Jeux, enjeux et contraintes des grandes puissances au cours du printemps arabe. Le cas des membres du CSNU.( Télécharger le fichier original )par Ange Joachim MENZEPO Université de Dschang-Cameroun - Master en Sciences politiques 2015 |
II. REVUE DE LA LITTERATUREPlusieurs auteurs se sont intéressés au printemps arabe, rédigeant sur le sujet des livres, des articles. Au regard de nos lectures et en analysant de près les ouvrages, l'on constate que les auteurs n'abordent que partiellement ou alors pas du tout certains aspects du sujet. Notre étude n'étant pas pionnière dans ce domaine, elle a été enrichie par des travaux de certains auteurs. Toutefois, ces travaux ne cadrent pas toujours avec nos préoccupations. Pour preuve, l'ouvrage de Jean Emmanuel PONDI41(*)qui aborde la question. Ce livre traite de l'avenir de l'Union Africaine au lendemain de la mort du colonel libyen KADHAFI. A la question du « printemps arabe » et de ses objectifs, il laisse transparaitre comme enjeu la fragilisation, par les grandes puissances, du projet panafricaniste que portait le colonel KADHAFI. Il révèle la diversité de sons de cloche perçus après la mort du colonel : si elle fait l'objet d'une joie pour les Français, les Anglais et les Américains, les Russes affichent une position ambigüe. Il n'évoque pas la Chine. Il n'apporte aucune information sur les jeux des grandes puissances tout comme il se limite à analyser la crise libyenne sous l'angle de ses répercussions sur l'Afrique. Nous nous proposons de rechercher la réaction de la Chine. Aussi, nous examinerons les jeux des autres grandes puissances.
Claude MONIQUET42(*), nous rapporte que pendant plusieurs années, la France et les Etats-Unis ont soutenu la Tunisie et entretenu de bonnes relations avec l'Egypte qui quelques fois leur a apporté son soutien dans certaines causes43(*). Pendant la révolution ces puissances ont abandonné leurs amis d'hier. Par cette révélation, C. MONIQUET permet de se rendre compte de ce que les intérêts de ces pays avaient changé. Il fait aussi remarquer que la démocratie ne se décrète pas. Ce faisant, il nous renseigne sur ce qui se présente comme l'alibi avancé par les grandes puissances pour attaquer la Libye : le besoin de démocratiser le pays. Claude MONIQUET ne précise pas quel était l'enjeu réel des grandes puissances puisqu'il estime que la démocratie qu'elles ont évoquée ne se décrète pas. Nous entendons révéler cet enjeu ou mieux, ces enjeux. . Bernard LUGAN44(*) élargit son étude du printemps arabe sur le sol africain à des pays comme l'Algérie, le Maroc où les renversements des dirigeants n'ont pas eu lieu. Il parle du printemps arabe comme d'un échec à la hauteur des emballements émotionnels qu'il a suscité. Ce faisant, il nous permet de nous rendre compte de la diversité de conduites qu'a connues ce conflit en fonction des Etats. Si c'était une révolution en Tunisie ou en Egypte, c'était plutôt selon cet auteur une guerre en Libye. Dans son ouvrage, B. LUGAN nous permet aussi de relever que l'expression « printemps arabe » est un baptême journalistique. Cet apport nous amène à étudier comment s'est construit le printemps arabe et surtout quel a été l'apport des grandes puissances dans ce processus. L'ouvrage45(*) dirigé par Eric DENECE décortique les phases de préparation de ce que l'on a appelé « les révolutions arabes », analyse le contexte politique, sociologique, idéologique qui les a mises en action, montre comment une mise en condition de l'opinion internationale les a favorisées. Il décrypte le rôle majeur joué en amont ( puis pendant et après) par les vrais décideurs de ce qui se révèle être une illusion « de démocratie »: les Etats-Unis (et leur petit chien de garde franco-anglais) avec l'Europe et l'OTAN interposées, et les Etats wahhabites du « Golfe » , l'Arabie Saoudite et le Qatar, véritables bras armés de la poussée islamique dont la visée est la constitution d'un arc sunnite dirigé par eux, avec l'onction des Etats-Unis dont la volonté de maîtriser les flux pétroliers et de gaz trouve là son accomplissement... D'autant que leur stratégie implicite de « containment » de la Russie et de la Chine se voit confortée par cette mise en chaos islamique de l'Afrique (du Nord comme du sud