CHAPITRE QUATRIEME
PISTES POUR LE DEVELOPPEMENT DE L'AGRICULTURE
L'agriculture et la croissance inclusive en
RDC Madue Wanet Joël
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Le chapitre qui précède a montré que
l'industrie et le commerce ont plus d'incidence dans la croissance
économique alors que l'agriculture a moins d'incidence. Pour que
l'agriculture joue réellement et efficacement ce rôle de
« take off » de l'économie
nationale, elle doit être performante. De tout temps, il est de coutume
en RDC de proclamer que l'agriculture est la priorité des
priorités sur le chemin qui mène à la croissance
économique. A l'épreuve des faits, ce n'est là qu'une vue
de l'esprit, devenue un simple slogan à force d'être
répétée. L'ossature de ce chapitre s'articule autour de
trois sections d'importance inégale. La première section consacre
ses délibérations vers l'asphyxie des secteurs producteurs des
biens alimentaires, la deuxième section examine en profondeur la
modernisation du secteur agricole et enfin la troisième section aborde
les produits à relancer et l'élevage et la pêche.
4.1. L'ASPHYXIE DES SECTEURS PRODUCTEURS DES BIENS
ALIMENTAIRES
Alors que le bateau économique de la RDC sombrait faute
d'un capitaine expérimenté, le Roi de l'Agro-industrie, Monsieur
William DAMSEAUX, vient de jeter l'éponge et
décider de fermer ses activités agro-industrielles sur l'ensemble
du territoire national. Le Groupe Orgaman a nourri
pendant plusieurs dizaines d'années la population de l'ancienne province
de Léopoldville pour ne parler que d'elle. Il était
propriétaire d'une société de pêcherie industrielle
dans le lac Albert et dans l'Océan Atlantique. Bien avant
l'indépendance, il avait des élevages bovins et dominait le
marché de la volaille qu'il élevait dans la ceinture verte de
Kinshasa.
La chute de ce groupe a été
précédée par la faillite de l'Elakat
au Katanga, du groupe multinationale britannique
UNILEVER qui était implantée dans le
Bandundu où elle produisait industriellement de l'huile de palme, de
J.V.L. dans le Bas-Congo et tant d'autres entreprises
agro-industrielles. Le fait capital est que derrière le
dépôt du bilan de l'Elakat, du groupe Orgaman, d'UNILEVER et de
J.V.L se profile une évidence :
L'agriculture et la croissance inclusive en
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notre pays n'est plus autosuffisant
alimentairement. Il est devenu
importateur des produits vivriers pourtant à son
accession à l'indépendance (le 30 juin 1960), la RDC
était autosuffisante sur le plan alimentaire, et même exportatrice
nette des produits agricoles.23 On n'est pas indépendant tant
que l'on ne dispose pas de l'indépendance du ventre : La
quasi-totalité des biens alimentaires qu'on trouve dans des Grandes
Surfaces de Kinshasa et de Lubumbashi sont importés et donc
achetés de l'extérieur. Il s'agit entre autres du riz, du sucre,
du fromage, maïs, des pommes de terre, de la farine de blé, de la
viande bovine, des poulets, etc. même les cure-dents, alors que nous
hébergeons la deuxième méga-forêt du monde
après l'Amazonie. Autant dire que la République
Démocratique du Congo dépense pour nourrir la population
l'essentiel de ses maigres devises tirées de la vente de ses ressources
minérales.
Tableau 6 : importations des produits
vivrières (en tonnes), 2005-2010
Produits
|
2005
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
Huile végétale
|
-
|
30042,4
|
46378,9
|
15919,4
|
53653,7
|
48482,0
|
Maïs
|
-
|
167,0
|
160,3
|
442,9
|
6348,3
|
-
|
Farine de maïs
|
-
|
1304,1
|
10166,2
|
3666,9
|
23205,0
|
35377,0
|
Farine de
froment
|
34140,0
|
25371,5
|
36529,3
|
28077,6
|
55425,0
|
40747,0
|
Riz
|
262662,0
|
519645,6
|
185532,9
|
111454,8
|
178796,4
|
102743
|
Haricot
|
-
|
3801,2
|
6458,5
|
8517,4
|
11771,5
|
11508,0
|
Petit pois
|
-
|
190,8
|
1876,8
|
-
|
10569,5
|
-
|
sucre
|
-
|
53961,0
|
102015,0
|
96682,0
|
138860,0
|
67045,0
|
Source : SNSA, ministère de l'agriculture/ agriculture en
chiffre
23 Lire pour ce faire STEPHAN SMITH :
negrologie : POURQUOI L'AFRIQUE MEURT, paris, hachette
littérature, 2003, p.p.51-52.
