Université de Lille III Charles de
Gaulles Département de Philosophie - UFR Humanités
SIGNE ET EXPRESSION
DANS LES
RÉÉCRITURES DES
RECHERCHES
LOGIQUES DE
HUSSERL
Par
Lydia AZI
N° étudiant : 21110299
Lille, année universitaire 2014-2015
Mémoire de Master 1 sous la direction
du Professeur Claudio MAJOLINO
2
3
Université de Lille III Charles de
Gaulles Département de Philosophie - UFR Humanités
SIGNE ET
EXPRESSION DANS
LES RÉÉCRITURES
DES RECHERCHES
LOGIQUES DE
HUSSERL
Par
Lydia AZI
N° étudiant : 21110299
Lille, année universitaire 2014-2015
Mémoire de Master 1 sous la direction du
Professeur Claudio MAJOLINO
4
Table des matières
INTRODUCTION 6
1. SIGNE, EXPRESSION ET SIGNIFICATION : 16
Les distinctions essentielles dans la première
édition des Recherches Logiques. 16
1.1 Indice et expression : La distinction sémiologique
17
1.2 La distinction phénoménologique : Intuition de
l'objet et signification 23 1.3 L'idéalité de la signification :
L'indépendance de la signification dans le
cadre de l'expression 28
2. LES REECRITURES DE HUSSERL : VERS UNE NOUVELLE DEFINITION DE
L'EXPRESSION
30
30
2.1. LE CARACTÈRE INTERSUBJECTIF DES EXPRESSIONS
LINGUISTIQUES 31
2.1.1. L'expérience phénoménologique face
à la logique
31 2.1.2. Le langage et l'expression
32 2.1.3. Nouvelles distinctions entre signe et indice :
Traduction partielle et analyse du Beilage VII
34
2.2. ANALYSE DE LA FONCTION GÉNÉRALE DU SIGNE
40
2.2.1 La tendance du devoir et la tendance à l'attente :
Traduction partielle et commentaire du Beilage VII
40 2.2.3. Entre production et compréhension :
Bühler et Marty
49 2.2.4 Traduction partielle du texte n°16 : Analyse de
la fonction d'influence
52
3. SIGNES ET SIGNIFICATIONS DANS LES REECRITURES 56
3.1. ANALYSE DU FONDEMENT MATÉRIEL DU SIGNE 57
3.1.1. Le Wortlaut : Fondement matériel de l'acte de
signification
57
3.1.2. L'acte catégorial et l'acte de signification 58
3.2. SIGNE ET CONSTITUTION DU SENS 64
3.2.1 Traduction partielle et analyse du texte n°5 : «
Signification comme
Identité dans l'expression parlée et comprise
» 64 3.2.2. Fonction de la tendance
69 3.2.3. Traduction partielle et analyse du Beilage XVI
« Tendance et désir »
La tendance est-elle une volonté ? 70
CONCLUSION 73
5
ANNEXE 1 77
ANNEXE 2 78
Bibliographie analytique 79
6
INTRODUCTION
D'abord étudiant en mathématique, Husserl
(1859-1938) se questionne sur les fondements de la science et utilise la
philosophie pour approcher la question de la définition de la logique.
Les mathématiques sont une science, mais face aux
présupposés logiques de toutes les sciences, Husserl
décide d'entreprendre une analyse minutieuse de la définition de
la logique. Dans la tradition aristotélicienne, la logique forme un
fondement sur lequel nos raisonnements peuvent être
considérés comme corrects ou non, c'est une grammaire de la
pensée, qui lorsqu'elle est bien utilisée, peut permettre au
sujet d'arriver à une conclusion cohérente puisque, la logique,
à défaut d'être vraie, est cohérente. Cette
cohérence est un critère de la vérité. Elle permet
de mener à elle avec par exemple, des inductions ou des
déductions correctes. Si la logique n'apporte pas de
vérité, elle ne traite pas d'objet du monde, d'objet
vérifiable dans l'expérience ou dans l'abstraction.
