Partie I - La Cour africaine, un organe juridictionnel
à vocation continentale
Il est évident que « de nos jours, les droits
de l'homme sont sur toutes les lèvres et habitent tous les discours
juridiques et politiques »23 et comme le soulignait
QUILLERE-MAJZOUB Fabienne « La création d'un nouvel organe de
protection, de surcroit une Cour, ouvre de nouvelles perspectives et laisse
espérer une nouvelle approche des droits de l'homme sur le continent
africain »24. Installée le 2 juillet 2006, «
et bien qu'elle soit promise à un avenir très incertain, la
Cour africaine n'en mérite pas moins de faire l'objet d'un examen
détaillé La Cour est par ailleurs le premier organe judicaire
créé à l'échelle du continent africain
»25. Etudier la Cour africaine des droits de l'homme et
des peuples, nécessite ainsi de mettre un accent particulier sur ses
avancées, qui font d'elle non seulement un organe prometteur (Chapitre
I) institué par le Protocole de Ouagadougou, mais aussi et surtout
ambitieux (Chapitre II) au regard de l'étendue de ses
compétences.
Chapitre I : La Cour africaine, un organe
juridictionnel prometteur
Loin derrière l'Europe et l'Amérique, l'Afrique
s'est dotée en 1998 d'une juridiction continentale en matière de
protection des droits de l'homme. Le Protocole de 199826 qui a
crée la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples a mis en
place un système juridictionnel novateur (Section I) en prévoyant
les garanties de son indépendance (Section II) afin de lui permettre de
remplir sa mission sans entrave, ni ingérence.
23 ABI-SAAB Georges, avant propos de l'ouvrage de
OUGUERGOUZ Fatsah, La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples
: une approche juridique des droits de l'homme entre tradition et
modernité, PUF, 1993, p. xxiii.
24 QUILLERE-MAJZOUB Fabienne, « L'option
juridictionnelle de la protection des droits de l'homme en Afrique. Etude
comparée autour de la création de la Cour africaine des droits de
l'homme et des peuples », RTDH, 2000, N° 44, pp. 729-785, p.
730.
25 OUGUERGOUZ Fatsah, « La Cour africaine des
droits de l'homme et des peuples - Gros plan sur le premier organe judiciaire
africain à vocation continentale », op. cit., p. 217.
26 Nous faisons allusions au Protocole de
Ouagadougou portant création de la Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples, adopté en 1998.
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Section I : Un système juridictionnel novateur
institué par le Protocole de Ouagadougou
Adopté le 10 juin 1998 à Ouagadougou par la
Conférence des Chefs d'Etats et de gouvernements de l'OUA -actuelle
Union Africaine- le Protocole relatif à la Charte africaine des
droits de l'homme et des peuples portant création de la Cour africaine
des droits de l'homme et des peuples est entrée en vigueur le 25
janvier 2004. Cette date « marque une étape décisive
dans l'histoire des droits de l'homme en Afrique [...]
»27. Contrairement aux Conventions européenne et
américaine des droits de l'homme, le Protocole a notamment ouvert la
Cour africaine aux Organisations intergouvernementales africaines (Paragraphe
I), qui est sans doute l'une des originalités africaines et a largement
remédié aux lacunes de la Charte africaine des droits de l'homme
et des peuples (Paragraphe II).
Paragraphe I : Une Cour ouverte aux organisations
intergouvernementales africaines
Le Protocole relatif à la Charte africaine des droits
de l'homme et des peuples portant création de la Cour africaine des
droits de l'homme et des peuples donne la qualité aux Organisations
intergouvernementales africaines de saisir la Cour. L'article 5. 1 dudit
Protocole se lit comme suit : « 1. Ont qualité pour saisir la Cour
:
a) la Commission ;
b) l'Etat partie qui a saisi la Commission ;
c) l'Etat partie contre lequel une plainte a été
introduite ;
d) l'Etat partie dont le ressortissant est victime d'une
violation des droits de l'homme ;
e) les organisations intergouvernementales africaines ; [...]
».
L'ouverture de la Cour africaine aux organisations
intergouvernementales africaines est l'une des spécificités de la
Cour africaine par rapport aux autres Cours régionales. En Europe, la
Cour de Strasbourg n'est ouverte qu'aux Etats parties à la Convention
européenne et à ses Protocoles, aux ONG, aux individus et aux
groupes de particuliers28 en matière contentieuse,
27 ATANGANA AMOUGOU Jean-Louis,
« Avancées et limites du système africain de protection des
droits de l'homme : La naissance de la Cour africaine des droits de l'homme et
des peuples », Droits fondamentaux, N°3, janvier -
décembre 2003, pp. 175-178, p.175, [en ligne].
