Toulouse Septembre 2009
Université de Toulouse Le Mirail
Master Mention "Anthropologie sociale et
historique"
Mémoire de Master 1 (Maîtrise)
RÉINTRODUCTION DE L'OURS DANS LES
PYRÉNÉES: DISCOURS, REPRÉSENTATIONS ET
PROCESSUS D'ENTRÉE EN RÉSISTANCE
par Elise LABYE
Directrice de recherche : Marlène ALBERT-LLORCA
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 1
Première partie : LE TERRAIN, LA COLLECTE DE
DONNÉES
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5
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I. LES OBSERVATIONS 5
A. L'assemblée générale annuelle de l'Aspap
5
B. Le symposium Life Coex 6
C. Les Pastoralies 9
D. Les Rencontres des Transhumants d'Europe 11
E. La manifestation du Val d'Aran 12
F. Les rencontres ANEM 15
II. LES PRODUCTIONS ÉCRITES 16
III. LES ENTRETIENS 17
IV. À PROPOS DE MA PLACE SUR LE TERRAIN
24
Deuxième partie : DISCOURS ET
REPRÉSENTATIONS 26
I. LES ADHÉRENTS DE L'ASPAP 26
A. Un territoire qu'on veut ensauvager, des pratiques pastorales
mises en danger ? 27
1. « Ça va à l'encontre de l'élevage
en montagne » 27
2. Une modification du paysage perçue négativement
27
3. Un territoire, des savoir-faire: un patrimoine local 29
4. La perturbation d'un équilibre: celui du
système de transhumance 31
5. Réinvestir les territoires de montagne 33
B. Quelles perceptions des ours ? 34
1. À propos des ours autochtones 34
2. À propos des ours réintroduits 36
a. Des ours déviants... 36
b. ...qui entraînent un sentiment
d'insécurité... 38
c. ...et victimes de la volonté de l'homme de tout
gérer ? 39
C. Critiques faites sur le projet et sa mise en oeuvre 41
1. À propos de « l'équipe technique du suivi
de l'ours » 41
2. À propos des mesures de protection 42
3. À propos de l'État, de la bureaucratie, d'un
projet politique global 43
4. C'est qui les « écolos »? C'est quoi
être « écolo »? 44
5. L'impact des prédations sur les hommes et leur travail
46
II. D'AUTRES AVIS, D'AUTRES PERCEPTIONS 47
A. Martine, une éleveuse du label: « Le Broutard du
Pays de l'Ours » 47
B. Deux agents de l'Oncfs 51
III. QUELLES REPRÉSENTATIONS DE LA NATURE ET DU
TERRITOIRE
|
55
|
A. Une nature humanisée, culturelle 56
B. Une nature où tous les êtres sont «
égaux en droits » 60
65
65
IV. RAPPROCHEMENTS AVEC LE CAS DU LOUP DANS LES ALPES
62 Troisième partie: L'ASPAP, D'UNE ENTRAIDE LOCALE
À UN PROJET GLOBAL POUR LE MASSIF PYRÉNÉEN
I. LES MOYENS MIS EN OEUVRE FACE AU PROJET DE
RÉINTRODUCTION
A. L'Aspap: pour « structurer les révoltes
individuelles » 65
B. « Pastoralies, la fête de la montagne
vivante » 67
C. La mobilisation d'éléments identitaires en lien
avec un patrimoine culturel 69
D. De la redéfinition de certains termes « en vogue
» 71
E. Des discours scientifiques
légitimant la logique d'opposition
73
II. CONSÉQUENCES: DU NIVEAU LOCAL AU NIVEAU
EUROPÉEN 75
A. Entre resserrement de liens et accentuation de
différences 75
1. Une plus grande cohésion du monde
agro-pastoral 75
2. Des camps qui s'affrontent 78
B. Un projet commun pour le territoire 79
CONCLUSION GÉNÉRALE 82
BIBLIOGRAPHIE 84
ANNEXES 85
Annexe 1: Un peu d'humour... 85
Annexe 2: Carte de la répartition des ours sur le
massif pyrénéen 87
Annexe 3: Schéma de l'étagement montagnard 88
Annexe 4: Plaquette de présentation des
Pastoralies 89
Annexe 5: Plaquette de présentation des Rencontres des
Transhumants d'Europe 90
Annexe 6: Sommaire du bilan réalisé par Bruno
Besche-Commenge pour l'Addip 91
Annexe 7: Le Manifeste des Pyrénées 92
Annexe 8: Tableau extrait de l'ouvrage d'Isabelle Mauz 94
Annexe 9: Le programme du Symposium Life Coex 95
Annexe 10: Extrait des résultats d'une
enquête sur l'efficacité des chiens de protection 99
Annexe 11: Adresses de sites internet 101
Annexe 12: L'entretien de Laurent, éleveur 103
Remerciements
Je tiens à remercier tous ceux qui ont permis
que ce mémoire voit le jour, et tout
particulièrement, les personnes qui, sur le terrain, ont
accepté de me recevoir et m'ont ouvert leurs portes. Merci à
Nicolas qui m'a été d'une aide précieuse et
qui m'a encouragé tout au long de ce
travail.
Je remercie également mes parents, notamment pour leur
grand soutien « logistique ». Ainsi que Vanessa et
Céline pour leur aide à la relecture du mémoire, je leur
exprime ici mon amitié et ma reconnaissance. Merci aussi à
Brigitte, Gaëlle, Christelle, Maël et Marc.
Je voudrais ensuite remercier les membres du jury d'avoir pris le
temps de se pencher sur mon travail.
Et enfin, j'adresse un très grand merci à
Marlène Albert-Llorca pour m'avoir dirigée et
accompagnée dans la réalisation de ce
mémoire.
1
INTRODUCTION
Les réintroductions d'ours qui ont eu lieu en 2006
dans les Pyrénées Centrales dans le cadre du « Plan de
restauration et de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées
françaises, ont été le théâtre de nombreuses
perturbations, donnant lieu notamment au déplacement du lâcher
d'un des ours importés de Slovénie pour renforcer la population
ursine pyrénéenne. Des tentatives d'empêchement
plutôt musclées de ces lâchers ont eu lieu ainsi que
plusieurs manifestations d'opposants. Ces évènements ont
été à l'époque largement médiatisés.
A une époque où la protection de l'environnement est devenue, en
quelque sorte, « cause nationale », il ne se passe pas un jour sans
que l'on entende parler dans les médias d'émissions de gaz
à effet de serre, d'énergies renouvelables,
d'éco-construction ou de sauvegarde de la biodiversité. Les
dernières élections européennes ont d'ailleurs
montré, avec le très bon score des écologistes, que la
société est de plus en plus préoccupée par les
questions environnementales. Quasiment tout le monde est désormais
d'accord pour dire que préserver la « santé » de notre
planète est une priorité. Mais il se trouve que tout le monde
n'est pas d'accord sur ce qui constitue cette priorité et comme dans
toute idéologie, il y a différents courants. Dans le cas qui nous
intéresse ici, que ce soit les détracteurs ou les
défenseurs de cette réintroduction, tous se disent
défenseurs de la biodiversité mais sans avoir la même
idée de ce qui doit la constituer et de ce qui est un patrimoine naturel
à préserver, à sauvegarder. Ainsi, les éleveurs
opposés aux réintroductions d'ours se disent volontiers
écologistes et même « les vrais écologistes
».
D'autre part, lorsque l'on aborde ce sujet avec tout un
chacun, la première chose que l'on vous demande c'est bien souvent:
« t'es pour ou t 'es contre ?» Ou alors, cela donne lieu à un
débat, qui peut être plus ou moins passionné selon que ce
thème vous touche ou pas particulièrement, mais bien souvent les
gens ont un avis sur la question ou ont du moins quelque chose à dire
à ce propos: « l'ours a toujours été là
», « il était là avant l'homme »... ou au
contraire: « l'homme a toujours cherché à se
débarrasser des prédateurs, pourquoi en remettre aujourd'hui
», et cela, selon que l'on approuve ou pas cette réintroduction.
Isabelle Mauz (2005 p.167) a fait la même remarque à propos des
loups. Ayant fait une enquête de terrain dans les Alpes au moment
où le loup a fait son retour dans la région, elle écrit
que pour expliquer ces phénomènes qui déchaînent les
passions, de façon parfois irrationnelle, il faut faire appel à
la psychanalyse et elle fait référence aux travaux de
Sophie
2
Bobbé1 qui a traité les
thèmes de l'ours et du loup selon une approche psychanalytique dans
son
« essai d'anthropologie symbolique ». Il semble
qu'il en soit de même pour l'ours. Mais ce n'est pas cet aspect que je
vais pouvoir développer ici.
La question centrale de ma recherche est: pour quelles
raisons peut-on rencontrer une telle résistance au projet de
restauration d'une population viable d'ours dans les Pyrénées ?
Et cela, plus précisément dans le département de
l'Ariège, où l'on rencontre une forte opposition au projet et qui
a constitué l'essentiel de mon terrain d'étude. Afin de tenter de
répondre à cette question, je vais en poser plusieurs autres.
Tout d'abord, qui sont les gens qui s'opposent à ce projet ? Est-ce que
ce sont uniquement des éleveurs? Si ce sont des éleveurs, quels
éleveurs ? Est-ce que ce sont uniquement des éleveurs
transhumants? Habitent-ils tous en montagne, ou sont-ils aussi des
piémonts et de la plaine? Sont-ils originaires de la région ou
est-ce que ce sont aussi des néo-ruraux ? Quelles sont leurs conditions
de vie, de travail ?
Ensuite, quel sens donnent-ils à leur action ? Et
par quel discours argumentatif justifient-ils leur opposition ? Quel est leur
discours sur la situation qu'ils sont en train de vivre ? Quelles perceptions
ont-ils de l'ours ? (un danger physique ? Un danger symbolique ?) Il semble que
le sentiment dominant soit que leur mode de vie, lié à leur
activité de transhumance, est mis en danger de disparition par la
volonté de l'État et des associations écologistes «
d'ensauvager leurs
montagnes » en y réintroduisant des ours.
Leur vision est exclusive: c'est eux ou les ours, mais la cohabitation est
impossible.
En réaction, ils ont décidé de
« rentrer en résistance » et se sont
fédérés au sein d'une association. Par quels processus en
sont-ils arrivés à rentrer dans cette logique de lutte, de
résistance? Quelles sont leurs intentions, et par quels processus
cherchent-ils à les mettre en oeuvre ? Quel est leur but, et quelles
sont les actions entreprises pour l'atteindre ?
Pour tenter de répondre à certaines de ces
questions, je formule l'hypothèse que, dans le but de se défendre
face à ceux qu'ils voient comme mettant en danger leur mode de vie
(l'État français, et ceux qu'ils qualifient «
d'écologistes intégristes », termes employés
très souvent employés par les opposants au programme de
réintroduction) pour des raisons qui ne leur semblent pas valables. Ils
sont entrés en résistance par le biais de structures associatives
au niveau départemental et au niveau pyrénéen. Ces
associations ont eu un rôle fédérateur en produisant un
discours dans lequel tous semblent se retrouver, «nivelant» ainsi les
disparités individuelles et permettant la diffusion d'une conception
commune de l'idée de nature (une nature humanisée, culturelle) et
de ce qui constitue un
1 Dans son ouvrage: L'ours et le loup, essai
d'anthropologie symbolique publié en 2002
3
patrimoine commun à préserver: leurs
savoir- faire, les races domestiques autochtones, la culture montagnarde... Et
comme il est plus facile de se défendre quand on a le sentiment
d'appartenir à un même groupe, avec des valeurs communes,
l'identité d'éleveur transhumants et
l'identité
pyrénéenne sont mises en valeur (par
exemple, dans le manifeste des Pyrénées qui commence ainsi:
«Nous, qui vivons dans les Pyrénées... » aussi bien du
côté espagnol que français) ainsi, des personnes qui ne
sont pas des éleveurs et ne sont donc pas directement concernées
par les prédations d'ours rejoignent « les rangs de la lutte »
par « solidarité pyrénéenne ». Les
dénominations des structures associatives me semblent assez
significatives en ce sens: Association pour la Sauvegarde du Patrimoine
Ariège Pyrénées (ASPAP) et Association pour le
Développement Durable de l'Identité Pyrénéenne
(ADDIP).
On peut remarquer également que l'Ariège
bénéficie d'une image de pays de résistance, qui s'est
plusieurs fois opposé à l'État dans son histoire, et les
habitants du département revendiquent volontiers cette image un peu
rebelle. Sur la page d'accueil du site internet à vocation touristique
«
Ariège.com
», il y a une sorte de devise: « nature, tradition, courage, refuge,
résistance ».En dessous il y a un petit texte qui explique chaque
point de la devise2, pour le mot résistance, il est fait
référence entre autres aux Cathares, et à la Guerre des
Demoiselles. C'est au 19ème siècle, principalement dans le
Couserans, qu'eut lieu cette révolte, en réaction à la
mise en application d'un nouveau code forestier qui interdisait l'usage des
forêts notamment pour le pâturage. Les paysans s'attaquaient aux
gardes forestiers et aux gendarmes vêtus de longues chemises blanches de
femmes et le visage noirci ou caché. Lors des manifestations
d'opposition au plan ours, des opposants ariègeois ont
défilé le visage noirci et vêtus de longues chemises
blanches en référence à cet épisode de l'histoire
locale. Jean, éleveur en Haute-Ariège, y fait également
allusion dans ses propos: « ...tout le temps être en
rébellion...c'est pas nouveau...y'a eu la guerre des demoiselles avant
nous...si les montagnes elles sont restées ce qu'elles sont c'est parce
que les gens s'y sont accrochés et faut continuer à s'y
accrocher... ».
Je vais tout d'abord décrire quel a
été mon terrain, comment j'ai collecté les données
à partir desquelles j'ai pu réaliser ce mémoire. Ensuite,
je présenterai quels sont les discours tenus par les acteurs que j'ai
rencontrés sur le terrain à propos du programme de
réintroduction, des ours et du territoire sur lequel ils vivent; puis
quelles représentations de la nature ils impliquent. Dans une
troisième partie j'aborderai certaines des conséquences de ce
projet dans le département, dont fait
2 Depuis, la page de présentation du site a
été modifiée, cette devise et les explications qui
allaient avec ont été supprimées.
4
partie le processus mis en oeuvre par les acteurs locaux
pour structurer leur résistance, et notamment un processus de mise en
valeur, de réactivation d'une identité collective
pyrénéenne, de gens de montagne, et d'éleveurs
transhumants; et ce par le biais de structures associatives.
5
lère partie: LE TERRAIN, LA COLLECTE DE
DONNEES.
I. LES OBSERVATIONS
Avec pour thème de départ: l'ours des
Pyrénées, la réintroduction en Ariège, j'ai
abordé le terrain en me rendant à des évènements de
la vie locale où je savais qu'il serait, au moins en partie, question
d'ours.
A. L'assemblée générale annuelle de
l'Aspap
Ma première approche, a eu lieu à
l'occasion de l'assemblée générale annuelle de l'ASPAP,
(Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Ariège
Pyrénées) association ariègeoise créée en
janvier 2006, quelque temps après que l'État ait annoncé
le projet de nouvelles réintroductions. « Les ariègeois,
largement touchés (2/3 des ours, 3/4 des dégâts, selon le
ministère de l'écologie3), décident alors de se
doter d'une véritable structure de résistance, avec des moyens,
des compétences et une détermination qui jusque là
n'avaient pas été réunis ». (Extrait du site internet
de l'association dans la rubrique « qui nous sommes ». La partie en
caractère gras l'est aussi sur le site.)
Elle est composée principalement d'éleveurs
mais aussi de professionnels du tourisme, de scientifiques, de simples
habitants du département en relation ou non avec le monde
agro-pastoral,etc... Cette structure compte plus de 1000 adhérents.
Avant sa création, l'opposition à la réintroduction se
fait déjà sentir en Ariège mais pas sous la forme d'une
association départementale. Il existe une autre structure associative,
l'Addip (Association pour le Développement Durable de l'Identité
Pyrénéenne). « L'Addip regroupe les associations
départementales opposées à l'ensauvagement
artificiellement recréé du massif pyrénéen que
supposerait une population d'ours naturellement viable » (Extrait du
« Bilan de la situation créée aujourd'hui par le plan de
conservation et de restauration de l'ours brun 2006-2009 dans les
Pyrénées et conséquences pour le massif »
édité par l'Addip et rédigé par Bruno
Besche-Commenge4) .
3 Voir la carte de la répartition des ours sur la
chaîne en annexe.
4 Voir portrait en page 21
6
Cette assemblée générale se
déroule dans la salle des fêtes d'un petit village du
piémont ariègeois non loin de Foix, environ 250 personnes sont
présentes, de toutes les générations, cela va des jeunes
enfants aux personnes âgées, les gens sont venus en famille. A
l'entrée de la salle se tient un stand où l'on peut trouver des
tee-shirts, des autocollants, des dépliants à l'effigie de
l'association et un livre intitulé: « Les raisons de la
colère » de Violaine Bérot5. Différentes
personnes se succèdent à la tribune pour présenter le
bilan des actions menées pendant l'année, le lancement de
perspectives pour l'année suivante et réaffirmer leur
détermination à faire cesser ce plan ours en reprenant leur
argumentaire à ce sujet. A la fin, il y a un buffet pour lequel chacun a
apporté quelque chose, dont beaucoup de produits faits-maison
(étiquettes écrites à la main sur les bouteilles et les
conserves): vin de noix, charcuteries, pâtés, fromages, pains,
pizzas préparées par les femmes,etc...C'est un moment convivial
sur fond d'accordéon. Les discussions vont bon train, les plaisanteries
aussi, on se demande des nouvelles des bêtes. Un des éleveurs
qu'on me présente me parle du livre proposé sur le stand: «
tout est dedans »... « elle est d'ici ». Lors de cette
soirée j'obtiens quelques contacts pour réaliser des
entretiens.
B. Le Symposium Life Coex
Quelques temps plus tard, je me rends à Luchon en
Haute-Garonne au colloque intitulé: « Symposium Life Coex. Des
ours, des loups et des hommes: initiatives européennes pour la
cohabitation et la valorisation » organisé par l'association «
ADET pays de l'ours » (Association pour le Développement
Économique et Touristique des Pyrénées Centrales)
basée à Arbas également dans la Haute-Garonne et qui est
partenaire de l'État dans la mise en place et en pratique du "plan de
restauration et de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées
française". Au moment de sa création, en 1991, cette association
regroupe les maires de 4 communes des Pyrénées centrales,
auxquelles d'autres s'ajouteront au fil des années. Puis en 1999, l'Adet
s'ouvre à de nouveaux partenaires publics et privés. C'est en
1993, qu'une charte a été signée entre l'Adet et le
ministre de l'environnement de l'époque, Michel Barnier,
prévoyant les conditions de la réintroduction et confiant
à l'Adet la maîtrise du programme de
réintroduction.
Cette association est donc composée d'élus,
de professionnels, d'associations et de particuliers. « Avec le programme
« Pyrénées centrales, pays de l'ours », l'ADET
contribue au
5Violaine Bérot est une pyrénéenne
d'origine paysanne mais qui a vécu plusieurs années en ville,
aujourd'hui elle élève des chèvres et des chevaux en
Ariège.
7
développement et à la valorisation
d'activités et de produits à forte composante éthique et
humaine, respectueux des terroirs, répondant à la demande des
hommes d'aujourd'hui et aux besoins des générations futures.
» (Extrait du site internet de l'ADET). Plusieurs organismes sont
partenaires de ce colloque: le programme Life-coex (qui mène des actions
en faveur de la cohabitation hommes-grands prédateurs dans plusieurs
pays européens), l'association WWF, le projet Natura 2000, le
ministère de l'écologie et du développement durable ainsi
que la Direction Régionale de l'Environnement
Midi-Pyrénées (DIREN).
Lors de ce colloque, on a pu sentir, surtout le premier
jour, une certaine anxiété de la part des organisateurs et de
certains participants qui redoutaient que des opposants à la
réintroduction ne viennent perturber le déroulement de
l'évènement, les gendarmes étaient d'ailleurs
présents le premier jour du colloque. Des journalistes de
télévision et de radio sont également là le premier
jour, ils interviewent surtout le maire d'Arbas, commune de Haute-Garonne,
François Arcangeli (également président de l'association
Adet ). Le colloque se déroule dans la salle cinéma du Casino de
Luchon beaucoup des participants semblent se connaître et l'ambiance est
plutôt conviviale. Les organisateurs qui font partie de l'Adet portent
une sorte d'uniforme, chemise marron et verte avec un écusson sur
l'épaule, il s'agit du logo de l'association Adet, Pays de l'ours.(image
ci-dessous). Dans la salle où ont lieu les interventions se tient un
stand sur lequel on peut retrouver la plupart des articles du catalogue de
l'association: des livres sur les ours, sur la randonnée, sur la faune
et la flore des Pyrénées, des ours en peluche portant chacun le
nom d'un des ours réintroduits en 2006, il y a aussi des moulages
d'empreintes d'ours, des cartes postales d'ours, etc...Pendant toute la
durée des conférences, un dessinateur est présent, Marc
Large, qui a notamment écrit un livre reprenant le mythe de « Jean
de l'ours » intitulé Xan de l'ours, la légende
de l'homme sauvage. Il va tout au long du colloque réaliser
des dessins humoristiques qui seront projetés sur grand écran et
ne manqueront pas de faire rire l'assemblée, perturbant parfois les
intervenants dans leur présentation.
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en1.png)
Logo de l'association Adet, pays de l'ours.
8
Les intervenants viennent de différents pays
européens, dont ceux qui bénéficient du programme
européen LIFE (programme de financement européen dont le volet
nature finance des actions de conservation de la nature notamment dans le cadre
du réseau Natura 2000). Chacun fait part de ses expériences, des
actions menées, des résultats obtenus ou non. Le but du colloque
est la confrontation des expériences pour pouvoir avancer et analyser
les résultats des différents types d'actions menés
concernant la cohabitation de l'homme et des grands prédateurs tels que
l'ours et le loup: voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne
pas.
Plusieurs thèmes sont abordés: les
différentes méthodes de protection des troupeaux (la
présence humaine, les clôtures électriques, les
aménagements d'estives, les chiens de protection, le mode de conduite du
troupeau), la perception des populations locales et les solutions possibles
pour une plus grande acceptation du programme, l'écotourisme en lien
avec la « grande faune », la valorisation des produits avec l'image
de l'ours ou du loup. Sur chacun des thèmes, les expériences de
différents pays sont présentées et débattues. Alain
Reynes, de l'ADET terminera son intervention ainsi: « concilier
conservation de l'ours et développement de l'élevage vivant,
voilà un beau défi de développement durable
».
Le public du colloque est très divers,
différentes nationalités sont représentées, il y a
des italiens, des croates, des espagnols, des portugais, des grecs, des
bulgares, des canadiens, des albanais. Ce public se compose de naturalistes,
d'universitaires, de responsables d'associations écologistes,
d'employés de la DIREN et de l'ONCFS, d'éleveurs de chiens patou
(race pyrénéenne de chiens de protection pour les troupeaux),
d'éleveurs. Beaucoup de participants semblent être en groupes,
mais il y a aussi des personnes qui sont venues seules comme cette jeune femme,
qui a fait des études de zooarchéologie et qui maintenant,
s'occupe de loups en captivité dans un parc situé dans le
Gévaudan, on peut dire que c'est une « passionnée de loups
».
Des éleveurs présents lors de ce colloque
ont développé un produit (en collaboration avec l'Adet), «
le broutard du pays de l'ours », c'est à dire un agneau qui a
passé l'été en estive dans une zone à ours et qui
est un « produit du terroir soumis à un cahier des charges
très précis ». Comme le précise l'intervenante
(éleveuse en Ariège) qui fait la présentation de cette
démarche, la création de ce label a permis de valoriser ce
produit et de faire un plus grand bénéfice car la viande est
vendue directement au consommateur et à un prix plus avantageux pour
l'éleveur (du fait que la qualité du produit est mise en avant).
Comme elle le précise en réponse à une question du public,
ils ont du mal à faire accepter leur label auprès des autres
éleveurs opposés à la réintroduction et peinent
à trouver de nouveaux éleveurs pour se joindre à eux car
cela reviendrait à accepter le programme de
réintroduction. Six éleveurs font partie de
cette démarche dont quatre sont en Ariège. Les éleveurs de
montagne qui sont favorables au projet de réintroduction sont fortement
minoritaires, et, selon l'intervenante certains qui sont plus neutres ou
même favorables ne le disent pas car c'est mal-vu dans le monde
agro-pastoral.
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en2.png)
Statue située au centre ville de Luchon
9
C. Les Pastoralies
Au mois d'août 2008 a eu lieu sur le plateau de
Beille en Ariège au dessus du village des Cabannes un
évènement intitulé: « Pastoralies, la fête de
la montagne vivante » organisée par l'ASPAP avec pour partenaires
le Conseil Général d'Ariège- Pyrénées, le
Pays des vallées d'Ax et la station de ski du plateau de Beille. «
Vous aimez la montagne et vous avez envie de la comprendre: éleveurs
transhumants, bergers, vachers, professionnels du tourisme, de
l'aménagement de l'espace montagnard, producteurs fermiers...vous
révèlent les multiples vocations du pastoralis
me.»6. Il y a beaucoup de visiteurs bien que le temps soit
très brumeux. Sur une partie du site on trouve un marché avec des
stands de produits du terroir (miel, charcuterie, fromage,...), un forgeron qui
vend ses couteaux, un vendeur de vêtements (dont des capes de berger en
laine),...on trouve aussi des stands liés au tourisme, un pisciculteur a
même installé un bassin et on peut y pêcher des
truites.
Sur le stand de la Fédération Pastorale de
l'Ariège (association se présentant comme « rassemblant des
acteurs du monde rural montagnard pour une meilleure prise en compte de
l'espace et de ses usages ») on trouve des panneaux explicatifs sur
différents sujets tels que: la conduite des troupeaux en estive,
l'entretien des estives etc. Sous la même tente se trouve le stand de
l'ASPAP: vente de tee-shirts, livres, DVD, du numéro «
spécial ours » du magazine
« l'Ariègeois ».
Différentes races domestiques
pyrénéennes sont présentées. Il y a un troupeau de
chevaux de
6 Extrait de la plaquette de présentation de
l'évènement reproduite en annexe
Merens, des ânes des Pyrénées, des
chèvres pyrénéennes (en voie de disparition). On trouve
aussi le chien de Carélie qui n'a rien de pyrénéen mais
qui est utilisé pour la chasse au gros gibier, notamment à l'ours
! Un des évènements majeurs de la journée:
l'arrivée du troupeau de vaches gasconnes.
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en3.png)
La chèvre pyrénéenne L'âne des
Pyrénées L'arrivée du troupeau de
vaches gasconnes
10
Tout au long de la journée un animateur fait des
commentaires au micro, quand il ne parle pas, ce sont des chants traditionnels
(ariègeois, pyrénéens) en patois qui sont diffusés.
Si on a réservé on peut participer au « grand repas
Ariègeois ».Le public est familial, on voit beaucoup de voitures
immatriculées dans la Haute-Garonne et dans d'autres départements
plus éloignés, sûrement des personnes en vacances dans la
région.
L'après-midi a lieu un forum dont
l'intitulé du programme est: «Pour une biodiversité à
visage humain », il y sera surtout question de l'ours et de la gestion des
estives. Les discours sont passionnés. Ensuite des interventions plus
scientifiques sont faîtes par des techniciens pastoraux et un
biologiste.
Un technicien pastoral de la Chambre d'Agriculture
base son discours sur une étude réalisée par
l'INRA7; des observations ergonomiques montrent que les
éleveurs travaillent beaucoup, qu'ils ont des conditions de travail
pénibles et qu'avec des ours en plus, « on rend des gens malheureux
» et cela crée des « difficultés humaines
».
Ensuite un technicien de la Fédération
Pastorale prendra l'exemple d'une estive où la
vulnérabilité du troupeau a été analysée et
où ont été faites des propositions pour protéger
l'estive des attaques d'ours, pour limiter les risques, car il estime que ce
n'est pas possible de les supprimer totalement. Il met en avant le coût
important de l'aménagement de l'estive (entre 400000 et
500000
7 Institut National de la Recherche
Agronomique.
11
euros). Et il estime que les mesures de protection ont un
impact négatif sur l'estive et sur le troupeau, car les bêtes
étant rassemblées dans le bas de l'estive, il y a un abandon des
bons quartiers, une obligation de réduire les effectifs et au final une
fermeture du milieu (la végétation ligneuse se développe
sur les prairies qui ne sont plus pacagées). La concurrence entre les
bêtes pour la nourriture étant plus importante, les agneaux
grossiraient moins et le regroupement des bêtes favoriserait les
maladies. De plus, des attaques pourraient quand même avoir lieu ou bien
elles se répercuteraient sur les estives voisines moins bien
protégées.
Le biologiste8 qui intervient ensuite
argumente autour du fait que, si l'estive n'est plus pacagée, de
nombreuses espèces de plantes et de micro-organismes, dont la
présence est liée à celle des bêtes, vont
disparaître en entraînant un recul de la biodiversité
montagnarde.
Il apparaît clairement que ce qu'ont voulu mettre
en avant les organisateurs de cette journée ce sont les hommes, leurs
troupeaux et donc la « culture montagnarde » liée à une
pratique pastorale, la transhumance; en d'autres termes ce qu'ils estiment mis
en danger par la présence de l'ours. C'est aussi une
démonstration de leurs pratiques et de leur savoir-faire.
D. Les Rencontres des Transhumants d'Europe
Au mois de septembre ont eu lieu à Seintein,
village de montagne du Couserans, « Les Rencontres des Transhumants
d'Europe ». Cet évènement a lieu dans le cadre de la Foire
de Seintein et à l'occasion des vingt ans de la Fédération
Pastorale de l'Ariège9. De nombreuses animations sont
proposées sur trois jours: cela va de la projection de films sur la
montagne et le pastoralisme à la possibilité de partager une
montée en estive et de redescendre un troupeau avec un éleveur en
passant par des démonstrations techniques (conduite de troupeau,
fabrication de fromage,pressage de jus de pomme, etc...), la
présentation de races rustiques locales, un marché10,
un repas spectacle( avec spectacle de danses traditionnelles locales), des
débats, des conférences de chercheurs sur le thème du
pastoralisme (géographe, anthropologue,...), des animations sont
également prévues pour les enfants. Des délégations
d'éleveurs transhumants de différents pays d'Europe sont
présentes (Irlande, Bulgarie, Portugal, Roumanie, Espagne,...). Sur le
stand de
8 Voir portrait en page 14.
9 La fédération Pastorale de
l'Ariège a été crée en 1988 à l'initiative
des éleveurs, des élus de la montagne et du
Conseil Général de l'Ariège. Elle a
pour vocation la mise en oeuvre de la politique pastorale départementale
.Elle intervient auprès des acteurs locaux pour organiser les
territoires d'estive, de zone intermédiaire et de fond de
vallée.
10 Sur ce marché se trouve entre autres une
démonstration de filage de laine, des producteurs de miel, des cocottes
en fonte à l'ancienne, des chaussons en peau de mouton,
etc...
l'ASPAP, on peut voir des photos de prédations
d'ours sur des ovins mais aussi des bovins.
Encore une fois, comme pour les Pastoralies, ce qui est
donné à voir aux visiteurs, c'est tout ce qui tourne autour du
monde du pastoralisme, et qui semble renforcer ses acteurs dans un sentiment
d'appartenance à un groupe, une profession, celui des éleveurs
transhumants, et à une culture, celle des gens de montagne. On cherche
aussi à valoriser les productions alimentaires et artisanales locales
ainsi que le tourisme. Avec la présence des délégations
d'autres pays, on entre dans la dimension transnationale de cette culture. Cela
donne lieu à des échanges de points de vue, d'expériences
et de techniques entre les éleveurs. Je retrouve en partie les
mêmes personnes que dans les manifestations précédentes.
J'obtiens un rendez-vous pour réaliser un entretien avec un
éleveur le lendemain.
E. La manifestation du Val d'Aran
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en4.png)
anneaux préparés pour la manifestation
Au mois de novembre 2008, un habitant du village de
Lès dans le Val d'Aran en Espagne, âgé de 70 ans, est
blessé par un ours au cours d'une partie de chasse. Cet
évènement va susciter une grande émotion dans la
région où a eu lieu l'accident. Les médias espagnol mais
aussi français vont se faire le relais de cet évènement et
des réactions que cela a suscité, il va même être
question de recapturer l'ours à l'origine de
12
l'agression et de le ramener en France. Le Val d'Aran
est une des régions où la présence des ours est
régulière.
Quelque temps après, le conseiller
général du val d'Aran et l'ADDIP vont lancer un appel « aux
élus des départements pyrénéens et aux
représentants professionnels agricoles, consulaires et syndicaux des
Pyrénées » tout d'abord pour le boycott de la réunion
du Groupe National Ours organisée par le Ministère de
l'Écologie, au motif que cela reviendrait à cautionner la mise en
oeuvre du plan ours. Ensuite parce qu'ils veulent mettre en place une «
plateforme transfrontalière pyrénéenne ». Une
réunion suivie d'une manifestation est prévue à Lès
le 6 décembre. Dans son invitation, le conseiller du Val d'Aran
s'exprime en ces termes: « Le Conseil Général du Val
d'Aran
a rejeté, sans équivoque, la
réintroduction de l'ours et ses conséquences, mais nous voulons
que la voix de l'ensemble des Pyrénées résonne avec force
face à ceux qui nous imposent leurs projets contre la volonté de
ceux qui vivent et travaillent dans ces vallées ».
Je me suis donc rendue à cette manifestation
à Lès quelques kilomètres après la frontière
avec la France. Tout d'abord, dans une salle de la mairie du village (« la
casa pera vila ») a eu lieu la réunion prévue. Les
intervenants sont des aranais et des français, des élus et des
professionnels. Parmi les français il y a Bruno Besche-Commenge qui est
linguiste et fait partie de l'ASPAP, son discours, dont voici quelques
extraits, est un résumé quasiment exhaustif de la façon
dont la situation est perçue et du message que l'on souhaite faire
passer:
« La gravité du problème auquel on est
confronté et qui n'est pas qu'un problème d'ours, qui est comme
tout le monde le dit, comme l'Aran le dit, un problème de mépris
pour la culture pyrénéenne, un problème de mépris
pour les gens les hommes et les femmes pyrénéens, et un
problème de mépris pour tout le travail énorme que nos
ancêtres ont fait pour transformer les Pyrénées en
montagnes humaines [...] aujourd'hui on est à un moment où [...]
au niveau national, européen, on dit qu'il y a besoin d'envisager
l'agriculture, l'élevage, la production non seulement sous l'aspect
industriel qui est devenu dominant mais sous des formes de productions plus en
accord avec le milieu, plus respectueuses des équilibres naturels, avec
des races [...] locales qui sont adaptées au milieu, avec des hommes et
des femmes qui sont encore les connaisseurs, les porteurs du savoir qui permet
de produire dans ce milieu avec ces races locales. [...] Toutes les montagnes
du monde [...] ne sont pas des milieux naturels, c'est des milieux culturels,
[...] (qui) ont été travaillées, transformées par
le travail de l'homme, [...] ce que nous savons faire n'a jamais
été autant à la mode qu'en ce moment: continuer à
produire de la viande de qualité, dans des conditions saines, en accord
avec un milieu, [...] il va falloir demander à nos politiques
d'être clairs [...] est-ce que l'on devient pays sauvage ou est -ce-que
l'on essaie de relancer, de récupérer, de rattraper tout ce qui
est notre culture, notre savoir [...] on sait très bien que si il n'y a
pas d'éleveurs, d'agriculteurs pour entretenir le milieu, [...]
