Partie 3 - La nature virale de la Neknomination
Cette partie constitue une réflexion sur la nature
virale du phénomène Neknomination. Elle abordera les
éléments constitutifs de la culture du « Share » des
réseaux socionumériques en analysant la configuration
sociotechnique de ces sites internet qui incitent leurs utilisateurs au partage
de contenus et en interrogeant les motivations des individus à partager
sur ces réseaux. Dans un second temps, sera étudiée la
circulation de cette chaîne en tant que réalisation collective, on
conclura sur le besoin de reconnaissance qui a animé ceux qui ont
publié une vidéo de Neknomination.
CHAPITRE 5 : LA CULTURE DU « SHARE »
Les internautes ont appris, au fil des années, à
tourner les possibilités qu'on leur offrait à leur avantage. Ce
chapitre met l'accent sur ce Culte du « Share » que les
réseaux sociaux, et le web de manière général ont
imposé depuis leur création, des codes et des conduites que les
internautes se sont appropriés. Ce partage n'est en aucun cas
désintéressé, il a toujours pour but de valoriser celui
qui partage un contenu, il est l'outil de cette auto-présentation et
valorisation de soi que la première partie de cette étude met en
exergue.
A/ Configuration sociotechnique et incitation au
partage
Les réseaux sociaux nous incitent-ils au partage ?
Internet tout entier est un espace sociotechnique où les algorithmes
exercent un pouvoir sur les internautes, Code is Law, disait Lawrence
Lessig56. En réalité, l'utilisateur n'est jamais
dépossédé de son libre arbitre, Michel Foucault affirme
qu'il y a toujours une marge de liberté, les
56 Lawrence Lessig, Code is Law - On Liberty in
Cyberspace, 1999
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CORDEAU Clémence| Mémoire de master 1 | juin
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personnes qui exercent un pouvoir incitent les autres à
faire quelque chose. C'est la logique du faire-faire, le pouvoir se trouve dans
l'action mais il peut toujours y avoir négociation. Le code fonctionne
de la même manière, nous sommes toujours, en tant qu'internautes,
contraints par le code, la façon dont le site a été
agencé pour nous faire-faire des choses : partager une photo, partager
un statut, partager une vidéo, réagir sur un partage par un
like ou un commentaire (qui n'est autre qu'un partage de point de vue).
Vous trouvez que le mot « partage » revient souvent ? C'est parce que
le « Share » est omniprésent dans les réseaux
socionumériques. Toute la construction de ces sites a été
pensée pour faciliter et amplifier les partages de contenus.
Aujourd'hui, le pouvoir n'est plus dans l'interdiction d'une action mais dans
ce qu'il est rendu possible de faire. Les stratégies
élaborées par un site tel que Facebook influencent les
comportements de ses usagers à travers des outils techniques, le design
est un des résultats de ces stratégies. Puisqu'on décide
des caractéristiques par laquelle l'action va être possible, on
oriente les comportements. La contrainte n'est plus ce qui limite l'action mais
ce qui la rend possible. Pour s'en rendre compte, une analyse de la page
d'accueil de Facebook a été faite.
! Accueil du site : en haut, au milieu : barre de statut dans
laquelle est inscrit « Exprimez-vous »57 à
l'intérieur (phrase qui s'éclairci quand on y met le curseur et
s'efface quand on commence à écrire), puis on choisi dans
l'onglet de cet encadré si on veut poster un statut (par défaut)
ou partager une photo ou une vidéo, trois choix s'offrent alors à
nous : « télécharger des photos/vidéos » ;
« Ajouter des photos synchronisées » ; « créer un
album photo ». Cet encadré est donc destiné à faire
partager nos contenues personnels à nos amis.
! Dans la Timeline / le fil d'actualités,
s'entremêlent publications d'amis et publications de pages que l'on a
aimé.
57 On note ici l'importance de l'usage de
l'impératif
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- Dans le cas des publications de nos amis, si c'est un statut
ou une photo (que ce soit photo de profil ou photo partagée), on peut
aimer, commenter et/ou partager. On peut également réagir dans le
commentaire avec ce que Facebook appelle un « autocollant » (gros
émoticône proposé et fait par le site, des marques ou des
studios de production (dessins animés, films mais de toute façon
toujours cautionnés par Facebook) ou une photo.
- Dans le cas des publications des pages que l'on a
aimé, ce sont en général des liens qui sortent de Facebook
lorsque l'on clique sur le lien par ordinateur, si c'est par
téléphone via l'application Facebook donc hors web, on reste sur
la plateforme Facebook. Le dispositif reste le même, on nous propose
d'aimer, de commenter et/ou de partager, si on veut partager une fois que l'on
a cliqué sur le lien on peut copier l'adresse URL de la page et la
coller dans l'encadré de statut sur Facebook, ainsi la page se charge
« aux normes » de Facebook et on peut également partager ce
que l'on pense du contenu partagé. Ainsi nos amis seront incités
également à réagir et/ou à repartager le lien
lorsqu'ils le verront apparaître sur leur Timeline.
A côté des icônes « J'aime »,
« Commenter », « Partager », dès la première
réaction est indiquée le nombre de chacune de ces actions comme
sur la capture d'écran ci-dessous :
Ainsi, likes, commentaires et partages font office
d'indicateur de popularité sur Facebook. Les liens pour réagir et
les indicateurs sont d'ailleurs séparés car les icônes sont
simplement là pour indiquer le nombre de réactions. Ce faisant,
le site Facebook attire plus de monde, de réaction et de partage, c'est
une boucle sans fin dans laquelle l'internaute a intérêt à
partager et à réagir pour avoir des réactions en retour.
On remarque d'ailleurs que plus un usager est actif, plus il aura un
réseau
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important de groupes homogènes et par un effet boule de
neige, de réactions.
On l'a vu, l'espace socionumérique favorise le partage.
Ces outils techniques mis à notre disposition sont des configurations
sociotechniques qui favorisent ainsi le partage. En un clic et quelques
secondes, un contenu peut faire le tour de tous nos amis voire du monde, c'est
la viralité des contenus, conséquence de cette culture du «
Share ». Néanmoins, on peut se demander si ces partages sont
davantage un généreux don de soi, ou une démonstration
c'est-à-dire une construction réfléchie de son
identité, pas un mensonge mais une version embellie de sa
personnalité, une mise en scène du corps qu'Antonio Casilli
appelle un « projet de soi », une quête de soi qui passe par la
quête d'un corps idéal. « L'identité numérique
est-elle une coproduction où se rencontrent les stratégies des
plateformes et les tactiques des utilisateurs ? »58.
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