Assurance de responsabilite des aéronefs immatricules en République Démocratique du Congopar Patient Ibrahim SUMAÏLI Université de Kisangani - Droit Économique et Social 2018 |
SECTION 1er : Raisons instituées pour retenir l'assureur congolaisAu moment où l'Afrique traverse une crise économique d'une rare violence, le secteur des assurances ne semble pas donner la pleine mesure de son potentiel dans la relance économique. En Europe ou aux Etats-Unis pourtant, le secteur des assurances, brasse des sommes hallucinantes qui irriguent les économies de l'occident24(*).Aux États-Unis, on les appelle les « Pension réserves investment trust «. En 1996, ces compagnies d'assurance géraient 1 240 milliards de dollars (plus de 4 fois le budget de la France) pour le compte des seuls fonds de pension américains25(*). De nombreux facteurs limitent encore le rôle du secteur de l'assurance comme l'un des principaux moteur de l`économie africaine. Ces facteurs sont favorisés par le marché financier embryonnaire, une législation pas toujours à la hauteur et la surface financière des assureurs africains constituent des freins au plein épanouissement de ce pan stratégique de l`économie en Afrique. Les raisons avancées par législateur congolais d'imposer aux transporteurs aériens immatriculés en RDC de souscrire une police d'assurance de responsabilité auprès d'un assureur congolais ne sont pas clairement exprimées dans le Code des Assurances mais en recherchant l'esprit du législateur dans l'analyse de l'exposé des motifs de la loi n°15/005 du 17 mars 2015 portant le code des assurances, il y a lieu de constater les raisons avancées par le législateur sont de faire de l'assurance, un secteur qui suscite une épargne collective qui, étant investi au service de l'économie nationale, contribue fortement au développement de pays et aussi de rapprocher les victimes des assureurs couvrant les dommages de leurs redevables. Ainsi, nous allons donner en détail l'esprit du législateur en optant l'assureur congolais pour la souscription d'une assurance obligatoire26(*).Premièrement, la contribution économique de l'assurance dans notre pays, l'assurance permet la stabilité des affaires et la poursuite de l'activité économique. L'indemnisation des entreprises sinistrées permet à celles-ci de poursuivre tant bien que mal leur activité économique et à leur personnel (cadres, employés, ouvriers) de garder leur emploi. Si les propriétaires des compagnies immatriculées en RDC et qui ont connus des crashs, avaient la présence d'esprit de conclure un contrat d'assurance, elles auraient dédommagés les victimes et pourraient très rapidement poursuivre leur activité économique et une grande partie de leur personnel pourrait garder leur emploi. Dans le cas contraire, ces entreprises prendront beaucoup de temps pour se relever et il faudra bien entendu trouver les fonds nécessaires pour réinvestir dans le secteur aérien, par exemple, très important sur le plan économique pour l'avenir du Congo. Selon le quotidien « L'Editorial », dans un article intitulé : « La fuite des investissements en RDC27(*)», l'auteur nous apprend que « l'économie de la RDC perd des milliards chaque année étant donné qu'avec sa forme semi-continentale, la RDC pourrait bénéficier des investissements étrangers dans le domaine aérien... ». On comprend dès lors la nécessité et l'urgence de mettre en place des outils privés et publics de gestion des risques aériens. Cependant, ayons tout de même à l'esprit que la mise en place d'un système d'assurance aérienne (assurance de responsabilité civile des transporteurs aériens...), se heurtera à une multitude de contraintes structurelles presque insurmontables en RDC, en particulier en termes de crédit, ou plus largement en termes de services financiers en général ou en termes de politiques publiques inadaptées ou inexistantes dans ce domaine, ou en termes d'organisation de l'Etat (par exemple, problème récurrent d'identification des citoyens de manière certaine et irréfutable). L'analyse des facteurs intrinsèques à une société qui peuvent entraver le développement d'un système d'assurance (ou l'empêcher de naître), celui-ci exige des pré requis fondamentaux. Lorsque des entreprises ayant souscrit un contrat d'assurance sont indemnisées après un sinistre, l'Etat y trouve aussi son compte. En effet, il pourra continuer à prélever des taxes et impôts sans lesquels il ne peut remplir sa mission. L'assurance permet ainsi de développer l'activité économique et sociale en permettant à l'Etat d'aider par exemple les entreprises en difficulté ou les personnes les plus démunies, de construire des écoles, des universités, des hôpitaux...ou contribuer à mettre en place un système de micro assurance agricole au profit des agriculteurs28(*). Bref, l'assurance contribue grandement à la stabilité des affaires, au développement économique et à l'expansion de la classe moyenne. Deuxièmement, l'assurance contribue à une accumulation efficace du capital étant donné que les entreprises d'assurances ont généralement à leur disposition une masse énorme d'argent constituée par les primes payées par les souscripteurs. Celles-ci sont payées à l'avance et les indemnités d'assurance ne seront versées qu'après la survenance du sinistre ou à la date fixée par le contrat29(*). C'est l'inversion du cycle de production, caractéristique de l'activité d'assurance. Il y a donc très souvent des cas où il existe un certain