éviter l'embroussaillement général, les touristes ne
viendront plus [...] il y a un lien total entre notre développement
économique pour l'avenir, entre la préservation du milieu pour
permettre nos formes d'élevage et cet aspect fondamental de notre
économie qu'est le tourisme [...] l'ours n'est pas une espèce
menacée au niveau européen, c'est reconnu par l'Europe
elle-même, le berger pyrénéen oui, est une espèce
menacée, on le sait. »
13
Divers intervenants vont ainsi se succéder
à la tribune. Une fois les interventions terminées,
chacun
14
est appelé à signer le manifeste
rédigé conjointement entre les français et les aranais.
Dans ce manifeste, on retrouve les revendications des «
pyrénéens » espagnols et français, ainsi que leur
point de vue sur la situation. Il est intitulé « Le Manifeste des
Pyrénées »11et commence ainsi: « Nous, qui
vivons dans les Pyrénées, nous adoptons ce manifeste,...
»
Les personnes présentes sortent petit à
petit et se regroupent devant la mairie en attendant le départ du
cortège de la manifestation. Un des militants de l'ASPAP porte à
son bras de nombreuses cloches qu'il fait sonner et tient un énorme
bâton de marche sur lequel on peut lire : "defensor del
pueblo"12. On discute politique, on se donne des nouvelles, on parle
de ses bêtes... Il y a une délégation ariègeoise,
une délégation basquo-béarnaise que l'on peut
reconnaître grâce à leurs drapeaux basque et
béarnais. Il y a aussi des gens du luchonais et bien sûr de
nombreux aranais.
La manifestation se met en marche jusqu'à une
place, plus loin, toujours dans le village où sont entreposées,
le long des murs de la place, de nombreuses pancartes et banderoles qui ont
été préparées par les aranais. Elles sont
rédigées en aranais, en castillan et en français. Voici
quelques uns des slogans que l'on peut lire: « Non au danger dans nos
montagnes, nous voulons être libres », « Para vosotros la
montana es un jardin, para nosotros nuestra medio de vida13 »,
« Avant tout nos bêtes, non à l'ours », «
Réintroduction de l'ours au bois de Boulogne »... Chacun s'empare
d'une pancarte et après une halte, la manifestation continue son tour du
village. Font également partie du cortège « la
société de pêche et de chasse du Val d'Aran », «
le parti populaire du Val d'Aran", et d'autres organismes ou associations... On
peut lire leurs dénominations sur les banderoles.
Une fois le défilé terminé, un
dernier discours sera prononcé depuis le balcon du premier étage
de la mairie par le conseiller général du Val d'Aran, et par le
représentant du Conseil Général de l'Ariège sur un
ton très déterminé, ils seront particulièrement
applaudis à la fin du discours. Selon le site internet de l'ASPAP
environ 700 personnes ont participé à cet
évènement. Tout au long de la manifestation, des chants
traditionnels pyrénéens sont diffusés depuis une voiture
par des hauts-parleurs.
Beaucoup de journalistes français et espagnols
étaient présents pour couvrir l'évènement, ils ont
fait de nombreuses interviews et pris de nombreuses photos tout au long de la
matiné. Le but de cette manifestation était de
fédérer les deux versants des Pyrénées, pour s'unir
dans la lutte contre un même projet qui concerne un territoire qui a une
unité au delà des frontières: le territoire
pyrénéen. Mais aussi pour s'unir dans la poursuite d'un
même projet de « développement durable »
11 Le manifeste est reproduit dans sa totalité en
annexe.
12 « Défenseur du peuple. »
13 «Pour vous la montagne est un jardin pour nous
c'est notre moyen (ou milieu) de vie. »
15
des activités humaines dans les
Pyrénées françaises et espagnoles. La rédaction et
la signature du manifeste des Pyrénées en est, en quelque sorte,
le symbole, l'écrit qui symbolise cette volonté. Mais il s'agit
aussi d'une opération de communication dont les médias sont le
relais. On pouvait donc remarquer une certaine mise en scène de cette
manifestation, une mise en scène dont le public est: les médias
et ceux qui verront les images retransmises à la
télévision, entendront les discours à la radio ou les
liront dans les journaux.
F. Les rencontres ANEM".
Comme chaque année, au printemps 2009, en
Haute-Ariège, quelques prédations (sur des ruches et sur des
troupeaux) ont eu lieu dans des exploitations car les troupeaux ne sont pas
encore en estive. Suite à cela, le 15 mai 2009 a eu lieu à
Luzenac en haute Ariège une autre action de l'Aspap quelques jours
après que la première attaque d'ours de l'année ait eu
lieu précisément sur cette même commune. Un message a
été diffusé à tous les adhérents de l'Aspap
afin qu'ils se rejoignent devant le lieu où se tenait la réunion
départementale de l'ANEM. Un courrier a également
été envoyé aux élus de cette association afin
qu'ils rejoignent « le front commun » en précisant que «
cette nouvelle action s'inscrit dans le droit fil de toute la démarche
de l'Aspap: communiquer, occuper le terrain, agir ensemble ». Il est
également noté dans ce courrier que « la rencontre
départementale de l 'ANEM en un lieu symbolique-celui de la
première attaque chaque année- [leur] offre une
opportunité médiatique de renouveler au plus haut niveau [leur]
détermination à faire cesser le plan ours à sa date
prévue, sans reconduction possible. ».
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en5.png)
Le stand de l'association a été
monté devant la salle où se tient la
réunion. On y trouve des panneaux explicatifs de
leur action et du fonctionnement du pastoralisme, deux ouvrages (toujours celui
de Violaine Berot cité plus haut et l'ouvrage de Corinne
Eychenne,15 géographe intitulé: Hommes et
troupeaux en montagne, la question pastorale en Ariège et
un DVD, à propos duquel on me dit: « c'est des souvenirs
»16. Une enveloppe
contenant divers documents rédigés par
l'Aspap est distribuée à chaque élu se rendant à la
réunion.
14 Association Nationale des Élus de
Montagne.
15 Corinne Eychenne est Maîtresse de
Conférences au Département de
Géographie-Aménagement de l'Université de Toulouse le
Mirail. Son ouvrage traite de la gestion des estives, en Ariège, par les
éleveurs; et de ce que cela implique notamment au niveau identitaire et
symbolique.
16 Dans ce DVD on trouve une compilation d'images des
manifestations auxquelles l'association a participé ainsi que des
extraits de reportages réalisés par les
médias.
16
Et, avant que la réunion ne commence, ceints de
leur écharpe tricolore ils posent en groupe, sous la banderole de
l'Aspap, devant les photographes de la presse locale. Une carcasse de brebis
attaquée quelques jours plus tôt est exposée sur une
bâche posée au sol au dessus de laquelle est accrochée la
banderole de l'association. (voir photo).
Ce jour là, est annoncé la mise en place
d'une permanence téléphonique tenue par le réseau de
l'Aspap. Estimant que le répondeur mis en place par l'équipe
technique du suivi de l'ours est inefficace car rarement à jour il a
été décidé la mise en place d'un répondeur
d'information alimenté par les acteurs du réseau Aspap afin de
renseigner ceux qui le souhaitent sur les localisations d'ours. C'est à
dire que l'on peut laisser un message pour donner des informations dont on a
été témoin ou bien consulter les informations sur les
localisations des prédations, les observations visuelles d'ours, mais
également connaître la localisation des équipes techniques
de suivi de l'ours.
II. LES PRODUCTIONS ECRITES
Une littérature très nombreuse existe au
sujet de la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées.
Tout d'abord dans les journaux locaux, comme la « Gazette
Ariègeoise » et le magazine
« l'Ariègeois », mais aussi les journaux
nationaux où de nombreux articles ont été publiés
et le sont encore à chaque nouveau rebondissement de « la saga
» des ours des Pyrénées qui comporte d'innombrables
épisodes (certain parle de « guerre de l'ours »). C'est
d'ailleurs par la lecture d'articles de presse que j'ai commencé
à me familiariser avec le sujet. Ensuite, de nombreux sites
internet17 y sont consacrés, notamment les sites des
différentes associations « pro » et « anti » ours
qui se présentent toutes comme actives dans la défense de la
biodiversité et du patrimoine des Pyrénées. Il y a
également le site du ministère de l'environnement
entièrement consacré au « plan de restauration et de
conservation de l'ours brun dans les Pyrénées françaises
». Font aussi partie de ces données écrites les programmes
des différents évènements cités plus haut et au
cours desquels j'ai réalisé des observations. Ainsi que le
compte-rendu de l'Assemblée générale de l'Aspap à
laquelle j'ai assistée et certains exemplaires de la lettre mensuelle
d'information que l'Aspap envoie à ses
adhérents, intitulée « Vivre en
Pyrénées ».
17 Voir les adresses en annexe
17
III. LES ENTRETIENS
Sur dix entretiens, huit ont été
réalisés auprès de personnes du monde agro-pastoral
ariègeois, les deux derniers sont des interviews des agents de l'Oncfs.
Ils sont pour la plupart âgés d'une cinquantaine d'années,
cinq d'entre eux sont néo-ruraux, les autres sont natifs du
département. La question de départ de l'entretien n'a pas
toujours été la même. Pour les personnes avec qui je suis
entrée en contact par le biais de l'Aspap, j'ai leur ai
généralement demandé de me raconter ce qui les avait
amené à adhérer à cette structure. C'est donc le
cas pour six des interviews réalisés. Ensuite, pour les agents de
l'Oncfs, je leur ai demandé de me parler de leur métier. A
l'éleveuse favorable à la cohabitation, je lui ai demandé
ce qui l'avait amenée à créer un label de qualité
avec l'image de l'ours. Pour un des éleveurs, dont je ne savais pas au
départ s'il était adhérent à l'Aspap mais dont je
savais qu'il avait été victime de prédations sur ses
bêtes, j'ai lui ai demandé de me raconter les histoires qui lui
étaient arrivées avec l'ours.
* Jean
Jean habite dans un petit village qui se situe à
la limite de la zone intermédiaire c'est-à-dire à environ
900m d'altitude. Il y élève avec sa femme et son fils des vaches
gasconnes qui transhument, et des ânes des Pyrénées. Leur
production de viande, ils la vendent « en direct »18. Il
est également prestataire de randonnées, il loue des ânes
aux touristes pour se balader dans la montagne. Il n'est pas né en
Ariège mais il est venu s'y installer avec sa femme il y a trente ans.
Il a environ cinquante ans et est issu d'un milieu rural, son père
était éleveur à 60 km de Paris. Le métier
d'éleveur de montagne, il l' appris « en montagne [...] en
regardant ce que faisaient les autres ». Il est opposé au projet de
réintroduction « depuis les cinq premières minutes »
car pour lui, il est évident que c'est incompatible avec
l'activité pastorale. Il est très critique envers ceux qu'il
qualifie « d'intégristes écologistes »et se dit
prêt à se mettre hors-la-loi puisqu'il n'y a pas d'autre solution,
qu'avec le projet de réintroduction on veut imposer des choses
déraisonnables et qu'on ne veut pas entendre les arguments de ceux qui y
sont opposés. Il se dit inquiet de l'insécurité que
génère la présence des ours pour les habitants des
montagnes notamment au printemps quand les ours sortent d'hibernation, que les
troupeaux ne sont pas encore en altitude et qu'il y a des attaques dans les
exploitations . Il
18 Ils vendent leur production directement au
consommateur, sans intermédiaires.
18
estime que la présence des ours n'est pas
attractive pour le tourisme évoquant que des gens venus pour louer des
ânes hésitent à partir en raison de la présence
éventuelle d'ours dans les alentours notamment des personnes avec des
enfants en bas âge. Il est adhérent de l'Aspap depuis sa
création.
* Laurent
Laurent est éleveur avec sa compagne dans un
village situé en limite de zone intermédiaire à environ
900m d'altitude. Ils ont un troupeau de brebis tarasconnaises qui estive et une
vingtaine de cochons, dont ils transforment sur place la viande en charcuterie.
Tout comme Jean, ils font beaucoup de vente directe. Avec sa compagne, ils sont
venus s'installer dans la région il y a une trentaine d'années.
Il est âgé d'une cinquantaine d'années et a une formation
d'architecte. Mais il ne s'est jamais installé estimant que
c'était un métier de marchand qui ne lui convenait pas et il
avait vraiment envie de « vivre plein air intégral ». Depuis
le début des réintroductions, il est régulièrement
victime d'attaques sur son troupeau de brebis; en été sur
l'estive mais aussi au printemps sur son exploitation. Il l'a très mal
vécu surtout au début et il a perçu cet état de
fait comme une atteinte à son travail, ce qui l'a révolté.
Il estime qu'il y a beaucoup d'autres choses à faire de plus important
pour la protection de l'environnement que de persister à
réintroduire des ours dans les Pyrénées. Actuellement il
est un des co-présidents de l'Aspap. Selon lui, cette
réintroduction, telle qu'elle a été menée, manque
complètement de bon sens et traduit un mépris de tous les acteurs
de terrain qui, à son avis, font que les Pyrénées sont ce
qu'elles sont ou qui perpétuent, maintiennent ce qu'ont fait leurs
prédécesseurs. Pour lui, avec cette réintroduction, on
perturbe un fragile équilibre.
* M. et Mme Joly.
Ce couple d'une soixantaine d'années vit dans une
maison près de la ferme familiale où M.Joly est né. Ils
exploitent cette ferme, mais pour que cela soit « viable », M.Joly
travaille également dans une usine située non loin de son lieu de
résidence, il est donc bi-actif par nécessité et se
décrit comme un passionné de son travail d'éleveur. Il a
un troupeau de vaches gasconnes qui passe l'été sur l'estive
voisine. En 2004, « de la colère », il a vendu son troupeau
d'une cinquantaine de brebis à la suite d'attaques, mais depuis, comme
il dit: « j'ai replongé, j'ai racheté des brebis
[...]
19
j'ai toujours eu des brebis et faut toujours des brebis
». Depuis, pour son plaisir, il a quelques brebis autour de la maison,
dont il dit que c'est comme si c'était ses chiens, chaque jour il leur
donne du pain souvent accompagné de ses petits enfants. Il dit avoir
beaucoup d'affection pour elles et c'est pour cela qu'il a été
très affecté: « quand j'ai vendu le troupeau j'étais
pas loin de la déprime ». Depuis 1999, il est victime quasiment
chaque printemps d'une ou deux prédations, mais maintenant il dit avoir
« mis de l'eau dans [son] vin ». Il est critique à
l'égard de l'équipe du suivi de l'ours dont il aurait
souhaité un peu de soutien lors des attaques notamment pour le
rassemblement du troupeau. Et surtout, il souhaiterait qu'ils le
préviennent quand ils savent qu'un ours est dans le secteur. Tout comme
les autres interviewés, il estime que cette réintroduction a
été très mal préparée. Pour lui, il est
aberrant de mener un projet qui met en danger le pastoralisme et
décourage les jeunes qui voudraient s'installer. Il a également
des inquiétudes au niveau de la sécurité des personnes, sa
femme insiste sur ce point, elle est inquiète pour ses petits enfants,
au printemps elle ne les laisse plus seuls dehors. Ils sont adhérents
à l'Aspap depuis le début de sa création car ils estiment
que seuls il ne peuvent être entendus. Ils souhaitaient notamment que
l'association permette la diffusion d'informations autres sur la situation
qu'ils vivent au quotidien, que cela montre que ce ne sont pas eux les «
méchants » dans l'histoire, mais qu'ils sont simplement victimes.
L'entretien a duré quasiment deux heures, ils avaient beaucoup à
raconter sur le sujet. Et, à la fin de l'entretien, M. Joly me dira
qu'il n'a pas perdu son temps parce que les informations qu'il m'a
apportées, je ne les aurais pas eues ailleurs.
* Bernard et Josiane.
Il s'agit d'un couple d'éleveurs qui est
installé dans les piémonts de l'Ariège, ils ont un
troupeau de chevaux qu'ils élèvent pour la viande. Ils sont
âgés d'une cinquantaine d'années. Bernard est venu à
l'élevage après avoir travaillé dans différents
domaines. Ses parents étaient également éleveurs dans le
département. Comme ils n'ont pas assez de surfaces pour faire pacager
leurs chevaux toute l'année, ils passent l'été en estive
avec leur troupeau. Il sont dans une zone où les ours sont en
présence régulière et certains dérochements de
juments ont été reconnus comme dégâts de l'ours. Ils
ont adhéré à l'Aspap parce qu'ils ont été
victimes de l'ours et ils y ont une présence assidue, participant
très souvent aux réunions de l'association. Ils sont
mécontents car ils estiment que certains des dégâts qui
pour eux sont dus à l'ours ne sont pas pris en compte. Pour
20
Bernard, ce qui fait le succès de l'Aspap, qu'il
considère comme devenue une instance incontournable sur le
département, c'est notamment le fait qu'elle soit apolitique et que le
« leader »de l'association n'est comme il le dit:« à la
remorque de personne ».
* Bernadette.
Bernadette est éleveuse de brebis laitières
dans les piémonts ariègeois avec son compagnon. Elle est
âgée d'une cinquantaine d'années, originaire d'une ville du
centre de la France, elle est venue s'installer dans le département il y
a une trentaine d'année. Ce qui l'a amenée à l'Aspap,
c'est la musique. Elle est musicienne et des amis lui ont demandé de
venir jouer dans les manifestations. Elle est sympathisante de la cause depuis
le début, mais elle n'est pas concernée par des prédations
et ses brebis n'estivent pas. En tant qu'éleveuse de brebis, elle se
sent solidaire et en empathie avec ceux qui sont victimes de prédations.
Elle insiste sur le fait que ce projet a été imposé comme
elle dit: « par des écolos n'importe quoi ». Elle ne condamne
pas le principe selon lequel l'homme exploite la nature et pense que s'il ne
l'avait pas fait l'homme ne serait plus là, tout en estimant qu'il
faudrait peut-être le faire autrement, avec plus de respect. Pour elle,
certaines des personnes qui défendent le projet de réintroduction
sont des fanatiques et les idées de nature qu'ils ont relèvent du
religieux. Elle pense qu'ils montrent la nature comme détachée de
l'humain. Elle a déjà été victime d'attaques de
chiens sur son troupeau et dit que c'est plus difficile qu'on le penserait pour
l'éleveur de subir des attaques sur son troupeau, même si les gens
ont des sensibilités différentes.
* Bruno Besche-Commenge.
Cet ancien professeur de français et
linguiste19 est spécialiste de l'histoire des techniques
agro-pastorales (aujourd'hui à la retraite). Très actif au sein
de l'Aspap, il a réalisé un important travail de recherches
donnant notamment lieu a un dossier intitulé: « Ecologie, un vrai
problème manipulé de façon inquiétante: bilan de la
situation créée aujourd'hui par le «plan de restauration et
de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées 2006-2009 »
et conséquences pour l'avenir du massif » publié par l'Addip
(coordination européenne). Il s'agit d'un dossier d'une quarantaine de
pages, une information sur le sujet qui lui paraît plus
représentative de la réalité du terrain. Pour
19 Il a été chercheur au Centre de
Linguistique et de Dialectique de Toulouse.
21
cela, il fait de nombreuses références
à des travaux de scientifiques mais aussi à des
déclarations de personnalités politiques. Bruno Besche-Commenge
pense que ce qui se joue autour de cette réintroduction revêt de
nombreuses facettes. Et pour lui, ce n'est qu'un épisode de plus dans un
processus déjà ancien, qui relève notamment d'une «
guerre des savoirs ». Il considère que ce projet a agi comme un
catalyseur mettant en évidence d'autres phénomènes
à l'oeuvre depuis longtemps, notamment en terme d'aménagement du
territoire. Pour lui, le fond du problème, c'est une marginalisation
d'une forme de savoirs (ici agro-pastoraux) par rapport au développement
d'une pensée scientifique et un problème de dépossession
des gens d'un territoire et surtout d'un savoir.
* Nicolas
Il se présente lui-même comme biologiste,
spécialiste des écosystèmes d'altitude et des
écosystèmes méditerranéens, réalisant
à ce titre des expertises environnementales pour des bureaux
d'étude. Il est ce qu'on appelle un autodidacte, il a obtenu
récemment une équivalence universitaire pour ses
compétences et a été intégré à une
équipe de recherche scientifique en tant qu'ingénieur
d'étude. Il est âgé d'environ cinquante ans. D'origine
hollandaise, il est arrivé dans le département de l'Ariège
dans les années 70 alors qu'il n'avait que 17 ans pour vivre dans une
communauté qu'il a ensuite quittée pour fonder une famille mais
il est toujours resté dans le département. Il a été
pendant plusieurs années salarié de l'association des
Pâtres de Haute Montagne20 qui forme des bergers et des
vachers, il en était le coordinateur; il organisait l'ensemble des
activités de l'association et notamment la formation des pâtres.
Il n'était pas au départ opposé au projet de
réintroduction mais il a changé d'avis, en voyant la façon
dont la réintroduction était menée par le
ministère. Et du surplus de travail que cela représentait pour
les bergers ainsi que le stress auquel cela les soumettait: « d'avoir
discuté avec des membres de l'association euh. Je me rendais compte
que...ça a été quelque chose de terrible qui leur arrivait
». Il est très critique à l'égard de la façon
dont cette réintroduction est menée, notamment concernant les
compétences des équipes qui s'occupent d'expertiser les
prédations. Il est également très critique
vis-à-vis des associations partenaires du ministère dans sa mise
en place qu'il qualifie pour certaines d'intégristes et
dénonce
20 L'association des pâtres était au
départ partenaire du Ministère de l'Ecologie pour la
réintroduction des ours, mais s'est retirée du dispositif en 2001
estimant que leurs propositions n'étaient pas écoutées et
de plus, il s'est avéré que
nombre de ses membres voyant les difficultés
générées par les grands prédateurs
commençaient à s'opposer au projet.
22
ce qu'il appelle une « disneylandisation de la
nature » qu'il ne reconnaît pas comme étant de
l'écologie. Il a rejoint l'Aspap dès le début de sa
création.
* Annie
Annie travaille à l'Oncfs21 depuis
seize ans et habite un village de montagne. Elle est native de la
région, a cinquante cinq ans et a grandi en montagne. Elle allait
à la chasse à l'isard avec son père quand elle
était petite. Elle s'occupe du comptage et du suivi de la faune sauvage
mais aussi de la gestion des populations d'animaux nuisibles tels que les
renards, les martres, les fouines. Son travail, c'est la gestion des milieux et
des espèces. Elle se dit passionnée et parcourt la montagne
depuis très jeune. Elle n'aime pas rester dans les bureaux et est le
plus souvent sur le terrain en montagne. Elle s'occupe notamment de la gestion
de l'habitat du grand tétras qui se réduit du fait de la
fermeture du milieu à l'oeuvre depuis que les montagnes sont moins
exploitées. Selon elle, ce qui a manqué dans la mise en place du
plan de réintroduction c'est l'information et la communication. Comme il
n'y avait plus d'ours, elle était pour la réintroduction, mais
son point de vue a changé avec les années. Elle pense que le
« vrai » ours des Pyrénées ne pose pas les
problèmes que posent les ours slovènes réintroduits. Elle
dit aussi qu'à cause de la fermeture du milieu, les ours descendent plus
bas qu'ils ne le faisaient autrefois où la forêt ne descendait pas
aussi bas dans les vallées. Elle précise ne rien avoir contre
l'ours et être pour que l'on protège ceux qui sont là
(« moi je protège l'animal pas la bêtise humaine »).
Mais elle est contre de nouvelles réintroductions. Néanmoins,
elle ne plaint pas ceux qui laissent leurs troupeaux sans surveillance. Elle
estime que les chasseurs sont plus écolos que les écolos car ils
sont sur le terrain.
* Cédric.
Cédric travaille également à
l'Oncfs, il fait partie de l'équipe technique du suivi de l'ours. Il a
environ trente ans. Natif du département il a une formation de
technicien supérieur dans le domaine de l'environnement et de la gestion
de la faune sauvage. Cela fait deux ans qu'il fait ce travail de suivi
technique des ours. La principale fonction de cette équipe est de
collecter des données sur la population d'ours des
Pyrénées afin que l'équipe scientifique puisse ensuite
traiter ces données. Ce
21 Office National de la Chasse et de la Faune
Sauvage.
23
qui donne lieu a la réalisation de cartes de
déplacements et de zones d'occupation par l'animal. Elle fait
également la collecte d'indices, d'échantillons (poils,
excréments) qui sont ensuite analysés
génétiquement. Sa mission comprend aussi la vérification
de témoignages d'observations d'ours, les constats de dommages
causés par l'ours (exceptionnellement, car ce sont les agents
départementaux qui font habituellement ce travail), les captures quand
c'est nécessaire, et de l'information auprès de différents
publics (éleveurs, chasseurs, scolaires, etc.). Son métier lui
plaît, il le trouve intéressant mais il regrette que son
équipe soit souvent la cible des opposants au projet de
réintroduction du département en raison de ses fonctions. Il
estime donc qu'il faut être vraiment «blindé, [...] bien
moralement et physiquement pour supporter ça » et comme il le dit:
« faut pas qu'on ait d'avis tranché, même si au fond de nous
on a le droit d'avoir une opinion, [...] on se doit l'impartialité
».
* Martine.
Elle a quarante huit ans, elle est née à
Paris. Arrivée en Ariège en 1982 pour suivre une formation de
berger, elle est finalement restée dans la région. Avec son
compagnon, elle élève dans un village situé dans les
piémonts pyrénéens des brebis et des vaches qui passent
l'été en estive. Elle fait parti des éleveurs qui ont
choisi de créer un label de qualité en utilisant l'image de
l'ours. Le label s'appelle: « Le broutard22 du pays de l'ours
». Ils ont décidé de tirer parti de la présence de
l'ours, du côté positif de sa présence, afin de valoriser
leur produit qui se vendait mal et à un prix plutôt bas. La mise
en place de ce label s'est montrée être une démarche
efficace puisque le prix de vente de leurs agneaux, distribués en vente
directe, a connu une hausse importante. Et la demande est supérieure
à la capacité de production de ces quelques éleveurs.
Selon Martine, c'est parce que les « écolos » qui habitent
à Toulouse sont prêts à faire cette démarche pour
aider les éleveurs à cohabiter avec l'ours. Ce qui en fait un
acte de soutien, et même un acte presque politique dit-elle. Elle
regrette qu'il n'y ait pas plus d'éleveurs qui « osent »
commercialiser sous ce label d'autant plus que la demande est là. Si
elle pense que la cohabitation avec des grands prédateurs est possible,
elle dit que c'est parce qu'elle place les êtres humains à la
même hauteur que « le reste » et estime, au départ, que
« l'ours a autant le droit de vivre [qu'eux] dans les
Pyrénées ».
IV. A PROPOS DE MA PLACE SUR LE TERRAIN
22 Veau ou agneau élevé en plein air nourri
au lait maternel et au pâturage. Ici, il s'agit d'un agneau.
24
Au début de mon travail de terrain, je n'avais
qu'une connaissance vague du sujet bien que originaire de l'Ariège, mais
n'y vivant plus depuis six ans, j'avais certes quelques notions ou
prénotions sur le sujet mais pas de réelles convictions. Ainsi,
tout au long de mon travail, je me suis demandé si je n'étais pas
de parti pris et comment faire pour ne pas l'être alors que j'ai
principalement réalisé mon terrain dans un « camp »,
celui des opposants au projet de réintroduction, et que mon père
est éleveur, bien que non directement concerné, car il a son
exploitation dans les piémonts pyrénéen et n'est pas
victime de prédations d'ours sur son troupeau. Cela a été
une de mes principales préoccupations et j'espère y être
parvenue au moins en partie.
C'est en tant que fille d'éleveur et
«belle-fille » d'un membre de l'Aspap que je suis entré sur le
terrain. Ceci a été a été un atout pour être
plus facilement en contact avec les adhérents et obtenir des rendez-vous
pour des entretiens, car j'ai été perçue comme
étant, au moins partiellement, de leur monde, comme quelqu'un du coin et
donc à même de comprendre leur démarche. Cela m'a
probablement conféré une certaine légitimité
à m'intéresser à leurs activités et, si ce n'est le
statut d'alliée, cela a du moins certainement levé la suspicion
sur une éventuelle appartenance au « camp adverse ». J'ai
notamment pu le remarquer avec un des éleveurs interviewés, son
visage s'est illuminé et son ton est devenu de suite plus amical quand
je lui ai dit de qui j'étais la fille. Peut-être ne m'aurait-il
pas dit exactement les mêmes choses si cela n'avait pas été
le cas.
J'ai rencontré chez les personnes
interviewées et notamment chez ceux qui ont subi des dégâts
d'ours, une réelle envie de communiquer à ce sujet car ces
personnes ont le sentiment de n'être ni entendues ni comprises par
l'État et par le reste de la société. Comme M. Joly qui me
dit à la fin de l'entretien qu'il n'a pas perdu son temps parce que les
informations qu'il m'a apportées je ne les aurai pas eues ailleurs. Je
suis donc perçue, me semble-t-il, comme quelqu'un qui va pouvoir
diffuser leur parole, ou du moins je suis une personne qui va écouter
leur point de vue, qui va pouvoir les comprendre. Jean, lui, m'a dit à
propos de la difficulté de trouver des créneaux pour rencontrer
les gens que ce n'est pas qu'ils ( les éleveurs de l'Aspap) ne veulent
pas communiquer, et même au contraire, mais trouver un moment dans leur
emploi du temps pour le faire, est parfois difficile. Donc malgré
quelques difficultés parfois pour les rencontrer, toutes les personnes
interviewées l'ont fait volontiers.
Les refus que j'ai eus étaient plutôt le
fait de personnes favorables à la réintroduction comme ce berger,
ami d'une personne rencontrée au colloque de Luchon, qui a refusé
de me rencontrer. Et cette jeune bergère également qui aurait
d'ailleurs croisé l'ours sur l'estive où elle garde un
troupeau
et que j'ai tenté de contacter sans recevoir de
réponse. Ces refus s'expliquent certainement en partie par le fait
qu'« être favorable à l'ours » quand on fait parti du
monde agro-pastoral, c'est faire partie d'une minorité et ce n'est donc
pas toujours facile à vivre et à exprimer
ouvertement.
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
Mes observations ont eu lieu en différents
endroits des Pyrénées, principalement en Ariège mais aussi
dans le département voisin de la Haute-Garonne et dans le Val d'Aran en
Espagne et j'ai parallèlement réalisé une dizaine
d'entretiens. A l'exception des deux personnes travaillant pour l'ONCFS, tous
ceux que j'ai interviewés font parti du monde agro-pastoral
ariègeois. La lecture d'une partie des nombreuses informations
écrites existantes sur le sujet, notamment sur internet, m'a permis
d'avoir un autre aperçu de la situation notamment concernant
l'historique du programme de réintroduction, et les réactions
qu'il a suscité. Ainsi, j'ai pu rassembler de nombreuses données
qui constituent le corpus sur lequel je me suis appuyée pour mener
l'analyse présentée dans ce mémoire. Dans la partie
suivante, je vais présenter tout d'abord quels sont les discours tenus
à propos du programme de réintroduction par ses opposants et
donc, ce qui constitue dans ses grandes lignes leur logique de rejet de ce
projet. Ensuite, je présenterai d'autres témoignages sur le sujet
et enfin, je tenterai d'expliquer en quoi ces différents points de vue
sont liés à une façon de concevoir la nature et le
territoire.
25
2ème partie: DISCOURS ET REPRESENTATIONS
26
I. LES ADHERENTS DE L'ASPAP.
Ils sont opposés au plan de réintroduction
de l'ours dans les Pyrénées et pourtant, la plupart d'entre eux
se disent écologistes et même les « vrais écologistes
» par opposition à ceux qu'ils qualifient souvent d'«
intégristes écologistes » ou d'« écologistes des
villes ». Comment en sont-ils arrivés à se positionner ainsi
? Dans cette partie, c'est donc leur point de vue sur la question dont j'ai
souhaité rendre compte et pour cela j'ai repris la majorité des
éléments de discours qui reviennent chez toutes les personnes
interviewées et donc probablement le point de vue de la majorité
des personnes opposées au plan ours, et plus précisément
celles qui ont fait la démarche d'être adhérentes de
l'Aspap. Ces personnes exposent leur point de vue, mais aussi leur analyse de
la situation, comment elles l'expliquent et la perçoivent, ainsi que les
raisons de leur engagement dans un processus d'entrée en «
résistance » en se fédérant au sein de l' Aspap. La
majeure partie de leurs propos est une critique du projet, depuis sa conception
jusqu'à sa mise en oeuvre, une remise en cause des arguments des «
pro-ours », et d'autre part, une description du travail des
éleveurs, des « gens de terrain », de leur conception de la
façon dont le territoire doit être géré. Ils parlent
aussi, surtout pour ceux qui ont été victimes de
prédations, de la difficulté, du choc des prédations
subies et du sentiment d'irrespect de leurs pratiques, de leur travail. On leur
dit qu'ils doivent protéger leurs troupeaux et que pour cela
l'État finance les équipements, mais c'est pour eux incompatible
avec leurs pratiques, d'une efficacité relative et d'un coût
financier qui leur paraît démesuré par rapport au
bénéfice pour le territoire et pour les gens. Ainsi, ils
développent leur logique d'opposition et ce qu'ils considèrent
être le « bien-fondé » de leur position. Corinne
Eychenne (2006) a décrit ainsi la réaction des éleveurs
ariégeois: « cette réintroduction a été
vécue par les éleveurs comme une négation même de
leur présence en montagne, de leur activité et de leur avenir.
[...] au delà des risques de pertes d'animaux c'est bien l'atteinte
à leur identité, à leur fierté et à leur
honneur qui révolte les éleveurs. »
A. un territoire qu'on veut ensauvager, des pratiques
pastorales mises en danger ?
