§2 Le Conflit Tchétchéno-Russes.
Depuis 1994, le conflit tchétchène a
dépassé largement le cadre d'un séparatisme
ethno-périphérique banal, caractéristique presque
inévitable pour les grands pays multiethniques. Après la
dislocation de l'URSS, en 1991, les affrontements
Tchétchéno-russes (1994-1996-1999-2001) sont devenus
l'événement d'importance géopolitique majeure dans
l'espace post-soviétique.74
Deux facteurs ont contribué à la
médiatisation à l'échelle globale du conflit
tchétchène. Le premier était l'accès des
médias, russes et étrangers, à la
Tchétchénie, le second étant l'avènement de
nouveaux moyens de communication, permettant de transmettre en direct avec le
minimum d'équipement des images et des reportages à travers le
monde entier. C'est alors qu'un espace planétaire virtuel sous le nom de
"village mondial" voit le jour. L'avènement de l'Internet a
coïncidé avec la globalisation du conflit tchétchène,
et ce n'était pas un hasard.
Il est utile de rappeler que le changement radical de
l'attitude de la Maison Blanche s'est produit, après ce que Bill Clinton
a vu des images d'un orphelinat de Grozny, dévasté par les
bombardements russes. Ce conflit cesse d'être une "affaire
intérieure russe", puisque les droits de l'Homme y sont bafoués.
Les pertes parmi les civils tchétchènes ont bouleversé
l'opinion publique internationale qui a influencé les gouvernements
occidentaux, afin qu'ils exercent une pression sur Moscou. Il est difficile de
sous-évaluer les effets que les images violentes produisent sur les
centaines de millions d'habitants de "villageois mondiaux". Grâce au flux
tendu d'informations et à son accélération spectaculaire
(les mêmes clichés et la même information sont retransmis
dans le même instant sur les écrans de télévision et
sur les unes de journaux à travers le monde entier), le problème
tchétchène est rapidement devenu planétaire.
L'Occident commence à exercer la pression sur Moscou.
Il demande d'épargner les civils et de résoudre le conflit avec
des moyens politiques. Pour Moscou, l'opération militaire en
Tchétchénie est une affaire intérieure. L'ancienne
superpuissance perçoit toute ingérence comme l'humiliation,
imposée par les adversaires d'autrefois, et comme un soutien presque
direct aux séparatistes. Les relations russo-occidentales se tendent, se
refroidissent et enfin se détériorent. Le dossier
tchétchène devient un sujet incontournable de presque toutes les
négociations russo-occidentales. En même temps, l'attitude envers
la cause tchétchène se transforme en un sujet de politique
intérieure d'un certain nombre de pays. Par exemple, les
républicains et les démocrates aux Etats Unis s'opposent quant
à l'attitude à prendre vis-à-vis de
l'indépendantisme tchétchène, alors que les candidats
à la présidence française en 1995
devaient se prononcer sur ce sujet.
Le concept de "l'ingérence humanitaire", exprimé
et appliqué pour la première fois pendant la crise du Kosovo, en
1999, change la donne. La violation des droits de l'Homme est devenue
74 VIATCHESLAV AVIOUTSKI : Chercheur au centre de
Recherches et d'Analyses Géopolitiques à l'Université
Paris 8, co-auteurs d'un « Que sais-je ? » : « La
Tchétchénie », P.U.F, 1998
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inacceptable pour l'opinion publique internationale
occidentale, indépendamment de la distance que séparent le vieux
continent et les USA de l'endroit, où le conflit se déroule. On
parlait de "l'ingérence humanitaire" pendant la campagne de
l'armée russe, en automne 1999.
Qui plus est, le rejet par la société
occidentale des méthodes de Moscou pour régler l'affaire
tchétchène a creusé un fossé entre l'Europe, ce
"club d'anciens empires" (Michel Fouchet) et la Russie. Le non-respect des
droits d'une minorité ethnique confirmait que même dans sa
variante réduite la Russie demeurait un empire, donc un candidat
indésirable pour l'entrée à l'Union Européenne,
même à long terme. C'est une affaire paradoxale : grâce
à la démocratisation de la société russe, les
images horribles sur la guerre en Tchétchénie ont pu ainsi
être instrumentalisées, par "le village mondial", lequel a presque
immédiatement accusé la Russie de ne pas être
démocratique.
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