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Université Charles de Gaulle Lille 3
Master 2 Ergonomie et conception des systèmes de
travail
Dossier : analyse des activités expertes
Analyse cognitive de la pratique du Roller Street en
milieu urbain
Analyse des processus cognitifs de prise de
décision du rider expert
Mathieu Le Brun
A l'intention de Mme Anceaux
2
Sommaire
I. Cadre théorique 6
I.1. Définition de l'Activité experte 6
I.1.1. Définition de l'expertise 6
I.1.2. Comparaison entre expert et novice 7
I.2. Présentation de l'activité experte : le
Roller Street 7
I.2.1. Définition du Roller 8
I.2.2. L'environnement urbain, une vaste aire de jeux 9
I.2.3. Le Roller Street, un "sport extrême" 9
I.2.4. Le Roller Street, une activité à risque
10
I.2.4.1. Définition du risque 10
I.2.4.2. Définition de la prise de risque 10
I.2.5. La réappropriation de l'espace public 13
I.2.6. Une pratique nomade autogérée 13
I.2.7. Etude des lieux de pratique : de la rue à l'espace
multi-glisse 14
I.2.8. D'une pratique autogérée à une
pratique institutionnalisée. 16
I. 3. Synthèse de l'étude exploratoire
16
I. 4. Concepts théoriques 18
I.4.1. La prise de décision 18
(Annexe 5 : Modèle de prise de décision, dit de
l'échelle double (Rasmussen, 1986). 18
I.4.2. Les connaissances 19
I.4.3. Les représentations 20
II. Méthodologie 21
II.1. La démarche 21
II.1.1. Choix de l'étude : la prise de décision du
Rider expert 21
3
II.1.2. Evolution de la démarche d'étude et
périmètre établi 22
II.2. Problématique initiale 22
II. 3. Protocole expérimental 25
II.3.1. Sujets 25
II.3.2. Milieu 26
II.3.2.1. L'incertitude spatiale du milieu 26
II.3.2.2. L'incertitude événementielle 27
II.3.2.3. Présentation du milieu 27
II.3.3. Figure 28
II.3.4. Procédure 28
II.3.5. Recueil des données 29
II.3.5.1. Technique de la "Verbalisation Provoquée" 29
II.3.5.2. Technique de recueil des données 29
II.3.5.1. Technique de retranscription des données 31
II.4. Autoconfrontation : 32
II.4.1. Pourquoi procéder à une autoconfrontation ?
32
II.4.2. Choix de l'entretien semi-dirigé 33
II.4.3. Technique du Pourquoi Comment (TPC) 33
II.4.4. Traitement des données recueillies par
autoconfrontation 34
II.4.5. Formalisation des résultats par autoconfrontation
34
III. Résultats: 35
III.1. Premières observations 35
III.1.1. Observations : 36
III.1.2. Analyse des observations 38
III.2. Pré-diagnostic 39
4
III.2.1. Résultats de l'hypothèse 1 : Une
actualisation de la représentation via la répétition
40
III.2.1.1. Exigences de la tâche et l'enjeu de performance
40
III.2.2. Résultats de l'hypothèse 2 : Une
actualisation de la représentation pour atteindre la
performance 44
III.2.2.1. Expertise 44
III.2.2.2. Savoir-faire de prudence 45
III.2.2.3. Automatisation et activité experte 45
III.2.2.4. Mémorisation 45
III.2.2.5. Conclusion de l'analyse de l'expertise 46
III.2.3. Résultats de l'hypothèse 3 : Un temps de
préparation dans l'atteinte d'un but 47
III.2.4.1. Dimension temporelle 47
III.2.4.2. Concentration 48
III.2.4.3. Une attention nécessaire 48
III.2.4.4. La perception visuelle 50
III.2.4. Hypothèse 4 : Gestion des risques lors de la
prise de décision 50
III.2.4.1. Le risque, une appréhension subjective : 50
III.2.4.2. Expérience du risque : 52
III.2.4.3. Evaluation de la prise de risque: 52
III.2.4.4. Mise en place de stratégie pour se
préserver du risque 54
III.2.4.5. La prise de décision 55
IV. Discussion des résultats 57
Conclusion et Dimension réflexive 61
Webographie 62
Bibliographie 62
Annexes 64
Glossaire 74
5
Introduction
Le Master 2 Ergonomie et conception des systèmes de
travail est une formation à visée professionnelle qui, via des
demandes d'études contextualisées sur le terrain, nous permet de
mettre en pratique les connaissances acquises. L'exercice qui nous est
demandé consiste à analyser une activité experte. Nous
avons choisi de nous arrêter sur la pratique du Roller Street.
Nous nous sommes concentrées sur les activités
de prise de décision lors de la préparation à
l'exécution d'une figure sur un mobilier urbain de 14 marches, du Rider,
pratiquant de Roller Street.
La qualité de réalisation d'une figure est
déterminée par une première étape cruciale: la
préparation. Le Rider qui se prépare à réaliser une
figure sur une telle plateforme détient forcément une forte
expertise de la pratique. Nous nous sommes intégrés à un
Crew, collectif de pratiquants pour réaliser cette étude. Trois
Riders experts volontaires ont accepté de participer à notre
étude. Lors de la mise en place du protocole expérimental, nous
identifierons les résultats perçus de réussites et
d'échecs. Nous vous proposons alors de porter une réflexion sur
les traitements cognitifs opérés par les Riders et de croiser la
(non)conformité de la figure. Nous nous interrogerons sur les niveaux
cognitifs engagés dans les activités de prise de décision
dans un milieu inconnu par les Riders.
Notre étude s'est structurée en trois grandes
phases. Pour commencer, nous vous proposons une étude exploratoire de la
pratique en croisant témoignage, analyse et littérature
scientifique. Cette première phase a pour objectif de favoriser
l'accès à la compréhension de la pratique du Roller
Street, pratique peu définie dans la littérature scientifique. A
l'image de la méthodologie d'intervention ergonomique, il nous semble
capital dans notre démarche, d'étudier le système global
de la pratique du Roller Street pour ensuite, sous la forme d'un entonnoir,
étudier l'activité cognitive de Riders expert. L'étude
exploratoire de la pratique du Roller Street est une réponse à la
littérature scientifique existante datant majoritairement des
années 2000, pratique qui s'est transformée ses dernières
années.
Ensuite, la deuxième phase présentera le
protocole expérimental mis en place ainsi que les hypothèses
émises. La dernière partie, plus réflexive
présentera et mettra en discussion les résultats de notre
étude.
6
I. Cadre théorique
Nous vous proposons une synthèse de nos lectures et de
nos recherches en deux points : dans un premier temps sur ce qui fait
l'expertise puis dans un deuxième temps, nous vous proposons une
succincte présentation de l'activité experte Roller Street.
I.1. Définition de l'Activité experte
" L'expertise " est un concept traité dans bon nombre
de recherches scientifiques, que ce soit en psychologie ergonomique, avec les
travaux de Lejoliff G. dans Les expertises au travail en 1999, ou que
ce soit en psychologie cognitive avec les travaux d'Ericson, Lhemann en 1996 ou
encore ceux de Bisseret en 1999.
Ces recherches sont principalement centrées sur la
comparaison entre individus experts et novices. Nous nous proposons de
définir la notion d'expertise et d'identifier les différences
entre expert et novice.
I.1.1. Définition de l'expertise
D'après le Centre National de Ressources Textuelles et
Lexicales (CNRTL), un expert est défini comme une personne «
qui a acquis une grande habileté, un grand savoir-faire dans une
profession, une discipline, grâce à une longue expérience
». C'est aussi quelqu'un « qui a une grande habileté
dans une activité quelconque ». L'expertise semble relever
d'un rapport entre les compétences d'un individu et une tâche
définie.
En psychologie cognitive, la notion d'expertise ne s'appuie
pas uniquement sur la définition de celle-ci mais principalement sur les
facteurs qui la caractérisent : compétences, connaissances,
savoirs et savoir-faire. Nous utiliserons ici la définition de
l'expertise de Visser et Falzon de 1988, qui met l'accent sur l'utilisation des
connaissances : « l'expertise dans un domaine réside notamment
dans la façon dont un expert utilise ses connaissances
»1. Quant au "novice ", il se définit
comme une personne qui « manque d'expérience dans une
activité et découvre le domaine/le problème »,
tandis que l'autre, appelé "expert " sait le résoudre.
1 Visser et Falzon, Catégorisation et types
d'expertise, Une étude empirique dans le domaine de la conception
industrielle, 1988, p.134.
7
I.1.2. Comparaison entre expert et novice
Afin de dissocier l'expert du novice, les études en
psychologie cognitive confrontent une population d'experts et de novices
à une situation de résolution de problème. Ainsi, elles
affirment que l'expert répond à quatre caractéristiques
:
- La possibilité d'automatisation de ses
comportements : économie des moyens cognitifs à mobiliser
pour réaliser les tâches fréquentes.
- La simplification opérative des procédures
: en référence au processus de sélection, l'expert
saute des étapes ou modifie les procédures pour les rendre plus
économique au vu de ses moyens et de son environnement.
- Des méta-connaissances à disposition :
en référence aux processus procéduraux, l'expert utilise
ses ressources, c'est-à-dire la connaissance qu'il a de ses propres
connaissances. Il fonctionne par analogie et généralisation de
façon à répondre aux exigences de la tâche.
- La capacité d'anticipation : l'expert a une
capacité à anticiper et à agir au vu des informations
qu'il relève dans son environnement.
I.2. Présentation de l'activité experte :
le Roller Street
Certains chercheurs, anthropologues ou sociologues, se sont
penchés sur le phénomène de la pratique du Roller Street
notamment dans les années 1995-2000. La littérature scientifique
propose certaines études sur les pratiques de sports extrêmes.
Cette littérature scientifique permet d'interroger le sujet au travers
des différentes thématiques qui le composent et surtout de faire
des liens entre la théorie et l'analyse de terrain.
J'ai voulu compléter ces connaissances en m'immergeant
sur le terrain, dans des Crews , c'est-à-dire des bandes de pratiquants
de Roller Street. Pour cela, je me suis munie d'un dictaphone afin
d'enregistrer les verbatim des pratiquants rencontrés, que j'ai ensuite
retranscrits et recoupés pour en faire l'analyse.
La demande d'analyse d'une activité experte m'a donc
conduit de nouveau sur le terrain, étant moi-même ancien
pratiquant, et ce afin de confronter théorie et terrain. Je vous propose
une synthèse de cette étude générale de la
pratique. Celle-ci a pour but de favoriser la compréhension du lecteur
et d'apporter des éléments pour interroger mon sujet. Ces
entretiens exploratoires me permettront d'aborder dans un second temps,
l'analyse des processus cognitifs de cette activité experte :
8
I.2.1. Définition du Roller
Selon le dictionnaire Larousse, le Roller en ligne ou
"Roller", est « un sport pratiqué avec une
variété de patins à roulette, constitués d'une
platine munie de 4 roues et fixée à une chaussure
spéciale. Il comprend le patinage artistique, la course, la danse et le
roller acrobatique » appelé dans le jargon sportif : "Roller
Street ".
La Fédération Française de Roller Skating
(F.F.R.S) donne une définition plus précise de la pratique du
Roller, et principalement de celle du Roller Street : « Le Roller
Street consiste à faire des figures dans un espace urbain : marches,
murets ou encore mobilier urbain. Les pratiquants réalisent des figures
et recherche la perfection à travers des figures de plus en plus
techniques ».
Selon le sociologue Yves PEDRAZZINI, il existe deux familles
dans le monde du Roller. Suite à l'analyse de terrain, nous
repérons trois formes de pratiques :
- Le "Fitness" :
Pratique déambulatoire de loisirs ou à
finalité utilitaire, par exemple pour se déplacer du domicile au
lieu de travail. Selon une étude universitaire de la filière en
management de l'UFR-STAPS de Lyon en 1997, les pratiquants de Fitness
représentent 18% de la population pratiquante. La pratique de Roller
Fitness se veut plus disciplinée que celle du Street car elle investit
des espaces réglementés et se pratique dans des espaces
sécurisés.
- Le "Skate Park" (appelé encore zone multi-glisse) :
Discipline plutôt technique qui consiste à
enchaîner des figures à partir d'équipements
spécifiques conçus pour la glisse, rampe en "U ", ou encore
éléments mobiles en fibres de verres ou de bois.
- Le "Street " :
Discipline qui consiste à utiliser le mobilier de
l'espace public urbain : rampes d'escalier, muret, bancs.
Nous retrouvons 3 familles de figures :
- Les slides : glisser (en anglais) avec la coque des
rollers sur l'angle des mobiliers plats de type banc ou encore sur des
rails.
- Les jumps : sauter un mobilier ou encore des
marches. Des rotations et des vrilles peuvent être
réalisées au-dessus des marches.
- Les simples : demi-tour, chasse neige, godille,
dérapage.
Selon l'enquête universitaire de 1997, 68% de la
population de Riders, pratiquent le Roller Street et le Roller Skate Park. Nous
avons eu l'occasion de vérifier que bien souvent, les deux disciplines
se confondent l'une avec l'autre.
9
I.2.2. L'environnement urbain, une vaste aire de jeux
J'ai pu constater que le Roller Street se pratique
principalement dans les espaces publics des centres villes urbains: places,
rues, monuments, rails, escaliers et bancs. La pratique est donc
répartie massivement dans les villes dans la mesure où elles
disposent de mobiliers urbains et de Skate Park appelé aussi zones
multi-glisse. Les usagers cherchent à utiliser les espaces pour assouvir
leurs aspirations ludiques et leurs besoins d'activités. De ce fait,
nous pouvons qualifier le Roller Street de pratique principalement urbaine.
Selon Yves PEDRAZZINI, dans la famille des sports urbains tels que le
Skate-Board ou le BMX, le roller est celui qui est le plus emblématique
de ce que peut être le rapport entre sport et ville, parce que c'est
l'espace urbain, et notamment la rue qui détermine la pratique.
Le Roller est ainsi l'un des premiers sports de glisse
à s'approprier l'espace urbain, appelé dans le langage
opératoire "Spot". Le roller, à la base moyen de locomotion, ne
s'avère donc pas être seulement un outil pour découvrir
purement la ville. En général, les Riders Street se servent de
cet outil pour « chercher de nouveaux "Spots" » afin de
« s'exercer » à leur pratique. Par sa manière
d'être pratiquée et sa volonté d'appropriation de l'espace
urbain, le Roller Street pousse les Riders à conquérir de
nouveaux espaces afin de « créer de nouvelles figures »
en fonction du lieu choisi et de sa complexité.
I.2.3. Le Roller Street, un "sport extrême"
Le Roller Street est né aux Etats-Unis en 1960,
à Chicago, berceau du Roller en ligne. Depuis sa démocratisation
dans les années 80-90, la France compte plus de cinq millions de «
Riders », pratiquants de Roller Street, dont la moyenne d'âge se
situe entre 14 et 25 ans, selon cette même enquête universitaire de
1997.
La pratique du Roller Street constitue donc, par le nombre de
ses pratiquants, un phénomène de société. Les
premières études à s'intéresser aux sports
extrêmes, c'est à dire, à la "prise de risques" comme
phénomène sociétal, sont celles de Lyng en 1990, Stranger
en 1999 et Willig en 2008. Ces études ont permis d'apporter un premier
niveau de compréhension des motivations et besoins des pratiquants de
cette activité régulière à hauts risques.
Selon la littérature scientifique, les activités
dites à risques, tel que le Roller Street, ont un véritable
rôle dans la création d'une identité individuelle et
collective. Dans les entretiens que nous avons effectué, les
pratiquants, appelés "Rider", évoquent les bienfaits de la
pratique à hauts risques : des sensations de « courage »
et de « plaisir », la « découverte de
ses limites », « de maitrise de soi » ainsi que le
sentiment d' « appartenance » à « un groupe
» et de « reconnaissance » par des personnes
extérieures, pratiquants comme non pratiquants.
10
Ainsi, ces bienfaits répondent à des besoins
spécifiques des pratiquants, qui précisent savoir «
appartenir à une minorité quelque peu exclusive par leur
goût du risque », comme le souligne Willig ( 2008).
I.2.4. Le Roller Street, une activité à
risque
Afin de permettre la compréhension de cette analyse de
pratique dite « à risque », il apparaît essentiel de
définir, dès maintenant le « risque ». Nous
présenterons de manière synthétique ses concepts tels
qu'ils sont considérés dans la littérature
scientifique.
I.2.4.1. Définition du risque
Comme nous venons de le souligner, la notion de risque est
intégrée à la pratique. Le sens commun connote le risque
de façon négative, comme le précise Douglas2 en
1992. La représentation du risque est synonyme de « danger
».
I.2.4.2. Définition de la prise de risque
La prise de risque est une extension du risque. Dans le sens
commun, la prise de risque « tient à désigner une mise
en danger volontaire de la santé physique et/ou mentale »
précise Luption & Tulloch3. Les études
scientifiques sur lesquelles nous nous sommes penchés visent à
identifier notamment les facteurs contextuels qui motivent un individu à
volontairement mettre son intégrité en danger alors qu'il
pourrait ne pas faire ce choix.
