C.1 -- Les lignes fluides de Sandro Botticelli.
Jeanne Lanvin apprécie la peinture italienne de la
Renaissance et s'en inspire, notamment des artistes Sandro Botticelli et
Raphaël. D'après Janine Alaux, la couturière apprécie
les femmes peintes par Sandro Botticelli : « Jeanne Lanvin était
fascinée par la beauté des figures botticelliennes, fût-ce
dans leur interprétation décadente ».256
254 O'HARA, Georgina, The Encyclopaedia of Fashion,
Londres, Thames & Hudson, 1986, p. 158.
255 RENNOLDS MILBANK, Caroline, Op. Cit., p. 53.
256 ALAUX, Janine (dir.), Op. Cit., p. 60.
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Sandro Botticelli est un peintre italien né en 1445 et
mort en 1510. C'est un peintre arrivant à manier une inspiration
naturaliste et une tendance à l'abstraction formelle, allant même
parfois jusqu'à réaliser des broderies. Il apporte un soin
particulier aux vêtements dans ses tableaux, et
généralement ils sont ornés. Les figures féminines
de Botticelli se définissent comme des « silhouettes »
d'après André Chastel257. Sandro Botticelli est
souvent décrit comme un artiste de la ligne et du contour. Le mouvement
est apporté par la draperie et la chevelure des personnages. Son style
est un art ornemental, avec un soin particulier apporté à la
végétation et aux détails des tenues. La plupart des
vêtements peints par Sandro Botticelli peuvent se définir par une
reprise des motifs floraux, des robes ceinturées à la taille, un
ornement au niveau des manches et du décolleté, un tissu souple
dans les plis et des tissus transparents. L'artiste reprend ces
caractéristiques dans son oeuvre Le Printemps peint entre 1478
et 1482258 (ill. 32). Tout d'abord, les minces couches de peinture
permettent au vêtement de se fondre avec le décor et de
créer une impression de transparence dans le tissu. Le personnage de
Flore sur le côté droit présente deux
caractéristiques des vêtements botticelliens : les motifs floraux
et la taille resserrée.
Jeanne Lanvin reconnaît une fascination pour ses figures
botticelliennes. La couturière possède chez elle de nombreuses
gravures d'art italien, dont certaines de l'artiste, comme l'Annonciation
de 1485. De plus, la couturière voyage de nombreuses fois en
Italie, et, même si aucun cahier de voyages ne figure à ce nom, il
est fort probable que Jeanne Lanvin ait vu des oeuvres de Botticelli, notamment
le Printemps (ill. 32) ou La Naissance de Vénus de
Sandro Botticelli exposée respectivement à l'Académie et
au Musée des Offices259 à Florence, ville qu'elle a
visité. Cette fascination pour les figures féminines de
Botticelli se retrouve dans différents modèles, non
identifiés comme sur le modèle de cette
photographie260 (ill. 33). La robe de gauche est une robe en
mousseline de soie brique retenue au cou, à la taille et aux manches par
des fronces, et se pose sur un fond de satin blanc dont l'encolure est
montante. La robe sur la droite de la photographie est une tunique en
mousseline de soie bleu ciel terminée par une large bande
argentée piquée. Dans ce modèle, le même tissu est
employé pour la ceinture et les larges emmanchures. Cette tunique se
porte sur un fourreau de satin blanc qui s'évase dans le bas. Ces deux
modèles aux lignes presque immatérielles rappellent
257 « É ses corps sans volume sont
dessinés arbitrairement. Comme le dit très bien Chastel, ce sont
des silhouettes. », Daniel Arasse, « La ligne et la surface
», Beaux-Arts : Botticelli, Numéro Hors Série,
Beaux-Arts Collection, 2003, p. 14.
258 Sandro Botticelli, Le Printemps, 1478-1482,
Tempera sur panneau de bois, 203 x 314 cm, Galerie des Offlices, Florence.
