B.3 -- Analogie entre le Couronnement de la Vierge et la
robe Diva.
Tout au long de sa carrière, Jeanne Lanvin s'inspire
des tenues de Fra Angelico pour la création de ses modèles.
Cependant, dans les années 1930 une influence plus précise se
dessine au sujet de l'artiste italien. La couturière semble s'inspirer
directement340 du retable du Couronnement de la Vierge,
peint vers 1427-1429341 (ill. 42).
339 Photographie disponible à la bibliothèque
municipale Forney à Paris. Fonds Lanvin, dossier 1935 : Article «
l'Élégance chez soi », Plaisir de France, 1935, p.
45.
340 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 20.
341 Fra Angelico, Le Couronnement de la Vierge,
1434-1435, Retable, Tempera sur panneau, 213 x 211 cm, Musée du Louvre,
Paris.
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Cette oeuvre décrite plus tôt comme la plus
représentative de l'utilisation du bleu par l'artiste
italien342 est aussi l'oeuvre dont la couturière s'est le
plus inspirée pour les tenues. La peinture comporte une cinquantaine de
personnages. Ils sont tous habillés de manière différente,
et l'artiste apporte ici un grand soin à ses tenues. Le rendu des
matières, les broderies et les plis sont travaillés avec le plus
grand réalisme. La couturière réinterprète
précisément des tuniques des quatre principaux anges musiciens.
Ce sont deux anges de chaque côté de la Vierge et du Christ, un
ange habillé en rose et un autre vêtu de bleu. Bien
évidemment, le lien avec les tenues de Jeanne Lanvin est avant tout
perceptible avec les tenues bleues. La première tenue bleue est celle
à la gauche du tableau. Il s'agit d'une longue tunique bleue, avec des
manches longues. La taille est resserrée. Le vêtement est
décoré de motifs dorés sur tout le long de la tunique, et
de bandes dorées au niveau des manches et de deux bandes en bas de la
tunique. La deuxième tenue bleue est celle située à la
droite du tableau. Là aussi, il s'agit d'une longue tunique bleue avec
des manches longues et la taille resserrée. Le vêtement
présente aussi des motifs dorés, mais ceux-ci sont
différents. De fines bandes dorées semblent être
présentes sur toute la tenue. Il y a aussi de larges bandes
dorées au niveau des poignets, des manches et de la poitrine. Le bas est
décoré de deux bandes décoratives fines aux lignes
sinueuses. Malgré le fait que les deux tuniques soient dans le
même esprit, chaque tenue offre des différences de décor.
Les deux modèles roses sont dans le même style. La tenue est
longue avec le col haut et les manches jusqu'aux poignets. Par contre, seule la
tunique rose à la gauche du tableau semble avoir la taille
resserrée, celle de droite ne l'est pas, s'apparentant plus à une
tunique large. Les deux tenues sont aussi décorées de motifs
dorés, mais moins présents par rapport aux tenues bleues.
Jeanne Lanvin semble s'inspirer de ces tenues pour
différents modèles. Tout d'abord, le modèle
présenté en 1939 à l'Exposition universelle de New York.
Il s'agit de la robe l'Ange de 1939, et présenté dans la
collection Hiver de 1940343 (ill. 35 et 46). Elle est bleue, avec
des manches longues. La taille est resserrée par du ruban noué
à la taille dont les pans retombent de chaque côté de la
robe. En premier lieu, la coupe choisie par la couturière reprend
l'esprit des tuniques de Fra Angelico. Ensuite, la robe est
décorée de plusieurs motifs brodés. Ces motifs sont faits
de paillettes or et argent accompagnées de fils rouges. Les motifs sont
différents au-devant et au dos de la tenue. Les motifs s'inspirent
d'ornements religieux orthodoxes. Au niveau de la poitrine se trouve un motif
en forme de croix grecque. Sur le bas de la robe s'y trouvent trois autres
identiques, mais plus larges. Ensuite, chaque manche
342 FELICI, Lucio (dir.), Op. Cit., Notice sur Fra
Angelico.
343 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 261.
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comporte aussi un motif brodé. Les pans de la ceinture
sont tout le long décoré de motifs brodés. Au dos, le
retour des motifs brodés des manches est visible. Le dos ne comporte pas
de motifs brodés, il est juste uni. Par contre, le bas de la robe
comporte une dizaine de petits motifs brodés en forme de petites fleurs.
Pour ce modèle, la couturière semble s'inspirer directement des
tenues des anges présents dans le Couronnement de la Vierge
daté vers 1435344 (ill. 42). Cependant, ce type de
modèles est aussi vu dans d'autres oeuvres de l'artiste italien. Un
rapprochement peut être effectué avec un détail de la
Madone des Linaiuoli (ill. 46) au couvent de San Marco à
Florence345. L'oeuvre est composée en son centre d'une Vierge
à l'Enfant, puis le tour du retable est décoré de petits
anges musiciens. L'un des anges musiciens est vêtu d'une tunique dans le
même esprit avec la coupe longue, resserrée à la taille et
les manches longues, et comporte aussi des décors brodés
dorés sur le long de la robe avec des accentuations aux manches ou aux
poignets. Édouard Schneider en 1938 analyse l'oeuvre ainsi : « D'un
dessin très sûr, l'Ange et la Vierge se dressent au sein d'une
riche lumière d'or, évoquant par leurs formes allongées et
leurs courbes pures l'harmonie et la suavité de l'adoration
chrétienne »346. La tenue de l'ange dans
l'Annonciation de 1434347 (ill. 48) est aussi une
référence pour les modèles de Jeanne Lanvin, reprenant la
même forme de tunique, les mêmes décors brodés. Ces
tenues s'apparentent aux modèles de Jeanne Lanvin, comme l'Ange
de 1939 (ill. 35 et 46). Dean Merceron l'explique ainsi dans son ouvrage :
« Là encore la silhouette rappelle celle des robes
angéliques de Fra Angelico »348. Un autre modèle
rappelle les tenues peintes par Fra Angelico. Il s'agit d'un modèle de
1936 (ill. 47), non identifié. Il s'agit d'une longue robe blanche. Le
col monte jusqu'au cou et les manches sont évasées. Ce
modèle est ceinturé à la taille pour créer un effet
blousant, semblable aux tuniques peintes par Fra Angelico. La robe est aussi
décorée de traits dorés ou argentés,
reflétant la lumière dans la tenue. Ce décor semble
être le même sur les tenues de l'ange bleu et rose sur la droite du
Couronnement de la Vierge (ill. 42) de Fra Angelico, avec de fins
traits dorés disposés sur l'ensemble de la tenue.
Incontestablement, Jeanne Lanvin apprécie et s'inspire
de l'artiste italien Fra Angelico. Elle réinterprète son bleu
légendaire, les tenues de ses anges et leurs motifs brodés, mais
toujours de manière moderne. Avec l'exemple du Couronnement de la
Vierge et de la robe l'Ange,
344 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 20. SCHNEIDER,
Édouard, Op. Cit., p. 22.
345 Fra Angelico, La Madonne des Linaiuoli, Tempera
à l'oeuf sur plâtre, Florence.
346 SCHNEIDER, Édouard, Op. Cit., p. 22.
347 Fra Angelico, Annonciation, 1433-1434,
Détrempe sur bois, 175 x 180cm, Musée diocésain,
Cortone.
348 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 187.
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l'influence est d'autant plus évidente. La
couturière reprend les codes de ces tenues médiévales pour
réaliser ses modèles du début du XXème
siècle. Elle semble réinterpréter pour ses
créations l'utilisation du doré ou des anges de Fra Angelico.
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