1
Résumé
Ce mémoire porte sur le phénomène de
l'artificialisation des sols, qui caractérise le passage d'une
occupation du sol par des milieux dits naturels, semi-naturels ou ruraux
à des espaces bâtis. Le terme d'artificialisation est
employé pour définir l'étalement urbain. Les
conséquences de ce phénomène sur l'environnement sont
nombreuses, car l'urbanisation détruit directement les
écosystèmes ou indirectement, en mettant en place des structures
linéaires, conduisant ainsi à la fragmentation des habitats
naturels. Des objectifs chiffrés pour limiter l'artificialisation sont
émis par les directives régionales tandis qu'une politique pour
limiter l'érosion de la biodiversité est mise en place : il
s'agit de la Trame verte et bleue. Cette dernière vise à
rétablir les continuités écologiques par des
opérations de restauration écologique. Le lien entre
l'artificialisation et le concept de Trame verte et bleue est complexe, car les
deux notions sont floues. Interviennent dans les limitations et dans
l'élaboration de la politique de Trame verte et bleue de nombreux
acteurs qui défendent leur projet pour le territoire, conduisant
à des conflits quant à l'utilisation du foncier. Finalement, la
Trame verte et bleue s'apparente davantage à un outil
d'aménagement pour le développement des espaces verts urbains
qu'à une véritable mission de correction des effets de
l'artificialisation sur les écosystèmes.
REMERCIEMENTS
J'adresse mes remerciements aux personnes qui m'ont
aidée dans la réalisation de ce mémoire.
Je voudrais tout d'abord remercier Bruno Villalba, professeur
à l'Institut d'Etudes Politiques de Lille et à AgroParisTech,
membre du Centre d'Etudes et de Recherches Administratives Politiques et
Sociales, pour m'avoir invitée à traiter ce sujet, et pour
m'avoir accompagnée durant l'élaboration de ce mémoire.
Je remercie également Benoît Masson, Emma Raudin,
Guillaume Schmitt, Laure Cormier, Nicolas Rouget, Pierre Dhenin et Rodastina
Ivanova qui m'ont accordé de leur temps pour répondre à
mes questions.
Je remercie enfin France Lecointre pour sa relecture
attentive.
2
L'Institut d'Etudes Politiques de Lille n'entend donner aucune
approbation ni improbation aux thèses et opinions émises dans ce
mémoire de recherche. Celles-ci doivent être
considérées comme
propres à leur auteur.
J'atteste que ce mémoire de recherche est le
résultat de mon travail personnel, qu'il cite entre guillemets et
référence toutes les sources utilisées et qu'il ne
contient pas de passages ayant déjà été
utilisés intégralement dans un travail
similaire.
3
SIGLES UTILISES
ADU : Agence de Développement et d'Urbanisme
AU : A Urbaniser
CLC : CORINE Land Cover
DREAL : Direction Régionale de l'Environnement, de
l'Aménagement et du Logement
ENLM : Espace Naturel Lille Métropole
GAS : Gaz à Effet de Serre
INRA : Institut National de la Recherche Agronomique
INSEE : Institut National de la Statistique et des Etudes
Economiques
LMCU : Lille Métropole Communauté Urbaine
MEL : Métropole Européenne de Lille
PADD : Projet d'Aménagement et de Développement
Durable
PCT : Plan Climat Territorial
PLU : Plan Local d'Urbanisme
SCOT : Schéma de Cohérence Territoriale
SD : Schéma Directeur
SIGALE : Système d'Information Géographique et
d'Analyse de l'Environnement
SRADDT : Schéma Régional d'Aménagement et
de Développement Durable du Territoire
SRCAE : Schéma Régional du Climat, de l'Air et
de l'Energie
SRCE : Schéma Régional de Cohérence
Ecologique
SRU : Loi relative à la Solidarité et au
Renouvellement Urbains
TVB : Trame verte et bleue
UE : Union Européenne
ZNIEFF : Zone Naturelle d'Intérêt Faunistique et
Floristique
4
TABLE DES MATIERES
CHAPITRE I : L'ambigüité sémantique de
l'artificialisation et de ses discours 18
1. L'émergence de la notion à travers les
cartes et ses insuffisances 18
1.1. L'Agence Européenne de l'Environnement et le
Ministère de l'Agriculture 18
1.2. Les limites de la cartographie 22
1.3. Une notion qui recouvre des réalités
très différentes 23
1.4. La ville, rattrapée par son environnement 26
2. Le poids des chiffres et l'importance des documents
d'urbanisme 28
2.1. SCOT, PLU et géocatalogue témoins de
l'artificialisation 28
2.2. La remise en question de l'objectivité des
documents d'urbanisme 32
3. Le concept de l'artificialisation usité par les
