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Parmi les nombreux problèmes qui entravent actuellement
le développement socio-économique des pays d'Afrique, celui de la
santé est devenu, au cours de ces dernières décennies,
l'un des plus préoccupants. Selon l'OMS, la santé peut se
définir comme un état complet de bien-être physique, mental
et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou
d'infirmité. Elle peut s'apprécier tant comme un indicateur de
développement économique que comme une forme de capital humain.
En effet, l'état de santé de la population d'un pays permet
d'apprécier la capacité de celui-ci à procurer à sa
population des moyens vitaux. En plus, il influence l'offre et la
productivité de la main d'oeuvre ainsi que les performances
scolaires.
Au lendemain de leur indépendance, les pays africains
déclaraient la santé comme un droit et instauraient la
gratuité des soins pour tous (SURET-CANALE, 1968). Mais les
systèmes de santé hérités de la période
coloniale n'étaient pas adaptés à la répartition
démographique et aux besoins de santé de base de ces pays. C'est
ainsi qu'à Alma Ata (Russie) en 1978 les pays membres de l'Organisation
Mondiale de la Santé (OMS) décidèrent de donner
officiellement le point de départ d'une réorganisation profonde
des systèmes de santé en Afrique, avec une forte
décentralisation et une stratégie axée sur la
prévention et les soins de santé primaires (SSP). Cette
stratégie se heurta rapidement à la question de son financement
du fait de la dette des pays africains. C'est dans ce contexte que
l'idée de financement des services de soins par le recouvrement des
coûts des prestations auprès des malades fit son apparition et fut
officiellement lancée par l'OMS à Bamako (Mali) en septembre 1987
sous le nom d'Initiative de Bamako (IB). Cependant, les chances de
succès d'une telle initiative ont été largement
hypothéquées par la profondeur de la crise économique des
années 90. La baisse du budget des Etats alloué à la
santé, orienté plus vers le remboursement de la dette
extérieure, s'est accompagnée non seulement d'une baisse du
revenu moyen des ménages mais aussi d'une hausse des disparités
au sein des populations. Toute chose engendrant une détérioration
de l'ensemble des indicateurs de santé (taux brut de mortalité,
taux de mortalité infantile, taux de morbidité
général, etc.)
Le Burkina Faso, Pays Pauvre Très Endetté
(PPTE) ne déroge pas à cette règle. Comme les autres pays
africains, la crise économique a enfoncé le pays dans une
récession sociale et économique profonde. Concernant la
capacité de la population à recourir aux soins, la crise
économique, accentuée par la dévaluation du Franc CFA en
1994, a considérablement modifié la demande de soins des
populations. L'appauvrissement des populations a entraîné une
baisse de la capacité financière de recours des ménages
avec de fortes conséquences non seulement sur le niveau de
dépenses de santé mais également et surtout sur les formes
d'accès aux soins. Ainsi donc, la santé des populations n'a fait
que se détériorer.
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Certes, la quête de la santé a jadis
été une préoccupation essentielle dans l'existence des
hommes dans les différentes sociétés. Cependant, il est de
la responsabilité de l'Etat de promouvoir, de protéger et de
restaurer la santé de la population partout où le besoin
s'exprime.
C'est ainsi que le Burkina Faso a fait du
développement sanitaire un des domaines prioritaires de l'action
gouvernementale. D'énormes efforts sont régulièrement
consentis afin d'améliorer les indicateurs de santé en assurant
une disponibilité et une accessibilité de plus en plus effective
des services de santé modernes. Il en résulte une augmentation
aussi bien en nombre des infrastructures sanitaires, mais aussi une
amélioration de la qualité des services fournis. Des
stratégies et programmes d'envergure comme l'Initiative de Bamako (IB)
ont réduit de façon considérable le coût des
produits par l'introduction des Médicaments Essentiels
Génériques (MEG). Elles ont promu une participation accrue des
communautés à la gestion de la chose sanitaire (MSASF, 1992). La
mobilisation des ressources financières pour un développement
global, équitable et durable de la santé demeure insuffisante
malgré les efforts de l'Etat et de ses partenaires, tandis que
paradoxalement l'on note un faible taux d'absorption des services
disponibles.