décalage (qui peut être très important comme dans le cas des contrats d'assurance-vie) entre la collecte des primes d'assurances et l'indemnisation des sinistres. Les entreprises d'assurances constituent ce qu'on appelle des « réserves » qui leur permettent de faire face à leurs engagements futurs. Elles disposent donc d'une capacité de financement par les placements qu'ils doivent faire et selon les modalités prévues par les différentes législations sur les assurances. Elles favorisent la formation du capital par l'accumulation de pools de capitaux investis dans des actifs réels et financiers. Les fonds peuvent être investis dans plusieurs autres domaines, comme dans le secteur industriel, les projets de quartiers, les projets de développement, la création d'entreprises, d'hôpitaux... que ce soit à l'étranger ou sur le territoire national. Ces investissements participent à la croissance de l'économie nationale et de l'emploi. En France, par exemple, les entreprises d'assurances injectent chaque année des centaines de millions d'euros dans l'économie française selon des normes prudentielles assez strictes et selon les orientations du ministère de l'Economie et des Finances. Au deuxième trimestre de l'année 2015 par exemple, l'encours total des placements financiers des entreprises d'assurances exerçant l'activité non-vie, s'élevait à environ 210 milliards d'euros30(*). Troisièmement, l'assurance est un outil favorisant l'investissement, l'innovation, le progrès technique et la prise de risque. L'activité d'assurance consistant à transférer à l'assureur les conséquences de la survenance d'un risque que le souscripteur refuse de prendre en charge, ce mécanisme permet d'encourager l'activité technique dans des domaines plus risqués et plus rentables pour l'investisseur ou l'entrepreneur en souscrivant par exemple un contrat d'assurance responsabilité civile. Cela leur permet de réduire les risques et ils ont ainsi moins de crainte pour engager des fonds. L'assurance contribue ainsi très largement à favoriser les investissements notamment dans des secteurs de pointe. On peut affirmer que l'assurance favorise la création d'une grande quantité d'activités qui n'auraient jamais été entreprises sans la sécurité et la garantie qu'elle fournit. On peut parler de la conquête de l'espace, la recherche de nouvelles formes d'énergie comme le gaz de schiste par exemple, la pratique des sports dangereux, l'utilisation de nouveaux modes de transport comme les recherches entreprises actuellement par les grands constructeurs automobiles dans le domaine des voitures autonomes sans chauffeur. L'assurance favorise ainsi l'innovation, les progrès techniques, la sécurisation des investissements. Cela contribue énormément au progrès économique et social, à la croissance et au développement31(*). On peut donc sereinement adhérer aux propos de Denis KESSLER qui estime que : « ...en réduisant les conséquences négatives de l'occurrence des risques sur le patrimoine (assurance de dommages) et sur le patrimoine humain (assurance-vie), l'assurance parvient à être un puissant générateur de sécurité, propice à la poursuite et à l'essor des activités économiques et sociales, au bon déroulement des contrats de toute nature, à la réduction des disparités issues nécessairement du régime généralisé de l'aléa »32(*). Quatrièmement, le législateur congolais a donc compris le rôle social, créateur et économique de l'assurance. Ainsi, le législateur n'a pas explicitement évoqué qui lui a poussé de ne retenir que l'assureur congolais, il a tout simplement compris que le secteur de l'assurance dispose non seulement de nombreux outils pour gérer les risques - traitement statistique des données, mutualisation des risques, diversification...mais aussi ce secteur participe doublement au développement d'un pays : grâce à cette maîtrise des risques, les individus et les institutions disposent d'une meilleure couverture face aux aléas de la vie ; la gestion de l'épargne dégagée par le versement des primes d'assurance contribue au financement de l'économie33(*). Le but de cette prescription est développer ce secteur étant donné qu'il est devenu de plus en plus indispensable aujourd'hui à la vie en société. Cependant, malgré des efforts très notables qui ont été constatés dans les pays du Maghreb, du Moyen-Orient et certains pays d'Afrique et caribéens, le développement de l'assurance rencontre beaucoup de difficultés à s'imposer en République Démocratique du Congo. De part la fonction réparatrice de l'assurance, les assurances de responsabilité poursuivent un double objectif qui est non seulement de protéger le patrimoine de l'assuré ; en d'autres termes, dans le cadre d'un contrat, l'assureur lui offre sa garantie contre toute demande de réparation provenant d'un tiers, non partie au contrat, à qui il aurait causé un dommage. L'assureur paiera à la place de l'assuré, mais aussi de garantir à la victime éventuelle des dommages causés par l'assuré une juste et équitable réparation en toute rapidité. Supposons que la CAA cause un dommage à Joëlle. Celle-ci a le droit de se retourner contre la compagnie pour exiger réparation conformément aux règles classiques du Code civil. Supposons que la CAA soit insolvable, Joëlle n'obtiendra pas réparation et, normalement, l'affaire devrait s'arrêter là. Pour contourner cette situation ubuesque, les législations sur les assurances vont obliger la CAA à souscrire une