acteurs du territoire 35
3.1. Le territoire, investi d'une mission et porteur de sens
35
3.2. La Chambre d'Agriculture et l'agriculture
périurbaine 37
3.3. La convergence des enjeux économiques et des
aspirations pour le paysage 40
CHAPITRE II : L'artificialisation des territoires et la Trame
verte et bleue 43
1. L'artificialisation et la fragmentation des espaces
naturels 43
1.1. Un constat national inquiétant 43
1.2. Le poids de la région 46
1.3. Le rôle des experts de la biodiversité 49
1.4. Les orientations des schémas régionaux
51
2.L'officialisation du concept de Trame verte et bleue 55
2.1. Espace Naturel Lille Métropole et le projet de
Trame verte et bleue 55
2.2. Le Grenelle de l'Environnement et l'émergence de
la législation 59
3.La Trame verte et bleue, concept sujet aux insuffisances
62
3.1. Un discours environnementaliste qui pose problème
63
3.2. La Trame verte et bleue, mal-perçue par les
politiques 65
3.3. Un concept difficile à appliquer 68
5
CHAPITRE III : Le mainstreaming de l'écologie et ses
conséquences 71
1.La TVB consensuelle au nom du développement durable
71
1.1. La TVB, un outil de concertation 71
1.2. ENLM, fidèle au discours du développement
durable 75
1.3. ENLM, un syndicat mixte prêt au compromis 77
2.Du marketing territorial à promotion de la
biodiversité locale 80
2.1. Une politique de biodiversité dans un objectif de
« marketing territorial » 81
2.2. La gestion des espaces naturels et l'écologie de
la restauration 83
2.3. Une biodiversité d' « agrément »
? 86
3.Quelle place pour la nature en ville ? 89
3.1. La biodiversité urbaine 89
3.2. L'évaluation du concept de TVB 92
6
INTRODUCTION
Tandis que les espaces agricoles et naturels continuent
d'être remplacés par des lotissements et des zones
d'activités, les réflexions sur la ville de demain se
multiplient. L'idée de la ville du futur prend de multiples visages, on
imagine des jardins suspendus et des « smart cities ». Les projets
d'architecte imaginant la ville de demain se diffusent dans les journaux et sur
la toile, l'éco-métropole devient le reflet urbain du concept
tout puissant du développement durable, cherchant à associer
gouvernance moderne, mobilité douce et technologie de pointe. La
couverture urbaine uniquement minérale est mal perçue, et on
cherche à doter les métropoles de « poumons verts »
dans le souci d'améliorer le cadre de vie de citadins de plus en plus
nombreux. Toutefois, si la ville végétale se matérialise
progressivement, imitant des utopies de cités en phase avec la nature
digne des travaux de l'architecte belge Luc Schuiten, théoricien de la
« cité végétale »1, il est
nécessaire de regarder de plus près les conséquences
actuelles de l'urbanisation sur les territoires qui entourent l'urbain. En
effet, le verdissement des milieux urbains peut se faire au dépend des
milieux non-urbains, car, plus elle s'étale dans le souci de diversifier
le paysage urbain et de s'éloigner de l'homogénéité
minérale qui semblait la caractériser, plus elle grignote sur les
territoires environnants, qu'ils soient naturels ou ruraux.
Dès lors, si la ville « verte » remporte
l'approbation de la plupart des citadins préoccupés par leur
cadre de vie, on ne peut comprendre ce phénomène sans se pencher
sur le processus à l'oeuvre qu'est l'artificialisation des sols. Ce
dernier correspond au changement d'occupation du sol de milieux dits naturel ou
semi-naturel vers un milieu dit artificialisé. Si les concepts de
naturel ou d'artificiel sont flous, car correspondent
à des représentations, on emploie l'expression
d'artificialisation pour caractériser le phénomène
d'étalement urbain. Les milieux qui entouraient autrefois les centres
urbains sont peu à peu grignotés par les besoins grandissants en
infrastructures et en logements. En somme, les espaces artificialisés
rassemblent tous les espaces bâtis nés du développement de
la ville, comme les immeubles, les routes, et les parkings. L'Institut
Français de l'Environnement estime que l'artificialisation
détruit en moyenne 165 hectares de milieux naturels et agricoles par
jour, remplacés par des routes, des habitations et des zones
d'activités.
1 http://www.vegetalcity.net/
7
Cette artificialisation dont le rythme ne s'atténue
guère, et a de fortes répercussions sur l'environnement.