Sahara) et du Moyen Orient. Cet ouvrage s'attache successivement à étudier et à déconstruire les événements ayant eu lieu au Maghreb et au Proche-Orient, à mettre en lumière le rôle essentiel des acteurs extérieurs à ces révolutions, acteurs dont les actions ont été déterminante. Il évalue les conséquences du printemps arabe, lesquelles ne semblent pas à la hauteur des espérances suscitées. Les auteurs de cet ouvrage dénoncent la pensée dominante qui tend à faire du « printemps arabe » un événement spontané. Ceux-ci nous attestent que le printemps arabe n'a pas été conduit uniquement par les populations des Etats concernés. Ils nous révèlent l'existence d'acteurs multiples des relations internationales dont des (Etats et ONG). L'ouvrage nous renseigne sur quelques enjeux. Toutefois, il a le péché de ne faire la part belle qu'aux Etats-Unis. Nous entendons aller au-delà de cette étude en nous intéressant à la France, à la Grande-Bretagne, à la Russie et à la Chine. Il nous invite aussi à nous intéresser aux autres acteurs des Relations Internationales. Samir AMIN46(*) analyse les dangers de récupération du printemps arabe. Il prend pour exemple l'instrumentalisation de l'islam politique par les puissances occidentales. Il apporte des éléments sur l'histoire des peuples arabes, ce qui permet de mieux comprendre ce qui est arrivé. Pour lui s'il y a un gain majeur, c'est que les peuples n'ont plus peur. Il nous permet de constater que ces mouvements ont une importance sur le plan politique mais sont très limités sur les plans social et économique. Le point d'interrogation qu'il accole à l'expression printemps des peuples (un printemps des peuples ?) dans le titre de l'ouvrage nous renseigne sur l'état d'esprit de cet auteur. Pour lui, ce n'est pas un printemps arabe mais plutôt un « automne du capitalisme ». Par ce regard, Samir AMIN nous donne de constater que le printemps arabe profite aux grandes puissances qui ont des monopoles, qui contrôlent à peu près tout. Ils monopolisent un capital qui est à l'origine de plusieurs phénomènes dont la financiarisation47(*), la destruction48(*), l'intolérance49(*). Samir AMIN nous révèle que les principaux pays attaqués (Libye, Syrie, Irak...) ne sont pas les principales cibles. S'il laisse entrevoir l'existence d'une main cachée qui guiderait les mouvements en Egypte et en Tunisie, puisqu'il ne traite pas de la Libye dans son ouvrage, il ne la dévoile pas, encore moins les cibles principales. Notre travail consistera à dévoiler cette main cachée en mettant en exergue son jeu. De même, nous allons nous atteler à révéler les principales cibles. Naoufel BRAHIMI El MILI50(*) affirme que « parler de printemps arabe peut être un contresens car on pourrait parler plutôt de nos jours51(*) d'un grand hiver tant la rupture se conjugue avec le maintien du vieux système »52(*). Il nous présente l'apport médiatique de la chaine de télévision Al-Jazeera qui « a su générer un mythe fondateur » de la démocratie en Tunisie à partir du récit de l'immolation de Mohamed BOUAZIZI. Par là, nous confirmons la thèse de la construction médiatique du printemps arabe sur laquelle nous allons revenir en analysant le jeu des grandes puissances. N. BRAHIMI EL MILI révèle également l'identité des protagonistes restés dans l'ombre : les Américains qui voient dans ces événements l'occasion d'actualiser le projet néocolonisateur du grand Moyen-Orient qatari ou saoudien dont les enjeux gaziers, notamment, priment sur l'instauration d'un régime démocratique. Naoufel BRAHIMI EL MILI porte à notre connaissance que l'instauration de la démocratie n'était qu'un alibi. Ne faisant que mention des Etats-Unis comme protagonistes tapis dans l'ombre, son étude est limitée en ceci que nous savons clairement que les Etats-Unis n'ont pas agi seuls. Les attaques en Libye ont été menées par une coalition. Il ne fait pas mention des autres puissances. Dans notre étude, nous entendons démêler l'écheveau sur les jeux et les enjeux de la France, de la Grande-Bretagne, de la Russie et de la Chine et des Etats-Unis. Pierre HASSNER53(*), écrit parlant de la France qu'elle a eu une expérience plus prometteuse en Libye où officiellement les grandes puissances ont renoncé à la présence au sol. Il précise