Cette définition ne convient cependant pas à
Husserl. Si la logique est, comme elle l'est pour Kant, « la façon
dont nous devons penser1 », la logique n'est pas une science.
Cette idée kantienne est directement inspirée des thèses
d'Aristote où la logique est relayée à une simple forme de
raisonnement humain, une forme de grammaire de la pensée car la «
logique repose sur des principes a priori qui permettent de déduire et
de démontrer toutes ses règles.2 » comme
l'explique Kant dans son traité sur la logique. Avec Kant dans sa
Critique de la Raison pure en 1787, la logique comporte des
catégories qui forment un modèle qui fonde toutes
idéations et n'apparaît pas dans l'expérience. Ces
catégories logiques sont les structures de l'expérience qui
existaient déjà chez Aristote. Les expériences
réelles se produisent dans le champ de nos sens, dans l'espace et dans
le temps. C'est « ce qui, dans l'espace et le temps, est
immédiatement représenté
1 Ibid, p. 12
2 Ibid, p. 13
7
comme réel, à travers la
sensation3».
Lorsqu'on considère la logique comme un
présupposé de toutes les pensées correctes, on
définir la logique comme étant un domaine de la psychologique
puisqu'elle n'a pas d'objet d'étude. La logique devient une branche de
la philosophie qui peut par exemple déterminer le degrés de
rationalité d'un être humain. Husserl est fermement opposé
à cette idée : La logique est une science, et c'est cela qu'il
tentera de développer dans ses recherches sur la logique, en tentant de
déterminer, si c'est une science, son objet d'étude. Le
psychologisme apporte une vision trop personnelle du monde où la logique
est relayée à un état pré-scientifique et
possède pour seule fonction de déterminer la validité des
assertions scientifiques . Cela ne convient pas à Husserl qui veut
ériger la phénoménologie comme étant une «
science sérieuse, rigoureuse, et même apodictiquement rigoureuse
[...]4 ». Pour devenir rigoureuse, elle doit parvenir à
lier le monde empirique et le monde de l'homme et pour cela, la logique est
d'une importance cruciale.
Classer la logique comme une capacité psychologique,
c'est la classer comme étant un art au sens technique : l'art de faire
des propositions correctes. Husserl revient sur ce point et tente de prouver
que la logique est une science, elle n'est pas le fruit d'une habilité
technique, elle n'est pas subjective. L'importance des travaux de Husserl est
alors de lier une certaine objectivité - peut être idéale
à nos vécus subjectifs, à nos expériences
vécues et il s'attelle à décrypter les modèles qui
régissent nos relations avec le monde sans pour autant faire tomber la
logique dans un domaine obscur de la psychologie.
Dans l'introduction des Recherches Logiques de 1900,
Husserl décrit son projet et explique en détail, la
nécessité de définir la logique comme une science en lui
attribuant un objet d'étude.
3 E. Kant, Critique de la Raison Pure, Logique
Transcendantale, Chapitre II, « De la déduction des concepts purs
de l'entendement », Paragraphe 22, 1787
4 E. Husserl, Krisis, p. 563, appendice XXVIII, §
73
8
« Ich setze also voraus, dass man sich nicht damit
begnügen will, die reine Logik in der blossen Art unserer | mathematischen
Disziplien als ein in naiv-sachlicher Geltung erwachsendes Sätze-system
auszubilden, sondern dass man in eins damit philosophische Klarheit in betreff
dieser Sätze anstrebt »
« Je suppose donc qu'on ne peut pas se contenter de
considérer la logique pure comme un type de technique de nos disciplines
mathématiques en tant que construction naïve de la validité
d'un ensemble de proposition, mais qu'on veut plutôt lutter pour la
considérer comme un type de clarté philosophique en lien avec de
système de propositions 5» [Notre traduction]
Dans la première Recherche Logique « Ausdruck und
Bedeutung », l'enjeu est alors d'attribuer à la logique un objet de
recherche, un objet de connaissance pour la définir en tant que science
et non plus comme une simple technique. Et cet objet de connaissance n'est rien
d'autre que les significations qui s'émancipent du subjectivisme pour
atteindre un statut d'idéalité qui ne peut être
conféré que dans le domaine de la logique. Pour Husserl, il
existe une signification qui est idéale, qui ne change pas et qui ne
dépend pas des sujets ou de la fluctuation des vécus. A la fin de
la Première Recherche, Husserl revient sur ce concept de signification
en-soi, de signification idéale qui dépasse le cadre variable de
nos expériences, mais qui dépasse aussi de la forme de nos
expressions linguistiques puisque, les significations sont
véhiculées par le langage, par les signes, mais ce n'est pas
seulement dans le langage qu'elles existent.
