les deux actrices
avaient critiqué les conditions difficiles de tournage. Kechiche obtient
ses plans naturels grâce à la stratégie de
l'épuisement. Une fois fatigués par les nombreuses prises, les
acteurs ne font plus attention aux caméras et se laissent aller dans
leurs jeux. Une manière de faire souvent questionnée, et sur
laquelle il ne souhaite plus s'exprimer. Le deuxième reproche fait
à ce film est le regard trop présent du réalisateur pour
une histoire de femmes. En effet, La Vie d'Adèle raconte un amour entre
deux jeunes filles et pourtant nous le regardons du point de vue de l'homme
derrière la caméra. Les scènes de sexes nous mettent mal
à l'aise puisqu'elles ne représentent pas vraiment deux femmes
prenant du plaisir mais plutôt comment un homme voudrait les regarder. Ce
« male gaze » reste omniprésent dans la suite de ses oeuvres
comme avec « Mektoub My Love : Canto
21
Uno », en 2017. Cette manière de filmer les femmes
nous parait logique au début du film puisque nous les regardons du point
de vue de Amin, le personnage principal. Pourtant, cette caméra
s'éloigne de son regard tout en continuant de sexualiser celles-ci (sauf
les mères) .Nous ne savons plus à qui nous identifier à
part à un regard d'homme en général. Les caméras de
Kechiche filment au plus près chaque mouvement des formes
féminines. Trop près, c'est ce qui est reproché au second
volume de la saga ; « Mektoub My Love : Intermezzo », dans lequel
nous comptons une totalité de 178 plans de fesses. Il a fait beaucoup de
bruit lors de son avant-première au festival de Cannes de 2019. En
partie à cause de la scène de sexe oral d'une longueur de douze
minutes. Ce film ne verra jamais le jour en dehors du festival. Au cours de sa
carrière, Abdellatif filme de plus en plus de femmes en les sexualisant
toujours plus mais refuse systématiquement de filmer le corps masculin
de cette façon. Le patriarcat est toujours plus présent au point
que les femmes du film ne savent plus parler entre elles, si ce n'est d'hommes.
Elles sont incapables de prendre des décisions pour elles-mêmes
lorsque l'une d'elle se retrouve face à une grossesse
non-désirée et elles sont incapables de jouir lors de ce fameux
cunnilingus. Globalement, le film représente bien le peu d'importance
accordé au consentement mais n'a pas pour but d'approfondir plus que
ça. Le film effleure les ennuis des femmes sans plus les
développer. Beaucoup décrivait le visionnage de « Mektoub My
Love : Intermezzo » comme éprouvant. Il réussit à
transmettre une forte émotion d'étouffement, de malaise et
d'épuisement. Est-ce que cela résulte du génie du
réalisateur ou de la lourdeur des images telles qu'elles nous lavent le
cerveau ?
2.1.2. L'AVENIR DU « MALE GAZE ».
Gardons l'exemple du film jamais distribué d'Abdellatif
Kechiche. Les avis le concernant étaient complètement
divisés entre l'ébahissement face au génie et le
dégoût face à tant de misogynie. Selon les uns, la
présence de tant de fesses et de seins garde un aspect esthétique
et brut à l'exécution. Ses défenseurs parlent d'art
radical, allant à l'encontre des règles de la bienséance
puisqu'il s'agit de cinéma presque pornographique. Abdellatif dit dans
la conférence de presse s'être inspiré de toutes les
statues de femmes bien en chaire présentes dans Paris et du code couleur
présent dans les toiles de Picasso (rouge, bleu et magenta). Ses
détracteurs quant à eux s'offusquent de la violence du «
male gaze », sexualisant et
Ophélie Beau
22
deshumanisant les femmes. Mais surtout de la différence
des prises de plans de femmes et d'hommes. Quand celles-ci sont filmées
jusque dans leur intimité, nous n'apercevons pas plus que le torse d'un
homme. La différence entre ces deux points de vue dépend de notre
interprétation. Bien sûr que le « male gaze » est
présent et il est d'autant plus dérangeant que nous ne
connaissons pas les conditions de travail des actrices. L'actrice
Ophélie Beau, qui recevait ce cunnilingus, n'est pas restée dans
la salle lors de la projection, pour une affaire de contrat non
respectée, elle n'était pas d'accord avec ce qu'elle allait voir.
