INTRODUCTION : LA PROBLÉMATIQUE FONCIÈRE
DANS LES ANCIENNES PLANTATIONS COLONIALES ET LE CAS DE LA C.O.C
Les richesses du pays Bamoun actuel département du
Noun, en contrebas du pays bamiléké (Ouest-Cameroun) et de ses
vastes espaces inoccupés ont attiré l'attention des
Européens à la recherche de surfaces exploitables. Les terres
noires de Foumbot et de ses environs offraient alors aux entrepreneurs
agricoles un potentiel qui n'a d'égal que les abords des Monts Cameroun
et Manengoumba. Il est constitué d'une série de collines
polyconvexes surbaissées que dominent 59 appareils volcaniques
(composés de dôme, de cône, de cratères, et de
coulées pyroclastiques de type hawaïen ou plus visqueux). Ces
terres comprises entre le Noun, le Mbetpit et le pied du Nkogham sont
constituées d'un matériel volcanique divers (S. Morin, 1989). Des
concessions foncières y furent accordées aux entrepreneurs
agricoles, qui pour la plupart étaient d'origine géographique et
sociale diverse : un ouvrier parisien, un dentiste de Strasbourg, un ancien
administrateur colonial, un fils de grande famille, un paysan...a l'exception
de quelques helvétiques et ibériques, tous sont français
(Moupou, 1991 : p.72). Ces terres données en concessions avec le
concours de l'administration coloniale du Cameroun de cette époque et
celui de l'autorité traditionnelle en la personne du Nfon Pamom, ne
stipulait pas une quelconque vente, encore moins une donation définitive
car la terre en pays Bamoun n'est pas à vendre, c'est un bien collectif
qui appartient au peuple Bamoun et le roi en qualité de chef
suprême en est le garant de la gestion et de la distribution
auprès des paysans et des populations. À la suite de ces octrois
concessionnaires, d'importantes sociétés et des
coopératives ont vu le jour. Celles-ci faisant l'objet d'une
compétition effrénée entre les candidats, c'est au plus
offrant que revenait la parcelle. C'est dans cette atmosphère de
concurrence que la C.O.C a obtenu une concession de 2400 ha pour 59340 francs,
acquérant ainsi la plus grande de toutes les plantations coloniales
effectivement créées sur ce territoire, qui en compte treize.
Noms et prénoms des demandeurs
|
Superficie des
exploitations
|
Localité
|
Date
d'attribution
du titre provisoire
|
Date
d'obtention des titres définitifs
|
Wilhelm Adolphe
|
250ha
|
Fossette
|
27 / 9 /1929
|
14 / 11 /1931
|
2
Banque Fourcade et Provot
|
965ha
|
Monoun
|
25 / 10 / 1929
|
05 / 5 / 1932
|
Dammann
|
60ha
|
Foumban
|
28 / 10 / 1929
|
12 /12 / 1932
|
Dammann M.A
|
52ha 74a
|
Foumbot
|
20 / 10 / 1928
|
12 /12 / 1932
|
Hanne Charles
|
61ha50a
|
Foumbot
|
18 / 10 / 1931
|
26 / 8 / 1936
|
Compagnie Ouest
Cameroun
|
997ha77a64ca
|
Foumbot
|
14 / 8 / 1932
|
15 / 9 / 1938
|
Mallet Horace
|
479ha5a
|
Foumbot
|
14 / 9 / 1933
|
15 / 9 / 1938
|
CIAC
|
367ha20a
|
Foumbot
|
28 / 9 / 1933
|
23 / 2 / 1939
|
CIAC
|
519ha21a
|
Foumbot
|
18 / 10 / 1934
|
01 / 5 / 1939
|
Hanne Charles
|
42ha17a52ca
|
Foumbot
|
13 / 12 / 1934
|
01 / 5 / 1939
|
Dammann M.A
|
271ha84a
|
Momo
|
13 / 12 / 1934
|
16 / 11 / 1941
|
Dammann M.A
|
119ha40a
|
Fochivé
|
08 / 2 / 1937
|
13 / 11 / 1942
|
Crozier Jean
|
- -
|
Fossette
|
07 / 2 /1936
|
18 / 11 / 1942
|
Giojuzza Jacques
|
201ha
|
Njidoum
|
28 / 12 / 1935
|
05 / 5 / 1943
|
Chalot Jacques
|
106ha
|
--
|
09 / 7 / 1937
|
15 / 10 / 1943
|
Coubeaux M.G
|
34ha35a
|
Baïgom
|
18 / 6 / 1935
|
30 / 05 / 1945
|
Tableau 1 : Les anciennes plantations coloniales
en pays Bamoun entre 1931 et 1945
Ainsi, à la fin des années 1940, on
dénombrait 49 concessions domaniales octroyées aux volontaires ;
seules 23 plantations avaient effectivement été
créées.