L'analyse cognitive de l'activité experte n'a pas pour
objectif de comprendre pourquoi un individu, à priori rationnel, peut
prendre des décisions « irrationnelles » (Barberies
& Thaler, 2002 ; Lupton & Tulloch, 2002) mais plutôt de
comprendre le processus cognitif de prise de décision du Rider expert
dans lequel est intégrée la composante d'évaluation du
risque en situation.
En effet, la notion de risque est au coeur de la pratique et
notamment du fait que le Roller Street s'opère souvent dans les lieux
animés de la ville. Ainsi se pose la question des risques
associés à l'environnement et la question du partage de l'espace
avec les autres usagers: piétons, commerçants ou encore
automobilistes.
2 Donglas, «Risk and Blame»,
Essays in cultury theory , 1992.
3 Luption & Tulloch Risk and everyday
life, 2002
11
? Une co-activité à risque
La pratique du Roller Street s'effectue dans les centres
villes urbains constitués de mobiliers urbains aux formes et
matières singulières. Ce milieu est partagé par un nombre
important d'usagers. Les caractéristiques des spots (hauteur,
matière, formes), les caractéristiques de la pratique (vitesse,
glisse, saut) et les caractéristiques de l'environnement urbain forment
des variables qui favorisent le risque d'accident.
? Risque pour les usagers piétons
Partageant le même territoire, les usagers et les Riders
sont confrontés à des situations à risque. Nous nous
sommes intéressés au risque perçu de la pratique du Roller
Street par les usagers des centres villes en intervenant sur le terrain. Nous
constatons que des stratégies sont mises en place par les usagers pour
se préserver des risques. Par exemple, nous avons observé une
modification des circuits des usagers dans les espaces à la fois
publiques et à la fois espaces sportifs. Nous sommes allés
à la rencontre d'usagers, que nous avons interviewés dans la rue,
pour mieux comprendre le phénomène (Cf. Partie II.3.1. Les
sujets de l'étude, tableau : Caractéristique des sujets).
Sujet interviewé 1 : habitant de Bordeaux
centre.
Fréquence moyenne de passage sur la Place de l'Hôtel
de Ville = 3 fois par semaine
Interviewer : Que pensez-vous de la pratique du
roller sur la Place de l'Hôtel de Ville ?
Interviewé1 : « Depuis
quelques années, il y a un espace prévu à la pratique du
roller sur les Quais des Chartrons, je ne vois pas pourquoi ça a
été construit pour que tous ces jeunes se retrouvent ici et
abiment la place. »
Interviewer : Selon vous, ils abiment la place
?
Interviewé1 : « Tout à
fait, il abime tout sur leur passage avec leurs patins. On ne peut même
plus s'asseoir sur les bancs. En plus de ça, ils font du bruit, ils ne
regardent pas où ils vont, ils sont vraiment dans leur monde.
»
Interviewer : Vous dîtes, ils ne regardent
pas où ils vont ?
Interviewé1 : « Oui, oui, une
fois, j'ai failli m'en prendre un, à la vitesse où ils vont. Ils
ne se soucient pas des passants. »
Interviewer : Ce presque accident a-t-il
provoqué une modification d'attitude lorsque vous marchez sur la place
de l'Hôtel de Ville ?
|
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Interviewé1 : « Oui, disons que
je continue à passer par cette place. Mais maintenant, je devine leur
trajectoire. Je n'ai pas envie de m'en prendre un ou de me faire bousculer.
Donc je suis vigilant. »
Interviewer : Vous sentez vous en
sécurité lorsque vous traversez la place, et qu'il y a des
rollers ?
Interviewé1 : Je me sens plutôt
gêné, entre le bruit, les bousculements, la dégradation du
mobilier ...
L'interview souligne la dimension conflictuelle du partage de
ces espaces entre pratiquants et non pratiquants. La représentation du
risque perçu est très différente du Rider à
l'usager. Traditionnellement, le risque perçu est
considérablement dominé par l'idée fondamentale que le
pratiquant n'a pas conscience du risque. Nous soumettons alors l'idée
que cet écart de perception est source de risque.
Nous nous proposons de faire le point sur la base des travaux
sur le risque en psychologie. En effet, dans son ouvrage, « Perception of
Risk Posed by Extreme Events » en 2002, Slovic et al. proposent trois
traitements possibles du risque:
- par les sentiments :
Ce traitement relève des réactions
émotionnelles face à un danger.
- par l'analyse :
Le risque s'appuie sur les représentations, les
différentes logiques pour gérer l'aléatoire.
- par la politique :
Dans le sens de la gestion du risque.
Les traitements du risque sont réalisés par deux
types de personnes : pratiquant et non-pratiquant. Les usagers non pratiquants,
évaluent le niveau de danger inhérent à une
activité sportive perçue et non connue. Ils sont alors
d'avantages sensibles aux conséquences des risques encourus et ainsi
perçoivent la pratique du Roller comme une confrontation à un
danger réel.
En revanche, pour les pratiquants, la perception du risque est
tout autre. En associant la probabilité, l'exigence de la tâche
à effectuer et la gravité de cette tâche dans
l'environnement, les Riders semblent évaluer le niveau de danger et
adapter leurs actions. Un des Rider que nous avons rencontré, que nous
nommerons Rider1, explique : « le risque de collision avec les
passants est faible pour moi. Je n'ai jamais foncé dans un passant.
Avant même de se lancer dans une figure, on regarde toujours s'il y a du
monde sur notre circuit. Si oui, alors, on attend qu'il s'éloigne pour
se mettre à patiner, on n'a pas le choix. C'est comme une condition.
Puis,
13
déjà que le risque de tomber, tout seul
(rire) est élevé quand on fait un tricks (figure en
anglais), alors tomber à cause d'un passant, c'est vraiment noob
(débutant en anglais) ».
? Risque pour les usagers cyclistes
La pratique du Roller Street est aussi utilisée, nous
l'avons évoqué, comme un moyen de déplacement. Cette
co-activité urbaine entre Roller et cyclisme génère un
risque de collision.
Selon l'article R. 412-34 du Code de la route, « les
pratiquants de patins à roulettes, lorsqu'ils circulent sur une voie
publique, sont assimilés à des piétons ». La
vitesse moyenne réalisée par un individu circulant à
roller est de 12 km/h contre 4 km/h à pied. En référence
au code de la route, nous faisons l'hypothèse que le risque de collision
entre un cycliste et un "piéton" peut augmenter selon la variable
"vitesse de circulation", relative aux deux pratiquants. Ces deux pratiques
peuvent représenter un degré de risque certain, sachant qu'un
"piéton" en Roller se déplace trois fois plus vite qu'un
"piéton" se déplaçant à pied.
I.2.5. La réappropriation de l'espace public
Le Roller Street s'avère donc être à la
fois un sport, qualifié de sport " à risque " ou de sport "
extrême ", tant pour le pratiquant que pour l'usager de l'espace urbain.
Par ailleurs, la ville fait partie intégrante de l'idéologie de
cette pratique. Cette idéologie s'appuie sur le détournement et
l'appropriation de tout type d'espaces, réglementés comme non
réglementés. Ainsi, le caractère mobile des Riders Street
les amènent à délocaliser fréquemment leurs
pratiques, d'où cette recherche continue de Spots. De ce fait, les
Riders donnent une nouvelle qualification à l'espace de la ville en la
détournant de son usage originel.
Selon le sociologue Alain Loret, dans son ouvrage
Génération glisse de 2001, l'origine de ce
développement et de ce changement de perspectives provient de la
multiplication des territoires sportifs « hors-piste, hors limite et
hors norme », centrés sur les lieux de vie et les liens
sociaux.
I.2.6. Une pratique nomade autogérée
Eric Adamkiewicz, ancien enseignant-chercheur du Laboratoire
Sport - Intégration - Culture de la Faculté des Sciences du Sport
de Lille II, définissait en 1998 le Roller Street comme « une
pratique sportive libre ou auto-organisées »4. Nous
notons, au regard de tous ces éléments, que les Riders
évoluent de manière autonome, sans rapport à une pratique
établie, car celle-ci évolue constamment et selon leurs propres
règles.
4Adamkiewicz Eric, Les performances sportives de rue,
1998.
Le Roller Street n'est donc pas seulement un sport, c'est
aussi un mode de vie, doté d'une idéologie de
réappropriation de l'espace urbain. Les Riders se réclament d'une
« culture Roller Street », qui possède ses propres
codes vestimentaires, une culture musicale et multimédia
spécifique et un langage opératoire propre à ses
pratiquants truffé d'anglicismes. De ce fait, le Roller Street
s'apparente à une pratique de la contre-culture urbaine, tel que le
graffiti, le rap ou encore le hip-hop.
Plus généralement, on peut analyser la pratique
du Roller et son développement culturel et sportif au regard des autres
pratiques sportives. En effet, on constate que cela correspond à
l'évolution de la perception de l'activité sportive, celle-ci
étant déplacée d'un objectif de compétition vers
des fonctions de convivialité, ce qui en d'autres termes, en fait un
"sport de loisir".
Repenser les usages de la ville et les aménagements
urbains est aujourd'hui une manière pour les villes d'encadrer les
pratiques autogérées telle que le Roller Street. Dans l'objectif
de contrer l'interprétation des règles informelles, les projets
de conception urbaine s'organisent afin de répondre aux mieux aux enjeux
sociétaux de cohabitation des différents usagers.
I.2.7. Etude des lieux de pratique : de la rue à
l'espace multi-glisse
Souvent considérée comme une pratique libre et
non-encadrée, nous constatons que l'apprentissage du Roller se
réalise aujourd'hui majoritairement dans des zones
réglementées appelées "Skate Park". En effet, la gestion
des espaces publics s'est progressivement attachée à
répondre à la préservation des espaces de ville au regard
des nuisances sonores et des risques que développent cette pratique. Les
villes se sont donc adaptées à ce phénomène du
Roller Street en proposant de nouveaux équipements. Les projets
d'installations de zone "multi-glisse" continuent ainsi à se
développer encore aujourd'hui dans toute la France.
L'activité de Roller Street a donc
évolué, passant d'une pratique purement urbaine à une
pratique encadrée dans des zones multi-glisses. L'installation de Skate
Park a permis de créer une migration des pratiquants autonomes des
centres urbains à ces zones réglementées. Afin d'illustrer
nos propos, nous avons élaboré une carte représentative
des zones réglementées et urbaines soulignant les
déplacements opérés par les Riders.
14
Illustration n°1 : Le Roller Street à
Bordeaux
Zones réglementées : Skate Park
Mobiliers urbains, "spot " collectif
Espaces illustrés
Le repère "Mobilier urbains " est situé
sur la carte à titre indicatif. Il faut savoir que les lieux de
pratiques changent et se déplacent. Les spots sont mobiles à
l'image de leurs usagers.
15
La carte « Le Roller Street à Bordeaux
», dresse un panorama des équipements fixes
existants de la ville de Bordeaux. On constate que ces
équipements se trouvent à l'intérieur même
de la ville. Nous répertorions trois zones réglementées,
dont deux réservées à la pratique du Skate-Board.
La zone réglementée accessible au Roller est un
espace à partager avec les Skateurs, les pratiquants de BMX et
trottinette de tous niveaux. Nous observons que les Skate Park sont
installés à 20 minutes, en Roller, des espaces collectifs
appelés "spots", une proximité facilitant le lien entre les deux
espaces. A noter que le repère "mobiliers urbains" est situé sur
la carte à titre indicatif, les lieux de pratiques étant
mobiles à l'image des caractéristiques de
l'activité.
us constaons donc que a pqe du Roller Street est
toujours rép
Illustration n°2 : espace urbain ou "spot" Illustration
n°3 : espace multi-glisse réglementé
massivement dans les villes dans la mesure où elles
disposent de mobiliers urbains et de zones multi-glisse adaptées.
Ainsi, les espaces du centre-ville n'ont pas été
désertés par les pratiquants. La pratique du Roller Street
répond à sa culture de pratique où l'objectif premier est
l'exploration de nouveaux espaces pour pouvoir appliquer et s'exercer à
la pratique. Alors, la pratique tend à sortir des zones
réglementées afin de répondre aux besoins de
l'activité et ainsi construire ses propres espaces de pratiques. Par
exemple, la pratique du Roller à Bordeaux se réalise dans les
espaces du centre-ville. Ils sont souvent privilégiés car ils
offrent à la fois un terrain urbain favorable à la pratique et
des dispositions fonctionnelles répondants aux exigences physiques de la
pratique tels les commerces (achat de boissons énergétiques et
nourritures).
I.2.8. D'une pratique autogérée à une
pratique institutionnalisée.
Le Roller est donc une pratique sportive qui correspond
à l'évolution des pratiques sportives. Cependant, on constate des
évolutions notoires qui tendent à relativiser ces
différents éléments, à savoir la question des
pratiques qui s'institutionnalisent et l'enjeu compétitif. Les Riders
interrogés affirment fermement que l'objectif de compétition se
trouve sur un plan secondaire. Pourtant, preuve de l'institutionnalisation
rampante du Roller Street, un versant de la pratique se réalise dans un
cadre qui semble se rapprocher du cadre compétitif académique.
Nous relevons ainsi des rassemblements partout en France
chaque année, appelés "Contest", organisés le plus souvent
par des associations locales en Skate Park mais aussi en centre urbain, avec
l'autorisation des Mairies. Nous observons des groupements
institutionnalisés où des règles sont établies lors
de ces "Contests" :
- Des rounds : période de temps
déterminé où le Rider doit réaliser les plus
belles
figures dans un espace donné, devant un jury de
pratiquants.
- Un lieu défini : Skate Park, centres urbains.
- Des rôles : Riders, jury, animateur nommé
"Speaker", sponsors, pratiquant,
famille, public.
Cependant, malgré les similarités entre
"Contest" et compétition classique, nous avons constaté lors de
l'étude exploratoire, que la pratique n'a pas la même
finalité. Premier indice, ces rassemblements ne sont jamais
appelés "compétition" mais "Contest", c'est à dire
"concours" en anglais. Cette différence terminologique est primordiale.
Il s'agit en effet davantage d'un rassemblement de la communauté,
plutôt que d'une compétition au sens strict, avec prix et
médailles reconnus par des organismes institutionnels.
16
I. 3. Synthèse de l'étude exploratoire
17
A partir de nos entretiens exploratoires sur le terrain, nous
vous présentons une synthèse d'éléments composants
la pratique du Roller Street :
Le matériel utilisé.
|
- Une paire de Roller.
- Une paire de basket (si la pratique ne se fait pas
directement).
- Protections individuelles (coudières,
genouillères, casque, protection main)
- Des outils de bricolages (tournevis, clés de 12,
petits roulements, petites pièces de rechange, par exemple).
- Wax (lubrifiant).
- Bouteille d'eau, nourriture.
|
Le matériel collectif.
|
- Espaces réglementés et espaces
sécurisés/ skate Park,
zones multi-glisse.
- La ville, le mobilier urbain devenu « spot collectif
» : marches, murets ou encore rails
- Caméra, appareil photo, supports multimédias.
|
Les figures effectuées.
|
- Il en existe plusieurs types, avec plusieurs niveaux de
difficultés, et très codifiées.
- Les pratiquants recherchent la perfection à
travers des figures de plus en plus techniques.
|
La pratique autogérée.
|
- Centrée sur les lieux de vie et les liens sociaux.
- Hors-piste, hors limite et hors norme
- Effectuée de manière autonome, sans rapport
à une
pratique établie et selon des règles et une culture
propres.
|
Motivations.
|
- Le Roller Street consiste à réaliser des figures
sur un
support donné.
- L'appropriation et le détournement des espaces urbains
et de tout type d'espaces réglementés comme non
réglementés.
- Utiliser les espaces pour assouvir des aspirations
ludiques et des besoins d'activités (physiques).
|
La prise de risque.
|
- Les caractéristiques de la pratique de Roller Street
(vitesse,
glisse, saut) constituent un risque.
- Le Roller Street est défini comme appartenant aux
sports extrêmes, c'est à dire que c'est une pratique à
« prise de risques « . (LYNG en 1990, STRANGER en 1999 ou
encore
|
18
|
WILLIG en 2008).
- Le risque et la prise de risque sont constitutifs à la
pratique du Roller Street en elle-même.
|
Risques associés à l'environnement et
au partage de l'espace.
|
- Les caractéristiques des spots (hauteur,
matière, formes)
et les caractéristiques de l'environnement urbain
forment
des variables qui développent le risque d'accident.
