3. Etat de l'art
3.1 Discussion des concepts
Dans cette partie, il s'agit de faire une analyse des mots
clés, pour bien élucider la question posée, qui porte sur
l'étude des mutations dans la gestion de l'élevage bovin, dans la
moyenne vallée du fleuve Sénégal, à
l'échelle de la communauté rurale de Guédé-village.
Le dictionnaire de la géographie de Pierre George et le dictionnaire
Universalis (2011), nous ont servi de supports d'analyse de ces concepts.
La gestion renvoie à l'art de gérer (Universalis
2011). Il est donc l'ensemble des pratiques sur lesquelles un individu ou un
groupe s'entend préserver, exploiter et utiliser ses ressources.
Les mutations sont définies comme l'ensemble des
transformations ou des changements intervenus.
En résumé, les mutations dans la gestion de
l'élevage bovin désignent les changements intervenus dans la
pratique de l'élevage bovin, étudiés à
l'échelle de la communauté rurale de Guédé-village.
Cette dernière est une collectivité locale promulguée par
la loi 72-02 du 11-021972, dans le cadre de la politique de l'Etat du
Sénégal de la décentralisation.
3.2 Discussion des théories
Notre thème de recherche qui porte sur l'élevage
bovin, est l'objet de réflexions et de discussions dans des approches
géographiques, sociologiques, économiques et agronomiques .Il a
intéressé les décideurs politiques et des chercheurs.
C'est le cas au Sénégal, particulièrement dans la
vallée du fleuve où beaucoup d'études ont
été portées sur l'élevage pastoral. Ces
études, varient en ouvrages généraux, articles
scientifiques, présentés à des colloques le plus souvent
mais aussi, des thèses et mémoires en géographie. Parmi
ces documents on peut citer :
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« La carte de l'élevage pour le
Sénégal et la Mauritanie » de François Bonnet
Dyperon. Effet, cet ouvrage qui date 1951, nous fait une présentation de
l'élevage. Il nous donne tous les éléments descriptifs de
l'élevage pastoral au Sénégal : son histoire, le
système de production dans le passé, avec des cartes de
localisation à l'appui. Ainsi, ce document à l'heure actuelle,
nous permet d'analyser et d'apprécier l'évolution de
l'élevage pastoral dans la moyenne vallée du
Sénégal de, 1951 à nos jours.
Faire une revue documentaire sur l'élevage pastoral
dans la vallée du Sénégal, sans citer les oeuvres
multiples de Christian Santoir, peut être synonyme d'une
compréhension limitée du sujet ; vu les productions scientifiques
qu'il a fourni sur l'élevage dans la vallée du fleuve
Sénégal. Parmi ses travaux on a : «
l'espace pastoral dans la moyenne vallée du fleuve
Sénégal » en 1979, « Décadence et
résistance du pastoralisme : les peulh de la vallée du fleuve
Sénégal » en 1994, « Raison pastorale et politique de
développement : les peulh face aux aménagements » en 1983,
« une ressource durable : l'élevage chez les villageois du Fouta
(vallée du fleuve Sénégal) » en 1997. Ainsi, à
travers ces travaux de Christian Santoir, nous avons eu connaissance de
l'élevage, particulièrement sur le système pastoral des
peulh éleveurs dans notre zone d'étude. Il n'a cessé de
présenter et d'expliquer l'évolution relative à la
pratique de cette activité, dans la vallée du
Sénégal. En effet, dans sa présentation de
l'évolution de l'élevage, l'auteur montre que la pratique de
l'élevage dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal,
qui depuis longtemps est considéré comme moyen de subsistance des
éleveurs, était basée sur une
complémentarité des ressources entre le waalo et le
jeeri. En saison des pluies, les éleveurs de la vallée,
remontaient dans le jeeri où le pâturage était
abondant, et revenaient dans le waalo en saison sèche du fait
de la rareté du pâturage pendant cette période de
l'année. Aujourd'hui, la valorisation agricole, fruit de la maitrise de
l'eau du fleuve, ajoutée à l'irrégularité des
précipitions, a profondément bouleversé le système
waalo /jeeri. De ce fait, l'éleveur a deux choix : changer son
système d'élevage ou sortir de cette zone, du fait que la
politique de l'Etat est en faveur de l'agriculture irriguée.