C'est cela qui dérange le plus.
Le « male gaze » n'est pas si détestable
à condition de savoir l'identifier. Les réalisateurs et
réalisatrices ont tendance à le reproduire sans même s'en
rendre compte car c'est cette façon de filmer qui leur est
inculquée. Cela reste une manière de voir le monde et une valeur
esthétique non- négligeable dans le cinéma.
Malheureusement, le « male gaze » n'est pas sans effets secondaires.
Justement quels sont ces conséquences sur nos comportements ?
2.1.3. QUELLES SONT LES REPERCUSSIONS SUR NOS COMPORTEMENTS?
A force de regarder des histoires racontées d'un point
de vue masculin, nous finissons par inconsciemment internaliser ce regard. Nous
nous regardons sans cesse à travers un spectre et performons l'image que
nous avons appris comme plaisante pour l'homme. Nous agissons comme si nous
étions en permanence observés par un regard masculin. Nous sommes
conditionnés à rechercher la validation des hommes puisque
celui-ci à plus de valeur aux yeux de la société. Laura
Mulvey dit que se détacher de ce regard de spectateur masculin et de se
remettre dans sa peau de spectatrice, nous permet de prendre une distance,
d'avoir un regard critique sur le film et sur cette façon sexuelle
qu'ont les réalisateurs de filmer les femmes. Souvent cette
distanciation laisse place à du dégoût.
La domination du « male gaze » affecte aussi les
hommes lorsqu'ils vont tenter d'agir comme les personnages des films pour
attirer les femmes. Les hommes les voient comme des êtres
unidimensionnels et s'ils se comportent assez bien, elles tomberont amoureuses.
Pourtant dans la réalité, les femmes ne réagissent pas
comme les réalisateurs l'ont décidé. Elles ont d'autres
priorités que l'amour ou ne sont tout simplement pas
intéressées par le garçon en
23
question. Ces règles d'attraction des femmes aussi
été fixées par des hommes alors qu'ils sont loin
d'être les principaux concernés. Ceux-ci sont aussi
influencés par le « male gaze » mais au dépend des
femmes. Ils vont tenter de les blesser pour impressionner les autres hommes de
leur entourage. Nous nous retrouvons à devoir déconstruire ce que
les médias nous ont appris surtout en terme de relation homme-femme si
nous voulons avoir des rapports plus sains.
2.1.4. QUEL REGARD PORTE LA SOCIETE SUR LES ROLES FEMININS ?
|
Les femmes continuent à être sexualisées
car la société aime les voir dans cette position. En 2015, sort
le film « Mustang » de Deniz Gamze Ergüven, réalisatrice
franco-turque. Il raconte l'histoire de cinq soeurs qui évoluent en
Turquie, où à partir d'un certain âge, chacun de leur
mouvement et de leur parole sont vus comme sexuels. Les
|
Deniz Gamze Ergüven
|
actrices sont très belles et ne sont pas toujours fort
couvertes mais la caméra ne les sexualise jamais. Durant les interviews
françaises, la réalisatrice devait sans cesse se justifier. Elle
voulait éviter les étiquettes politiques car la
dénonciation de la situation des femmes en Turquie n'était pas
son but recherché. Elle voit son film comme un conte. Les journalistes
ne semblaient pas comprendre qu'une femme puisse faire un film pour l'art. Ils
pointaient sans cesse l'érotisme et la sensualité des actrices
qui sont pourtant toutes mineures dans le film et certaines dans la
réalité. Les chroniqueurs la coupaient lorsqu'elle parlait, la
prenaient de haut, essayaient de la convaincre que seul leur vision est la
bonne. Au final, il s'agissait d'un discours de sourds où on ne laisse
pas la chance aux femmes de se défendre ou de s'exprimer.3
Même lorsque le film est réalisé par une femme, sans
sexualiser ses actrices. Si elles rentrent dans les critères de
beauté, les gens auront tendance à les érotiser et feront
tout pour trouver une justification à cela. Nous pouvons comprendre par
cela que nous n'avons pas besoin d'être sexy pour être
sexualisée puisqu'une femme est avant tout vue comme un objet du
désir.
