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Jeux, enjeux et contraintes des grandes puissances au cours du printemps arabe. Le cas des membres du CSNU.

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par Ange Joachim MENZEPO
Université de Dschang-Cameroun - Master en Sciences politiques 2015
  

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CHAPITRE II

LES JEUX COLLECTIFS DES GRANDES PUISSANCES

Le printemps arabe a secoué l'Afrique du Nord. Cependant, chacun des Etats touchés possède une histoire personnelle : une révolution en Tunisie, une révolution et un coup d'Etat militaire en Egypte, une guerre civile avec participation militaire étrangère en Libye344(*). La complexité du printemps arabe est une contrainte qui fait qu'aucune puissance ne puisse à elle seule mobiliser toutes les ressources345(*) nécessaires pour une intervention « efficace »346(*). Bien plus les spécificités des pays concernés par le printemps arabe amènent les grandes puissances à rechercher des alliés qui s'identifient régionalement aux premiers nommés.

Les acteurs se défont de la concurrence et optent dès lors pour l'interdépendance347(*) qu'oblige la réalité d'un certain nombre de contraintes348(*) auxquelles font face les grandes puissances. Force est de constater qu'une seule Nation ne peut se permettre, sous peine d'être critiquée pour son unilatéralisme, de diriger toutes les opérations sans concertation avec ses partenaires et alliés349(*). Suivant des analystes constructivistes un sentiment d'appartenance commune, un respect mutuel, une identité similaire contribuent à la coopération et à son institutionnalisation350(*). Les Etats, bien qu'égoïstes, coopèrent entre eux dans le cadre des règles qu'ils ont établies pour réguler leurs relations dans les domaines les plus divers351(*).

Fort de ces logiques, les puissances optent donc ici pour une action collective352(*). Notons qu' « il y a action collective lorsque des individus entreprennent un effort collectif basé sur des intérêts réciproques et l'attente de bénéfices mutuels »353(*). Cette définition peut être juxtaposée aux Etats. Dès lors, on dira qu'il y a action collective lorsque des Etats entreprennent un effort collectif basé sur des intérêts réciproques et l'attente de bénéfices mutuels. Le concept d'action collective renvoie à toute tentative de constitution d'un collectif, plus ou moins formalisé et institutionnalisé, par des acteurs qui cherchent à atteindre un objectif partagé, dans des contextes de coopération et de compétition avec d'autres collectifs354(*). L'action collective est donc une « action conjointe » ou une « action concertée»355(*).

Dans cette optique on a vu la France, la Grande-Bretagne, la Chine, la Russie et les Etats-Unis à l'oeuvre dans des cadres multilatéraux (section I) et même dans des cadres bilatéraux (section II).

SECTION I : LES GRANDES PUISSANCES A L'OEUVRE DANS LES CADRES MULTILATERAUX.

Les cadres multilatéraux sont les espaces qui permettent la mise en oeuvre du multilatéralisme356(*). Au cours du printemps arabe, ces espaces sont nombreux : certains préexistent avant le printemps arabe (paragraphe 1), d'autres sont créés ad hoc (paragraphe 2).

PARAGRAPHE I : LES GRANDES PUISSANCES DANS LES STRUCTURES MULTILATERALES EXISTANTES AVANT LE PRINTEMPS ARABE

Les structures existantes avant le printemps arabe dans lesquelles la multilatéralité des actions des grandes puissances a été mise en oeuvre sont l'ONU, le G8, et l'UE (A), E3 et l'OTAN (B).

A. La dynamique décisionnelle et actionnelle des grandes puissances contre le régime de KADHAFI à l'ONU, au G8 et à l'UE.

Dans le mouvement de leurs interventions au cours du printemps arabe en Libye, les grandes puissances ont pris des mesures contre le régime de KADHAFI (1). Ensuite, elles ont posé les jalons pour une intervention militaire (2).

1- Le régime de KADHAFI à l'épreuve des décisions des grandes puissances.

Afin de mettre à mal le régime de Mouammar KADHAFI, les grandes puissances prennent des sanctions collectives contre son régime (a). Elles apportent aussi un soutien collectif aux rebelles (b).

a- La prise des sanctions collectives contre le régime de KADHAFI par les grandes puissances.

