B- Le nécessaire accroissement des pouvoirs du
juge administratif camerounais dans l'exécution des décisions de
justice
Au Cameroun l'exécution des décisions de justice
par l'Etat camerounais se fait à géométrie
variable172. L'absence des voies d'exécution des
décisions contre l'administration permet souvent à l'Etat
camerounais de n'exécuter que les décisions qu'il trouve
opportunes. Or, dans un registre de promotion et d'édification de l'Etat
de droit au Cameroun, cela se révèle être une aberration
quand l'on s'est qu'en France notamment, le juge administratif est un
véritable juge jurislateur, administrateur de ses décisions, dont
la substance se résume dans le droit d'injonction (1) et le droit
d'astreinte (2), droits dont doivent jouir le juge administratif
camerounais.
1- Le juge administratif camerounais et
l'exécution des décisions de justice : son droit
d'injonction
Mener une réflexion sur l'injonction consiste à
réfléchir sur la portée opérationnelle de
l'autorité de la chose jugée. Au Cameroun, les décisions
rendues par les juridictions administratives sont relativement
exécutées par l'administration. Or, l'obligation
d'exécuter les décisions de justice répond à un
impératif constitutionnel car, si les administrateurs ont le devoir de
se conformer aux décisions de la juridiction administrative, c'est parce
que dans le système de l'unité de l'Etat, tout acte posé
par une autorité administrative opérant dans le cadre de sa
compétence régulière, doit normalement valoir comme
manifestation de l'activité de la personne Etat, une et
indivisible173.
Au Cameroun en effet, il est légion de constater et de
voir que l'administration est un peu voyou, dans l'exécution
des décisions de justice prononcées à son encontre car,
« l'inexécution des décisions de justice par
l'administration est ce qui fait le plus problème dans la justice
administrative »174ceci en raison du fait que le juge
administratif camerounais n'est pas lui-même, administrateur des
décisions qu'il prononce. Or dans les Etats comme la France, le juge
administratif s'affirme comme véritable juge jurislateur, garant
inconditionnel de la légalité administrative au point où
il lui est permis d'adresser des injonctions à l'administration lorsque
celle-ci est réticente dans l'exécution des décisions
qu'il prononce.
172Jean Magloire Nlate, Les psychodrames
consécutifs au boycott des décisions de la Cour Suprême par
l'Etat du Cameroun : étude de cas avec les affaires CMC/Sam
Mbendé contre Etat du Cameroun, Conseil de paroisse EPCO Ekounou contre
Etat du Cameroun, Yaoundé, Editions Magolo Makele, 2013, 227
pages.
173Carré de Malberg, Contribution à
la théorie générale de l'Etat, Tome 1, p.727.
174Maurice Kamto, op.cit., p. 97
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
98
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
Le but de l'injonction est en effet de
rééquilibrer les outils, pour ainsi conforter la place du juge et
par ce biais renforcer ses moyens ; elle participe d'une subjectivation du
contentieux et d'une « fondammentalisation » du
droit175. L'injonction fait partie du pouvoir de juger ; il exprime
de ce fait l'impérium du juge administratif. L'injonction a ainsi deux
principales fonctions dont l'une s'affirme être pédagogique et
l'autre davantage préventive.
Sous son rapport pédagogique, l'injonction est non
seulement une démarche d'appui, mais une réponse à
l'incertitude des parties au procès, sur les mesures d'exécution
des décisions de justice176. En France en l'occurrence,
Pierre Méhaignerie avait brillamment éclairci la notion
d'injonction en considérant que par elle, « le juge administratif
ne fait qu'aider et éclaircir l'administration. En lui indiquant des
mesures précises, il évite que le justiciable ne revienne devant
la juridiction pour non-exécution, ou simplement mauvaise
exécution de la décision rendue ».
Sous un rapport préventif, l'injonction permet pour
l'essentiel d'anticiper l'inertie supposée ou redoutée de
l'administration dans l'exécution des décisions de justice. Au
regard de ces considérations, il importe donc pour le juge administratif
camerounais de disposer de ce pouvoir, non pas pour amenuiser l'autorité
de l'Etat, mais pour renforcer son autorité et celle des
décisions qu'il rend, dans l'optique de promouvoir l'Etat de droit. A
côté de ce moyen dont devrait disposer le juge administratif
camerounais, il existe un autre moyen pour lui permettre d'être
administrateur des décisions qu'il rend ; ce pouvoir se trouve au sein
du droit d'astreinte.
2- Le droit d'astreinte du juge administratif
camerounais et l'exécution des décisions de justice
L'exécution des décisions rendue par les
juridictions, qu'elles soient judiciaires ou administratives est un
baromètre de l'Etat de droit. De ce point de vue, il importe que les
jugements soient exécutés même si certaines mesures
infléchissent l'autorité de l'Etat. Pour cela, il importe dans
certains cas pour le juge administratif de disposer du pouvoir d'astreinte pour
que ses décisions soient exécutées.
Au Cameroun, le juge administratif ne peut pas encore utiliser
la procédure d'astreinte contre l'administration. Cela signifie qu'il
n'existe aucune pénalité d'ordre pécuniaire de
175Communication colloque Montpellier, « le
besoin d'injonction », 5 septembre 2014, p. 5.
176Idem, p. 6.
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Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
nature à obliger l'administration à
exécuter les décisions de justice. A l'analyse, nous nous rendons
compte du fait que cette impossibilité d'usage des mesures d'astreinte
par la juge administratif donne une marge de manoeuvre et une liberté
à l'administration dans l'exécution des décisions qu'il
rend. Or, le respect et l'exécution des décisions de la
juridiction administrative permet en effet de saisir certains contours de
l'Etat de droit et de la protection des justiciables. Si en France par exemple,
le juge administratif dispose de cette prérogative ou de ce pouvoir, le
juge administratif camerounais en devrait également disposer car en
infligeant des sanctions pécuniaire à l'administration, celle-ci
se verrait certainement dans l'obligation d'exécuter les
décisions rendues par les juridictions administratives, dans le but de
garantir l'intérêt général.
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