« Wie die Zahlen - in dem von der Arithmetik
vorausgesetzen idealen Sinne - nicht mit dem Akte des Zählens entstehen
und vergehen und wie daher die unendliche Zahlenreihe einen objectiv festen,
von einer idealen Gesetzlichkeit scharf umgrenzten Inbegriff von generellen
5 Hua, XIX.I, p. 5 lignes 24 à p. 6 lignes 3
9
Gegenständen darstellt, den niemand vermehren und
vermindern kann, so verhält es sich auch mit den idealen, rein-logischen
einheiten, den Begriffen, Sätzen, Wahrheiten, kurz den logischen
Bedeutungen. »
« Comme les nombres - dont le sens idéal est
présupposé en arithmétique - qui ne correspondent pas
à ce qui est transmis à travers l'acte de compter et comme la
liste infinie des nombres représentent un objectif fixé,
où il y a une loi idéale qui représente des concepts bien
définis d'objets généraux que personne ne peut ni
augmenter ni réduire, les unités idéales de la logique
pure fonctionnent aussi de cette manière : les concepts, les
propositions, les vérités ou plus clairement, les significations
logiques.6 » [Notre traduction]
Le projet de Husserl avec la Première Recherche est
alors clair : Il faut en premier et avant toutes tentatives de
développement d'une théorie de l'expression, prouver que la
logique est une science et lui offrir, au même titre que
l'arithmétique, un objet d'étude, celui des significations
idéales qui, comme en mathématique, ne sont pas modifiables par
le sujet qui ne peut ni « augmenter ni réduire » leur sens
idéal. Les significations de la logiques pures sont fixées et
intersubjectives, elles sont des idéalités qui sont
indépendantes du langage qui les porte, même si elles sont
représentées par celui ci.
La capacité du langage à reproduire ces
idéalités à travers les signes, c'est l'expression.
L'expression est « la dimension signifiante du langage, à savoir le
fait que l'acte de signification possède un rapport interne avec l'objet
qu'il vise, par contraste avec la notion d'indication dans laquelle le rapport
à l'objet est accidentel.7 ». Le signe est donc un objet
au sens objet de pensée, matériel ou non, qui définit un
autre objet dans une perspective intersubjective, dans la mesure où le
sens du signe est reconnu et peut être reconnu par tous. L'expression est
un signe qui, actuellement -- au sens du moment durant lequel le signe est
perçu -- définit un autre objet que lui-même, c'est le cas
lorsque le signe est compris et que
6 E. Husserl, Logischen Untersuchugungen, Ausdruck und
Bedeutung, p.110, lignes 5-14
7 S. Kristensen, Parole et subjectivité : recherche
sur la phénoménologie de l'expression, Genève, 2007,
p. 13
10
le sujet qui le rencontre est capable d'en comprendre le sens.
L'indice est quant à lui quelque chose qui renvoie à une
signification objectuelle indirectement mais de manière accidentelle. Il
renvoie cependant à quelque chose, en fonction de l'intention du sujet,
mais il ne certifie en aucun cas une présence nécessaire, c'est
une opération fortuite et accidentelle, une anticipation, une induction
de présence.