Les grandes puissances ont pris des sanctions contre le régime de KADHAFI dans le cadre d'une action collective à l'ONU ayant abouti à l'adoption de la résolution 1970 et aussi à l'UE.

L'adoption à l'unanimité de la résolution 1970.

L'adoption de la résolution 1970 s'est faite le 26 février 2011à l'ONU. Interpellées par le représentant permanent adjoint de la Libye à l'ONU, Ibrahim O. A. DABBASHI qui implore le Conseil de sécurité de sauver son peuple de la folie de son dirigeant357(*), les grandes puissances ont adopté à l'unanimité la résolution sus-mentionnée.

En effet, les membres du Conseil sont saisis du document S/2011/95, qui contient le texte d'un projet de résolution présenté par l'Afrique du Sud, l'Allemagne, la Bosnie-Herzégovine, la Colombie, les Etats-Unis d'Amérique, la France, le Gabon, le Liban, le Nigéria, le Portugal et la Grande-Bretagne. Il est procédé au vote à main levée. Ainsi, la Chine, la France, la Fédération de Russie, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ainsi que les autres membres non permanents du conseil de CSNU votent pour. La Présidente du CSNU Madame VIOTI a dès lors proclamé le résultat du vote: 15 voix pour. Le projet de résolution est adopté à l'unanimité en tant que résolution 1970 (2011)358(*).

La réalité de la situation en Libye les y a obligées. Prenant la parole à tour de rôle, les représentants de chacune des puissances ont apprécié l'adoption de mesures visant à pousser le colonel KADHAFI à mettre fin à ses exactions sur son peuple, défendant ainsi leurs votes, preuve de l'unanimité qui a prévalu pendant l'adoption de la résolution précitée.

Ainsi, Sir Mark Lyall GRANT (Grande-Bretagne) a déclaré : « le Gouvernement britannique se félicite de l'adoption à l'unanimité de la résolution 1970 (2011)359(*) du Conseil de sécurité. Le Royaume-Uni a présenté le texte de cette résolution parce qu'il était profondément préoccupé par la situation effroyable en Libye. Les violences que nous avons pu voir, aussi bien que les nouvelles incitations du colonel KADHAFI à la violence, sont tout à fait inadmissibles et mon gouvernement les a condamnées avec la dernière vigueur »360(*).

Pour sa part, Mme RICE (Etats-Unis d'Amérique) a affirmé : « lorsque des atrocités sont commises contre des innocents, la communauté internationale doit parler d'une seule voix, et c'est ce qu'elle a fait aujourd'hui. Ce soir, agissant en vertu du Chapitre VII, le Conseil de sécurité s'est rallié pour condamner la violence, demander des comptes et adopter des sanctions sévères contre des dirigeants libyens sans états d'âme »361(*).

M. CHURKIN (Fédération de Russie) a pour sa part indiqué que : « la Fédération de Russie a appuyé la résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité car elle est gravement préoccupée par les événements qui se déroulent actuellement en Libye. Nous regrettons sincèrement les nombreuses pertes humaines parmi la population civile. Nous condamnons le recours à la force militaire contre les manifestants pacifiques et toutes les autres formes de violence, que nous jugeons absolument inacceptables. Nous demandons qu'il soit mis fin immédiatement à ces actes »362(*).

M. Li BAODONG (Chine) a quant à lui rapporté que : « compte tenu de la situation très particulière qui règne en Libye à l'heure actuelle, et à la lumière des préoccupations et des positions exprimées par les pays arabes et africains, la délégation chinoise a voté pour la résolution 1970 (2011), que le Conseil de sécurité vient d'adopter »363(*).

M. G. ARAUD (France) a déclaré : « face à la poursuite de la répression brutale et sanglante et aux déclarations menaçantes de la direction libyenne, le Conseil de sécurité a réitéré son exigence d'un arrêt immédiat de l'usage de la force contre la population civile. Ce texte, adopté aujourd'hui à l'unanimité, rappelle la responsabilité de chaque Etat de protéger sa population et celle de la communauté internationale d'intervenir lorsque les Etats manquent à leur devoir »364(*).