27
1. « Ça va à l'encontre de
l'élevage en montagne »
Tout d'abord, la première remarque d'ordre
général que je puisse faire, c'est que toutes les personnes
interrogées considèrent que ce projet a un impact négatif
sur le pastoralisme et qu'il pourrait précipiter sa disparition en
décourageant les éleveurs. C'est perçu comme une menace
pour la profession d'éleveur en zone de montagne et étant
donné que le système pastoral fait vivre beaucoup de gens en
montagne, ils souhaitent le défendre et ne comprennent pas que l'on
agisse contre lui. La cohabitation avec les grands prédateurs leur
apparaît comme impossible car selon eux les mesures de protection
préconisées sont inutiles, ne peuvent que limiter les
dégâts ou les déplacer ailleurs et surtout sont
inadaptées à leurs pratiques.
« Ça va à l'encontre de
l'élevage en montagne..si un jour y'a davantage d'ours que ça et
davantage même de prédateurs voire des loups et tout ça
quoi...c'est...c'est pratiquement sûr y'aura plus d'élevage en
montagne [...] y'a beaucoup d'éleveurs qui ont arrêté [...]
parce qu'ils ne veulent pas laisser les troupeaux aux ours quoi... »
(M.Joly)
« C'est vrai que avant y'en avait des ours enfin
y'en a eu et c'était tellement peu compatible avec euh l'activité
pastorale que le gouvernement donnait une prime quand on pouvait prouver qu'on
avait abattu un ours [...] c'est évident que c'est incompatible avec
l'activité pastorale euh...de nos montagnes...y'a pas d'endroits
sauvages y'a pas d'endroits inexploités...elles sont sauvages entre
guillemets mais....mais utilisées pour le pastoralisme et
utilisées
intelligemment »(Jean)
«Nous on tient à notre pastoralisme et
à la façon dont on utilise nos montagnes et...et on veut que
ça dure comme ça quoi...et y'a pas de place pour l'ours... »
(Jean)
2. une modification du paysage2; perçue
négativement
Le rôle d'entretien des espaces de montagne et de
haute montagne par l'activité agricole et la pratique de la transhumance
leur paraît être quelque chose de primordial pour le territoire. Et
donc, la présence des prédateurs entraînerait une
diminution de l'activité pastorale en décourageant les
éleveurs qui subissent des prédations mais aussi les jeunes qui
souhaitent s'installer. Ce qui aurait pour conséquence la
déprise, et donc à terme une modification des paysages de
montagne, perçue comme négative non seulement pour le tourisme
mais également par rapport à quelque chose de
23 Par paysage s'entend la végétation qui
le compose.
28
plus profond qui les touche dans leur rapport à
leur environnement, ce que M.Joly désigne comme « la liberté
des Pyrénées ». Ainsi, pour eux, nuire au pastoralisme,
c'est nuire aux éleveurs et donc nuire au paysage, support du tourisme
dans la région. Aussi, rejettent-ils l'idée avancée par
les promoteurs du plan ours selon laquelle ce projet doit être un atout
pour la région au niveau touristique.
« Alors pour restaurer des ours on va supprimer tout
ce qui est élevage...qu'est ce qui est plus naturel hein je sais pas,
qui est ce qui entretiendra la montagne ? Qui est ce qui entretient les estives
? C'est pas les ours qui vont entretenir les estives, ce sont les
éleveurs... »(Mme Joly)
«Maintenant y'a un éleveur par village...si
tu protèges pas ça c'est...c'est les ronces et les broussailles
qui vont arriver, si ça reste comme ça, au ras des maisons [...]
mais maintenant y'a plus personne, y'a plus personne, ça fait que plus
personne ne nettoie rien...alors si tu perds le peu d'élevage qu'y a, le
peu d'élevage...alors là là les Pyrénées ce
sera les ours et les loups ça c'est sûr y'en aura, mais y'aura
plus de touristes ça je peux te l'affirmer ! [...] y'aura des chemins
d'accès et vraiment délimités euh bien balisés et
tout mais dans des zones boisées, ce sera interdit d'y aller ou alors
à tes risques et périls, y'aura plus la liberté des
Pyrénées, ce sera une autre forme de Pyrénées [...]
si t'as des chemins en montagne qui sont nettoyés, si t'as des estives
qui sont propres avec des beaux pacages et tout, c'est quand même
grâce aux bêtes... » (M.Joly)
Ce n'est pas seulement une modification du paysage qui
est redoutée mais une profonde transformation de leur environnement
où ce ne serait plus les Hommes et leurs troupeaux qui seraient les
gardiens d'une nature apprivoisée, domestiquée,
façonnée par l'homme. Mais c'est bien la crainte d'une
primauté donnée aux « bêtes sauvages » et au
développement de zones ensauvagées, désertée par
les éleveurs et les troupeaux domestiques et où il serait
dangereux et difficile de se promener en raison de la présence des
prédateurs et de la broussaille. Et ce, par opposition à ce qui
est aujourd'hui vécu comme un espace de liberté, maitrisé,
domestiqué par l'homme et son activité. Et c'est bien le refus de
cet « ensauvage ment » des espaces de montagnes qui est
revendiqué par les associations opposées à la
réintroduction comme l'Addip et l'Aspap. C'est pour ces raisons qu'ils
considèrent que l'argument selon lequel la présence d'une
population d'ours est un atout pour le tourisme n'est pas fondé car
selon eux cela va entraîner une modification du paysage, non propice au
tourisme.
3. un territoire, des savoir-faire: un patrimoine
local
29
En ce qui concerne le territoire, en premier lieu, ils
estiment qu'il n'est plus adapté à la présence de grands
prédateurs comme l'ours, car selon eux il y a trop d'infrastructures
humaines (notamment routières) et trop d'humains pour qu'il puisse y
avoir à nouveau une population d'ours importante sur le massif. Ils
pensent par exemple que le dense trafic présent en Haute-Ariège
sur la nationale qui conduit au Pas de la Case est un obstacle sur le
territoire des ours. Le danger que cela représente pour les
automobilistes est également mentionné, ils prennent en exemple
pour justifier cet argument la collision qu'il y a eu au cours de
l'été 2008 en Haute-Ariège entre un minibus et un
ours.
Ensuite, les éleveurs ont le sentiment qu'avec
cette réintroduction on veut les exclure ou du moins limiter leur action
sur le territoire pour laisser la place aux ours et aux loups. « On veut
pas être parqués...parqués là dans un coin »
(Jean). On retrouve aussi ce sentiment que l'on cherche à les
déposséder de quelque chose que les générations
précédentes ont contribué à créer, à
entretenir et qui est aussi un savoir-faire. Sur ce thème, certains font
référence à la « guerre des demoiselles » dans
laquelle ils trouvent des similitudes avec la situation actuelle et même
en quelque sorte une justification du combat présent qui,comme à
l'époque, est mené contre « le pouvoir central »qui
souhaite modifier leurs habitudes hérités de leurs parents et
limiter leur action sur le territoire.
« Si [...] les mentalités n'avaient pas
changé euh y'aurait pas d'ours en ce moment... ça se serait
passé à coup de fourche et à coup de fusils...parce que
ils auraient pas supporté ça...la propriété
privée était réglementée à
l'époque... » (M.Joly)
« Comme on l'a trouvée la nature comme on l'a
trouvée on veut la laisser comme ça...c'est à dire euh
comme nos parents nous l'ont transmis... » (M.Joly)
« On fait un boulot on le fait bien, on le fait en
conscience [...] on sait ce qu'on a à faire, on a pas la science infuse
mais on sait ce qu'on a à faire sur notre terrain [...] c'est
évidemment intolérable d'entendre des gens d'ailleurs venir nous
dire comment il faut garder les bêtes et comment élever les
troupeaux quoi...ça ça ça tient pas la route ! »
(Laurent)
« Voilà tout le temps être en
rébellion...c'est pas nouveau...y'a eu la guerre des demoiselles avant
nous...si les montagnes elles sont restées ce qu'elles sont c'est parce
que les gens s'y sont accrochés et faut continuer à s'y accrocher
»(Jean)
« C'est exactement le même problème que
celui qui s'est passé après le vote du code forestier en 1827
appelé bêtement souvent la guerre des demoiselles [...] c'est le
même problème de dépossession des gens...d'un territoire et
surtout d'un savoir, [...] le territoire comme croisement d'une
géographie d'une histoire donc...d'une culture...hein c'est ça
euh, et ce qu'il y a
30
avec le plan ours ce n'est donc que la suite de quelque
chose qui s'est déjà mis en place bien bien avant hein quant au
fond... » (Bruno Besche-Commenge).
Pour Bruno Besche-Commenge, ce qui est similaire entre la
Guerre des Demoiselles et la situation actuelle, c'est qu'il s'agit dans les
deux cas d'une guerre des savoirs.
« Le scientifique travaille sur les
éléments de la nature, les éléments du vivant
tandis que les éleveurs ils ont affaire à la globalité,
alors ils ont développé des savoirs de la
globalité[...]mais donc y'a un rejet total de ces formes de savoir comme
pas le vrai savoir, et ça s'est retrouvé de façon
magnifique, j'ai beaucoup travaillé sur ces archives là, [...]
les archives forestières du 19ème siècle quand il y a eu
l'opposition hein, la mise en place du code forestier c'était vraiment
une guerre des savoirs[...]nous on sait mieux que vous ce qui faut faire pour
votre milieu, non c'est nous qui savons, et on trouve dans le plan ours les
mêmes acteurs [...] moi j'ai vu des gens dans les deux camps hein [...]
qui me disaient [...] exactement les mêmes phrases, mais au mot
près [...] c'est très impressionnant ».
La majorité des acteurs du monde agro-pastoral
(éleveurs, techniciens de la chambre d'agriculture,...)
perçoivent cela comme une intrusion dans leurs pratiques qui doivent
être modifiées, notamment en ce qui concerne les mesures de
protection préconisées pour faire face aux prédations
d'ours. Ils estiment que ces mesures de protection sont incompatibles avec
leurs pratiques car le regroupement nocturne ne permet pas au bêtes de
brouter « à la fraîche » avant le lever du jour ce dont
elles ont l'habitude et entraîne l'abandon des bons quartiers (zones
riches de l'estive), favorisant ainsi la fermeture du milieu. Le regroupement
des bêtes favoriserait aussi les maladies . Ils contestent aussi leur
efficacité: les troupeaux protégés sont aussi victimes de
prédations où alors les attaques se déplacent sur les
estives voisines. Ils condamnent le coût élevé (bien que
pris en charge par l'État) pour protéger une estive. Selon eux,
des personnes extérieures qui ne connaissent pas le terrain veulent leur
expliquer comment faire leur travail.
Ensuite, en cas de prédations, il y a une charge
de travail en plus dont le berger doit s'acquitter. Il faut retrouver la
bête tuée dans la montagne et la recouvrir avec une bâche
pour que d'autres animaux ne viennent pas effacer les signes permettant de
déterminer que c'est une attaque d'ours et pouvoir être
indemnisé. Ensuite il faut rassembler le troupeau et soigner
éventuellement les bêtes blessées. Puis enfin
prévenir l'équipe technique ours afin que l'expertise puisse
être réalisée le plus rapidement possible. Tout cela les
oblige à modifier leurs pratiques, leurs habitudes, leur
ajoute
31
une charge de travail. Cela est ainsi vécu comme
une perturbation de l'équilibre qui permet à leur pratique de
subsister.
4. la perturbation d'un équilibre: celui du
système de transhumance.
On retrouve cette idée que le plan ours viendrait
perturber quelque chose de fragile: l'équilibre qui existe en montagne
entre les hommes, leurs troupeaux et la nature qui les entoure. Un
équilibre qui est signifié par la pratique de la transhumance,
c'est à dire l'utilisation des espaces de haute montagne pour
l'élevage.
«Nous, la vie telle qu'on a choisi de l'avoir depuis
des années (Laurent et sa femme ne sont pas issus d'un
milieu agricole et sont venus par choix dans cette région)
c'était une recherche d'équilibre, une recherche
d'harmonie avec tout un milieu naturel et évidement avec un contexte
social et euh donc comme la base de notre économie c'était un
troupeau d'ovins transhumant...c'était l'amélioration du foncier
et euh enfin tout un équilibre entre un pays et des gens, nous on a
ressenti ces attaques comme une atteinte voilà et c'est vrai que moi
dès le début ça m'a révolté [...]
après euh les prédations...c'est c'est j'allais dire c'est du
fait divers c'est...le fond du problème il est pas là...le fond
du problème c'est une perturbation...énorme de tout un
équilibre qui est, qui reste fragile qui reste fragile malgré
tout parce que c'est des conditions géographiques, des conditions
météorologiques qui font que...l'agriculture l'élevage de
montagne euh...et encore plus l'utilisation des grands territoires, les estives
restent quelque chose de très fragile...très très fragile
et le moindre grain de sable peut venir bloquer toute une
dynamique...voilà... » (Laurent)
Et, cette pratique de la transhumance, leur apparait
comme essentielle, pour l'exploitation, et même vitale. C'est une
pratique qui fait partie intégrante de la plupart des exploitations de
montagne et, moins fréquemment tout de même, pour des structures
qui sont plus bas dans les vallées comme c'est le cas de Bernard. Pour
des éleveurs qui ont peu de surface pour faire pacager leurs troupeaux,
cela représente une alimentation de qualité pour leur troupeau et
à un coup raisonnable. L'été quand tout est sec en bas
dans les vallées et en plaine, l'herbe est toujours abondante en
montagne.
« Ici placés comme on est [en zone
intermédiaire, à environ 900m d'altitude] on pourrait pas faire
autrement...non...avec la race qu'on a...puis c'est des terrains pauvres
ici...c'est très c'est
des terrains très légers...euh pour nous
l'estive c'est le poumon, c'est le poumon de
l'exploitation ».(Laurent)
«Pour l'équilibre de nos exploitations une
exploitation de montagne ça se conçoit pas sans une estive
et...l'estive c'est pas un plus à l'exploitation, c'est ça fait
parti de l'exploitation »( Jean)
Le système de transhumance est
présenté comme indispensable, particulièrement
adapté au territoire et le seul qui permette la survie de l'exploitation
en libérant du temps et de l'espace pour l'éleveur pendant les
mois d'été. Ce système est pensé comme actuel,
performant, très adapté et pas seulement comme une tradition d'un
autre âge qui serait maintenue pour son côté
folklorique.
« C'est important parce que c'est...à la fois
en terme de ressources fourragères, les bêtes vont en altitude
pendant l'été et libèrent les prairies et les endroits
plus plats qui sont autour des villages qu'on peut utiliser pour faire du foin,
ça c'est le truc traditionnel et c'est aussi important en terme de
travail parce que pendant une période de l'année on a pas la
charge des bêtes et ça nous permet de faire justement les travaux
des foins et en plus l'été il fait très chaud en bas et
les bêtes sont mieux en altitude, l'herbe y est plus riche, y est plus
variée et c'est tout ce système qui est ancestral et qui est
hyper bien adapté à la région. »(Jean)
Il y a chez les éleveurs le sentiment qu'ils ne
peuvent pas être compris concernant ce système de fonctionnement
et que seuls ceux qui le vivent peuvent le comprendre. Ils pensent que c'est en
vivant en montagne que l'on peut comprendre ce qu'ils décrivent comme
une sorte d'alchimie subtile entre des hommes et un territoire que même
les gens de la profession travaillant dans la plaine ne peuvent pas percevoir.
On touche ici à ce qui fait une des spécificités de
l'identité montagnarde, la façon dont cette population se
perçoit, se définit, se démarque par rapport aux gens de
la plaine, de la ville.
« L'estive c'est pas un plus à
l'exploitation, ça fait parti de l'exploitation et bon je sais que c'est
incompréhensible pour des gens de la plaine même pour des gens de
la profession, pour des éleveurs de la profession...c'est
compliqué à comprendre cette façon de fonctionner euh et
cette organisation... » (Jean)
32
5. réinvestir les territoires de montagne
33
Face à ce qu'ils voient comme une volonté
d'ensauvager les montagnes, ils estiment qu'au contraire, il faudrait que les
montagnes soient plus peuplées et ils trouvent illogique que l'on mette
en oeuvre des actions qui ont pour conséquence une
accélération de la diminution du nombre d'éleveurs de
montagne. Ils voudraient que l'on favorise plus l'installation de gens dans les
montagnes et ils y voient même une solution à certains
problèmes de société.
«Quand tu vois dans les villes au contraire
où tout est prêt à exploser parce qu'y a pas de boulot, que
les gens ils n'arrivent plus à se loger, ils n'arrivent même plus
à manger correctement et qu'on ne favorise pas justement l'installation
dans les campagnes mais c'est c'est la solution de demain c'est ça!
...au moins laisser ceux qui y sont., ne pas leur dire vous fermez les portes
et vous allez pointer au chômage à Toulouse» (Mme
Joly)
C'est donc plutôt un réinvestissement des
milieux ruraux qu'ils préconisent, pas simplement comme lieu de
résidence mais comme lieu de travail, d'exploitation des ressources
naturelles pour l'agriculture, l'élevage. Donc pour eux, il y a quelque
chose d'illogique, dû au système économique dans lequel on
évolue, dans le fait de laisser à l'abandon des zones qui
pourraient faire vivre des gens, les «nourrir ». Ce qui leur
paraît illogique c'est notamment que des gens qui sont dans les villes
n'arrivent pas à vivre correctement alors que des zones rurales sont
à l'abandon sans personne pour les cultiver ou les exploiter. Et c'est
d'ailleurs même en partie pour cette raison que Laurent est venu
s'installer dans la région pour devenir éleveur :
« Je supportais mal de voir tous ces pays euh en
voie de désertification...(pause)...parce que y 'a un potentiel
énorme euh quand je vois tous ces gens qui font les fins de
marché pour ne pas dire les poubelles...qui ont des salaires euh...c'est
y'a y'a vraiment quelque chose qui ne va pas quoi, alors qu'on est sur des
dizaines pour ne pas dire des centaines d'hectares qui pourraient nourrir
euh...toute une population euh...donc moi j'ai choisi ca ».
Les éleveurs de montagnes sont conscients des
difficultés que rencontre leur profession. Mais ils ont aussi conscience
que leur travail est bénéfique pour le maintien d'un certain
paysage et semblent avoir incorporé cette fonction de « jardinier
de la montagne » et même, ils la revendiquent. De plus ils ont
conscience que leur activité longtemps marginalisée, car peu
productive, peut aujourd'hui au contraire être valorisée comme un
mode de production respectueux
34
de l'environnement générateur de produits
naturels de qualité. D'autant plus que la demande en produits
écologiques est en pleine augmentation.
En conclusion, ce que ces gens ont a reprocher à
cette réintroduction, c'est notamment le fait que cela va à
l'encontre de la façon dont ils considèrent que le territoire
doit être géré. Et aussi, parce que cela vient perturber
leurs habitudes, que c'est une contrainte qui s'ajoute à d'autres
déjà existantes. Ils contestent le caractère
écologique de cette opération de réintroduction qui d'un
autre côté leur semble mettre en péril une activité
agricole respectueuse de l'environnement, par opposition aux exploitations
agricoles de la plaine de type plus industriel qui produisent en masse et non
en qualité. Leur activité, ils la voient comme
bénéfique pour le paysage et donc indispensable pour le tourisme
et pour le territoire. Tout ceci les amène à se considérer
comme écologistes, les « vrais écologistes », par
opposition à ceux qu'ils considèrent comme centrés sur une
espèce dite emblématique et voulant « ensauvager leurs
montagnes » pour revenir à une sorte de nature originelle
préservée de l'action « néfaste » de l'homme. Et
c'est pour cela, et ils le disent, que la cible de leur colère, c'est
ceux qui ont fait en sorte que ce plan voie le jour et ceux qui le mettent en
pratique tous les jours, bien plus qu'une colère envers l'animal sauvage
qu'est l'ours: « j'en veux pas particulièrement à l'ours
à la bête [...] [mais]c'est le mode de réimplantation de
l'ours... » (M.Joly).
B. Quelles perceptions des ours ?
1. À propos des ours autochtones.
Lorsqu'ils parlent des ours, ils le font dans des termes
très différents selon qu'il s'agit des ours réintroduits
ou des ours de la population autochtone. Le fait que certains utilisent le
terme
« introduction » et non «
réintroduction » lorsqu'il parlent du plan ours marque cette
différence. Tous sont d'accord pour dire que la présence de
prédateurs est incompatible avec le pastoralisme et se justifient
souvent en faisant référence au passé: on éliminait
les ours qui attaquaient les troupeaux et l'État donnait des primes pour
cela. De plus, du fait que les ours bruns ne sont pas classés par l'UICN
(Union Internationale pour la Conservation de la Nature) comme espèce en
voie de disparition au niveau européen, ils estiment qu'il n'est pas
primordial de recréer ou de renforcer la population d'ours sur la
chaîne pyrénéenne.
Néanmoins, lorsque qu'ils parlent des ours
autochtones certains le font avec sympathie et regrets quant à leur
disparition, mais ils estiment que c'est trop tard, que la lignée
pyrénéenne est éteinte. Le plus souvent ils en parlent
pour les comparer, les opposer aux ours réintroduits, jugés
différents .
« J'étais vraiment pour défendre ce
que j'appelle une population ursine autochtone, donc ça c'était
nos vieux ours, je, c'était très difficile, c'était
très difficile, notre ourse qui a été tuée par un
chasseur, qui était ce que j'appelle moi des nôtres... »
(Bernard).
« Vouloir préserver la souche
pyrénéenne de toute façon c'est trop tard il ne reste plus
que
de petits vieillards édentés qui ont
largement dépassé l'andropause... » (Nicolas).
« Voilà c'est vrai que c'est sûrement
un constat malheureux que l'ours autochtone ait disparu mais bon euh c'est
comme beaucoup de choses de l'existence du règne végétal
animal, voilà c'est comme nous...euh un jour ou l'autre euh y'a quelque
chose qui s'éteint...bon je le vois comme ça...peut-être
que c'est à ce moment là mais euh maintenant on peut tout dire,
à cette époque là qu'il aurait fallu des mesures de
conservation plus draconiennes, se pencher sur le problème, en attendant
le constat c'est que y'a je sais plus trois quatre ours autochtones qui
tournent en rond qui sont en consanguinité... »
(Laurent)
Le plus souvent, ils évoquent les ours autochtones
pour opposer leurs qualités à celles des ours
réintroduits, pour dire qu'ils étaient, eux, plus adaptés
au milieu, qu'ils savaient les limites à ne pas dépasser,
c'est-à-dire se cantonner aux zones de haute-montagne loin des villages
et des exploitations agricoles. Et de toute façon, s'ils
dépassaient ces limites, les gens avaient la possibilité de les
abattre et les ours « le savaient » ce qui les incitait à
rester à l'écart des hommes. Et ce par opposition aux ours
réintroduits qui ne respecteraient pas ces limites.
« C'est absolument pas une espèce en voie de
disparition maintenant que l'ours des Pyrénées on ait fait tout
ce qu'on a pu pour maintenir la population et bé j'aurais un tout autre
discours mais pas l'introduction...[...] parce que ça aurait
été de toute façon en nombre limité avec des
bêtes habituées à , au système d'exploitation donc
des bêtes qui vivent que dans des endroits assez reculés mais
là ces ours introduits y connaissent rien au pays, ils ont des habitudes
alimentaires complètement différentes...[...] qu'il y ait trois
ours qui se tiennent à peu près correctement, mais des ours de
montagne enfin des...pas des ours d'élevage quoi !
»(Jean)
35
Cet extrait de l'entretien de M. et Mme Joly m'a paru
particulièrement significatif de cette
36
distinction qui est faite entre ours autochtones et ours
réintroduits:
« Lui:...dans les Pyrénées y'en avait
toujours des ours...y'a y'a enfin le noyau ici mon grand-père il me
disait qu'il y en avait...mais la seule euh la seule présence de l'ours,
de sentir l'odeur humaine il s'enfuyait...
Elle: et puis quand y'avait un ours qui descendait trop
dans les villages ils prenaient le fusil ils l'abattaient point...ça
faisait partie des moeurs de l'époque donc ils n'étaient pas
menacés directement, les ours se tenaient en altitude et quand y'en
avait un par hasard qui s'amusait à descendre trop bas bah ils prenaient
les armes et ils s'en débarrassaient!
Lui: un ours qui est vraiment affamé qui
descendait dans des exploitations...ils le tuaient point...et ils avaient des
primes en plus...[...] donc ils étaient en estive et ils entendaient les
plombs de temps en temps et ils avaient peur de l'homme quoi...et là
y'avait, ça se passait très...comme ça...
Elle: ils avaient pas le même
comportement...
Lui: non mais c'est pas...et puis...ça a pas
été des ours qui ont été réimplantés
ça avant ils étaient de souche naturelle...
Elle: comme l'an dernier y'en a un qui se fait prendre
sur la route nationale par une voiture hein là y'en a une autre qui se
retrouve en pleine partie de chasse qui prend un plomb enfin ils sont en plein
milieu de la civilisation là euh...ils vivent avec les gens ce qui
n'était pas le cas à cette époque là...personne
n'aurait supporté de voir des ours traîner comme ça
».
2. À propos des ours réintroduits.
a. Des ours déviants...
Cette question des limites que les ours ne doivent pas
dépasser pour être acceptés par les hommes est à
rapprocher de ce que Isabelle Mauz(2006, p.37) a relevé concernant
d'autres animaux sauvages dans les Alpes, les chamois et les
bouquetins:
« Le caractère plus ou moins déviant
des animaux est mesuré à l'aune de leur distance à ces
repères [l'orée du bois, la rivière, la route,les
habitations], comme si en se rapprochant d'eux, et à fortiori en les
franchissant, ils trahissaient une aggravation de leur cas. Que les bouquetins,
contrairement aux chamois, sortent de la forêt et traversent les routes
est considéré comme la preuve qu'ils ne respectent pas des
frontières cependant clairement délimitées et
bien
37
reconnaissables.
La « prolifération » du sauvage
doublé de sa « descente » est assimilée à une
véritable invasion. Sentiment qu'accentue, par contraste, le retrait
apparent des animaux domestiques. Ceux-ci ne sont pas tellement moins abondants
que par le passé mais, concentrés dans un petit nombre
d'exploitations agricoles, ils semblent moins présents.
»
Les ours qui ont été réintroduits
sont donc considérés tantôt dans leur dimension d'animal
sauvage tantôt dans une dimension qui les rapproche plus d'animaux
domestiques ou du moins d'animal sauvage qui sort de son rôle, de ses
limites et c'est bien ce qu'on lui reproche. Les ours réintroduits
apparaissent comme des animaux « déviants », dont on ne sait
plus s'ils sont sauvages ou domestiques, car ils ne respecteraient pas
certaines normes et adopteraient des comportements qui ne sont pas
tolérés de la part d'animaux sauvages.
Différentes raisons sont invoquées par ces
personnes pour expliquer cette vision qu'ils ont de leur comportement. Tout
d'abord, les ours ne sont plus chassés par l'homme et ils n'en ont donc
plus peur ce qui les rendraient plus dangereux car moins distants, et d'autre
part, leur déviance viendrait du fait qu'ils sont inadaptés au
milieu naturel des Pyrénées car venant d'un pays où les
montagnes sont moins hautes. De plus, la façon dont ils vivent
là-bas aurait modifié leur régime alimentaire au fil des
générations. Ainsi une des principales mises en cause de ces ours
est de dire qu'ils seraient plus carnassiers que les ours autochtones, en
raison du fait qu'ils auraient été nourris de carcasses d'animaux
pendant des générations, en Slovénie, et que cela aurait
modifié leur comportement alimentaire.
« Ces ours slovènes, amenés qui vivent
à 600, 700 mètres d'altitude, qui ont des comportements tout
autres que nos ours pyrénéens nous ennuient, ce sont des
viandards, ils ont été nourris, ils restent habitués
à cette viande [...] ils se comportent comme des jeunes chiens qui font
les cons »(Bernard)
Selon Annie, agent de l'Oncfs, la fermeture du milieu
expliquerait le fait que les ours descendent plus près des zones
d'habitation, car la reconquête des espaces de moindre altitude par la
forêt et la broussaille leur permet de coloniser ces zones où ils
ne sont plus à découvert. On dit que c'est pour cela qu'autrefois
les ours restaient dans la haute montagne. A l'époque ils n'y avait pas
autant de végétation dans le fond des vallées et en plus,
les ours savaient que les hommes les chasseraient s'ils descendaient trop bas,
ainsi cela n'arrivait que lorsqu'ils étaient affamés mais
dans
38
ces cas là, ils étaient bien souvent
abattus.
b... qui entraînent un sentiment
d'insécurité...
Cette idée que ces ours sont plus familiers et
n'ont pas peur de l'homme entraîne chez les habitants des villages de
montagne un sentiment d'insécurité et de très nombreuses
d'histoires d'ours vus aux abords des habitations circulent en
Haute-Ariège. Des histoires où les ours franchissent les «
repères » dont parle Isabelle Mauz. Ils traversent
régulièrement les routes et on raconte qu'il arrive d'en voir un
se désaltérer depuis le café surplombant le torrent dans
un village traversé par la route nationale. Au printemps, ces
inquiétudes peuvent être fortes dans certaines fermes
situées en limite de zone intermédiaire comme c'est le cas de M.
et Mme Joly, elle s'exprime ainsi à ce sujet:
«Mais il n'empêche que, après chaque
attaque au printemps [...] [nos] petits enfants viennent
régulièrement se promener dans les champs et tout...chaque fois
qu'il y a une première attaque c'est au printemps, c'est quand
même l'époque où on commence à sortir on se
promène avec les petits, pendant trois mois y'a une chape de plomb qui
tombe, on sort plus et on ne laisse plus les enfants dehors on leur dit de
rentrer, ne vous éloignez pas, alors qu'on vit dans un domaine
exceptionnel vraiment on est tranquilles, on a la sécurité y'a
des espaces verts c'est magnifique c'est la nature [...] et d'un coup on se dit
on est agressé, on se sent plus en sécurité, un peu comme
si on vivait au centre ville et que y'avait des agressions sur des gens [...]
on n'est pas
habitué et pour nous c'est extrêmement
choquant ça ».
Parfois, cela s'exprime simplement par un « on y
pense » quand il fait nuit et qu'il faut faire un trajet à pied par
exemple ou qu'une bête vient d'être attaquée: «Peur on
en a pas, mais le moindre bruit tu te dis...c'est peut-être
ça...[...] même le plus courageux il y pense »(M.joly). Des
craintes sont également évoquées par des éleveurs
quant à la sécurité des gardiens de troupeaux sur les
estives.
La présence des ours inquiéterait aussi
certains touristes24 et le bivouac serait de plus en plus rare, les
gens préférant dormir dans les cabanes ou dans les refuges.
« En plein été c'était courant de voir des tentes sur
les estives [...] y'avait des familles...même des randonneurs qui
allaient à la
24 Encore une raison qui selon eux remet en cause le
bénéfice que ces ours représenteraient pour le tourisme,
certains précisent que si l'ours peut avoir un intérêt
touristique pour les Pyrénées, ce n'est pas le cas pour les zones
où il est en présence régulière comme en
Haute-Ariège.
39
pêche, des tentes tu en vois plus, les types s'ils
y vont dormir, ils vont dormir dans les cabanes ». La présence
d'ours en montagne aurait donc modifié certaines habitudes des
randonneurs.
c. ...et victimes de la volonté de l'homme de tout
gérer ?
Dans les propos des gens revient souvent l'idée
que ces ours sont victimes de la volonté de l'homme de tout
contrôler, même le sauvage. On les manipule, on les utilise, on les
opère pour leur mettre un émetteur dans le ventre, on les
recapture, puis on les relâche, on soupçonne qu'ils sont nourris
et on s'étonne de toute cette attention qu'on leur porte25.
Ils semblent ainsi perdre leur
caractère sauvage aux yeux de ces personnes qui
critiquent le caractère artificiel de cette réintroduction et
l'humanisation dont ils sont l'objet. C'est pourquoi Jean refuse de les nommer:
« je veux pas les appeler par leur nom, je m'y refuse ».
« Le plus malheureux dans l'histoire euh hormis tous
les gens qui étaient touchés, c'était qu'on se servait de
ces ours pour véhiculer et pour faire passer surement d'autres enjeux
[...] quand je vois la façon dont ils ont été
ramenés, capturés ramenés euh en fait il y est pour rien
quoi, on aurait mieux fait de les laisser dans les forêts où ils
étaient je pense qu'ils étaient mieux
qu'ici...opérés équipés d'émetteurs euh
suivis nuit et jour...euh c'est pas de l'écologie ça, c'est [...]
une opération médiatique ! » (Laurent)
«Pourquoi y'a des secteurs il faut qu'il y soit et
des secteurs il faut pas qu'il y soit ? Pourquoi c'est pas à lui
à décider où c'est qu'il veut vivre ? Puisqu'il faut le
laisser en liberté...Les secteurs qu'ils le jugent qu'il est trop en
danger [...] ils y vont ils l'effarouchent, pour le faire partir ailleurs,
ça fait que l'ours il est toujours en train de naviguer, il a pas de
territoire...et c'est pour ça qu'il y aura des problèmes... c'est
parce qu'une fois de plus, l'homme il veut tout gérer...y'a des fois
c'est pas à lui à gérer tout, il faut laisser la nature
aller...enfin moi c'est mon avis ». (M. Joly)
Raphaël Larrère (1999) a souligné la
contradiction qu'il y a à qualifier de sauvages les animaux
réintroduits par la main de l'homme et qui proviennent le plus souvent
de zoos ou d'élevages26 : « Ainsi, le retour du sauvage
qui symbolise l'ensauvagement des campagnes, n'est
25 Ce type de réflexions revient souvent à
propos de Balou, un des ours relâchés en 2006 qui s'était
d'abord dirigé vers la région toulousaine et dont les rumeurs
disent qu'il a été plusieurs fois recapturé ou
éffarouché pour être redirigé vers la montagne. Il a
été bléssé en 2008 lors d'une partie de chasse et
donc l'objet d'une attention particulière de la part de l'équipe
du suivi de l'ours
26 A la différence que ce n'est pas le cas ici,
bien que Jean qualifie les ours slovènes « d'ours d'élevage
», ils vivent en liberté dans les forêts
slovènes.
40
qu'une image: la pratique est, en fait de contrôler
la reproduction d'animaux que l'on a dû ensauvager » . Et à
propos du fait que l'on parle souvent de ces animaux comme s'ils étaient
des animaux domestiques (ils ont un nom, des métaphores
anthropomorphiques sont utilisées pour parler d'eux), il écrit
que « s'impose une représentation domestique, familière,
parfois même humanisée des animaux réintroduits [et que]
cette imagerie conduit à une confusion des catégories du sauvage
et du domestique ». La perception que les opposants au plan de
réintroduction ont des ours réintroduits semble effectivement
symptomatique de cette confusion des catégories du sauvage et du
domestique.
Il y a donc deux sortes d'ours pour ces gens, ce qui se
traduit de manière flagrante dans leur façon d'en parler. Les
ours autochtones jouissent d'une image presque positive, amènent
à l'expression de regrets concernant leur extinction et sont même
parfois évoqués en termes affectueux. A l'opposé, les ours
réintroduits sont décrits comme des animaux déviants dont
on ne sait plus s'ils sont sauvages ou domestiques. A la fois ils font peur et
sont objet de compassion.