C'est dans ce contexte, que fut créée la
Compagnie Ouest-Cameroun, la plus grande de toutes les plantations coloniales
de la rive gauche du Noun, dont la quasi-totalité était
destinée à la culture du café. Ce choix a
été largement favorisé par la fertilité des sols de
cette région puisqu'il s'agit des terres noires volcaniques, mais
surtout par le fait que durant la décennie 1930, le territoire Bamoun se
caractérise dans l'ensemble, par des faibles densités de
populations et très éparses, inférieures à un
habitant au kilomètre carré.
Pour ce qui concerne le foncier et les stratégies de
contrôle de cette ressource autour et dans les anciennes plantations
coloniales, il convient de préciser que l'administration coloniale
française du Cameroun à travers l'Office Régional du
Travail (ORT), avait drainée bon
3
nombre de personnes vers la rive gauche du
Noun1afin qu'elles puissent travaillées comme ouvriers dans
les plantations qu'elle avait créée. Dongmo J.L (1987) dira que
le développement de la culture du café a drainé sur la
rive gauche du Noun, une colonisation diffuse; en moins d'un siècle, les
densités de populations sont passées de 0,2 habitants / km2 en
1940 à 220 habitants au km2. Moupou M. (1991) signala
également que le territoire Bamoun, en contrebas de la dorsale
camerounaise fort de ses faibles densités (26 habitants au
km2) se trouve en proie et à la merci des hautes terres
surchargées d'hommes (300-800 habitants au km2) et suscite la
convoitise de celles-ci. Cette densité en nette progression ne peut
s'expliquer que par un transfert ; les fortes densités des hauts
plateaux se déversant par osmose sur les régions voisines, dont
le pays Bamoun. Ainsi, les populations Bamiléké et Nso qui
étaient employées dans ces plantations ne sont plus jamais
retournées sur leurs terres d'origines'' après la
crise de la caféiculture2. Victimes de leur forte
démographie, les Bamiléké de l'Ouest Cameroun souffrent
également de la rigidité de leurs droits fonciers coutumiers qui
font de la terre ancestrale la propriété du fon ou chef
; les migrations vers les régions voisines s'imposent alors comme
l'unique opportunité pour ce peuple de vaillant agriculteurs (Dong
Mougnol, 2010). L'on y observe également des M'bororo, branche peule
d'éleveurs venues de la partie septentrionale du Cameroun (Adamaoua,
Garoua, Maroua) afin d'y paitre leurs troupeaux. Ces derniers ayant
trouvé sur ce No Man's Land un terrain refuge grâce non seulement
à l'abondance du couvert végétal et de la clémence
du climat, mais aussi pour éviter les razzias qui prévalaient
déjà dans leurs zones de départ, ils s'y sont
installés. La diffusion des techniques, la création des centres
de santés villageois mais aussi l'amélioration de
l'hygiène et du cadre de vie des populations ont également
favorisé cet état de croissance, car il faut le signaler, la
localité de Foumbot qui abrite la grande majorité des plantations
coloniales a été créée en 1925 par l'administration
coloniale et bénéficie tout autant que les autres villes de
taille relative, des infrastructures socio collectifs de base qui font de cette
localité un pôle attractif.
De ce qui précède, la question foncière
devient un enjeu très significatif. L'on se pose la question de savoir :
à qui appartient la terre dans un tel contexte de cohabitation des
1 Terme utilisé par l'administration
coloniale française pour parler de la région de Foumbot qui
devrait recevoir la colonisation organisée de la zone dans les
années 1940.
2L. Dé, « Crise de l'arabiculture et
mutations rurales sur le plateau Bamum, une contribution à
l'étude géographique des mutations rurales consécutive
à la crise actuelle des cultures d'exportation », Thèse de
Doctorat de 3è cycle en Géographie, université de
Yaoundé 1, 1997.
4
peuples ? Il convient de préciser que, le territoire
Bamoun est sous l'autorité d'un pouvoir traditionnel fort et
structuré que représente le roi (Nfon Pamom).
Désigné de façon héréditaire et
irrévocable parmi les descendants de Nchare Yèn3.