que le combat a duré et le résultat n'a été obtenu « fort heureusement qu'en ne se tenant pas à la lettre de la résolution onusienne mais en aidant activement les rebelles »54(*). Il nous apporte dans la conduite de notre recherche un élément certain : la violation par la France et les autres d'une résolution de l'ONU. Ici on se demande bien comment et pourquoi un Etat peut résolument décider d'aider des rebelles en allant, avec ses alliés, jusqu'à la violation d'une résolution de l'ONU, ce que P. HASSNER ne nous dit pas et que nous nous évertuerons à étudier. Aussi cet auteur ne nous renseigne pas assez sur la raison pour laquelle l'action de la France en Libye est qualifiée de plus prometteuse. Nous entendons analyser cette action et même l'étendre au-delà de la Libye afin de mieux comprendre son propos. De son côté, Benjamin ROEHRIG55(*), indique qu'il y a eu beaucoup de tractations à l'ONU, surtout de la part de la France, pour obtenir le vote de la résolution 1973. Il fait également état de l'envie de la France de garder l'initiative du dossier libyen. Toutefois, il n'en donne pas les raisons et même la nature des tractations. Il écrit que « la France s'est beaucoup investie dans le dossier libyen »56(*). Si cet article a un apport indéniable, il est limité en ceci qu'il ne fait pas état de l'action des autres puissances. Nous entendons le compléter en analysant le comportement des autres grandes puissances pendant le vote de cette résolution et même, au-delà du vote de la résolution, pendant le cours de la crise. Dans la revue « Moyen-Orient », Mark N. KATZ57(*) rapporte que pour les cas de la Tunisie et de l'Egypte, la Russie a unanimement salué la chute des chefs d'Etat BEN ALI et Hosni MOUBARAK insistant sur l'importance d'une Egypte « forte et démocratique »58(*). Pour le cas de la Libye, la position de la Russie est différente ; il y a même une contradiction dans les propos du Président MEDVEDEV et du Premier Ministre POUTINE, MEDVEDEV qualifiant d'inexcusable la considération qu'a POUTINE de l'action en Libye : « croisade ». Plus tard, le Kremlin rejoint dans leurs positions Washington, Paris et Londres. MEDVEDEV déclare le 27 mai 2011 à Deauville que « KADHAFI doit partir ». Par ce récit, KATZ porte à notre connaissance que la Russie a eu deux faces dans son appréciation de ce conflit suivant que la crise était tunisienne ou égyptienne d'un coté ou libyenne de l'autre. La dispute entre le président MEDVEDEV et le premier ministre POUTINE au sujet du cas de la Libye révèle l'existence d'intérêts divergents entre ces deux dirigeants russes. Si l'apport de M. N. KATZ laisse transparaître cette réalité, il ne nous en dit pas plus. Le revirement quasi brusque et sous fond de tension interne de la Russie n'est pas justifié dans cet article. Nous nous proposons de laisser à découvrir plus sur les intérêts de ces acteurs. Mettons un terme à cette revue de la littérature en évoquant la revue « Moyen -Orient »12 octobre-décembre 2011, où Moncef DJAZIRI59(*) écrit qu'après le début du mouvement né à BENGHAZI60(*) en février, beaucoup ont parlé d'un risque imminent de massacre des opposants61(*), prétexte justifiant l'intervention militaire de la France et de la Grande-Bretagne puis de l'OTAN. Ces interventions ont évolué vers une guerre d'appui aux rebelles de BENGHAZI dans le but de mettre un terme au régime de KADHAFI et instaurer la démocratie. Moncef DJAZIRI écrit « cette guerre pour la démocratie cache des enjeux économique, géostratégique et politique dont la prise en compte est indispensable pour expliquer pourquoi cette guerre »62(*). Avec ces écrits de Moncef DJAZIRI qui nous offre là une sérieuse piste de réflexion sur laquelle nous allons nous engager, il est désormais clair que les grandes puissances ne sont pas allées dans le conflit arabe en touristes. Cet apport de M. DJAZIRI est néanmoins limité en ceci que par rapport à notre étude, d'une part il se limite à réfléchir uniquement sur la crise libyenne. D'autre part, il ne révèle pas les enjeux dont il parle. Nous nous proposons de mettre en lumière les enjeux qui expliquent l'intervention des grandes puissances au cours du printemps arabe ; intervention tant en Libye qu'en Tunisie et en Egypte. En somme, nous