L'attention qu'on leur porte semble amener certains
éleveurs à se sentir dévalorisés, mis en marge,
estimant que l'on fait plus cas du sort d'un animal, certes emblématique
et en voie d'extinction dans les Pyrénées, que du leur. «
S'il y a des animaux en voie de disparition c'est nous quoi...nous on est
vraiment en voie de disparition, et personne nous protège »(Mme.
Joly). Quelque part, ils revendiquent le fait d'être eux aussi
emblématiques et en voie d'extinction. Cela leur paraît d'autant
plus injuste qu'ils se sentent victimes d'un projet écologique alors
qu'ils se considèrent eux-mêmes, en tant qu'agriculteurs de
montagne, comme écologistes, appliquant des méthodes
d'élevage en accord avec l'environnement, par opposition aux
exploitations intensives de la plaine qui utilisent engrais et
pesticides.
Les ours réintroduits sont donc pour eux comme le
symbole d'une ingérence dans leur territoire et, d'un irrespect de leurs
pratiques et de leur avis sur la question de la gestion des espaces
montagnards. C'est donc à d'autres hommes qu'ils en veulent, ceux qui
ont mis en oeuvre le plan ours et dont ils pensent qu'ils n'ont pas compris la
façon dont cela fonctionne en montagne.
En conclusion, les ours réintroduits sont
perçus négativement par une certaine partie de la population
vivant sur les territoires où ils sont présents. Ils sont
considérés comme différents des ours autochtones en raison
de leur comportement, ce qui justifie à leurs yeux leur inadaptation et
donc en partie leur illégitimité sur le territoire. D'un autre
côté, le fait que les ours réintroduits et les ours
autochtones soient génétiquement identiques car faisant partie de
la même espèce d'ours (ursus
41
arctos) et plus précisément de la
sous-espèce européenne, remet, selon eux, en cause leur
caractère d'animal en voie de disparition, du fait que cette
sous-espèce est plutôt abondante dans certains pays
européens tels que la Russie par exemple.
Par contre, les personnes qui sont favorables au plan
ours ne semblent pas faire cette distinction, pour eux il n'y a qu'un seul
ours: c'est l'ours brun. Ils ne font pas de différence entre ours
réintroduits et autochtones en tout cas pas en ce qui concerne leur
comportement. Et ce, d'autant plus que ces ours réintroduits sont
là pour renforcer cette population autochtone, se reproduire avec elle
pour sauver le noyau d'ours qui restent. Ce qui semble important pour eux,
c'est surtout la présence d'ours sur le territoire
pyrénéen comme garant de la « bonne santé » du
territoire. Et le fait que ce soit des ours slovènes d'une lignée
différente, mais néanmoins génétiquement identique,
ne semble pas être une caractéristique déterminante de la
perception qu'ils en ont.
Et contrairement à ceux qui considèrent que
les ours slovènes ne sont pas adaptés aux Pyrénées,
Martine qui est éleveuse et pour la réintroduction,
considère au contraire que ces ours se sont parfaitement adaptés,
que leur reproduction se passe bien et que le territoire est tout à fait
adapté à leur développement.
C. Critiques faites au projet et à sa mise en
oeuvre
1. A propos de « l'équipe technique du
suivi de l'ours ».
Tout d'abord, la mission première de cette
équipe est de collecter des informations, des indices matériels
permettant de mener des études scientifiques sur les ours, sur leur
adaptation au milieu, l'évolution de leur implantation sur le
territoire, leurs lieux de prédilection, savoir s'ils se reproduisent
bien, en bref, il s'agit de suivre l'évolution de la population d'ours
sur le massif pyrénéen. Ils sont formés pour faire les
constats de dommages de prédations, mais c'est habituellement une autre
équipe, celle des agents départementaux, qui les
réalise.
Les éleveurs pour se prémunir des attaques
disposent de deux moyens mis à leur disposition par l'État: le
répondeur téléphonique pour la localisation des ours et la
mise en place de mesures de protection dont le coût est pris en charge
par l'État. Ce qui génère à mon avis une partie des
critiques envers les techniciens de l'équipe ours, c'est que les
éleveurs attendent de leur part quelque chose qui ne fait pas partie de
leur mission, ce qui entraîne de l'incompréhension des deux
côtés. Pour l'équipe de suivi, en théorie,
prévenir les éleveurs de la présence éventuelle de
prédateurs dans
42
leur secteur ne fait pas partie de leur travail et cela,
les éleveurs ne le comprennent pas. Les éleveurs disent : ils
savent précisément où sont les ours mais ils ne nous
disent rien. Les gens du suivi disent: ce n'est pas notre travail, il faut
protéger vos troupeaux, vous avez les moyens de le faire. Cet
état de fait conforte chez les éleveurs ce sentiment de
mépris à leur égard, et d'irrespect de leur
travail.
« Il m'a fallu deux jours pour rassembler tout [son
troupeau de brebis] et personne ne m'a aidé c'est ça que je
regrette, que j'en ai tant voulu au suivi de l'ours parce que c'est des gars
ils sont payés uniquement pour rester dans les voitures et localiser,
s'ils m'avaient prévenu la veille comme quoi l'ours était dans le
coin, moi mes brebis je les aurais rentrées »(M. Joly)
2. A propos des mesures de protection
Or, l'efficacité de ces moyens de
prévention est remise en cause par les éleveurs. Ils estiment que
le répondeur n'est jamais à jour et que les informations y sont
très limitées. Et c'est en invoquant cette raison que l'Aspap a
mis en service son propre répondeur de localisation alimenté par
son propre réseau. En ce qui concerne les mesures de
protection27, nombreux sont ceux qui estiment qu'elles sont
inefficaces, inadaptées voire inapplicables comme par exemple M. Joly
qui a eu des attaques en journée ( comme mesure de protection, un
rassemblement nocturne du troupeau est préconisé ) et des
attaques dans sa bergerie. Il estime qu'un ours qui a faim trouvera toujours un
moyen de contourner la protection28. Et il laisse même ses
brebis dehors, plutôt que de les rentrer estimant qu'il risque moins de
dégâts en les laissant dehors.
« Je les rentre plus depuis la fois qu'il m'avait
coupé la porte [...] si jamais je les rentre toutes [...] il va me tuer
tout, là au moins [...] il en attrape une et les autres se sauvent [...]
au moins je me sens pas responsable ». (M. Joly)
D'autres pensent que les mesures de protection sont d'une
efficacité relative et extrêmement coûteuses. Ils se
demandent donc si cela vaut vraiment le coup de faire toutes ces
dépenses pour sauver une population qui est certes en train de
disparaître dans les Pyrénées mais pas au niveau
européen. Une autre mesure de protection existe, il s'agit des chiens de
protection. Mais là aussi, les
27 Les principales mesures sont le regroupement nocturne,
la présence permanente d'un berger, les chiens de protection, les
clôtures électriques.
28 Dans le discours de M. Joly revient souvent
l'idée que les concepteurs du projet de réintroduction n'ont pas
pensé à la
manière dont les ours allaient se nourrir. Et il
parle souvent de « l'ours qui a faim ».
43
éleveurs estiment leur efficacité
relative. Les éleveurs qui en ont seraient quand même victimes de
prédations. Ils pensent qu'ils peuvent être dissuasifs dans un
certains cas mais qu'un ours qui a fai m attaquera quand même et que les
chiens ne pourront rien y faire.
« Y'a des estives qui ont deux ou trois
chiens[...]et les chiens ils se retrouvent au vétérinaire et les
brebis sont tuées point[...] s'il vient par là, qu'il rôde
par là qu'il a pas trop fai pourquoi pas, deux trois chiens ça
prévient le pâtre ça peut l'effaroucher un peu un peu,
ça je veux bien y croire... mais s'il a faim il attaque »(M. Joly)
.
Concernant les mesures de protection, il est difficile de
faire la part des choses. Par exemple, à propos des chiens de
protection, les résultats présentés lors du colloque de
Luchon29 par La Pastorale Pyrénéenne30 et
« l'Adet, pays de l'ours » font état d'une réelle
efficacité contre les
prédations lorsque des chiens de protection sont
mis en place au sein d'un troupeau.
3. A propos de l'État, de la bureaucratie, d'un
projet politique global
Dans le discours des gens revient souvent cette
idée qu'on leur a imposé un choix politique qu'ils n'approuvent
pas et qui pourtant les concerne directement. L'État est décrit
comme une instance lointaine détachée de la réalité
et qui a décidé du sort d'une partie de la population des
Pyrénées depuis des bureaux parisiens sans prendre en
considération l'avis des populations qui sont sur le
terrain.
« J'ai l'impression plutôt que[...]c'est une
population locale qui se voit imposer des diktats par un État central
» (Nicolas )
«C'est un souci de plus, et un souci qui est
imposé et ça moi je l'avoue, je le revendique, ça me
révolte parce que je ressens ça comme une injustice malgré
tous les discours qu'on nous fait, parce que les premières personnes
qu'on aurait dû écouter et concerter c'était nous
c'était les gens du terrain [...] je m'aperçois que dans d'autres
domaines, c'est la façon de faire d'un État: on décide, on
organise, on assène la décision et ensuite on met en place une
simili concertation, on veut se donner des allures de processus
démocratique mais en fait tout est joué d'avance ».
(Laurent)
29 Voir description en page 6.
30 Cette association s'occupe de la mise en place et du
suivi des chiens de protection au sein de troupeaux. Voir en annexe à
propos des résultats de l'enquête menées sur
l'efficacité des chiens de protection.
44
Ensuite, beaucoup estiment que l'État devrait
donner la priorité à d'autres problèmes, notamment
écologiques, plus urgents et plus importants selon eux. « Je pense
qu'au niveau conservation, protection de l'environnement y'a d'autres choses
à faire beaucoup plus importantes [...] je pense notamment à la
question des déchets nucléaires, bon à une agriculture
raisonnée. » (Laurent)
Certains disent que ce projet s'insère dans une
politique plus globale qui voudrait faire des Pyrénées une sorte
de grand parc voué aux touristes et aux bêtes
sauvages31. Et ce projet politique, ils n'y adhèrent pas, ce
n'est pas ainsi qu'ils voient l'avenir des Pyrénées. Et ils
trouvent contradictoire que l'on souhaite le faire en excluant les
éleveurs (qui s'en considèrent, de par leur activité, les
jardiniers) ou du moins en les décourageant par la présence
d'ours. Néanmoins, ils sont pour le développement du tourisme
mais sans que cela se fasse au détriment de l'élevage. Ils
souhaitent que les deux soient liés et c'est ce qu'ils cherchent
à développer, un tourisme qui soit aussi en relation avec le
monde de l'élevage et la promotion des produits de qualité que
l'on trouve dans la région (alimentaires ou artisanaux)32.
Ils pensent que cela pourrait permettre de maintenir l'activité agricole
en partie grâce à la présence du tourisme. D'ailleurs, de
plus en plus d'éleveurs ont développé en parallèle
une activité liée au tourisme (camping à la ferme, chambre
d'hôtes, visite de l'exploitation...).
4. c'est qui les « écolos » ? c'est
quoi être « écolo » ?
Les associations écologistes faisant partie du
programme de réintroduction sont la cible de vives critiques de la part
des opposants au plan-ours et par extension, ceux qui soutiennent plus ou moins
activement ce programme. Notamment, le caractère écologique de
leur démarche est remis en cause, en tout cas dans le cadre de ce
projet. On estime qu'ils sont utopistes et déconnectés de la
réalité et qu'il veulent recréer artificiellement de la
nature naturelle, sauvage. Considérés comme focalisés sur
cette image du nounours, ils sont relégués au domaine de
l'imaginaire, du rêve. On les appelle: les « écologistes
intégristes », les « écolos n'importe quoi », les
« écologistes de villes », des «religieux », des
ayatollahs etc...Leur conception de la nature, de l'écologie serait
comparable à une religion. Les éleveurs de montagnes se
définissent comme écologistes en opposition à ce
qu'ils
31 Néanmoins, ils sont favorables à la
création d'un grand parc où les gens pourraient venir voir les
ours. Pour eux c'est la seule façon de rendre réellement
attractive pour le tourisme la présence de l'ours. Voici à ce
propos la formule d'un des éleveurs interviewé: « il faut
laisser l'ours libre et il faut fermer les brebis, et nous, on avait
décidé de fermer l'ours et de laisser les brebis libres, nous
étions à l'envers de leur schéma ».
32 Ce point sera développé plus loin dans
la troisième partie.
45
appellent de « l'écologie de salon
».
Pour eux être « écolo » en ce qui
les concerne au quotidien, c'est vivre au contact de la nature, vivre d'elle en
la respectant, en respectant un certain équilibre qui permet de
l'exploiter au bon sens du terme. Et même comme le dit Laurent, il lui
semble que du fait d'être éleveur en montagne, cela tombe sous le
sens d'être en équilibre avec la nature. Cela lui paraît
comme une évidence dictée par la nature et ses lois faute de
quoi, on ne peut y vivre de l'élevage.
« [Son choix de s'être installé en
montagne] c'est une recherche de qualité de vie...d'équilibre
donc c'est pour ça que ça me fait un peu sourire toutes les
histoires qu'on nous raconte sur la biodiversité l'écologie
euh...en montagne on peut pas être autrement...de pratiquer une
écologie quotidienne...parce que la moindre erreur se paye au prix
fort...il faut respecter...[...] ne serait-ce qu'au niveau météo
ça peut changer très vite et ça peut être
très vite compliqué, astreignant et donc faut prévoir on
fait pas n'importe quoi, et comme c'est peu mécanisable c'est de
l'extensif je dirai...raisonné ». (Laurent)
«Moi je pense que les vrais écolos c'est les
agriculteurs tu vois...y'en a toujours quelques uns c'est pareil...mais les
véritables écolos c'est les agriculteurs...en
montagne...après en plaine c'est autre chose, eux c'est du
rendement...c'est les insecticides et les pesticides [...] mais ici y'a
personne qui emploie ni des insecticides ni des pesticides...les gens ils
nettoient à la main et ils fauchent parce que on a des petites surfaces
[...] moi à mon avis c'est ça l'écologie [...] comme on
l'a trouvée la nature, comme on l'a trouvée on veut la laisser
c'est à dire comme nos parents nous l'ont transmis». (M.
Joly)
On peut remarquer ici que néo-ruraux (ici Laurent)
et natifs, de milieu paysan, du département (ici M. Joly) ont sur ce
point quasiment le même discours sur ce que c'est que d'être
écologiste et à propos du fait qu'être agriculteur de
montagne c'est forcément être écologiste car on vit
très proche de la nature et il faut être en équilibre avec
elle. On peut remarquer aussi le lien qui est fait entre écologie et
production de produits naturels33. Comme si c'était aussi le
fait de produire des aliments naturels qui faisait d'eux des écologistes
et justifiait ainsi leur priorité sur le territoire par rapport à
l'ours ou du moins à des ours réintroduits.
5. l'impact des prédations sur les hommes et
leur travail
Les adhérents de l'Aspap estiment que les
indemnités ne sont qu'une compensation financière
33 Sur ce point, pour M. Joly, c'est le fait que ses
bêtes mangent principalement de l'herbe qui en fait des produits naturels
et même «bio ».
46
qui ne peut réparer le tort émotionnel
causé aux éleveurs et aux bergers, selon leur degré de
sensibilité. Et aussi le tort causé au travail que constitue
l'élaboration du troupeau. Et cela d'autant plus qu'ils se
présentent comme des passionnés, travaillant beaucoup, mais avec
plaisir. Sans cette passion, beaucoup disent qu'ils ne feraient pas ce
métier là qui ne rapporte pas beaucoup voire même,
quasiment rien.
« On a les exploitations qui sont sentimentalement
vivables...mais...pas pratiquement... » (M. Joly)
«L'argent ça n'a rien à voir avec
avec le fait du sentiment qu'il retrouve l'éleveur...l'éleveur il
a tout perdu là...il a perdu toutes les brebis qu'il avait tous les
jours qu'il a nourri, les brebis les agneaux qui sont nés...qui sont
passés par les doigts, que tu fais téter, t'y passes des heures
à faire téter et...merde tu t'y attaches à ces bêtes
! C'est obligé ou alors t'es mauvais éleveur ». (M. Joly
à propos d'un éleveur qui a perdu un grand nombre de brebis suite
à un dérochement causé par une attaque d'ours)
« Nous au début on l'a perçu comme une
atteinte à notre travail voilà...dans la mesure où on
considère que, on vit la constitution, l'élaboration, la
construction d'un troupeau comme le travail de toute une vie...(pause) donc
quand on a eu les premières attaques, ça m'a beaucoup
touché parce que j'ai pas compris [...] qu'on détruise, qu'on
touche à la production...au travail d'autrui, quand je dis travail [...]
ça fait plutôt appel à la créativité de
l'individu ». (Laurent)
Ensuite, ils estiment que les dommages
collatéraux34 ne sont pas suffisamment pris en compte et que
parfois ils ne peuvent pas être pris en compte comme dans le cas des
bêtes qui ne sont pas retrouvées. Il faut bien une preuve pour
être indemnisé, mais dans ces cas là, ils ne peuvent pas
l'être faute de preuve.
Ils pensent que ceux qui ne vivent pas la situation ne
peuvent pas comprendre et que c'est pour cela qu'ils ne sont pas soutenus au
delà du niveau local. Et il semblerait également que certains de
ces éleveurs de montagne souffrent du fait que l'image qu'ils ont
d'eux-mêmes est très différente de celle que le reste de la
société leur renvoie. L'image de personnes qui vivent en dehors
des réalités de la société, peu sociables,
égoïstes, qui ne veulent pas laisser de place à l'ours. Et
c'est notamment par le biais de l'Aspap qu'ils souhaitent pouvoir exprimer et
changer cela.
« Mais celui qui est pas dedans, il peut pas se
rendre compte, c'est pas possible » (M. Joly)
34 Tels que les avortements, le stress causé aux
bêtes, le temps parfois très long qu'il faut pour rassembler le
troupeau et qui oblige à abandonner les autres tâches en
cours.
47
« C'est sûr que suivant qu'on est
éleveur et victime d'attaques, on a pas le même raisonnement que
celui qui le voit de l'extérieur. [...]Ce qu'il faut lutter aussi, c'est
contre cette image de ringardise de tous ceux qui sont contre, c'est des
ringards c'est des vieux machins heu...ils ne pensent qu'à eux, non
c'est pas ça quoi, enfin nous on se considère pas du tout comme
ça quoi...on est ouverts à plein de choses »(Mme.
Joly)
A propos de cet impact psychologique, une des
éleveuses interviewée raconte qu'il y a une
spécificité dans le rapport entre un éleveur et son
troupeau de brebis qui pourrait expliquer une sensibilité
particulière en cas d'attaque sur le troupeau. En effet les brebis sont
des animaux qui vivent en troupeau, et ont l'esprit grégaire, comme
s'ils ne formaient qu'une seule entité, un peu comme un banc de
poissons. Et cela obligerait l'éleveur ou le berger à une
attention constante particulière à son troupeau le rendant plus
sensible en cas de perturbation par un élément extérieur.
Voici comment Bernadette exprime cette idée:
« T'as quand même une sensibilité comme
ça au troupeau, c'est un effet de troupeau les brebis c'est pas des
animaux c'est un troupeau, c'est très particulier et...t'es toujours en
communication avec le troupeau donc quand y'a des événement comme
ça qui arrivent c'est c'est très traumatisant... même si tu
fais pas de la sensiblerie si tu veux, je sais pas comment dire donc
voilà...y'a une réponse quoi tu réponds et si t'as pas
cette capacité là, tu fais pas d'élevage longtemps parce
que tu te plantes, ça veut dire que tu perçois pas les
problèmes » (Bernadette)
II. D'AUTRES AVIS, D'AUTRES PERCEPTIONS
A. Martine, une éleveuse du label: « le
Broutard du Pays de l'Ours »35
Martine est éleveuse de vaches et de brebis avec
son compagnon, ils sont arrivés dans la région au début
des années quatre-vingt pour se former au métier de berger. Elle
est née à Paris, son père était professeur et sa
mère psychologue. Son compagnon lui, est originaire d'une région
rurale du centre de la France et est issu du milieu rural. Elle explique leur
démarche par une « prise de position au départ » avant
les premiers lâchers en 1996. A la suite de réunions, avec
quelques autres
35 Les parties entre guillemets sont extraites de
l'interview de Martine
48
éleveurs, ils ont pris contact avec l'association
« Adet, pays de l'ours » qui était en train de mettre en place
la marque « pays de l'ours » en lien avec un territoire. De ces
réunions entre éleveurs a découlé une
volonté de « profiter de la présence de l'ours, du
côté positif » pour réfléchir sur «
comment valoriser cette présence auprès de [leurs] produits
». Ils ont donc créé leur association et mis en place un
cahier des charges prévoyant entre autres que les agneaux de ce label
doivent avoir passé l'été sur une estive en « zone
à ours ».
Ce produit a trouvé de nombreux
débouchés notamment pour une clientèle
citadine
« écolo ». Martine explique ce
succès par le fait que cette clientèle citadine est prête
à consommer ce produit car il est de qualité, mais aussi pour
soutenir les éleveurs qui cohabitent avec les ours36 et que
pour cela ils sont prêts à payer un peu plus cher. Cette
démarche a donc permis une forte augmentation du prix de la viande,
permettant aux éleveurs un plus grand bénéfice. Martine
pense que le développement de ce label permettrait à de nombreux
éleveurs de valoriser leur production car la demande est très
grande pour ce genre de produit.
Ce qu'elle déplore, c'est que très peu
d'éleveurs souhaitent utiliser l'image de l'ours, car dans le monde
agro-pastoral, le consensus se fait autour du refus des réintroductions.
Elle pense aussi que certains éleveurs souhaiteraient le faire mais ne
font pas la démarche en raison de la pression sociale parce que «
vendre avec le label de l'ours, c'est pactiser avec l'ennemi ». Pour cette
raison, elle explique que le nombre d'éleveurs qui font partie de
l'association est faible (actuellement, trois éleveurs plus un ou deux
« en périphérie ») ce qui fait que l'offre est
très réduite alors qu'il y a une forte demande. Pour elle il y a
là un non sens, car des gens qui ont des difficultés pour «
faire tourner » leur exploitation auraient pu « avoir un produit
nettement plus facile à vendre et à produire37
».
Pour elle, il y a deux explications principales au fait
que la majorité des éleveurs se soient ainsi opposés. Tout
d'abord, il y a une peur « qui n'est pas raisonnée », une peur
du « côté sauvage de l'animal ». Elle estime que l'on ne
peut rien faire contre ça. Ensuite, la deuxième explication
qu'elle donne est d'ordre plus technique. Elle pense que c'est parce que des
gens ont été dérangés dans leur
pratiques.
Selon elle, autrefois, la lutte contre les ours
était plus justifiée qu'elle ne l'est aujourd'hui car
36 Il ressort des sondages que la population des villes
est plus majoritairement favorable au projet de réintroduction que la
population rurale et surtout montagnarde. Les résultats des
différents sondages réalisés sont consultables sur le site
du gouvernement dédié au programme de réintroduction: voir
adresse en annexe.
37 Plus facile à produire, car elle explique que
les naissances d'agneaux se font alors au printemps comme il est
« naturel » de le faire pour les brebis et non
pas à l'automne comme le font de nombreux éleveurs, les obligeant
à « désaisonner les naissances ».
49
c'était une « question de survie »
même si « en tant qu' écolo » elle ne « la
tolère pas plus ». Elle dit que, à cette époque, il y
avait « beaucoup de gens, pas un seul arbre, tout le monde essayait de
vivre sur son petit lopin de terre, c'était très difficile,
y'avait des ours et des hommes donc c'était forcément la lutte
». Elle pense que ceux qui sont des descendants des paysans de cette
époque ont gardé cet état d'esprit selon lequel «
leurs ancêtres se sont battus contre l'ours » et il faut donc «
défendre [son] lopin de terre ».
En ce qui concerne les néo-ruraux venus
s'installer dans la région à partir des années
soixante-dix, elle avance une explication tout à fait différente.
Elle dit que lorsqu'ils sont arrivés dans la région, celle-ci
était très dépeuplée, ils sont donc arrivés
dans des « territoires inoccupés » et ils ont pu les occuper
« en toute liberté, en toute quiétude, surtout en montagne
» contrairement à ceux qui comme elle et son compagnon, habitant
dans une zone de piémont, ont « toujours dû contenir [leurs]
bêtes pour qu'elles aillent pas chez les voisins ». Et donc, dans ce
contexte, comme elle le décrit, « quand l'ours est arrivé il
a été un voisin particulièrement désagréable
». Elle estime que « les ancêtres n'occupaient pas l'espace
comme il le font » et qu'ils avaient « une gestion du pâturage
qui était très correcte ». En gérant l'espace comme
ils l'ont fait, ils auraient favorisé une fermeture du paysage. Car
« les brebis en liberté ne gèrent pas le pâturage,
elles laissent le mauvais qui continue à grandir, les arbres montent et
referment le paysage alors qu'avec un berger et un chien la forêt se
tient là où elle est ».
Pour ces raisons, selon elle, de nombreux éleveurs
n'appliquent pas les méthodes de protection de leur troupeau et donc
ceux qui sont « vraiment embêtés avec l'ours, sont ceux qui
ne mettent rien en place pour protéger [leurs troupeaux], si on veut
prouver que l'ours est négatif, on met pas en place des mesures de
protection ».
Pour Martine, la présence de l'ours est « un
plus pour le métier de berger car ça a permis de faire voir que
ce métier a été abandonné et les brebis
laissées en liberté » et que quand « y'a un ours en
liberté dans ces espaces là c'est impossible ». Et donc avec
les subventions de l'Etat dans le cadre du plan ours, on peut « remettre
des pratiques, reformer des bergers, des chiens, re-garder ses brebis, refermer
des espaces, re-clôturer ». Pour elle c'était donc «
enfin une possibilité d'avoir une reconnaissance, enfin Paris s'occupait
de savoir qu'il y avait des bergers en montagne qui s'occupaient d'un espace
». Et donc elle trouve dommage que les politiciens ne l'aient pas «
tourné à l'avantage du département et de toute la
chaîne des Pyrénées ». Selon elle, des
personnalités politiques ont attisé « la grogne
».
Contrairement aux adhérents de l'Aspap, Martine
relègue dans le passé le fait qu'il n'y ait plus
50
de place pour les ours sur le territoire
pyrénéen, pour elle c'est une époque révolue du
temps où les Pyrénées étaient surpeuplées et
les montagnes exploitées au maximum. « Jamais de la vie on ne
réutilisera tous ces espaces au point que l'ours ou le loup ne puissent
plus vivre ». Pour elle, le refus de cohabiter avec les ours n'est plus
justifiable car s'il pouvait se comprendre de la part des paysans qui vivaient
il y a un siècle quand c'était une question de survie, il est par
contre irrationnel de la part des paysans contemporains qui sont moins
nombreux, qui ne sont pas en situation de survie et à qui on donne les
moyens financiers de protéger leurs troupeaux.
Ensuite, elle condamne le fait que face à des
éléments qui perturbent les activités humaines, la
réponse des hommes soit de tuer. « La politique de tuer ce qui nous
ennuie elle est impossible à long terme ». Pour elle l'homme doit
se protéger face aux éléments qui freinent ses
activités. L'ours est donc dans sa vision un élément
auquel il faut s'adapter au même titre que « les guêpes, les
scorpions, les accidents de voiture, les orages,... ». Martine explique
ainsi les raisons pour lesquelles elle et son compagnon croient en la
cohabitation:
« C'est vrai que nous on a toujours
été écolos donc forcément quand on est
écolos [...] on se place nous êtres humains à la même
hauteur que le reste, on se met pas en tant que supérieurs et comme
ayant des droits que les autres n'ont pas. On estime au départ que
l'ours a autant le droit que nous de vivre dans les Pyrénées,
[...] à partir du moment où on pose cette loi qu'il a autant le
droit que nous de vivre que nous ainsi que tout ce qui existe quoi, [...] il
faut bien trouver un moyen de cohabiter ».
Dans le monde agro-pastoral, en tant que personnes
favorables à la réintroduction, Martine dit qu'ils se sentent
« à côté, pas entendus, pas reconnus ». Puis,
à propos de ceux qui ont fait la démarche d'oeuvrer dans le sens
d'une cohabitation avec l'ours: « on est pas cachés mais on est
dans l'ombre parce qu'on peut pas s'afficher publiquement ». Au niveau de
la mise en place de nouvelles pratiques et de nouveaux aménagements pour
le monde pastoral, elle déplore le fait que « les pôles de
compétences [soient] séparés par des clivages politiques
et idéologiques ». Ce qui selon elle amène à des
contradictions et à un manque de cohésion sur le terrain en
partie dûes au fait qu'il n'y a pas assez de corrélations entre la
politique du ministère de l'écologie et celle du ministère
de l'agriculture. Elle pense que s'il n'y avait pas ces clivages sur le terrain
« toutes les montagnes auraient des bergers compétents et des
pratiques correctes [...] [et que] mille et une choses pourraient être
faîtes [...] soutenues financièrement ».
51
Néanmoins, Martine ne perd pas espoir. Elle pense
pour l'instant que la situation est bloquée. Mais elle dit que
progressivement « ça se tassera ». Il faut selon elle attendre
un changement de génération afin que les mentalités
évoluent et que les personnes qui actuellement veulent stopper le projet
ne soient plus en activité. Alors seulement, le projet pourra se
développer dans de meilleures conditions, les gens accepteront la
présence des ours et les éleveurs pourront commercialiser leurs
productions avec le « label ours ». « Maintenant c'est foutu
pour une bonne décennie, va falloir attendre que ces gens là
aient quitté le métier de la politique et de l'élevage
».
B. deux agents de 1'ONCFS38.
* Annie
Âgée de 55 ans, Annie travaille à
l'Oncfs depuis 16ans. Elle s'occupe de la régulation des nuisibles tels
que: renards, martres, fouines, etc...Elle est également technicienne
cynégétique et en cette qualité, elle s'occupe de la
gestion des milieux et des espèces pour la fédération de
chasse. Elle se décrit comme « à fond » et «
passionnée ». Elle allait à la chasse à l'isard avec
son père quand elle était petite et depuis très jeune,
elle parcourt la montagne. De son enfance, elle a le souvenir d'un jour, quand
elle avait douze ans, et qu'elle était partie à la chasse
à l'isard, avec son père et un groupe de chasseurs, qu'ils
avaient fait un grand feu de bois devant le refuge parce qu'ils avaient entendu
un cri d'ours: c'était une femelle et son petit.
Aujourd'hui,elle s'occupe du suivi de différentes
espèces telles que: le grand tétras, la perdrix grise, l'isard,
le mouflon, le lagopède. La première chose dont elle me parle
lorsque j'arrive pour l'interviewer, c'est qu'elle ne comprend pas que l'on
fasse venir des touristes sur les «places de chant » des grands
tétras39 dont elle suit l'évolution de la population
et la protection de l'habitat. Il y a pour elle, ici, une contradiction entre
la démarche touristique et la démarche de protection d'une
espèce. La fermeture du milieu lui apparaît comme un
problème puisque les animaux tels que les sangliers viennent plus
près des habitations. Mais ce qui est vraiment dérangeant, c'est
que le grand tétras y est sensible car il se nourrit en partie de
myrtilles que l'on trouve sur les terrain dégagés.
En ce qui concerne la réintroduction de l'ours,
elle pense qu'il y a eu un grand manque de
38 Les passages entre guillemets sont extraits des
entretiens.
39 Le grand tétras ou coq de bruyère est
le plus gros gallinacé d'Europe. Devenu rare en France, il peuple les
forêts de conifères des montagnes. Les «places de chant
»sont les lieux où ils se retrouvent au printemps pour la parade
des mâles et l'accouplement.
52
communication et d'information auprès des
populations montagnardes40. Au départ, elle était pour
la réintroduction car, pour elle: « quand on aime les animaux, un
ours n'est pas dérangeant ». Mais elle a révisé son
jugement car selon elle, « le vrai ours des Pyrénées ne
cause pas les problèmes que les ours slovènes posent ». Ici
aussi, elle met en cause la fermeture du milieu qui permettrait aux ours de
descendre plus bas.
Pour ces raisons, elle n'est pas pour que de nouvelles
réintroductions soient faîtes, mais elle est pour «
protéger ceux qui sont là » car « ceux-là, les
hommes les ont mis dans la merde » et comme elle dit: « moi je
protège l'animal, pas la bêtise humaine ». Ici aussi, on
retrouve comme chez les adhérents de l'Aspap cette perception des ours
slovènes comme différents des ours autochtones, et cette
idée qu'ils sont les victimes de directives humaines.
En ce qui concerne les éleveurs: elle «
plaint l'agriculteur qui garde ses moutons mais pas ceux qui les laissent sans
surveillance ». Les chasseurs, elle dit qu'ils sont « plus
écolos que les écolos » parce qu'ils sont sur le terrain, et
que: « ceux qui foutent la merde, c'est les écolos qui n'y
connaissent rien au fonctionnement de la nature ».
Annie a un discours un peu à l'entre-deux des
discours présentés précédemment. Sur certains
points elle rejoint les adhérents de l'Aspap et sur d'autres elle se
rapproche du discours de Martine. Elle illustre en quelque sorte une des
nombreuses nuances possibles du discours sur l'ours et sur le plan de
réintroduction. Elle rejoint les adhérents de l'Aspap sur la
question de la revendication d'un écologisme en lien avec la
connaissance et la pratique du terrain montagnard, sauf que pour elle ce sont
les chasseurs et non plus les éleveurs dont elle parle comme des «
vrais écolos ». Par contre, sur la question de la surveillance des
troupeaux, elle rejoint le point de vue de Martine c'est-à-dire que ceux
qui ne protègent pas leurs troupeaux ne sont pas à
plaindre.
* Cédric
Il est technicien au sein de l'Equipe Technique du
suivi de l'Ours (ETO) qui dépend à la fois de l'ONCFS et de la
Fédération Départementale de la Chasse. Âgé
d'environ 25/30 ans il a comme formation un « Brevet de Technicien
Agricole en gestion de la faune sauvage » et un « Brevet
de
40 Elle fait ici référence notamment
à ce qui s'est passé lorsque l'ours Balou a été
blessé au cours d'une partie de chasse, et que le préfet n'a pas
souhaité communiquer sa localisation. Cela a été
perçu par certains comme un manquement au devoir de protection des
populations face au risque que représente un ours
blessé.
53
Technicien Supérieur en gestion et protection de
la nature ». Cela fait environ deux ans qu'il travaille au sein de cette
équipe. Son travail comporte deux volets en ce qui concerne le «
suivi de l'ours ». Il y a une partie technique qui se situe sur le terrain
et une partie scientifique de traitement des données recueillies. Cette
équipe remplit différentes missions.
