CONCLUSION GENERALE ET RECOMMANDATION
La résolution des conflits de lois en matière de
droit de propriété intellectuelle pose des problèmes
indiscutables. L'obstacle majeur à surmonter réside dans la
rédaction peu claire des règles édictées au niveau
du droit international conventionnel. Les règles de conflit de lois
actuelles sont marquées par le concept de territorialité. Il
convient néanmoins de rejeter toute application systématique de
la lex fori. La seule solution qui nous paraisse conforme aux
dispositions de la Convention de Berne consiste à retenir la
compétence générale de la loi du pays de protection.
En effet, nonobstant la rédaction imparfaite de
l'article 5.2 de la Convention de Berne, c'est la seule interprétation
qui ne heurterait pas la lettre de cette disposition. Le renvoi à la loi
du pays d'origine devrait dès lors être limité aux
hypothèses envisagées par la Convention de Berne.
En outre, le renvoi à la loi du pays d'origine pour
certains aspects du droit d'auteur (titularité initiale notamment),
préconisé par certains auteurs suivis par une partie de la
jurisprudence, ne constitue pas une alternative intéressante par rapport
aux problèmes pratiques soulevés par l'application exclusive de
la loi du pays de protection. Cette solution apporte en fait plus de questions
que de réponses et déplace les problèmes au lieu de les
résoudre.
En matière de conflit de lois relatives au droit de
propriété intellectuelle aussi, internet semble, à
première vue, être porteur de toutes les difficultés
dénoncées. Toutefois, ici encore, internet ne soulève
aucune question nouvelle mais fait plutôt office de miroir grossissant,
marquant de manière très forte le contraste entre la
facilité, presque déconcertante, à introduire un contenu
dans le cadre d'une diffusion planétaire et la multiplicité des
problèmes inhérents à toute exploitation à cette
échelle.
Dans le contexte de l'application de la lex loci
protectionis à l'internet, s'est posée la question de la
localisation de l'acte de transmission numérique.
Comme nous l'avons exposé, la thèse du (des)
pays de réception nous semble plus appropriée que celle du pays
d'émission, d'une part parce qu'il est difficilement contestable que la
diffusion via internet correspond à une exploitation dans chacun des
pays de réception et, d'autre part, en raison des difficultés
techniques de localisation du point d'émission d'une transmission
numérique.
Outre les difficultés techniques de localisation
géographique des sites web, se posent de réels problèmes
d'identification des auteurs de ces contenus. Aussi, la tentation est grande
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pour les titulaires de droit d'auteur de s'adresser aux
intermédiaires techniques (hébergeurs principalement), plus
facilement localisables et identifiables.
Les titulaires de droit de propriété
intellectuelle estiment ainsi que la détermination de règles
adéquates et cohérentes en matière de
responsabilité des prestataires techniques constitue « un
élément indispensable à l'exercice effectif des droits
». La récente affaire Skynet132 constitue un
bon exemple de ce glissement. L'IFPI et la société Polygram ont
assigné et obtenu la condamnation du fournisseur d'accès
Skynet qui avait refusé de supprimer des pages web qu'il
hébergeait et contenant des hyperliens vers des sites mettant à
disposition du public des fichiers MP3 illicites. L'action n'était pas
motivée sur une violation du droit d'auteur mais sur le caractère
illicite du comportement de Skynet, qui aurait refusé de
collaborer avec l'IFPI.
Compte tenu des difficultés liées à
l'application de la lex loci protectionis dans le contexte d'internet
et des problèmes inhérents à la mise en cause de la
responsabilité des prestataires de services, une vaste réflexion
sur la réforme des règles de conflit de lois existant en
matière de droit d'auteur a naturellement vu le jour et
différentes solutions alternatives ont été
proposées. Ainsi, certains préconisent d'étendre la
compétence de la loi du pays d'origine. Cette solution ne nous semble
toutefois pas judicieuse, notamment en raison des difficultés
inhérentes à l'application cumulative de plusieurs lois aux
logiques parfois divergentes.