L'urbanisation détruit les espaces naturels directement, et
indirectement, et s'accompagne d'un amoindrissement écologique de ces
milieux. Les milieux naturels coupés par une route vont perdre leur
capacité d'auto-cicatrisation, la circulation des espèces
faunistiques et floristiques est toujours compliquée et parfois mise en
péril. L'artificialisation augmente également la fréquence
de probabilité de risques naturels, comme les inondations, les incendies
et les affaissements de terrain ou miniers. Le rythme de plus en plus soutenu
de l'étalement urbain met en mal la résilience de
l'environnement. En 2012, d'après la carte TERUTI du ministère de
l'Agriculture, les sols artificialisés occupent près de 9% du
territoire national2. On peut noter la part non-négligeable
des infrastructures communes avec 68% du total.
L'avancée effrénée de l'artificialisation
est caractéristique des modes de vie entre urbain et rural, associant la
proximité avec le coeur de la ville, et un cadre de vie plus
agréable et moins couteux qu'en centre-ville. On observe un
décrochage entre l'accroissement de la population et la consommation
d'espace, traduisant une augmentation annuelle des besoins par habitant. Le
modèle de la maison individuelle à proximité des grandes
métropoles, jouissant d'un jardin étendu, se diffuse à
l'ensemble du territoire. Le lotissement en milieu périurbain est
aujourd'hui responsable de la majeure part de l'artificialisation.
D'après Laurent Bisault, la maison individuelle constitue le principal
moteur de cette artificialisation entraînant un étalement urbain.
En s'appuyant sur l'enquête TERUTI, il constate que le
développement de ces maisons a consommé « 400 000
hectares d'espaces naturels de 1992 à 2002, soit près de 1% du
territoire. Ce sont pour l'essentiel des sols agricoles
»3. Les facteurs principaux de l'artificialisation suivant
sont le réseau routier, et les équipements de sport et de loisir.
Les besoins en infrastructures sont élevés, en raison de la
proximité relative avec les centres villes et toute autre
activité économique. Ces rurbains ne se déplacent qu'en
voiture, générant l'augmentation de l'emprise au sol des routes,
et la pollution. Pour Éric Charmes, « l'apparente abondance
d'espace libre encourage les « élus développeur »
à urbaniser des terres afin de maintenir leur commune hors des eaux de
la dévitalisation ou de profiter de
2 http://agreste.agriculture.gouv.fr/
3 Laurent Bisault, « Des territoires de plus en
plus artificialisés », Agreste Primeur, Numéro 219,
janvier 2009
8
l'attractivité des campagnes
»4, tandis que l'artificialisation continue à
grignoter les milieux naturels ou semi-naturels.
Les milieux qui sont touchés par l'artificialisation
sont les milieux ruraux et les zones agricoles, ainsi que les milieux
forestiers ou sylvicoles, les cours d'eaux, et les littoraux. L'urbain grignote
en priorité le rural, qui a longtemps été perçu
comme un réservoir de terres pour l'urbanisation. Cette
artificialisation fragilise les exploitations avec un morcellement des espaces
agricoles5. L'activité agricole est donc menacée par
l'artificialisation du fait de la fragmentation des territoires qu'elle
provoque, mais ce n'est pas la seule, les écosystèmes sont
également victimes de l'étalement urbain. En effet, le
développement des milieux artificiels conduit non seulement à une
destruction des habitats naturels, mais également à une
fragmentation de ces milieux, limitant le déplacement des espèces
faunistiques et floristiques. La biodiversité locale est directement
amoindrie par le processus d'urbanisation, et des politiques sont mises en
place afin de lutter contre les effets néfastes de l'artificialisation
sur les écosystèmes.
L'artificialisation devient donc une question sensible quant
à la gestion du foncier, il s'agit de la limiter afin de conserver des
espaces ruraux nécessaires à la production agricole et de
protéger les milieux naturels des conséquences de l'urbanisation.
L'artificialisation est souvent employée pour caractériser
l'étalement urbain, et engendre des politiques de conservation d'une
biodiversité menacée par cette urbanisation. D'après le
Schéma de Cohérence Ecologique publié par la Direction
Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement de
la région Nord-Pas de Calais, « La croissance de l'habitat
résidentiel et de l'habitat rural se traduit par développement de
l'urbanisation linéaire et les alignements sont extrêmement
préjudiciables pour les continuités écologiques car ce
sont des barrières quasi insurmontables »6. Il
ajoute : « l'urbanisation et la périurbanisation sont
responsables de la disparition progressive de surfaces
agricoles»7. Le concept de Trame verte et bleue est
invoqué comme le moyen de « limiter ce phénomène
et d'en atténuer les
4 Eric Charmes, Villes rêvées, villes
durables, 2009, Gallimard
5 Serge Bonnefoy, « Concilier urbanisation,
gestion des espaces naturels et des activités agricoles : des
progrès
mais... », POUR, n° 199, 2008
6 Schéma Régional de Cohérence
Ecologique du Nord-Pas de Calais, Rapport, Juillet 2014
http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_srce-tvb_juillet_2014.pdf
7 Ibid.
9
conséquences »8. Ce concept,
qui s'inspire des travaux ancien de paysagisme, vise à limiter les
effets de l'artificialisation, en élaborant une structure verte
tissée au coeur de milieu urbain.
