L'égalité des armes dans le cadre de l'arbitrage investisseur-état.( Télécharger le fichier original )par Michael Farchakh Université Paris 1 : Panthéon-Sorbonne - Master 2 - Droit International et Organisations Internationales 2015 |
II- LE PROBLÈME D'ACCOUNTABILITY EN ARBITRAGE D'INVESTISSEMENTLe terme accountability est en manque d'équivalent exact dans le vocabulaire français. Cette notion évoque essentiellement une mise en oeuvre de la responsabilité et une reddition de comptes. L'arbitrage d'investissement est en lui-même, dans sa fonction adjudicative, un mécanisme d'accountability des États hôtes face aux investisseurs étrangers. Mais dans son rôle créateur de normes et de règles de comportement pour les États, il devrait subir lui-même un processus d'accountability. «Some attribute the problems of global regulatory governance to the erosion, as a result of globalization, of domestic and international mechanisms of regulatory accountability»221(*). Quand une juridiction nationale façonne le droit par le biais de sa jurisprudence, les contrepoids constitutionnels des pouvoirs exécutif et législatif assurent que le judiciaire ne dépasse pas ses pouvoirs. L'accountability est une pierre angulaire de la gouvernance démocratique, et notamment de la gouvernance globale222(*), or l'arbitrage d'investissement ne connait aucun contrepoids qui puisse garantir sa reddition de comptes. Dans cetteoptiqueil convient de présenter les problèmes du manque de transparence de l'arbitrage d'investissement (A) et de la non-accountability des arbitres (B). A) LA TRANSPARENCE EN ARBITRAGE D'INVESTISSEMENTLa mise en oeuvre de l'accountability d'un système requière que celui-ci soit transparent. «Transparency supports democracy, and democracy confers legitimacy to a system of governance»223(*). La transparence permet d'obtenir l'intégralité des informations nécessaires à l'évaluation de la performance d'un mécanisme. En l'absence de telles informations, une critique constructive et réparatrice devient impossible, et c'est précisément ce problème qui se pose en arbitrage d'investissement. La nature décentralisée et non-hiérarchique du système Investisseur-État rend difficile une définition concrète des exigences de la transparence, on peut toutefois procéder à une énumération indicative des informations qui pourraient être pertinentes : le contenu précis des instruments invoqués par l'investisseur (TBI, contrat, législation), le contexte factuel du litige (identité de l'investisseur, nature de son activité, relation avec l'État), les survenances procédurales de l'instance (requêtes, plaidoiries, décision et raisonnement des arbitres, termes d'une résolution amicale). Toutes ces informations devraient être mises à disposition du public pour assurer que celui-ci puisse exercer le mode suprême d'accountability dans un système de gouvernance démocratique. Certaines bases de données collectionnent et publient les instruments contenant les garanties accordées aux investisseurs, mais un nombre considérable de ces textes restentconfidentiels ou difficiles d'accès224(*). Quant au contexte factuel des litiges, le CIRDI essaye au mieux de fournir un minimum d'information sur les arbitrages inscrits à son registre, mais les arbitrages non-CIRDI peuvent rester complètement secrets, parfois même sans que leur existence ne puisse être révélée par les institutions administrant. Quant aux développements procéduraux, le CIRDI ne publie que des informations très générales sur ses affaires, et les autres institutions ne publient presque rien. Normalement, tous les documents du procès restent confidentiels, la publication de la sentence requière le consentement des deux parties qui est généralement, mais pas systématiquement, accordé225(*). Comment garantir alors l'accountability du système en l'absence de la disponibilité du dossier arbitral dans son intégralité ?Les preuves, les témoignages et les autres éléments qui ont pu nourrir la décision des arbitres sont nécessaires pour pouvoir évaluer le bon fondement de celle-ci. De plus, très peu d'informations sont connues sur le coût d'un arbitrage ; les frais d'avocats, d'arbitres, d'administration, et les éventuels dommages-intérêts à payer sont puisés directement du trésor public ce qui a des implications directes pour le citoyen contribuable226(*). Absence de transparence équivaut à absence de légitimité, compliquant d'avantage la conceptualisation de l'arbitrage d'investissement en tant que gouvernance globale ou droit public internationalisé. * 221 Stewart (R.), Accountability, Participation, and the Problem of Disregard in Global Regulatory Governance, IILJ international legal theory colloquium, 2008, pp. 2-3 * 222 Benvenisti (E.), op.cit., p. 64 * 223 Choudhury (B.), op.cit., p. 810 * 224 Maupin (J.), «Transparency in International Investment Law: The Good, the Bad, and the Murky», in Bianchi (A.), Transparency in International Law, Cambridge University Press, 2013, p. 11 * 225 Boisson De Chazournes (L.) & Baruti (R.), «Transparency in Investor-State Arbitration: an incremental approach», in BCDR International Arbitration Review, Vol. 2 No. 1, 2014, pp. 73-74 * 226Maupin (J.), op.cit., pp. 16-17 |
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