À la mort de son prédécesseur qui n'est autre que son
père, le nouveau roi est choisi. Il est considéré par sa
population comme étant le garant de la gestion et de la distribution des
terres auprès des paysans et des agriculteurs. Celui-ci affecte des
terres à des familles selon la taille du ménage, la
capacité et la force de défrichement des espaces. L'introduction
d'un titre foncier par l'administration coloniale afin de sécuriser ses
droits et qui après, avait été repris par des nationaux
suite au départ de ceux-ci, de leurs domaines du fait de la crise de la
caféiculture des années 1980, est de plus en plus remis en cause
aujourd'hui par les paysans. Pourquoi ? peut-être parce que d'une part
elle tend à restreindre le pouvoir du sultan dans la gestion et
l'affectation des terres, d'autres part parce que, suite aux différents
mouvements migratoires , la localité toute entière connait une
croissance démographique de plus en plus expansive ce qui fait que les
ménages ont de plus en plus besoin d'espaces pour cultiver et se
nourrir, or à Foumbot tout comme dans les espaces autour de la Compagnie
Ouest Cameroun, « la terre est devenue rare ». « La COC est
l'exemple type d'une grande exploitation qui cherche à se maintenir.
L'immensité de celle-ci entraine une occupation illégale des
bordures par les populations des villages voisins qui manquent des terres
cultivables » (Moupou 1991, p.74).
Outre le fait que, préoccuper par la dynamisation de
l'économie et la rentabilisation de la terre, cette plantation qui avait
été créée par les colons et reprises d'antan par
les nationaux et qui de surcroit possèdent des titres de
propriété, fait dorénavant l'objet de contestations et de
convoitises non seulement des populations et des paysans qui travaillaient dans
ces vastes domaines coloniaux comme ouvriers mais aussi de la part d'autres
acteurs locaux et ceux venus des villes voisines de Foumbot et de Kouoptamo
avec un seul but, l'appropriation foncière pour des raisons diverses et
variées, quitte à s'entretuer ne serait que pour un lopin de
terre.
Le contexte rural, social, économique et politique
camerounais des arrondissements de Foumbot et Kouoptamo en pays Bamoun auxquels
est rattaché administrativement la C.O.C, et plus
précisément celui des villages sur lesquels s'étendent
cette plantation dont il est question tout au long de ce mémoire est
très éloigné de ce que nous connaissons du reste de
l'Afrique au sud du Sahara, car il s'agit ici d'un No Man's Land
c'est-à-dire des terres
3Fondateur du royaume et premier roi de la dynastie
Bamoun (fin du XIV siècle)
5
n'appartenant à personne, ce qui signifie en quelque
sorte qu'il s'agit des terres vacantes'', sans maitres''
et vides d'hommes' où, des communautés se sont
installés ; des terres très fertiles n'appartenant à
personne dans un contexte où, « la brousse est finie » (B.
Tallet, 1998), il n'y a plus de friche car durant la temporalité 1930
à nos jours, il y a eu un passage systématique d'une situation
d'un territoire vide à une saturation de l'espace et où, la
démographie et les activités pratiquées sont les seuls
facteurs explicatifs de ce changement. L'on reste néanmoins perplexe
quand à la notion de No Man's Land dont les Etats coloniaux ont
savamment employé. Existe-t-il vraiment des terres vides et sans maitres
? Dans un article sur « le régime foncier en Afrique noire »,
Catherine Coquery Vidrovitch (1982 : 65-83) analyse l'impact des
systèmes coloniaux sur le foncier. Celles-ci ont été par
définition, une « politique de spoliation » des droits
fonciers des populations indigènes africaines. En prenant le cas de
l'Afrique Occidentale Française (A.O.F), elle écrit
principalement que : « le problème juridique fut posé
dès l'origine de savoir qui devait être considéré
comme le propriétaire des terres conquises ». Elle précise
en outre que la terre ne manquait pas ; il suffisait pour vivre de brûler
et débroussailler un lambeau de forêt ; les colons
arguèrent de la mobilité de certaines tribus pour étayer
leur thèse...ignorant le rôle du chef de la terre dont l'existence
était pourtant attestée par de nombreux explorateurs car la
législation à ses débuts fut caractérisée
par le refus de reconnaitre l'existence d'un droit indigène, or dans
l'Afrique traditionnelle précoloniale, la propriété
privée n'existait pas.
