1.1.6. Présentation des théories et des
concepts liés à l'étude
1.1.6.1 Présentation des
théories en rapport avec l'objet d'étude
Ø Le déterminisme et le
naturalisme
Le déterminisme est une théorie
énoncée pour la première fois par Laplace (1776) et
largement exploitée en philosophie. Il a été introduit
dans le milieu géographique par les auteurs allemands tels que, Ritter
(1779 - 1859) ; Ratzel (1884 - 1904).
Ce courant de pensée appliquée en
géographie renvoie à un postulat qui accorde une place
prépondérante au milieu naturel dans l'analyse et l'explication
des sociétés (Berdoulay V., 2005). Cette théorie accorde
notamment une grande part à l'influence des éléments
naturels sur les paysages et sur les sociétés humaines. Dans
cette optique on peut comprendre et analyser les dislocations paysagères
en milieu urbain (quartiers riches ; quartiers pauvres) ; par des
contraintes naturelles qui s'y exercent. Bien plus le déterminisme
étant soutenu par la loi de causalité, tout espace soumis aux
mêmes conditions naturelles devrait en principe avoir des paysages
identiques. En considérant l'urbanisation de la ville de Douala on
s'aperçoit bien qu'il y a une forte ressemblance physionomique entre
certains quartiers spontanés de la ville. En sachant que ces quartiers
répondent aux mêmes conditions topographiques (bas fonds) ;
édaphiques (sols hydromorphes) et climatiques ; ne faut-il pas
penser qu'il y a là une mécanique sous - jacente en action
(causalité) attribuable au milieu naturel ? Bref, ne peut - on pas
conclure à un résultat de cause à effet ? Sans verser
dans un déterminisme arriéré nous voulons simplement
comprendre le poids du milieu naturel dans la production des quartiers à
habitat précaire.
En rapport avec l'objet d'étude, cette théorie a
fortement imprégné le courant naturaliste de l'approche du
risque, forgée par les auteurs anglo-saxons. En effet, pendant longtemps
la démarche explicative des catastrophes naturelles consistait à
les présenter comme la déclinaison de la toute puissance de la
nature « natural uncotrollable physical events »
(Pigeon P., 2002). Dans cette trajectoire, l'ampleur des dégâts
est intimement liée à l'intensité du
phénomène naturel contre laquelle la société ne
peut rien faire. De là, s'élabore le concept de
« natural hazard » dont le contenu, exclut la
société de la dynamique de l'aléa.
Même si elle peut être crédible cette
théorie comporte plusieurs failles dont la plus prononcée est
« sa méconnaissance des processus humains sur le
risque » (White G., 1936) et les capacités psychiques,
intellectuelles et technologiques de l'homme à dépasser
l'aliénation ou la tyrannie de la nature. D'où
l'intérêt pour la vulnérabilité (Veyret Y.,
2004).
Ø Théorie de la formation socio -
spatiale et le constructivisme
La théorie de la formation socio spatiale sera la
clé de voûte de ce travail.
En effet comment donner un visage aux risques sur lesquels
nous planchons, ou du moins comment les comprendre et les maitriser si un
effort de territorialisation des phénomènes en question n'est pas
réalisé ? En ce sens, pour mieux inscrire les risques
étudiés dans le territoire nous allons recourir à
l'approche de Di Méo G. (1998) qui envisage le territoire sous ses
aspects superstructurels et infrastructurels.
Il est question, dans un premier temps, d'une instance
immatérielle du territoire se déclinant en deux dimensions :
idéologique et politique.
La sphère idéologique englobe l'ensemble des
héritages culturels, cultuels, moraux... plus au moins positifs qui
déterminent la mise en valeur d'un espace. Ce processus peut se traduire
par des signatures spatiales (emblèmes, symboles, pratiques....), qui
trahissent non seulement les perceptions qu'ont les groupes sociaux de leur
espace de vie mais aussi le lien qu'ils entretiennent avec ce même
espace. Partant de là et en s'appuyant sur une démarche
phénoménologique -- qui, à partir des faits rend compte
des mobiles qui les ont préalablement déterminés -- nous
pourrions établir le rapport que la population cible entretient avec le
milieu naturel.
Sachant que le territoire cristallise toutes les intensions de
développement, la contrainte posée par les risques hydrologiques
peut enrayer cette dynamique d'autant plus que nous sommes en milieu urbain.
Alors un territoire urbain à risque oblige nécessairement une
gestion spécifique. C'est ainsi que la puissance publique chargée
de garantir la sécurité et le bien être des
collectivités doit s'employer à fixer des règles
normatives (régime foncier, Plan d'occupation du sol, schéma
directeur, permis de bâtir...) dont la visibilité spatiale
témoigne du niveau de territorialisation des risques hydrologiques
étudiés.
Dans le cadre de ce travail, on peut s'interroger sur le poids
des décisions qui relèvent de la sphère politique sur
l'évolution du territoire que nous étudions. Car de
l'efficacité de ces mesures dépend la limitation des dommages
causés par les inondations et les remontées de
capillarité.
Au total tout territoire relève d'abord de
l'idéel où des considérations idéologiques et des
décisions politiques s'entremêlent pour produire une vision d'un
objet identitaire qui s'inscrit aisément dans l'échelon local,
régional, national ou international.