(Annexe 6 : illustration de la hauteur d'un spot)
|
- Le partage de l'espace urbain avec d'autres usagers
augmente le risque, notamment de collision, de chute,
pour le non pratiquant comme pour le pratiquant.
|
Perception du risque et de la prise de
risque pour les pratiquants :
|
- les Riders semblent évaluer le niveau de danger et
adapter leurs actions,
- en associant la probabilité, l'exigence de la
tâche à
effectuer et la gravité de cette tâche
dans l'environnement.
|
Motivations et besoins des pratiquants au regard
de cette pratique à risques.
|
- Le Roller a un rôle de socialisation, de
création
d'identité collective : former un groupe, un Crew, une
bande aux même références et à la même
pratique, véritable « mode de vie ».
- Sensations d'adrénaline, de dépassement de
soi, plaisir de repousser la limite, goût du challenge.
- Appétence pour une pratique sportive en
extérieur, qui permet de se dépenser physiquement.
|
I. 4. Concepts théoriques
I.4.1. La prise de décision
(Annexe 5 : Modèle de prise de décision, dit de
l'échelle double (Rasmussen, 1986).
Selon Rasmussen, nous pouvons distinguer à
l'intérieur de l'activité globale d'un sujet, différents
niveaux selon qu'une situation constitue un " risque " ou non. On distingue
alors deux types d'activités : celles qui sont fondées sur des
règles de procédures existantes en mémoire et celles dites
de "prise de décision ". Les premières sont mises en oeuvre face
à des situations qui sont bien connues du sujet, qui ne
présentent pas de problème pour lui ; les secondes, lorsque le
sujet se trouve confronté à prendre une décision. Dans ce
dernier cas, il doit élaborer une réponse nouvelle à
partir, d'une part, d'une analyse de la situation et, d'autre part, des
connaissances générales qu'il possède.
Deux types de connaissances correspondent à ces deux
niveaux de l'activité : des connaissances de surface et des
connaissances profondes. Ce n'est pas son niveau d'expertise
19
qui détermine si une personne aura recours à des
connaissances profondes, c'est l'état problématique de la
situation pour la personne.
Si un Rider dispose de connaissances compilées, de type
"procédures toutes faites ", qui lui permettent de
récupérer en mémoire une réponse adaptée
à la situation à laquelle il est confronté, alors, il n'a
aucune raison de faire appel à ses connaissances profondes.
I.4.2. Les connaissances
Les connaissances peuvent être définies en
psychologie cognitive comme l'ensemble des savoirs et des savoir-faire acquis
par le sujet tout au long de son existence. En d'autre terme, les connaissances
sont le résultat de nos expériences de pratiques. En 1995, Denis
Le Ny définit les connaissances comme des «
représentations occurrentes ».
Pour caractériser ses connaissances empiriques, nous
utiliserons le terme de "compétences" qui constituent des savoir-faire
acquis à partir de l'action. Il convient d'ajouter que les connaissances
issues de l'expérience de pratique, soit les compétences sont des
connaissances permanentes. En effet, elles sont acquises et stockées en
mémoire à long terme. Au sein de notre étude, les
représentations sociales et les croyances sont, elles, définies
comme « connaissances » dans la mesure où il s'agit
de « vérité pour le sujet », d'après
les travaux de Richard, en 19905. Les connaissances que nous allons
étudier se catégorisent en trois types de connaissances :
- les connaissances déclaratives : la connaissance
de faits, des règles ou encore des principes. Ces connaissances doivent
être traduites en procédures ou en conditions.
Dans le cas du Rider expert, il s'agit de la connaissance de
la nécessité d'anticiper les effets provoqués par le Spot
ou bien le fait de connaître les différents types de spot.
- Les connaissances procédurales : elles
correspondent à la procédure et aux étapes permettant la
réalisation d'une action.
- les connaissances conditionnelles : elles concernent le
"quand " et le "pourquoi ".
A quel moment et dans quel contexte est-il approprié
d'utiliser telle ou telle stratégie, d'engager telle ou telle action
?
Aussi, nous faisons l'hypothèse que les Riders experts
disposent d'un capital de connaissances acquis par empirisme et par leurs
recherches sur le terrain. Du fait de cette bibliothèque de
connaissances, ils peuvent ainsi privilégier des stratégies de
manière contextuelle pour atteindre les enjeux de performance
liés à la tâche.
5 Richard, Les activités mentales. Comprendre,
raisonner, trouver des solutions, 1990).
20
I.4.3. Les représentations
En psychologie cognitive, les concepts de description du
fonctionnement humain positionnent la notion de "représentation" au
centre de la discipline. Selon celle-ci, le fonctionnement cognitif s'appuie
sur les représentations de l'individu. Ces représentations ont
une caractéristique principale : être des "symboles",
c'est-à-dire qu'elles sont sujettes à interprétation pour
un individu.
Deux types de représentations peuvent être
développés dans notre étude : les représentations
types et les représentations occurrentes. Les représentations
types ont la particularité d'être conçues comme des
états permanents de la mémoire. Elles s'opposent aux
représentations occurrentes conçues comme des
évènements stockés en mémoire par nature
transitoire. La représentation occurrente permet de réaliser des
manipulations cognitives sur des informations maintenues temporairement.
21
II. Méthodologie
Suite à l'étude exploratoire, nous avons
relevé quatre types de tâches principales chez les pratiquants de
roller :
- La préparation au Slide (préparation,
anticipation, planification)
- L'action motrice n°1 : le déplacement en direction
du muret (patinage, axe, vitesse) - L'action motrice n°2 :
exécution de la tâche "Slide " sur le muret (figure,
équilibre) - La réception (rotation, vitesse, hauteur).
Nous avons souhaité orienter notre analyse sur le
processus cognitif du rider expert au cours des tâches de
préparation à l'exécution de la tâche. La
méthodologie de recherche implique une phase de protocole
expérimental. Durant cette phase, nous avons analysé l'expertise
de plusieurs individus, pratiquant de Roller Street à haut niveau. Ces
Riders sont en effet confrontés à une logique de la pratique
visant à interpréter le milieu et à anticiper la mesure du
danger, le risque.
II.1. La démarche
II.1.1. Choix de l'étude : la prise de
décision du Rider expert
La demande initiale est l'analyse d'une activité
experte, ici celle du Rider expert en Roller Street. Nous avons choisi de
traiter cette activité experte en tant qu'ancien pratiquant, il
était intéressant d'interroger un sport connu et pratiqué,
et de ce fait, de prendre beaucoup de distance avec cette même pratique
pour ne pas biaiser l'étude et pour mieux la comprendre.
Nous avons choisi de nous rendre dans la ville de Bordeaux
pour mener à bien notre étude. Bordeaux est une ville dynamique
en termes de sport de glisse, et plus principalement en Roller Street. La ville
a investi en conséquence et offre de nombreux équipements
adaptés. Nous avons également choisi cette ville car c'est
grâce à notre réseau amical et sportif que nous avons pu
rencontrer des Riders expert locaux. Leur a été proposée
une session particulière de Roller Street sous forme de protocole
expérimental, afin de procéder à l'analyse de la prise de
décision.
Le Roller Street, de par ses caractéristiques, semble
complexe à analyser. C'est en effet une pratique à hauts risques,
au cadre non défini, et où l'autogestion est de mise.
22
Nous nous proposons d'analyser l'activité de pratique
de Roller Street experte en milieu urbain. Il aurait été
pertinent pour cela de procéder à une comparaison expert/novice,
afin de pouvoir confronter une population d'experts et de novices à une
situation de résolution de problème comme les études en
psychologie cognitive.
II.1.2. Evolution de la démarche d'étude et
périmètre établi
Notre démarche d'étude a évolué au
cours des entretiens exploratoires. En effet, pour des raisons logistiques,
nous ne pouvions pas analyser l'activité d'apprentissage novice/expert.
Les ressources organisationnelles et temporelle n'étant pas optimales,
nous nous sommes recentré sur l'analyse de l'activité du Rider
expert, et notamment sur l'analyse de l'activité de préparation
du Rider expert. Dans ce cadre d'étude, nous visons à
définir une tâche et une activité à étudier
en référence à Leplat et Hoc en 1983. Aussi,
l'activité de préparation semble un périmètre
pertinent.
En effet, c'est un temps de l'activité demandant des
compétences particulières et dont dépend la qualité
de la réalisation de la figure. Nous répondrons ainsi à la
demande factuelle ci-dessous :
- -Demande : analyser de l'activité de
préparation du Rider expert.
- -Objectif : comprendre la place de l'activité
cognitive au cours des tâches de préparation à
l'exécution d'une figure sur un mobilier urbain
déterminé.
II.2. Problématique initiale
Suite à nos recherches basées sur la
littérature scientifique existante et notre expérience en
immersion, nous allons donc étudier les processus cognitifs de Riders
experts lors de la préparation à l'exécution d'une figure
sur un nouveau mobilier urbain qui comporte une part d'incertitude.
Hypothèse 1 : Une actualisation de la
représentation via la répétition
- Nous présumons que le Rider expert va s'appuyer sur
ses représentations occurrentes dans la situation où il fera un
premier "essai-test ", c'est-à-dire qu'il prendra la décision de
sauter pour Slider une première fois sur le muret, permettant
d'actualiser l'information en situation, pour immédiatement garder en
mémoire les caractéristiques de l'environnement. Nous
présumons que le Rider apprend par la répétition et des
phases de tests dans cet environnement nouveau. Nous faisons ainsi
l'hypothèse que les Riders en situation de protocole expérimental
ne se satisferont pas d'un seul essai.
23
- L'expérimentation en situation, la
répétition des mouvements permettent l'apprentissage en
situation, et ainsi répondre à l'exigence de la tâche au
regard des ressources cognitives du Rider.
- La mise en place de stratégies opératoires
lors de la préparation permettent une plus grande maitrise dans l'action
et sont un préalable de la prise de décisions.
Hypothèse 2 : Une actualisation de la
représentation pour atteindre la performance
- Nous présumons que le Rider expert s'appuiera dans un
premier temps sur ses représentations externes (en
référence aux connaissances mémorisées de pratique
sur ce type de mobiliers urbains et à l'action de Slider), ses
représentations internes (en référence à la
synthèse des informations de l'environnement externe et à ses
connaissances), puis évaluera le risque inhérent à
l'environnement selon la réactualisation des représentations pour
enfin prendre la décision d'exécuter la tâche et rechercher
le modèle de décision optimal pour répondre à
l'objectif de la performance.
Hypothèse 3 : Un temps préparation dans
l'atteinte d'un but
- Nous présumons que le temps de préparation
conditionne la qualité de la figure.
- Les moments qui précèdent l'exécution
de la tâche nécessitent une préparation qui lui permet
d'optimiser ses performances. Ce moment est opportun pour coordonner ses
actions.
Hypothèse 4 : Gestion des risques lors de la prise de
décision
- Nous présumons que le rider évalue les risques
à chaque fois que ses représentations de l'environnement sont
actualisées, de l'arrivée sur le spot à la prise de
décision.
- La bibliothèque de connaissances du Rider lui permet
d'actualiser ses représentations afin d'évaluer les risques.
- La capacité à se préserver du risque
par l'adaptation à l'environnement sont des indicateurs du niveau
d'expertise d'un Rider
24
Au regard de ces hypothèses, nous proposons cette
problématique :
" Comment les Riders experts se préparent à
l'orientation de l'action en situation dite "à
risque " ?
|
Pour le Rider, la tâche prescrite correspond à la
préparation de la réalisation d'une figure, c'est à dire
"ce qui est à faire". L'activité renvoie à tout ce qui a
été mis en oeuvre pour répondre aux objectifs de la
tâche, c'est-à-dire les stratégies et les modes
opératoires.
De ce fait, nous tenterons de démontrer que c'est bien
:
"La capacité d'adaptation, tant physiologique que
cognitive, associée à l'entrainement
qui permet la performance, et donc détermine le
degré d'expertise du Rider".
|
Afin de vérifier cette hypothèse exploratoire, nous
avons mis en oeuvre un protocole expérimental.
25
II. 3. Protocole expérimental
Afin de répondre à notre hypothèse
exploratoire, nous avons mis en situation l'activité experte afin de
l'analyser. Nous nommerons cette mise en situation sur le terrain : protocole
expérimental. Il s'agit d'une simulation, d'un test, ayant pour but de
reproduire le cadre habituel d'une pratique de Roller Street avec des
participants sélectionnés par nos soins.
II.3.1. Sujets
Nous avons sollicité trois Riders experts. Ces
personnes sélectionnées sont toutes originaires de la
région bordelaise, réputée dans le Roller Street.
Tout d'abord, nous considérons expert l'individu qui
possède des connaissances sur un champ délimité de savoir,
c'est à dire son champ d'expertise. Le niveau d'expertise d'un Rider est
déterminé par le collectif de Roller Street. Les trois Riders
sont présentés comme étant « les meilleurs de
Bordeaux » par le collectif local. Etant donné qu'il n'existe
pas de classement fédéral, cette classification est
subjective.
Pour une question de logistique et de faisabilité, nous
ne faisons aucune différence de niveau d'expertise entre les Riders.
Pour que l'étude soit la plus complète possible
compte tenu du nombre restreint de personnes que nous pouvions interviewer
(contrainte de temps et de disponibilité), nous avons fait le choix de
suivre trois Riders experts aux caractéristiques spécifiques :
nombre d'années de pratique, âge, expérience des lieux de
pratique (Cf. Annexe 1 : Entretien exploratoire, une finalité de
pratiques différentes).
Nom
|
Âge
|
Niveau d'expertise
|
Fréquence de
pratique par semaine
|
Spécialiste muret
|
Rider1
|
20 ans
|
Expert
|
5 fois/sem
|
Non
|
Rider2
|
24 ans
|
Expert
|
3 fois/sem
|
Oui
|
Rider3
|
24 ans
|
Expert
|
3 fois/sem
|
Oui
|
Tableau n°4 : Caractéristiques des sujets.
26
Le premier Rider est plus jeune que les deux autres. Les deux
autres Riders offrent des profils en apparence similaires.
L'intérêt de cette similitude est qu'elle doit permettre de
repérer et de distinguer ce qui fait la différence entre les deux
fonctionnements individuels.
Rider 2 et 3 sont se sont rencontrés à leurs
débuts en Roller Street, il y a 8 ans. Ils pratiquent le Roller
« le plus souvent ensemble ». L'expertise ne prend pas en compte
les résultats en "Contest" car ces deux Riders les rejettent et en sont
absents (Cf. I.2.8. D'une pratique autogérée à une
pratique institutionnalisée). Rider 1 a le moins
d'ancienneté et pratique le Roller Street depuis 4 ans seulement. Il
participe aux Championnats de France et aux compétitions reconnues
nationalement voire internationalement.
L'échantillon choisi est représentatif des
pratiques actuelles du Roller Street. Nous pouvons observer que les plus
anciens se trouvent hors du cadre "compétitif". En cela, ils restent
fidèles à la pratique culturelle initiale du Street en milieu
uniquement urbain. Rider 1, étant plus jeune, évolue dans une
pratique qui s'est construite dans les zones réglementées pour
s'élargir aux espaces centraux urbains.
Rider 2 et 3 se disent « spécialistes »
des murets pour la réalisation des "Slides". En l'absence de Skate
Park, ils ont commencé leur pratique exclusivement sur ce type de
mobilier.
II.3.2. Milieu
Afin d'être en mesure d'analyser les processus cognitifs
des sujets et de comprendre la manière dont chacun procède, nous
avons fait le choix de délimiter un espace, qui comprend une part
d'incertitude pour tous les Riders. Voici une brève présentation
de la notion d'incertitude relative à la pratique du roller.
II.3.2.1. L'incertitude spatiale du milieu
|
L'incertitude spatiale est la probabilité d'un individu
de prédire où la tache va se produire. Lorsque le Rider se
déplace en roulant sur un axe tridimensionnel spatial (x, y, z), nous
faisons l'hypothèse qu'un rider expert aura plus de facilité
à appréhender avec justesse la réaction que va provoquer
l'usage du mobilier sur l'action engagée, qu'un novice. Par exemple, la
réaction d'une courbe faisant office de tremplin.
Nous avons choisi un environnement inconnu pour analyser les
modes opératoires et stratégies des Riders. Le seul vrai moyen de
connaître avec certitude l'environnement est de l'appréhender, de
le contrôler voir de le tester en situation. L'objectif de l'étude
est de
|
27
pouvoir repérer l'activité fine des Riders
experts en situation d'incertitude et de relever comment leur niveau
d'expertise leur permet de réaliser la tâche, sans tester le
mobilier par exemple.
Pour un Rider, la dimension spatiale détermine
l'amplitude qu'il va pouvoir prendre sous l'effet de ses contraintes. Un sol
parfaitement plat et régulier génère une certitude dans la
progression du Rider dans l'espace, par exemple. Selon l'action physique
engendrée sur un mobilier, en absorbant la courbe par exemple, le rider
peut provoquer une accélération ou un ralentissement de son corps
dans l'espace et ainsi maitriser les différents effets souhaités.