L'état de santé de la population demeure
toujours précaire au Burkina Faso nonobstant les efforts consentis par
l'Etat. Les indicateurs comme le taux de morbidité et de
mortalité réagissent trop lentement aux changements du
système sanitaire. En effet, la morbidité générale
de la population au Burkina est élevée soit 15,8% en 1995 (MS
/DPSN, 2000). Elle est principalement dûe aux endémo-
épidémies locales et aux affections chroniques non
transmissibles. La morbidité est surtout élevée chez les
enfants de moins de 5 ans et les personnes âgées sans distinction
de sexe (MS /DPSN, 2000). Le taux de mortalité générale,
estimé à 14,8% (RGPH, 1996), s'explique essentiellement par les
taux élevés de mortalités infantile,
infanto-juvénile et maternelle. Le taux de mortalité infantile
est passé de 103, 3 % en 1998 (INSD et Macro International 2000)
à 81 % en 2003 (INSD et Macro International, 2004). Celui de la
mortalité infanto-juvénile est passé pour la même
période de 219,1% à 184%. Cette mortalité est dûe,
entre autres, aux maladies transmissibles (le paludisme), les maladies cibles
du Programme Elargi de Vaccination ( la tuberculose, la diphtérie, le
tétanos, la coqueluche , la poliomyélite), la malnutrition, les
maladies diarrhéiques, les infections respiratoires aiguës
(IRA).
L'offre de soins de santé est
caractérisée dans son ensemble par une insuffisance quantitative
et qualitative des soins, le coût élevé des
différentes catégories de prestations et la faible implication
des populations bénéficiaires. Cet état de fait
entraîne une perte de confiance des populations vis-à-vis des
structures de santé modernes notamment pour les soins curatifs. Outre
tous ces facteurs négatifs qui expliquent la mauvaise
fréquentation des
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services de santé, des études plus
spécifiques ont établi des relations entre groupe d'âges et
préférence d'utilisation des ressources sanitaires. En effet, il
ressort que les stratégies de rationalisation des ressources sont
très austères à l'égard des classes d'âges
improductives dominées par les enfants (SAUERBORN et al. cité par
SANOU, 2001).
Dans chaque société, il y a une perception
particulière de la maladie, de sa gravité et les attitudes des
malades en dépendent. La prise en charge thérapeutique du patient
n'est plus assurée seulement par les centres spécialisés,
elle est aussi assurée par les praticiens de la médecine
alternative. D'une façon générale, en milieu villageois,
les problèmes de santé de la petite enfance sont
considérés comme l'apanage des « vieilles » (OUEDRAOGO,
1996). Celles-ci totalisent à n'en pas douter une somme
considérable d'expériences. La mère occupe aussi une place
prépondérante dans les soins apportés aux enfants, car
c'est à elle qu'incombe l'entretien quotidien de l'enfant. Le choix du
traitement médical ne se fait pas de façon fortuite mais
dépend d'une logique, d'une rationalité propre à chaque
ethnie, à chaque société ayant des us et coutumes voire
une croyance religieuse.
Ce constat suscite en nous un certain nombre d'interrogations
spécifique constituant notre question de recherche.
Quels sont les itinéraires thérapeutiques
suivis par les ménages pour soigner leurs enfants ?
Des facteurs influencent-ils l'enfant et son entourage
à opter pour un type de traitement en cas d'épisode morbide ?
Quand recourt-on aux services de soins lorsque les enfants
sont malades ?
Qui décide du recours thérapeutique lors de la
maladie des enfants ? Telles sont autant de questions auxquelles nous tenterons
d'apporter des éléments de réponses dans cette
étude.
L'initiative de la présente investigation se justifie
car elle permet d'obtenir un minimum d'informations récentes sur les
conditions sanitaires des ménages; les différents travaux
déjà existant sur le sujet étant exclusivement des
rapports établis par les services de santé. Ces rapports sont
souvent incomplets et ne reflètent que les données sur ceux qui
se sont présentés aux personnels de santé. De ce fait,
pour mieux étudier la demande de soins, il faut s'adresser aux
utilisateurs ou aux consommateurs à travers une enquête
ménage.
Son intérêt est qu'elle permet de tracer les
itinéraires thérapeutiques d'un certain nombre de pathologies
spécifiques aux enfants de moins de 15 ans, car la majeure partie des
publications réalisées sur les itinéraires
thérapeutiques se sont appesantis sur les enfants de moins de 5 ans. De
surcroît, les investigations ont été menées selon
une pathologie bien déterminée.