nous rendons compte que les écrits que nous avons explorés n'évoquent pas la Chine, pays dont nous ne manquerons pas d'analyser l'action afin de rendre compte des jeux et des enjeux des cinq grandes puissances au cours du printemps arabe. Aussi les ouvrages ne traitent pas exclusivement des cas des pays que nous avons choisis. De même, aucun ouvrage n'évoque à la fois les cinq grandes puissances. Nous nous incrustons dans l'univers de la recherche fondamentale sur ce sujet et nous nous penchons davantage sur les grandes puissances et « le printemps arabe », dans un souci de rendre compte des jeux et des enjeux de celles-ci au cours du printemps arabe. Nous nous proposons ainsi suivant les propos de SCHOPENHAUER de « ne point contempler ce que nul n'a encore contemplé mais de méditer comme personne n'a encore médité sur ce que tout le monde a devant les yeux »63(*). Cette revue de la littérature nous a permis de noter que notre sujet présente quelques intérêts. * 41 PONDI Jean Emmanuel, Vie et mort de Mouammar Al-Kadhafi. Quelles leçons pour l'Afrique ? Yaoundé-Cameroun, Editions Afric'Eveil, 2012. * 42MONIQUET (C.), op. cit. * 43 Notamment lors de la riposte contre l'invasion du Koweït par l'Irak. * 44 LUGAN Bernard, Histoire d'une tragique illusion, Paris, Editions Bernard Lugan, 2013. * 45 La face cachée des révolutions arabes est un ouvrage collectif rédigé sous la direction de Eric DENECE et du CF2R ( centre français de recherche sur le renseignement) avec 22 autres auteurs, journalistes, essayistes, chercheurs, anciens diplomates, hommes et femmes politiques de terrain, économistes de plusieurs nationalités (français, belges, égyptien, malien, algérien...). Parmi ces auteurs, nous pouvons citer l'égyptien Samir AMIN. * 46AMIN Samir, Le monde arabe dans la longue durée : un printemps des peuples ? Paris, Éditions le temps des cerises, 2011. * 47 La financiarisation : quand on dit que l'on va trouver une solution à la crise en « régulant la financiarisation », c'est impossible. On ne peut la réguler qu'en nationalisant dans la perspective de socialiser des monopoles. Etant donné que ceci n'est pas à l'ordre du jour, on ne peut pas la réguler. La financiarisation est nécessaire à la reproduction du système capitaliste au stade où il est parvenu. * 48 La destruction : quand on dit que le capitalisme a prouvé dans l'histoire qu'il est capable de s'ajuster à tout, c'est certes juste, mais à quel prix ? A celui de devenir de plus en plus destructif ! Nous avons maintenant atteint un stade où les destructions que la poursuite de son déploiement implique sont fabuleuses. * 49 L'intolérance : le capitalisme des monopoles généralisé ne tolère pas l'émergence des pays dits émergents. Cela signifie qu'il n'accepte pas que ces derniers « rattrapent » les pays dominants de la triade Etats-Unis/Europe/Japon même par des moyens capitalistes dans le cadre de la globalisation, ce qu'ils tentent effectivement de faire. Ceci est à l'origine de la guerre permanente, ce projet déjà mis en oeuvre de contrôle militaire de la planète. Ici, les véritables ennemis ne sont pas les pays auquel ce capitalisme s'attaque comme la Lybie, l'Irak où la Syrie, mais derrière eux, les pays émergents, et surtout la Chine. * 50BRAHIMI El MILI Naoufel, Le printemps arabe, une manipulation, Paris, Max Milo, 2012. * 51 A partir de 2012, après la chute des régimes de ben Ali, Moubarak et Kadhafi. * 52 BRAHIMI El MILI (N), op. cit., p. 211. * 53HASSNER Pierre, « Guerre, stratégie, puissance », Revue Défense Nationale n° 743, octobre 2011. * 54 Ibid., p. 4. * 55ROEHRIG Benjamin, « L'OTAN et l'ONU : victimes de l'intérêt national en Libye », Revue Défense Nationale n°752, été 2012. * 56 Ibid. * 57KATZ Mark N., « La Russie et le printemps arabe : la démocratie en question », Moyen-Orient 15.juillet-septembre 2012. * 58 Ibid., p. 69. * 59DJAZIRI Moncef, « Libye : les enjeux économique de la « guerre pour la démocratie » », Moyen-Orient 12. Octobre-décembre 2011. * 60 Pour le cas de la Libye. * 61 DJAZIRI (M.), op.cit., p. 78. * 62 Ibid., p. 79. * 63 SCHOPENHAUER Cité par GRAWITZ Madeleine, Méthodes de sciences sociales, 10e édit., Paris, Éditions Dalloz, 1996, p. 317. |
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