Selon Famose, en 1990, « plus le mobile se déplace dans
différents plans, plus l'incertitude est maximale. »
II.3.2.2. L'incertitude
événementielle
C'est la possibilité qu'à le sujet de
prévoir quel événement va survenir. Nous faisons
l'hypothèse que, lors d'un Slide sur un muret en descente, le Rider se
retrouve face à trois alternatives pour répondre à son
objectif : se mettre en arrière, droit de manière perpendiculaire
au muret, ou bien en avant.
Ces incertitudes mettent en lumière que
l'activité du Rider se prépare à partir de la perception
visuelle de l'inclinaison du muret. Ainsi, le Rider appréhende les
incertitudes spatiales et événementielles. La perception visuelle
s'effectue souvent en haut du muret, où le saut va se réaliser.
Ainsi, le Rider sélectionne les informations de l'espace afin
d'anticiper la manière la plus adaptée pour y répondre.
II.3.2.3. Présentation du milieu
Il s'agit d'une zone d'activité tertiaire,
nommée Mériadec, composée d'espaces de bureaux et d'un
centre commercial à 50 mètres. Le spot retenu est situé au
croisement de plusieurs entrées, qui constitue un passage pour arriver
aux niveaux supérieurs des bâtiments. L'espace fait caisse de
résonnance, étant disposé en "cuvette". Cet environnement
propose donc des niveaux différents dans le visuel, et comporte des
angles morts.
Ce Spot se compose d'un escalier en descente de 14 marches. Le
protocole expérimental a pour finalité de "slider" le muret en
descente qui fait office de rampe d'escalier. Le muret est en pierre blanche
très lisse, et non poreuse. L'espace offre des particularités :
le sol de départ, situé en haut de l'escalier d'où vont
s'élancer les Riders, alterne entre deux types de revêtements :
dalles en béton et pierre blanche glissante au contact de l'eau. En bas
de l'escalier, la surface de réception des Riders est constituée
de dalles non planes aux joints hétérogènes.
28
II.3.3. Figure
Le "Triks", c'est-à-dire la figure à effectuer,
est le même pour tous afin de pouvoir faire une analyse comparative de
l'activité des Riders experts. Afin de ne pas ajouter de la
complexité inutile à l'exercice, est choisi un tricks dit
"simple" appelé "Soul" selon la classification des tricks que nous avons
construite de manière participative (Cf. Annexe 2 : Classification
des tricks).
La figure imposée est évaluée de niveau
"moyen" par les Riders. La rareté de réalisation d'un "tricks" se
traduit par sa complexité d'exécution. Ils estiment donc que la
figure "Soul" est à leur portée compte tenu de leur niveau
d'expertise.
L'objectif de l'exercice consiste à établir sur
l'intégralité du muret en descente le "Slide" imposé,
suivi d'une réception sur les deux patins sans que les mains ne touchent
le muret ou le sol. Cet objectif est accepté d'un commun accord, car il
est conforme à la culture du Roller Street.
II.3.4. Procédure
Le "test" doit durer 1h, et doit être constitué
d'un seul essai pour chaque participant. Cette contrainte a du sens. Elle fait
suite à l'hypothèse n°1 : « Nous présumons
que le rider apprend par la répétition et des phases de test dans
cet environnement nouveau. Nous faisons ainsi l'hypothèse que les Riders
en situation de protocole expérimental ne se satisferons pas d'un seul
essai. ». De plus, elle offre un espace temporel semblable à
celui nécessaire pour que trois Riders puissent faire un premier essai
chacun l'un après l'autre, en ayant le temps de s'y préparer si
nécessaire.
Afin de ne pas biaiser les résultats, aucun des Riders
n'a assisté à l'essai de celui le précédent (Cf.
Annexe 3 : étude exploratoire, apprentissage par l'observation). La
veille du test, nous avons choisi le lieu de test. Nous avons
présenté cet espace aux Riders le dimanche suivant à 15h.
Les Riders se sont entrainés le matin même pendant 1h sur un spot
connu que nous leur avons imposé. Celui-ci offre des similitudes avec le
spot de test.
Il a été convenu d'effectuer l'exercice durant
un horaire peu usité, soit le weekend, afin de ne pas déranger et
de ne pas être confrontés à des passants. Les conditions
météorologiques étaient favorables : temps sec et
lumineux.
29
II.3.5. Recueil des données
II.3.5.1. Technique de la "Verbalisation
Provoquée"
L'entretien est une technique largement utilisée pour
recueillir les verbatim des personnes. Il peut être directif ou
semi-directif (semi-dirigé).
Durant notre protocole expérimental, nous ne pouvions
pas fonctionner sur la base d'entretien, les Riders ne pouvant à la fois
être dans l'action et à la fois répondre à nos
questions. Nous avons donc choisi d'utiliser une autre technique permettant la
verbalisation de l'interviewé lors de l'action en cours. Cette
méthode semblait plus adaptée parce que plus souple. Cette
technique, appelée "verbalisation provoquée", se prête en
effet davantage au contexte de notre étude. Les Riders pouvaient
s'exprimer à haute voix, décrire leurs gestes avant et
après la réalisation de la figure, tout en se concentrant sur
leur effort quand cela était nécessaire, pendant le "Slide", par
exemple.
« Le type de consignes provoquant la verbalisation,
le moment de la verbalisation par rapport à l'activité-cible
étudiée, le type d'activité-cible et la variabilité
interindividuelle » sont des facteurs primordiaux à prendre en
compte pour que l'entretien par verbalisation provoquée soit
réussi, selon J.M. HOC6. C'était donc un exercice
complexe pour nous car nous devions nous montrer attentifs, réactifs et
observateurs.
II.3.5.2. Technique de recueil des données
Lors de la phase de test, nous avons demandé aux Riders
de procéder comme "d'habitude ", à cette nuance près : ils
étaient conviés à énoncer à haute voix
toutes les pensées qui leurs passaient par la tête, selon la
technique de verbalisation provoquée que nous avons décrite.
Pendant les premières minutes, les Riders n'arrivaient pas à
procéder comme "d'habitude "; notre présence fût ensuite
oubliée.
L'utilisation de la méthode de "verbalisation
provoquée" sous-entend que l'on enregistre les verbatim, avec
l'adhésion des participants, pour ensuite les retranscrire et les
analyser. Aussi, avec leur accord, les Riders ont été
filmés chacun l'un après l'autre. Les caméras étant
fixées à des trépieds ou sur la tête du Rider, le
son risquait d'être peu audible. De ce fait, nous avons choisi de
recourir à l'utilisation complémentaire d'un dictaphone afin
d'optimiser la prise d'information, qu'elle soit visuelle ou auditive.
6 HOC J. M., Problématique et méthodologie. II:
La verbalisation provoquée pour l'étude du fonctionnement
cognitif, in Psychologie française, A. 1984, vol. 29,
n° 3-4, pp. 231-234
30
? L'enregistrement vidéo
Nous avons utilisé deux caméras,
prêtées pour l'occasion, pour procéder à
l'enregistrement des trois Riders en action :
- une caméra installée sur trépied en
haut des marches de l'escalier :
L'objectif de cette caméra est de capter le processus
de prise de décision qui se déroule principalement en haut des
marches. Le trépied permet d'être fixe et de pouvoir zoomer
à souhait si l'acteur prend de la distance. Un « traveling »,
autrement dit une caméra qui suivait les Riders, aurait pu être
intéressante mais le risque de déconcentrer et de transformer
l'activité par notre présence était trop grand. Une
caméra fixe plus discrète était davantage
appropriée.
- Une caméra grand angle :
Fixée par des sangles sur le sommet de la tête du
Rider en phase de test, elle permet d'analyser les prises d'informations dans
l'environnement, et en situation.
Caméra toujours dirigé vers le rider
Ce dispositif technique nous a permis d'enregistrer les actions
de chaque Rider de manière optimale.
31
? L'enregistrement dictaphone.
Dès la première minute où le Rider
débutait la phase de test, le dictaphone enregistrait les verbatim.
Celui-ci était en effet préalablement mis dans la poche du Rider
et enclenché. Le but était que l'intervieweur suive le Rider dans
son cheminement, que ce soit dans l'espace ou grâce aux verbalisations
à haute voix.
Le but était de permettre l'enregistrement vidéo
et audio dans de bonne conditions sans gêner les déplacements
éventuels du Rider. Un espace de sécurité entre le Rider
et l'intervieweur a été respecté lorsque le Rider
s'élançait pour " Slider" le muret.
II.3.5.1. Technique de retranscription des
données ? Traitement des verbatim sur dictaphone :
Etant donné que la transcription et l'analyse d'une
session d'une heure était difficile à mettre en oeuvre pour des
raisons techniques et de temps, nous avons choisi de procéder par une
prise de notes sur bloc-notes avec stylo des verbalisations enregistrées
sur dictaphone. La prise de notes sous-tend nécessairement une
sélection des données recueillies, effectuée dès le
départ de la retranscription, dans un souci d'efficacité et de
rapidité.
Les données vidéo recueillies tiennent sur une
durée de film de 1h. Chaque Rider étant passé à la
suite de l'un et de l'autre, le film se compose de 3 séquences de test
correspondant au passage de chaque Rider.
? Traitement vidéo des caméras fixes et
caméras embarquées :
Une sélection des passages vidéo à
diffuser pour l'autoconfrontation a été effectuée, en
fonction des images et des situations qui nous ont semblé pertinentes au
regard du périmètre de notre analyse. Nous avons
sélectionné les parties qui ont précédé
l'exécution du tricks sur le muret. De ce fait, nous avons
procédé à un montage basique de la vidéo
grâce au logiciel Final Cut Pro.
II.4. Autoconfrontation :
II.4.1. Pourquoi procéder à une
autoconfrontation ?
La confrontation consiste à « présenter
aux personnes observées les traces les plus nombreuses possibles de leur
comportement et à leur demander de les commenter », selon
Jacques Theureau7. La méthode comporte donc deux
étapes : enregistrements de l'activité puis confrontation lors
d'entretiens ultérieurs.
Bloom, un psychologue spécialisé dans le domaine
de l'éducation au début des années 50, la nomme «
rappel stimulé ». D'autres psychologues s'intéressent
à cette confrontation : Nielsen, introduit l'expression
d'autoconfrontation (self-confrontation) dans les années 60.
La méthode sera reprise dans les analyses ergonomiques
du travail de Jacques Theureau et François Jeffroy en 19948
et d'Yves Clot en 19999. Les deux variantes de la méthode y
sont développées sous les termes d'autoconfrontation simple (une
personne confrontée à son activité) ou croisée
(pairs de même niveau d'expertise confrontés à une ou
plusieurs activités). C'est en 1994 que Vanina Mollo et Pierre Falzon
proposent les termes d'autoconfrontation et d'alloconfrontation.
Rouch, un ethnologue, relatait dès 1989 l'importance du
dialogue avec les personnes filmées. La vidéo, rendant " plus
vivante " la restitution de l'activité, est l'outil
privilégié de l'autoconfrontation.
Nous avons établie dès le départ avec les
Riders qu'une phase d'autoconfrontation aurait lieu suite à la phase
exploratoire, au vue de l'intérêt de celle-ci.
32
7 Boubée Nicole, « La
méthode de l'autoconfrontation : une méthode bien adaptée
à l'investigation de l'activité de recherche d'information ?
» in Questions de communication, n° 14, 2008,
http://edc.revues.org/2265
8 Theureau et Jeffroy, Ergonomie des situations
informatisées. La conception centrée sur le cours de d'action de
l'utilisateur, 1994.
9 Clot Yves, La fonction psychologique du
travail, 1999.
33
II.4.2. Choix de l'entretien semi-dirigé
Nous avons dans un premier temps procédé
à l'autoconfrontation sous forme d'entretiens individuels afin que
chaque Rider puisse réagir aux images et aux actions effectuées.
Nous avons donc sélectionné des parties vidéo que nous
avons diffusées par la suite.
Nous avons choisi de mener ces entretiens de manière
semi-directive. Un entretien semi-directif est basé sur le
questionnement systématique et semi-dirigé du sujet. Cette
méthode permet d'accéder à la représentation qu'un
sujet se fait de sa tâche effective. Nous pouvions donc poser les
questions nécessaires à notre analyse tout en laissant
l'interviewé réagir de manière spontanée s'il le
souhaitait.
II.4.3. Technique du Pourquoi Comment (TPC)
Pour mener à bien ces entretiens, nous avons
utilisés la "Technique du Pourquoi Comment". (TPC). Cette technique
d'entretien se base, comme son nom l'indique, sur les questions "pourquoi ? "
et "comment ? " ; "pourquoi ? " permettant d'accéder aux buts
super-ordonnés des actions, et "comment ?" permettant d'accéder
aux procédures utilisées pour atteindre ces objectifs.
Cette méthode permet une première approche de
l'activité globale : à travers la représentation qu'une
personne a de sa tâche, nous recueillions des données sur le
domaine de la tâche en elle-même et les grandes lignes de
l'activité. Cette technique permet d'expliciter la planification d'une
série d'actions ou de décomposition d'une tâche en
sous-buts. La méthode TPC nous permet alors d'analyser le plus finement
possible la prise de décision dans la pratique du Roller Street.
Procédure d'Autoconfrontation en deux temps :
Deux temps d'autoconfrontation ont été
nécessaires : une autoconfrontation simple puis une croisée. Un
premier entretien avec chaque Rider a été réalisé.
Les données ont été enregistrées sur dictaphone de
la même manière que durant le test. Durant la deuxième
phase d'autoconfrontation, les Riders ont découverts les tests de chacun
des participants et ont pu réagir librement sur ce qu'ils voyaient ou
entendaient de manière collective.
Nous avons proposé un retour de l'étude aux
Riders, cela nous paraissait essentiel pour préserver une dynamique
positive et respectueuse vis-à-vis des participants.
34
II.4.4. Traitement des données recueillies par
autoconfrontation
Suite au protocole expérimental, nous avions recueilli
un ensemble de données audio et vidéo. Ces différentes
données à disposition ont fait l'objet d'un traitement
spécifique, dans le but d'être analysées :
sélection, tri ou encore ralentit.
Nous avons procédé de manière semblable
lors de la phase d'autoconfrontation simple puis croisée, en
enregistrant les verbatim grâce au dictaphone. Cet ensemble de
données a fait l'objet d'une analyse thématique fine afin de
mettre en exergue les points communs et les différences dans le mode de
fonctionnements des Riders.
II.4.5. Formalisation des résultats par
autoconfrontation Méthode Analytique Descriptive
Nous avons formalisé les résultats de nos
entretiens en auto-confrontation grâce à la méthode
d'analytique descriptive, la MAD. Mathieu Guidère la définie dans
Les méthodes d'analyse, comme « une méthode qui
procède à la décomposition du sujet. Le chercheur
décompose un ensemble en ses ensembles constitutifs, des
éléments essentiels, afin d'en saisir les rapports et de donner
un schéma général de l'ensemble ». Afin de mener
à bien la méthode, il convient de respecter cet
enchaînement :
1) observation des faits
2) élaboration d'hypothèses
3) vérification ou validation des thèses.
Aussi, dans un objectif de pertinence, nous avons
échangé et confronté les sujets aux résultats de la
MAD issus de la confrontation du sujet à sa propre image dans le
film.
Cette formalisation est réalisée selon un
modèle hiérarchique de la tâche. Nous présenterons
les tâches comme une hiérarchie de buts régis par des lois
de simultanéité. Notre objectif, à travers cette
méthode, est de présenter le processus cognitif de la prise de
décision lors d'une réalisation de figure dans un environnement
urbain.
35
III. Résultats:
Les résultats du protocole exploratoire proviennent des
données vidéo et audio ainsi que des verbatim des Riders
recueillis selon la technique de verbalisation provoquée.
III.1. Premières observations
Dans un premier temps, nous vous proposons de mettre en
exergue les résultats obtenus par les Riders et le temps de
préparation qu'il leur a été nécessaire, au regard
des profils et des caractéristiques de chacun, par le biais d'un tableau
:
Nom
|
Âge
|
Niveau d'expertise
|
Fréquence
de pratique par semaine
|
Spécialiste muret
|
Temps de
préparation
avant le 1er essai
|
Résultat
|
Rider1
|
20 ans
|
Expert
|
5 fois/sem
|
Non
|
<03 :12>
|
Validé
|
Rider2
|
24 ans
|
Expert
|
3 fois/sem
|
Oui
|
<02 : 41>
|
Non validé
|
Rider3
|
24 ans
|
Expert
|
3 fois/sem
|
Oui
|
<01 : 29>
|
Validé
|
Tableau n°5 : Caractéristiques des
sujets
A la question, « Est-ce que tu considères que
tu as validé ton tricks », seul un des trois Riders estime
être en situation de « réussite », ayant
d'après lui répondu de manière optimale aux objectifs,
à savoir réussir sa figure et sa réception selon
l'attendu. Rider3 estime que sa figure n'est pas valable car bien qu'il ait
réussi son Slide et sa réception, il n'a pas répondu
entièrement à l'exigence de la tâche experte. En effet, la
réception finale n'était pas de qualité suffisante, pas
suffisamment «propre » et « esthétique
», d'après lui. Rider2, quant à lui, estime ne pas
avoir répondu à la commande, ayant chuté lors de son
essai.
