2.2.2.Interprétation du dessin du bonhomme
d'après Machover
Dans la perspective psychanalytique, toute trace
laissée volontairement sur un support par un sujet, peut être
traitée comme une projection de soi. Le dessin du bonhomme chez l'enfant
est perçu comme son autoportrait chargé de connotations
affectives. Il permet d'appréhender les relations entre l'enfant et son
environnement. Au départ, l'enfant ne vit pas son corps comme une
totalité unifiée. Il n'arrive pas à distinguer son corps
de ce qui lui est extérieur. Il le perçoit comme quelque chose de
dispersé, de morcelé. C'est le stade du miroir qui va mettre un
terme à ce fantasme et qui va permettre à l'enfant
d'accéder à un vécu psychique de son corps, une
représentation de son corps comme une totalité unifiée.
Pour Machover (1949), le dessin du bonhomme est un reflet
fidèle de l'humeur et une projection authentique de la
personnalité, tant dans ses éléments conscients que dans
ses éléments inconscients. Il peut être utilisé
aussi bien dans l'examen psychologique de l'enfant que de l'adulte.
L'étude de cet auteur est centrée sur le symbolisme des organes
et des détails vestimentaires.Du point de vue de la psychanalyse, chaque
partie du corps a une symbolique.
La tête support du visage renvoie à
l'identité, à la possibilité de se percevoir distinct des
autres. La présence ou absence des éléments du visage
dénotent du niveau de conscience de sa propre image. En outre, La
tête porte les organes de la communication directe et des principaux
organes des sens (ouïe, odorat, vue, goût). La présence ou
l'absence de certains organes (oreilles, bouche, yeux) dénotera soit
d'un oubli par manque d'intérêt pour le dessin, ou bien une
conscience imparfaite de leur existence ou de leur rôle.
L'hypertrophie ou l'absence de certains organes peut aussi
traduire des censures en rapport avec des souffrances ou des interdits. Les
bonshommes têtards disparaissent dans le développement normal de
l'enfant, dans le cas contraire, ils traduisent une pathologie. C'est le cas
des sujets paranoïaques qui souffrent d'une hypertrophie du moi et des
personnes socialement exclues. Les bonshommes à petites têtes sont
typiques aux sujets déprimés ou aux sujets qui souffrent d'un
sentiment d'infériorité.
Le visage quant à lui est
l'élément essentiel du bonhomme, car c'est lui qui l' «
humanise ». Son expression correspond à l'état
émotionnel de l'enfant : haine, peur, agressivité, douceur,
sérénité. Ilrend compte des relations interhumaines. Ses
détails sont accentués chez les sujets agressifs qui recourent le
plus souvent à la vue de profil.
Le nezest un équivalent phallique ; il est
déformé lorsqu'il y a des problèmes sexuels. Il est
très long en cas d'angoisse de castration.
Les yeux constituent les fenêtres de
l'âme, ils révèlent le regard que l'enfant porte sur le
monde, le contact social. L'oeil assure aussi la sécurité de
l'Homme en lui prévenant des dangers. La présence des sourcils
révèle des préoccupations esthétiques.
La bouche,moyen de communication, ellesymbolise la
parole, les aliments, ainsi que l'érotisme. Elle témoigne de la
relation à la mère à travers l'expérience du
nourrissage. Lorsque la bouche n'est pas représentée cela peut
traduire des problèmes sexuels, relationnels notamment une mauvaise
relation avec la mère ou une culpabilité orale. Les enfants
vivant dans les familles où les membres ne communiquent pas assez
représentent également des personnages sans bouches. Lorsque la
bouche, ouverte, laisse apparaitre les dents, cela évoque
l'agressivité. Les bouches fermées, sans sourire, traduisent un
certain degré de tension. La présence d'une bouche ronde chez
l'enfant plus âgé peut être le signe d'un retard mental.
Les oreilles permettent à l'enfant d'apprendre
et d'entendre. Elles sont grandes chez les enfants avides de connaissances et
chez l'enfant qui entend mal. Lorsqu' elles font défaut dans le
dessin, elles traduisent l'incommunicabilité.
Les cheveux et le système pileuxont un
attribut sexuel. Ils sont coiffés ou bouclés chez les
narcissiques.
Le cou relie le corps (image de la vie instinctive et
impulsive) à la tête (siège de l'intelligence et du
contrôle rationnel du moi et du sur-moi). Il est long chez les sujets qui
souffrent d'un manque de contrôle sur leurs impulsions. Les colliers et
autres bijoux auraient pour but de détourner l'attention de cette
région ; une ligne coupant le cou signifierait une castration
symbolique.
Les mainspeuvent apparaitre sous forme de balayettes,
râteaux, ronds ou avec les cinq doigts. L'enfant qui les
représente bien traduit la sociabilité de l'enfant. En effet, les
mains sont généralement omises ou vaguement dessinées,
lorsque l'enfant manque de confiance dans les contacts sociaux mais elles
peuvent aussi se trouver dans les poches, derrière le dos ou
mutilées, lorsqu'il existe des problèmes sexuels (masturbation)
ou sociaux (voleurs, délinquants).
Les doigts peuvent apparaitre comme des griffes
(agressivité). Des poings serrés trahiraient la rébellion.
Pour Machover (1949), lorsque les membres
supérieurs sont écartés du corps et tendus, cela
exprime la sociabilité. Ils évoquent le retrait ou la
démission lorsqu'ils sont pendus au corps. Le dessin des bras par un
simple trait témoigne de l'infantilisme ou d'un sentiment d'impuissance
du sujet. Les membres supérieurs sont reliés aux relations
interhumaines. Les membres inférieurs expriment la
sécurité. Supports du personnage ils traduisent parfois une
déficience physique ou psychique lorsqu'ils sont déformés
ou absents. Les sujets déprimés ou repliés sur
eux-mêmes préfèrent dessiner un bonhomme assis. Les cuisses
sont un équivalent phallique tout comme le nez. Des pieds serrés
renvoient à l'inhibition, à la crainte, largement
écartés, ils révèlent l'assurance.
