Section 2 : Obstacles
au développement de la culture entrepreneuriale et de
l'entrepreneurship
Les résultats de notre étude ont mis en exergue
trois principaux facteurs qui entravent le passage des jeunes à l'acte
entrepreneurial. Il s'agit de la complexité du processus
entrepreneurialproposé, de l'existence de goulots d'étranglement
entre la culture et l'acte entrepreneurial et de l'inadaptation des politiques
d'appui à l'entrepreneuriat. Chacun de ces facteurs est
développé dans les trois sous-sections suivantes.
Sous-section 1 : Processus
entrepreneurial en cause
Au regard de l'analyse des résultats, il est ressorti
que l'un des principaux problèmes auxquels sont confrontés les
jeunes de Conakry en matière d'entrepreneuriat est l'appréhension
et la maîtrise du processus de création d'entreprises. Certains
jeunes n'ont aucune connaissance des différentes étapes de ce
processus ou en ont une image faussée. D'autres jeunes quant à
eux trouvent que le processus de création d'entreprises est complexe.
Ce manque d'informations, cette vision faussée de
l'entrepreneuriat et cette probable complexité du processus
entrepreneurial influencent négativement l'attitude que les jeunes ont
de l'entrepreneuriat et constituent des obstacles au passage à l'acte
entrepreneurial. Cela explique la préférence de certains pour le
travail salarial qui paraît moins compliqué au détriment de
l'entrepreneuriat.
Le même constat ressort de l'analyse des entretiens que
nous avons effectués auprès des structures d'aides à la
création d'entreprises. Celles-ci mettent l'accent sur le fait que les
jeunes qui prétendent vouloir se lancer dans une carrière
entrepreneuriale ne savent rien de ce qu'est l'entrepreneuriat. Ils en ont une
vision tordue. Ils confondent l'entrepreneuriat et l'humanitaire. Leur
première rencontre avec un responsable de l'une de ces structures leur
ouvre les yeux sur ce qu'est l'entrepreneuriat et ce qui les attend en se
lançant dans cette dynamique. La conséquence : ils trouvent
compliqué de continuer et rebroussent chemin.
Si le processus entrepreneurial constitue une barrière
à l'entrée, il faut dès lors s'interroger sur ce qui fait
de lui une démarche complexe. Cette analyse combinée au profil et
à la vision des jeunes permettrait de rectifier le tir afin de rendre
plus facile, du point de vue des jeunes, ce processus.
Le coeur du processus traditionnel de création
d'entreprises est le fameux `'business plan''. Il est
généralement exigé par les structures d'aide à la
création d'entreprises à ceux qui souhaitent recevoir d'eux un
financement. L'analyse du projet et la décision de financement ou non
dépendent en large mesure de la qualité de ce document. La
rentabilité prévisionnelle présentée dans le
business plan devient ainsi le critère de réussite potentiel de
la future entreprise.
Cet outil s'est greffé au domaine entrepreneurial
depuis les années « 70 » et est devenu l'un
des incontournables. Les organismes tierces d'aide à la création
d'entreprises (institutions d'appui à l'entrepreneuriat et
établissements financiers) en ont fait une condition pour accompagner
(financer) les porteurs de projets d'entreprises (Filion, Ananou, et Schmitt,
2012).
Le problème avec cette exigence est que les jeunes,
très souvent, ne sont pas capables de constituer un business plan ou du
moins ne savent pas ce que c'est et à quoi il sert. Nos investigations
ont montré que 72.73% des jeunes en général ne sont pas
capables de constituer un business plan. 72.55% d'entreprises
créées par des jeunes n'en ont pas eu besoin pour se
créer. Ceux qui ont rédigé un business plan pour
démarrer se sont fait aider dans 78.57% des cas par une tierce personne
à la rédaction.
Nos résultats confirment les paroles de Claude Ananou
qui traite de la notion de business plan en introduction à son cours de
démarrage d'entreprises. Il met l'accent sur le fait que 95% des projets
entrepreneuriaux ne sont pas dus à un plan d'affaires. Sur les 5% qui
démarrent avec un, seulement 3% le suivent et parmi ces 3%, seulement 1%
estime utile de l'avoir fait (Ananou, 2016).
