L'investisseur victime d'une infraction boursière en zone CEMAC.( Télécharger le fichier original )par francois xavier Bandolo Université de Yaoundé II - Master II Droit des affaires 2015 |
1. DEBAT SUR LA NOTION DE VICTIME D'UN DELIT D'INITIELa question qui oppose la doctrine est celle de savoir : « à qui les opérations d'initiés préjudicient-t-elles ? »115(*). A l'investisseur ou à la société elle-même ? Concernant la société émettrice, D' aucuns ont pu affirmer que « le trouble qui résulte de l'infraction touche les intérêts généraux de la société, et de ce fait la réparation ne peut en être assurée que par l'action publique : la commission du délit d'initié ne crée pas de préjudice pour les porteurs de titre, d'autant plus que ce délit a un fondement moral et non économique»116(*). Annotant l'affaire SOCIETE GENERALE DE FONDERIE, le Professeur HOVASSE déclare « on aperçoit mal comment le délit d'initié pourrait donner prise à une demande en réparation de la part d'opérateurs, car ce délit ne cause aucun préjudice.(...) Si un initié titulaire d'informations boursières se porte acquéreur, il va tirer les cours vers le haut et toute la communauté des opérateurs en bénéficie. (...) Le même raisonnement pourrait être conduit en sens inverse lorsque l'initié est titulaire d'informations défavorables »117(*). Mais ce raisonnement peut être discuté car l'investisseur peut également se prévaloir du statut de victime d'un délit d'initié. Concernant la victime, En effet, La victime qui a conservé des titres antérieurement acquis en raison de la hausse artificielle du cours résultant de la diffusion d'informations fausses ou trompeuses sur la situation de l'émetteur n'aurait sûrement pas agi de la sorte si les informations n'avaient pas été publiées.On a vu précédemment que grâce à la notion de « perte de chance », un tel préjudice pourrait être réparable. « Pourquoi ne pas retenir unraisonnement similaire en matière de délit d'initié : l'épargnant aurait-il conservé ses titres si l'information privilégiée avait été publique ? Dans ces différentes hypothèses, ne peut-on pas caractériser la perte certaine d'une chance sérieuse de pouvoir revendre les titres en limitant les pertes ? »118(*). Face à cette incertitude sur la victime du délit d'initié, l'état actuel du droit positif indique des pistes de solution. 2. L'ETAT ACTUEL DU DROIT POSITIF SUR LA DETERMINATION DE LA VICTIME D'UN DELIT D'INITIE.La jurisprudence est favorable pour reconnaitre à l'investisseur la qualité de victime d'un délit d'initié au même titre que la société. Position bénéfiques pour les législations de la zone CEMAC. La jurisprudence a peu abordée la question de savoir à quelles personnes un délit d'initiés pouvait préjudicier. Dans l'affaire de la SOCIETE GENERALE DE FONDERIE, la cour d'appel de Paris s'est contentée de relever que les parties civiles n'avaient réclamé aucune réparation du chef des délits d'initiés pour lesquels les prévenus étaient également poursuivis119(*).Un arrêt récent de la chambre criminelle casse120(*) une décision de la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris en date du 15 juin 2001 qui avait déclaré irrecevable la constitution de partie civile du chef de délit d'initiés en estimant que l'utilisation d' informations privilégiées « si elle peut porter atteinte au fonctionnement normal du marché, ne cause par elle-même aucun préjudice personnel et direct aux autres actionnaires de la société ni à la société elle-même ». La cour de cassation censure ce raisonnement et affirme que « à le supposer établi, le délit d'initié est susceptible de causer un préjudice personnel direct aux actionnaires ». De plus, il demeure qu'a été affirmée la possibilité d'un préjudice causé à l'actionnaire par le délit d'initié. Cette solution a été confirmée récemment dans l'affaire SIDEL121(*). Ainsi, il apparait que la jurisprudence se montre favorable à la reconnaissance de l'investisseur comme victime d'un délit d'initié. C'est ce chemin que le législateur doit suivre en zone CEMAC. Dans la zone CEMAC, à l'image du droit français, il convient d'admettre que l'investisseur puisse être victime de l'infraction de délit d'initié au même titre que la société de marché.En effet, la société de bourse subit un préjudice évident lié au désintéressement que le délit