Ces diverses interventions dévoilent l'unité d'esprit qui a animé les grandes puissances au moment de l'adoption de cette résolution.

Les mesures prises contre le régime de KADHAFI ont constitué en la saisine de la Cour pénale internationale365(*), un embargo sur les armes366(*), des interdictions de voyager367(*), le gel des avoirs368(*). Des sanctions ont également été adoptées à l'UE.

L'adoption des sanctions contre les dirigeants libyens à l'UE et l'incitation de l'UE à l'action.

A l'UE, des sanctions contre les dirigeants libyens sont adoptées. Aussi, celle-ci a été appelée à plus d'actions encore.

A la demande de la France, le 28 février 2011, l'UE adopte à son tour des sanctions incluant un embargo sur les armes contre la Libye, ainsi qu'un gel des avoirs et des interdictions de visa contre le colonel Mouammar KADHAFI et 25 de ses proches. Ces sanctions seraient plus dures que celles adoptées par le Conseil de sécurité des Nations Unies369(*). Sous l'impulsion de la France, le 8 mars 2011, les pays de l'Union Européenne se mettent d'accord pour geler les avoirs du fonds souverain et de la banque centrale libyenne370(*).

Ensuite, Face à Catherine ASHTON, Haut Représentant de l'UE qui affichait sa volonté pour l'UE de présenter une « position neutre »371(*), la France pousse l'UE à agir. Alain JUPPE, déclarait le 20 mars 2011 au cours d'une conférence de presse : « est-ce que nous nous résignons à faire que l'Union Européenne reste une ONG humanitaire? Ou est-ce que nous avons une autre ambition pour l'Union Européenne, d'en faire une puissance politique capable d'avoir des positions diplomatiques et des capacités militaires d'intervention le cas échéant? Pour moi, la réponse est très claire, c'est la deuxième hypothèse »372(*). Il met en oeuvre la puissance de la France, puissance vue sous l'angle défini par Samuel HUTTINGTON comme« la capacité d'un acteur, habituellement mais pas forcément un gouvernement, d'influencer le comportement des autres acteurs qui peuvent être ou ne pas être des gouvernements »373(*).

Cette déclaration a eu pour effet de bouger les lignes dans les rangs des membres de l'UE. Ainsi, afin de garder la face, les Etats-membres se sont finalement accordés le 21 mars 2011 pour lancer une opération de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) au caractère totalement inédit et étonnant, car elle se plaçait sous l'autorité d'un organisme de l'ONU374(*). En fait, l'UE choisissait d'agir délibérément dans le bas du spectre et elle mandatait les structures bruxelloises pour lancer un processus de planification au profit d'une opération militaire de soutien à l'aide humanitaire, sous condition qu'elle ait lieu dans un contexte impartial et permissif, autant dire infaisable. Ainsi grâce au verbe du Ministre français des Affaires Etrangères, l'UE se positionnait, pour le déclenchement de l'opération, même si ce fut sous l'autorité exclusive du Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations unies (BCAH). Cette institution est d'ailleurs perçue eu égard à la forte manipulation franco-britannique comme une enceinte de légitimation et une caisse de résonance a posteriori des actions franco-britanniques375(*).En plus de l'UE, le G8 a été mis à contribution.

b- L'apport d'un soutien collectif aux rebelles par les grandes puissances au travers du G8.

Les grandes puissances apportent aussi un soutien collectif aux rebelles au travers du G8. Les pays les plus riches du monde parmi lesquels on compte les grandes puissances ont eu au cours de leur sommet de Deauville, en mai 2011, à se pencher sur la crise qui secoue le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Ce sommet s'est tenu en France. Au cours de celui-ci, il y a eu un fort engagement discursif et financier pour soutenir le printemps arabe.

L'action discursive de mobilisation des pays membres du G8 initiée par la Grande-Bretagne.