Les anciennes plantations coloniales de la
Compagnie Ouest-Cameroun: La question foncière en
débat
Dans un contexte, où nous passons des faibles
densités aux fortes densités (Moisel, 1908 ; Ankerman, 1910 ;),
la question de la sécurisation des droits sur la terre se pose de plus
en plus avec acuité car la population déjà très
nombreuse, est appelée à le devenir davantage, or l'espace est
finie et ne croit plus, vu que les phénomènes de titrisation et
de territorialisation réalisés par l'État ont
contribué à la fragmentation et au confinement des terroirs
villageois à un moment donné de l'histoire où, la
production de la nourriture pour se nourrir et pour commercer est devenue la
condition sine quoi non d'existence des paysanneries au Cameroun. Que faire? Vu
que seul les champs de brousse ont persisté et se sont agrandis
jusqu'aux confins des terroirs (TERSIGUEL, 1995), « Tous unis pour faire
reculer la brousse » (Tallet B., 2007, p. 64), autochtones et migrants,
paysans et non-paysans, tous ont frénétiquement étendu les
superficies cultivées, quitte à empiéter sur le domaine
privé de la C.O.C.
6
De plus les terres alentours sont moins riches4 et
moins productives que les terres noires sur lesquelles s'est implantée
la C.O.C. Dès lors, les luttes pour l'accès au foncier sont
devenues inévitables dans cet espace qui offre encore des
possibilités.
Du vide au plein : la Compagnie Ouest-Cameroun
entre déprise caféière et reconversion
culturale
Outre les fondements socio-économiques et politiques de
construction territoriale, la concurrence spatiale s'est amplifiée
suite, d'une part, à la plus-value des cultures
maraîchères, et d'autres part, par les perspectives
effrénées des gains monétaires et les appétits
fonciers fortement aiguisés, rendant difficile la cohabitation entre les
différents acteurs que sont principalement, les paysans, les nouveaux
gestionnaires, l'État et les communautés villageoises. Ces enjeux
multiformes font des anciennes exploitations coloniales, une arène
d'affrontements perpétuels dont les marques sont visibles : la
destruction des plants de café, l'introduction du maraîcher, les
déguerpissements et très souvent des pertes en vies humaines
comme ce fut le cas en 1996.Le contexte de reconversion vers le maraicher a
suscité l'envie d'avoir davantage d'espaces pour le déploiement
de ce nouveau système de production. Rompant avec les exigences
foncières qu'imposaient les cultures pérennes, l'adoption du
maraicher comme nouvel culture a conduit les paysans à accroitre
davantage leurs parcelles emboitant de ce fait sur les espaces de la C.O.C.
Or, pour légitimer leur occupation en territoire
Bamoun, l'introduction par l'administration coloniale d'un titre de
propriété s'était définit comme un
impératif. En effet, cette forme de sécurisation bafoue les
normes locales traditionnelles de gestion foncière, dites
coutumières. Outrepassant l'autorité du gardien
des terres» que représente le sultan roi des Bamoun ou ses
sujets délégués qui portent le titre de Nui
Ngwèn». De telle pratique ne peuvent que susciter le
mécontentement des populations de plus en plus nombreuses qui voient
leurs terres, accaparées par une minorité de nationaux issue de
la bureaucratie administrative. MOUPOU M. (1991) s'explique à
cet effet qu'il y a en pays Bamoun trois types de régimes fonciers
placés sous l'influence des principes de survivances traditionnelles, le
prêt, la location et le don où la condition de mise en valeur est
relative à la classe sociale, il n'a jamais été question
d'une vente de la terre ; il découle donc de cette analyse que, les
terres vacantes appartiennent toutes au Sultan Roi des Bamoun qui en est le
garant, le gardien. En cas de conflit, il est le référent pour la
résolution de ce dernier. Le peuple Bamoun est
4Lire Morin S., 1980
7
usufruitier et doit transmettre cette terre aux
générations futures. La terre n'est pas à vendre. Elle
peut tout au plus être prêtée ou louée ; l'on se pose
alors la question de savoir : « Qu'allons-nous transmettre à
nos enfants, vu que nous n'avons plus de terre, étant donné que
les autres nous en ont privé? » (Ousmane, 74 ans, paysans
à C.O.C)
Dans un contexte où, suite à la déprise
caféière, la reconversion culturale vers le maraichage afin de
garantir et de promouvoir la souveraineté alimentaire, nécessite
davantage d'espaces pour cultiver, la présence d'un titre foncier fait
problème. Cette propriété appartenant désormais
à Jean Fochivé5, ne peut que traduire cette situation
d'insécurité foncière qui règne dans cette
plantation.
Du plein au vide : une démographie
expansive comme élément explicatif des conflits fonciers à
la C.O.C.