Ce qui, dans l'expression permet une compréhension,
c'est bien l'idéalité logique de la signification qui à
travers le concept d'intersubjectivité, provoque une reconnaissance d'un
signifié parfaitement fonctionnel dans le cas du signe : L'objet n'est
pas présent, il n'a donc pas les particularités fluctuantes de
l'expérience dans le vécu. L'objet de l'acte de signification est
un sens qui prend forme dans l'expression linguistique logique.
La signification idéale que nous avons décrite
précédemment ne dépend en rien des formes linguistiques
grammaticales et de la langue qui est utilisée au moment de l'acte de
signification. Ces particularités du fonctionnement signitif peuvent
être illustrées grâce à une oeuvre d'art conceptuel
de Joseph Kosuth One and three chairs8. On peut y voir
l'objet chaise, ainsi qu'une représentation photo de cette même
chaise et la définition du mot chaise telle qu'elle apparaît dans
un dictionnaire. Le mot chair inscrit sur le cartel est un signe de la
chaise. Malgré le fait que le mot soit composé de
différents caractères, qu'il ait un Wortlaut
particulier, c'est le signe linguistique qui correspond à l'objet
chaise en anglais. Si le spectateur de l'oeuvre est un anglophone, le signe
chair possède une signification actuelle, il fait sens pour le
spectateur : c'est donc une expression, puisque le signe exprime son contenu
objectuel. Si le spectateur n'est pas anglophone, le signe reste un signe mais
son sens n'est pas actuellement exprimé pour le spectateur. Il reste
cependant un signe, avec un pouvoir expressif latent. Ceci est donc le
fonctionnement et le rôle du signe : pouvoir exprimer actuellement une
signification. Mais ce n'est pas parce que le signe n'est pas compris que la
signification n'existe pas. Effectivement, puisque pour Husserl, la
signification est idéale, le sens du mot chaise existe
indépendamment de la langue
8 J. Kosuth, One and three chairs, Bois, épreuve
gélatino-argentique, 118 x 271 x 44 cm, 1965, Centre Pompidou Paris,
(Voir Annexe1)
11
dans laquelle il est utilisé. Les mots Stuhl
en allemand, chair en anglais ou chaise en français,
correspondent au même sens idéal qui est véhiculé
par l'intermédiaire d'un signe, qui est complètement arbitraire
et ne possède aucune ressemblance avec la signification : La
signification est idéale elle dépasse toutes formes linguistiques
puisque si elle ne l'était pas, la traduction serait un exercice
impossible.
Maintenant que nous avons clarifier ceci, il est
nécessaire de revenir plus en détails sur la place du signe
accordée par Husserl dans la première édition des
Recherches, en particulier la Sixième Recherche qui fera
l'objet d'une réécriture attentive publiée en 1921. En
1901 dans le paragraphe quinze de la Sixième Recherche Logique, Husserl
propose une définition du signe :
« Le signe n'a rien de commun avec le signifié
[...]. Le signe nous parvient dans l'acte de l'apparence. Cet acte n'a rien de
signification, cela exige la liaison d'une nouvelle intention à nos
analyses passées, une nouvelle manière de voir, à travers
laquelle, à la place de l'apparition (Erscheinenden) intuitive,
l'objet signifié est désigné
(gemeint).9 »
Cependant dans la première édition des
Recherches, le mot signe est utilisé de manière
imprécise. C'est bien plus tard comme nous le verrons, en 1921, que
Husserl revient sur ces définitions dans le cadre de sa nouvelle
théorie de l'expression. La distinction faite est celle entre signe et
expression, mais l'indice n'est pas considéré comme étant
autre chose qu'un signe.