La Grande-Bretagne a pris les devants au sommet du G8. Son Premier Ministre est monté au créneau pour demander que le printemps arabe soit soutenu. Alors que seuls deux pays, la Tunisie et l'Egypte, ont entamé des transitions démocratiques, et que d'autres, comme la Libye, sont en proie à des violences, le Premier Ministre britannique David CAMERON a estimé que le G8 devait se ranger derrière la rue arabe. Il s'est exprimé en ces termes : « je veux que ce sommet débouche sur un message très simple et très clair, celui que les plus grandes puissances mondiales se sont réunies pour dire à ceux qui, au Proche-Orient et en Afrique du Nord, veulent plus de démocratie, plus de liberté et plus de droits, nous sommes à vos côtés»376(*). D. CAMERON entend, par ce discours, inciter les puissances à soutenir les révolutions. Il poursuit en ces termes : « nous aiderons à la construction de votre démocratie, nous aiderons vos économies (...) nous vous aiderons par tous les moyens, parce que l'alternative à une démocratie établie c'est encore plus de l'extrémisme venimeux qui a fait tant de dégâts dans notre monde»377(*). Par cet autre pan de son discours il rassure les dissidents, les encourageant à poursuivre leur chemin dans le combat qu'ils mènent, les rassurant qu'ils ne sont pas seuls dans celui-ci.

A l'issue des travaux, une déclaration commune a été adoptée avec des termes qui marquent l'engagement indéfectible des puissances à soutenir les pays du printemps arabe. On peut lire : « nous, membres du G8, soutenons vigoureusement les aspirations des printemps arabes (...). Nous entendons la voix des citoyens, soutenons leur exigence d'égalité et appuyons leur appel légitime à la mise en place de sociétés démocratiques et ouvertes et à une modernisation économique qui profite à tous. Nous saluons particulièrement le rôle joué par les jeunes et les femmes dans ces mouvements de transformation »378(*). Ceci n'a pas été qu'un discours, à l'issue de ce sommet, les puissances, membres du G8 se sont engagées financièrement.

Le déblocage des fonds pour le soutien de la démocratie sous l'impulsion de la Grande-Bretagne.

En réponse à l'appel lancé par D. CAMERON, les huit pays les plus puissants de la planète se sont engagés à aider massivement les pays arabes qui progressent vers la démocratie. Cette aide se déclinera de plusieurs façons. Vingt millions viendront des banques multilatérales comme la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement, la Banque Africaine de Développement et la Banque Européenne de Développement.

Les Etats du G8 entendent eux aussi mettre la main à la poche, quoique modestement. L'aide bilatérale des pays du G8 totalisera dix milliards, de même que celle des pays du golfe. La Grande-Bretagne a ainsi annoncé une enveloppe exceptionnelle de 175 millions de dollars379(*).

Ils ont par ailleurs mis sur pied un partenariat pour les réalisations de ces financements comme le révèle ces propos : « sur la base des objectifs que nous partageons pour l'avenir, nous avons lancé aujourd'hui le « Partenariat de Deauville » avec les peuples de la région d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, en présence des Premiers ministres de l'Egypte et de la Tunisie »380(*).

2- Les jalons pour une intervention militaire en Libye posés par les grandes puissances au sein de l'ONU.

Malgré la prise de sanctions contre le régime de KADHAFI au travers de la résolution 1970, ce dernier a persisté dans le massacre des populations de son pays. Par là, il a violé les dispositions de celle-ci381(*). Dès lors, une intervention plus sévère s'imposait.

Mue par une volonté de puissance, caractéristique du réalisme, la France décide d'agir. D'ailleurs, « toute l'histoire montre que les Nations actives dans la politique internationale sont continuellement en train de se préparer à (...) la violence organisée sous forme de guerre »382(*). Toutefois, comme Alain JUPPE l'a rappelé à plusieurs reprises, l'intervention de la France ne peut se faire sans un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies383(*). Ce faisant, à l'ONU, malgré les réticences de la Chine et de la Russie doublées de leurs abstentions (a), la France met les membres du conseil de sécurité dans son jeu et fait adopter la résolution 1973 (b).

a- Les réticences de la Russie et de la Chine doublées de leurs abstentions.

La Chine et la Russie ont marqué leurs réticences vis-à-vis d'une intervention militaire en Libye. Ce faisant, elles ont marqué leurs indifférences et se sont abstenues.

Les réticences de la Chine et de la Russie.