L'agriculture et la croissance inclusive en
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Un chercheur universitaire de Lubumbashi finit par
émettre malgré tout sur la même longueur d'onde que bon
nombre de ses pairs puisqu'il observe que :
« Autre problème à résoudre pour
Lubumbashi : l'absence d'autosuffisance alimentaire. Depuis toujours, la ville
dépend trop largement de l'extérieur pour se nourrir. Le repas
d'un lushois moyen, composé de pâté de farine de maïs
et de poissons chinchards, (...J est dans sa totalité d'origine
étrangère. La Zambie fournit de maïs, la Namibie le
chinchard, l'huile de palme raffinée vient de Malaisie, le sel de
cuisine du Botswana, etc.»24
*
* *
Ce constat nous interpelle, car il montre à quel point
le secteur agricole est à l'agonie. Cependant, nourrir la
population en recourant massivement aux importations revient à financer
la production alimentaire, les travaux des champs, les élevages et les
pêcheries des pays étrangers au détriment des agriculteurs,
éleveurs et pêcheurs autochtones. Ce faisant, la RDC
se suicide pour avoir oublié que la dépendance alimentaire est la
plus contraignante de toutes. bu reste, recourir massivement aux
vivres importés pour approvisionner le marché national alors que
ces vivres peuvent être produits dans le pays, c'est programmer la mort
inexorable de l'agriculture et des agriculteurs ainsi que du secteur
agro-industriel local. Il n'existe pas de pays
développés et même des nations en transition qui
dépendent de l'extérieur pour la consommation de leurs biens
alimentaires de base. La première indépendance d'un pays est de
trouver l'essentiel de ses biens alimentaires à l'intérieur des
frontières nationales sans recourir massivement aux importations.
24 J. MULOWAYI KATSHIMWENA : « Lubumbashi, cent
ans d'histoire » ouvrage collectif paru en 2013 aux
éditions le harmattan.
L'agriculture et la croissance inclusive en
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L'agriculture et la croissance inclusive en
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production agricole de la RDC
12%8%
81%
8%
2011
CEREALES
RACINES ET TUBERCULES LEGUMINEUSES OLEAGINEUX FRUITS
Tableau 7 : toute la production agricole de la RDC
(2011) en tonnes
CEREALES 1519639 8%
Maïs
|
1156106
|
|
Riz Paddy
|
318748
|
|
Millet/Sorgho
|
44782
|
|
RACINES ET TUBERCULES
|
15462724
|
81%
|
Manioc
|
15025515
|
|
Patate Douce
|
250607
|
|
Igname
|
91334
|
|
Pomme de terre
|
95268
|
|
LEGUMINEUSES
|
198089
|
1%
|
Haricot
|
116250
|
|
Niebe
|
63660
|
|
Petit Bois
|
1380
|
|
Pois Cajan
|
5957
|
|
Voandzou
|
10842
|
|
OLEAGINEUX
|
412879
|
2%
|
Arachide
|
393901
|
|
Soja
|
18978
|
|
FRUITS
|
1535268
|
8%
|
Banane Douce
|
316983
|
|
Banane Plantin
|
492151
|
|
Banane a bière
|
726134
|
|
AGREGATS
|
19128596
|
100%
|
Source : SNSA, Ministère de l'agriculture/ agriculture en
chiffre.
Il saute aux yeux que ce tableau illustre qu'il y a une forte
domination du manioc (racines et tubercules : 81% du total de la production
agricole), signe de caractère marqué d'une agriculture
dédiée à l'autosubsistance alimentaire. Et la place du
manioc dans le menu des congolais mérite une attention
particulière. Cependant, malgré ce tonnage important vous ne
trouvez pas une seule minoterie qui moud le manioc dans tout le Congo, pour
produire la farine de manioc pourtant manipulé quotidiennement par des
millions de ménagères et aucune infrastructure de stockage
appropriée n'y a été construite pour le manioc. Par
ailleurs, la faiblesse des autres postes de production (19)%, explique la
présence massive d'aliments importés (céréales,
fruits, légumes, etc.) dans les rayons des surfaces commerciales des
grandes villes du pays. Ce qui veut simplement dire que le congolais ne se
nourrit pas de l'agriculture du Congo Démocratique, il dépense
beaucoup plus pour des produits vivriers importés, mais que la RDC peut
tout aussi bien produire en bonne qualité.
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