La TVB nationale a donc pour ambition de lutter contre la
fragmentation des habitats naturels engendrée par les activités
humaines en instaurant des continuités écologiques entre les
réservoirs de biodiversité afin de favoriser la circulation des
espèces et le brassage génétique des populations. Elle
s'inspire du concept de ceinture verte, initiée à Londres, qui
visait à limiter l'étalement urbain. Mais ses visées sont
nombreuses et elles se confondent. En effet, d'après le Grenelle de
l'Environnement de 2007 qui officialise le concept, la Trame verte et bleue se
voit confier des missions de protection de la biodiversité. Les
entreprises au nom de cette dernière sont nombreuses : rachat de
terrains pour élaborer une Trame verte et bleue à travers le
territoire métropolitain, opération de restauration des
écosystèmes et de renaturation, développement de l'offre
paysagère et des activités récréatives à
destination des citadins, support d'une agriculture plurielle et
opportunité pour le développement de nouveaux emplois. Ce
concept, édifié par les experts de l'écologie du paysage,
use d'un répertoire scientifique, et ambitionne de mettre en place des
corridors écologiques afin de favoriser la circulation de la faune et de
la flore entre les espaces de nature afin d'enrichir la biodiversité
locale. Elle s'applique à différentes échelles,
métropolitaine, régionale, et nationale, et répond
à une série d'impératifs imposés par les
publications de l'Etat, de la région, ou de la ville. L'objectif
général est de rétablir les continuités
écologiques sur l'ensemble du territoire. L'ambition est grande, et les
villes appliquent plus ou moins, à leur échelle, les invitations
à développer les politiques locales visant la protection de la
biodiversité.
Le terme de Trame verte et bleue qui apparaît comme un
outil pour limiter les effets de l'artificialisation des sols recouvre en
réalité cet ensemble d'entreprises dont les buts sont multiples,
et dont les échelles s'entremêlent. Ce concept, parfois
qualifié d'outil d'aménagement car il vise à
développer des espaces de nature dans les villes, renvoient à des
concrétisations variées. Une Trame verte et bleue telle qu'elle
est imaginée à l'échelle régionale, prenant en
compte les parcs naturels régionaux, et les milieux particuliers et
vastes tels que des massifs ou des forêts très étendues,
sera très différente d'une Trame verte et bleue communale, ou
intercommunale. Dans le cas du Nord-Pas de Calais, la Trame verte et bleue
8 Communiqué AFP, « Trame verte et
bleue: ne pas réduire le projet à des crapauducs ; Paris - Le
comité national Trame verte et bleue », Romandie News, 18
octobre 2011
10
dessinée par le Schéma Régional de
Cohérence écologique, ne prend même pas en compte la Trame
verte et bleue lilloise. Ces trames, selon leur échelle et leur
implantation, poursuivent en théorie le même objectif de lutte
contre l'érosion de la biodiversité, mais, dans la pratique, ne
tiennent pas de la même idéologie. Tandis que la Trame verte et
bleue régionale nait d'un discours clairement environnementaliste, la
Trame verte et bleue métropolitaine doit se vêtir d'une
visée également économique et sociale. En effet, le
foncier n'a pas la même valeur au coeur de l'espace métropolitain,
et à des centaines de kilomètres de celui-ci, et les discours
s'adaptent aux attentes de la société et à ce qui lui
apparaît comme prioritaire. Le concept de Trame verte et bleue est donc
sujet à des insuffisances car rassemble sous un même terme une
multitude de situations qui renvoient à des objectifs qui
s'entremêlent, et parfois s'opposent.
S'il existe des trames vertes et bleues plutôt qu'une
Trame verte et bleue singulière, elles doivent toutes participer
à l'enrichissement de la biodiversité locale, ou du moins,
à la limitation de son érosion. Leur ambition est de rendre
conciliable l'extension urbain avec le maintien de la biodiversité.
Toutefois, cette politique peut sembler bien timide au regard des
conséquences réelles de l'artificialisation, et ne remet pas en
question le phénomène. De plus, la biodiversité est
victime d'un phénomène plus large, celui de l'anthropisation.
Cette dernière caractérise la transformation d'espaces, de
paysages, d'écosystèmes ou de milieux semi-naturels sous l'action
de l'homme. L'activité agricole est une activité anthropique, au
même titre que l'urbanisation.
Ainsi, le « gaspillage des terres
»9 présenté Jean Dorst, dans La nature
dénaturée n'est pas seulement le fait de l'étalement
urbain, mais plus largement de l'utilisation des terres par les hommes.