La situation de vide et de pleins» a
favorisé en quelques sortes le drainage sur la rive gauche du Noun en
général et à la C.O.C en particulier, de forts mouvements
de populations Bamiléké non seulement pour décongestionner
les hauts plateaux de l'Ouest-Cameroun, des Nso6 et des Akou venant
des plateaux Joss (Nigéria) en 19567, du Nord-Ouest pour
travailler dans les plantations coloniales et des Mbororo8pour faire
paitre leur bétail, ceux-ci se localisent dans la plaine de
Mfesset9. La réalisation des infrastructures à
caractères socio-collectifs (voies de communications, écoles,
centres de santé, etc...) mais surtout la mise en chantier du projet de
construction du stade de football de Bafoussam annoncé par l'État
camerounais en 2008 et dont les travaux devenus effectifs en 2012 ont
donné lieu à une infrastructure sportive sur une superficie de
plus de 6 hectares, ce qui a laissé des populations
bamiléké autrefois propriétaires terriens, sans terres de
nos jours. A cet effet, le plateau Bamiléké s'est au fil du
temps, déchargé de son trop plein de population, pour coloniser
les territoires voisins, encore très peu peuplés. Ces
populations, tous paysans sinon quelques exceptions, se sont
déversées sur la rive gauche du Noun et plus
particulièrement dans les zones d'anciennes plantations, qui offrent
encore des opportunités, contribuant ainsi au morcellement des parcelles
autochtones dans des zones où la clarification des droits fonciers
5 Bureaucrate, ancien Directeur Général
du Service National de Renseignement du Cameroun (CENER)
6 Peuple anglophone venu du Nigéria voisin et
de la région du Nord-Ouest Cameroun
7 BOUTRAIS, 1986, p.16
8 Les groupes peuls transhumants venus de la partie
septentrionale du Cameroun
9 ANC-APA 11919/B
8
demeurent encore très floue afin de satisfaire leur
propre demande foncière, dans la plupart des cas souvent avec la
complicité des autorités traditionnelles.
Notre objectif dans cette aventure scientifique est
celui de comprendre les raisons qui poussent les paysans à
accéder aux terres dans les plantations de la C.O.C., alors que celle-ci
est un domaine privé.
L'objectif spécifique étant de :
? Analyser et comprendre les logiques paysannes au travers
l'étude de la situation
foncière actuelle à la C.O.C. et de la
clarification des titres de propriété de ce domaine ? Identifier
les acteurs et décliner leurs jeux dans l'acquisition des terres tout
autour et
dans les plantations de la C.O.C.
? Eclairer sur les conflits de gouvernance foncière
locale dans le cadre de la décentralisation par le biais des acteurs en
présence
Afin d'appréhender la situation foncière autour
de cette plantation, la question suivante a été établie
:
Quelles sont enjeux fonciers actuels tout autour et
dans les anciennes plantations coloniale de la C.O.C.?
Car il faut le préciser, cette plantation
bénéficie d'un titre de propriété, mais au vue de
la situation actuelle, les paysans se comportent en véritable
prédateurs fonciers sur cet espace. La notion d'appropriation ici en
contexte rural Camerounais et plus précisément sur ce No Man's
Land n'a pas la même conception qu'en France par exemple ou dans certains
pays Européens et Nord-Américain d'exercice du droit moderne
romain ou droit positif, où la question ne se poserait même pas.
Il y a ici une pluralité des droits et de normes régulant
l'appropriation et la gestion foncière, fussent-ils modernes que
représentent les titres fonciers ou coutumiers traditionnels ; Ce
dernier mode d'appropriation foncière dit coutumier se
matérialisant très souvent par une reconnaissance des droits
d'accès, d'usage et de gestion d'un espace par les autorités
locales coutumières et l'ensemble de la population villageoise, à
un individu ou un groupe d'individu de façon verbale en présence
d'un ou de plusieurs
9
témoins issus le plus souvent de la communauté
villageoise, pour un service rendu à la communauté ou au nom
d'une quelconque amitié développée. Dans ces cas
précis, l'on n'a pas besoin d'un titre foncier ; et c'est dans ce
contexte que le sultan NJOYA10concéda des terres aux colons
blancs dans les années 1930. Ceux-ci ayant pour devoir la
rétrocession de ces terres à leur départ (enquête de
terrain, mars 2015).
En plaçant le foncier au coeur de la réflexion
et aux vues des idées sus-développées, l'on s'interroge de
savoir :
? Que deviennent les titres fonciers hérités de la
colonisation?
? Qui sont les acteurs fonciers à la C.O.C (quand et
comment sont-ils arrivés et quels droits avaient-ils sur la terre)?