36
Chute de Rider2 pendant son essai Figure de Rider1
réussie
Dans un deuxième temps, nous constatons que chaque
séquence vidéo respective se décompose en trois phases :
processus de prise de décision (temps de préparation),
exécution et coordination des actions (tâche) et résultat
obtenu (réussite ou échec).
Tout d'abord, l'objectif est de lister l'ensemble des
tâches observables à partir de la vidéo.
L'intérêt est aussi de vérifier si celles-ci sont communes
à chaque Rider au vu des résultats de chacun.
Nous vous proposons une liste des actions successives
observées chez les 3 Riders. Les verbatim recueillis durant le protocole
expérimental seront encadrés de guillemets. Les codes couleurs
présentés ci-dessous définissent l'intitulé du
Rider qui effectue la tâche.
Actions réalisées par
|
Codes couleurs
|
*
|
Rider1 (temps de préparation = 03 : 12) :
|
Rider2 (temps de préparation = 02 : 41)
|
*
|
Rider3 (temps de préparation = 01 : 29)
|
*
|
Rider1, Rider2 et Rider3
|
Ecriture standard en noir
|
III.1.1. Observations :
? Activation : "arrivé sur le spot "
? Observation : "globale " de l'environnement "Locale ",
centrée sur le spot
? Identification de l'état actuel du système
: « je regarde en direction du muret en descente »
37
> Construction des représentations :
- sécurité : « je
contrôle la hauteur, la longueur, les routes alentours (* *), usagers,
caractéristique du muret (angle : droit, rond), épaisseur du
muret ». Rider 1 frotte le roller sur l'angle du muret : «
je regarde si ça glisse. Si je vois qu'il y a un risque que ça
bloque, je mets de la wax sur le muret (une sorte de cire utilisée
par les Riders sur la surface du muret afin de le rendre glissant) »
(*).
> - efficacité : «
possibilité d'accéder au muret, caractéristique du sol
au départ et à l'arrivée, présence d'anti-skate
(Cf. Annexe 4 : Illustration d'un anti-skate) (*). Un
mode opératoire observé chez Rider1, le premier Rider a
réalisé le protocole de test, a consisté à
supprimer les aspérités du terrain à l'aide d'outils de
fortunes (journaux trouvés par terre, ses pieds) : « je nettoie
parce que je ne peux pas rouler comme il faut, le sable, les bouts de bois se
coincent dans les roulements ».
- fiabilité : la probabilité de
réaliser une figure sur le muret correspond au but à atteindre.
Le rider estime que « le muret est assez solide pour Slider dessus
».
> Interprétation des conséquences pour la
tâche en cours :
- « je regarde les éléments dangereux
du spot, le vide, le sol à l'arrivée »
(risque/environnement)
> Formulation d'une procédure : planification
d'une séquence d'actions
- Simulation de la figure sur un trottoir au loin * *:
« je me cale comme ça sur le trottoir pour vérifier mon
calage, je me dis que j'ai juste à reproduire la même chose, mais
sur un support plus gros, c'est tout ! C'est une façon de se
rassurer». Pour se représenter la figure à
réaliser, les riders 1 et 2 font des essais de calage de cette figure
à vide. A l'image des skieurs alpins professionnels qui simule leur
descente à ski avant la course en agitant leurs paumes de main à
hauteur du ventre, le rider esquisse la figure sur une plateforme miniature
pour se représenter la position à adopter dans l'espace.
- Simulation du trajet à emprunter, il réalise
un ou plusieurs aller/retour départ-haut des marches * *
> Concentration avant exécution :
- Les 3 riders fixent le muret au loin
> Exécution : coordination des actions :
- Communication avec le caméraman à l'aide d'un
signe de la main * * - Se déplace en roulant avec un angle de 15°
par rapport au muret * * - Procédure, il fixe le muret des yeux
- Anticipe le saut en fléchissant les genoux
38
- Aborde la zone proxémique du muret (5 mètres) -
Régule sa vitesse en freinant du pied droit (*) - Saute
- Positionne les pieds à l'image de la figure en
l'air - Atterris sur le muret * *
- Prise d'information sur la qualité de positionnement des
pieds * *
- Prise d'information au sol, il ajuste le tronc et la tête
* *
- Anticipe l'atterrissage au sol, il oriente les épaules
vers le sol *
- Saute à pied joint en direction du sol * *
- Anticipe le choc au sol, les genoux se plient * *
- Contrôle l'environnement dans sa direction et
relève le tronc * *
- Prise d'information uniquement du caméraman *
III.1.2. Analyse des observations
A la lecture de cette observation minutieuse, nous constatons
que les trois Riders n'ont pas verbalisé leurs pensées lorsqu'ils
se sont lancés vers le muret, du départ à l'arrivée
sur le muret, à la réception.
Les tâches de contrôle de l'environnement sont
nombreuses (Q=10 en moyenne). Nous pouvons faire l'hypothèse que le
Rider expert s'est créé tout au long de sa pratique, une
bibliothèque de connaissances qui lui permet de se représenter
les effets du milieu tels que la réaction des revêtements ou
encore du sol (glissant ou adhérant), et ainsi d'anticiper le risque de
chute.
Le Roller Street est un sport d'extérieur. Les effets
des matières changent au contact de l'eau ou du soleil. Selon rider3,
« l'apprentissage des matériaux se fait à chaque fois
qu'on en découvre un ». Le Rider doit s'adapter à son
environnement au vu du risque de chute en présence d'eau ou encore de se
brûler en cas de surface bétonnée ou métallique :
« lorsqu'on roule sur une surface métallique, on fait attention
parce que si on tombe, on peut se bruler quand il fait chaud. A l'inverse,
pendant l'hiver avec l'humidité, on glisse facilement sur ce type de
surface. Si la matière est en bois, et qu'on chute, on ne laisse pas
trainer les bras pour éviter les échardes » (Rider2).
Autant de réflexes qui s'acquièrent tout au long de la
pratique.
La prise d'information, la reconnaissance des matières
et de l'environnement est donc primordiale si le Rider veut réussir sa
figure. L'analyse des indicateurs à notre disposition confirme cette
hypothèse.
39
III.2. Pré-diagnostic
Le pré-diagnostic a pour objectif de confirmer ou
d'infirmer les hypothèses émises lors des premières
observations. Les résultats que nous allons présenter sont issues
de l'entretien d'autoconfrontation et de la technique du "Pourquoi ", "Comment
". Par ces résultats, nous tâcherons de répondre aux
hypothèses formulées.
Hypothèse 1 : Une actualisation de la
représentation via la répétition
- Nous présumons que le rider expert va s'appuyer sur
ses représentations occurrentes dans la situation où il fera un
premier « essai-test», c'est à dire qu'il prendra la
décision de sauter pour Slider une première fois sur le muret,
permettant d'actualiser l'information en situation, pour immédiatement
garder en mémoire les caractéristiques de l'environnement. Nous
présumons que le rider apprend par la répétition et des
phases de test dans cet environnement nouveau. Nous faisons ainsi
l'hypothèse que les Riders en situation de protocole expérimental
ne se satisferont pas d'un seul essai.
- L'expérimentation en situation, la
répétition des mouvements permettent l'apprentissage en
situation, et ainsi répondre à l'exigence de la tâche au
regard des ressources cognitives du rider.
- La mise en place de stratégies opératoires
lors de la préparation permettent une plus grande maitrise dans l'action
et sont un préalable de la prise de décisions.
Hypothèse 2 : Une actualisation de la
représentation pour atteindre la performance
- Nous présumons que le rider expert s'appuiera dans un
premier temps sur ses représentations externes (en
référence aux connaissances mémorisées de pratique
sur ce « type » de mobiliers urbains et à l'action de slider),
ses représentations internes (en référence à la
synthèse des informations de l'environnement externe et à ses
connaissances), puis évaluera le risque inhérent à
l'environnement selon la réactualisation des représentations pour
enfin prendre la décision d'exécuter la tâche et rechercher
le modèle de décision optimal pour répondre à
l'objectif de la performance.
40
Hypothèse 3 : Un temps préparation dans
l'atteinte d'un but
- Nous présumons que le temps de préparation
conditionne la qualité de la figure. - Les moments qui
précèdent l'exécution de la tâche nécessitent
une préparation
qui lui permet d'optimiser ses performances. Ce moment est
opportun pour
coordonner ses actions.
Hypothèse 4 : Gestion des risques lors de la prise de
décision
- Nous présumons que le rider évalue les risques
à chaque fois que ses représentations de l'environnement sont
actualisées, de l'arrivée sur le spot à la prise de
décision.
- La bibliothèque de connaissances du Rider lui permet
d'actualiser ses représentations afin d'évaluer les risques.
- La capacité à se préserver du risque
par l'adaptation à l'environnement sont des indicateurs du niveau
d'expertise d'un Rider
III.2.1. Résultats de l'hypothèse 1 : Une
actualisation de la représentation via la répétition
III.2.1.1. Exigences de la tâche et l'enjeu de
performance
La performance est l'atteinte des objectifs
préalablement fixés. Selon Bechara et al. en 1994, « une
performance optimale nécessite un apprentissage et donc une adaptation
progressive ». Performer c'est donc s'adapter et se mettre en
situation d'apprentissage. Le Rider doit se préparer à la
réalisation de la figure, préparer son matériel ou encore
évaluer le milieu. La notion de " performer" renvoie à
l'apprentissage de lecture du terrain. Le rider emmagasine les
caractéristiques de son parcours (distance, virage, angle mort), mais
aussi à la figure à réaliser.
De ce fait, la préparation permet de favoriser la bonne
réalisation d'une figure dans un contexte spatio-temporel et social afin
de préserver les acteurs d'un risque potentiel.
Nous avons vu que les Riders de notre protocole
expérimental procèdent de manière semblable, signe de leur
niveau d'expertise élevé. Leur préparation est minutieuse
et s'appuie sur des indices récoltés sur le terrain. Comme
beaucoup de pratique artistique, après la réalisation d'une
figure, la performance nait de l'évaluation par le collectif ou bien de
l'évaluation personnelle souvent avec support.
41
Exigences de la tâche - performance
|
Sujets
|
Hypothèses validées
|
Autoconfrontation-TPC
|
Rider1
|
-Au vu des observables (sourire,
crie, lever les bras), rider1 a
atteint ses objectifs de performance
-Riders1 s'est appuyé sur ses connaissances,
et sa représentation occurrente
-Formalisation du langage opératoire : "spot ", "propre
", " slide ".
|
Rider1 « Je suis content, j'ai
réussi à la rentrer du premier
coup.»
|
Pourquoi ?
« J'ai bien réussi le Slide, j'ai
glissé tout du long puis ma réception est
propre. »
|
Comment ?
« Je n'ai pas pris beaucoup de vitesse, je savais que
une fois que j'étais calé dessus, il suffisait d'être droit
pour descendre en
bas rapidement ». Je me suis bien calé, le
spot a réagis comme je le pensais »
|
|
Note : la satisfaction ressentie pour chaque Rider peut
être différente pour une tâche identique. Rider1 est
satisfait de la tâche réalisé : « C'est bon, j'ai
tapé la figure. Je vais maintenant pouvoir attaquer autre chose ».
Pour lui, c'est synonyme de réussite. Il verbalise donc le
désir d'« attaquer autre chose », c'est-à-dire de
réaliser une nouvelle figure, sur ce nouveau spot. Il n'exprime pas la
volonté de perfectionner la figure. Il semblerait que cette
réussite suffise à le satisfaire.
|
Rider2
|
-Rider2 n'a pas atteint les
objectifs de performance.
-Rider2 est confronté à son échec via la
vidéo.
-Activité d'apprentissage :
répétition de la tâche,
actualisation de la représentation occurrente
|
Que penses-tu de ta figure?
: « Je suis passé complètement à
côté »
|
Pourquoi ?
« Je n'avais pas calculé qu'il était
aussi penché, je n'étais pas dans l'axe. Quand j'ai sauté,
je me suis retrouvé beaucoup trop bas sur le muret, presque au X
(incertitude temporelle). J'ai eu un peu peur.»
|
Comment ?
« J'ai pris de front le muret et il me l'a fait
comprendre. J'ai pris trop de vitesse, j'ai pensé qu'il était
plus facile que ça. J'ai donc braqué mes jambes pour pouvoir
glisser sur les fesses sur le muret.
|
42
|
|
Le prochain, je prendrais moins
de vitesse et je tenterais d'appuyer mon Tricks (figure en
anglais).
|
|
Note : Rider2 apprend à partir de sa première
tentative « Rater le premier Slide est très fréquent.
Comme j'ai envie de faire quelque chose de stylé, il faut du temps,
c'est normal ».
Son expertise lui permet d'affirmer que rater un premier essai
est très courant, et pas du tout synonyme d'échec. Il met en
avant le besoin d'entrainement, de répéter le geste afin de le
maitriser, qu'il soit « stylé ». Il verbalise le fait que
vivre l'expérience sensoriel et motrice de l'action en situation est
essentiel pour réussir celle-ci, que la phase de repérage qu'il a
accompli doit être complétée par une
expérimentation. La réussite d'une figure passe également
par son esthétisme selon Rider2. C'est son niveau d'exigence.
|
Rider3
|
-Rider3 a atteint les objectifs
préétablis par le protocole exploratoire. En
revanche, il ne
répond pas à ses propres exigences de la
tâche.
-Activité d'apprentissage :
répétition de la tâche,
actualisation de la représentation occurrente
|
Que penses-tu de ta figure?
« Je ne la valide pas du tout, j'étais affreux.
»
|
Pourquoi ?
« J'ai été surpris par la descente,
puis je n'ai pas eu le sentiment d'être bien calé sur le muret.
Mes jambes ont tremblé. Puis quand j'ai atterri sur le sol
après mon Slide, je me suis retrouvé écrasé au sol
car le muret est très incliné. Je ne m'y attendais pas
».
|
Comment ?
« Je me suis retrouvé dans le vide, au milieu du
muret, j'ai pris trop de vitesse »
|
|
Notes : Rider3 n'est pas entièrement
|
satisfait, il veut réaliser sa mentales se
tâche :
je me suis fait une frayeur. fond. Je vais le retenter,
j'ai
Lui aussi évoque l'idée de du besoin de se
confronter aux « première approche », du besoin
le truc » de manière empirique.
|
figure une seconde fois. Ses représentations
construisent via la répétition de la « Cette
première approche est passée, Par contre, je n'étais pas
du tout à compris le truc. »
Son exigence le pousse à recommencer. l'entrainement,
de la répétition, et ressentis physiques en parlant de
d'être « à fond », de «
comprendre
|
Les verbatim ci-dessus présentent l'environnement comme
incertain, malgré le niveau d'expertise de chacun, reconnu par le
collectif. En effet, malgré une phase de repérage
43
conséquente pour tous, nous pouvons constater que deux
Riders sur trois ne sont pas satisfaits de leur prestation. Afin de
réussir la figure imposée sur ce spot inconnu, ceux-ci
verbalisent le besoin de procéder à un deuxième essai afin
de réussir la figure. Cela confirme la nécessité de de
répéter la tâche afin d'en réaliser une qui
réponde aux exigences esthétique. Les Riders interviewés
nous ont explicité durant l'autoconfrontation, le besoin d'avoir un
regard extérieur du collectif sur leur propre tâche, tout comme de
l'importance d'avoir « des modèles » pour
s'améliorer, ce qui leur a « manqué » durant
notre protocole exploratoire du fait de l'impossibilité d'assister au
test des autres (Cf Annexe 3 : étude exploratoire, apprentissage par
observation).
Nous avons emprunté le schéma
présenté dans l'annexe ci-dessus :
Spot
1
Nous pouvons observer que la représentation occurrente
permet au Rider expert de recueillir les informations du Spot en dynamique, au
vu de sa propre posture dans l'espace, pour ensuite ajuster ses membres lors du
calage des rollers sur le muret, plateforme qui évaluée moins
inclinée. Le Rider expert actualise alors l'information donnée
par le milieu et tend à adapter ses actions en dynamique : il se penche
en avant pour compenser l'inclinaison. La mémoire à court terme
utilisée implique simultanément les opérations de stockage
et les opérations de traitement. En effet, le rider expert actualise la
posture de son corps dans l'espace et garde à l'esprit les informations
nécessaires pour raisonner, du type préparer la réception
au sol en rotation de 180°, par une rotation des épaules pour
assurer l'atterrissage en roulant en arrière.
44
III.2.2. Résultats de l'hypothèse 2 : Une
actualisation de la représentation pour atteindre la performance
III.2.2.1. Expertise
L'analyse des résultats tend à modifier notre
compréhension de l'expertise déterminée auparavant par le
collectif et moi-même. Nous supposons que l'expertise est la
capacité d'adaptation d'un Rider à son environnement.