De même, le document de Jean Schmitz intitulé
: « évolution contrastée de
l'agro-pastoralisme. » publié en 1995, nous
apprend sur l'orientation actuelle de l'élevage pastorale. Aujourd'hui,
dans la vallée avec le développement de la culture
irriguée, beaucoup d'éleveurs sont impliqués dans
l'exploitation agricole qui modifie le pastoralisme dans cet espace. On parle
de l'agro-
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pastoralisme dans la vallée qui révèle
une fixation définitive de nombreux éleveurs dans le waalo
avec une nouvelle formule de satisfaction du bétail (son de riz,
drèches de tomates etc.). D'après l'auteur, les résidus de
récolte ne pouvant satisfaire qu'une partie des besoins du
bétail, les éleveurs ont tendance à diviser leurs familles
en deux : une partie chargée de l'exploitation agricole et l'autre
chargée de conduire le bétail aux pâturages.
L'ouvrage de Crousse Bernard et al intitulé «
espaces disputés en Afrique Noire : les pratiques foncières
locales », publié en 1986, présente les problèmes
fonciers en Afrique Noire. Il nous explique les enjeux fonciers qui se
caractérisent dans cet espace de l'Afrique, par des logiques
différentes entre acteurs de la terre. Il s'agit d'un débat
autour de l'organisation et de l'exploitation de la terre qui est en question,
dans cette étude dont l'élevage pastoral constitue un sujet
essentiel.
L'ouvrage de Philipe Delville Lavigne et al «
gérer le foncier en Afrique de l'ouest : dynamiques
foncières et interventions publiques », illustre
la dynamique foncière dans cette partie de l'Afrique. L'intervention
dans l'espace aujourd'hui en Afrique se traduit par de nouvelles configurations
où, « L'accès et le contrôle de l'espace devient de
plus en plus conflictuels et tendent à reposer sur des stratégies
d'exclusion et non de complémentarité entre activités
». En effet, dans plusieurs contrées en Afrique de l'Ouest, comme
dans la vallée du fleuve Sénégal, l'organisation de
l'espace était fondée sur la complémentarité entre
les différentes activités telles que l'élevage,
l'agriculture et la pêche. Cette politique était source de
cohésion sociale entre ethnie où chacun pratiquait ses
activités en fonction des dispositions réglementaires prises
autour du terroir commun.
Par contre, dans les options prisent par le
Sénégal visant l'autosuffisance alimentaire, l'agriculture,
favorisée est valorisée au détriment de l'élevage.
L'agriculture est considérée comme seule source de mise en valeur
au Sénégal, selon la loi sur le domaine nationale. Ainsi,
l'espace pastoral se rétrécit au bénéfice des
exploitations agricoles, qui augmentent leurs surfaces cultivées. Cette
dynamique foncière qui pousse les éleveurs dans le ferlo du
Sénégal de parler « de la divagation des champs », sur
leurs terroirs d'élevage est source de conflit entre acteurs de l'espace
rural, Le Roy. E et al (1996).
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Notre thème de recherche est aussi un sujet de
réflexion dans nos universités, à travers des
mémoires et des thèses. Parmi ces réflexions qui
concernent notre zone d'étude, on peut citer :
La thèse de Cheikh Ba en 1982 intitulée : «
les peul du Sénégal ; étude géographique
», nous fait une présentation géographique
des sociétés peulh, ainsi que l'activité de
l'élevage pastoral à laquelle ils s'identifient. Ainsi, c'est un
document d'analyse de l'élevage pastorale. Il parle de la
répartition géographique des peulh, leur système
d'élevage pastoral, leur genre de vie et les menaces qui pèsent
sur ce système face aux mutations spatiales relatives à
l'expansion agricole. Ce peuple dispersé partout en Afrique, maitrise
les espaces, par le système de transhumance.
Mame A .Soumaré en 1997, dans sa thèse
intitulée : « Evolution des systèmes de production
agro-pastoraux dans la moyenne Vallée du fleuve Sénégal
(Rive gauche) : Approche géographique », nous informe sur les
mutations admises dans cette zone, suite à la maitrise de l'eau du
fleuve par la construction du barrage de Diama. Elle note une évolution
de l'agriculture et de l'élevage qui étaient fondés sur
des mouvements d'échange et de complémentarité des
activités entre le waalo et jeeri. Avec la nouvelle
forme d'exploitation des terres de la vallée, l'intégration de
l'élevage dans la partie waalo devient de plus en plus
compromise, même si beaucoup d'éleveurs après la
récolte s'investissent sur l'achat du bétail, surtout les petits
ruminants, comme le mouton qu'ils prennent en charge, grâce aux
résidus de récolte.