Ces raisons évoquées ci-haut et d'autres qui ne
sont pas traitées ici ont amené des chercheurs en entrepreneuriat
à réfléchir sérieusement sur la véritable
utilité du business plan. Ils finissent par conclure qu'il n'est
finalement pas très utile dans la création d'une entreprise et
peut même constituer un facteur de blocage (Chirita, Masson, et Ananou,
2012).
Plusieurs raisons ont été avancées par
les chercheurs en entrepreneuriat pour expliquer l'inutilité de la
rédaction d'un plan d'affaires au cours du processus de création
d'une entreprise. La perte de temps liée à sa rédaction,
les contraintes quant au suivi du contenu, l'usage qu'en font les financeurs,
l'écart entre sa logique et la logique entrepreneuriale sont quelques
points mis en avant pour soutenir leur raisonnement.
Une étude réalisée auprès
d'entrepreneurs canadiens a montré que la rédaction du business
plan fait perdre énormément de temps aux créateurs
d'entreprises et surtout aux jeunes. En moyenne, les jeunes de 18 à 24
ans mettent 141 jours pour le faire et ceux de 25 à 35 ans 98 jours
contre 35 jours pour les entrepreneurs qui ont au-delà de 35 ans
(Borges, Filion, et Simard, 2010). Ce temps perdu pourrait être
utilisé à d'autres activités allant dans le sens de la
création proprement dite. La rédaction d'un plan d'affaires dans
un processus de création est contre-productive.
En plus de cette considération, aucun organisme d'appui
à l'entrepreneuriat ne décide de financer un projet
entrepreneurial en se basant uniquement sur la présentation d'un
business plan par le porteur de projet. Le business plan leur sert souvent de
filtre car il démontre la capacité du porteur de projet à
structurer ses idées en y mettant une certaine cohérence.Mais
rien n'indique qu'un bon structurant d'idées soit de facto à
même de s'adapter aux opportunités et aux conditions changeantes
du monde de l'entrepreneuriat (Cohen et Ananou, 2007).
Une autre analyse est le fait que la logique du business plan
est étrangère au milieu entrepreneurial (Filion, Ananou, et
Schmitt, 2012). C'est une transposition de la logique de la planification qui
n'a normalement rien à avoir avec le processus de création
d'entreprises. Il constitue un facteur qui retarde les entrepreneurs dans la
mise en place de leur projet et constitue un obstacle à leur
désir d'entreprendre (Chirita, Masson, et Ananou, 2012).
La logique de rationalisation qui se cache derrière le
business plan est propre à la gestion des entreprises. Cette logique
s'oppose ou du moins est différente de la logique entrepreneuriale qui
ressort de l'émotionnel. Les caractéristiques que des chercheurs
associent souvent aux entrepreneurs sont plutôt d'ordre émotionnel
que rationnel.
Le courage, la créativité, l'innovation,
l'intuition, la persévérance, etc. sont des traits de
caractère qui ne relèvent pas de la sphère de la
rationalité (Filion, Ananou, et Schmitt, 2012). Créer une
entreprise est un acte de géniteur et non d'éleveur. Un
géniteur crée et un éleveur gère. Le gestionnaire
est celui qui a plus besoin de cette rationalité. Le business plan
relève de la gestion et non de la création d'entreprises(Ananou,
2016).
Pour Siomy (2016), la logique rationnelle met un faussé
entre l'individu et la création d'entreprises. Les entrepreneurs sont
conscients d'une chose : la possibilité de perdre. Cette
sensibilité à la perte diffère selon que l'individu soit
plus rationnel ou émotionnel. Les rationnels ont une sensibilité
élevée à la perte tandis que les émotionnels en ont
une moins élevée. Plus le quotient rationnel d'un individu est
élevé, moins il désire se lancer dans l'entrepreneuriat
(activité comportant une part de risque). Plus son quotient
émotionnel l'emporte sur le rationnel, plus s'accroit son désir
d'entreprendre.
Une dernière analyse est que le plan d'affaires est un
outil qui fait de la création d'entreprises un processus linéaire
et par conséquent manquant de flexibilité. Se proposant faire une
prévision des dépenses et des recettes financières, il
prétend rationnaliser le futur en se basant sur des informations qui
découlent du passé et du présent. Cependant, le futur est
caractérisé par l'incertitude. Des mutations peuvent se produire
et affectées les prévisions. Dans de telles conditions, ces
prévisions tombent à l'eau (Filion, Ananou, et Schmitt, 2012).
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