V- REVUE DE LITTERATURE
Avec les dynamiques politiques initiées au tournant des
années 1980 et 1990, la problématique autour de la
société civile présente une nécessité
croissante de nos jours. Certains auteurs la considère à la fois
comme un fait de mode ou comme un nouvel outil d'analyse de l'action
collective30.
Ainsi, lorsque ce concept renaît à partir des
années 1990, c'est en rapport à un « boom associatif »
dans un contexte de transitions politiques. Cette transition, loin d'être
uniquement un fait pour les pays du sud, traverse aussi bien l'Europe centrale
et orientale, que les pays occidentaux31. En effet, c'est dans une
option d'intégration et de participation à la gestion des
affaires publiques et du renversement des théories relatives à
l'existence d'un Etat oppressif32
30 PLANCHE Jeanne, La société
civile, un acteur historique de la gouvernance, Paris, Editions Charles
Léopold Mayer, 2007, p.7.
31 ADAM Ferguson & BERGIER M., Essai sur
l'histoire de la société civile, Paris, P.U.F., 1992,
p.26.
32 COLAS D., Le Glaive et le fléau.
Généalogie du fanatisme et de la société
civile, Paris, Grasset, 1992, p.381..
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que va véritablement « ré-émerger la
société civile dans un contexte de crise des modèles
politiques et économiques33 ».
Au niveau du Cameroun, le repli vers les OSC prend
véritablement corps avec les élections législatives et
présidentielles de 1992, avec la formation durant la même
année des premiers gouvernements « multi partisans ». C'est de
là que fut prononcée dans les discours officiels la notion de
société civile34.
Si certains auteurs lui reprochent son caractère
polysémique, notamment Colas D., qui estime qu'il s'agit d'« un mot
de passe permettant de se parler sans savoir ce que l'on dit, ce qui
évite de trop se disputer35 », notons qu'en Afrique
comme partout ailleurs dans le monde, il s'agit certes d'un « concept
controversé36 » mais dont l'ambition première est
de constituer un vecteur de la participation des individus dans l'espace
politique par la recherche de l'intérêt général ou
encore la défense d'intérêts particuliers.
Par ailleurs s'il est de plus en plus perceptible d'envisager
une ouverture d'espace dans les dynamiques décisionnelles au sein des
Etats, lesquelles dynamiques intégrant à la fois l'Etat, le
secteur privé et la société civile, des voix divergent sur
l'importance et la nécessité de la société civile
en contexte africain.
Dans cette logique, si l'on en croit bon nombre de travaux
récents que nous pouvons qualifier de « sceptique », ce
secteur ne remplit aucune de ses responsabilités en conformité au
développement socio-économique des populations. Elle constitue en
fait un obstacle pour l'entreprenariat des Etats car, malgré les efforts
déployés en matière de structuration de la
société civile, celle-ci manque considérablement de
s'approprier ses lignes directrices. Si on en est arrivé à ce
point, des auteurs tels que Séverin Cécile ABEGA estiment que
cela est dû au fait que
l'impulsion de la société civile naît,
non pas d'une analyse
intellectuelle rigoureuse, ou à partir d'une
véritable théorie économique, mais à partir
d'apriori et d'hypothèses venues d'oeuvres d'économistes
américains aux travaux édulcorés et hâtivement
adaptés37.
33 PLANCHE Jeanne, Op.Cit., p.14.
34 ABEGA Séverin Cécile, La
société civile et la réduction de la pauvreté,
Yaoundé, EDITIONS CLES, Yaoundé, 1999, p.13.
35 COLAS D., Op. Cit., p.44.
36 Ibid. p.32.
37 ABEGA Séverin Cécile, Le retour
de la société civile en Afrique, Yaoundé, Presses de
l'UCAC, 2007, p.86.
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On comprend alors qu'une telle base d'émergence ne
saurait en réalité procurer une facilité d'appropriation
par les acteurs appelés à incarner les instances de la
société civile. Ainsi, en plus de constituer un obstacle pour le
développement socio-économique des Etats africains, la
société civile de par ses faiblesses, matérialise la crise
de l'Etat en lui-même, par la création des frontières
artificielles au sein de l'Etat, et la difficulté de l'Etat à
constituer un peuple38.
Allant dans le même sens, certaines pensées
s'orientent à considérer que le trop plein d'organisation
inhibé dans le spectre des organisations de la société
civile, encourage de manière très efficace, l'octroi par la
bureaucratie des possibilités de détournement des crédits
internationaux sous prétexte de s'employer à résoudre les
problèmes des catégories sociales vulnérables. Ainsi,
selon Claude ABE, « les promoteurs d'ONG jouent un rôle de courtier
39». Une autre appréhension s'érige sur la
problématique en estimant que les difficultés rencontrées
par les organisations de la société civile dans le cadre de
l'appropriation des facilités et des stratégies de
défenses des intérêts de la base, émergent au sein
même de la société civile. En effet, certaines d'entre
elles, se constituent sans fondements idéologiques, sans domaines
d'interventions spécifique, ni d'objectifs clairs, manquant des moyens
humains de qualité, de ressources financières et
matérielles, parfois sans siège social. C'est ce qui fait
observer à NGWAMBE M.F. que
il semble en effet que la création d'une association
est
souvent plus liée à la recherche des
financements qu'aux activités à
entreprendre. Ces organisations sollicitent auprès des
structures
qu'elles jugent capables de les soutenir, aide, assistance,
appui,
partenariat, collaboration et financement, parfois même
avant d'être
opérationnelles40
On comprend alors que l'avènement de la démocratie
avec notamment les libertés
d'expressions, a ouvert une porte au « tout permis »
inculquant « l'idée selon laquelle on ne parle jamais pour tout le
monde 41» dans la mentalité commune des OSC.