Rider3 n'est pas parvenu à " traduire " les
informations données par son milieu. Rider1, lui, a su réguler au
fur et à mesure de sa progression ses actions et ainsi répondre
aux buts à atteindre. Enfin, l'échec deRrider2 ne remet en rien
en cause son expertise car il a, en situation, régulé ses
actions, appliqué ses procédures (savoir-faire de prudence) pour
préserver sa santé. En effet, il a appliqué la
procédure, suite à "Positionne sa figure en l'air ", qui consiste
à ranger ses pieds pour glisser ses fesses sur le muret, afin de palier
au fait qu'il avait mal évalué les caractéristiques
intrinsèques du muret (inclinaison) et l'exigence de sa tâche.
Cette régulation aux contraintes temporelles courtes
démontre un grand niveau d'expertise, par cette procédure de
déclenchement d'une réponse toute prête. Selon l'Agence
Nationale pour l'Amélioration des Conditions de Travail, « Les
savoir-faire de prudence sont des attitudes et des comportements qui viennent
compléter ou redoubler les prescriptions de sécurité.
Souvent muets, implicites, ils renvoient à des formes de connaissances
peu connues et mal reconnues ».
Par ailleurs, l'exigence de l'activité amène les
Riders à développer des savoir-faire de prudence. Les Riders
ayant acquis de l'expérience, ont mis au point depuis les débuts
de leur pratique des stratégies de préservation de leur
santé et de prévention des risques. Ces savoirs implicites, issus
de l'expérience, viennent compléter les prescriptions de
sécurité issues des lieux destinés à la pratique
des sports de glisse, les Skate Park. En effet, ces aires en
réalité multi-glisses possèdent un règlement
intérieur administré par la Municipalité : « Les
jeux de glisse sont pratiqués par les utilisateurs à leurs
risques et périls [...] Il est recommandé d'utiliser des
protections appropriées : casque, genouillères, coudières,
protèges poignets, etc. ».
Cependant, aucune prescription de sécurité n'est
destinée à la pratique du Roller Street. Les Riders Street
expérimentés doivent choisir entre les différentes
modalités de contrôle, plus ou moins filtrantes, en fonction de
l'appréciation qu'ils font du risque d'une "figure" envisagée sur
un élément architectural défini : localisation de la chute
en cas de loupé, orientation du corps, souplesse/rigidité, port
de protection, mise en place du matériel audiovisuel, collectif.
45
III.2.2.2. Savoir-faire de prudence
Nous avons pu observer que Rider2 avait fait preuve d'un grand
niveau d'expertise de par cette "procédure de déclenchement d'une
réponse toute prête ". Nous vous proposons d'aller plus loin dans
l'analyse des savoir-faire de prudence acquis tout au long de la pratique des
Riders. Nous avons observé que les Riders expérimentés ont
mis au point, au cours de leur pratique, des stratégies de
préservation de leur santé et de prévention des risques,
que l'on appel savoir-faire de prudence. Les savoir-faire de prudence sont
« des attitudes et des comportements qui viennent compléter ou
redoubler les prescriptions de sécurité ». On peut en
déduire Rider2 a accumulé une expérience dans le domaine
de la sécurité gérée.
III.2.2.3. Automatisation et activité
experte
L'activité de l'expert est caractérisée,
d'après Leplat (1988), par un « haut degré
d'automatisation ». En l'absence de charge mentale, l'automatisation
revêt entre autres, une propriété de résistance aux
facteurs perturbateurs par exemple, « les contraintes de vitesse et
les tâches interférentes », d'après Wallon
(1942), ce qui peut expliquer les capacités des Riders à
effectuer leur figure sans paraître souffrir de la prise de vitesse
lorsqu'ils doivent effectuer dans le même temps une figure. Il semblerait
qu'ils se soient approprié cette vitesse et ce qu'elle implique, qu'ils
ont appris à gérer la vitesse, à maîtriser la prise
de vitesse.
III.2.2.4. Mémorisation
La psychologie cognitive tente de préciser et de
décrire comment les individus parviennent à réutiliser
l'information qu'ils ont intégrée en mémoire. Dans notre
étude, les Riders, selon leurs expériences, ont en mémoire
des connaissances qui leurs permettent d'établir des liens avec les
informations qui leurs sont fournies. L'expérience de pratique leur a
permis d'organiser les connaissances, qui ont été
intégrées systématiquement en mémoire. En effet,
plus elles sont organisées (niveau d'expertise), plus le Rider a de
probabilité de pouvoir y associer de nouvelles informations d'une
façon significative et de pouvoir les réutiliser
fonctionnellement.
La mémoire est relative à un processus actif qui
est l'apprentissage. Les connaissances que le Rider acquiert sont logées
en mémoire à long terme, ainsi leurs représentations sont
dépendantes de celles-ci.
Ces connaissances mémorisées semblent donc
essentielles à la pratique du Roller Street : Le Rider confronte les
informations sensorielles traitées à un ensemble de
représentations construites de ses expériences passées.
Par exemple, "définir " un spot. Ses représentations sont
contenues dans la mémoire du sujet.
46
III.2.2.5. Conclusion de l'analyse de l'expertise
Nous pouvons constater, au vu de nos résultats, que le
Rider doit faire face à un environnement dynamique, changeant (ambiance
climatique, humidité, matière du sol et de l'espace, état
du matériel), et s'y adapter pour toujours atteindre ses objectifs de
performance. L'exigence de la tâche est basée sur la
faculté à pouvoir se préserver de toute chute, de toute
blessure. Aussi, cette capacité à s'adapter à son
environnement et à se préserver du risque en mettant en place des
stratégies opératoires et des procédures peut être
considérée comme révélatrice du niveau d'expertise
d'un Rider.
Les pratiquants des sports à risque tels que le Roller
Street ne sont pas aveugles quant à la dangerosité
associée à leurs activités. Les Riders verbalisent
plutôt que c'est le caractère dangereux de l'activité
sportif qui amène à l'engagement de l'individu, qui est un moteur
« à s'engager ».
Le rôle des différences interindividuelles dans
la population peut déterminer la tendance à réaliser une
pratique à risque. La variabilité des caractéristiques
individuelles est telle que le sentiment d'un personne lorsqu'elle est
confrontée à un danger est tout aussi variable : peur,
excitation, perte de moyens, stimulation. C'est pourquoi, il nous semble peu
approprié de définir un profil type des pratiquants de roller
dans le cadre de cette étude. En revanche, il nous a semblé
pertinent de tenter de comprendre le processus de prise de décision pour
un rider expert.
Nous avons pu constater, au regard de nos analyses ci-dessus,
que ce processus cognitif se base sur l'anticipation du risque et
l'anticipation du mode opératoire à adopter. Pour cela, le Rider
procède à :
- Une construction et actualisation des représentations
occurrentes via la répétition des
tâches
- Evaluation du risque
- Prise de décision
- Recherche explicite
- La recherche explicite.
47
III.2.3. Résultats de l'hypothèse 3 : Un
temps de préparation dans l'atteinte d'un but
III.2.4.1. Dimension temporelle
Nous présumons que le temps de préparation
conditionne la qualité de la figure. Nous nous sommes interrogés
sur le caractère déterminant du "temps de préparation "
des Riders.
Nom
|
Âge
|
Niveau d'expertise
|
Fréquence
de pratique par semaine
|
Spécialiste muret
|
Temps de
préparation
avant le 1er essai
|
Résultat
|
Rider1
|
20 ans
|
Expert
|
5 fois/sem
|
Non
|
<03 :12>
|
Validé
|
Rider2
|
24 ans
|
Expert
|
3 fois/sem
|
Oui
|
<02 : 41>
|
Non validé
|
Rider3
|
24 ans
|
Expert
|
3 fois/sem
|
Oui
|
<01 : 29>
|
Validé
|
Nous pouvons également formuler l'hypothèse, au
regard des différentes actions successives ci-dessus, qu'expertise ne
rime pas forcément avec ancienneté. En effet, nous observons que
le Rider 3, âgé de 24 ans, n'anticipe pas son "atterrissage au sol
". Il qualifie sa figure comme non validé. Alors que le Rider 1, plus
jeune de 4 ans, avec une expérience de pratique plus courte, anticipe
les effets de l'environnement et actualise ses représentations
occurrentes lors de sa préparation. Son temps de préparation
correspond au double du temps réalisé par Rider3 (<03
:12>). Aussi, nous partons du principe que ses stratégies mises en
place pour répondre aux objectifs sont un indicateur d'expertise, et non
l'ancienneté de sa pratique.
Cette notion d'anticipation est essentielle, car comme le
verbalise Rider3, « il ne faut pas se louper, il faut viser tout
juste, sinon c'est la chute tout en bas ». La gestion des risques en
situation dynamique, exprimée par la prise de décision, semble
être au centre de l'activité du Roller Street.
48
III.2.4.2. Concentration
Nous présumons que les moments qui
précèdent l'exécution de la tâche nécessitent
un temps de concentration qui permet au Rider d'optimiser ses performances dans
un environnement inconnu. Ce moment est opportun pour qu'il coordonne ses
actions.
Selon William James, psychologue américain, la
concentration « est l'action qui consiste
à tout ramener au centre ». Par extension, elle désigne
« la capacité à centrer et mobiliser ses facultés
mentales et physiques sur un sujet et une action ». Elle implique une
notion de durée et peut, de ce fait, être assimilée avec la
notion d'attention soutenue.
Cette analyse nous permet de vérifier et de valider
cette hypothèse. En effet, comme le verbalise Rider2, la concentration
est d'autant plus forte quand le Rider commence à patiner dans le but de
sauter, la perception que l'on a de l'environnement change : « je fixe
le spot qui bouge pendant tout mon déplacement». Le Rider
expert s'adapte à cette vision déformée, se concentre, et
repère s'il peut ou non sauter : « c'est à ce
moment-là que je décide si je vais vraiment sauter »,
preuve que la décision de l'action se calcule jusqu'à la
dernière seconde avant le saut en lui-même, ou l'absence de
saut.
Se concentrer, c'est donc mobiliser son énergie ainsi
que ses facultés intellectuelles pour réaliser une tâche
donnée. C'est au moment précédent l'exécution de la
tâche que le Rider doit faire preuve d'une grande concentration, le
déroulé de l'action se doit d'être précis. Le Rider
doit faire aussi preuve de connaissances afin de mener à bien les
différentes étapes de sa tâche pour la réaliser de
manière efficace, en coordonnant corps, pensée et action:
Positionner son corps (orientation de l'axe d'arrivée à
15°), réguler sa vitesse, se positionner en l'air en fonction de la
figure à réaliser, sauter sur le murer, se caler pour Slider,
effectuer la figure, anticiper la chute en cas de mauvais positionnement ou
effectuer la réception en cas de réussite de la figure.
III.2.4.3. Une attention nécessaire
Selon Yechiam & Hochman en 2013, l'attention est
considérée « comme une ressource limitée
allouée aux éléments pertinents et non-pertinents à
une tâche donnée ». Le rapport entre attention et
performance indique que « lorsqu'un individu ne prête pas
attention à des éléments pourtant pertinents à la
performance requise, cette dernière diminue » selon Wachtel en
1967.
Les trois Riders se sont abstenus de parler pour
répondre aux objectifs de la tâche de manière performante.
Dans notre étude, aucune interprétation ne peut se
réaliser entre le résultat réussite/échec et
l'attention mise en place.
49
Suite à l'entretien individuel d'autoconfrontation avec
les trois Riders, voici l'explicitation recueillie avec Rider2, expert de 24
ans qui n'a pas validé sa figure :
Interviewer : Nous pouvons voir sur la
vidéo que tu arrêtes de me parler 6 secondes avant de patiner. Le
corps droit, tu regardes au loin le muret ?
Interviewé (rider2) : Tu sais,
ce n'était pas difficile de te parler quand je préparais les
choses, je regardais le muret, les passants, je t'expliquais. La grande
différence est que je n'étais pas dans la véritable
action.
Interviewer : Tu n'étais pas dans la
véritable action, d'après toi ?
Rider2 : « Bah non, à ce
moment-là, on se mouille pas vraiment, puis c'est toujours la même
chose finalement, c'est naturel, on contrôle, on test, on regarde. Mais
quand on doit sauter dans le vide et atterrir sur le muret, ce n'est pas
pareil. Soit tu te cales parfaitement, sinon tu finis direct par terre
».
Interviewer : Donc être attentif et
concentré est important pour toi ?
Rider2 : « On est
obligé, si tu ne l'es pas, tu te fais mal. Si tu l'es, tu peux te faire
mal aussi ». Interviewer : J'imagine que tu es
très concentré quand tu commences à patiner ?
Rider2 : « Oui c'est pire, je
fixe le spot qui bouge pendant tout mon déplacement. C'est à ce
moment-là que je décide si je vais vraiment sauter
».
Les trois Riders de notre étude n'ont pas
verbalisé leurs actions lorsque l'attention requise était
importante. Nous pouvons observer que c'est l'intention consciente ou
inconsciente portée sur un élément, tel que le muret dans
son environnement, qui affecte les comportements mis en place. Le risque
encouru lié à l'enjeu de performance est tel que la concentration
est essentielle au Rider expert. Cette capacité à se concentrer
sur sa tâche et un aspect de l'expertise très important.
Le Rider doit mobiliser toutes ses connaissances en
mémoire pour mener à bien sa tâche. Cet effort
nécessite de la concentration, et non pas seulement de la
dextérité. L'expertise des Riders s'appuie donc sur leur
capacité à développer une grande concentration afin
d'optimiser les performances. Cette concentration permet de comprendre les
informations du terrain, de les mobiliser et de les traduire en
stratégies dans un contexte d'incertitude dû à
l'environnement et à la prise de risque.
50
III.2.4.4. La perception visuelle
Selon le modèle mentaliste de la première
psychologie cognitive, la perception visuelle est envisagée selon la
théorie du filtrage, c'est à dire comme « une sorte
d'ordinateur qui reçoit les informations issues de l'environnement, les
traite successivement (formes, couleurs, mouvements), en passant d'un
traitement de bas niveau (sensoriel) à un haut niveau (cognitif), avec
reconstruction d'images mentales signifiantes ». Une autre approche
en psychologie cognitive, plus récente, considère la vision de
manière plus active, davantage « comme une interaction entre
l'organisme et son milieu ». Selon cette théorie, voir et
regarder, ce n'est pas seulement « traiter des informations »,
mais « puiser des informations dans l'environnement à des
fins utiles, pour agir et réagir
»10.
La perception n'est donc pas un simple reflet de notre
environnement. Le processus de perception s'articule en plusieurs étapes
dont la première est l'analyse du stimulus par notre cerveau, à
partir des différentes régions du cortex:
Cette prise d'informations visuelles se doit d'être
d'autant plus efficace que les incertitudes sont élevées. Le
rider dispose du temps de préparation voulu pour réaliser sa
figure. Cependant, le risque de chute le contraint à anticiper le
devenir de l'action en prélevant des indices visuels pertinents.
III.2.4. Hypothèse 4 : Gestion des risques lors de
la prise de décision
III.2.4.1. Le risque, une appréhension
subjective :
Nous présumons que la capacité à se
préserver du risque par l'adaptation à l'environnement dans
l'action est un indicateurs du niveau d'expertise du Rider. L'analyse
d'activité que nous avons réalisée permet d'envisager le
risque lié à la pratique du Roller Street. Le risque est tout
d'abord rattaché à l'évaluation de la dangerosité
de l'activité, une appréhension subjective. La perception du
risque passe par l'évaluation des propres aptitudes des Riders à
s'engager dans une situation à risque Nous vous proposons un tableau
récapitulatif des motifs de l'engagement chez nos trois Riders experts
durant le protocole expérimental.
10 Michel Denis, La psychologie
cognitive, (dir.), Maison des sciences de l'homme.
51
Tableau : Les motifs de l'engagement (N=3) :
|
|
Motifs de l'engagement
|
Taux d'engagement
|
Motifs intrinsèques = 35
|
%
|
Fierté personnelle
|
15%
|
Recherche de sensations
|
20%
|
Motifs extrinsèques = 42
|
%
|
Regard des autres en
situation
|
13%
|
Regard des autres par
vidéo/photo
|
17%
|
Faire une performance
|
12%
|
Autres motifs = 23 %
|
|
Logique du roller street
|
18%
|
Décision irrationnelle
|
5%
|
|
|
= 100%
|
Les pourcentages de chaque thème sont obtenus de
manière subjectives. Nous avons demandé aux trois Riders de
remplir la colonne « Taux d'engagement » dans le tableau
ci-dessus, en réponse à la question : « Comment
répartissez-vous vos motifs d'engagement » ?. L'exercice de
remplissage s'est réalisé de manière individuelle. Tous
les champs devaient être remplis.
Les Riders sont prêt à prendre des risques pour
les motifs d'engagement suivant :la « recherche de sensations »,
la «logique du Roller Street » et « le regard
des autres en vidéo/photo ».