Les articulations seraient très
marquées chez les sujets préoccupés par
l'intégrité et le bon fonctionnement du corps. Les bonshommes
prennent alors un aspect mécanique ; robotiques. Ces sujets
s'appuieraient sur ces détails pour se défendre contre un
sentiment de désorganisation du corps.
Le tronc n'apparait pas chez les enfants très
jeunes. Chez les filles, il est plus ou moins ovale tandis que chez les
garçons il est angulaire. Un tronc représenté par deux
lignes parallèles avec un vide au milieu indique une tendance à
la régression. Ce type apparait fréquemment dans les dessins des
enfants dissociés ou primitifs. Un corps très mince traduit une
insatisfaction vis-à-vis du corps, une peur de grossir, de vieillir ou
une fixation dans l'infantile.
La poitrine et les épaules chez le
garçon signifient la force tandis que le sein chez la fille rappelle des
préoccupations orales (mère, nourriture) ou sexuelles. Les seins
traduisent des préoccupations sexuelles et mettent aussi l'accent sur
les relations mère-enfant.
L'habillement (vêtement) révèle
le groupe social de référence ou d'appartenance. Normalement
à partir de dix ans, le personnage est habillé. Si la
représentation des personnages nus persiste au-delà de 10 ans,
alors cela reflète un comportement asocial, un sentiment
d'infériorité voire une attitude pathologique. Le vêtement
présente plusieurs fonctions dont la plus importante reste la protection
contre l'environnement. Le chapeau montre le besoin de se protéger
contre une menace qui pourrait tomber sur la tête. L'habillement, en
masquant le corps, protège également du regard des autres. Dans
ce cas, le dessin reflètera ce que l'enfant s'autorise à voir ou
à montrer au moment de sa réalisation. Par ailleurs, la
présence des lunettesévoque des yeux trop curieux, la
présence des gants évoquedes mains encombrantes et la
présence d'un bonnet renvoie à des oreilles
indiscrètes.
Les vêtements chauds représentent la
nécessité de se protéger du froid c'est-à-dire la
tiédeur des sentiments. Ils symbolisent aussi la mère-
protectrice et affectueuse. Beaucoup de vêtements chauds traduit une
compensation et cacherait une dépression infantile ou un manque d'amour.
La cravate, la pipe, le chapeau
pointu, la cigarette, le parapluie, la canne,
les souliers sont des symboles phalliques. Les poches et
les boutons valorisent les personnages. Des vêtements où
les boutons et les poches sont en trop grand nombre marquent un sentiment de
dépendance du dessinateur. Lorsqu'une fille dessine des poches sur un
vêtement de garçon cela pourrait signifier son désir
d'indépendance. La ceinture sépare la poitrine de la
région sexuelle et symbolise la puissance chez le garçon.
Les pansements mettent en avant des parties du corps
fragilisées ou réellement blessées. Les enfants en
souffrance par rapport à leur image du corps feront des dessins
souillés, raturés de couleurs sombres et froides. Dans cette
situation, la présence du vêtement se réduit à un
balayage agressif du personnage nu. Cela traduirait également la
négation de soi et de la souffrance associée.
Machover exige la prise en compte des aspects formels du
dessin, la mise en page, le graphisme, les ratures, les couleurs et les ombres
dans l'analyse des dessins. L'ordre dans lequel sont dessinées les
parties du corps, l'excès de rapidité ou l'excès de
minutie, les retours en arrières peuvent aussi entrer en compte dans
l'interprétation.
Un dessin de profil indiquerait selon elle,
l'introversion ou une attitude d'évasion. L'excès de
symétrie correspond à une certaine rigidité
mentale tandis que l'accumulation des détails suivant l'axe
médian du corps correspond à une immaturité
émotionnelle.
A propos du dessin du personnage,Machover(1949) ajoute les
significations suivantes :
- les hachures ou le trait renforcé signifient que les
sujets sont préoccupés par une obsession, un conflit ou une
anxiété ;
- l'axe médian du corps révélé par
une rangée de boutons tout au long du corps exprime un sentiment de
dépendance ;
- une longueur importante du cou se réfère
à un manque de contrôle sur les impulsions du sujet ;
- l'expression du visage du personnage est un reflet des
émotions actuelles du sujet ;
- une augmentation ou une diminution d'une partie du corps par
exemple une grosse tête, des extrémités de membres absentes
exprime une préoccupation voire une frustration. Par exemple la
représentation d'une grande oreille est liée à une
préoccupation d'audition ;
- les parties du corps non représentées prouvent
que les fonctions de ces parties sont mal acceptées par le
sujet ;
- la taille du personnage petite ou grande exprime l'amplitude
d'une évaluation de soi, du sujet sur lui- même ;
- le trait du dessin du personnage exprime une impulsion
latente du sujet par exemple chez la personne dépressive le trait est
fin, chez la personne agressive le trait est épais.
Dans ce chapitre, nous avons pu définir et aborder la
psychopathologie selon la perspective psychanalytique. Cela nous permet de
mieux comprendre et d'exploiter nos références théoriques
qui sont tous d'inspiration psychanalytique. En effet, Royer (1984, 1995) en
plus de son approche développementale sur le dessin, propose à
chaque stade une interprétation globale du contenu du dessin
(c'est-à-dire les caractéristiques graphiques et le
bonhomme).Machover (1949) quant à elle, nous fournit de
précieuses informations à travers sa lecture minutieuse et
approfondie du bonhomme.
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