? Quelles peuvent être les conflits de gouvernance
afférente à de telles situations dans
un contexte de décentralisation, de domination et de
monétarisation de la terre?
Au regard de cette situation et de prime à bord,
l'hypothèse suivante a été formulé :
Le contexte d'implantation des paysans et les
modalités de reprises de cette plantation par les nationaux traduisent
la «précarité foncière»
observée.
Néanmoins l'on pense que :
? Les multiples conflits à caractères sanglants
enregistrés sur ce domaine ont entrainé le
dépérissement de cette plantation industrielle et explique
l'envahissement illicite de ce domaine.
? L'absence de clarification claire, des droits d'accès
et d'usage au moment de l'implantation des paysans explique en partie les
conflits observés. En effet, les instances traditionnelles et
coutumières du pays Bamoun ont quelque part, favorisé la
précarité foncière et les assauts villageois
observés dans cette plantation. En effet, l'établissement des
titres fonciers non seulement de la C.O.C mais des anciennes domaines coloniaux
semblent remettre en cause les normes traditionnelles de gestion de la terre du
pays Bamoun. La terre n'est pas à vendre, elle est un bien collectif, le
roi est le garant de la distribution et de la gestion auprès des paysans
et le peuple Bamoun en est usufruitier. L'établissement d'un titre
foncier restreint le pouvoir du roi dans la gestion foncière. Pour ce
peuple donc, ce territoire leur revient de droit, bien qu'il soit
10Annexe 1: chronologie des rois de la dynastie
Bamoun
10
titré, cela a été contre leur gré,
car il faut le préciser c'est à la suite de la déposition
du roi Njoya en 1933 à Yaoundé pour trahison et complot contre
l'autorité coloniale, où il mourut, que l'administration
coloniale, profitant de la psychose qui régnait au sein de la population
s'était empresser d'octroyer des concessions aux planteurs blancs dans
cette partie du No man's Land11.
? Les principes de gouvernance dans le cadre de la
Décentralisation avec l'apparition des nouveaux acteurs institutionnels
de gestion du foncier expliquent les différents rapports de force
observé non pas seulement dans les plantations de la C.O.C, mais aussi
bien dans les arrondissements de Foumbot et Kouoptamo.
L'analyse présentée dans ce mémoire
reposera sur une étude de terrain, combinant à la fois
enquête, observation et investigation. Celle-ci sera menée durant
six mois aux côté des habitants des villages sur lesquels
s'étendent les plantations de la Compagnie Ouest-Cameroun entre
Février et Juillet 2016. La temporalité allant de 1970 à
aujourd'hui s'est avérée significative ; l'année 1970
caractérise le début de la crise des produits de rente au
Cameroun et symbolise le départ des européens de leurs
exploitations agricoles, quant à nos jours l'on observe encore des
conflits fonciers à caractère sanglant opposant les populations
aux nouveaux gestionnaires de ces domaines, ce qui serait une résultante
des situations post-crises caféicoles.
Clarification conceptuelle et cadre
théorique
? Foncier
Selon Alain ROCHEGUDE (2002), le « foncier » peut
encore s'entendre comme un concept juridique multidimensionnel ; le terme
« foncier » renvoie aux multiples enveloppes juridiques,
correspondant à autant des statuts, sinon des procédures dites
domaniales ou foncières, qui généralement aujourd'hui sont
toutes conçues pour être situées au regard du droit
foncier. La présentation de cette diversité est la condition
nécessaire d'une mise en perspective utile et juridiquement
fondée sur la question foncière dans la décentralisation.
Dans la même logique, Mathieu P. (1996), dit que le foncier est par
définition une question politique qui ne peut fonctionner que s'il est
garanti par un système d'autorité (étatique,
coutumière ou mixte) qui définit les règles d'une part et
veille à leur application d'autre part.
11 ANY, APA 11820/A, Arrêté portant
création des chefferies supérieures dans la région Bamoun
in Rapport de tournée dans la subdivision du Noun 1935-1936.