Toujours selon la théorie de la formation socio -
spatiale le territoire dans sa dimension géographique comporte une
facette physique qui est le milieu naturel et une facette économique qui
est l'espace produit (Leberre M., 1991).
Le milieu naturel est fait de ressources valorisables et, leur
mise en valeur demeure tributaire des représentations et de la
règlementation en la matière. Il est à souligner que
l'abondance d'une ressource peut rendre un milieu moins attractif en raison du
niveau de développement technologique ou des perceptions des groupes
sociaux sensés le valoriser.
Ainsi on peut comprendre que notre zone d'étude aux
sols hydromorphes (gorgés d'eau), soit considérée comme
répulsive par certains (natifs et classe bourgeoise) et très
attrayant pour d'autres (migrants et classes défavorisées). Force
est de reconnaitre que ce milieu où plane les risques hydrologiques est
une niche idéale pour les populations économiquement
marginalisées, car loin de tout contrôle, elles peuplent des
espaces à risques. De toute évidence les catastrophes qui
découleront de l'occupation de l'espace à risque ne pourront
logiquement être taxées de naturelles.
De ce constat nait le constructivisme, qui entrevoit le risque
comme le fruit d'un construit social où le phénomène
naturel n'est qu'un facteur et non une cause. Cette dernière doit
être recherchée dans les représentations, les perceptions
et les discours que le corps social tient sur le risque. Selon cette
théorie les déterminants de la vulnérabilité de la
société face aux risques s'expriment par les déterminants
sociaux (héritage colonial, représentation symbolique, niveau de
vie...) et même politiques (discours, actions, gestion...) Rebotier J.,
(2011).
Dans le cadre de cette étude nous prendrons en compte
d'une part la perception du risque dans la zone d'étude et d'autre part
les logiques et les pratiques des groupes sociaux face aux contraintes du
milieu physique. Cela nous permettra d'apprécier le niveau de
territorialisation des risques hydrologiques étudiés.
Ø Le structuralisme et l'individualisme
méthodologique
Le structuralisme est développé par le linguiste
Saussure (1916). Il sera repris et divulgué par l'ethno anthropologue
Levi - Strauss C. (1950). Il se construit autour de l'idée que tout
phénomène s'inscrit dans un système ou une structure selon
des lois plus au moins explicites. Alors il suffit parfois de remonter à
l'idée inconsciente qui dicte chaque phénomène pour
obtenir un principe d'interprétation pouvant se
généraliser à d'autre cas.
Cette théorie fait son apparition en géographie
récemment. Elle considère « qu'une catégorie
de faits doit être étudiée selon un ensemble
organisé, structuré ». (Bailly A. et Al., 1997).
Pour donner à cette théorie une force opérante, il serait
primordial d'établir des « invariants, des fondamentaux
qui ont une signification pour la connaissance des systèmes sociaux et
spatiaux ». (Bailly A. et Al 1997). Ainsi l'analyse de la
structure socio - économique du groupe évoluant sur l'espace
étudié permettra d'avoir une idée sur le profil mental des
populations de Nkolmintag, Nylon et Tergal. D'autres théories
complètent celle du structuralisme.
La théorie de la praxis vient du néomarxiste
Althusser (1965). Elle affirme qu'il y a une relation dialectique entre d'une
part l'homme et la nature et d'autre part l'homme et l'environnement social. Ce
paradigme voudrait que l'homme, en transformant la nature et l'environnement
social par son travail, finisse par se transformer lui - même. Cela
pourrait expliquer le fait que les populations de la zone d'étude, en
viabilisant le milieu naturel et en exerçant une activité
économique cherchent à s'arracher définitivement aux
structures écotopiques (climat, inondations, maladies) et socio -
économiques (pauvreté, marginalisation, classes) parfois
oppressantes.
La théorie de l'habitus de Bourdieu P. (1979)
correspond à une capacité acquise socialement par un individu et
qui lui permet d'avoir la réaction immédiate et approprié
à un environnement. Selon cette théorie bourdienne quand
l'habitus est atteint, tous semble naturel à l'individu. Celui-ci peut
alors effectuer des choix correctes c'est - à - dire ceux conformes
à son ethos (la culture de son groupe). D'un point de vue
géographique il s'agit simplement du degré d'appropriation de
l'espace par un individu et des liens sociaux qui en découlent.
Selon certains auteurs, le structuralisme ou l'holisme conduit
à de redoutables à priori. Pour eux les contraintes
sociales présentes, agissent exclusivement sur les individus qui sont
impliqués dans la relation « Intention -
action », de ce fait un individu n'ayant pas
« d'intentions » n'est soumis à aucune
contrainte (Boudon R. et Al., 1982).
Il est donc important de s'intéresser aux
« micro comportements »pour comprendre et
expliquer certains phénomènes. En rapprochant cette
théorie de notre sujet d'étude cela nous aidera à mettre
en évidence les logiques individuelles des populations qui vivent dans
la zone. On constate justement qu'en fonction des individus cet espace est
choisi suivant une stratégie de lutte contre la pauvreté ;
ou de recherche d'un logement individuel, ou encore de recherche de
proximité par rapport au centre ville.
Toutes ces théories nous aideront à mettre en
relation les phénomènes sociaux associés aux risques et
les doctrines épistémologiques qui les expliquent
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