d'initié suscite du coté de ses victimes. Le délit d'initié est susceptible d'engendrer un manque de confiance véritable chez les investisseurs. Dans le contexte africain, cela est d'autant plus pertinent, car ici, on assiste à une certaine méfiance des mécanismes boursiers. Ainsi, le fait pour un marché de perdre les investisseurs, lorsque cela provient des comportements illicites de certains acteurs sur ledit marché, constitue à n'en point douter un préjudice. Le délit d'initié heurte donc significativement la théorie de l'efficience du marché. « Un marché est considéré comme efficient lorsque l'ensemble des informations pertinentes et nécessaires à l'évaluation des actifs financiers se trouve instantanément et à tout moment reflétée dans les cours des titres »122(*). Cette théorie stipule que les investisseurs sont tous égaux dans l'acquisition de l'information123(*). Le préjudice de la société est donc naturel. Il convient également de relever que le préjudice de l'investisseur tiré d'un délit d'initié, peut être déduit de celui du marché, car, ce sont les investisseurs qui donnent un sens au marché à travers leurs investissements. Certes, la décision d'investir engendre le risque, mais cet argument ne suffit pas pour nier tout préjudice à l'investisseur. Celui-ci devra néanmoins prouver que c'est le comportement illicite de l'initié dans sa mauvaise utilisation de l'information privilégiée qui est la cause directe de son préjudice. Le préjudice de l'investisseur apparait donc comme un symbole de la moralité dans les affaires. En somme le préjudice de l'investisseur doit exister à coté du préjudice de la société. Il en découle de ce qui précède que dans la zone CEMAC, l'évaluation du préjudice tiré d'une infraction boursière, se fait selon le droit commun de la responsabilité civile. Il convient cependant de relever que cette évaluation fait face à nombreux obstacles qui peuvent parfois être relevés dans le cadre de la réparation intégrale du préjudice. PARAGRAPHE 2 : LA REPARATION INTEGRALE DU PREJUDICE.La réparation intégrale du préjudice est un principe cardinal du Droit de la responsabilité civile délictuelle (A) donc l'application en matière de délit boursier engendre de nombreuses difficultés (B). A. LE PRINCIPE DE LA REPARATION INTEGRALE DU PREJUDICELa réparation du préjudice résultant d'une faute civile n'est pas proportionnelle à la gravité de la faute mais à la seule importance du dommage subi124(*). Ainsi, la Cour de Cassation française juge que « le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit »125(*). En outre, la responsabilité civile telle qu'elle s'applique aujourd'hui au Gabon et dans d'autres Etats de la zone CEMAC est régie par le principe de la réparation intégrale126(*) qui suppose que tout dommage de la victime soit réparé dans son intégralité127(*). En effet, toute faute, même légère, ouvre droit à la réparation intégrale du dommage causé, mais à ce seul dommage, certain, actuel, et né de la faute. La réparation intégrale a donc une certaine intensité en matière boursière (1), étendu toutefois limité par le contrôle des juges (2). * 115 VALANCE (L), op.cit. p 21. * 116DE VAU PLANE (H) &SIMART (O), « Délits boursiers : propositions de réforme »,Rev. Dr. Ban c. et Bourse, mai juin 1997, n°61, p.85. * 117 CA Paris, 15 janvier 1992, obs. H. Hovasse, op. cit. * 118DEFFAINS (D) & STASIAK (F), op. cit. * 119 CA Paris, 15 janv. 1992, préc. * 120Cass. crim., 11 décembre 2002, Bull. crim. N°224 ; BJB, 200 3, p.149, §23, note F. Stasiak;BJS, 2003, p.437,§ 87, note E. Dezeuze. * 121 T. corr. Paris, 12 septembre 2006. * 122 GILLET (P), efficience des marchés financiers », Economica, 1991, p 11. * 123 BOUJLIDA (A), le comportement psychologique de l'investisseur, mémoire, Université de Manouba Tunis, 2005, p 8. * 124 RONTCHEVSKY (N), la réparation limitée du préjudice des investisseurs victimes d'une fausse information en Droit français, journal des sociétés, juillet 2011, p 19. * 125 Cass.com., 10 janvier 2012, n°10-26.837, inédit. * 126 COUSTANT-LAPALUS (V.C), le principe de réparation intégrale en Droit privé, Thèse, Université de Paris 1, 2002. * 127 Rapport, l'évaluation du préjudice financier de l'investisseur dans les sociétés cotées, novembre 2014, p 20. |
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