La prise de risque dans le recherche de
sensations
Le rider, amateur de sensation a été
défini « comme un individu qui a besoin d'expériences et
de sensation variées, nouvelles, et complexes, dans le but de maintenir
un niveau optimum d'activation » (Zuckerman et al., 1972).
En effet, nous pouvons dire que la dimension de prise de risque est incluse
dans la recherche de sensation.
Le regard des non pratiquants
La tolérance aux risques est beaucoup plus
élevée lorsque les bénéfices attendus sont
importants. Selon l'autoconfrontation, les trois Riders ne prennent pas de
risque si personne ne filme leurs figures. Les bénéfices attendus
semblent corrélés avec le regard du public extérieur. Les
trois Riders expriment des bénéfices de type
«reconnaissance » ou encore « appartenance à
un groupe ».
Logique de l'activité
La logique du Roller Street veut que ses usagers anticipent
plus de bénéfice des activités à risque qu'un non
pratiquant (Cf. I.2.4. Le Roller Street, une activité à
risque).
52
Selon les résultats de l'autoconfrontation, faces aux
stimuli de l'environnement, les Riders ont une tendance à
l'investigation, Rider2 : « la phase qui précède la
réalisation d'un nouveau tricks, ou comme dans ton test sur un nouveau
spot est le moment que je préfère. C'est génial de braver
sa propre peur. » Selon Zuckerman, la réaction d'orientation
d'un rider serait associée à l'activation d'un état
affectif positif.
III.2.4.2. Expérience du risque :
L'expérience du risque survient à «
chaque tentative de figure » dans l'action selon rider3, car
« chaque saut peut occasionner une chute en cas de mauvais calage du
roller sur le muret ». Dans la plupart des Slides, la chute
liée au mauvais calage est considérée comme peu dangereuse
par les Riders, car ceux-ci « se rattrapent en roulant dans les
marches en s'appuyant sur le muret ».
La grande crainte des Riders est que la jambe de calage passe
de l'autre côté du mobilier et « qu'on se retrouve le
muret entre les cuisses ou précipité de l'autre
côté, dans le vide ». Comme le soulignait Rider 3,
« il ne faut pas se louper, sinon, c'est la chute ».
III.2.4.3. Evaluation de la prise de risque:
Dans un premier temps, le risque est rattaché à
l'évaluation de la dangerosité de l'activité, une
appréhension subjective. En effet, les Riders évaluent leur
propre aptitude à réaliser une tâche « à risque
». Durant notre protocole expérimental, nous avons interrogé
les sujets sur leurs aptitudes à réaliser un Tricks "soul " sur
le muret présenté. Les trois se sont engagés dans la
conduite.
Les Riders évaluent les caractéristiques de
l'espace pour adapter leurs compétences aux exigences spatiales. Suite
à l'analyse de l'espace, le Rider apprécie le niveau d'expertise
que requiert le spot. Les espaces urbains présentent différents
types de mobiliers, qui peuvent devenir accessibles selon l'expertise du
pratiquant. A noter que les Riders portent des protections aux genoux mais
surtout aux mains. Ces matériaux sont renforcés aux endroits
stratégiques comme la paume des mains.
Nous vous proposons deux tableaux récapitulatifs
ci-dessous. L'objectif de ces tableaux est d'accéder à
l'expérience du risque chez les Riders experts. L'expérience des
sensations fortes, provoquées par la crainte de la chute (Cf. Tableau
1 : Application de figures selon le niveau d'appréciation du
risque), illustre l'omniprésence des risques dans la pratique du
Roller Street. Le risque est perçu et apprécié de
façon subjective selon le contexte spatio-temporel et social.
L'engagement des Riders qui acceptent la perspective de se blesser, que ce soit
un hématome ou une fracture, est motivé par plusieurs facteurs
:
53
Appréciation subjective du risque selon le
spot
|
Application d'une figure selon le savoir
faire
|
Notes
|
Risque bas
|
Très maîtrisé à non
maîtrisé
|
Facilite l'apprentissage
|
Risque moyen
|
Très maîtrisé à peu
maîtrisé
|
Permet l'application de figure validée au premier
niveau de risque (bas)
|
Risque haut
|
Très maîtrisé à
maîtrisé
|
L'évaluation du risque est en continue. Suite
à une réussite, l'appréciation du risque diminue, le
niveau exigé baisse. Alors, une figure plus exigeante, auparavant
pensé comme non réalisable, peut se voir se
réaliser
|
Tableau 1 : Application de figures selon le niveau
d'appréciation
du risque
Pendant l'entretien d'autoconfrontation, nous avons construit
de manière participative cette grille tâchant d'évaluer le
niveau d'activité physique, cognitive et social selon
l'appréciation du risque :
Tâches
|
Activité physique
|
Activité cognitive
|
Activité sociale
|
Réalisation d'une figure
maîtrisée collectivement : "le soul" par
exemple
(annexe 3) SUR
|
|
|
|
un spot à risque bas
|
+
|
+
|
++++
|
un spot à risque moyen
|
+++
|
++
|
++
|
un spot à risque fort
|
++++
|
++++
|
+
|
Tableau n°2 : Niveau d'activité physique,
cognitive et sociale selon l'évaluation du risque collective relatif
à la tâche
54
L'activité experte étant
caractérisée par un « haut degré d'automatisation
», l'activité physique et cognitive des sujets
résistent aux facteurs perturbateurs face à un risque
apprécié faible. Notre protocole exploratoire a défini un
environnement où le risque était fort : Rider3
«ça peut faire des années que l'on pratique, lorsqu'on
est confronté à un nouveau spot de 14 marches, on est vigilant
». Lorsque l'appréciation de niveau du risque augmente comme
dans notre situation, l'activité physique et cognitive augmente elle
aussi : Rider 2 « mes jambes ont tremblé », «
arrivé en bas, on voit que je suis tout perturbé. Je mets mes
mains sur ma bouche là parce que j'ai cru que j'allais me retrouver
à plat ventre par terre, j'ai vraiment échappé belle
».
Pour résumer, le niveau de risque lié à
la tâche détermine les performances de nos sujets dans un contexte
donné.
III.2.4.4. Mise en place de stratégie pour se
préserver du risque
A partir de nos observations, nous nous proposons de vous
présenter des stratégies opératoires de
préservation en situation à risque qui consistent à
anticiper et connaître l'environnement. Voici une construction d'exemples
de danger observés, corrélés à des
risques/dommages/stratégies :
Dangers
|
Risques
|
Dommages
|
Stratégie
|
Hauteur du mobilier Annexe2 :
|
Chutes de l'autre côté du rail/muret
(photo)
|
Hématomes,
entorses, fractures, mort
|
-Protections
individuelles (main, casque)
-Maitriser le
caractère glissant :
produit à déposer sur
le support (glissant/adhérant) -Observer
l'environnement
(végétation, eau, pierre)
|
photographie
|
danger : hauteur
|
|
Vitesse
|
Chutes, glissement
|
-Protections individuels,
-Vérifier les roulements
-Enlever tout type de
dépôt au sol
(branche, feuille, sable)
|
Matières
|
Chutes, coupure,
|
-Maitriser le
|
55
|
glissade, blocage
|
|
caractère glissant :
produit à déposer sur
le support
|
|
|
|
(glissant/adhérant)
|
|
|
|
-Contrôler les angles
|
Usagers
|
Collision, agression,
évitement, écrasement
|
Hématomes, fractures
|
morts
-Bloquer le flux par les collègues
|
III.2.4.5. La prise de décision
Nous vous proposons de visualiser le cycle décisionnel
du Rider expert ci-dessous. La prise de décision d'un Rider est
résumée par la boucle décisionnelle
présentée par la figure ci-dessous. Les perceptions du Rider,
basées sur ses représentations permettent de prendre des
décisions. Ces décisions doivent être traduites en action
au sein de l'environnement. Enfin les actions du rider modifient
l'environnement observé et provoquent, par conséquent, une
modification de l'environnement perçu.
Action
Perception
Rider cccRi
Décision
Figure : cycle décisionnel du rider expert
56
Au regard de cette visualisation du cycle décisionnel
du Rider expert, nous pouvons nous demander comment les informations qu'il
perçoit directement de l'environnement peuvent nous être
traduites. Afin de parvenir à comprendre les processus cognitifs de la
prise de décision, quelle méthode pourrait-on mobiliser afin de
définir les représentations cognitives occurrentes des Riders,
leur traitement des informations perçues et leurs connaissances
d'experts ? Si nous nous inspirons de Serge Baudet dans «
Représentations cognitives d'état, d'évènement et
d'action », l'état initial du système des Riders
experts peut être caractérisable par :
- Leurs structures cognitives types :
C'est à dire leurs connaissances et leurs croyances sur
les caractéristiques de
l'environnement "Spot " dans son ensemble et les connaissances
d'eux même.
- Leurs structures cognitives occurrentes :
C'est à dire le projet de réaliser une figure et la
représentation de la performance par le
collectif.
- Les relations entre ces individus.
- Les contraintes de la situation.
A partir de la notion de représentation occurrente,
nous observons une modification entre l'état A (calage) et l'état
B (glisse). La modification s'est construite à partir des effets
provoqués par le corps du Rider sur le muret lors de l'action de glisse.
Dans cette perspective, la glisse est conçue comme la
matérialisation d'une représentation cognitive occurrente.
La notion d'expérience de l'action comme contenu
représentatif est donc partagée entre représentation
occurrente et la représentation type de l'action, c'est à dire
entre la présentation relative à l'expérience et la
mémorisation relative à l'activité.
Le schéma conceptuel de l'action du Rider expert est
définit entre un évènement mental, tout comme
l'expérience de l'action et un mouvement physique. Nous notons que le
niveau de traitement cognitif de l'action d'un individu illustre le niveau de
difficulté perçu de cette tâche. Par exemple, un Slide
qualifié de moyen niveau par le collectif, va être traité
de manière facile par un expert et difficilement par un novice. En
revanche, la difficulté à construire une explication de son
action va être plus importante pour un expert que pour un novice.
En résumé, les représentations
occurrentes constituent les connaissances en mémoire de travail afin
d'être, d'après Leplat, «instanciées au
réel » et de permettre ainsi au sujet de prendre des
décisions, comme illustrer dans l'exemple ci-dessus, pour engager des
actions nécessaires lui permettant de mener à bien la tâche
en cours.
Au regard de la prise de risque des Riders, et suivant nos
analyses, nous faisons l'hypothèse que le risque vécu dans
l'instant présent, possède du sens pour les Riders. Nous
57
pouvons relativiser cette prise de risque car elle n'est pas
inconsidérée : le risque est limité parce que
maîtrisé. Ce, grâce à la capacité des Riders
à s'adapter aux contraintes et aux caractéristiques de
l'environnement et à maîtriser les figures à
réaliser. Ces dispositions techniques et de compétences en
situation démontrent le niveau d'expertise du Rider. Plus le Rider
maîtrise son environnement et les figures à réaliser, plus
il est en capacité de se préserver du risque, et inversement. En
effet, les Riders experts actualisent en permanence leur potentiel et agissent
en fonction de leur expérience vécue. Alors, nous pouvons
envisager le risque comme un moyen de cette actualisation permettant le
développement de compétences. Nous pouvons donc valider notre
hypothèse.
IV. Discussion des résultats
Suite aux entretiens d'autoconfrontation et de la TPC, nous
avons eu recours à une méthode d'analyse en psychologie cognitive
appelée Méthode Analytique Descriptive ou MAD. Cette
méthode nous permet de proposer un schéma récapitulatif du
processus cognitif du Rider face à une nouvelle situation. Ce
schéma a été validé par les Riders après sa
réalisation.
Il s'agit d'un schéma récapitulatif de la prise
de décision chez le Rider expert face à une nouvelle situation,
comme dans notre protocole exploratoire. Ce schéma a été
réalisé grâce aux données récoltées
lors du protocole expérimental et lors des entretiens
d'autoconfrontation.
Ainsi, nous avons pu illustrer à travers cette MAD, un
processus décisionnel plus fidèle à celui des Riders. Ce
schéma MAD, permet de segmenter les différentes actions afin de
formaliser la description des tâches.
MAD Version 2, Prise de décision d'un Rider Expert face
à une nouvelle situation
Slider un nouveau muret
Observer le milieu
Déplacement aller/retour entre zone de départ
et zone de saut
Balayer
Simulation de la tâche
58
|
Avancer jusqu'au muret
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Avancer
|
Apprécier des
caractéristiques du muret
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Reculer
|
Agir sur son propre corps
|
|
|
|
Inclinaison du corps à 15°
|
|
Réguler sa vitesse
|
|
|
|
|
|
Anticiper
|
Sauter
Prévoir l'impact
Positionner en l'air
Si
Mauvais calage
Calage
Echec
Réussite
Chute
Anticiper la chute
Non chute
De manière subjective Par le collectif
Validé
Arrêt
Non validé
Retour sur évaluation de la tâche
réalisée au vu du but à atteindre
Recommencer
|
Evaluation d'un nouveau Slide
|
59
Nous nous sommes proposé d'analyser l'activité
de pratique de Roller Street experte en milieu urbain. Nous avons porté
notre étude sur l'activité du pratiquant de Roller Street,
appelé Rider et plus particulièrement sur son activité
cognitive au cours de la tâche de préparation à
l'exécution d'une figure au sein d'un environnement inconnu. Suite
à l'analyse de la littérature croisée à une
étude exploratoire sur le terrain, nous avons défini un
périmètre d'analyse et un objectif de recherche:
Périmètre : Analyse de l'activité de
préparation du Rider expert.
Objectif : Comprendre son activité cognitive au
cours des tâches de préparation à l'exécution d'une
figure sur un mobilier urbain.
Nous pouvons, au regard de notre travail, vérifier que
ces dispositions de départ ont été respectées.
Notre problématique initiale interrogeait la gestion des risques lors de
la prise de décision au sein de la pratique du Roller Street, le risque
étant des éléments saillants de l'activité du Rider
expert, repérés lors de nos entretiens exploratoires de terrain
:
« Comment s'établie l'orientation de l'action
en situation dite "à risque " en Roller Street ? »
Afin de répondre à cette problématique
initiale, nous vous avons proposé une hypothèse exploratoire.
Notre analyse se proposait donc de démontrer que c'est bien :
"La capacité d'adaptation, tant physiologique que
cognitive, associée à l'entrainement
qui permet la performance, et donc détermine le
degré d'expertise du Rider".
|
Dans l'ensemble, les résultats que nous avons obtenu
grâce à notre protocole expérimental contribuent à
expliquer le processus cognitif des décisions individuelles des Riders
experts ainsi que le contexte d'incertitude dans lesquelles elles sont
prises.
Nous avons tenté, lors de notre démonstration,
de décrire l'activité cognitive au regard de l'exigence de la
pratique et les ressources cognitives des sujets dans un environnement qui
comprend une part d'incertitude.
Nous avons également tenté de décortiquer
la prise de décision qui s'exprime par l'adoption de stratégies
différentes en réponse aux objectifs de performance et des
contraintes de la tâche, déterminés par les
représentations occurrentes des Riders. Ainsi, nous avons analysé
la phase précédant le saut, la préparation à
l'exécution de la figure. Pour chaque action, chaque verbatim que nous
avons jugé utile de mettre en avant, nous avons tenté de vous
60
proposer une hypothèse et de la valider afin de
comprendre d'un point de vue global les ressorts de l'orientation de l'action
chez le Rider expert en Roller Street. L'objectif était toujours
d'interroger nos hypothèses afin de les confirmer ou de les infirmer.
Nous avons ainsi tenté de démontrer que c'est la
capacité d'adaptation, tant physiologique que cognitive, associée
à l'entrainement qui permet au Rider de performer, et, de fait,
détermine le degré d'expertise du Rider. Cette capacité
d'adaptation s'exprime chez le Rider de différentes manières. Par
l'apprentissage, dans le collectif notamment, le Rider expert est en
capacité de prendre des décisions en gérant le risque pour
permettre une exécution de la figure sûre, tout en
préservant un équilibre entre ses ressources cognitives et ses
exigences de la tâche.
Nous avons souligné que dans les situations
d'incertitudes, la prise de décision du Rider expert se réalise
en fonction du gain potentiel, et ce de manière proactive et
systématique. La préparation du Rider favorise la performance,
performance liée à la réussite de la figure ainsi
qu'à la préservation de la santé. Les savoir-faire de
prudence acquis lors de l'apprentissage de la pratique et au sein du collectif
sont déterminants quant à la préservation de la
santé physique et psychique dur Rider expert.
Ainsi, nous avons mis l'accent sur les représentations
occurrentes qui amènent à définir les objectifs de la
tâche au vu de l'environnement. Notre étude tente de mettre en
évidence, les stratégies opératoires
préférentielles des sujets experts dans un contexte d'incertitude
et la capacité d'adaptation relative à l'expertise. Cette
capacité d'adaptation par la compréhension de l'environnement, de
la tâche aux enjeux conditionne la performance dans l'exercice de la
pratique.