Tout d'abord, ils doivent assurer « le suivi
technique de toute la population ursine des Pyrénées ». Il y
a le « suivi direct », qui se fait grâce aux
émetteurs41 dont sont équipés les ours, et
permet d'avoir instantanément une idée de la localisation des
ours. Ces données sont ensuite retranscrites par les ingénieurs
et permettent la réalisation d'une cartographie des déplacements
des ours sur le territoire. Ce suivi ne peut se faire que pour les ours qui
sont équipés d'émetteurs.
Quant au « suivi indirect », il consiste en la
récupération de données matérielles sur le terrain.
C'est à dire des « échantillons » comme ils les
appellent. Il s'agit de poils, d'excréments, mais aussi de traces
laissées par les ours. Sur tout le massif des Pyrénées, un
« maillage » a été réalisé par les
techniciens dont chaque carré de 4km2 a été
équipé d' une « station de suivi 42». Il
s'agit d'un enclos d'environ 25 m2 situé dans une zone boisée,
réalisé en fils barbelé et dans lequel on met des
appâts (poisson, sang de veau, maïs). Ainsi, ils peuvent recueillir
des poils et d'autres échantillons qui sont ensuite analysés
génétiquement, permettant ainsi de savoir de quel ours il s'agit
ou du moins de connaître son sexe et savoir de quelle lignée il
est issu. Ces stations sont visitées tous les quinze jours. Ce «
suivi indirect » permet aussi la réalisation de cartes et de
savoir, par exemple, si des naissances ont eu lieu.
Ces deux méthodes de suivi permettent donc de
réaliser année par année des cartes de déplacement,
d'occupation de zone et donc de voir « quel type d'habitat [l'ours]
sélectionne en priorité ». Et ainsi ils peuvent «
déterminer les sites et les domaines vitaux de l'ours » et «
ces informations [sont] essentielles pour avoir une idée de
l'activité de l'espèce, de sa situation dans les
Pyrénées ».
Leur travail consiste aussi à vérifier les
témoignages d'observation d'ours, communiquer avec le monde de
l'élevage et sensibiliser le public43. Les discussions avec
les personnes présentes sur le terrain représentent
également une part non négligeable de leur emploi du temps. En ce
qui concerne la réalisation des constats de dommages causés par
les ours, généralement, ce sont les
41 Les ours réintroduits en 2006 ont
été équipés d'un collier (qui devait être
récupéré au bout d'un an mais une défaillance
technique a fait certains colliers ne sont pas tombés) permettant de
récolter de nombreuses informations sur les activités des ours et
d'un émetteur intra-abdominal qui a une durée de vie de trois
ans.
42 Une soixantaine en tout sur le massif des
Pyrénées.
43 Cela se fait par la tenu de réunions
d'information auprès de différents publics tels que les
scolaires, les chasseurs, les éleveurs et aussi par la
réalisation de plaquettes d'information.
agents départementaux qui les réalisent,
car « ce n'est plus la branche études et recherches qui s'en occupe
». Mais ils sont habilités à les réaliser au cas
où ils seraient présents sur le secteur au moment du
dommage.
Cédric se dit satisfait de son travail, c'est
d'ailleurs lui qui a demandé à être « à 100%
sur le suivi de l'ours » parce que c'était ce qui lui plaisait le
plus. Voici ce qu'il en dit:
« C'est un travail intéressant qui permet
de rencontrer du monde, de voir une espèce qui est quand même
emblématique on peut dire, et surtout passionnante à observer et
ça jamais personne m'a dit le contraire, même les pires opposants
quand on leur a montré de l'ours, ils ont toujours été
émerveillés. On a la chance de pouvoir avoir ça assez
fréquemment. [...] C'est une passion mais [...] en même temps faut
que ça en soit pas trop une, puisque faut souvent faire la part des
choses [...] faut pas qu'on ait d'avis tranché [...] on se doit
l'impartialité»
Néanmoins, il dit que cela peut être
très difficile et qu'il y a des moments de pression dûs au fait
qu'ils sont « un peu victimes du rejet du plan ours par les opposants dans
le département ».
« Ils s'en prennent à nous parce qu'on est la
cible, on est les agents de l'État chargés du suivi des ours.
Donc on est souvent la cible de ces attaques là, c'est très dur
à supporter, on a des collègues qui ont eu des problèmes
à cause de ça et il faut être vraiment blindé et dur
et bien moralement et aussi physiquement pour supporter tout ça
».
En ce qui concerne les relations sur le terrain avec les
espagnols, Cédric dit que cela se passe très bien avec les agents
de terrain et même des fois, les agents espagnols font appel à eux
parce qu'ils sont mieux formés sur certains points. Ils déplorent
par contre quelques difficultés dues au fait que la politique locale,
concernant le suivi de la population d'ours, de certaines Régions
Autonomes espagnoles est parfois différente de la politique
ministérielle nationale. Aussi, les « échanges de
données se font plus ou moins bien selon les lieux », selon que
cela soit considéré comme prioritaire ou pas par la Région
Autonome. Il y a aussi beaucoup d'échanges de données et de
techniques avec d'autres pays d'Europe où il y a des population d'ours.
Notamment certains pays de l'est de l'Europe comme la Slovénie et la
Croatie mais aussi l'Italie et les Monts Cantabriques en Espagne.
54
III.QUELLES REPRESENTATIONS DE LA NATURE ET DU
TERRITOIRE
55
« Si les portraits des loups diffèrent
tellement selon les enquêtés, ce n'est pas seulement une question
de représentation ou d'imaginaire. A ce stade là de la crise
déjà, les gens ont quelque expérience de l'animal. Ceux
qui l'admirent consacrent des journées et des nuits à le
chercher, l'aperçoivent parfois, fugitivement, croisent sa piste ou
trouvent la carcasse d'une proie sauvage. Ou bien ils fréquentent des
parcs animaliers, regardent et lisent des documentaires qui exaltent leurs
qualités. De leur côté, les éleveurs et leurs
partenaires constatent de visu l'état des
troupeaux après le passage des prédateurs. Ce sont bien les
mêmes loups dont parlent les uns et les autres, mais ne les voyant pas se
livrer aux mêmes activités, ils s'en font des idées
très différentes, les idéalisant ou les
diabolisantccil est vrai que les diverses faces de l'animal ne sont
pas si faciles à emboîter ». ( Isabelle Mauz, 2005,
p.179)
On peut remarquer à travers les discours des uns
et des autres, que la perception que chacun a du monde qui l'entoure, et plus
précisément ici, des territoires de montagne et des ours, est
liée à l'expérience que chacun a de son environnement. Une
expérience du réel qui est en grande partie fonction des
activités quotidiennes de chacun. Ainsi un éleveur n'a, bien
souvent, pas la même vision du territoire qu'un randonneur ou qu'un agent
chargé du suivi des espèces animales sauvages. Leurs visions ne
sont pas les mêmes puisque chacun aborde la nature, avec un but et des
pratiques spécifiques. L'usage qu'ils font de la nature, du territoire
n'est pas le même. Mais ce fait n'est pas le seul qui entre en jeu
puisque qu'il y a aussi des éleveurs qui pensent que la cohabitation est
possible, qui soutiennent le plan de réintroduction et qui ont une
conception de la nature différente.
Néanmoins, quelles sont les similitudes que l'on
peut retrouver au sein d'une même catégorie de perception ? A
quels grands principes se réfèrent-ils pour justifier leur
positionnement ? D'après le discours des personnes interviewées,
il semblerait que ce qui est à la base de leur positionnement soit la
priorité donnée ou non à l'humain dans la nature. Ils ont
aussi une définition différente de l'écologie et de ce qui
fait que l'on est écologiste ou pas. Et de ces différences de
perception découle une approbation ou un désapprobation du projet
de réintroduction.
D'une manière générale, là
où les opposants voient la nature comme un territoire où l'homme
occupe la place centrale, les défenseurs des ours y voient le lieu
où l'homme doit faire preuve d'humilité et se placer au
même niveau que les animaux qui les entourent. Ils ont une perception
différente du territoire, les opposants le voient comme très
anthropisé et donc n'étant plus adapté à la
présence de grands prédateurs, quand Martine, elle, le voit comme
moins anthropisé qu'autrefois et donc désormais plus
adapté à une cohabitation entre les éleveurs et les grands
prédateurs que ce soit les ours ou les loups.
56
A. Une nature humanisée, culturelle.
Pour les opposants au projet de réintroduction,
l'homme est et doit être au centre du territoire de montagne. Il en est
le pilier, et mettre en place un projet qui risque de limiter l'action des
éleveurs sur le territoire peut même être perçu comme
« contre nature »: « c'est un gain pour rien quoi...c'est
à l'encontre quand même de la nature, je sais pas » (Mme Joly
à propos du projet de réintroduction). Et ils estiment que sans
l'homme, la montagne n'a pas d'avenir. Il semblerait que ce soit surtout la
dimension anthropisée de la nature qui ait de la valeur, qui soit
prioritaire. « Le jour que tu décourages ces quelques jeunes
[éleveurs] qu'y a...et bé...la vallée elle est foutue
quoi...elle est foutue non, mais elle redevient sauvage
quoi..sauvage...livrée à elle-même... » (M. Joly). La
nature apparaît comme devant être maîtrisée par
l'homme sans quoi elle se retrouve « livrée à
elle-même », comme sans repères. L'absence d'action de
l'homme sur la nature semble être perçue comme un retour au chaos,
à une certaine primitivité, symbolisés par la nature
sauvage, broussailleuse et où prolifèrent les bêtes
sauvages.
Ensuite, ces personnes considèrent que les
Pyrénées ne sont plus adaptées pour abriter une population
d'ours puisque les infrastructures humaines s'y sont beaucoup
développées au cours du 20ème siècle.
L'élargissement des routes, un trafic routier plus dense, bref une plus
grande fréquentation de la montagne serait la raison majeure pour
laquelle les ours ne peuvent disposer d'un territoire assez vaste sans
être dérangés par les humains ou sans déranger les
humains. Il y a donc là l'idée que, si autrefois les
Pyrénées permettaient aux ours d'avoir leur territoire sans
être dérangés, ils estiment que ce n'est plus le cas
aujourd'hui.
Quand on sait la fréquentation qu'il y a dans les
Pyrénées entre les stations de ski et les déboisements
qu'il y a eu, les pistes forestières euh les les pistes d'accès
aux estives euh le nombre de gens qui fréquentent la montagne de
très tôt jusqu'à très tard dans la saison, les
pêcheurs, les randonneurs, tout ça euh...voilà c'est vrai
que c'est sûrement un constat malheureux que l'ours autochtone ait
disparu mais bon c'est comme beaucoup de choses de l'existence du règne
végétal, animal ». (Laurent)
Les Pyrénées leurs apparaissent comme un
lieu très peuplé et éloigné de l'image d'un pays
sauvage et peu habité. C'est pour cette raison que dans des
manifestations d'opposants au projet ont
57
a pu voir écrit sur des banderoles: « On est
pas la frontière sauvage »; ceci en référence
à un slogan publicitaire, à des fins touristiques, datant des
années quatre-vingt qui présentait les Pyrénées
comme « la frontière sauvage ». Ils souhaitent promouvoir
cette image des Pyrénées comme lieu de vie d'une population et
non comme une zone sauvage adaptée au développement d'une
population d'ours. Pour justifier ce positionnement et expliquer que la
cohabitation n'est possible que dans une zone où l'homme est très
minoritaire, ils font référence à d'autres zones du globe
comme les vastes forêts du Canada ou de Russie où il y a
d'importantes populations d'ours.
«Que ce soit en Russie, que ce soit dans certains
pays de l'est, que ce soit en Suède, y'a des zones suffisamment grandes
sans quasiment, où l'homme est marginal effectivement [...] et où
l'ours il est chez lui quoi, comme les ours dans les grandes forêts
canadiennes. Tu peux avoir un petit îlot humain par-ci par-là et
l'homme est marginal par rapport à l'ours. Faut que l'un des deux soit
marginal par rapport à l'autre c'est tout ». (Bruno
Besche-Commenge)
Le territoire pyrénéen, ils le
perçoivent comme le fruit du travail réalisé par les
générations précédentes. Un travail, un
façonnage de la végétation, qui s'est fait à
travers l'utilisation des montagnes pour l'élevage et l'agriculture. Ils
ont ainsi transformé leur territoire, et lui ont donné son aspect
actuel. Pour eux, la nature qui les entoure est plus culturelle que naturelle,
mais ils reconnaissent également l'existence d'une nature
différente, moins anthropisée, à laquelle l'ours serait
plus adapté.
Une des revendications principales de ces gens à
travers l'association l'Aspap est mettre en avant que le territoire de montagne
pyrénéen est une nature anthropisée même si
l'activité humaine agricole sur ces territoires est en diminution. Et,
c'est bien pour cette raison qu'ils sont d'autant plus opposés à
ce projet. Il leur semble que l'on va ainsi précipiter la disparition de
l'activité pastorale des montagnes pyrénéennes comme si
elle était devenue inutile ou même gênante. Au contraire,
ils souhaiteraient que l'activité humaine pastorale soit maintenue,
voire redéveloppée dans ces territoires de montagnes afin qu'une
certaine tradition soit maintenue, qu'un certain héritage continue
à être transmis aux générations
suivantes.
« Y'a un stage de formation berger-vacher où
j'interviens en tant que professionnel, parce que c'est important que y'ait des
jeunes qui continuent et puis qui ont envie, donc faut leur amener les moyens,
les outils, les connaissances quoi...parce que la vie pastorale euh le
système pastoral c'est la clé de voute de toute une
économie montagnarde » (Laurent).
58
Et tout cela, constitue pour eux un patrimoine dont ils
revendiquent la préservation. Ce qui est considéré comme
un patrimoine ici, ce sont notamment des pratiques dont ils souhaitent la
perpétuation. Pour eux, c'est ce patrimoine là, plutôt
qu'une espèce emblématique comme l'ours qui doit être mis
en valeur pour le développement du territoire. Et cela, dans une
alliance entre tourisme et activité agricole. Car ils ont conscience que
le tourisme est un moteur de développement incontournable pour le massif
pyrénéen. En témoigne le nombre important
d'éleveurs qui développent en parallèle une
activité liée au tourisme44. Mais l'activité
agricole est aussi pour eux la garante d'une certaine forme de paysage qui fait
l'identité du territoire.
Leur conception de la nature et du territoire, elle se
construit face à la conception de la nature qu'ils prêtent aux
défenseurs du projet de réintroduction. Ainsi
l'altérité s'est construite puis accentuée entre les deux
camps. Ceux-ci chercheraient à exclure l'homme de la nature et
considèreraient que son action sur la nature est néfaste. Eux au
contraire estiment que c'est dans l'ordre normal des choses que l'homme
exploite la nature qui l'entoure. Aussi, ils estiment que l'on cherche à
faire des Pyrénées une sorte de sanctuaire ou de parc à
très grande échelle pour des citadins en mal de nature et
où l'homme n'aurait sa place qu'en tant que spectateur et/ou
gestionnaire du lieu.
« Le plan ours participe, comme de toute la
reconstruction « Natura 200045 », c'est une sorte euh une
disneylandisation de la nature que l'on opère. [...] Moi je persiste
à croire que l'homme a sa place sur terre et qu'il fait partie
intégrante de la vie sur terre, et qu'on ne peut pas l'exclure comme
ça, le mettre en opposition avec la nature. [...] Dans ce sens
là, j'estime que le pastoralisme génère un environnement
qui est totalement respectueux de la plupart des composantes naturelles de cet
environnement bien plus que de vouloir intervenir manu militari
dans cet environnement pour en faire un parc de plaisance, un parc
pour touristes où les gens, ils peuvent rêver à une
naturalité qui est perdue depuis bien longtemps je crois ».
(Nicolas )
« Bon y'en a ils vont te le présenter
autrement, les mecs qui sont pour l'ours, ils vont te dire...mais euh...moi je
pense que c'est des rêves...moi je suis sur le terrain et...tous les
éleveurs je pense que c'est eux les principaux acteurs ». (M.
Joly)
«Ceux qui sont pour l'ours, c'est pas rationnel
[...] ...[l'ours] ça représente la nature... [...]
44 Chambre d'hôtes, visite à la
ferme,etc...
45 «Avec pour double objectif de préserver la
diversité biologique et de valoriser les territoires, l'Europe s'est
lancée, depuis 1992, dans la réalisation d'un ambitieux
réseau de sites écologiques appelé Natura 2000. Le
maillages des sites s'étend sur toute l'Europe de façon à
rendre cohérente cette initiative de préservation des
espèces et des habitats naturels. » Citation extraite du site
internet: natura2000.fr
l'homme il a passé son temps à combattre la
nature et il va continuer [...] on a dompté la nature disons, ou qu'on
exploite la nature , naturellement.... c'est sûr que va falloir
s'arrêter ou que faut le faire autrement, mais le principe je condamne
pas le principe moi, que l'humain exploite la nature, c'est normal c'est son
karma, s'il l'avait pas fait il serait mort....alors euh ces espèces
d'idée là de nature, c'est une religion quoi maintenant ! C'est
insupportable donc c'est pour ça que j'suis allée aux anti-ours,
parce que les pro-ours c'est des religieux, c'est des ayathollas »
(Bernadette)
Aussi, ils sont renvoyés au domaine du rêve,
de l'imaginaire, de l'utopie et même du religieux. De plus, ces personnes
ne connaitraient pas le terrain, et auraient une vision
déconnectée de la réalité. Même si certains
disent comprendre que l'on puisse avoir une telle vision de la situation quand
on habite en ville. En opposition à cela, eux se réclament comme
étant des gens de terrain, au plus près de la
réalité, et ayant une connaissance concrète des
territoires de montagne. Ce qui leur donnerait une plus grande
légitimité pour juger de la façon dont le territoire doit
être géré.
On chercherait donc à recréer
artificiellement une zone sauvage, où les activités humaines
agricoles seraient tolérées ou apparaîtraient comme
élément folklorique d'un parc. « On veut pas être
parqués...parqués là dans un coin et...ça c'est un
éleveur et y'en a un autre à 80 ou 60 km plus loin... »
(Jean). Il me semble que c'est pour cette raison qu'ils disent ne pas vouloir
être « parqués », considérés comme les
« indiens des Pyrénées », et qu'ils parlent de «
réserve de paysans », en référence aux
réserves d'indiens qui existent aux États-Unis. Ils pensent que
certains cherchent, tout comme pour les ours, à les ''
muséifier''. Ils pensent que si les ours sont objets de toutes les
attentions et érigés en priorité écologique, c'est
parce qu'ils symbolisent un ordre naturel restauré. Mais, ils contestent
le caractère écologique prioritaire donné à la
restauration d'une population d'ours. Cette idée irait dans le sens
d'une volonté de restauration d'un équilibre naturel perdu,
qu'ils considèrent comme utopique, puisque pour eux, la nature est
depuis bien longtemps humanisée.
C'est toujours dans cet ordre des choses que Nicolas fait
une distinction entre nature et environnement. Pour lui, la nature au sens de:
« endroits sur terre où l'homme n'a jamais influencé la
nature » n'existe plus. Il estime que même dans les zones
considérées comme les plus sauvages sur terre, comme l'Amazonie
ou les Pôles nord et sud, « l'homme a modifié de
manière plus ou moins durable son environnement », notamment, selon
lui, en modifiant le climat. Et la nature serait devenue l'environnement, au
sens de « milieu dans lequel vit l'homme ».
59
B. une nature où tous les êtres sont «
égaux en droits ».
60
Ce que je décris ici, est principalement issu de
l'entretien de Martine, puisque qu'elle est le seul des éleveurs
interviewés qui soutient le projet de réintroduction. Martine
justifie son positionnement du fait que, pour elle, l'homme ne se situe pas au
dessus des autres êtres de la nature, mais que au contraire, il doit se
considérer comme un être parmi d'autres dans la nature. Par
conséquent, il doit reconnaître aux ours le même droit que
l'homme à vivre dans les Pyrénées et donc s'adapter
à la présence d'éléments qui peuvent lui nuire, il
doit faire avec et surtout cesser d'avoir pour principe d'éliminer ce
qui le gène. Elle n'a pas du tout ce discours de dire qu'être
éleveur en zone de montagne, c'est forcément être
écologiste, au contraire, elle pointe du doigt certaines pratiques qui
seraient néfastes pour le paysage, comme l'absence de conduite des
troupeaux.
Et, pour Martine, il semblerait que ce qui fonde
l'idéologie écologiste, c'est notamment ce principe «
d'égalité » qu'il doit y avoir entre l'homme et les autres
êtres. Et c'est ce qui dans le cas présent les a poussés
elle et son compagnon à tout faire depuis le début des
réintroductions pour promouvoir l'idée qu'une cohabitation avec
les grands prédateurs est possible. Ce serait une question de
volonté et d'adaptation de l'homme. Qui doit se traduire par la mise en
place de mesures de protection pour son bien afin de limiter les
prédations. Il s'agit de protéger son troupeau et non
d'éliminer les autres êtres de la nature qui lui font concurrence.
Cela leur est apparu comme étant une évidence pour des gens se
considérant comme écologistes.
On est ici en quelque sorte dans une dimension de droits
et de devoirs auxquels l'homme doit se conformer. Il doit se conformer à
cet état de fait, c'est pour lui une sorte de devoir que de partager le
territoire avec les autres êtres de la nature même si cela doit le
contraindre dans ses activités. Les animaux ont des droits que les
humains doivent respecter. Et être écolo pour un éleveur
c'est, selon Martine, respecter ce principe.
Dans le cas présent, l'homme doit adapter ses
pratiques et sa conception du territoire, accepter qu'il n'est pas au dessus
des autres êtres de la nature. Pour cela, il doit s'adapter et modifier
ses pratiques, ses habitudes de travail. Il doit prendre conscience que ses
pratiques actuelles peuvent être néfastes pour l'environnement.
Notamment en ce qui concerne la conduite des troupeaux et l'impact qu'ils ont
sur l'environnement, le paysage. Les troupeaux qui ne sont pas conduits par un
berger auraient tendance à stagner dans certaines zones de la montagne
qu'ils dégraderaient par le piétinement. Ici, donc
l'activité de l'homme et de ses troupeaux n'est plus
considérée uniquement dans sa dimension bénéfique
pour l'environnement. Elle est perçue comme potentiellement
néfaste
61
en l'absence de conduite du troupeau par un berger. Il y
a donc toujours ici l'idée qu'il ne faut pas laisser faire
complètement la nature, mais que le troupeau doit être
maîtrisé pour ne pas endommager certaines zones de la montagne.
Pour Martine, l'arrivée des ours pourrait faire changer les habitudes
des gens pour le bénéfice de la faune ( dont les ours ) et la
flore (dont celle des estives). Pour elle, cela pourrait être donc un
grand bénéfice pour le territoire puisque l'État donne,
dans le cadre de la réintroduction, des moyens financiers importants qui
pourraient permettre une amélioration de la gestion des zones de
montagnes.
De même que les « anti-ours », elle a
conforté son point de vue en opposition à la vision de la nature
qu'elle prête à l'autre camp. Pour elle, ceux de l'autre camp se
considèrent comme plus importants que l'ours et comme les êtres
qui dominent la nature, et qui refusent de changer leurs habitudes par
commodité et par non respect envers les êtres non humains qui
peuplent la nature. Se considérant comme « écolo »,
elle estime que ceux de l'autre camp ne le sont pas.
Et, il semblerait que, sans la présence des ours,
le territoire pyrénéen perdrait en quelque sorte « son sens
». C'est leur présence sur le territoire pyrénéen qui
est importante en plus du fait que l'on sauvegarde une espèce
menacée. Ceci répond à l'argument des opposants de dire
que ce n'est pas une espèce menacée au niveau
européen.
Sa perception du territoire en ce qui concerne la
présence de grands prédateurs est à l'opposé de
celle des adhérents de l'Aspap. Elle estime en effet que le territoire
est redevenu propice à la reconstitution d'une population d'ours puisque
les montagnes pyrénéennes sont de nos jours beaucoup moins
peuplées qu'elle ne l'étaient au 19ème siècle. Sa
perception des ours réintroduits et des territoires de montagne est
très différente de celle des opposants au projet de
réintroduction.
« L'ours se reproduit merveilleusement bien, parce
que y'a un biotope dans tous les espaces que nous n'occupons pas qui sont des
bois, l'ours il a largement de quoi vivre, beaucoup de faune sauvage s'est
développée, il peut continuer à croître avant qu'il
nous pose des problèmes[...] on reviendra jamais aux temps d'avant
où y'avait plus de place pour
l'ours »(Martine).
IV. RAPPROCHEMENTS AVEC LE CAS DU LOUP DANS LES
ALPES
Ce que Isabelle Mauz a décrit à propos du
retour des loups dans les Alpes peut quasiment être repris point par
point pour décrire ce que j'ai pu observer en Ariège (Mauz, 2005
p.176 à 196 « la
62
polémique et son extension au pastoralisme
»). Les arguments d'un camp et de l'autre sont dans les grandes lignes
exactement les mê mes46 . Et, quasiment toutes les personnes
que j'ai interviewées ont fait référence à un
moment ou à un autre de l'entretien au cas des Alpes et/ou du retour du
loup.
Dans ce contexte de réintroduction d'ours dans les
Pyrénées, on retrouve les deux mondes47 que cet auteur
a décrits dans son ouvrage. Cela m'a paru très éclairant
concernant les propos des personnes qui sont natives du lieu de
l'enquête, particulièrement Annie, technicienne
cynégétique, et
M. et Mme Joly, éleveurs. Ils me sont apparus
clairement comme présentant les caractéristiques communes aux
mondes du sauvage et du domestique, même si ils ont par moment
utilisé les catégories habituelles de l'autre monde (montrant
ainsi le fait qu'ils se sont penchés, peut être en raison du
contexte, sur la façon de penser de l'autre monde48). Et ce
surtout concernant la dimension spatio-temporelle de leurs récits, c'est
à dire qu'ils évoquent des événements survenus
lorsqu'ils étaient jeunes et qui ont eu lieu non loin de là.
Ensuite, j'ai remarqué également qu'ils avaient tendance à
comparer le présent au passé (Mauz 2005, p.29). Quand aux autres
personnes, il m'a paru plus difficiles de les classer dans un monde ou dans
l'autre, notamment les « néo-ruraux »qui forment la plus
grande partie des personnes que j'ai interviewées.
Les mondes dont parle Isabelle Mauz m'ont parus
effectivement « ébranlés » et en pleine «
recomposition » tout comme elle le décrit dans le contexte de
l'arrivée des loups dans les Alpes (Mauz 2005, p.211 et 212). La «
recomposition des mondes » et « l'évanouissement des
frontières » dont cet auteur parle semblent donc être
également à l'oeuvre dans le contexte pyrénéen de
la réintroduction de l'ours.
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
Le discours argumentatif des opposants met l'accent sur
le fait que la présence d'une
46 Voir en annexe le tableau extrait de l'ouvrage
d'Isabelle Mauz.
47 Isabelle Mauz décrit deux grands types de
mondes à propos des personnes auprès desquelles elle a
enquêté sur l'évolution des populations d'animaux sauvages.
Tout d'abord il y a les «mondes réduits du sauvage et du domestique
», structurés par une opposition entre sauvage et domestique et qui
d'une manière générale regroupent les chasseurs, les
éleveurs et les agents du parc national les plus anciens. Ensuite, il y
a le « vaste monde de la nature et de l'artifice » dans lequel des
« îlots de naturalité émergent d'un océan
d'artifice » et qui regroupe principalement les nouveaux gardes du parc et
les naturalistes.
48 De même, Isabelle Mauz parle d'«
évanouissement des frontières » entre les mondes qu'elle a
décrit, au moment de l'arrivée des loups.
63
population d'ours est déstabilisante et
décourageante pour les éleveurs de haute montagne alors qu'ils
sont les garants d'un certain type de paysage et les détenteurs d'un
patrimoine culturel paysan qui risque de disparaître. Ils estiment que
les efforts qu'on leur demande dans le cadre de la réintroduction de
l'ours sont impossibles à réaliser, inutiles et
contre-productifs. De plus, ils sont très critiques quant à la
conception et la mise en oeuvre de ce projet. A l'opposé ceux qui
soutiennent le projet estiment que les éleveurs ne veulent pas faire
l'effort de faire évoluer leurs pratiques et que s'ils
protégeaient correctement leurs troupeaux la cohabitation serait
possible. De plus, ils ont une image des ours réintroduits qui oscille
entre celle d'un animal déviant, voire dangereux, et celle d'un animal
quasi domestiqué, victime de la volonté de l'homme de vouloir les
contrôler. Traduisant là une certaine confusion des
catégories du sauvage et du domestique.
De ces discours il ressort qu'il existe
différentes façon de concevoir la nature et un animal sauvage tel
que l'ours, y compris lorsque l'on vit sur un même territoire. Chacun,
selon ses pratiques, ses expériences mais aussi son milieu social
d'origine, a développé une représentation de la nature
différente. Certains mettent en avant le fait que la « nature
naturelle », non domestiquée n'existerait plus vraiment depuis
longtemps dans les Pyrénées, alors que d'autres, au contraire
estiment qu'elle est en train de faire son retour du fait de la déprise
agricole. Certains discours peuvent aussi être le fruit d'une conception
de la nature émanant des concepts diffusés par des associations
telles que l'Aspap. Concepts dont les personnes les plus érudites
semblent être en partie à l'origine. Il s'agit de l'idée
que la nature qui constitue les territoires de montagne, est le résultat
de l'action ancestrale et bénéfique, de l'éleveur [et/ou
berger] et de son troupeau. Et cela ferait de ce qui est communément
appelé patrimoine naturel, un patrimoine culturel au même titre
que les pratiques et les savoir-faire ancestraux.
Les conceptions que les gens ont ne forment pas un tout
homogène pour chaque camp, mais sont au contraire traversées par
de nombreuses nuances. Néanmoins, il me semble que ce projet a
entraîné un renforcement des convictions de chaque camp et
même pour certains une radicalisation des discours. Sur certains forums
internet, les termes utilisés pour qualifier ceux de l'autre camp sont
très forts, et témoignent de cette radicalisation des positions:
ainsi, les associations qui soutiennent le projet de réintroduction sont
parfois appelées les « sectes du sauvage ». A l'inverse, les
opposants sont qualifiés d' « ultrapastoraux ». Renvoyant
ainsi ceux du camp adverse dans leur dimension la plus extrême: partisans
du « tout sauvage » d'un côté et partisans du «
tout pastoral de l'autre »; laissant peu de place pour une voie
médiane.
Chacun des arguments avancé par un camp donne lieu
à un contre-argument de la partie
adverse qui sera lui-même contesté et ainsi
de suite... ce qui rend le débat très complexe et provoque de
vives polémiques. Mon analyse est ici limitée aux grandes lignes
argumentaires et à ce qui m'est apparu comme les grands principes de
chaque « camp ». Ceci pourrait certainement être l'objet d'une
analyse plus fine et plus détaillée notamment concernant les
nuances existantes entre ces deux extrémités.
64
Sème partie: L'ASPAP: D'UNE ENTRAIDE LOCALE
A UN PROJET GLOBAL POUR LE MASSIF
65
PYRENEEN
I. LES MOYENS MIS EN OEUVRE FACE AU PROJET DE
REINTRODUCTION
A. L'Aspap: pour « structurer les révoltes
individuelles »
Depuis 2006, l'Aspap regroupe les opposants au projet de
réintroduction pour le département de l'Ariège.
Rapidement, elle est apparue comme la structure salutaire qui a permis aux
éleveurs, victimes de prédations et/ou opposés au projet,
de prendre conscience qu'en se fédérant, ils auraient plus de
poids et pourraient se sentir moins impuissants face à ce qui leur
arrivait. Cela leur a également permis de se soutenir, d'être
entourés face ce qui est vécu comme une épreuve. Ainsi,
les révoltes individuelles se sont agrégées et l'Aspap
s'est donné pour mission première de défendre les
intérêts des éleveurs. Pour pouvoir contrer ce projet
auquel ils n'adhèrent pas, ils ont voulu se rassembler pour pouvoir
être mieux entendus, parler d'une seule voix. Un grand nombre de
personnes a adhéré et ses portes-paroles sont rapidement devenus
des interlocuteurs incontournables du département, notamment
auprès des médias. Certains mettent aussi en avant, pour
expliquer leur engagement initial au sein de l'association, le caractère
légal de ce mode de lutte, permettant une alternative à des
actions répréhensibles envisagées par
certains49.
L'association, sur le département soutient les
éleveurs et défend leurs intérêts dans des
situations en lien avec la réintroduction des ours. Ainsi, un protocole,
une« conduite à tenir » lors des expertises en vue
d'indemnisation a été élaboré à destination
des éleveurs victimes de prédation. Et il leur est aussi
proposé qu'une délégation de l'Aspap soit présente
lors de l'expertise pour défendre leurs
intérêts50. Il s'agit aussi de soutenir
l'éleveur qui dans certains cas vient de perdre beaucoup, est
choqué ou en colère. Ensuite, sur le plan préventif,
l'association a permis la
49 Néanmoins, certains envisagent toujours la
possibilité de se mettre hors la loi s'il le faut pour contrer ce
projet. Un éleveur s'exprime ainsi à propos du risque de se
retrouver en prison s'ils décident de se défendre par des moyens
illégaux: « de toute façon c'est la prison ou alors on a
plus la possibilité de vivre ici ». La récente
actualité du mois de septembre 2009 semble confirmer cet état
d'esprit, puisqu'il y a des rumeurs d'éventuels abattages d'ours en
Haute-Ariège. Voir à ce propos la Dépêche du Midi du
05 septembre 2009.
50 Plusieurs de mes interlocuteurs m'ont relaté le
même cas de dérochement d'un troupeau qui avait fait de nombreuses
victimes et ou l'expertise avait été faîte sans la
présence de l'éleveur et de la délégation de
l'Aspap. Celle-ci a exigé que l'expertise soit refaite et il s'est
avéré que des bêtes avait été oubliées
au comptage et des traces permettant de prouver que c'était bien le fait
d'un ours n'avaient pas été relevées.
66
constitution d'un réseau, des gens qui sont en
contact se tiennent au courant de ce qui se passe et, dans la mesure du
possible, de la localisation des ours. C'est dans ce sens qu'a
été mis en place le répondeur de l'Aspap qui donne des
informations sur la localisation des ours, et qui est alimenté par le
réseau. Il s'agit donc là d'entraide au sein d'un groupe de
personnes confrontées à un même type de
problème.
L'Aspap a également fait jouer la
solidarité de ses adhérents lors des condamnations dont ont
été l'objet plusieurs de ses membres suite à la
manifestation d'Arbas qui avait amené à des dégradations
de la mairie du village d'Arbas. Ils avaient été condamnés
à verser environ 20 000 euros d'amendes, de dommages et
intérêts et de frais de justice. L'Aspap a lancé une
souscription de soutien pour payer cette somme qui a pu être
réunie en quelques mois grâce à des dons d'adhérents
et de sympathisants.