L'homme, en modifiant les habitats naturels « pour son seul
bénéfice »10, a modifié
l'équilibre général du monde vivant. L'homme a
simplifié à l'extrême les habitats naturels,
détruisant la complexité des biocénoses, «
unité écologique comprenant les populations animales et
végétales d'un même habitat »11. En
poursuivant l'objectif d'un rendement de plus en plus important, l'homme a
artificialisé des territoires de plus en plus vastes, dans le sens
où son empreinte a modifié de manière irréversible
l'équilibre des écosystèmes. L'agriculture menace donc
tout autant la biodiversité que l'urbanisation ; « le mal est
donc général et a pris des proportions catastrophiques en raison
des moyens
9 Jean Dorst, La nature
dénaturée, Ed. Seuil, 1970, p. 44
10 Op. cit., p. 45
11 Op. cit., p. 49
11
techniques mis en oeuvre par l'homme moderne
»12. Le constat scientifique établit par Jean Dorst
dès les années 1950 ne se dément pas. Le maintien d'une
agriculture industrielle génère l'érosion des terres,
provoque le ruissellement, et tue profondément et durablement les sols
en les asphyxiant de produits phytosanitaires de plus en plus violents.
L'agriculture participe ainsi à la fragilisation des
écosystèmes au même titre que l'étalement urbain.
L'anthropisation est générale, bien plus large que
l'artificialisation. Il apparaît pourtant que cette anthropisation est
inévitable, « la transformation d'une partie des habitats
naturels est indispensable si l'on considère le rendement en produits
consommables par l'homme »13, et, plus
concrètement, l'étalement urbain répond à
l'augmentation de la population et à ses besoins toujours plus grands en
espace.
Pourtant, si l'artificialisation menace directement les
milieux naturels, on cherche, avec une politique qui vise à limiter ses
effets, c'est-à-dire la Trame verte et bleue, à réassocier
ville et nature à travers les politiques de renaturation. La pression
anthropique de plus en plus forte sur les écosystèmes oblige
à trouver des solutions pour en limiter les conséquences, et peu
à peu, la nature qui était autrefois assimilée à
des sanctuaires épargnés par l'activité humaine devient
une nature pensée par l'homme et qui correspond à ses exigences
et à ses attentes. Pour Christian Calenge, « la nature absorbe
le béton, la ville est soluble en nature »14.
L'opposition entre nature et culture s'estompe au profit des politiques de
verdissement de la ville, et l'apparition d'un nouveau bien public, le paysage,
qui est la traduction de la gestion des espaces verts urbains.
La Trame verte et bleue « devient la nouvelle pierre
philosophale de l'aménagement urbain »15 et tend
à modifier profondément le visage de la ville, qui rejette une
minéralisation homogène en cherchant à s'habiller
d'oripeaux naturels. Le concept de Trame verte et bleue répond à
cette nouvelle idéologie : celle d'une ville soucieuse de son image,
souhaitant devenir un milieu aussi attractif en tant que cadre de vie que l'est
la campagne. Le verdissement des villes dépasse largement l'idée
de protection de la biodiversité, elle est la traduction d'un
désir de promouvoir une certaine image de l'environnement urbain, et de
retranscrire les désirs de la société de vivre dans une
ville plus agréable. La Trame verte et bleue devient donc un outil
d'aménagement urbain, qui correspond à une gestion
singulière
12 Ibid.
13 Ibid.
14 Christian Calenge, « Idéologie verte et
rhétorique paysagère », Communications, 2003,
n°74, pp. 33-47
15 Christian Calenge, « De la nature de la ville
», Les Annales de la Recherche Urbaine, n°74, mars 1997
12
des espaces naturels et ne remet pas en question
l'anthropisation car elle y participe elle-même. Du point de vue de
l'éthique environnementale, elle est donc l'expression de
l'anthropocentrisme victorieux, niant la qualité intrinsèque du
monde vivant non-humain. En effet, elle qualifie des opérations de
verdissement pensées par les acteurs du territoire soucieux de la
biodiversité mais également de l'attractivité de la ville.
Elle milite pour la coexistence de la nature et de l'urbain tout en mettant en
oeuvre des entreprises de restauration écologique et
d'amélioration paysagère. La qualité du non-humain est
comprise comme un patrimoine naturel qu'il est nécessaire de
protéger, mais cette protection est le fruit des actions humaines. La
Trame verte et bleue ambitionne donc de réintroduire la nature en ville
au nom de la valeur de la biodiversité locale, mais cette valeur est
elle-même déterminée par les experts. Ainsi, elle milite
contre l'érosion de la biodiversité en réintroduisant la
nature en ville. Elle dépasse alors le cadre de l'opposition
nature/culture, et vise la coexistence entre humains et non-humains tout en
restant fidèle à une représentation anthropocentrée
de cette nature.