Lors du vote de la résolution 1973 à l'ONU, la Chine et la Russie affichent leurs réticences. Le représentant de la Chine au CSNU rapporte : «la Chine reste opposée au recours à la force dans les relations internationales. Au cours des consultations du Conseil de sécurité sur la résolution 1973 (2011), nous avons posé, avec d'autres membres du Conseil, un certain nombre de questions très précises, lesquelles, malheureusement, sont en grande partie restées sans réponse ni clarification. La Chine a de fortes réserves concernant certaines parties de la résolution»384(*).

De leur côté, les Russes font savoir : « [...] En fait, toute une série de questions soulevées par la Russie et par d'autres membres du Conseil sont restées sans réponse. Ces questions étaient concrètes et légitimes et portaient sur la façon dont la zone d'exclusion aérienne allait être appliquée, quelles seraient les règles d'engagement et quelles seraient les limites imposées à l'utilisation de la force. [...] On a vu apparaître dans le texte des dispositions susceptibles d'ouvrir la porte à une intervention militaire à grande échelle. [...] Je rappelle encore une fois que nous continuons à nous prononcer fermement en faveur de la protection de la population civile. [...] Nous sommes cependant convaincus que le moyen le plus rapide d'assurer la sécurité effective de la population civile et la stabilisation à long terme de la situation en Libye est l'instauration immédiate d'un cessez-le-feu»385(*).

En réalité, les Russes comme les Chinois n'ont pas voulu se lancer têtes baissées dans l'adoption ou le rejet d'une résolution pour une intervention militaire en Libye. C'est pourquoi ils prennent les mesures de l'ampleur de ladite intervention. Les questions qu'ils ont posées durant la session onusienne du Conseil de Sécurité justifient cette attitude. De même, les Chinois entendent préserver leur identité d'où la réaffirmation de celle-ci. Les Russes exigent que l'on exclue toute intervention au sol. Ces réclamations ont poussé la Chine comme la Russie à s'abstenir lors du vote.

L'abstention de la Chine et de la Russie.

S'agissant de la Chine, on note qu'au sein du conseil de sécurité de l'ONU, elle ne veut pas avaliser une intervention armée en Libye. Elle a fait savoir que, comme elle préside le Conseil de Sécurité, elle s'abstiendra386(*).

Le constructivisme, parlant de l'identité présente le rôle de cet élément comme déterminant dans la constitution des actions des acteurs387(*). Ainsi, liée à son identité388(*), lors du vote de la résolution 1973 du conseil des Nations Unies contre la Libye la Chine s'abstient effectivement.

Cette abstention s'analyse comme une indifférence vis-à-vis de l'idée d'une intervention internationale en Libye car ayant fait usage de son droit de véto pour ce qui est du conflit syrien, elle s'est affirmée, a pris position et aucune intervention n'a eu lieu jusqu'ici389(*). Pourtant dans le cas de la Libye, cette indifférence a donné libre cours aux actions des alliés.

Parlant de la Russie, elle se rend coupable de ce que nous appelons « un silence complice ». En effet lors du vote de la résolution 1973 du conseil de sécurité de l'ONU, la Russie s'abstient évidemment en vertu de sa culture non interventionniste sauf qu'ici, elle ne bloque pas, par le recours à son droit de véto, cette décision quoiqu'elle s'oppose à toute forme d'ingérence dans les affaires internes d'un pays souverain.

Nous considérons l'abstention de la Russie comme un laisser-faire donné aux puissances occidentales pour une intervention en Libye. A cet effet, Mark N. KATZ nous conforte dans notre idée, il écrit : « en s'abstenant, de voter la résolution 1973 du CSNU, la Russie avait autorisé sans le dire un conflit contre Tripoli »390(*). Certainement dans une posture de « passager clandestin »391(*) elle adopte une attitude qui ne la met pas en conflit avec les puissances occidentales et qui lui permet d'une certaine façon de ne pas « trahir » son allié KADHAFI. Nous pensons que la Russie a laissé faire car, considérant le conflit syrien, l'on constate qu'il n'y a pas eu d'intervention militaire externe, jusqu'ici, suite à l'usage de son droit de véto par la Russie au conseil de sécurité de l'ONU afin de faire échec à l'adoption d'une quelconque résolution visant une intervention de l'extérieur en Syrie. Deux mondes deux destins ? Ici c'est l'Afrique ? Là ce n'est pas l'Afrique ? Les intérêts ne sont certainement pas les mêmes ou encore les orientations politiques des gouvernements ne sont pas les mêmes ; surtout qu'il convient de relever qu'entre les moments des votes des résolutions sur la Libye et sur la Syrie, le locataire du Kremlin a changé. Les abstentions de la Chine et de la Russie ont permis à la France de mettre les puissances dans son jeu et de faire adopter la résolution 1973.

b- Les manoeuvres françaises pour l'adoption de la résolution 1973.

