3.1.2. L'acte catégorial et l'acte de
signification
Il est alors bien intéressant de relever la conception
que Husserl propose de l'acte de signification dans la première
recherche logique, à laquelle il apporte des nuances dans les textes de
XX.II des Husserl Band. En séparant l'acte de signification
lorsqu'il a lieu dans la Seelensleben, donc dans l'intimité de
notre
73 E. Husserl, Hua XXVI, Vorlesungen über
Bedeutungslehre Sommersemester 1908, Ursula Panzer (éd.),
Dordrecht/Boston, Lancaster : Martinus Nijhoff, 1987, p. 15, tr. fr. J.
English, Paris : Vrin, 1995, p. 35-36
74 Ibid., p. 17-18, tr. fr. p. 39
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propre vie psychique, et l'acte de signification lorsqu'il se
réalise dans un contexte de communication partagée. En
séparant ces deux situations, Husserl construit, dans la Première
Recherche Logique, l'indépendance de l'acte de
signification:
« Quand nous réfléchissons au
fonctionnement de l'expression et de la signification et donc à cette
fin d'ordonner la construction de l'intime unité de
l'événement de l'expression remplissante grâce aux deux
facteurs mot et sens, ici le mot apparaît en lui même, comme
identique à lui même et le sens apparaît comme ce qui a
été "vu" avec le mot, ce qui par les moyens du signe est
signifié [...]"75 » [Notre traduction].
Ici donc, Husserl fait cette première distinction : Il
semble qu'il y ait deux facteurs dans l'expression remplissante, le mot et le
sens, le Wortlaut et la signification. Et lorsqu'on les pense
séparément, le mot apparaît en lui même, en tant que
caractère et le sens apparaît comme transmis par ce
caractère, la signification du signe. Cependant, Husserl
développe :
« L'expression semble de temps à autre
dirigée vers l'intérêt de soi [...]. Mais cette
visée n'est pas celle dont nous avons déjà parlée.
La présence du signe me motive par la présence, ou mieux encore,
la démonstration de la présence de la signification. Ce qui pour
nous doit nous servir d'indice ou de signe connu, doit pour nous être
percu comme étant présent. Ceci est aussi le cas de l'expression
partagée, mais ce n'est pas le cas dans le discours avec soi même.
Ici nous fonctionnons, normalement, avec des représentation
[vorgestellten] au lieu de véritables mots76 » [Notre
traduction].
Dans ce texte, Husserl fait la différence entre le
signe et sa fonction communicative et le signe lorsqu'il est seulement
pensé. La fonction de signification parait indépendante du signe,
puisque dans le cadre de la Seelensleben « la non existence d'un
mot ne nous dérange pas77 » [Notre traduction]. Ce qui
fait sens est, dans la Première Recherche, la représentation. Il
n'est pas nécessaire d'intégrer le matériel - le
Wortlaut, pour fonder l'acte signifiant dans la pensée. Mais
Husserl revient sur ce point dans les réécritures :
75 E. Husserl, Hua XIX.I, « Ausdruck und Bedeutung »,
7, p. 42, lignes 14-18
76 Ibid, p.42, lignes 19 à 27
77 Ibid, lignes 35-36
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Ce n'est en rien un acte indépendant. L'acte de
signification est fondé sur le Wortlaut. Plus encore, le
parallélisme entre cette analogie et celle du fonctionnement de
l'intuition catégoriale est frappant : La signification est basée
elle aussi sur une intuition sensible, cette intuition, c'est le
matériel sonore, le Wortlaut. C'est une synthèse, un
acte dialectique de dépassement : Les deux parties primaires,
l'intuition du Wortlaut et l'intention de signification donne lieu
à la signification.
Effectivement :
« l'intention et l'intuition catégoriale exigent
une succession d'actes avec des actes articulés et fondateurs qui sont
ensuite réunis dans un acte qui les ressaisit tous [Übergreifende
Akte] et qui a lui même une intention distincte et nouvelle. Dans ces
actes fondés, quelque chose est donc donné qui ne pouvait pas
encore l'être dans les actes fondateurs simples78 »
Le signifié n'étant pas le Wortlaut, il
existe d'autres actes qui fondent l'unité de l'acte de la signification.
En considérant l'acte de signification comme une intention et intuition
catégoriale, Husserl lie les élements fondateurs de l'acte de
signification. La signification dans la einsame Seelensleben, dans
l'intimité de notre psychè, ne peut donc plus se faire à
l'aide de contenus représentés, puisque les contenu
représenté se représentent eux-mêmes, mais le
processus qui mène à la représentation est lié
à un objet non représentatif, le signe. Le signe linguistique
fonctionne comme ci il était écrit ou prononcé y compris
dans le cadre de la pensée.
Mais cependant, comme le relève Maria Gueynmnt dans son
étude comparative de l'acte de signification et des actes
catégoriaux, ils ne se fondent pas tout à fait de la même
manière :
« La fondation des actes catégoriaux est une
superposition partielle de matières intentionnelles : il s'agit d'actes
qui visaient les mêmes objets, ou des objets qui, en tout cas,
coïncidaient partiellement. Or on voit bien que ce n'est pas le cas pour
les actes de signification. Au contraire, l'objet signifié
78 D. Lohmar, Le concept husserlien d'intuition
catégoriale, Revue philosophique de Louvain, 2001, 99, 99-4, p.
653
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ne peut jamais être le Wortlaut lui-même. »79
Ainsi, l'acte de signification qui utilise comme fondement le
signe, ne se présente pas tout à fait sous le modèle d'un
acte catégorial. Dans la sixième Recherches Logiques,
Husserl explique que le signe en tant qu'objet apparait dans un premier temps
dans l'expérience, en tant que Wortlaut ou signe écrit, mais :
« Cet acte n'est pas encore désignant, cela
nécessite dans le sens de nos analyses précédentes
l'apparition d'une nouvelle intention, une nouvelle constitution à
travers laquelle la perception intuitive est remplacée par quelque chose
de nouveau, l'objet désigné est ainsi
signifié80 » [Notre traduction].
L'intuition du signe n'est pas ce qui motive directement la
signification. Il y a une série d'actes nouveaux qui
précèdent l'acte de signification et ne respectent pas tout
à fait le fonctionnement de l'acte catégorial puisque l'acte
catégorial, comme le précise Maria Gueymant, est une sucession
d'actes qui visent le même objet mais de différente
manière. Leur correspondance forme ensuite l'unité de l'acte.
C'est une synthèse d'actes intentionnels, qui vise une partie d'un objet
donné, comme décrit très justement par Husserl dans la
paragraphe 48 de la Sixième Recherches Logiques.
L'intuition du Wortlaut possède donc une
relation nouvelle avec la signification. Dans les réécritures,
Husserl clarifie l'acte de signification du signe linguistique fondateur avec
l'introduction d'un nouveau concept, la tendance.
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