En outre, le renvoi à la loi du pays d'origine fait
peser sur les utilisateurs finaux des oeuvres des contraintes dont la charge
devrait selon nous être supportée par les exploitants. En effet,
il nous paraît logique que, en l'absence d'harmonisation des
règles du droit d'auteur, un exploitant souhaitant exploiter une oeuvre
à l'échelle mondiale doit prendre en considération les
différentes lois des pays dans lesquels cette exploitation se
réalise. Si l'exploitation à un niveau mondial, permise par
l'utilisation du réseau internet, offre d'alléchantes
perspectives de recettes nouvelles, elle requiert également un plus
grand investissement de la part des exploitants. C'est peut-être le mythe
de l'exploitation mondiale « sans effort » qui va s'effondrer.
De surcroît, le renvoi à la loi du pays d'origine
pose un problème particulier en matière pénale. En effet,
le principe de territorialité des lois pénales pourrait mettre en
échec les mécanismes (civils) de conflit de lois. M. BERGE
objecte que l'établissement de l'infraction pénale repose sur une
condition préalable (la protection par le droit d'auteur) qui pourrait
être soumise à la loi d'un pays tiers.
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Il n'empêche que l'on peut s'interroger sur la
possibilité pour le législateur pénal de sanctionner une
atteinte à un droit civil étranger. Il nous semble en effet que
le législateur envisage de sanctionner pénalement l'atteinte au
droit d'auteur en fonction de sa législation (civile) nationale sur le
droit d'auteur.
Ainsi, le taux de la peine et les éventuels
éléments intentionnels requis seront adaptés en fonction
du degré de protection de la loi civile sur le droit d'auteur dont
l'infraction pénale est censée garantir le respect par effet
dissuasif. Il serait par exemple choquant que le juge pénal sanctionne
une atteinte au droit d'auteur dans l'hypothèse d'une création
jugée protégeable selon le droit civil étranger alors que
cette création ne le serait pas selon le droit civil du for car c'est
seulement ce dernier droit que le législateur pénal a pris en
considération. Par ailleurs, dans le contexte particulier d'internet, il
convient de ne pas perdre de vue les difficultés techniques de
localisation de l'origine d'une transmission numérique.
Enfin, la prévisibilité apparente qu'apporte le
renvoi à la loi du pays d'origine à l'exploitant d'une oeuvre est
susceptible d'être remise en question par les mécanismes des lois
de police et de l'exception d'ordre public international.
Des critères de rattachements de type personnaliste ont
également été proposés (domicile de l'auteur par
exemple), mais ils posent trop de problèmes du point de vue de la
prévisibilité. La compétence générale de la
loi du pays de protection nous semble donc la solution la plus
appropriée. Un bouleversement du système de règlement des
conflits de lois par une remise en cause de la compétence de la loi du
pays de protection ne serait pas opportun. Par contre, il pourrait être
utile de reformuler les règles de conflit de lois existantes afin de
lever certaines équivoques.
Une harmonisation plus poussée de la protection
internationale du droit d'auteur est d'autre part vivement souhaitable. Le
Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur constitue un pas dans la bonne
direction. Le projet de directive européenne sur l'harmonisation de
certains aspects du droit d'auteur dans la société de
l'information va également dans ce sens. Aucun de ces textes n'aborde
cependant la détermination de la loi applicable au droit d'auteur, ce
qui est assez révélateur du caractère délicat de la
question.
Ainsi, la portée mondiale d'Internet devrait être
mise à profit pour favoriser une plus grande diffusion du contenu des
différents droits nationaux en matière de droit d'auteur. Il
serait dès lors possible d'assurer une plus grande
prévisibilité des différentes solutions juridiques
nationales par rapport à un même acte d'exploitation.
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Enfin, comme nous ne prétendons pas avoir
épuisé cette étude, nous serons très heureux de
voir d'autres chercheurs venir compléter notre travail, en abordant
d'autres questions que nous n'avons pas exploitées
profondément.
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