assurance responsabilité civile, de telle sorte que si par malheur, elle cause un dommage à un tiers, par exemple à Joëlle, étant donné qu'elle est assurée en responsabilité civile chez l'assureur SONAS, c'est celui-ci qui paiera à sa place. Ainsi, Joëlle sera indemnisée par SONAS à partir du moment où la responsabilité de la CAA est établie. L'assurance consiste donc en un mécanisme qui permet de garantir à la victime d'un dommage une juste et équitable réparation. Les législations sur les assurances reconnaissent généralement à la victime d'un dommage le droit d'agir directement contre l'assureur du responsable de ce dommage, par le biais d'une action directe exercée contre lui. Dans notre exemple, le fait que Joëlle ne soit pas partie au contrat d'assurance responsabilité civile conclu entre la CAA et la SONAS importe peu, elle est quand même fondée à exercer une action directe contre la SONAS pour obtenir réparation. Toutes les assurances de responsabilité civile fonctionnent de cette manière. Le caractère parfois obligatoire de ce type d'assurances doit être compris non pas dans la volonté de protéger à tout prix le patrimoine du souscripteur-assuré mais dans celle de la protection du tiers lésé. Dans le cadre de l'assurance responsabilité civile des transporteurs aériens, les législateurs ont rendu cette assurance obligatoire dans tous les pays pour être certains que lorsqu'un aéronef cause des dommages à un tiers dans la navigation, celui-ci obtienne réparation. Ils lui reconnaissent le droit d'agir directement contre l'assureur du transporteur qui, normalement, a souscrit un contrat d'assurance34(*). Cependant, le législateur congolais a constaté un manque de réparation en cas d'un assureur étranger d'où la nécessité d'obliger les transporteurs aériens congolais de souscrire auprès d'un assureur congolais. Il s'agit, à notre avis, de donner un maximum de chance au tiers lésé pour obtenir une complète et rapide réparation. Il s'agit là de la motivation intellectuelle du législateur qui cherche à prendre toutes les précautions pour faciliter une indemnisation rapide des victimes. Cette indemnisation vient, bien évidemment après la déclaration de sinistre de l'assuré. Au-delà de ces obligations de déclaration et d'indemnisation à charge des deux parties, on s'est rendu compte et certaines études l'ont confirmé, que l'assuré voit dans l'assureur une sorte de dispensateur de conseils de toutes sortes relatifs à la sécurité, au bien-être, à la prévoyance et à la gestion des risques. Et, il faut le dire, personne ne peut mieux que l'assureur, résidant en RDC, pour répondre à cette attente des assurés. En effet, il dispose à cet égard de deux atouts fondamentaux : - il dispose de beaucoup d'informations statistiques sur le déroulement et sur les multiples causes des sinistres antérieurs et - il collabore avec des spécialistes, des experts des consultants de toutes disciplines qui peuvent, le cas échéant, l'aider à divulguer ces informations sous forme de conseils aux assurés. Dès lors, pourquoi ne pas mettre ces informations à la disposition des assurés afin de tenter de diminuer le nombre et l'importance des sinistres ? Les entreprises d'assurances ont intérêt à aller dans ce sens pour plusieurs raisons, afin : - de promouvoir une assurance éthique; - d'obtenir la confiance de l'assuré : celui-ci se sentira fier d'appartenir à cette communauté qui, dans un certain sens, agit dans l'intérêt général; - d'avoir une image positive dans la société. Il faut noter qu'une diminution des accidents de la route, du nombre de morts et de blessés, par exemple, a un impact certain sur le budget de la sécurité sociale d'un pays. Par ailleurs, une baisse des accidents a aussi un impact positif sur le budget des entreprises d'assurances et peut entraîner une baisse des cotisations. Pour toutes ces raisons décrites plus haut, on peut constater que dans beaucoup de pays, les entreprises d'assurances s'impliquent de plus en plus dans la prévention des sinistres et la réduction des risques dans des domaines divers : - la sécurité routière; - la prévention contre les incendies; - la prévention contre les accidents de travail; - la prévention contre les maladies professionnelles; - la prévention contre les accidents domestiques; - la prévention contre la détention de produits dangereux; La liste citée n'est évidemment pas exhaustive. Il n'existe pas un secteur ou une branche d'activité qui doit être exclu(e) des champs d'intervention des entreprises d'assurances en ce qui concerne la prévention des sinistres, la gestion et la réduction des risques. * 24Manuel international de l'assurance, Ecole Nationale d'assurance de Paris, Economica 2005 * 25Carnet de presse de la Libération, quotidien du 25 avril 2014. * 26Libération quotidien, op. cit. * 27 Article publié le 12 mai 2016. * 28Manuel de la CIMA, publié sur https://www.journalohada.com, site consulté le 14 avril 2018. * 29Manuel international de l'assurance, Ecole Nationale d'assurance de Paris, Economica 2005. * 30Manuel international de l'assurance, op. cit ;page 24. * 31Manuel international de l'assurance, Ecole Nationale d'assurance de Paris, Economica 2005 * 32Les grands principes de l'assurance, 2010, Ed. Argus de l'assurance. * 33François Couilbault, assurances de personnes, 2015, Ed. Argus de l'assurance * 34Marcel Fontaine, Droit des assurances, Ed. Larcier, 2016. |
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