11
Les règles foncières définissent-elles
légalement l'accès à la ressource ? Dans quelles
conditions ? Et quelle est la distribution de ces ressources entre les acteurs
hétérogènes qui expriment le choix des
sociétés explicites et implicites sur les rapports entre Etat,
pouvoirs locaux et populations et sur le partage des richesses entre les
différents acteurs ? Dans le même ordre d'idées, il
poursuit en disant que pour les Etats et les administrations modernes, la terre
est définie en priorité comme un bien ; un bien économique
à mettre en valeur pour produire plus et réaliser le
développement. Dans la même logique, Lavigne-Delville (1998) nous
fait savoir que ce terme dérive du latin fundus qui signifie fonds de
terre. Il se définit suivant le contexte dans lequel il est
employé. En géographie, il désigne « l'ensemble des
rapports entre les hommes impliqués par l'organisation de l'espace
» Il renvoie aussi à « l'ensemble des règles
définissant les droits d'accès à la terre d'exploitation
et de contrôle concernant la terre et des ressources naturelles
renouvelables ». De tout ce qui précède, nous devons retenir
que le foncier englobe une dimension spatiale à savoir l'espace et sa
gestion qui implique des rapports sociaux donnant un sens aux droits d'usage
sur la terre et son exploitation. D'après E. LE ROY, « le
foncier' est resté un adjectif tant qu'il désignait le
fond de terre (fundus) et le type de pouvoir, de statut ou de revenu qui
pouvait en être tiré. On parlait de « seigneurie », de
« tenure », de « rente foncière... » En mettant
l'accent sur le support matériel, le sol et sur l'origine de la
maîtrise exercée12». Pour E. C. GIANOLA,
l'élaboration d'une définition qui serait culturellement commune
à tous ne serait pas la meilleure solution en raison de la
difficulté à rester neutre. En définissant le foncier, on
risque à la fois de : Emile LE BRIS, Etienne LE ROY, Paul MATHIEU,
« L'appropriation de la terre en Afrique noire. Manuel d'analyse, de
décision et de gestion foncières », Ed. KARTHALA, Paris
1998, p. 13-22
Mettre l'accent excessivement sur un certain aspect du foncier
en délaissant d'autres aspects également significatifs de
celui-ci ; Traduire une certaine vision du foncier dans un cadre purement
intellectuel et suivant la perspective culturelle de la société
dans laquelle nous nous situons. Cet auteur propose alors une alternative
consistant à appréhender le « foncier » comme «
une construction socioculturelle composée de certains
éléments essentiels qui, tout en étant communs à
chaque espèce ou à chaque genre foncier, ne sont pas
associés particulièrement à l'un d'entre eux. Ainsi, les
écarts entre les différents systèmes fonciers ne seront
pas liés à la différence entre les types
d'éléments qui les constituent mais à la
12 7Emile LE BRIS, Etienne LE ROY, Paul MATHIEU,
« L'appropriation de la terre en Afrique noire. Manueld'analyse, de
décision et de gestion foncières », Ed. KARTHALA, Paris
1998, p. 13
12
différence entre les relations existantes entre les
divers éléments déterminés par les valeurs
socioculturelles qui sont attachées à chaque
élément. C'est l'arrangement de ces relations qui
détermine une structure foncière
donnée13». CHAUVEAU et P. LAVIGNE DELVILLE (1998)
soulignent à la fois « la double dimension politique et sociale du
foncier, arguant que celui-ci est une question politique
révélatrice des dynamiques sociales et des
inégalités structurelles, et qu'un système foncier ne peut
fonctionner que garanti par un système d'autorité
(coutumière, étatique ou mixte) qui définit les
règles et veille à leur application14». En terme
d'objet d'analyse, E. LE ROY (2000) note que : « l'espace et les
ressources doivent donc s'analyser de façon différente en termes
fonciers. L'espace donnera lieu à un droit d'accès exclusif et la
ressource à un droit de prélèvement, d'exploitation ou de
disposition. On parle même de foncier environnemental' dans la
gestion de l'espace et des ressources.»
? Enjeu foncier
Pierre Yves-Le Meur15, définit le terme
d'enjeu foncier comme un raccourci. Il renvoie tout d'abord à une
relation foncière, c'est-à-dire à un rapport social
noué entre acteurs individuels ou collectifs autour d'une chose ou d'un
bien (terre, plantation, mare, etc.), et non au rapport direct d'un individu ou
d'un groupe à cette chose ou à ce bien. Le plus souvent la
relation foncière est sous-tendue par un complexe d'enjeux très
hétérogènes et dépendants des acteurs
impliqués. Il peut s'agir d'enjeux productifs, commerciaux ou de
subsistance, rentiers, inscrits dans le court terme ou dans la longue
durée et liés à des questions de sécurisation ou de
gestion du risque, ou encore d'enjeux politiques, religieux ou symboliques. En
bref, une relation foncière n'est que rarement purement foncière.