La France fait une habile exploitation d'une courte fenêtre d'opportunité favorable pour arracher le vote de la résolution 1973 au CSNU392(*). Les partisans de l'interventionnisme libéral étaient en position de responsabilité au sein du Quai d'Orsay sous le quinquennat de Nicolas SARKOZY. Cependant, il y avait parmi ses décideurs, plusieurs diplomates marqués à droite, qui étaient les représentants d'un autre paradigme : celui du néo-conservatisme393(*). Pour ceux-là, la bataille consistant à défendre l'extension universelle de la démocratie libérale était un objectif diplomatique, nécessitant une forte alliance avec les Etats-Unis394(*) pourtant un peu réticents.

La puissance, (...) résidant également dans la capacité de fixer l'ordre du jour des enceintes multilatérales telles que le Conseil de Sécurité de l'ONU395(*), la France a mis les puissances dans son jeu afin de faire adopter la résolution 1973 du CSNU.

Comme l'a écrit Nicholas SPYKMAN, « la politique est toujours conduite au son du canon »396(*). C'est la décision française sur la crise libyenne inscrite à l'ordre du jour du CSNU : aller en guerre contre KADHAFI. Toutefois, on ne va pas en guerre sans préalable. Comme le rappelle Jean Christophe NOTIN, « les guerres sont des pièces de théâtre dont le véritable premier acte se joue derrière le rideau »397(*). Il faut donc d'abord mettre en oeuvre des mécanismes avant de se lancer dans la guerre. Dans cette optique, la France a mis tout en oeuvre pour obtenir l'assentiment de la communauté internationale. Jean-Pierre FILIU398(*) écrit : « le volontarisme du président SARKOZY et l'intervention d'Alain JUPPE à New York permettent d'obtenir, le 17 mars 2011, le vote de la résolution 1973 du conseil de sécurité de l'ONU (...) »399(*).

En effet, le Président de la République a adressé, la veille du vote de la résolution 1973 que la France a initiée, une lettre personnelle aux chefs d'Etat et de gouvernement des pays membres du CSNU afin de les appeler solennellement à prendre pleinement leurs responsabilités et à soutenir cette résolution alors que la population libyenne encourt de graves dangers400(*).

Les autorités françaises ne se sont pas arrêtées là. Alain JUPPE, ministre français des affaires étrangères est le seul ministre à s'être rendu à New York dans le but de convaincre, par une intervention forte au Conseil de Sécurité les pays membres du Conseil et d'obtenir les voix nécessaires à l'adoption de la résolution401(*). Il s'est exprimé en ces termes : « nous ne pouvons abandonner à leur sort des populations civiles victimes d'une brutale répression »402(*), inscrivant ainsi leur intervention dans le sens d'une guerre juste, surtout que « tous les conflits sont justes, du point de vue de leurs acteurs »403(*). La touche paternaliste, voire maternelle, qui ressort de ce propos avait certainement pour effet de jouer sur les sensibilités émotives des membres du CSNU afin d'avoir les faveurs de leurs votes.

Les Russes, exigeant que l'on exclue toute intervention au sol, Nicolas SARKOZY avait appelé Dimitri MEDVEDEV et lui avait assuré que le texte français le mentionnera explicitement404(*). Le patron du Kremlin satisfait, son représentant devait donc s'abstenir et non s'opposer par le droit de véto qui bloque automatiquement l'adoption d'une résolution au Conseil de Sécurité.