3 (Erguven, 2015)
2.2. LE CINEMA VU PAR LES FEMMES.
24
Comme nous l'avons vu dans l'historique, les femmes ont
toujours été présentes dans le septième art, par
déduction le regard des femmes aussi. Le « female gaze » a lui
aussi été étouffé au profit du « male gaze
» bien plus présent. Ce terme, comme son confrère, a
été introduit par Laura Mulvey. Le « female gaze » ne
doit pas forcément être créé par des femmes. Il
adopte pleinement le point de vue et l'expérience du personnage
féminin. Comme dans le Titanic, réalisé par James Cameron,
le film est raconté d'un point de vue féminin. Le « female
gaze » n'est pas là en opposition au « male gaze », il
est là pour apporter une nouvelle forme de cinéma. Les
spectatrices ne veulent pas que les rôles féminins remplacent ceux
des hommes dans leurs histoires, elles veulent avoir les leurs, où elles
sont écoutées et elles peuvent juste exister. Le « female
gaze » dépend énormément de la mise en scène,
les corps ne sont pas des objets fixes, ils sont en mouvement. La caméra
ne se concentre pas sur une partie sexuelle comme les fesses mais joue avec les
plans et nos sens. Le spectateur est actif dans son visionnage, là
où dans le male gaze on lui impose le plaisir scopophile. Il va
participer à l'expérience cinématographique par des
techniques qui activent le regard tel que l'adresse directe à la
caméra, la voix off ou encore la caméra subjective qui prend le
point de vue directe de l'héroïne. Selon Iris Brey, pour savoir si
un film participe au « female gaze », nous devons nous poser les
questions suivantes : Est-ce que le personnage principal s'identifie en tant
que femme ? Est-ce que l'histoire est racontée du point de vue du
personnage principal féminin ? Est-ce que l'histoire remet en question
l'ordre patriarcal ? Est-ce que la mise en scène permet au spectateur
ou, à la spectatrice de ressentir l'expérience féminine ?
Si les corps sont érotisés, est-ce que le geste est
conscientisé ? Est-ce que le plaisir des spectateurs est produit par
autre chose qu'une pulsion scopique ?
|
Récemment, nous avons vu plusieurs films
réalisés avec un regard féminin. Des oeuvres comme «
Insecure », « Booksmart », « Le portrait de la jeune fille
en feu » et bien d'autres. Nous voyons à quel point deux histoires
peuvent être racontées différemment en fonction du regard.
Comme le personnage de Harley Quinn qui est présent dans « Suicide
Squad », film réalisé avec un regard masculin. Puis, elle a
droit à sa propre oeuvre
|
cinématographique dans « Birds of Prey »,
réalisé avec un regard féminin. Les deux
interprétations sont complétement différentes. Dans «
Birds of Prey », Harley Quinn a la possibilité d'être
complètement elle-même, d'exprimer sa bizarrerie sans être
sexualisée et d'être sujette au voyeurisme. Le « female gaze
» permet aux jeunes filles de se construire par un regard de femme et non
dans le but de plaire aux hommes comme le pousse le male gaze.
25
Harley Quinn dans « Birds of Prey " Harley Quinn
dans « Suicide
Squad "
|