C'est du moins ce que laisse apparaitre la formulation des hypothèses
susmentionnées et dont la vérification fera l'objet dans ce
travail scientifique. Lavigne-Delville et Durand-Lasserve (2OO8) pensent que
les enjeux fonciers auxquels sont confrontées toutes les politiques de
développement sont l'accroissement démographique, l'accès
à la terre et aux logements pour tous, la conciliation de la croissance
économique et de la réduction des inégalités, les
compétitions entre acteurs autour de la terre qui sont des sources des
conflits à l'échelle locale et nationale, la gestion du
13 GIANOLA (E.C.), « La
sécurisation foncière, le développement
socio-économique et la force de droit. Le cas des économies
ouest-africaines de plantation », Edition l'Harmattan, Paris, 2000,
p. 12
14 Cité par Moustapha OMRANE, In :
« Transmission de la terre, logique socio-démographique et
ancestralité au sein d'une population rurale des Hautes Terres de
Madagascar », Paris, 2007, p. 48 »
15Approche qualitative de la question
foncière, issue d'une présentation orale effectuée
dans le cadre de l'atelier de lancement du projet de recherche INCO CLAIMS
(Changes in land access, institutions and markets in West Africa)
financé par l'Union Européenne, qui s'est tenu à
Ouagadougou du 21 janvier au 1er février 2002.
13
peuplement et la question de la maîtrise de la
croissance des villes, la nécessité pour les pays africains de
réussir les politiques et réformes foncières.
Ainsi, face aux enjeux, les pays africains sont
confrontés à des défis spécifiques qui se
résument en quatre points.
1) Permettre l'accès au sol des populations, pour
produire, se nourrir et se loger.
2) Prévenir et réguler les conflits sur
l'accès à la terre et aux ressources naturelles.
3) Prendre en compte la diversité des droits sur la
terre et les ressources naturelles renouvelables.
4) Un besoin de politiques foncières dans un monde
libéral.
Ainsi, les enjeux fonciers sont portés par des acteurs
individuels et collectifs, que l'on peut schématiquement ranger dans
deux catégories : d'une part des acteurs en compétition pour
l'accès aux ressources, autour de relation qui peuvent être de
concurrence, d'échange, de conflit, d'alliance ; d'autre part, des
instances ou institutions de contrôle de l'accès aux
ressources.
Vincent et Ouédraogo (2008) vont beaucoup plus loin et
pensent que les enjeux fonciers en Afrique et dans le contexte rural Ouest
africain, sont plus que jamais d'importances. Ils sont perçus à
travers l'évolution des contextes socioéconomiques et politiques
nationaux et du contexte international qui fait apparaitre de nouveaux
défis fonciers, dont l'ampleur reste encore incertaine. Alors que des
rivalités foncières locales étaient, dans le passé,
atténuées par un contexte de relative abondance des terres, la
dynamique de saturation de l'espace va mettre en question la viabilité
des exploitations coloniales et constituer une menace réelle pour la
paix sociale. Selon eux, cette menace stratégique des acteurs et gestion
de la propriété foncière par les collectivités
locales engendre une amplification des mouvements migratoires qui
soulèvent de graves tensions identitaires. Par ailleurs la gestion du
pastoralisme devient de plus en plus complexe du fait de la mobilité des
troupeaux. Tous ces enjeux sont renforcés par l'absence de vision
explicitée de l'avenir du monde rural, qui mettrait
inévitablement en jeu les types d'agriculture à promouvoir. Ils
soulignent également l'importance de l'inapplicabilité de la
quasi-totalité des législations pour lutter contre la
spéculation foncière, ce qui laisse libre cours à
l'accaparement d'importantes superficies à des fins des biocarburants,
nouveaux et puissants facteurs de consommation foncière dans la
région ouest africaine, et l'absence d'une bonne régulation
étatique, un facteur favorisant la dynamique de
14
concentration des terres dans les mains des plus nantis. Ils
précisent que ces marchés fonciers non contrôlés par
l'Etat deviennent de surcroît source de conflits là où, les
mécanismes de régulation foncière locale sont
défaillants. Dans la même logique, l'espace périurbain est,
en particulier, en restructuration permanente, sous les effets de ce
marché informel très dynamique pour lequel les
collectivités locales trouvent l'opportunité de
générer des ressources à travers la réalisation de
nouveaux lotissements, qui parfois, engendrent de nouvelles tensions
sociales.
Cette approche est utile pour nous dans la mesure où
elle met l'accent sur les stratégies des deux grandes catégories
d'acteurs signalées dans notre problématique de recherche, mais
aussi, elle nous facilitera l'appréhension de ce phénomène
non seulement autour des anciennes plantations coloniales mais
également, aux localités de Foumbot et Kouoptamo toutes
entières.
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