En outre, si la Trame verte et bleue permet d'imaginer une
biodiversité qui serait urbaine, elle fait intervenir d'autres registres
de légitimité que celle de la protection de la nature. Si le
Grenelle de l'Environnement oriente les objectifs de la Trame verte et bleue
vers des enjeux de gestion de la biodiversité, ce concept dépasse
le cadre de l'écologie, au risque de le mettre parfois de
côté. Pourtant, elle emprunte le répertoire de
l'écologie du paysage, affirmant le rôle des experts de la
biodiversité dans l'élaboration des politiques de verdissement.
Le cas de la Trame verte et bleue est particulièrement parlant, en
raison notamment du rôle précurseur de la région Nord-Pas
de Calais. Cette région, à cause de son passé industriel,
est la deuxième région la plus artificialisée du
territoire métropolitain après l'Ile de France. Guillaume Schmitt
rapporte les chiffres de l'utilisation du sol dans la région en
s'appuyant sur les données de la carte européenne CORINE Land
Cover, il y a 12,66% de surfaces dites artificialisées, 78,68% de
territoires agricoles, et 8,66% d'espaces naturels aux alentours de
199016. La métropole lilloise est tout
particulièrement touchée par l'artificialisation, car «
la périurbanisation du territoire a eu lieu précocement,
dès la révolution industrielle, jusque dans les années
1975 »17 et « malgré une croissance
16 Guillaume Schmitt, « Inégalités
écologiques et utilisation du sol : situation de la région
Nord-Pas de Calais », Développement durable &
territoires, Dossier 9, 2007
17 Plan Climat Energie Territorial de Lille
métropole du 18/10/2013
http://www.lillemetropole.fr/files/live/sites/lmcu/files/images/ACTUALITES/DEVELOPPEMENT%20DURAB
LE/plan%20climat%20energie.pdf
13
démographique plutôt faible sur le territoire
(moins de la moitié de la moyenne nationale), la demande en logements
reste supérieure à l'offre de construction neuve
»18. Le territoire de Lille métropole a connu un
fort recul des activités et des surfaces agricoles du fait notamment de
l'étalement urbain, le patrimoine forestier est faible, « en
raison de l'urbanisation mais également de l'agriculture intensive
aménagée en espace ouvert »19, et les
espaces verts urbains ouverts au public sont peu nombreux dans la
métropole, ainsi que dispersés et mal reliés entre eux
« alors même que ces espaces et les espaces naturels
revêtent des enjeux importants d'épanouissement, de lien social,
d'économie et de biodiversité »20. Ces
espaces verts, rapportés au nombre d'habitant, représentent moins
de 10m2 d'espaces verts urbains par habitant tandis que la moyenne
nationale situe à 31m2 la surface d'espace vert par habitant
dans les grandes villes21. Ces constats préoccupants ont
conduit à l'adoption de politiques de protection de la
biodiversité dès les années 1990. En France, plusieurs
régions ont, dès le milieu des années 1990, testé
la réalisation de corridors biologiques, dont le Nord-Pas de Calais.
Lorsque que la loi de Grenelle qui institutionnalise la Trame verte et bleue en
2009 est adoptée, celle-ci est déjà existante dans la
région Nord Pas de Calais, et lorsqu'elle oblige la création de
« comités régionaux « trame verte et bleu » »
celui-ci est déjà installé. De même, à Lille,
le constat d'un manque d'espace vert métropolitain date de la fin des
années 1990, et la Trame verte et bleue est initiée, sous
l'impulsion de Pierre Mauroy, une dizaine d'années avant qu'elle soit
institutionnalisée par la loi de Grenelle. La mission d'élaborer
cette Trame verte et bleue est confiée au syndicat mixte Espace Naturel
Lille Métropole, sous la direction de Pierre Dhenin, ancien journaliste
et personnage emblématique de la protection du patrimoine.
La relation entre artificialisation et Trame verte et bleue
est à la fois logique, mais sujette à des contradictions. La
Trame verte et bleue permet de corriger certains aspects de l'artificialisation
des sols, en limitant l'érosion de la biodiversité, mais elle est
elle-même considérée comme un milieu artificialisé.