28 Voir Convention européenne des droits de
l'homme, articles 33 et 34.
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ainsi qu'au seul Comité des Ministres du Conseil de
l'Europe (CE) en matière consultative29. En Amérique,
la Cour de San José n'est ouverte quant à elle qu'aux Etats
parties à la Convention américaine et à la Commission
interaméricaine en matière contentieuse, et de manière
plus large aux Etas membres de l'OEA (Organisation des Etats Américains)
et certains organes de cette dernière en matière
consultative30.
Toutefois, le Protocole à la Charte africaine n'a pas
définit les Organisations intergouvernementales africaines ayant cette
qualité. En matière consultative, le Protocole a bien
précisé que la saisine de la Cour est réservée aux
Etats membres de l'U.A, à l'U.A elle-même, aux organes de cette
dernière et aux organisations africaines reconnues par l'U.A même
si l'expression « reconnue » utilisée ici suscite bien
d'interrogations quant à sa portée. Cette absence de
précision laisse un certain flou quant aux organisations pouvant saisir
la Cour d'autant plus qu'il existe en Afrique, au-delà de l'Union
Africaine, une dizaine d'organisations régionales. Les choses
étant donc, moins claires, certains acteurs font une lecture très
large de cette disposition. C'est le cas notamment de FIDH
(Fédération internationale des ligues des droits de l'homme), qui
estime que les CER (Communautés Economiques Régionales) rentrent
dans le cadre desdites organisations intergouvernementales ayant qualité
pour saisir la Cour31.
Il est donc notable de préciser que seule la pratique
de la Cour peut faire la lumière sur cette question. Il est aussi
important d'observer qu'il ressort de la pratique de la Cour que les ONG ont la
qualité pour formuler des demandes d'avis consultatifs devant
elle32 bien que ces dernières ne figurent pas parmi les
entités énumérées expressément par l'article
4 du Protocole. Dans cette affaire de demande d'avis consultatif cité en
exemple, les auteurs de la demande sont des ONG basées et
enregistrées au Nigéria et qui oeuvrent pour la promotion et la
protection des droits de l'homme en Afrique et particulièrement en
Afrique de l'Ouest. Les auteurs de la demande sollicitent de la Cour qu'elle se
prononce sur ces deux questions suivantes :
29 Ibid., article 47.1.
30 Voir la Convention américaine des droits de
l'homme, articles 61 et 64.
31 Voir Guide pratique de la
Fédération internationale des Ligues des droits de l'homme,
« La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples vers la Cour
africaine de justice et des droits de l'homme », op. cit., p.
73.
32 Voir par exemple l'Ordonnance N°001/2015 en
date du 29 novembre 2015 relative à l'affaire demande d'avis consultatif
introduite par THE COALITION ON THE INTERNATIONAL CRIMINAL COURT LTD/GTE
(CICCN), THE LEGAL DEFENSE & ASSISTANCE PROJECT LTD/GTE (LEDAP), THE CIVIL
RESSOURCE DEVELOPMENT & DOCUMENTATION CENTER (CIRDDOC), THE WOMEN ADVOCATES
DOCUMENTATION CENTER (LTD/GTE (WARDC).
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1- « L'obligation d'un Etat africain partie au statut
de Rome de la CPI de coopérer avec celle-ci est-elle
prépondérante par rapport à l'obligation qui lui est faite
de se conformer aux résolutions de l'UA prescrivant à ses Etats
membres de ne pas coopérer avec la CPI ? ». 2- « Si la
réponse de la question (1) est affirmative, tous les Etats africains
parties au Statut de Rome sont-ils soumis à l'obligation légale
qui prévaut sur toutes les autres obligations légales ou
diplomatiques découlant des résolutions et décisions de
l'UA, d'arrêter et de remettre le Président Omar El-Béchir
en cas d'entrée sur le territoire de l'un quelconque des Etats parties
au Statut de Rome ? »33.
Cette demande d'avis consultatif a été
reçue au Greffe de la Cour et a été inscrite au rôle
et a fait l'objet d'un traitement.
Par ailleurs, dans le cadre du renforcement de la protection
des droits de l'homme au sein des C.E.R dont les textes constitutifs
contiennent généralement des dispositions relatives aux droits de
l'homme, il nous parait raisonnable que ces dernières soient
habilitées à saisir la Cour en matière consultative. Cela
aura notamment pour avantage de permettre aux Cours desdites communautés
d'être éclairées quant à l'interprétation et
à l'application de la Charte africaine, du Protocole et de tout autre
instrument juridique pertinent relatif aux droits de l'homme.
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