La vocation du signe est donc de représenter le
signifié et le signe ne possède d'autre sens que celui du
signifié, ni d'autre pouvoir que celui de signifier et d'exprimer.
L'expression n'est cependant possible que lorsque l'objet signifié fait
sens à une conscience particulière. Le signe présuppose
donc la connaissance et est directement lié au vécu et à
la subjectivité, dans le cadre nécessaire d'une reconnaissance du
signe. C'est dans ce contexte qu'il faut alors définir le signe et
l'expression, qui même ils possèdent tous deux un lien vers la
signification, ils
9 E. Husserl, Hua XIX.II, paragraphe 15
12
apparaissent sous des formes distinctes l'une et l'autre dans
l'acte de signification.
Dans la première édition des Recherches
Logiques, Husserl explique que l'expression est une forme de signe
doté d'un pouvoir signifiant, d'un pouvoir expressif actuellement. Le
signe est simplement signifiant, au sens de la démonstration de quelque
chose, il indique (anzeigend) et l'expression est un signe qui fait
sens (bedeutsam), lié comme nous l'avons expliqué
à la subjectivité, qui est capable de reconnaître ou non le
sens exprimé du signe. Le signe expressif ne doit pas être
confondu avec l'indice, qui lui, indique en partie un objet entier : «
Nous différencions des signes qui indiquent, les expressions qui font
sens.10 » [Notre traduction]. Ces expressions qui font sens,
c'est ce que Husserl sont les seules qui peuvent mener à une
signification idéale. Les indices sont eux-aussi dans la première
édition, des signes, mais il ne sont pas porteurs des significations
idéales puisqu'ils sont beaucoup plus soumis à la
subjectivité des intentions, aux expériences et aux attentes de
chacun.
Pour pouvoir comprendre le rôle de l'expression dans la
signification, il faut revenir aux premières pages de la première
Recherche Logique où Husserl commence à définir le concept
d'expression. L'expression peut être utilisée de manière
différente, elle porte par exemple, dans le cas qui nous
intéresse, une signification mais il existe aussi les gestes, les
expressions du visages qui sont des expressions qui n'ont « en fait,
aucune signification 11» [Notre traduction] : ce sont les
indices.
Dans les réécritures de Husserl, il y a une
clarification de la production de la signification par l'intermédiaire
du signe. La constitution du sens à travers l'expérience de
l'acte de signification et les nouvelles distinctions que Husserl opère
entre signes et expressions prennent un enjeux crucial dans la
compréhension de nos modes subjectifs qui nous donnent un accès
au sens dans le
10 Hua XIX.I, Ausdruck und bedeutung, Ausdrücke als
bedeutsame Zeichen ; Absonderung eines nicht hierhergehörigen Sinnes von
Ausdruck, 6, p. 37, « Von den anzeigenden Zeichen unterscheiden wir die
bedeutsamen, die Ausdrücke. »
11 Ibid, p;38, ligne 2 « [Sie] haben eigentlich
keine Bedeutung »
13
cadre du discours. Comment, dans les
réécritures, le signe devient-il expression ? Comment le signe,
un objet de représentation indirecte, peut-il dans les faits être
amener à devenir une expression ? Quels sont les liens qui fondent la
relation entre signe et signification ? La question du « comment »
est véritablement traitée par Husserl. Cela commence par une
distinction entre signe et indice puis cela se développe vers une
ouverture du concept de signe, comme nous le verrons, à tout ce qui peut
comporter une signification idéale, donc également les signaux,
les signes définit comme étant des signes non catégoriaux.
Dans cette logique pure, il faut cependant soulever un problème :
Comment l'intuition matérielle d'un signe peut-elle nous mener à
une présence de la signification d'un objet absent ? Si comme nous le
verrons, dans la Kundnahme et la Kundgabe, l'influence du
locuteur perd de son importance dans le domaine des significations
idéales, comment est-il possible d'associer une idéalité
à un signe alors qu'il n'est pas lui même la signification
?Comment, comme nous le verrons dans la troisième partie, ce concept de
tendance d'association, influence nouvellement la théorie de la
signification ?