Abou Diallo (2010/2011) dans son mémoire de Master II
intitulé : « La variabilité temporelle des
précipitations de 1941 à 2010 et son impact sur le milieu
agro-pastoral : le cas de la communauté rurale de Guédé
Village (Podor) », est une étude qui porte sur notre
périmètre de recherche. Ainsi, après avoir analysé
les précipitations dans cette zone de 1941 à 2010, l'auteur nous
informe sur les effets induits par les variations pluviométriques sur le
milieu agro-pastoral. En effet, la faiblesse de la pluviométrie, dans
cette partie du Sénégal est synonyme d'une fragilité de
l'activité pastorale. Par conséquent, d'après l'auteur,
les éleveurs ne pouvant plus satisfaire le cheptel en fourrages sont
obligés de rallier le ferlo et même le bassin arachidier, à
la recherche de pâturage suffisant pour le bien être du
bétail.
En somme, les études qui ont été faites
sur l'élevage dans la moyenne vallée du fleuve
Sénégal sont nombreuses et datent de la période coloniale
à nos jours. Elles peuvent être situées en deux
périodes:
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? la période coloniale ;
? l'époque des aménagements hydro-agricoles.
Les réflexions anciennes (période coloniale) sur
cette pratique de l'élevage, étaient le plus souvent
limitées à une description du système de l'élevage.
La relation basée sur des échanges et de
complémentarité entre agriculture et élevage a
été mise aussi en exergue dans les études anciennes.
Ainsi, durant cette période, après la récolte des cultures
de décrue dans le waalo, les animaux venaient chercher de la
vaine pâture et enrichissaient les champs en fumure. Agriculteurs et
éleveurs échangeaient sous forme de troc les produits laitiers et
les produits de récolte comme le mil. L'éleveur durant cette
période, par des mouvements saisonniers entre le waalo et le
jeeri, arrivait à prendre en charge son troupeau, sans
provoquer de heurts à l'endroit des agriculteurs.
Par ailleurs, les nouvelles études sur l'élevage
pastoral, qui coïncident avec les aménagements hydro-agricoles ont
donné un visage nouveau à l'élevage pastoral, dans la
vallée du fleuve Sénégal. Il s'agit des
problématiques qui cherchent à comprendre l'état, le sort
et la stratégie actuelle du système pastoral, dans un contexte de
mutations agricoles en vigueur. En effet, le Sénégal a
concrétisé la politique coloniale qui avait entamé le
projet de l'aménagement de la vallée, afin d'être une zone
à vocation agricole. Désormais, avec la construction du barrage
de Diama, l'agriculture est devenue une activité quotidienne des
populations du waalo, avec des systèmes d'irrigation moderne
tout le long du fleuve. L'Etat opte la valorisation de l'agriculture
irriguée à grandes échelles, pour réussir sa
politique d'autosuffisance alimentaire en riz. Ainsi, les programmes de l'Etat
de soutien au développement dans la vallée, sont globalement
relatifs au développement de l'agriculture irriguée. Pour
beaucoup d'études, le soutien à l'élevage se résume
en aliment de bétail, campagne de vaccination. Ainsi, les
éleveurs qui, après la récolte revenaient dans les berges
du fleuve, pour la vaine pâture des cultures de décrue, se
replient le plus souvent vers le ferlo, pour trouver la quantité de
pâturages nécessaires à l'alimentation de leur
bétail. Ainsi, avec le développement de la culture
irriguée, la zone waalo ne peut plus contenir le cheptel, dans
ses périmètres. Il faut aussi noter que cette perte de
pâturages dans le waalo, s'accompagne d'un
rétrécissement de l'espace pastoral, d'où la
récurrence des conflits entre éleveurs et agriculteurs. Par
contre, il est important de souligner l'implication des éleveurs dans
l'agriculture irriguée, dans ces études. Cette implication est
accentuée par les dommages
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causés par les périodes de sécheresse qui
se sont succédé, dans cette partie du Sahel. En effet, beaucoup
d'éleveurs font de l'agro-pastoralisme en investissant les revenus des
récoltes pour l'achat de petits ruminants. D'autres, adoptent la
division de la famille en deux : une partie chargée des exploitations
agricoles et l'autre qui amène le bétail aux pâturages.
Les études faites sur l'élevage que nous avons
présenté ci-dessus, sont pour la plupart des recherches
généralisées et anciennes. Au regard des
aménagements hydro-agricoles au profit de l'agriculture,
l'élevage reste néanmoins une activité présente et
vivante dans la moyenne vallée du Sénégal. De ce fait, il
serait intéressant de comprendre l'actuel mode de gestion de
l'élevage. Par conséquent, notre sujet qui porte sur
l'étude des mutations dans la gestion de l'élevage bovin dans la
moyenne vallée du fleuve Sénégal (communauté rurale
de Guédé-village), va contribuer à la connaissance des
évolutions dans la gestion des troupeaux bovins en cours, dans la
moyenne vallée du Sénégal.
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