Bien que voulant démontrer les faiblesses de la
société civile, un autre courant d'idées pense, que tout
est parti avec les pratiques bureaucratiques et centralisatrices en vigueur au
sein des Etats Africains obtenu du colonialisme. En effet, l'environnement
institutionnel et
38 ABEGA Séverin Cécile,
Société civile et Réduction de la
pauvreté, Yaoundé, EDITIONS CLE, 1999, p.12.
39 ABE Claude, « Société civile
et mobilisation de la solidarité en période de crise : entre
courtage et altruisme », Cahiers de l'UCAC (Université
Catholique d'Afrique Centrale), Yaoundé, 2010, p. 90.
40 NGWAMBE M.F., Etude préliminaire sur
le mouvement associatif au Cameroun, Yaoundé, Ed. AFVP,
1997, p.6.
41 JULLIARD Jacques, Démocratiser la
République, Paris, Bayard Ed., 1999, p.43.
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social n'est pas de nature à permettre l'initiative des
acteurs sociaux. La stratégie politique mise sur pied au lendemain des
indépendances est essentiellement focalisée sur la soumission du
peuple à l'autorité42. Ainsi, malgré les
initiatives de mise en responsabilité43
qu'expérimente l'Afrique de manière générale et le
Cameroun en particulier, la plupart des efforts en matière d'implication
de la société civile pour renforcer la concertation dans les
choix de programmes de développement sont mal appropriés par les
acteurs non étatiques du fait d'être constitués en
mouvements ponctuels.
En opposition à cette tendance essentiellement critique
vis-à-vis de la nécessité de la société
civile, s'érige un autre courant de travaux que nous estimons militer
pour la pleine nécessité de l'existence de la
société civile. En effet, les institutions de l'Etat sont
nécessaires à l'administration du pays. Tout Etat, pour
gérer les différents besoins d'un pays, doit avoir de multiples
institutions qui administrent le pays. Toutefois, « les institutions
seules ne suffisent pas à créer une nation. Il ne suffit pas
qu'un Etat se donne une bonne administration pour qu'il réalise la
tâche d'unification et de développement du pays
44». Dans cette mouvance,
L'Etat doit laisser exister la société
civile qui seule
permet l'émergence d'une conscience nationale. Il
est alors essentiel que les citoyens puissent s'exprimer, se regrouper, jouir
de leurs droits de prendre des initiatives pour leur bien particulier ou bien
général45».
Ainsi, dans le contexte africain, il s'agit « là
d'une sorte de réappropriation de la parole, trop longtemps
confisquée par les institutions officielles de pouvoir46 .
Par cet acquis, la société civile est
considérée comme un maillon essentiel dans la chaîne de
construction sociale en ce sens qu'elle serait plus proche des populations et
maîtriserait mieux leurs problèmes. Elle devient « l'instance
d'intermédiation entre la base (la population) et le sommet qui peut
être l'Etat47 » et les bailleurs de fonds.
Si les actions de ce tiers secteur sont surtout perceptibles
au plan opérationnel, elles participent également à la
coproduction, coréalisation et au suivi évaluation des politiques
publiques entendues comme des
42 ELA Jean Marc, L'Afrique des villages,
Paris, Karthala, 1996, p. 66.
43 Il s'agit selon la Banque mondiale de l'obligation
des gouvernants de rendre des comptes de leurs actions aux citoyens
44 FAURE Pierre, La société
civile, N'djamena, Cefod-Editions, 1994, p.14.
45 Ibid., p.15.
46 MONGA Célestin, Anthropologie de la
colère, Société civile et démocratie en Afrique
noire, Paris, L'Harmattan, 1994, p.99.
47 ABEGA S. C., Op cit, p.16.
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productions d'actions visant à résoudre des
problèmes publics définis à partir de l'interaction de
divers sujets sociaux sur fond de situation sociale complexe donnée et
de relations de pouvoirs prétendant permettre une utilisation plus
efficace des ressources publiques et la prise de décision à
travers des mécanismes démocratiques et ce avec la participation
de la société 48.
Pour y arriver, les OSC devraient se structurer et
s'approprier tous les mécanismes qui concourent à une approche
leur situant à armes égales avec l'Etat et dont,
l'éventail de possibilités comprend entre autres, « la
négociation, le plaidoyer et même la contestation49
». Cette approche justifie l'implication des partenaires au
développement, notamment par l'implémentation et le financement
de divers programmes afin d'appuyer les initiatives de la société
civile. En effet, les acteurs de la société civile doivent non
seulement «être informés et impliquées dans la
consultation sur les politiques et stratégies de
coopération50 » mais pour qu'ils s'approprient
véritablement ces mécanismes, ils ont vocation à «
recevoir un appui pour le renforcement de leurs capacités dans des
domaines précis en vue d'accroitre leurs compétences51
».
Toutefois, cette nécessité de renforcer les
appuis de la société civile pour une collaboration fructueuse
avec les structures étatiques ne rend pas suffisamment d'informations
sur le degré d'appropriation de ces organisations des mécanismes
de concertation. Dans cette logique, un travail qui s'intéresserait
à évaluer le degré d'appropriation par les organisations
de la société civile des stratégies de concertation dans
le cadre de la mise sur pied des politiques nationales de développement,
aura le mérite de rendre compte à la fois des dispositions mises
en oeuvre par les partenaires au développement et des
conséquences sur les organisations de la société
civile.
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