Dans un premier temps, nous reviendrons sur la
définition du signe et de l'expression que Husserl propose dans la
première Recherche. Husserl opère alors trois distinctions pour
analyser les signes, qu'il considère comme étant une
catégorie comprenant l'expression et indice. Cependant, dans ses
analyses, il sépare le fonctionnement de l'indice, du fonctionnement de
l'expression qui seule peut mener à une signification. L'indice est
alors considéré comme un objet ayant un rapport d'existence avec
l'objet qu'il indique là où l'expression ne présuppose non
pas l'existence, mais un état de chose qui n'a pas de rapport avec une
correspondance intuitive. L'expression mène à une signification
et cette signification doit donc être séparée de l'objet
qui lui peut être perçu, puisque la signification possède
une idéalité qui dépasse l'expérience des sens et
des vécus fluctuants.
Dans une deuxième partie, nous allons comparer ses
thèses avec ses nouveaux travaux qu'il publie vingt ans après la
première édition des Recherches
14
Logiques en 1900 et 1901. Il revient sur la
définition du signe et ne considère plus alors l'indice comme
étant un signe. Plus encore, il ne fait plus de distinction entre
l'expression proférée dans l'espace intersubjectif de la
communication, et celle qui apparaît dans la conscience seule. En
revenant sur le fonctionnement de l'expression, Husserl accepte de
considérer certains signes, qu'il avait cités auparavant comme
étant des indices, comme appartenant au modèle de l'expression.
Effectivement, si dans la première édition, l'expression ne peut
être provoquée que par les signes linguistiques, elle ne l'est
plus dans les réécritures et Husserl introduit des signes
non-catégoriaux. Pour comprendre ces modifications, il faut revenir
à ce qui est à la base de la distinction entre signes et indices
: les tendances. Dans le cadre du signe, la tendance du devoir est celle qui
prédomine. Ce devoir, c'est le devoir de savoir, le devoir de
connaître la signification que le signe propose. L'indice impose au sujet
une disposition d'attente, une tendance à l'attente de l'apparition de
l'objet auquel il réfère. Pour parfaire une théorie du
signe et de la signification objective, il faut aussi s'intéresser
à la place respective des interlocuteurs dans l'accès à la
signification. Si il n'y a plus de distinction entre l'expression dans la
communication et l'expression dans la conscience seule, l'influence du locuteur
ne peut pas être une donnée d'importance lorsqu'on traite
d'expression. Husserl, en étudiant les travaux de Bühler sur Marty,
revient sur la fonction d'influence et se refuse à attribuer au locuteur
une véritable importance dans la production du sens. Si il n'y a jamais
d'égalité entre le locuteur et le destinataire, il n'y a aucun
des deux partis qui peut prétendre influencer l'autre.
Enfin, comme nous le verrons dans la troisième partie,
si Husserl modifie ainsi ses thèses, c'est parce que l'importance se
place à ce stade de ses travaux sur les tendances et les associations
qu'il présuppose comme existante dans le cadre d'une théorie du
langage. Cependant leurs fonctionnements restent obscur. Les tendances ne
peuvent pas être intentionnelles. En décrivant l'acte qui
mène à la signification, Husserl introduit les tendances comme
faisant le lien entre les différents actes. Ces tendances ne sont pas
intentionnelles, mais peut être infra-intentionnelles car elles font
l'association des actes intentionnels. Mais alors si
15
elles ne sont pas actes, elles sont vécues passivement
: serait-ce donc le moyen d'atteindre à travers le fonctionnement de
l'acte de signification une objectivité non plus idéale, mais
aussi phénoménologique ?