259 GEBHART, Émile, Florence, Collection Les
Villes d'Art Célèbres, Paris, H. Laurens éditeur, 1906.
260 Photographie disponible à la bibliothèque
municipale Forney à Paris. Fonds Lanvin, dossier 1935 : Article «
l'Élégance chez soi », Plaisir de France, 1935, p.
45.
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la principale caractéristique des vêtements
peints par Botticelli, la fluidité du tissu. Jeanne Lanvin va même
jusqu'à nommer une de ses créations par le nom de l'artiste,
Botticelli, modèle créé entre 1910 et 1914, non
identifié. C'est une robe en brocart rouge avec un col. Les poignets
sont faits de dentelle or et la ceinture de faille bleue. Il existe un autre
modèle nommé Botticelli, de 1921 (ill. 34). C'est une
longue robe bleu clair et ample. Le décolleté de la robe est fait
de tressages et des pans de tissus s'échappent des manches. La tenue
comporte un décor au niveau de la ceinture, certainement fait de
tressages et de broderies. Malgré son nom, la tenue n'offre pas de
rapports avec les peintures du maître italien.
La créatrice fait aussi référence
à l'artiste italien à l'Exposition universelle de New York en
1939, d'après Hélène Guéné261
(ill. 35). Jeanne Lanvin expose son vêtement sur un modèle
représentant un « ange botticellien ». Il n'est pas
étonnant de voir Jeanne Lanvin exposer ses modèles sur un ange
connaissant son goût pour les oeuvres de l'art italien du Quattrocento.
Le modèle porté par le mannequin est nommé l'Ange
de 1939 (ill. 35). C'est une robe de dîner en crêpe de soie,
de couleur bleue (celle créée par la couturière). La robe
est rehaussée de broderies faites de paillettes d'or et d'argent. Les
motifs sont différents au-devant et au dos. Ils sont de plus grandes
tailles sur l'avant qu'au dos du vêtement. Sur le devant de la tenue, les
broderies sont en forme de croix grecque. Sur les côtés de la
jupe, le bas et les manches, les broderies sont des lignes suivant la coupe du
vêtement. Les broderies sont composées de lignes courbes. La
taille est resserrée par des rubans noués, et retombants sur les
côtés de la jupe, ils présentent aussi des broderies aux
motifs différents. Cependant, rien ne permet d'affirmer que ce
mannequin-ange choisi pour présenter ses modèles lors de
l'Exposition universelle de New York en 1939 est inspiré des anges
peints par le peintre. Dans les oeuvres de Sandro Botticelli, les figures
d'anges ou ailées sont courantes. Les ailes du mannequin sont
effectivement typiques de celles étudiées sur les oeuvres de ces
maîtres italiens, elles sont longues, gracieuses et féminines.
Mais le visage du modèle est des plus banal et très loin des
visages délicats peints par Sandro Botticelli. Jeanne Lanvin s'inscrit
dans l'esprit de L'Exposition internationale de 1939 qui permet de mettre en
avant le goût français dans diverses salles, empruntant à
la Grèce Antique comme à la Renaissance italienne262.
Dans les deux cas, on recherche un goût pour la beauté
idéalisée. Néanmoins, ici le lien avec un seul artiste
italien est à éviter, et la présence de cet ange est
plutôt le résultat d'une observation générale des
oeuvres italiennes de la Renaissance.
261 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 261.
262 Ibid.
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Cependant, il ne faut pas attribuer complètement ces
créations de vêtements légers à l'inspiration
botticellienne. Une inspiration des vêtements antiques Ñ notamment
des tuniques Ñ est plus que possible quand on connaît la
collection de documents sur l'histoire des vêtements de la
couturière. Cette dernière, bien qu'inspirée par l'oeuvre
de Botticelli, a tout aussi bien pu s'inspirer de vêtements antiques,
avec l'idée de drapé léger et resserré à la
ceinture. La couturière semble aussi s'inspirer d'un autre maître
italien, Raphaël.
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