En multipliant les espaces de nature en ville, elle peut également
concourir à alimenter l'artificialisation, et notamment, celle des
espaces agricoles. En effet, si l'on introduit la nature en ville, les espaces
autrefois libres ne pourront plus être utilisés pour les
activités « traditionnelles » urbaines telles que le logement
ou les activités commerciales. Elle peut donc repousser encore plus loin
les limites de la ville et
18 Ibid.
19 Ibid.
20 Ibid.
21 http://www.entreprisesdupaysage.org/
14
reléguant ces activités à des territoires
toujours plus éloignés du centre-ville, générant
davantage de pollution. D'après Jacques Simon, récompensé
par le grand prix du paysage en 1990, et participant de l'élaboration du
Parc de la Deûle, « Lille métropole garde des morceaux de
campagne entre les mâchoires de la ville. Il faut les préserver et
les spécialiser »22. Le territoire de la
communauté urbaine de Lille est effectivement particulier, car il
accueille sur la moitié de son territoire des exploitations agricoles.
Se pose la question de la gestion ou de la transformation ou non de ces espaces
résiduels. L'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille doit
répondre à ses questions en élaborant les documents
d'urbanisme qui déterminent ce qui sera ouvert ou non à
l'urbanisation. C'est elle qui est également chargée d'inscrire
au prochain Schéma de Cohérence Territorial la Trame verte et
bleue lilloise afin de lui conférer une valeur réglementaire qui
assurera sa pérennité. L'enjeu est de trouver un juste
équilibre entre les aspirations à l'étalement urbain, qui
apparaît la plupart du temps comme une opération naturelle, les
limitations de l'artificialisation imposées par les documents
émis par la DREAL, Direction Régionale de l'Environnement, de
l'Aménagement et du Logement, et la protection des espaces verts
urbains. L'enjeu est donc de taille dans une métropole où la
pression sur le foncier se fait de plus en plus forte.
La nécessité d'enrayer le mouvement de
l'artificialisation et l'inscription dans les documents d'urbanisme de la Trame
verte et bleue lilloise, projet porté par le syndicat mixte ENLM,
génère des conflits entre les acteurs du territoire. Les
élus, les défenseurs de la TVB, la Chambre d'Agriculture ou les
résidents portent leurs représentations du territoire, et leurs
souhaits quant au visage de la métropole. Les experts occupent
également une place prépondérante, et influencent ces
représentations, déterminant la structure de la Trame verte et
bleue et les enjeux concernant la biodiversité locale. Si
l'artificialisation effraie les spécialistes de l'écologie, les
agronomes, et certains personnages publics, la Trame verte et bleue, bien que
plus consensuelle, rencontre également des oppositions. Elle constitue
elle-même une anthropisation du territoire, qui apparaît
désormais comme inévitable, et s'impose comme une structure
indispensable à la ville, générant des conflits autour de
l'occupation et de l'usage du sol.
22 Michel Van Parys et Geoffroy Deffrennes,
Lille métropole : hier, aujourd'hui, demain, Ed.
Huitième jour, 2005
15
Etat de l'Art
Le rythme soutenu de l'artificialisation des territoires nous
a invités à nous poser la question des politiques engagées
pour d'une part la limiter, et pour atténuer ses conséquences sur
l'équilibre des écosystèmes. Si sa limitation se traduit
par les orientations de la région par des objectifs chiffrés, et
à une échelle plus grande, par les documents d'urbanisme, elle
n'apparaît pas véritablement comme une politique, mais comme une
contrainte au développement des villes. Au contraire, les tentatives de
correction de ses conséquences se développent à travers le
concept de Trame verte et bleue. Nous avons choisi de nous concentrer sur la
métropole lilloise, caractérisée par un passé
industriel qui a généré une forte artificialisation et une
pollution des sols, et qui a, dans une certaine mesure, abimé l'image de
la ville, perçue comme peu accueillante et très
minéralisée. Les initiatives de la région et des acteurs
de la métropole ont conduit à une adoption rapide du concept de
TVB, destinée dans un premier temps à redorer le blason de Lille
pour accueillir les entrepreneurs en les attirant par un cadre de vie plus
agréable et par là, pour redynamiser la ville.
La genèse de la TVB lilloise est donc
particulière, et son élaboration débute en 2002 lors de
l'adoption de nouvelles compétences par le syndicat mixte Espace Naturel
Lille Métropole. Son développement a été
entrecoupé par la loi de Grenelle qui a imposé sa
définition de la Trame verte et bleue, réaffirmant son rôle
principal de protection de la biodiversité. Toutefois, la Trame verte et
bleue, pour assurer sa réalisation, doit recevoir le soutien des acteurs
du territoire, et reste fidèle à son discours initial de
promotion de la métropole, en l'associant à une mission
récréative.
Les entretiens réalisés ont pu nous permettre de
comprendre les positionnements des acteurs du territoire quant à ce
concept, ainsi que leurs préoccupations à propos de la pression
foncière. Les données du géocatalogue de Lille ont permis
de comprendre comment la définition de l'artificialisation s'est
diffusée et comment le chiffre permet d'assoir une position. Les membres
de l'Agence de développement et d'Urbanisme, le directeur du syndicat
mixte Espace Naturel Lille Métropole, ainsi que les chercheurs
spécialistes de l'agriculture périurbaine, de
l'artificialisation, de la notion de Trame verte et bleue et du territoire
lillois, nous ont aidé à déconstruire les positions et les
argumentaires défendant ou attaquant les réglementations pour
limiter l'artificialisation ainsi que l'aspect réglementaire prochain de
la Trame verte et bleue.