Avec les faveurs de la Grande-Bretagne et désormais des Etats-Unis405(*), le vote de la résolution n'était pas encore un acquis car la France n'était pas encore sûre d'obtenir le quota nécessaire pour que la résolution soit adoptée. Le chef de l'Etat français a donc téléphoné à Dilma ROUSSEF, la présidente du Brésil. Elle ne veut toujours pas voter oui406(*). Le Brésil s'abstiendra donc également.

Au total, les tractations de la France ont permis d'obtenir 10 votes pour et 5 abstentions. Ce qui a donné accès à la résolution 1973 du CSNU. La mobilisation de la France ne s'est pas limitée au sommet de l'Etat, même les ambassadeurs se sont mobilisés. C'est du moins ce qui ressort de ce propos d'Alain JUPPE : « c'est grâce aux efforts de la France que le vote de la résolution 1973 du Conseil de sécurité a été obtenu et que Benghazi a été sauvée du massacre. Nos équipes, à Paris et dans les postes diplomatiques à Benghazi, à New York et à Bruxelles, au Caire et dans le Golfe, ont été en première ligne pour constituer une coalition internationale en appui de la poignée d'hommes courageux du Conseil national de transition. Jour après jour, groupe de contact après groupe de contact, nous avons pu ouvrir pour le peuple libyen la perspective d'un avenir démocratique »407(*). L'adoption de la résolution 1973 a donné le libre cours à l'intervention militaire.

* 344 Source : entretien de Fabienne DOUTAUT avec Pascal BONIFACE « Les dynamiques à l'oeuvre dans le printemps arabe », dossier xxx, dans La Revue de la CFDT N°10, Novembre 2012.

* 345 Les ressources peuvent être humaines, matérielles, financières ou même symboliques.

* 346 Par intervention « efficace », nous entendons une intervention à l'issue de laquelle les objectifs visés (latents ou manifestes) soient atteints.

* 347 Norbert ELIAS écrit : « l'interdépendance des joueurs, condition nécessaire à l'existence d'une configuration spécifique, est une interdépendance en tant qu'alliés mais aussi en tant qu'adversaires. », ELIAS (N.), op.cit., p. 157.

* 348 Nous citerons à titre de contraintes, le mépris de la résolution 1970 par KADHAFI, ce qui pousse les puissances à se battre pour l'adoption de la résolution 1973.

* 349 COURMONT (B.) et al., op.cit., p. 46.

* 350 SMOUTS (M-C) et al, op. cit., p. 84.

* 351 BATTISTELLA (D), op. cit., p. 370.

* 352 L'action collective est définie par Fillieule et Pechu comme « une action concertée de un à plusieurs groupes cherchant à faire triomphé un but particulier ». FILLIEULE Olivier et PECHU Cécile, Lutter ensemble ; les théories de l'action collective, Paris, L'Harmattan, 1993.

* 353 « Action collective, concepts clefs », Ressources pédagogiques ICRA, p. 3.

* 354 CEFAÏ Daniel, Pourquoi se mobilise-t-on ? Les théories de l'action collective, Paris, éditions La Découverte, 2007, p. 8.

* 355 Ibid.

* 356« Le multilatéralisme consiste pour les Etats à conduire des politiques concertées. Il correspond à la nécessité de relever collectivement des défis. », SMOUTS (M.C.), et al, op.cit., p. 356.

* 357Source : « Résolution 1970 sur la Libye », Réseau Voltaire, 26 février 2011, www.voltairenet.org/article168680.html

* 358« Résolution 1970 sur la Libye », op.cit.

* 359 L'intégralité de cette résolution est annexée à cette étude afin de donner à voir sur son contenu.

* 360 « Résolution 1970 sur la Libye », op.cit.

* 361 Ibid.

* 362Ibid.

* 363 « Résolution 1970 sur la Libye », op.cit.

* 364 Ibid.

* 365 Articles 4-8 de la résolution.

* 366 Articles 9-14 de la résolution.

* 367 Articles 15-16 de la résolution.

* 368 Articles 17-21 de la résolution.

* 369 « Kadhafi: l'UE adopte des sanctions », Le Figaro, AFP, 28 février 2011.

* 370 « La difficile traque des milliards de KADHAFI », Le figaro, 09 mars 2011.

* 371 Source, RAZOUX (P.)., op.cit., p. 24.