Ensuite, parmi les personnes interviewées revient
cette idée qu'ils mènent un combat et que, comme pour tout
combat, des stratégies doivent être élaborées et
mises en place. Ainsi, la lutte s'est peu à peu organisée. Des
objectifs ont été définis et des moyens mis en place. Un
des objectifs premiers est la promotion de leur point de vue, faire
connaître « le sentiment et la vie des gens en montagne
»(extrait des propos de Jean) auprès de l'État, mais aussi
auprès du grand public. Il s'agit donc de communiquer, car ils estiment
que leur point de vue n'est pas assez relayé et que les gens ont une
image faussée d'eux et de leur quotidien. La partie communication est
essentielle dans l'association, c'est par elle que leur point de vue va pouvoir
être diffusé. Cette communication est faite à destination
de l'État, des médias et du grand public, pour sa plus grande
part, mais L'Aspap communique également auprès des élus du
département, par exemple, afin de leur faire passer des informations
pour eux et leurs administrés51.
« L'Aspap [sert à] faire remonter les
informations, faire connaître nos problèmes, nous défendre
[...] on arrive pas à faire remonter directement en préfecture
[...] on a des gens qui sont...les oreilles fermées...ils veulent pas
nous écouter ceux-là [...] il a fallu monter ça, faire
agir les médias et tout...alors que c'est...c'est du folklore pour moi
tout ça...mais on a que cette solution [...] légale...c'est pas
la solution miracle mais bon on a que ça [...] sinon à titre
individuel...on a aucune force» (M. Joly)
«L'Aspap reste vigilante à toutes les
décisions qui peuvent être prises...tout ce qui se passe
voilà...parce que dans une stratégie de... de combat parce que
pour moi ça reste un combat pour une vie [...] et la perpétuation
[...] d'une civilisation pastorale » (Laurent)
51 Voir page 14 à propos des rencontres
ANEM.
67
B. « Pastoralies, la fête de la montagne vivante
»
Toujours dans un même but de communication, l'Aspap
monte régulièrement son stand, tenu par des
bénévoles de l'association, dans divers évènements
du monde pastoral et agricole 52. Ce qu'ils veulent c'est que le
plus grand nombre de gens possible puissent entendre, comprendre leur point de
vue et pourquoi ils s'opposent au projet de réintroduction. C'est dans
ce but que sur les stands on trouve notamment des photos de prédations.
C'est pour que les gens puissent se mettre à leur place, imaginer ce
qu'ils ressentent quand ils trouvent une bête attaquée par l'ours
et donc comprendre leur colère.
Mais, un des événements majeurs de leur
stratégie de communication envers le grand public, c'est une grande
fête que l'association organise depuis deux ans maintenant au mois
d'août53. Cette fête s'est à chaque fois
déroulée en haute montagne afin que les gens puissent se rendre
compte, au plus près, de ce qu'implique la pratique de la transhumance,
pour leur expliquer, leur montrer le travail des hommes et des troupeaux sur
l'estive. Ils veulent faire valoir, montrer, dans un cadre festif et familial,
ce qui pour eux constitue un patrimoine naturel à préserver et
qui est le fruit du pastoralisme: les prairies d'altitude et l'alternance de
différents types de végétation54,
caractéristiques des montagnes où il y a du pastoralisme. En ce
qui concerne la faune, ce qui est un patrimoine naturel « domestique
» à conserver, ce sont les races domestiques autochtones,
sélectionnées au fil du temps pour leur adaptation au territoire,
qui constituent souvent leurs troupeaux.
Ceci est en droite ligne de cette conception de la nature
comme fille de la maîtrise harmonieuse de l'homme sur son territoire mais
aussi sur les espèces animales. Il leur apparaît comme plus
important de sauvegarder des races domestiques qu'un animal sauvage
emblématique comme l'ours. Ils pensent que c'est prioritaire par rapport
à la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées,
reprochent aux associations qui ont mis en place cette réintroduction de
réduire la biodiversité aux seules espèces sauvages et
revendiquent la nécessité de sauvegarder les espèces
domestiques également sources de biodiversité et en voie de
disparition. A ce propos, ils citent la
52 Voir à ce sujet le chapitre: « les
observations » dans la première partie du
mémoire.
53 Voir à ce propos la description de la
fête en page 8
54 Voir en annexe le schéma de l'étagement
montagnard.
68
conférence de Rio de 199255 qui avait
précisé l'importance de la sauvegarde de espèces
domestiques et leur participation à la richesse de la
biodiversité. Il semblerait que pour eux, patrimoine culturel et
patrimoine naturel soit indissociables.
Ensuite, cette fête leur permet de donner l'image
qu'ils souhaitent aux gens des villes venus en vacances en Ariège et
à ceux qui vivent dans le département mais ne connaissent pas
forcément
leur travail. Un des buts principaux est de
véhiculer une autre image des montagnes pyrénéennes et des
éleveurs qui y travaillent. Communiquer, mais sur ce qui leur tient
à coeur, pas uniquement sur l'ours dont ils pensent qu'il les stigmatise
mais sur l'élevage et la pratique de la transhumance qu'ils souhaitent
maintenir notamment grâce au tourisme et aux produits du terroir que
cette activité permet de produire.
Ce type de démarche communicative sous la forme de
fêtes mettant en avant le monde pastoral ou agricole, souvent
associé à un patrimoine culturel, et principalement à
destination des populations citadines, a été l'objet de plusieurs
analyses dans le domaine des sciences humaines. Pour François Labouesse
(1998), ce type de manifestation est motivé par des raisons
économiques de la part des éleveurs. Ainsi, son hypothèse
est que: « Lorsqu'aujourd'hui des agriculteurs entreprennent d'exploiter
le gisement de curiosité qu'ils ressentent à leur égard,
ce n'est pas pour se prêter à un simple échange de nature
culturelle ou pour participer de manière « gratuite » à
des opérations d'animation locale, mais bien, d'une manière ou
d'une autre, pour défendre, promouvoir ou conforter leur
activité, soit à une échelle locale, soit à des
niveaux plus larges, y compris national ». Dans le cas des Pastoralies,
les motivations économiques sont présentes, mais il y a
également l'envie de « conforter leur activité » qu'ils
estiment menacée. Cette fête est organisée par des
éleveurs qui ont une production à valoriser et une idée
à faire passer: le fait qu'ils sont détenteurs d'un patrimoine
culturel qu'ils estiment mis en danger par le programme de
réintroduction de l'ours, alors que l'ours lui est communément
considéré comme un élément du patrimoine
naturel.
François Labouesse évoque également
le même type de démarche mis en place à titre individuel,
comme par exemple les visites à la ferme. Le porte-parole de l'Aspap et
actuel président de l'Addip, Philippe L. a en parallèle à
son activité d'éleveur une activité touristique,
c'est-à-dire qu'il fait visiter son estive à des touristes en
partie citadins. Il fait cela dans le même esprit que ce qui se fait dans
le cadre des Pastoralies, c'est le même type de démarche. C'est
à dire une
55 Notamment dans les publications écrites de
l'association.
69
conciliation entre élevage et tourisme, permettant
à son élevage d'être plus « rentable
».
« Philippe L., il veut pas des ours mais lui par
contre il a proposé des trucs [...] il est dans une dynamique là
[...] de produire [...] de faire un produit touristique avec ça en
emmenant les gens sur les estives moi je trouve que c'est bien ça [...]
je trouve que c'est pas du folklore à carte postale [...] il montre pas
des ours là qu'il faut aller voir dans la nature sauvage [...] il montre
la nature et qu'est ce que l'homme en fait [...] il montre une activité
humaine qui fait vivre des gens qui s'inscrivent dans une histoire humaine, et
les autres ils montrent la nature [...]détachée de l'humain, mais
contre l'humain presque » (Bernadette)
« Comme ça on ne fera rien de bon...on va
sacrifier l'élevage et on va sacrifier le tourisme à long terme,
ça c'est 100% vrai...(pause)...et les gens de l'Aspap ils sont
conscients de ça, P. le premier il est à fond pour le tourisme
[...] il vit que de ça [...] et des produits naturels...il vend de la
viande de par toute la France...il est conscient qu'il faut le tourisme en
Ariège et dans les Pyrénées[...] il défend quand
même l'élevage parce que si un jour il a pas de bêtes
à vendre...aux touristes, il pourra pas leur vendre des produits de
Super U, ça marche pas » (M. Joly)
C. La mobilisation d'éléments identitaires en
lien avec un patrimoine culturel
« La plupart des recherches sur l'identité
locale montrent que se définir par rapport à un lieu c'est
surtout faire référence à une manière d'être
au monde et aux autres, à un patrimoine culturel produit d'une histoire
et d'expériences de la vie quotidienne » (Denis Chevallier et Alain
Morel 1985)
Il y a dans ce contexte la mise en avant de deux
éléments identitaires, l'un est professionnel et rassemble les
éleveurs de montagne qui sont pour la plupart transhumants; l'autre est
territorial et permet de fédérer une part beaucoup plus grande de
la population, il s'agit de la notion d'identité
pyrénéenne. Ces éléments existaient
déjà auparavant mais ils ont été
réactivés plus particulièrement dans ce contexte
d'opposition, de lutte. Ces « étiquettes »
fédératrices ont été réinvesties afin de
conforter un rapprochement entre des personnes au sein d'un même projet
ou contre-projet. Les références à ces notions
identitaires sont assez présentes dans le discours de l'Aspap et on peut
les retrouver dans les productions écrites de cette
association56. Et même, concernant la notion d'identité
pyrénéenne, elle est clairement annoncée dans le nom de
l'association qui regroupe les différentes associations
départementales: Association pour le Développement Durable de
l'Identité
56 Voir notamment « le manifeste des
Pyrénées » en annexe.
70
Pyrénéenne.
Dans le sens où Nathan Glazer et Paul P. Moynihan
(1975) l'ont écrit à propos du concept d'ethnicité, il
semble qu'il y ait un but stratégique à ce
phénomène, comme une stratégie identitaire au service
d'une stratégie sociale collective. Ces éléments ne
semblent pas ici être créés artificiellement, mais
plutôt réactivés dans un but stratégique,
utilisés pour revendiquer une légitimité sur un territoire
et le droit à en disposer comme ils le souhaitent. Ils se revendiquent
pyrénéens ou éleveurs transhumants pour appuyer leurs
revendications. Et aussi tout simplement parce qu'ils peuvent se sentir plus
forts en tant que groupe pour atteindre un but: faire stopper le plan-ours et
promouvoir une façon différente de développer le
territoire. Comme cela a été décrit dans d'autres
situations du même type, les érudits locaux investis dans la lutte
contre le projet de réintroduction, ne sont probablement pas
étrangers à la mobilisation de ces éléments
identitaires. Et dans le cas de ces associations il y a effectivement des
érudits devenus des acteurs essentiels du mouvement. Ces
éléments identitaires sont à la fois
fédérateurs, pour rallier le plus grand nombre possible de
personnes à la cause, et légitimant quant aux revendications qui
sont faîtes.
Au delà d'une conception purement utilitariste des
concepts identitaires, il y a aussi chez les personnes que j'ai
interviewées cette idée qu'ils se battent pour la
perpétuation d'un système ancien qui risque de disparaître,
ou bien une sorte de sentiment retrouvé de se sentir appartenir à
une communauté unie avec des idéaux et des valeurs communes. Et
même une vision commune de ce qu'ils veulent pour l'avenir du territoire
qu'ils partagent. Tout cela dans le contexte d'une culture de montagne
pyrénéenne revendiquée. Avant ces
événements, il semblerait que les éleveurs et même
tout simplement certains habitants des Pyrénées avaient un plus
grand sentiment d'isolement. Et qu'ils n'avaient pas cette sensation de faire
partie d'un groupe, d'une culture particulière, celle des gens de
montagne. Paradoxalement, les opposants reconnaissent que cette oppositions au
plan-ours a eu des conséquences positives pour les relations entre les
gens de montagne et ceci pour une grande partie des
Pyrénées.
« Y'a le côté humain qui a
été superbe parce que ça a permis aux gens de se
retrouver, parce que y'avait plus d'identité montagnarde, ça
s'était bien perdu, les gens ils se sont retrouvés dans les
manifs et ils se sont retrouvés avec cette identité là
qu'était oubliée. » (Bernadette)
« Pour moi ça reste un combat pour une vie et
pour la perpétuation d'une civilisation pastorale. »
(Laurent)
« L'ours ça a permis de conforter, de donner
un nom et de matérialiser la mentalité
71
pastorale [...] de rassembler des gens qui se seraient
jamais vu. » (Jean)
D. De la redéfinition de certains termes « en
vogue ».
Depuis quelques années, on voit fleurir un peu
partout dans les médias, dans les propos des politiciens et dans des
projets de développement du territoire des termes tels que
développement durable, sauvegarde du patrimoine naturel, sauvegarde de
la biodiversité. Ces termes vont de pair avec une façon actuelle
de concevoir l'économie et l'écologie au sein de notre
société. Dans les écrits et les discours tenus par les
militants de l'Aspap57, ces termes prennent une signification qu'ils
adaptent à leurs revendications et à leur situation. Ainsi ils
cherchent à justifier leur positionnement, ce qu'ils défendent,
comme étant dans la droite ligne des politiques publiques actuelles,
à une échelle nationale voire internationale et qui sont mises en
oeuvre dans différents domaines de la vie sociale. Ils cherchent ainsi
à démontrer ce qu'ils estiment être le caractère
contradictoire du projet de réintroduction.
En réutilisant ces termes, ils veulent montrer aux
politiciens et aux personnes qui sont à l'origine du projet de
réintroduction qu'il y a une contradiction entre ce que ce projet induit
sur le terrain et d'autres politiques à l'oeuvre, notamment dans le
domaine agricole. Comme par exemple la prise de conscience du fait que
l'agriculture telle qu'elle est pratiquée depuis des décennies
est destructrice de la nature; et le fait qu'actuellement il est question de
modifier ces pratiques pour mettre en place une agriculture plus «
raisonnée ».
C'est ainsi que le terme « écologiste »,
censé désigner des personnes soucieuses de l'environnement et qui
par exemple soutiennent des projets de sauvegarde d'espèces
menacées, est repris à leur compte par les opposants au projet de
réintroduction. Les écologistes, ce sont eux, puisqu'ils ont des
pratiques extensives respectueuses de l'environnement et qu'ils estiment
être en accord les projets politiques mis en place en terme de
développement durable.
En ce qui concerne le terme biodiversité, ils en
ont une version qui s'adapte à leur point de vue. Biodiversité
signifie: « diversité biologique », c'est à dire que
tout organisme si petit soit-il participe à la biodiversité.
Quand on parle de « sauvegarde de la biodiversité », cette
expression reste vague, car c'est là une question de choix et de
priorité donnée à telle ou telle
espèce.
« Ces écologistes intégristes quand
ils ont trois mauvaises herbes dans leurs carottes dans
57 Voir à ce propos l'extrait du discours de Bruno
Besche-Commenge lors de la manifestation du Val d'Aran en page 12
72
leur jardin ils les enlèvent et pourtant les
mauvaises herbes ça fait aussi partie de la biodiversité...
» (Jean).
Ce que l'Aspap revendique, c'est que les espèces
domestiques qui participent aussi à la biodiversité et sont donc
susceptibles d'être autant, voire plus prioritaires pour être
sauvegardées que les espèces sauvages telles que l'ours. C'est
ainsi que l'on retrouve dans les deux camps des gens qui se disent «
écolos » et voulant sauvegarder la biodiversité des
Pyrénées.
Dans le même ordre d'idées, les deux camps
disent vouloir mettre en place un projet de développement durable pour
les Pyrénées. Les noms des associations témoignent: d'un
côté il y a l'Association pour le Développement Durable de
l'Identité Pyrénéenne (ADDIP), qui souhaite
défendre l'avenir des éleveurs et d'un certain tourisme, et de
l'autre, il y a l'Association pour le Développement Économique et
Touristique (l'ADET) qui dit également mener un projet de
développement durable pour les Pyrénées, notamment par la
création de « labels ours ».
Il y a aussi la notion de patrimoine naturel, dont les
deux camps revendiquent la sauvegarde. Mais l'Aspap a ajouté une nuance
en précisant que le patrimoine dit « naturel » est en fait
pour eux quelque chose de culturel. Une fois de plus, la composante humaine est
mise au premier plan. C'est un patrimoine culturel qu'il veulent sauvegarder
mais avec des composantes « biologiques »58 dont ils
estiment qu'elles sont le fruit d'un travail de transformation par les hommes.
Là aussi, les noms des associations montrent que c'est leur version de
ce qu'est le patrimoine local qu'il veulent préserver: Aspap signifie:
Association pour la sauvegarde du Patrimoine Ariège
Pyrénées. L'association qui est l'équivalent de l'Aspap
pour les Hautes-Pyrénées a quasiment le même nom: ASPP65,
c'est à dire Association pour la sauvegarde du Patrimoine
Pyrénéen59.
E. Des discours scientifiques légitimant la logique
de l'opposition
*Nicolas , biologiste et spécialiste des
écosystèmes montagnards
58 Comme le paysage et les espèces
domestiques.
59 Cette association a été récemment
le sujet d'une polémique entre «pro » et « anti-ours
». En effet l'ASPP 65 a reçu un agrément
départemental qui en fait une association de protection de
l'environnement et à ce titre, sa présidente Marie-Lise broueilh
a été nommée au conseil d'administration du Parc National
des Pyrénées. Cela n'a pas manqué de susciter des
réactions de la part d'autres associations environnementalistes qui se
sont insurgés contre le fait qu'une « militante anti-ours »
puisse siéger à ce conseil d'administration. Finalement, sa
nomination aurait été annulée.
73
Il s'agit d'un naturaliste en lien avec le monde
pastoral60. Lorsqu'il travaillait au sein de l'association des
pâtres il intervenait dans la formation des bergers pour leur donner des
cours sur la flore de montagne in situ,
c'est-à-dire sur l'estive. Lors des Pastoralies, il est intervenu sur le
forum intitulé: « Pour une biodiversité à visage
humain »et il a animé des balades pédagogiques d'initiation
à la botanique. Il estime que le pastoralisme est plus
générateur de biodiversité que l'ours. Ou du moins que la
disparition du pastoralisme entraînerait la disparition d'un certain type
de milieu et des espèces qui y sont liées61. Il met
également en avant le fait que la biodiversité ce n'est pas
seulement les espèces sauvages, mais que cela peut être aussi des
espèces domestiques. Les discours tenus par Nicolas, qui est un
scientifique reconnu permettent à l'Aspap d'apporter une
légitimation à son point de vue à ce sujet.
« La biodiversité [...] ça peut
être aussi la diversité des animaux domestiques, des plantes
domestiquées par l'homme et des diversités
générées par l'homme »
« Si demain il n'y a plus que des ours dans les
Pyrénées et que le pastoralisme a été
anéanti [...] ça veut dire qu'il y aura une forêt uniforme
jusqu'à l'altitude de 2400m [...] cette uniformisation et surtout cette
disparition des pelouses sub-alpines et des étages montagnards
amènera la disparition de centaines d'espèces qui sont
aujourd'hui endémiques, c'est-à-dire qu'on ne trouve que dans les
Pyrénées [...] derrière ces centaines d'espèces
végétales y'a des écosystèmes entiers qui sont
voués à la disparition [...] ce ne sont pas seulement des
plantes, ce sont aussi des mousses, ce sont des lichens, ce sont des
invertébrés, ce sont des micro-mammifères, ce sont des
champignons, ce sont des bactéries, imaginez-vous que dans un
centimètre cube de terre on trouve jusqu'à deux cents millions de
bactéries, ça va pas disparaître, ça va être
modifié, je dis pas que ça va être moins bien, je dis que
ça va être moins riche, [...] il y a des cortèges entiers
d'espèces inféodées spécifiquement aux
écosystèmes pastoraux qui seront voués à la
disparition totale, irrémédiable ».
*Bruno Besche-commenge, « ethno-historien des
usages pastoraux62 »
60 Voir portrait en page 17.
61 Certains auteurs ont également un avis proche
sur ce point, comme Jean-Claude Duclos et Marc Mallen (1998): « La
spécialisation technique des éleveurs et l'altération des
savoir-faire pastoraux traditionnels, d'une part et, d'autre part, la
montée en puissance des lobbies environnementaux, peuvent laisser penser
que l'exploitation pastorale des alpages est aujourd'hui néfaste au
maintien de la biodiversité en montagne. Or il apparaît nettement
que ce n'est pas la pratique de la transhumance qui doit être mise en
cause mais un ensemble de faits, liés à la baisse sensible de la
pression pastorale sur l'ensemble des Alpes du sud, à la perte des
anciennes pratiques pastorales, mais aussi à des clivages intellectuels
et sociétaux d'autant plus profonds que ceux qui les dénoncent
n'ont aucun moyen de se faire entendre ».
62 C'est ainsi qu'il est présenté sur le
site internet de l'ASPP 65.
74
Il est plus investi dans l'association que Nicolas, son
rôle y est plus actif. Il a mis ses compétences au service de
l'Aspap. Et pour lui, c'est normal de le faire puisqu'il a déjà
« les pieds dedans » comme il dit. Au cours de ses travaux de
recherches antérieurs, il a réalisé des études sur
les savoirs agro-pastoraux et sur la vie pastorale dans les montagnes
pyrénéennes dans une perspective contemporaine et historique. Il
a réalisé ses propres recherches à propos du programme de
réintroduction, notamment pour savoir comment se passent les
réintroductions d'ours dans d'autres pays européens; et pour voir
si c'est comparable avec ce qui se passe dans les Pyrénées autour
des réintroductions. Il se dit, comme d'autres membre de l'Aspap,
engagé dans un combat et le but de ses investigations est principalement
de contrer l'argumentation des défenseurs de la
réintroduction63 et dénoncer ce qu'il considère
comme étant la « manipulation inquiétante » d'un vrai
problème: l'écologie. Et c'est ce qu'il fait dans un bilan de
quarante pages publié par l'ADDIP,64. Le premier
éleveur que j'ai interviewé m'en a donné un exemplaire, et
par la suite, deux autres des éleveurs que j'ai rencontrés avait
prévu de m'en donner un aussi lors de l'interview. Ce qui en fait, je
pense, un document essentiel de communication et de légitimation du
discours de l'association. Bruno Besche-Commenge a tissé avec d'autres,
peu à peu, un réseau qui couvre toute la chaîne
pyrénéenne et même au delà. Il est en lien avec de
nombreuses personnes et notamment avec Marie-Lise Broueilh, docteur en
sociologie et présidente de l'ASPP 6565.
Ces deux personnalités reconnues du monde
agro-pastoral ariègeois permettent une légitimation, une
justification scientifique de la logique du discours de l'association. De plus,
l'Aspap comprend un certain nombre d'éleveurs ayant fait des
études supérieures, notamment parmi les néo-ruraux, comme
Laurent par exemple qui a une formation d'architecte.
II. CONSEQUENCES: DU NIVEAU LOCAL AU NIVEAU
EUROPEEN
A. Entre resserrement de liens et accentuation de
différences
63 Pour un résumé de sa logique qui est
aussi celle de l'association voir l'extrait de son discours prononcé
lors de la manifestation du Val d'Aran retranscrit à la page
12.
64 Le sommaire de ce bilan est reproduit en
annexe.
65 Équivalent de l'Aspap pour les
Hautes-Pyrénées.
75
1. Une plus grande cohésion du monde
agro-pastoral
« Le groupe professionnel trouve dans le refus de la
réintroduction un élément de cohésion et de
résistance face à l'indifférence dont il se sent de plus
en plus l'objet. Sur le sujet, les éleveurs de tous bords
(désormais soutenus par les élus et les techniciens) sont
aujourd'hui solidaires en Ariège. Ils se doivent d 'afficher un front
commun, malgré parfois des positions personnelles un peu divergentes
» (Corinne Eychenne, 2006 p.235)
Les mouvements d'opposition qu'il y a eu autour des
nouvelles réintroductions de 2006 ont fait prendre conscience aux
personnes opposées qu'ils n'étaient pas les seuls à avoir
ce point de vue. Ensuite, au niveau départemental, une solidarité
s'est déployée et il est un fait à propos duquel tout le
monde semble d'accord, c'est que l'opposition au plan-ours a rassemblé
les gens. Face à un projet qui a mis certaines personnes dans une
situation difficile, une certaine solidarité s'est
déployée entre les éleveurs et les gens se sont
régulièrement retrouvés pour mettre en place une
stratégie de défense, au sein de l'Aspap; et lors de la mise en
pratique de cette opposition au plan-ours, c'est-à-dire lors des
manifestations et des actions menées par les opposants au projet. Ainsi,
petit à petit, un réseau s'est créé. Les gens qui
ne se seraient jamais rencontré sans cela se sont mis à se
parler. Avant, chacun était dans sa vallée le plus souvent assez
isolé. Mais ce « combat », cette opposition a fait se
rapprocher les gens, en leur donnant des occasions de faire des choses
ensemble, de communiquer. Et puis, cela fait un sujet sur lequel quasiment tout
le monde est d'accord, un point d'entente qui permet de se retrouver.
Permettant ainsi de dépasser les éventuelles querelles
habituelles.
« Y'a le côté humain qui a
été superbe parce que ça a permis aux gens de se
retrouver, parce que y'avait plus d'identité montagnarde, ça
s'était bien perdu, les gens ils se sont retrouvés dans les
manifs et ils se sont retrouvés avec cette identité là
qu'était oubliée »(Bernadette)
« L'ours ça a permis de matérialiser
la mentalité pastorale [...] de rassembler des gens qui se seraient
jamais vus [...] même moi...y'a des gens que j'aimais pas
spécialement que je connaissais mais comme ça...voilà bon
l'ours voilà salut, et avec qui de par la lutte on est devenus
très proches, et plein d'autres, énormément d'autres que
je connaissais pas, que c'est la bagarre contre l'ours qui a fait que je les
connais, et que j'apprécie» (Jean).
« [l'Aspap] c'est un réseau de connaissances
[...] y'a tous les gens de terrain avec leurs sensibilités
différentes mais qui se retrouvent au sein de l'Aspap parce que y'a
quelque chose de
76
commun qui les anime [...] en fait ça a
fédéré beaucoup de gens qui avaient peu ou pas de rapports
entre eux, si ce n'est leur quotidien...ça a fédéré
des gens d'autres départements [...] ça a créé un
tissu, ça crée des liens, ça fait des échanges,
ça fait des adresses qu'on conserve [...] les gens se sont mis à
parler entre eux, ont eu le respect de s'écouter, voilà de se
structurer, ça c'est énorme [...] en plus du côté
efficace de la création de l'Aspap et de sa stratégie...ça
a été un enrichissement pour beaucoup de gens...parce qu'on est
quand même relativement isolés chacun dans son coin [...] par la
force des choses il a fallu se réunir, communiquer et voilà,
là le mot de solidarité il prend tout son sens »
(Laurent).
Le consensus qu'il y a autour de la question des ours a
permis à des gens très différents de trouver un terrain
d'entente, de se rapprocher, de se retrouver et dans ce cadre, de mettre en
avant ce qui les lie: leur lieu de vie, les Pyrénées et donc une
certaine identité pyrénéenne et pour les éleveurs,
l'identité d' éleveur transhumant. S'opposer à ce projet
les a amenés à revaloriser, réinvestir des notions
identitaires. Ce qui lie tous ces gens au delà de leur opposition au
projet de réintroduction, c'est aussi leur lieu de vie et leur
profession. Ces deux éléments correspondent à la notion
d'identité pyrénéenne de gens de montagne et à
celle d'éleveur transhumant de montagne. Certains font uniquement partie
de la première catégorie, ils habitent en montagne mais ne sont
pas éleveurs. D'autres cumulent les deux, c'est-à-dire qu'ils
vivent en montagne et sont aussi éleveurs transhumants. Et enfin, mais
ils sont moins nombreux il y a les éleveurs qui font transhumer leur
troupeau mais qui habitent plutôt vers la plaine.
Au niveau départemental, le renforcement de la
cohésion et la puissance fédérative de l'Aspap s'est
manifestée lors de la crise de la FC066. Une manifestation a
eu lieu, et pour mobiliser le plus de monde possible, les syndicats agricoles
ont fait appel à l'Aspap pour y convier tous les
éleveurs.
«Aujourd'hui, les gens se sont structurés
pour se battre contre les grands prédateurs de manière
extrêmement efficace [...] l'Aspap arrive même à faire un
consensus comme par exemple de réunir autour d'un problème commun
comme la fièvre catarrhale ovine l'ensemble des syndicat agricoles [...]
l'Aspap y est pour beaucoup de structurer l'ensemble de la filière
d'élevage dans le département» (Nicolas )
« [Les syndicats agricoles] pour appeler à
manifester ils sont venus faire appel à l'Aspap parce que ça
concerne tous les éleveurs et il savaient bien que l'Aspap allait
mobiliser beaucoup plus qu'eux, parce que l'Aspap c'est pas syndical donc
ça rassemble plus de monde » (Jean).
66 Il s'agit de la fièvre catarrhale ovine. A
l'automne 2008 a eu lieu cette épidémie qui a
décimé de nombreuses bêtes au sein des troupeaux, les
troupeaux ariègeois ont été particulièrement
touchés par cette épidémie.
77
Il semblerait donc que les structures associatives
nées de la lutte contre les grands prédateurs aient
fédéré les gens, comme ici les éleveurs, et que les
effets s'en ressentent au delà de l'opposition au projet de
réintroduction. Puisque dans l'exemple précédent, on peut
voir que son action, son influence s'est étendue au monde agricole en
général, à un niveau départemental. Le projet
semble avoir également comme effet inattendu de favoriser un
rapprochement des éleveurs et des chasseurs du département. En
effet, ils partagent l'usage du même territoire et la cohabitation entre
éleveurs et chasseurs n'a pas toujours été facile. Et
voici que maintenant les chasseurs commencent également à
s'opposer au plan-ours car on s'en prend à leurs intérêts:
leur droit de chasse à été remis en question en raison des
risques d'accidents de chasse mettant en cause des ours. Et, à la suite
d'une requête judiciaire faite par une association écologiste du
département, un arrêté préfectoral risque
d'entraîner la suspension la chasse dans le département de
l'Ariège67 pour cette année si des mesures ne sont pas
prises pour protéger les espèces menacées dont l'ours. Une
manifestation de protestation des chasseurs a eu lieu au début du mois
d'octobre 200968 et l'Aspap a appelé ses adhérents
à y participer.
Ensuite, le réseau s'est élargi
progressivement à d'autres niveaux. Tout d'abord, les différentes
associations qui se sont créées dans des buts similaires à
ceux de l'Aspap tout le long des Pyrénées se sont
fédérées. Ce qui leur a permis d'élargir le
mouvement, c'est la communication qui s'est mise en place entre les acteurs de
terrain et sur ce point, internet a joué un rôle important dans la
diffusion d'informations et la communication entre les gens. Les personnes
très actives du réseau utilisent beaucoup internet pour
communiquer et échanger rapidement des informations. Ce qui leur permet
d'être en contact quasi permanent même s'ils ne se voient pas
très souvent.
Le réseau s'est encore plus élargi lorsque
des connexions ont été établies avec l'autre versant des
Pyrénées, du côté espagnol. Déjà en
2006, des manifestations avait eu lieu en commun avec les espagnols, permettant
la créations de liens. Et en décembre 2008, il y a eu la
manifestation du Val d'Aran69 avec la signature du « Manifeste
des Pyrénées », apparaissant comme un point culminant de la
rencontre du mouvement amorcé côté français, avec
les espagnols. Des liens ont également été établis
avec des éleveurs des Asturies, région d'Espagne où l'ours
est également présent. Le réseau s'étend
également aux Alpes, où les éleveurs confrontés aux
loups se sont également mobilisés dans
67 Voir à ce sujet l'actualité de la fin du
mois de septembre et du début du mois d'octobre 2009. dont: « la
Depêche du Midi » du 18 septembre 2009.
68 Cette manifestation, qui a eu lieu à Foix,
aurait réuni environ 7000 personnes
69 Voir à ce propos la description en page
12.
78
un mouvement d'opposition à la présence de
grands prédateurs sur leur territoire. Une rencontre inter-massifs a
déjà eu lieu en avril 2007. Cette rencontre réunissait des
éleveurs des Alpes, des Pyrénées et du Massif Central. Au
cours de cet événement, l'ADDIP a proposé de redynamiser
« l'association européenne de défense du pastoralisme contre
les grands prédateurs ». On peut donc remarquer que ce
réseau comprend différents degrés qui vont d'un niveau
local à un niveau européen. Ce dernier semble être le but
à atteindre pour être plus reconnus et mieux entendus.
2. Des camps qui s'affrontent ?
Ce projet a créé des camps et, comme le ton
est monté, les discours et les positions se sont radicalisées.
D'où les termes très forts utilisés pour
caractériser ceux de l'autre camp ( par exemple « sectes du sauvage
» ou « intégristes écologistes » d'un coté
et « ultraspastoraux » de l'autre. Certes le projet de
réintroduction a fédéré des gens, mais il en a
aussi opposés. Au fil des années, les deux camps semblent
s'être éloignés de plus en plus. Tout d'abord le dialogue
paraît rompu, il n'y a plus de concertation et le Groupe National Ours
qui devait permettre de trouver un terrain d'entente a été
boycotté par les associations « anti-ours » et les élus
opposés au projet.
Sur le terrain, les choses sont peut-être
différentes notamment concernant le travail de « la pastorale
pyrénéenne » qui s'occupe de placer des chien patou chez les
éleveurs et qui tente de promouvoir la cohabitation. Je n'ai pas fait
d'enquête de terrain de ce côté, aussi je ne peux pas en
parler. Martine dit, au nom de ceux qui cherchent à promouvoir une
possible cohabitation avec les ours: « on est pas cachés mais on
est dans l'ombre parce qu'on peut pas s'afficher publiquement [...] on est
à côté et pas entendus, pas reconnus » mais elle dit
tout de même qu'elle trouve « qu'il y a une amélioration
». Cédric qui travaille dans l'équipe technique de suivi de
l'ours, lui relate des relations difficiles avec le monde de l'élevage
et même il semblerait que cela en arrive parfois à des menaces de
mort par courrier à l'encontre du personnel de l'équipe. Ce qui
apparaît, ce sont des tensions sur le terrain beaucoup plus
marquées qu'il y a quatorze ans lors des premières
réintroductions d'ours et qu'au fil des années, les relations
entre les gens concernés sur le terrain semblent s'être
distanciées. Dans le même ordre d'idées, M. et Mme Joly
raconte que lorsque les prédations qu'ils ont eues chez eux ont
été médiatisées, ils ont reçu des appels
téléphoniques et des courriers anonymes de sympathisants de la
cause des ours qui allaient aussi jusqu'aux menaces de mort. D'un
côté comme de l'autre, il peut y avoir des relations difficiles
entre défenseurs de la cause des ours et défenseurs de la cause
des éleveurs. Ceci paraît être dû à une
radicalisation de la situation et des positions de
79
chacun.