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Certes les enfants de la tranche d'âge de 5-14 ans sont
relativement en bonne santé comparativement aux moins de cinq ans, mais
leurs choix permettra de voir s'il n'y a pas une différence de
traitement pour le recours aux soins entre les enfants biologiques,
confiés ou pris en charge par les ménages. Cela se justifie
d'autant plus que cette tranche d'âge correspond à l'âge
scolaire. Les parents confient les enfants à des tuteurs en cas
d'indisponibilité des infrastructures scolaires sur place. Il faut noter
qu'en milieu rural les enfants constituent une main-d'oeuvre importante dans
les travaux champêtres. Partant de là, leurs maladies jouent sur
la productivité, la production agricole, influençant ainsi le
revenu du ménage. A cela, il faut ajouter le rôle de la maladie
sur la scolarité des enfants notamment sur leurs cursus. Ce rôle
est d'autant plus perceptible que la maladie est longue et chronique. Cela
entraîne un absentéisme prononcé pouvant influencer les
performances scolaires et entraîner des abandons.
Notre recherche permet aussi de mettre en exergue les choix
thérapeutiques des malades au vu de la détérioration
progressive de l'état sanitaire des populations. Ces conditions sont
caractérisées entre autre par la baisse du pouvoir d'achat des
ménages ; le recours de plus en plus prononcé des populations
à l'automédication, à la médecine et la
pharmacopée traditionnelles dans la zone d'étude.
Le choix de l'aire sanitaire de Bomborokuy comme terrain
d'étude se justifie par la sous-utilisation du service de santé
moderne. En effet, il apparaît que cette fréquentation
évolue lentement et est en déça de la moyenne nationale.
Sa position presque frontalière avec le Mali a été aussi
déterminante dans le choix du site. Cette position favorise quelques
échanges économiques avec le pays voisin source de revenus
insuffisantes pour les populations. De même, les importations accroissent
la consommation médicale en rendant disponible les médicaments de
la rue, bon marché, diversifiant ainsi l'offre de soins de base.
Celle-ci est constituée par la médecine moderne, la
médecine et pharmacopée traditionnelle, l'automédication
traditionnelle ou moderne.
L'un des motifs du choix du site est l'état de
pauvreté de la population. En effet, l'économie de la zone est
essentiellement agricole alors que les cultures de rente,
généralement source de revenus, y sont peu
développées. Ce sont les cultures vivrières qui y
dominent. Aussi, l'agriculture est tributaire des aléas climatiques qui
hypothèquent à chaque instant non seulement les revenus des
populations mais les maintiennent dans une insécurité
alimentaire. Elle favorise du même coup la malnutrition et fragilise
ainsi la santé des femmes et surtout des enfants.
L'échelle locale a été retenue pour
mieux cerner les recours aux soins de santé primaires dont
bénéficient les enfants dans une localité dépourvue
de service de santé d'un niveau secondaire encore moins tertiaire. De
même, la pauvreté, la proximité du site de l'étude
avec
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le Mali sont des facteurs favorisant la prolifération
des médicaments de la rue et par conséquent peut jouer sur la
fréquentation des services de santé moderne.
Dans le même ordre d'idées, l'étude sur
les itinéraires thérapeutiques en cas de maladie chez les enfants
de moins de 15 ans dans l'aire sanitaire de Bomborokuy (District Sanitaire de
Nouna) nous permettra de cerner, l'importance du rôle joué par les
mères dans les soins portés aux enfants tout en dégageant
les itinéraires suivis à la quête de ces soins.
Ainsi, notre étude a pour objectif
général d'analyser le choix des recours thérapeutiques
envisagés dans la prise en charge de la maladie des enfants de moins de
15 ans dans l'aire géographique du CSPS de Bomborokuy (District
Sanitaire de Nouna, Province de la Kossi).
Spécifiquement, elle vise à retracer les
itinéraires thérapeutiques des enfants de moins de 15 ans,
identifier les différents acteurs et leurs rôles dans la prise en
charge des enfants malades, et analyser les facteurs influençant les
itinéraires thérapeutiques.
La présente étude s'articulera autour des
chapitres suivants :
-La présentation de la zone d'étude
-Les aspects théoriques et la méthodologie
-La présentation des itinéraires
thérapeutiques
-L'analyse de quelques déterminants du premier recours de
l'itinéraire thérapeutique