* 372 Alain JUPPE cité par RAZOUX (P.), op.cit., 24.

* 373 HUTTINGTON Samuel cité par COURMONT (B) et al., op. cit., p. 11.

* 374 RAZOUX (P.), op.cit., p. 24.

* 375 NIVET Bastien, « L'Union Européenne et le printemps arabe : une puissance transformationnelle inadaptée ? », Revue Défense Nationale, N° 744, novembre 2011, P. 8.

* 376 Intervention de D. CAMERON au sommet du G8 de Deauville tenu du 26 au 27 mai 2011.

* 377 Ibid.

* 378 Déclaration du G8 sur les printemps arabes sommet de Deauville du 26 au 27 mai 2011.

* 379 « G8 : pression sur KADHAFI et ASSAD, premiers dollars pour les révolutions arabes », publié sur Le Point.fr le 26 mai 2011.

* 380 Déclaration du G8 sur les printemps arabes sommet de Deauville du 26 au 27 mai 2011.

* 381Notamment l'article 1 qui dispose : le conseil de sécurité « exige qu'il soit immédiatement mis fin à la violence et demande que des mesures soient prises pour satisfaire les revendications légitimes de la population ».

* 382 MORGENTHAU Hans, Politics among nations. The struggle for power and peace, 1ere édit., 1948, New York, Mac Graw Hill, inc. 1993.

* 383 Le Point.fr 16 mars 2011.

* 384Déclaration de M. LI BAODONG, représentant de la Chine au Conseil de sécurité, S/PV.6498, 17 mars 2011, p. 11.

* 385Déclaration de M. CHURKIN, représentant de la Russie au Conseil de sécurité, S/PV.6498, 17 mars 2011, pp. 8-9.

* 386 JAUVERT Vincent, « Libye : histoire secrète de la résolution 1973 », Le Nouvel Observateur, 24 mai 2011.

* 387 BATTISTELLA (D.) op.cit., p. 268.

* 388 « Ensemble de systèmes de pensée et de méthodes d'action identifiables caractéristiques d'un acteur, dans lequel celui-ci se reconnaît et estime se distinguer d'autres acteurs », COURMONT (B.), et al., op. cit., p. 81.

* 389 Année 2014, moment où nous rédigeons ce travail.

* 390 KATZ (M. N.), op. cit., p. 70.

* 391 OLSON Mancur, Logique de l'action collective, Bruxelles, édition de l'Université de Bruxelles, 2011.

* 392 ROEHRIG B.), op. cit., p. 4.

* 393 Pour plus de détail sur le néoconservatisme, lireVAÏSSE Justin, Histoire du néoconservatisme aux Etats-Unis : le triomphe de l'idéologie, Paris, Odile Jacob,

2008.

* 394 LEQUESNE Christian, « La politique extérieure de François Hollande : entre interventionnisme libéral et nécessité européenne », CERI, juillet 2014.

* 395 SMOUTS (M-C), op. cit., p. 448.

* 396 SPYKMAN Nicholas John, America's Strategy in World Politics. The United States and the balance of power, New York, Harcourt, Brace and company, 1942.

* 397 NOTIN Jean Christophe, La vérité sur notre guerre en Libye, Paris, Fayard, 2012, p. 12.

* 398 FILIU Jean-Pierre, « Les défis de l'après-KADHAFI », dans Politique Internationale 133 automne 2011.

* 399 Ibid., p. 257.

* 400 Source : Politique et Diplomatie française, archives 2011 en ligne, consulté le 23 juillet 2013.

* 401 Ibid.

* 402 Politique et Diplomatie française, op.cit.

* 403 CALAS (B.), op cit., p. 299.

* 404 JAUVERT (V.) op.cit.

* 405 Dans sa politique interne, il y a eu une grosse réticence à intervenir militairement en Libye cela relevait pour R. GATES à devoir être interné dans un hôpital psychiatrique pour tout chef d'Etat ayant cette idée. Après plusieurs tractations, B. OBAMA a cédé.

* 406 JAUVERT (V.) op.cit.

* 407 Alain JUPPE, Allocution de clôture de la conférence des ambassadeurs de France le 02 septembre 2011.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984