Aussi, nous pouvons nous demander quelle est l'incidence de
l'expertise des Riders sur l'utilisation des différentes
stratégies. L'analyse suggère qu'un Rider expert, dans un nouvel
environnement, possède des stratégies automatisées, sans
prendre en considération les informations dans l'environnement. Pour
approfondir cette question, une étude expert/novice des pratiquants de
Roller Street peut être proposée.
61
Conclusion et Dimension réflexive
Analyser la pratique du Rider en Roller Street n'était
pas un exercice facile, et cela pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, l'aborder sous l'angle de la psychologie
cognitive était un exercice difficile car nouveau au vu de mon parcours
universitaire en STAPS. L'étude s'est construite sous l'angle
anthropologique. Nous avons analysé les systèmes socio-techniques
afin d'étudier la gestion des risques. En effet, nous avions besoin de
comprendre les stratégies des acteurs, pas seulement à partir de
la connaissance des exigences et des contraintes du système, mais aussi
par une analyse de l'activité comprenant une dimension socio-technique.
Il a donc fallu passer un certain temps sur le terrain et croiser cette analyse
terrain à la littérature scientifique. Nous nous sommes beaucoup
documenté sur la littérature cognitive afin de
rééquilibrer ce penchant anthropologique à la psychologie
cognitive.
Ensuite, cet exercice d'analyse d'une activité experte
était nouveau, tant du point de vue de la méthodologie à
appliquer que de la recherche à proprement parler.
Nous en retirons plusieurs bénéfices. Le Roller
Street est une activité que nous avons pratiquée plus jeune. Cet
exercice était donc l'occasion de nous interroger sur cette pratique en
générale et sur notre propre pratique. D'un point de vue
méthodologique, il s'agissait de prendre une distance nécessaire
avec l'activité afin de l'analyser et de l'interroger de manière
distanciée pour ne pas biaiser les résultats. Cela a
été d'une grande richesse, et d'un point de vue d'apports de
connaissances en psychologie cognitive, et du point de vue de l'activité
en elle-même. En effet, cela nous a permis de prendre conscience des
enjeux de la pratique du Roller Street selon d'autres perspectives, ce qui
était très enrichissant du point de vue personnel.
62
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64
Annexes
Annexe 1 : Entretien exploratoire, une finalité de
pratique différente : Hypothèse 1 : la finalité de la
pratique est différente pour chaque Rider.
- Rider 1: « le but est de pouvoir appliquer
ce que j'arrive à faire en Skate Park. Il faut faire en sorte de se
dire, c'est la même chose, c'est l'angle du muret qu'il faut viser comme
sur les modules en bois. Tout le reste est secondaire, il faut se concentrer
sur une chose, le muret ».
- Rider2: « mon objectif n'est pas de
réussir à Slider le Curb (muret) mais d'avoir le rendu le plus
parfait pour moi. Réussir une figure sur le muret n'est pas un exploit
en soi. On peut réussir une figure très difficile et avoir un
rendu moche. Je préfère donc réaliser un Slide plus simple
mais avec plus de style. »
- Rider3: « J'aime prendre beaucoup de vitesse
lorsque je saute sur un muret, les sensations sont décuplées. Par
contre il ne faut pas se louper, il faut viser tout juste, sinon c'est la chute
tout en bas. Selon la motivation, l'enjeu, le monde autour, j'aime me provoquer
et pousser mes limites. Ça permet d'avancer, de progresser et surtout de
s'amuser. »
Nous pouvons constater, au regard de ces verbatim, que les
Riders ont en effet une vision de la pratique différente, e l'envisage
sous un angle différent du point de vue de sa finalité :
Rider 1 pense "reconnaissance générale et
performance " :
Pour Rider1, il s'agit d'adapter sa pratique au contexte. Ce
Rider a appris la pratique au sein des espaces multi-glisse. Il doit donc
adapter ses compétences et son regard au spot urbain qu'il a en face de
lui. C'est donc davantage l'idée de performance qui prime pour lui dans
cette situation.
Rider2 pense "reconnaissance vidéo et apport
stylistique à la figure " : Rider 2 souhaite réaliser une
figure de qualité, c'est à dire visant à être la
plus claire, la plus propre, la plus définie possible, qui sera
évaluée par lui-même et les pairs comme
`'stylée», quitte à baisser le niveau de la figure.
Rider3 pense "recherche de sensations et reconnaissance des
autres en situation ":
Rider3 opte pour une pratique développant les
sensations. Les sensations ont diminuées depuis ses débuts dans
la pratique. Rider3 est confronté à "une perte des sensations",
phénomène fréquent dans les sports à haute
technicité, comme par exemple la gymnastique, le plongeon ou le
trampoline. Pour Rider 3, la chute est définie comme un échec, la
figure ne peut alors être validée. La dimension collective est au
centre de son activité. Il verbalise d'un côté
65
ses motivations personnelles ; progresser, s'amuser, avancer,
expérimenter ses limites, décupler ses sensations ; d'un autre
côté l'importance de la dimension collective en Roller Street :
« enjeu », « le monde autour ».
Annexe 2 : Classification des tricks
Figure/Mode
|
Simple
|
Alley-oop
|
True Spin
|
Regular
|
Top
|
|
|
|
Makio
|
Top Makio
|
|
|
|
Mizoo
|
Top Mizoo
|
|
|
|
Pornstar
|
Top Pornstar
|
|
|
|
Soul
|
Top Soul
|
|
|
|
Acid
|
Top Acid
|
|
|
|
Couleur blanche : facile Couleur orange : moyen Couleur rouge
: difficile Par exemple, voici la figure « soul » :
Spot
1
Annexe 3 : étude exploratoire, l'apprentissage
par l'observation
Durant notre phase d'étude exploratoire, nous avons
observé l'activité collective du Roller Street. Le Roller Street
est qualifié d'activité individuelle alors qu'elle se pratique le
plus souvent en groupe. La répétition du geste permet
d'appréhender et d'actualiser à chaque fois l'action. Pour
approfondir le sujet, nous constatons que cette répétition du
mouvement juste, de la position optimale est complétée par
l'observation du collectif en action, ce qui nourrit le processus
d'apprentissage.
En effet, l'observation des autres Riders exerçant sur
le même spot permet d'alimenter la construction de la
représentation du milieu. D'après nos observation durant les
entretiens exploratoires (cf. partie I. théorie), ce constat n'est pas
le même pour les spots qualifiés à faibles risques. Les
Riders se succèdent de près et ainsi développent un
nouveau risque : la collision. L'apprentissage par l'observation collective est
ainsi faible et se réalise lors du retour principalement au point de
départ (1).
67
Etude exploratoire, une fonction de "transmetteur de savoirs"
Les Riders plus expérimentés ont bien souvent une
fonction de formateur auprès des novices. Les entretiens exploratoires
réalisés sur le terrain soulignent la manière dont les
novices sont intégrés par les groupes. Souvent pratiquant des
Skate Parks, le novice est confronté à une évaluation de
son intégrabilité par les experts. Sa volonté et sa
démarche individuelles pour s'insérer et s'adapter au groupe
conditionne le processus d'intégration à ce groupe.
En effet, le novice encore en phase d'apprentissage
développe des formes d'expression plus proches du fitness que du Street.
Au début de la pratique, les novices déambulent dans les Skate
Park. La fréquence de pratique conditionne l'intégration du
novice au sein des groupes. Ainsi, la transmission des savoir-faire passe par
une étape d'intégration. Le novice doit alors, avant même
d'être formé par ses pairs, s'exposer aux premiers types de
risques liés à la pratique.
Une fois intégré, les novices se forment sur la
base d'apprentissage du mimétisme ou encore de conseils partagés.
Les experts peuvent ainsi être désignés comme « tuteur
de sécurité » auprès de leurs jeunes pratiquants.
Dès lors, les Riders novices qui fréquentent une zone
multi-glisse réglementée ont la forte probabilité de
bénéficier d'un encadrement informel pour apprendre à
connaître les risques (observations, interactions, conseils), les mesures
de prévention et les comportements de sécurité afin
d'ajuster le risque et la figure à réaliser.
Annexe 4 : Illustration d'un anti-skate
68
Annexe 5 : Modèle de prise de décision,
dit de l'échelle double (Rasmussen, 1986).
69
Le "modèle de Rasmussen " (1986) caractérise la
prise de décision non plus comme séquentielle jusqu'à
alors mais comme huit niveaux de résolution de problème avec des
" court-circuits ". L'organisation de la prise de décision est pour lui
sous forme d' « échelle double ». Plus l'échelle est
longue et plus le temps de la prise de décision est long et inversement.
A la base de l'échelle, des étapes d'activation et
d'exécution sont rattachées à un niveau de
régulation par des automatismes. Les étapes d'observation,
d'identification, de sélection de la procédure et du but se
situent à un niveau régulé par des règles. Enfin le
sujet interprète, évalue au niveau le plus haut
régulé lui par des connaissances (Cf. Annexe 1 : Modèle
de prise de décision, dit de l'échelle double (Rasmussen, 1986).
»
Annexe : Quelques notions
Cognition : acquisition, traitement, conservation,
récupération, utilisation des connaissances par un sujet naturel
ou artificiel. Son étude a pour objet de décrire, d'expliquer et
le cas échéant de simuler les principales dispositions et
capacités de l'esprit humain. Son étude peut concerner l'homme,
les animaux ou les systèmes artéfactuels (ordinateurs).
Perception, traitement de l'information
La perception est l'ensemble des mécanismes de traitement
des informations sensorielles extéroceptives (les cinq sens) et
proprioceptives (perception de l'activité propre du corps) qui permet
à un organisme vivant d'acquérir des connaissances sur son
environnement et sur son activité propre, d'y agir en contrôlant
ses actions de manière à assurer sa survie et son adaptation
à cet environnement.
Une perception est ressentie comme immédiate. En
réalité, le temps stimulus-réponse dure quelques dizaines
de ms. C'est le temps de réaction TR. Il est proportionnel à la
complexité des traitements.
L'information
L'information est l'ensemble des signaux qui sont le support
des messages. Dans la théorie de l'Information (Shannon), c'est une
quantité qui réduit l'incertitude.
INFORMATION (signes, code) ? MESSAGE (interprétation).
L'expérimentation
Le but de l'expérimentation en psychologie est de
provoquer un comportement dans des conditions spécifiées selon
une consigne donnée pour tester la validité d'une
hypothèse. Facteurs : ce sont les variables indépendantes
choisies par l'expérimentateur pour provoquer un comportement.
Variables dépendantes : comportement de réponse du
sujet.
Derrière toute expérience, il y a un contrôle
de tous les facteurs mis en jeu.
Annexe 6 : danger hauteur
Annexe 7 : Esquisse de MAD, Version 1. Prise de
décision d'un Rider Expert face à une nouvelle situation
70
« Muret en descente »
|
Slider un nouveau
|
Evaluer le risque
Identifier les intentions
|
|
|
|
Observer le milieu
|
|
Caractériser le spot
|
|
|
|
|
Anticiper
|
Prévoir les conséquences d'un slide
|
|
|
|
Evaluer plusieurs slides en relation
|
|
avec les contraintes du milieu
|
|
71
Répondre au but ultime : slider le muret
Prévoir le slide
Interpréter les conséquences
Prévoir un slide de niveau moyen
Simulation de la tâche
Avancer
Reculer
Inclinaison du corps à 15° Anticiper
Avancer jusqu'au muret
Apprécier des caractéristiques du muret
Agir sur son propre corps
Réguler sa vitesse
Sauter
Prévoir l'impact
Positionner en l'air
Mauvais calage
Si
Calage
Echec
Réussite
Anticiper la chute
Chute
Non chute
Retour sur évaluation de la tâche
réalisée au vu du but à atteindre
De manière subjective Par le collectif
Non validé
Validé
Arrêt
Recommencer
Evaluation d'un nouveau Slide
72
Annexe 8 : l'automatisation
Piéron distingue « des automatismes primaires,
innés, et des automatismes secondaires, acquis ». Lautrey,
définit l'automatisation comme ceci : « En psychologie
cognitive, le traitement automatique de l'information est
généralement caractérisé par l'absence de
coût attentionnel, l'absence de contrôle, l'absence de conscience,
le parallélisme des opérations et la rapidité
d'exécution.». Dans les années 1880, John Hughlings
Jackson, médecin anglais, insistait sur « la dissociation
automatico-volontaire dans le comportement » et avançait
l'hypothèse de l'existence de mécanismes cérébraux
dans les processus automatiques. Selon Leplat, il est difficile de
définir l'automatisation car « le caractère automatique
est lié à des mécanismes internes qui ne sont pas
directement observables, mais doivent être inférés
».
Perruchet (1988) attribue une place particulière
à l'inconscience dans le processus d'automatisation: le mouvement est
« opérationnalisé par l'incapacité des sujets
à verbaliser, ou plus généralement à
témoigner intentionnellement par une réponse symbolique de la
nature d'un processus ou d'un événement ». Ainsi,
Wallon (1942) avait déjà noté qu' « il arrive que
la conscience n'ait plus part à des processus dont les termes avaient
une valeur représentative mais l'ont perdue ». On peut
expliquer le phénomène des mouvements devenus automatiques de
cette manière, et leurs liens avec la notion de compétence.
Annexe 9 : Mimétisme, apprentissage par
observation et imitation
Suite aux entretiens menés en phase exploratoire, nous
constatons que la forme d'apprentissage dominante dans la pratique du roller
est le mimétisme : « Il s'agit sans doute d'un puissant moyen de
sélection et d'adaptation que l'on rencontre dans toute la chaîne
du vivant. », d'après le directeur de recherche au CNRS en 1997,
Pierre-Marie Baudonnière.
D'une part, nous observons un mimétisme " instinctif "
ou de type "facilitation sociale " qui se caractérise par une tendance
à copier des mouvements, des postures sans véritable
intentionnalité consciente. Le roller est une activité sportive
individuelle qui se met en représentation publique, c'est à dire
très souvent devant des usagers de la ville, endossant le rôle de
spectateur. Les Riders se placent souvent dans des lieux très
animés, à la limite du dangereux, comme nous l'avons vu (cf I.
Théorie).
Lors des manifestations de masses comme les Contest, le
mimétisme s'opère de manière très prononcé.
En effet, « le mimétisme est particulièrement
ancré dans les phénomènes de foule [...] concerts de rock,
meeting politiques» d'après Baudonnière. Il confronte
le mimétisme à l'imitation. Il convient de définir la
distinction entre mimétisme et imitation pour comprendre ce
phénomène. Ce qui différencie l'un de l'autre est que
l'imitation suppose une sélectivité.
L'imitation suppose une intentionnalité. Rider 2 :
« J'adore ce pro-Rider (Alex Broskow), son style fluide, précis,
rapide comme un félin. Je regarde toutes ses vidéos, ça me
donne
73
souvent des idées pour les reproduire, enfin essayer de
reproduire (rire) ». Ainsi Rider 2 sélectionne qui
précisément imiter : « on n'imite pas n'importe qui,
n'importe quoi, n'importe quand, ni n'importe où », toujours
selon M. Baudonnière.
Ainsi, l'apprentissage se fait par observation. Plus que le
mimétisme, Baudonnière affirme que «dans l'apprentissage
par observation, seuls ses comportements sont intéressants
indépendamment des intentions de celui qui les produit. »
L'imitation génère une relation Maître /
élève dans le cadre de la transmission de savoirs entre
pratiquants. Ainsi, d'après Lev Vygostski, l'imitation représente
une base certaine de développement individuel et continu («
zone proche de développement »).
74
Glossaire
Le Street : Le Street comme son nom l'indique se
pratique dans la rue. Le rider se sert de la ville et de ses infrastructures
pour le transformer en terrain de jeu.
Agressive: L'aggressive est la discipline de
roller qui regroupe l'ensemble des catégories un peu plus
risquées (violente) : Street, Skate Park
Skatepark: Le Skate Park est un lieu
essentiellement destiné à la pratique du roller, du skateboard ou
du BMX.
Les Slides: Il s'agit de glisser sur une barre
en fer ou d'autre matière à l'aide de la platine située
autour des roues. Il existe plusieurs types de Slides. Les Slides se pratiquent
sur toutes sortes de barres, qui peuvent être sur le module, ou au sol,
ou sur un Curb (muret) et parfois même, des rampes d'escalier sont
utilisées à cet effet.
Soul : une figure qui consiste à placer
le roller gauche sur l'angle du muret et roller droit calé
perpendiculairement au gauche ou inversement selon le côté
préféré du rider
Les sauts ou "jump": Un saut consiste à
ce que les deux patins décollent simultanément du sol. Le
patineur peut réaliser des rotations, pouvant aller de 180, à
1280 pour les patineurs virtuoses.
Spot : Lieu particulièrement favorable
à la pratique d'un sport de plein air, plus particulièrement un
sport de glisse.
Crew : Equipage, bande.
Tricks : figure réalisée par le
rider.
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