16
1. SIGNE, EXPRESSION ET SIGNIFICATION :Les distinctions
essentielles dans la première édition des
Recherches
Logiques
17
Pour comprendre l'évolution de la théorie
husserlienne de l'expression il faut revenir aux fondements qui existent dans
la première édition, ce que Husserl appelle les distinctions
essentielles. C'est dans la Première Recherche que naît le concept
husserlien de signe. La première distinction faite par Husserl, c'est
celle qui sépare l'expression du signe puisqu'elle possède
cependant un enjeu linguistique d'importance.
Tout d'abord, un mot désigne un vécu. Cependant,
notre capacité à donner du sens est de nature idéale et
c'est cette idéalité qui donne une consistance temporelle aux
représentations des vécus psychiques. Cette
idéalité fixe le nombre des vérités et rend
possible l'habitus, qui est cette capacité même de
reconnaître et d'identifier sous le même signe expressif, une
signification toujours identique lorsqu'elle est proférée dans
les mêmes conditions. Pour Husserl, c'est grâce à cela que
le nombre de vérités n'augmente pas à chaque fois que l'on
vit une expérience subjective. Cette unité idéale entre le
concept et l'objet fait la distinction entre les actes psychiques et les actes
physiques, qui eux provoque un remplissement à travers
l'expérience. C'est la signification -- Bedeutung -- qui reste
idéale dans l'expérience intuitive : « Par significations,
nous indiquerons toujours et définitivement ces unités
idéales, le sens idéal identique.12 » [Notre
traduction].
1.1 Indice et expression : La distinction
sémiologique
Dans la Première Recherche Logique de 1900,
Husserl décrit la double signification du terme signe mais aussi la
distinction nécessaire qu'il faut opérer dans sa terminologie
avec le terme expression.
« Chaque signe est signe de quelque chose, mais ils n'ont
pas tous une signification, un sens, qui serait exprimé par le signe :
c'est pourquoi un
12 Ibid, p. 59
18
signe ne désigne (bezeichne) pas
nécessairement ce dont il est le signe.13» [Notre
traduction].
Certains signes sont emprunts d'expression, mais il n'y a pas
encore chez Husserl une volonté de différencier le signe de
l'indice, mais une volonté de différencier le signe de
l'expression, puisque seule l'expression peut mener à une signification
idéale. Tous les signes n'ont donc pas forcément de pouvoir
expressif actuel. L'expression quant à elle possède toujours une
signification, c'est un signe qui renvoie actuellement à un objet et qui
possède une certaine idéalité. « Cependant le signe
au sens d'indice [...] n'exprime pas.14 ». Il renvoie donc
à un objet de manière infondée. Ce sont les
Anzeichen, une forme de signe (Zeichen) qui ne mène
pas à une signification. Dans cette édition, le signe au sens
d'indice n'est pas un signe linguistique. Il est surtout
considéré en tant que quelque chose de caractéristique
à l'objet auquel il renvoie « Dans ce sens, le stigma est le signe
des esclaves, le drapeau le signe d'une nation. 15» [Notre
traduction]. Pour Husserl, ce constat est aussi valable pour tous les indices,
puisque le fonctionnement est le même et correspond à la
catégorie des indices : dans le cas de l'indice, nous inférons
l'existence de ce dont il est la caractéristique. Mais c'est une
question de motivation, une question d'intention du sujet qui voit dans le
signe au sens d'indice, la présence de l'objet auquel il se
réfère. En soi, ils ne sont qu'une caractéristique de
l'existence d'un autre objet : « Nous considérons les canaux sur
Mars comme des signes de l'existence de martiens intelligents
16» [Notre traduction]. Cependant, le signe qui désigne,
celui qui est lié à l'expression et donc à la
signification est seulement le signe construit arbitrairement à ce stade
des Recherches, comme le signe linguistique, qui mène à
un désigné dont nous n'inférons pas forcement l'existence
présente. Le lien entre l'indice et l'objet est un lien
créé par le sujet qui suppose et attend l'existence de
manière accidentelle, de
|