B. Un projet commun pour le territoire pyrén
éen70
Forts de cette fédération des gens
opposés au programme de réintroduction, un projet plus global
pour le territoire a été pensé notamment par certains
politiques et par des leaders de mouvements associatifs, notamment à
l'échelle du massif pyrénéen. Ils existe néanmoins
des divergences de points de vue entre politiciens et les associations telle
que l'Aspap. Ces personnes en sont les artisans et ils disent vouloir sortir du
débat sur l'ours pour proposer une autre façon de concevoir le
développement futur des territoires de montagne. C'est dans ce sens que
dans « le Manifeste des Pyrénées » il est écrit
: « Nous voulons et demandons qu'au lieu des groupes de travail
spécialisés « ours et loups », soit créé
un groupe de travail qui envisage comme une totalité le problème
de la conservation de nos montagnes: en tenant compte des aspects
environnementaux, économiques, professionnels et sociaux ». Ils
estiment donc que ces aspects ne sont pas pris en compte dans les
réunions organisées par l'Etat français dans le contexte
de la réintroduction de l'ours.
Ce manifeste a été rédigé
dans le cadre du refus de se joindre au « groupe national ours »
organisé par l'État français. C'est-à-dire,
plutôt que d'aller dans le sens de la création de zones où
l'homme n'influencera plus le milieu naturel, ils souhaitent au contraire que
soit plus développés les métiers de d'élevage et
les productions de qualité. En utilisant des méthodes de
production respectueuses de l'environnement, comme c'est déjà
bien souvent le cas et en réhabilitant, en relançant les races
domestiques adaptées au milieu. C'est en ce sens qu'ils disent vouloir
interpeller les États français, espagnol et andorran et leur
demander ce qu'ils souhaitent, quels sont leurs projets pour les
Pyrénées. Ils estiment que le projet de réintroduction
d'ours n'est pas compatible avec leur projet de développement et que
c'est même une antithèse de ce qu'ils souhaitent mettre en place
pour les Pyrénées. Ce projet qu'ils ont pour le territoire ils le
partagent aussi avec ceux qui ont signé le « Manifeste des
Pyrénées », dont un député du parlement
catalan pour le syndic du Val d'Aran, Paco Boya qui a proposé aux
associations et aux élus français signataires du Manifeste de
mettre en place cette «plateforme transfrontalière » de
concertation et de travail afin de réfléchir à un projet
d'avenir pour les territoires de montagnes pyrénéens, sans
attendre que les hautes instances politiques répondent à leurs
attentes.
70 Voir aussi à ce sujet l'extrait du discours de
Bruno Besche-Commenge en page 13.
80
Ici aussi, les « leaders intellectuels »du
mouvement qui sont investis dans ce projet pour aller à l'encontre de
celui que l'État est en train de mettre en place notamment avec le
projet de réintroduction. Bruno Besche-Commenge en est un des artisans
avec Marie-Lise Broueilh entre autres. Ils ont rédigé ensemble un
programme, pour un projet pour les Pyrénées qu'ils ont
déposé au niveau européen. Selon Bruno Besche-Commenge et
ceux qui partagent les mêmes projets pour les Pyrénées, il
faut « sortir du problème ours pour pouvoir en sortir ». Car
l'ours serait le révélateur d'autres problèmes d'ordre
plus général et c'est à ces problèmes qu'ils disent
vouloir s'attaquer. Et finalement ils pensent que c'est grâce à
l'ours que cela va pouvoir se faire puisqu'il a permis la constitution d'un
réseau, qui a à peu près les mêmes idées, sur
toute la chaîne des Pyrénées.
« Le meilleur moyen d'en sortir, c'est
nous-mêmes d'en sortir [...] on a fait un gros boulot sur les
problèmes de fond et le gros avantage, le seul avantage de l'ours mais
c'est un avantage énorme [...] c'est qu'il a permis justement que des
liens s'établissent entre des gens de la chaîne et sur les deux
versants au demeurant [...] qui ne se voyaient pas ou peu ou qui ne se
connaissaient pas et donc ça a créé un mouvement de fond
au delà du problème ours. On est en train de mettre en place avec
Marie-Lise (Broueilh) qui avait des réseaux dans les Asturies on a fait
un lien avec eux là, et on en a un pas mal aussi au niveau Val d'Aran
Catalogne. Ça permet donc de structurer quelque chose au niveau
européen qui est le seul niveau d'ailleurs qui compte [...] aujourd'hui,
ça a permis donc de donner quelque chose que chacun croyait plus ou
moins de façon floue dans son coin [...] ça a permis de
fédérer des gens qui avaient pas tous les mêmes solutions
qui se rendaient compte de problèmes [...] ça a permis à
ces gens de se rencontrer, de travailler ensemble et effectivement de mettre un
truc en place qui au delà du problème ours va rester. » (
Bruno Besche-Commenge).
CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE
De l'opposition au projet de réintroduction est
né une association, l'Aspap, qui a mis en oeuvre différents
moyens pour défendre la cause des éleveurs et faire entendre leur
point de vue
notamment en utilisant un moyen de communication qui est
en pleine expansion, une fête ayant
81
pour thème la ruralité et la transhumance.
La réutilisation de termes tels que développement durable ou
biodiversité, à leur compte, semble également être
un moyen de se faire comprendre et de revendiquer leur utilité pour le
territoire. Et l'on a pu remarquer que des discours scientifiques en
adéquation avec leurs arguments sont mis en avant afin d'apporter une
légitimité à leur combat.
On a pu voir également comment le projet de
réintroduction de l'ours a eu des effets plutôt inattendus.
L'opposition d'une part de la population a favorisé en son sein plus de
cohésion et plus de lien social. Avoir un « ennemi commun »:
ceux qui veulent « prendre le contrôle du territoire » et un
but commun: faire cesser le plan-ours, a resserré les liens d'un groupe
(les éleveurs), et l'a rapproché d'un autre avec lequel les
relations étaient jusqu'alors plutôt conflictuelles: les
chasseurs. Mais, en contrepartie, cela a encore accentué
l'altérité construite avec ceux qui soutiennent le projet de
réintroduction.
Je n'ai pas parlé des implications politiques qui
sont à l'oeuvre dans un tel mouvement et qui pourraient aussi être
l'objet d'une étude. De même en ce qui concerne les
stratégies individuelles des personnes impliquées dans le
mouvement et qui pourtant doivent jouer un rôle important surtout en ce
qui concerne certaines personnalités politiques. Il me paraît
évident que des luttes de pouvoir et des quêtes personnelles sont
également en jeu dans ce qui passe71.
Néanmoins, il apparaît clairement que
l'opposition qui s'est mise en place contre le projet de réintroduction
a enclenché un processus qui a abouti à une structuration
apparemment solide du mouvement, dont l'action et l'influence vont au
delà du contexte de la réintroduction. C'est comme une sorte de
contre-pouvoir qui se serait progressivement mis en place avec un projet
global
différent pour le territoire.
CONCLUSION GENERALE
Le traitement des données que j'ai recueillies m'a
permis de constater qu'il existe dans ce contexte de réintroduction de
l'ours différents groupes sociaux qui ont des façons très
différentes et même parfois contradictoires de concevoir la nature
qui les entoure et le territoire sur lequel ils
71 Farid Benhammou (2003), géographe, a
décrit au sujet des opposants à la réintroduction de
l'ours ce qui lui semble relever d'« une stratégie
socio-professionnelle et politique pour le maillage et le contrôle du
territoire, pour l'appropriation et la maîtrise de postes de pouvoir
institutionnel et de ressources financières publiques
».
82
vivent. Au delà des nombreuses nuances existantes
m'ont semblé apparaître deux grandes tendances dont
découlent deux conceptions de ce que sont l'écologie et le
patrimoine naturel des Pyrénées à préserver; et par
conséquent une approbation ou un rejet du plan ours. Dans ce contexte,
le concept de protection de la biodiversité semble perdre son sens et
nécessiter un débat éthique. Il en est de même en ce
qui concerne la gestion des territoires de montagne et la notion de
développement durable pour le territoire des Pyrénées,
également liés à une certaine conception de
l'écologie.
Dans le cas présent, des divergences d'opinions
à propos d'un projet écologique de conservation de la nature ont
donné lieu à de telles dissensions que dans les
Pyrénées, ou en tout cas en Ariège, il semblerait qu'une
sorte de contre-pouvoir soit à l' euvre, ce qui n'est pas
dénué de conséquences dans le monde politique du
département. Un sujet qui rassemble à ce point une bonne part de
la population peut représenter une aubaine électorale afin de
pérenniser une « place politique », et, d'un autre
côté, les partis écologistes ariègeois risquent de
perdre des voix dans leur propres effectifs.
Au delà de l'arrêt des
réintroductions, c'est qui est revendiqué c'est donc le droit
à gérer eux-mêmes le territoire sur lequel ils vivent et
dont ils estiment qu'ils le gèrent comme il faut. C'est pour cela qu'ils
se revendiquent comme des écologistes, non reconnus par le reste de la
société. Et ils s'insurgent contre le fait que des
écologistes dont ils ne partagent pas la vision de la nature souhaitent
que certaines zones ne soient plus destinées aux activités
humaines (comme la chasse ou l'élevage). Ils redoutent que le territoire
sur lequel ils ont leurs activités soit géré par des
personnes qui les considèrent comme nuisibles pour les espèces
végétales et animales qui composent les espaces naturels du
territoire pyrénéen. Selon les opposants au plan ours, avec un
tel projet, on cherche à exclure l'homme de la nature.
L'enquête de terrain que j'ai
réalisée ne m'a pas permis de déterminer de façon
catégorique si la valorisation de la nature dans sa dimension
humanisée, et la diffusion d'une telle conception des espaces naturels
sont uniquement le fruit du discours des associations d'opposants. Mais je
pense toutefois que l'on peut dire qu'elles y ont contribués. De
même en ce qui concerne la mobilisation d'éléments
identitaires qui permettent de revendiquer collectivement l'arrêt du
projet de réintroduction et la valorisation en parallèle d'un
patrimoine culturel comme « produit d'une histoire et d'expériences
de la vie quotidienne »(Chevallier D. et Morel A. 1985).
Concernant les limites de ce travail, je dirai que les
réflexions présentées dans ce mémoire sont
principalement issues des témoignages que j'ai récoltés et
qu'ils ne sont pas forcément représentatifs de tous les types de
discours qui peuvent être faits sur cette situation. De plus,
accompagner les personnes en montagne aurait
également permis d'autres observations et d'avoir une idée plus
précise de leurs pratiques en lien au territoire. Et, la principale
faille de ce travail est certainement le fait que l'enquête de terrain a
été réalisée principalement dans le camp des
opposants. Il serait, je pense, très intéressant de
réaliser une enquête auprès des personnes qui vivent dans
les villages de montagne, et recueillir leurs points de vue. Mais aussi
auprès des personnes qui en Ariège oeuvrent en faveur de la
cohabitation72 ou font partie d'associations écologistes,
défendant le programme de réintroduction. Cela permettrait de
voir si la situation évolue, si d'autres voies sont à l'oeuvre
entre ce qui apparaît comme deux points de vue extrêmes sur une
même d'une situation.
83
BIBLIOGRAPHIE
BENHAMMOU, Farid et MERMET, Laurent 2003. «
Stratégie et géopolitique de l'opposition à la
conservation de la nature: le cas de l'ours des Pyrénées »,
Natures, Sciences, Sociétés, n°11,
p.381393.
72 Notamment l'association La Pastorale
Pyrénéenne qui s'occupe du placement de chiens patou chez des
éleveurs.
CHEVALLIER, Denis et MOREL, Alain 1985. «
Identité culturelle et appartenance régionale: quelques
orientations de recherche », Terrain, n°5,
p.3-5.
DUCLOS, Jean-Claude et MALLEN, Marc 1998. «
Transhumance et biodiversité : du passé au présent »,
Revue de géographie alpine, Tome 86 n°4,
p.89-101.
EYCHENNE, Corinne 2006. Hommes et troupeaux
en montagne : la question pastorale en Ariège. Paris,
l'Harmattan, collection « Itinéraires géographiques
».
GLAZER, Nathan and MOYNIHAN, Daniel P. with the
assistance of SCHELLING, Corinne Saposs 1975. Ethnicity: theory
and experience: [conference held at the American Academy of Arts
and Sciences in Brookline, Massachusetts in October 1972]. Cambridge (Mass.),
London, Harvard University Press.
LABOUESSE, François 1998. « La
construction de nouvelles relations entre monde agricole et
société : une approche à partir de fêtes de la
transhumance », Ruralia, n°2.
LARRERE, Raphaël 1993. « Sauvagement artificiel
», Le Courrier de l'environnement de l'INRA,
n°21, p. 35-37.
MAUZ, Isabelle 2005. Gens, cornes et
crocs. Antony: Cemagref, Montpellier: Cirad, Plouzané:
Ifremer, Versaille: Inra, collection « Indisciplines ».
Annexe 1
84
Un peu d'humour...
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en6.png)
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en7.png)
Annexe 1 (suite)
dessin de Emilien Gauthier
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en8.png)
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en9.png)
Annexe 2
87
Carte de la répartition des ours sur le massif
pyrénéen
source: Office National de la Chasse et de la Faune
Sauvage ( janvier 2006 )
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en10.png)
Annexe 3
schéma de l'étagement
montagnard
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en11.png)
source : plaquette de présentation de la
Fédération Pastorale de l'Ariège
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en12.png)
Annexe 4
Plaquette de présentation des
Pastoralies
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en13.png)
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en14.png)
Annexe 5
Plaquette de présentation des Rencontres
des
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en15.png)
Transhumants d'Europe
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en16.png)
Annexe 6
Sommaire du bilan réalisé par Bruno
Besche-
2-3
4-8
4-7 7-8 9-22 9-13 13-14 15-21
16-18
18-19
19-21
21-22
23-40
24-31
24
24-29
29-31
32-40
33-35
35-37
37-40
Mai 2008 -- ADDIP Coordination pyrénéenne -- Bilan:
Ours? Avenir des Pyrénées? 1 140
ÉCOLOGIE, UN VRAI PROBLÈME MANIPULÉ DE
FAÇON INQUIÉTANTE: bilan de la situation créée
aujourd'hui par le Plan de restabration et de conservation de l'ours
brun dans les Pyrénées 2006-2009 et conséquences
pour l'avenir du massif
SOMMAIRE
Introduction : comment penser, et qu'y a-t-il à penser ?
1) - Pyrénées, biodiversité à visage
humain et développement durable
I-A) - Les Pyrénées ne sont pas naturelles
I-B) - Mais de quoi parlez-vous : « Mère-nature
» des mythes?
Ii) - L'ours brun, sa vie, son oeuvre ... pour
ainsi dire
II-A) - L'ours, espèce juridique à
géographie variable
II-B) - L'ours, espèce-parapluie
II-C) - L'ours espèce machine-à-sous
IIC-1) Asturies
IIC-2) Le Trentin
IIC-3) - L'ADET et les Pyrénées
C3-A) L'ADET et le « Broutard du Pays de l'ours
n C3-B) L'Aoc Barèges-Gavarnie
C3-C) L'Aoc Osau-lraty et le Pé Descaous
B-D) Conclusion vue des Asturies : réintroduction = des
millions = échec ..., III) - L'ours-alibi, ou des Pyrénées
riches d'une biodiversité à visage humain ?
III-A) - Autre espèce non en péril :
l'ours-lobbyiste
Ill-A1) Au niveau national
III-A2) Au niveau européen
a) - Le réseau: acteurs et chronologie
b) - L'étude WWF-LifeCoex de 1997 et ses
suites
III-A3) L'ours végétarien
III-B) - Une biodiversité à visage humain
III-BI) - Savoir des troupeaux, savoir des hommes : un
système agro-pastoral III-B2) - Autre voie ?... Exclusion humaine,
sociale ... progrès en marche arrière
Ill - C) - Mais que veut la France ?
L'ADDIP remercie Bruno Besche Commenge, concepteur et
rédacteur de ce rapport pour son enthousiasme, son énergie et
bien évidemment, pour l'important travail réalisé.
91
Commenge pour 1'Addip
Annexe 7
A dupliquer et faire suivre, puis retourner à l'ASPAP
32 rue Général de Gaulle 09000 FOIX 06 30 29 90 86
aspap.contact@gmail.com
wwww.aspap.info
www.aspp65.com
www.pyrenees-pireneus.com
FEUILLE
Le Manifeste de Pyrénées
MANIFESTE DES PYRENEES.
NOUS, QUI VIVONS DANS LES PYRÉNÉES, NOUS ADOPTONS
CE MANIFESTE :
1) - Depuis des centaines d'années les
éleveurs et les habitants de ces montagnes ont modelé le paysage
: vallées dessinées par les prés, forêts
façonnées depuis des temps immémoriaux par le travail
anonyme de nos ancêtres. Ils nous ont
légué cet héritage : une biodiversité qui est le
fruit de la culture pastorale, et du travail des femmes et des hommes
de ces montagnes.
2) - Dans le premier Manifeste des
Pyrénées, signé à Vielha le 31 mars 2006, nous
avons déjà dénoncé les plans de
réintroduction de l'ours et autres grands prédateurs qui nous ont
été imposés sans aucune concertation, ni le
moindre respect pour la volonté des habitants de ces
vallées.
Depuis leur lancement en 1996, ces plans ont
entraîné la réintroduction d'espèces animales qui
ont affecté gravement l'activité dans ces montagnes. Ce faisant,
on a oublié de prendre les mesures réelles et concrètes
pour assurer la survie de secteurs d'activité qui sont, eux,
aujourd'hui, les grands menacés de disparition dans les
Pyrénées.
3) - Aux portes du XXI° siècle,
à l'entrée du troisième millénaire, nous, habitants
des Pyrénées, nous manifestons notre ferme conviction de vouloir
continuer à exister dans des montagnes mi l'homme,
comme il l'a fait pendant des siècles, occupera toute sa place dans un
projet de vie digne et respectable. Nous ne voulons pas
disparaître.
POUR CELA, NOUS VOULONS ET NOUS DEMANDONS ;
1) -- Nous voulons et demandons que
les Administrations publiques utilisent les ressources publiques pour mettre en
oeuvre des projets garantissant la présence des éleveurs et des
activités traditionnelles dans nos montagnes, en tenant compte
des facteurs sociaux et humains qui en dépendent.
2) -- Nous voulons et demandons qu'à l'avenir les
principes de la biodiversité soient abordés dans une
perspective globale de la réalité de nos montagnes, en
tenant compte des facteurs environnementaux, sociaux, et économiques,
afm d'assurer un développement durable sous tous ses aspects, et pas
uniquement sous l'angle d'espèces emblématiques.
3) -- Nous voulons et demandons qu'au lieu
des groupes de travail spécialisés « ours et loups »,
soit créé un groupe de travail qui envisage comme une
totalité le problème de la conservation de nos montagnes :
en tenant compte des aspects environnementaux, économiques,
professionnels, et sociaux ; en associant des chercheurs et spécialistes
de ces divers domaines et des acteurs représentatifs de l'ensemble du
territoire.
4) -- Nous voulons et demandons que, compte
tenu de l'échec social du programme Life, les Administrations
responsables récréent dans nos montagnes les conditions qui
prévalaient avant le début des opérations initiées
en 1996, afin que, de façon définitive, soient
écartés les effets négatifs qui pèsent
actuellement sur nos économies et sur le développement durable de
nos territoires.
Institutions publiques, représentants élus des
populations, éleveurs, groupements économiques et associations,
signataires de ce manifeste, nous le portons devant les diverses
autorités de l'Union Européenne, de l'Etat espagnol, de l'Etat
français, de la Généralité de Catalogne, du
Gouvernement d'Andorre, et devant toutes les personnes et institutions
concernées.
Manifeste établi en français, aranais, castillan
et signé à Les, Val d'Aran, par les représentants
français et aranais le 6 décembre 2008.
Nom, Commune
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Signature
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Nom, Commune
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Signature
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1L
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2. 1
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12.
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3.
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![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en17.png)
Annexe 7 (suite)
Annexe 8
Tableau extrait de l'ouvrage d'Isabelle Mauz : «
Gens,
cornes et crocs ».
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en18.png)
Annexe 9
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en19.png)
Le programme du Symposium Life Coex
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en20.png)
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en21.png)
Annexe 9 (suite)
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en22.png)
Accueil des participants Déjeuner
Discours d'ouverture
François Arcangeli, Maire d'Arbas et président
de l'association Pays de l'Ours - Adet Christine Sourd, WWF-France
Présentation du programme Life COEX et synthèse des
systèmes d'indemnisation des dégâts en Europe Annette
Mertens, Istituto di Ecologia Applicata (Italie)
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en23.png)
La stratégie de l'État pour améliorer la
cohabitation Homme-ours dans les Pyrénées
Evelyne Sanchis Diren Midi Pyrénées
- Le point de grue d'un opposant Intervenant rr
confirmer
Champions des mesures de cohabitation, champions de la
contestation, éléments de compréhension du paradoxe
français Alain Keynes, Pays de l'Ours Adet
Pause
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en24.png)
Renforcement de la présence humaine sur les troupeaux
ovins des Alpes françaises : bilan et perspectives du programme
Pastoraloup
Jean-Luc Borelli & Yannick Giloux, FERUS
Les Techniciens pastoraux itinérants : bilan de 10
années d'actions en zone â ours
Frédéric Decaluwe et Gérard
Rolland,
ONCES - Équipe Technique Ours
Les équipes d'urgence « Ours » en Croatie
Djuro Huber, Faculté vétérinaire de
Zagreb (Croatie)
Discussion
Les méthodes de protection traditionnelles et modernes
mises en oeuvre dans le cadre du Life COEX en Espagne
Belén Pliego, Fundacion Oso Pardo (Espagne)
Cohabitation homme-ours dans ie Trentin : 30 ans de gestion
Claudio Groff, Provincia Autonoma di Trento (Italie)
Modes de conduite des troupeaux : analyse et optimisation pour
diminuer les risques
Blondine Milhau et Gilbert Guillet,
La Pastorale Pyrénéenne (ex ACP)
Discussion Pause
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en25.png)
Élaboration de tests
comportementaux pour les chiens de:. protection adultes
Marie-Catherine Lederç Institut de (élevage,
Pascal Cacheux, La Pastorale Pyrénéenne (ex ACP)
Le statut juridique du chien de protection
Alexandre Meybeck, Ministère de l'Agriculture et de
la Pêche
La mise en place et le suivi des chiens de protection, les
spécificités pyrénéennes
ÇyprienZaire, La Pastorale Pyrénéenne
(ex ACP)
La problématique e chiens errants » au Portugal
Silvia Ribeira, Grupo Lobo (Portugal)
Discussion
96
Annexe 9 (suite)
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en26.png)
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en27.png)
Au choix :
Démonstration Chiens de troupeaux (conduite et
protection)
: Sortie terrain ,< Écotourisme avec un accompagnateur
en montagne du Pays de l'Ours »
Déjeuner
97
Une définition de l'écotourisme
Spyros Psaroudas,Callisto (Grèce)
Programme d'écotourisme et valorisation des produits du
Parc National des Abruzzes
Daniéla D'Arnica, Parco Nazionale d'Abruzzo, Lazio e
Molise (Italie)
L'écotourisme lié au loup : méthodologie et
résultats des premières expériences portugaises
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en28.png)
Clara Espirito Santo, Grupo Lobo (Portugal)
Impact économique des grands prédateurs pour les
populations locales en
Bulgarie -
Aleksander Dutsov (Bulgarie)
Le réseau des Professionnels du z< Pays de l'Ours
Alain Keynes, Pays de l'Ours Ader
Entre tourisme et science, le projet Altaïr-nature.
Frantz Breitenbach, Altaïr-Nature
Discussion Pause
La perception des grands carnivores en Europe
:éléments de synthèse
Jean Paul Mercier, Pays de l'Ours -Ader
Le Plan de gestion de la population d'ours bulgare : un
exemple de concertation
,Alistair Bath, Memorial University of Foundland
(Canada)
Cohabitation ours et loups en Slovaquie : solutions
envisagées aux problèmes rencontrés depuis la restauration
de ces populations
Robin Rigg, Slovak Wildlife Society (Slovaquie)
Projet lié à la cohabitation en Albanie
(étude sur le vécu des populations rurales dans les zones de
présence des grands prédateurs)
Alexander Trajçe, Protection and Preservation of
Natural Environment in Albania (Albanie)
Discussion
98
Annexe 9 (suite)
L'ours et la valorisation des productions locales
pyrénéennes
Evelyne Falguière, Midi marketing
Le fromage fermier dés vallées â ours :
Pè Descaous
Jérôme Ouilhon, FIEP Groupe Ours
Pyrénées
Le broutard du Pays de l'Ours
Catherine Lacroix, Estive do Pays de l'Ours
Pause
|
|
Les produits labellisés «Ours» : un outil pour
améliorer l'acceptation locale en Croatie
Duro Huber, Faculté vétérinaire de
Zagreb (Croatie)
La valorisation des produits locaux avec l'image du loup au Nord
du Portugal
Maria Ana Borges et Clara Espirito-Santo, Grupo Lobo
(Portugal)
Discussion
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en30.png)
Présentation et analyses des actions Life COEX
menées en Italie
lEA (Italie)
Présentation et analyses des actions Life COEX
menées au Portugal
Grupo Lobo (Portugal)
Présentation et analyses des actions Life COEX
menées en Espagne
FOP (Espagne)
Présentation et analyses des actions Life COEX
menées en Croatie
Faculté vétérinaire de Zagreb
(Croatie)
Présentation et analyses des actions Life COEX
menées en France
WWF France
Discussion
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en31.png)
Déjeuner
99
Annexe 10
Extrait des résultats d'une enquête sur
l'efficacité des
chiens de protection réalisée entre 2003
et 2005
(source : plaquette éditée par Pays de
l'Ours-Adet dans le cadre du programme Life Coex « améliorer la
coexistence entre les grands carnivores et l'agriculture en Europe du Sud
»)
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en32.png)
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en33.png)
Annexe 10 (suite)
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en34.png)
101
Annexe 11
Adresses de sites internet
www.ours.ecologie.gouv.fr
(site du ministère de l'écologie consacré au programme de
réintroduction)
www.paysdelours.com
(site l'association Adet, pays de l'ours qui coordonne la mise en oeuvre du
plan-ours)
www.ferus.org
(association nationale pour la conservation de l'ours, du loup et du lynx en
France)
www.loup-ours-berger.org
(la Buvette des Alpages, site de promotion de la cohabitation entre l'homme,
la nature et les grands prédateurs)
www.aspap.info (site de l'association l'Aspap
opposée aux programme de réintroduction)
www.aspp65.com
(site de l'association l'Aspp65 opposée au programme de reintroduction)
www.pyrenees-pireneus.com/Ours_des_Pyrenees.ht
m
102
Annexe 12
L'entretien de Laurent
L'entretien a lieu un matin du mois de mai environ quinze
jours après le début des premières prédations de
l'année Laurent, qui a environ 50 ans, est éleveur de brebis et
de porcs avec sa femme en haute Ariège à environ 900m d'altitude,
l'exploitation se situe en zone intermédiaire. L'entretien a lieu
à son domicile. Les bâtiments agricoles sont aux abords de la
maison. La pièce principale est à la fois cuisine et salon et
l'on s'installe autour d'une grande table en bois. La discussion démarre
autour d'un café.
L: vaste sujet hé...y'a quand même un paquet
de facettes hein..c'est pas l'ours en tant que tel hein... E: tout
ce que ça révèle autour...
L: oui et c'est toute une situation
heu...économique, géographique, c'est la vie pastorale heu...
(pause)...c'est tout un système en
fait...c'est tout un système heu qui est qui est en place depuis des
siècles et donc heu...qui est ce qu'il est et qui évidement subit
la crise comme beaucoup d'autres secteurs quoi et heu et puis à
côté de ça des décisions politiques qui sont prises
à haut niveau [...]
E: Est ce que tu pourrais me raconter en fait l'histoire ou
les histoires que vous avez eu vous avec les ours ?
L:...(pause)...oui en fait heu
moi je veux bien mais c'est heu...j'allais dire c'est heu les histoires c'est
quoi ? Les faits divers en fait ? le vécu ?
E: heu oui ce qui vous est arrivé ici quoi?
L: la perception qu'on en a eu, comment on l'a
vécu quoi... E: oui...
L: ...(une pause puis une grande inspiration
et expiration)...ouais ça c'est très
personnel...parce que je m'aperçois que d'un individu à l'autre
heu...le le comment dire...les les sont très, les motivations, les
réactions ...sont différentes, enfin sont
différentes...ouais...après chacun le formule comme il peut selon
selon ce qui fait et selon son vécu
heu...(pause)...nous au début on l'a
perçu comme heu heu...comme une atteinte à à...comme une
atteinte à notre travail voilà...dans le mesure où on
considère que...et on vit heu...la constitution, l'élaboration,
la construction d'un troupeau comme un travail de...de pfff...je vais dire de
toute une vie...(pause) donc quand on a eu les
premières attaques, ça ça m'a beaucoup touché parce
que j'ai pas compris et et je ne...à vrai c'est je...c'est une question
de principe je supporte pas...qu'on... qu'on détruise qu'on touche au,
comment dire à...à la production d'autrui... au travail
d'autrui...quand je dis travail je dis tu vois c'est
heu...(pause)...pour moi c'est pas...c'est pas
contraignant c'est pas péjoratif, péjoratif:je devrai pas dire
ça...C'est heu...c'est plutôt ça fait plutôt appel
à la créativité de l'individu, pour moi le travail...hein
tel que je l'entend...donc heu dans ce cadre là...nous ici la vie telle
qu'on a choisi de...de l'avoir heu...depuis des années...c'était
heu...une recherche d'équilibre heu...une recherche d'harmonie avec tout
un
103
milieu naturel et évidement avec un contexte
social heu...et heu donc comme la base de notre économie c'était
heu un troupeau d'ovin transhumant...c'était l'amélioration du
foncier et heu..enfin tout un un équilibre en fait entre heu...entre un
pays et des gens...heu...nous on a ressenties ces attaques comme heu comme heu
comme une atteinte voilà...et c'est vrai que moi ça
ça...dès le début ça m'a révolté
heu...surtout dans la mesure où...jusqu'alors heu je m'étais pas
méfié...de...quand j'avais entendu parler de
réintroduction d'ours j'étais heu, j'allais dire innocent on
s'est pas méfié du tout bon heu évidement qu'y a pas eu de
concertation tu dois le savoir même si par ailleurs on dit que les
populations, j'pense que les les cartes étaient jouées heu bien
après que le...bien avant que tout soit mis en
place...(pause)...hein c'était qu'une
façade de hum...comment dire de...relations démocratiques avec la
population...du terrain...en fait avec les acteurs principaux hein...c'est
à dire tous les pastoraux et puis tous les gens qui gravitent autour de
la question pastorale et de la vie pastorale...et heu...donc c'est
déjà heu un choc heu...et ensuite c'est un souci heu
supplémentaire heu de heu...allez on va dire de...d'avril à
novembre...dans la mesure où le fonctionnement du troupeau heu veut
que...à certaines périodes y'a...tout le troupeau en plein
air...en...en extensif hein...heu...donc évidement il est beaucoup plus
vulnérable qu'un troupeau qui est rentré tous les soirs et qui
est gardé dans la journée et ça bon ça c'est
impossible faut faut pas rêver on est tout seul et heu 400 brebis plus
heu pas mal d'autre heu boulot heu...(puis il reprend sur un ton
plus haut et plus énergique.) donc ça a
été un souci permanent de pendant de...2000 à maintenant
hein...ça s'est un peu calmé là...depuis deux
ans...(pause) alors évidement d'une
année sur l'autre depuis depuis 2000 disons que ça en 2000
heu...2000, 2001, 2002 heu là on a eu des prédations
(sur un ton qui veut dire qu'il y en a eu beaucoup)
régulièrement hein...des cartons...alors bon moi je
comprenais pas...des des...(soupir)...des bêtes
tuées pas bouffées du tout heu...hum...et à
côté de ça évidement un système heu...qui est
mis en place depuis longtemps heu...avec heu toute politique de
médiatisation heu...et de...heu...d'utilisation de l'emblème de
l'ours du du du nounours de l'enfance , de chaque
individu et cetera et cetera heu...pour faire passer la pilule quoi, moi je
comparais ça au début à...à la mise sur le
marché d'un...d'un yaourt bio...(pause)...le
plus malheureux dans l'histoire heu hormis tous les gens qui étaient
touchés heu c'était qu'on se servait de ces ours pour
véhiculer et pour faire passer sûrement d'autres heu
enjeux...(pause)...d'autres enjeux que
l'emblème des Pyrénées...hein je pense vraiment et puis
les recherches qu'on a faites l'on montré, y'a eu comment dire des
tractations à haut niveaux entre des élus locaux, conseillers
généraux, conseillers régionaux sur des
aménagements des infrastructures, d'aménagement du territoire et
puis la la réintroduction, l'introduction d'ours slovènes dans
les Pyrénées...(pause)...heu
voilà maintenant heu...avec un peu de recul quand même et puis heu
le combat qu'on a mené depuis 2005, qui était beaucoup plus
structuré au sein de l'Aspap heu...heu qui s'avère heu pour
beaucoup de de heu de gens la population hum...j'allais dire classique
heu...pas forcément des gens de terrain, que c'est une histoire un
peu...heu...qui s'emberlificote dans des ...dans des des schémas, des
raisons, des raisonnements heu qui tiennent de moins en moins la route, hein
parce que je pense qu'au niveau conservation, protection de l'environnement y'a
d'autres choses à faire de plus important, beaucoup plus important que
de réintroduire des ours slovènes dans les
Pyrénées...bon je pense notamment à...à la question
des déchets nucléaires heu...bon à une agriculture
raisonnée, enfin bref je vais pas énumérer tout
ça...donc quand on nous met en avant la protection de l'environnement
derniers défenseurs ou dernier maillon de la chaîne...protection
de la biodiversité heu bon ça nous fait rigoler quoi...parce que
la biodiversité dans les Pyrénées c'est pas
heu...(rires)...c'est pas la...l'introduction d'ours,
loin s'en faut, heureusement d'ailleurs...heu...voilà...en gros heu
j'pense que cette histoire ça va se finir en noeud de boudin..y'a un
certain nombre d'ours qui sont là mais ça ça heu ça
représente une population qui est pas...viable pour pouvoir heu se
perpétuer se régénérer à long terme sans
problème de consanguinité...heu je pense que pour heu vraiment
pour aller pour que que...les les les
104
défenseurs de cette opération heu heu soit
soit comment dire heu...poussent jusqu'au bout leur processus faudrait qu'y ait
heu facilement 50 ours...heu à l'heure actuelle introduire des ours
quelle que soit la zone des Pyrénées heu ça me
paraît hypothétique parce que parce que pour un tas de
raisons...(profonde respiration)...donc il y a cet
espèce de statu quo heu...non volontaire heu je pense que la situation
va pourrir...[...]...moi je je je ressens mais
ça, c'est tout à fait instinctif hein heu...une fois de plus on
aura une espèce d'opération qui aura fait beaucoup de bruit qui
aura quand même monté heu...des gens les uns contre...enfin
monté...si opposés des gens les uns contre les autres heu...heu
qui aura...bon au niveau financier n'en parlons pas heu...qui aura fait
dépenser beaucoup d'énergie heu...qu'on soit loin mais alors
vraiment loin du...du résultat qu'on nous avait promis et puis qu'on
avait laissé envisager heu...bon heu...pour la population en
général...
E: c'est à dire...les retombées
heu...positives...?
L: bah déjà des des des...l'emblème
des Pyrénées qui allait faire venir les touristes heu les gens
ils verront jamais un ours heu...bon heu moi je pense que si ils veulent voir
des ours heu...ou ils vont dans un pays étranger où y'en a en
pagaille où c'est organisé..ou alors on se donne les moyens ici
de...enfin l'État se donne les moyens de de structurer heu...je sais pas
entre 10 000 ou 5000 hectares heu dans les Pyrénées ça
c'est...heu c'est possible et faire un immense parc de vision et voilà
d'en faire une activité économique et puis heu d'y mettre des
ours qui seront heu...pénards... (pause)...mais heu ce qui a
été fait à mon avis c'est heu ça ça a
été mal fait, ça manque complètement de bon sens et
puis heu le plus grave c'est heu...ça a été heu un
mépris heu...de de tous les acteurs de terrain...et qui font que les
Pyrénées sont ce qu'elles sont ou qui qui perpétuent heu
et qui maintiennent heu...ce qu'ont fait leurs prédécesseurs...et
à mon avis heu c'est c'est c'est ce qui fait venir les les visiteurs
hein après l'ours des Pyrénées c'est un emblème
c'est heu...ça reste du domaine
de...(pause)... maintenant de l'imaginaire quoi
voilà...(pause) surtout quand on sait la
fréquentation qu'il y a dans les Pyrénées entre les
stations de ski et les les heu les déboisement qu'il y a eu les pistes
forestières heu les pistes d'accès au estives heu le nombre de
gens qui fréquentent la montagne heu...de très tôt
jusqu'à très tard dans la saison, les pêcheurs, les
randonneurs, tout ça heu...voilà c'est vrai que c'est
sûrement...un constat malheureux que l'ours autochtone ait disparu mais
bon heu c'est comme beaucoup de choses heu de l'existence du règne
végétal animal voilà c'est comme nous...heu un jour ou
l'autre heu y'a quelque chose qui s'éteint ...bon je le vois comme
ça...p't'être que c'est à ce moment là mais heu
maintenant on peut tout dire heu...à cette époque là qu'il
aurait fallu des mesures de conservation plus draconiennes heu se pencher sur
le problème...en attendant le constat c'est que...heu y'a j'sais plus 3,
4 ours autochtones qui tournent en rond heu...qui sont en consanguinité
heu...heu heu et voilà...après heu les prédations...c'est
c'est c'est j'allais dire c'est du fait divers c'est...le fond du
problème il est pas là...le fond du problème c'est une
perturbation heu...énorme de tout un équilibre qui est, qui reste
fragile qui reste fragile malgré tout parce que c'est des conditions
géographiques des conditions météorologiques qui font
que...l'agriculture l'élevage de montagne heu...et encore plus
l'utilisation des grands territoires, les estives heu...restent quelque chose
de très fragile...très très fragile et le moindre
heu...grain de sable peut venir bloquer toute une
dynamique...voilà...[...]... et heu...il suffit aussi de regarder dans
les Alpes avec le loup c'est un peu le même heu...c'est un peu le
même constat heu...même si le loup heu...peu importe est
réapparu naturellement ou pas alors là le débat reste
toujours ouvert... mais heu je dirai même que c'est encore plus grave
parce que les attaques de loup c'est vraiment heu...heu...d'après tous
tous les témoignages que j'ai entendu ce que j'ai pu voir c'est
c'est...c'est pire voilà...c'est pire et y'a des gens des jeunes qui
veulent plus s'installer qui avaient décidé de reprendre
heu...l'exploitation familiale heu y'a des gens qui sont au bord du du
du...(soupir)...j'allais
105
dire du désespoir parce que parce que quand une
meute de loup intervient et que y'a 20, 25 ou 30 bêtes sur le carreau heu
y'a quand même eu depuis plusieurs années j'sais pas combien des
milliers et des milliers de brebis heu...
E: ça fait plus de dégâts...?
L: ça fait plus de dégâts et et et
donc le choc est plus rude hein...(pause)...et
l'État actuellement avec ce problème du loup ne sait plus du tout
comment le gérer parce que la population est en constante augmentation
et heu quand ils vont être en surpopulation dans les Alpes heu ils vont
commencer à chercher ailleurs et c'est ce qui se passe d'ailleurs parce
que il en a traversé la vallée du Rhône heu et puis
ça a redescendu là sur heu les Pyrénées Orientales
heu...et heu nous c'est un de nos plus gros souci heu...que le loup arrive
dans...très prochainement...(pause)...alors
heu je sais pas y'aura des réactions heu pfff...après tout
dépend de du caractère des individus hein heu y'en a qui vont
résister heu...y'en a qui vont baisser les bras heu...y'en a qui vont s
'organiser comme on l'a fait, comme on a su le
faire..(pause)...heu on..et puis
heu...j'espère du moins que heu l'homme trouvera heu les ressources
qu'il a toujours eu heu dans ces cas là...ça date pas d'hier et
puis heu y'en aura d'autres devant un élément extérieur
qui vient heu qui vient perturber heu sa vie son économie heu...il saura
trouver les moyens heu je sais pas comment pour heu remettre un
équilibre à tout ça...(pause)...
mais en attendant heu c'est un c'est un souci de plus, un souci de
plus et et et un souci qui est imposé par heu qui est imposé et
ça moi je le heu ça j'avoue heu je revendique je le
vie...ça ça me révolte, ça me révolte parce
que je ressens ça comme une heu...une injustice...malgré tous les
discours qu'on nous fait...parce que les premières popula...les
premières personnes qu'on aurait du écouter et concerter c'est
c'était nous c'était les gens de les gens du terrain et bon,
maigre consolation je m'aperçois que dans d'autres domaines c'est la
c'est la façon de faire d'un État...on décide heu on
organise heu heu...on assène la décision et ensuite heu heu
on...on met en place un simili heu un simili concertation heu voilà heu
on veut se donner des allures de de processus démocratique, mais en fait
heu tout est joué d'avance quoi...et ça ça c'est pas
bon...à mon avis c'est pas bon du tout pour heu...pour les relations
entre heu...une population, son gouvernement, ses élus heu...c'est pas
bon on peut pas faire ce genre de trucs si y'a pas un climat de de confiance
réciproque...donc heu nous heu quoi qu'il en soit heu...enfin quand je
dis nous, nous c'est heu...c'est les éleveurs de montagne
concernés hein les gestionnaires d'estives et cetera on reste
très heu vigilants...très très vigilants sur la moindre
déclaration, sur tout ce qui va se
passer...heu
voilà...(pause)
E: et en fait heu...vous avez eu des attaques sur l'estive et
ici ?
L: ici...le 28 avril là ici...là en ce
moment heu en ce moment...tout le monde est dehors plusieurs lots là,
j'ai trois lots heu...y'a un gros de bêtes vides...donc qui ont pas
d'agneaux et qui sont heu qui sont dehors là sur une zone de 100
hectares là et sont sous un régime heu d'association
foncière pastorale...
E: c'est loin d'ici ?
L: en face là...(il me montre le
versant de la montagne où se situe leur exploitation mais plus haut dans
la pente) tout ce joli bout de montagne...[...] donc j'y
étais ce matin j'y suis tout les matins à heu six heures moins le
quart, six heure, la pointe du jour...bon je prend le troupeau et je lui donne
une direction et le soir je vais voir où elles sont et et voilà
le 28 avril heu j'étais pas loin en fait de du cadavre, c'est un
randonneur qui l'a trouvé et aussitôt après il est parti
sur heu S., le
106
lendemain...et la veille...oui la veille donc ça
devait être le 27 dans la nuit...27 au 28 parce qu'il a attaqué du
28 au 29...il a été vu traversant la nationale à
l'entrée de P. ...donc il venait de l'autre côté,
côté V....
E: hum hum...vous avez fait faire une expertise ?
L: Oui oui ils sont venus le le 29...oui oui y'avait pas
photo quoi...on est trop habitué maintenant...on le voit tout de suite
quoi...sans être des experts...donc heu voilà heu...en 2007 heu il
était resté un moment ici...j'avais eu trois attaques sur les
ruches et au moins trois quatre bêtes...
E: c'est toujours à cette période, à la
même période ?
L: ouais parce qu'après les troupeaux sont en
montagne donc il monte.. [...]
L: ...mi-mai, fin-mai, début juin, les bêtes
sont dehors hein...on les rentre plus dedans elles ont plus de foin elles ont
à manger dehors et c'est c'est un système heu...je veux dire heu
traditionnel...
E: et après l'estive, vous les mettez en estive pas
loin d'ici aussi non ?
L: heu c'est pas loin, si c'est loin et pas loin y'a pas
de route à traverser heu mais c'est quand même relativement...haut
c'est ça fait parti de la commune de S. je peux y accéder par la
piste là qui continue...en partie...et après y'a deux heures,
deux heures et demi pour arriver à la première cabane mais
là pareil y'a 3000...heu cette années y'a à peu
près 3400 bêtes hein y'a deux bergers...l'an dernier y'avait eu
une attaque heu...très tôt...tout début juin..et une autre
heu...en début aussi au mois de juin et après dans
l'été y'en a eu une...deux...trois...
E: vous êtes combien d'éleveurs sur l'estive
?
L: quatorze...
E: ah oui quatorze quand même...ça fait un gros
troupeau....
L: ouais 3400 bêtes je dis...petites et grosses
c'est à dire les mères et les agneaux heu...des jeunes heu...mais
heu bon c'est c'est...une perturbation de plus parce que bon les troupeaux sont
tranquilles en montagne heu...les les deux jeunes qui font leur boulot, quand
il y a une prédation bon y'a les vautours heu bon il faut heu faut
dissimuler la carcasse enfin le cadavre...sous une bâche en plastique
parce que sinon les vautours en une heure ils ont tout grignoté heu...il
faut téléphoner aux experts, faut qu'ils montent, c'est du temps
perdu heu... heu...c'est du temps perdu voilà ...que les bergers
consacrent pas à leur boulot quotidien et et puis ça perturbe le
fonctionnement de l'estive quoi...
[...]
L: ...mais heu voilà ce qui fait un peu notre
heu...spécialisation ce sont les agneaux qui descendent de montagne...on
fini pas au grain ou aux céréales heu..les agneaux engraissent
naturellement là-
107
haut..ça c'est un peu une
spécificité et heu on a les clients pour ça...
E: parce que les clients demandent justement...
L: ouais des agneaux qui ont justement ce goût de
réglisse heu de de d'estive d'altitude quoi...bon on a la chance d'avoir
une très bonne estive aussi...tous tous les territoires d'estive ont pas
la même qualité fourragère hein...la notre pour ça
on est bien lotis, disons...
E: et vous avez toujours fonctionné comme ça
avec un système de transhumance ?
L: oui...ici placés comme on est on pourrai pas
faire autrement...non...avec la race qu'on a...puis c'est des terrains pauvres
ici...c'est très c'est des terrains très légers...heu pour
nous l'estive c'est le poumon, c'est le poumon de l'exploitation , ça
y'a pas de doute là-dessus...les bêtes montent début juin
jusqu'à fin septembre début octobre et heu elles font leurs
réserves de de...d'un paquet d'éléments qu'elles n'ont pas
ici heu..quoi qu'on leur donne hein parce que la flore est particulière
heu...C'est une flore d'altitude heu...les bêtes sont habituées ce
qui est énorme elles sont habituées à un territoire donc
heu...
E: cette race ou ce troupeau, c'est la race qui fait
ça ?
L: la la race fait que au moi de mai, elles pensent
qu'à une chose c'est monter...ça c'est la tarasconnaise hein...si
vous gardez la tarasconnaise en bas dans les parcs en bas elle s'ennuie quoi
c'est comme la chèvre de Monsieur Seguin ça...hum..et
après le troupeau évidement...depuis maintenant 25, 30 ans qu'on
monte elles sont habituées au territoire donc heu elles reconnaissent
très vite leurs repères heu...donc là-haut y'a quand
même du boulot de surveillance hein..on garde pas un troupeau
serré comme on pourrait garder en bas ça ça ça
existe pas et dans le livre de justement de Corinne Eychenne c'est très
bien expliqué ça...(pause)...
E: le fait que...?
L: que les bêtes doivent être laissées
libres en montagne...mais contrôlées, hein libres c'est pas heu
à l'abandon...voilà autant pour les vaches que pour les les
brebis...(pause)...la liberté ça n'a
pas de prix...(pause)...après c'est du boulot
parce que faut être toujours sur le terrain heu...regarder où
c'est..par quartier, parce que c'est immense, y'a des heures de marche y'a des
endroits difficile d'accès...une partie basse plus facile mais une
partie haute heu...assez difficile donc heu il faut une condition physique et
puis il faut il faut connaître le terrain...mais heu...moi c'est ce que
j'ai choisi de vivre depuis longtemps donc heu...voilà c'est le
bonheur...
E: ça fait longtemps que vous êtes
installés ici ?
L: ça va faire trente ans...
E: vous êtes pas né en Ariège ?
L: non...non non je suis du
Lot-et-Garonne...(pause)...
E: et donc vous avez décidé de venir
ici...?
108
L: les hasards de la vie...on va dire...voilà bon
ça aurait pu être ailleurs mais ça aurait été
en montagne quoi qu'il en soit...puis c'est une recherche de qualité de
vie quoi...voilà...et puis comme je disais tout à l'heure
c'est...heu...une recherche d'équilibre heu...d'équilibre...donc
c'est pour ça que ça me fait un peu sourire quoi toutes les
histoires qu'on nous raconte sur la biodiversité l'écologie
heu...en montagne on peut pas être autrement...heu...de pratiquer une
écologie quotidienne...parce que la moindre erreur se paye au prix
fort...il faut respecter...
E: c'est à dire...par exemple ?
L: il faut respecter hé ben heu par exemple...y'a
des choses qu'on fait des travaux qu'on fait à une certaine
époque heu on prévoit le temps qu'il va faire heu...c'est
beaucoup d'observation beaucoup d'écoute de gens qui ont vécu
déjà sur place...beaucoup de connaissance du terrain,
connaissance de la flore du sous-sol...heu des expositions heu...des
saisons...voilà c'est c'est tout un équilibre...qui est encore
plus fragile dans des zones comme ici...oui parce que...ne serait-ce qu'au
niveau météo ça peut changer très vite et ça
peut être très vite heu...heu compliqué, astreignant et heu
donc faut prévoir on fait pas n'importe quoi et comme c'est heu...peu
mécanisable, c'est c'est de l'extensif heu je dirai heu
raisonné...et heu moi j'pense vraiment qu'on fait un boulot
d'intérêt public parce que...si on était pas là
c'est c'est la friche, déjà qu'elle y est c'est c'est une heu un
combat perpétuel avec la friche avec l'enfriche ment quoi ...et puis
c'est aussi une transmission de du
savoir-faire...(pause)...
E: transmission heu...l'envie de transmettre...?
O: voilà heu par rapport...aux jeunes bergers
heu...qui sont...qui sont...dans le...puisqu'il y a un stage heu de formation
berger-vacher et où j'interviens en tant que...professionnel parce que
c'est important que y'ait des jeunes qui continuent et puis qui ont envie donc
heu...faut leur amener les moyens les outils les connaissances quoi...parce que
la la la vie pastorale heu le système pastoral c'est quand même
heu la clé de voute de toute une économie montagnarde hein...et
y'a beaucoup d'activités qui gravitent autour...donc si les chemins les
pacages sont abandonnés c'est vite la la déprise c'est la
forêt qui reprend le dessus heu et heu c'est heu...c'est la friche
quoi...et heu les utilisateurs de la montagne heu...la friche heu...ça
les intéresse pas...ça les
intéresse pas...alors là est ce qu'on veut faire des
Pyrénées des montagnes sauvages ou si on veut continuer à
ce qu'y ait des gens qui viennent heu s'y promener heu...passer les vacances,
découvrir les populations ou découvrir le territoire...en fait
c'est...le fond du problème il est là...et si tout ça
c'est perturbé par heu...des réintroductions de prédateurs
heu...je pense pas que ça aille dans le sens d'un développement
économique qui est qui existe c'est une dynamique...malgré
heu...heu les moyens de préventions qu'on..les indemnisations hein le
problème n'est pas là...c'est pas un problème
d'argent...c'est un problème de volonté humaine heu...savoir ce
qu'on veut faire...et je pense que...c'est d'abord aux gens du terrain aux
acteurs locaux à à donner leur avis sur la question...donc heu
c'est un choix politique...quelle politique on veut pour heu...le massif
pyrénéen...(pause)...
E: et heu est ce que vous pourriez me parler un peu de
l'Aspap ?
L: bah l'Aspap heu..l'Aspap c'est heu...heu c'est
à un moment donné la création d'une association qui
heu...qui a structuré toutes ces...toutes ces
révoltes...individuelles...(pause)... alors
c'est vrai que c'est c'est parti en Ariège et surtout d'abord en
Haute-Ariège donc heu ici hein...entre Tarascon et ...et Merens quoi et
Ax...p't'être parce que y'avait heu c'est pas là que les
prédations ont vraiment
109
commencé à à être mis en
exergue hein...c'était le Couserans d'abord heu...je m'en souviens
bien...et pt'être que tout simplement y'avait quelques individus heu dans
cette zone là heu qui heu j'sais pas qui ont eu l'énergie et puis
la perspicacité de de de...de mettre cette association sur pied et puis
de définir des objectifs et de rassembler en fait toutes ces
énergies heu qui étaient un peu heu...de droite et de gauche heu
qui étaient individuelles quoi...et l'individuel quand heu on
veut...combattre une opération pareille heu...qui est menée qui
est décidée depuis longtemps par un État par des
règlements et et c'est coton...donc heu il vaut mieux être
heu...organisés on est plus efficace, et heu je pense quand même
que...on a marqué pas mal de point...même si y'a des actions qui
ont pu paraître heu...un peu dures heu...je pense qu'il fallait qu'elles
soient, qu'elles existent à ce moment là...de toute façon
c'est un combat c'est un combat...heu...et un combat heu...on y va pas comme
ça à l'aveuglette heu...y'a une stratégie y'a des
objectifs heu y'a une dynamique heu...heu...l'Aspap a su mettre tout ça
sur pied et puis l'insuffler hein...moi je j'en voudrai pour preuve heu..ce que
ça a suscité sur toute la chaîne pyrénéenne
quoi on a quand même coordonné heu les mouvements qu'il y avait
similaires dans d'autres départements hein heu la Haute-Garonne, les
Hautes-Pyrénées heu...le Béarn
heu...Pyrénées Atlantiques heu..on s'est retrouvés au sein
de l'Addip...l'Addip c'est quand même une coordination
pyrénéenne hein heu bon...les politiques s'y sont mis aussi hein
tous les conseillers généraux heu...les maires heu...ça
fait de l'énergie tout
ça...heu...(pause)...et j'allais dire on est
un interlocuteur incontournable...parce qu'au sein de l'Aspap heu...y'a des bon
heu...y'a beaucoup de gens qui réfléchissent et qui savent
que...un combat ça se mène pas tout seul...
(pause)...c'est le combat heu...de toute une
population heu... montagnarde...(pause)...et surtout
surtout ce sont des gens...bon heu...ce sont des gens du terrain, des acteurs
locaux que ce soit, évidement des des gens heu concernés par
l'élevage l'agriculture en montagne et aussi les gens du tourisme...des
pêcheurs des chasseurs, les chasseurs de plus en plus là en ce
moment...ils montent au créneau...depuis le temps qu'on leur dit
mais...(pause)...il faut savoir quand même que
l'Office National de la Chasse ils sont partenaires de cette opération
de d'introductions d'ours slovènes hein...mais heu les
fédérations départementales heu...elles se rebellent de
plus en plus parce que heu ils s'aperçoivent que...va y avoir des zones
interdites de chasse quand il va y avoir par exemple l'ourse avec ses petits et
et bon heu...le passé l'a montré hein...quand il y a eu le tir
sur Balou heu...tout le monde savait que l'ours était dans le secteur de
la battue, le préfet en premier quoi...et il a rien fait pour
l'interdire heu parce que parce que les chasseurs c'est quand même un
sacré lobby...
E: et pourquoi il l'a pas interdit alors...?
L: je pense qu'il y aurait eu une levée de
boucliers et heu...qu'il avait pas besoin..résultat heu l'ours a
été blessé et et le chasseur heu il a pas
été inquiété...c'est pas un hasard
hein...(pause)...y'a un tas d'incohérences et
puis d'une année sur l'autre les les les...le fossé se creuse en
fait...moi je pense qu'il aurait été tout à l'honneur d'un
État de dire heu...heu...on a p't'être fait des erreurs heu on va
remettre les choses à plat et on gèle le moratoire heu...et
cetera et cetera...on s'assoient autour d'une table et on regarde comment on
peut faire...mais non non non (grande respiration)
ils sont restés campés sur leurs positions heu alors
est-ce que la pression des associations de défense de l'environnement
ont heu je sais pas heu y'a sûrement des intérêts...qu'on
connait pas...forcement qui rentraient en jeu et et y'a une situation qui
s'entérine et qui est pas bonne quoi...pas bonne du tout...
(pause)...et puis on s'aperçoit quand
même que malgré tout ce qu'on dit heu...l'introduction d'ours dans
les Pyrénées heu c'est pas un facteur de développement
économique ça c'est des masturbations d'intellectuels, enfin
quand je dis d'intellectuels, j'ai rien contre les intellectuels,
évidement mais heu...quand je dis intellectuel je pense à des
gens qui... voient ça heu...du du du...depuis leur bureau ou depuis leur
heu depuis leur maison qui ont rien à voir avec le terrain et qui savent
pas comment
110
ça se passe et heu
(soupir)...qui qui sont un peu aveuglés par
heu l'image heu...emblématique de l'ours des Pyrénées qui
revient chez lui (rires prononcés)...mais
ça je pense que ça fait parti d'une des facettes de notre
époque hein...on est très portés sur l'image et sur les
emblèmes hein...sur le...la façon de paraître...mais faut
pas faut pas s'amuser avec ça....les gens qui en parle le plus c'est les
gens qui ont rien à voir avec la réalité du terrain..faut
écouter les gens de terrain...c'est un truc tout simple hein c'est une
histoire de bon sens...(profonde respiration)...donc
l'Aspap reste vigilante heu...à toutes les décisions qui peuvent
être prises et heu tout ce qui...(pause)...tout
ce qui se passe voilà...parce que dans une stratégie de...de
combat parce que pour moi ça reste un combat pour heu...pour une
vie...pour une vie...une vie et la perpétuation de de comment dire d'une
civilisation pastorale...voilà ça paraît être des
grands mots mais en fait heu...je suis persuadé que c'est...c'est
ça tout ce que...tout le travail et toute la vie qu'ont ces
éleveurs en montagne ces...transhumants...heu...c'est « vie humaine
dans les Pyrénées ariègeoises73
»...(pause)..et déjà
déjà qu'on est pas nombreux...déjà que les
installations de jeunes sont sont difficiles et périlleuses pour un tas
de raisons...heu on a pas besoin de...heu..de ce genre d'opérations en
plus...et puis ne serait ce que le...le...procédé...voilà
moi je...(rire) ça c'est ma réaction
personnelle quoi ... moi je suis très à cheval sur certains
principes y'a des choses qu'on fait et y'a d'autres choses qu'on fait
pas...voilà c'est comme quand on éduque un gosse...heu j'suis
désolé mais y'a...y'a des repères y'a des critères,
heu y'a des fondamentaux comme on dit...voilà et quand on prend des
décisions qui vont concerner heu...toute une population toute une
heu...activité économique heu...bon je me répète
mais qui est fragile qui est qui est délicate heu...on le fait pas comme
ça...on le fait pas sur un coup de tête à grands renforts
de médias heu parce que on a les moyens de le faire
quoi...(soupir) c'est du mépris tout
simplement...et ça c'est pas acceptable...(pause)...
si c'était si facile et si on était si aidés
que ça y'aurait des centaines de jeunes en montagne...y'aurait des
installations en pagaille quoi...
E: si aidés que ça dans le sens des primes, de
la Pac et tout ça ?
L: oui voilà...non on fait un boulot on le fait
bien...on le fait en conscience...et heu...on...on sait ce qu'on a à
faire...hein on a pas la science infuse mais on sait ce qu'on a à faire
dans sur notre terrain dans notre partie et on a pas...c'est c'est
évidement intolérable d'entendre des gens d'ailleurs venir nous
dire comment il faut garder les bêtes et comment élever les
troupeaux quoi...ça ça ça tient pas la route, j'oserai
jamais dire aux gens de chez Continental ou de chez Caterpillar heu comment il
faut faire pour garder leur emploi...c'est à eux de prendre heu...leur
combat et leur truc en main, si, tout ce que je pourrai amener c'est de la
solidarité...parce que en fait heu...sous d'autres formes ils subissent
le même processus que que cette histoire là encore que ça
c'est c'est...en ce moment c'est plus grave pour eux quoi...nous on pourra
toujours bouffer quoi...mais quand du jour au lendemain y'a une entreprise qui
est délocalisée et heu...et des gens qui touchent des ponts d'or
pour partir heu...et heu les salariés qui du jour au lendemain qui se
retrouvent à la rue heu...je trouve que c'est un peu dur
quoi...(pause)...
E: et sinon au niveau des moyens mis en oeuvre par l'Aspap
pour heu...?
L: et bé déjà c'est un
réseau...c'est un réseau de de connaissances de gens qui sont
placés à droite à gauche et puis qui ont leurs
compétences quoi...je vois Bruno Beshe-Commenge qui est à la
retraite qui est très compétent pour tout ce qui est heu...vie
pastorale biodiversité dans nos montagnes heu...bon bé il a fait
un boulot énorme...bon bé des gens comme ça heu il font un
énorme boulot pour l 'Aspap puis après y'a y'a tous les gens de
terrain avec leurs sensibilités différentes mais heu
73 Ouvrage Michel Chevallier, géographe, paru en
1956.
111
qui qui se retrouvent au sein de l'Aspap parce que parce
que y'a quelque chose de commun...qui les anime...ça c'est énorme
ça...en fait ça a fédéré beaucoup de gens
qui qui avaient je dirais peu ou pas de rapport entre eux si ce n'est heu
heu...leur quotidien...ça a fédéré des gens
d'autres départements et bon y'a qu'à voir heu...les
rassemblements qui a eu à Bagnère de Luchon, Bagnère de
Bigorre heu...c'était énorme donc ça créé un
tissu ça créé des liens, ça fait des
échanges ça fait des adresses qu'on conserve...heu et heu...et
puis et puis...(pause)... les gens se sont mis
à parler, ils se sont mis à parler entre eux, on eu le respect de
s'écouter et heu voilà de se structurer, ça c'est
énorme...en dehors ou en plus du côté efficace de de la
création de l'Aspap et de sa stratégie...ça ça a
été ça a été un enrichissement...pour
beaucoup de gens...parce qu'on est quand même relativement isolés
heu chacun dans son coin hein...donc ça par la force des choses, il a
fallu se réunir, communiquer heu et et voilà, là le mot
solidarité il prend tout son sens...et ça quand c'est quand c'est
arrivé une fois, quand on sait ce que c'est heu...(forte
expiration) c'est beaucoup j'crois dans...c'est beaucoup...c'est
beaucoup parce que on sait ce que ça peut représenter, c'est une
force en fait...et dans des cas comme ça heu...on a besoin de se sentir
heu...soutenu...parce que bon des prédations chez un éleveur
c'est heu...un troupeau c'est quand même une histoire d'amour heu entre
heu des bêtes et des hommes et des prédations c'est c'est toujours
un choc...hein c'est pas...c'est...on travaille sur du vivant donc heu on a une
relation avec heu les bêtes qui qui est...qui est difficilement
perceptible par des gens de l'extérieur qui...qui c'est c'est comme
ça heu... heu je juge pas mais heu...donc quand on voit des bêtes
heu...des bêtes déchirées et éventrées
heu...et et qu'on arrive pas heu...sans sans aucuns motifs valables heu, c'est
toujours un choc heu et forcément heu...c'est soit de la détresse
soit de la révolte...donc c'est une histoire de relations humaines...et
ces décisions étatiques heu...heu on le sait quoi ça fait
fi des relations humaines et dieu sait si ces relations humaines c'est le
ciment de de toute dynamique heu économique...c'est c'est un tout tout
ça...(pause)...donc déjà cette
solidarité qui s'est crée entre éleveurs dès qu'il
y avait une prédation dès qu'il y avait quelqu'un de
touché heu les gens se retrouvaient chez lui...bon ça
c'est...c'est beaucoup...(pause)...en fait en gros
c'est heu la réaction d'une heu...d'une population qui heu...face
à heu...face à une décision heu...j'allais dire
inique..une décision qui est prise voilà du jour au lendemain heu
bon vous allez devoir supporter heu...pour nous c'est la présence du
prédateur heu animal protégé heu vous serez
indemnisés heu de toute façon vous avez rien à dire
heu...on va faire des réunions de concertation mais
heu...évidement qu'elles ont eu lieu, elles ont eu lieu les carottes
étaient cuites depuis longtemps déjà...
[...]...voilà alors on
reste vigilants...heu pfff...là on attend on attend heu...en fait il
faudrait que d'ici la fin de l'année il y ait une réponse de
l'État parce que heu le plan il s'arrêtait heu en 2009... moi je
le vois bien empêtré...comme quoi
heu...(pause)....le temps heu fait son oeuvre aussi
parce que les gens réfléchissent comme quoi heu notre combat est
pas si si...(pause)...est juste je dirais...parce que
même les sondages et dieu sait si il faut les prendre avec des pincettes
hein...heu les sondages heu on beaucoup évolués à ce
niveau là...les gens prennent conscience du fait que à force de
répéter les mêmes choses heu...se posent des
questions...mais est-ce bien nécessaire heu est ce bien judicieux...y'a
des gens sur place, les Pyrénées c'est pas un désert,
c'est pas tous des abrutis et et des gens qui y vivent qui travaillent et qui
développent des activités...et ça ça fait un moment
qu'on le serine quand mê me...(pause)...donc
les choses évoluent et et changent dans le bon sens à mon
avis...et je pense aussi que Chantal Jouano heu...on l'a rencontré
à Toulouse y'a deux ans deux ou trois ans...c'est quelqu'un qui a les
yeux en face des trous...et puis bon c'est vrai que l'actualité
malheureuse ment...heu elle nous donne un coup de pouce heu entre les ours qui
se font écraser heu sur la route et heu...le le désespoir dans
lequel se trouve heu...pas mal de gens à cause de ...cette crise
économique heu...on a p't'être d'autre chats à fouetter et
heu et d'autres choses à faire avec l'argent heu de faire suivre des
ours par des gens...(pause)...
112
[...]
L: j'ai fait des études, j'suis pas d'un milieu
paysan [...] j'avais vraiment envie de vivre heu heu plein air
intégral...plein air intégral et puis heu mettre un peu mes
idées en pratiques en accord avec heu ce que je pensais de la vie
hein...déjà j'ai jamais pu supporter un patron heu...je voulais
décider de ma vie voilà...ce que je pense avoir réussi en
partie...et ça m'a apporté, ça continue à
m'apporter beaucoup de bonheur...et puis heu et puis avoir aussi heu la notion
de perpétuer quelque chose quoi, je supportais mal de voir tous ces pays
heu en voie de
désertification...(pause)...parce que y'a un
potentiel énorme heu quand je vois tous ces gens qui font les les fins
de marchés pour ne pas dire les poubelles...qui ont des salaires
heu...c'est y'a y'a vraiment quelque chose qui ne...qui va pas quoi alors qu'on
est sur des dizaines pour ne pas dire des centaines d'hectares qui pourraient
nourrir heu toute une population heu...donc moi j'ai choisi ça...bon
après c'est heu c'est mon choix hein c'est...et puis t'as moins de
contraintes heu évidement des joies et bon et ça correspond
à ce que à ce que je cherchais, je suppose que tout individu
cherche heu c'est une grande quête quoi la vie...après on trouve
on trouve pas heu on réalise on réalise pas heu on se donne les
moyens on se les donne pas mais heu...bon moi voilà j'ai eu des
opportunités j'ai p't'être fait les choix qui me correspondaient
au mo ment...(pause)...
[...]
L: ...voilà...c'est un combat voilà j'aime
bien appeler ça comme ça parce que je pense que c'est vraiment
ça et heu c'est vraiment pas heu un combat contre l'ours lui-même
heu ça c'est c'est ça serait trop réducteur quoi c'est pas
ça du tout ...il se trouve que cet ours heu, quand je vois la
façon dont ils ont été ramenés, capturés
ramenés heu (rire) en fait heu il y est pour
rien quoi ...on aurait
ieux fait de les laisser dans les forêts où
ils étaient j'pense qu'ils étaient mieux
qu'ici...opérés équipés d'émetteurs heu
suivis nuit et jour...heu c'est pas de l'écologie ça...c'est une
opération heu j'sais pas moi une opération
médiatique...qui cachent sûrement d'autres enjeux
quoi...(profonde respiration)...mais un des points un
des points forts de, ce dont je parlais tout à l'heure c'est heu...cette
heu prise de conscience d'appartenir à heu...d'avoir une
identité...tous ces gens que j'ai pu côtoyer que je côtoie
toujours d'ailleurs et ces élans de solidarité...ça c'est
ça c'est énorme...je crois qu'on a surtout besoin de
ça...parce que tout seul heu tout seul on est rien...donc ça aura
eu au moins le mérite de mettre ça en évidence...que la
solidarité c'est pas qu'un mot...et ça ça se...ça
se monnaye pas...voilà..parce que c'est quand même ça
aussi...on nous parle de moyens financiers heu d'argent à tout bout de
champ...et heu le fond du problème il est pas là...le sel de la
vie il est pas là, même si c'est incontournable...il faut savoir
lui..remettre tout ça à sa place...c'est pas c'est pas l'i
mportant...l'important c'est les relations
humaines...voilà...
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en35.png)
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