16
Ce mémoire s'inscrit dans le domaine de l'analyse des
politiques publiques. Il ambitionne de déconstruire les discours des
acteurs du territoire à différentes échelles dans le cadre
de l'élaboration d'une politique de protection de la biodiversité
au regard des conséquences de l'artificialisation. L'objectif est de
montrer les rapports complexes entre les domaines des études
environnementales et des politiques locales.
Problématique
L'artificialisation des territoires comprise en tant que
phénomène d'étalement urbain comprenant le bâti, les
infrastructures, et les espaces verts urbains, pose un problème de
taille pour la sauvegarde de la biodiversité locale et menace les
territoires dédiés à l'agriculture périurbaine. La
Trame verte et bleue apparaît comme la panacée, permettant de
limiter l'érosion de la biodiversité, en s'appuyant sur
l'expertise de l'écologie du paysage et en instaurant un système
composé d'espaces verts et de corridors visant à rétablir
les continuités écologiques. Toutefois, le concept même
d'artificialisation est sujet à des insuffisances, parce qu'il ne rend
pas compte de la réalité plus large de l'anthropisation. De plus,
il nait de nomenclatures précises, qui orientent sa définition
selon la conception et l'idéologie qui sous-tendent l'élaboration
de la carte. L'artificialisation est donc un concept orienté, et
l'agriculture apparaît comme la première victime de ce
phénomène. La Trame verte et bleue, en cherchant à en
limiter les conséquences, constitue elle aussi en un grignotement des
espaces ruraux pour développer des espaces permettant le
développement de la biodiversité. Il s'agit donc, pour ses
défenseurs, de tenir un discours consensuel permettant son acceptation
par les acteurs du territoire, mais également sans oublier sa mission de
protection de la biodiversité locale. Elle est en voie de devenir un
concept d'aménageur, soucieux des projets de territoire portés
par les politiques, et des désirs des citadins. Elle doit
également satisfaire tous ses usagers sans mettre en danger les coeurs
de nature.
Ainsi, il est légitime de se demander comment, en
partant du constat de l'artificialisation des sols et de ces
conséquences sur les écosystèmes, le concept de Trame
verte et bleue s'impose comme une structure indispensable à l'espace
urbain, en adoptant une position pragmatique.
Annonce du plan
Afin de comprendre les positions des acteurs du territoire de
la métropole de Lille à propos de l'artificialisation et de ces
conséquences, nous reviendrons dans un premier temps sur l'origine de ce
terme, et sur ses orientations déterminées par l'organisme
produisant les
17
cartes. L'artificialisation est une notion floue, sujette
à de nombreuses insuffisances, et est utilisée par la Chambre
d'Agriculture pour défendre le maintien de l'agriculture
périurbaine contre l'étalement urbain qui la menace. Les
documents d'urbanisme, qui ont pour mission de limiter le
phénomène de l'urbanisation, doivent s'assurer le soutien des
élus, et le Schéma de Cohérence Territorial qui
détermine les limites de la métropole doit répondre aux
désirs de développement économique, devenant par là
un outil politique.
Nous verrons dans un deuxième temps comment
l'artificialisation justifie l'apparition du concept de Trame verte et bleue,
et comment ce concept, édifié à l'échelle de la
métropole, connaît des évolutions sous l'influence de
l'édiction de normes par des institutions supérieures. Nous nous
concentrerons également sur l'aspect scientifique de la Trame verte et
bleue, c'est-à-dire sur le rôle des experts de la
biodiversité, et sur le répertoire de l'écologie du
paysage appliqué à une politique publique. Le concept de Trame
verte et bleue suscite des réactions souvent mitigées, les
élus la percevant comme une dépossession de leur territoire.
Enfin, dans un troisième temps, nous évaluerons
le concept de la Trame verte et bleue, notion de plus en plus utilisée
par les aménageurs. Ce mainstreaming de l'écologie met en avant
les experts et permet de publiciser les menaces pesant sur la
biodiversité locale, mais oblige les défenseurs de la Trame verte
et bleue à adopter un discours pragmatique, mettant parfois de
côté cet aspect environnemental. De plus, le concept de
biodiversité peut lui-même être rediscuté,
entraînant une série de questionnement sur la
légitimité de l'écologie de la restauration. Finalement,
la Trame verte et bleue parvient-elle à s'imposer comme une structure
nécessaire à l'aménagement urbain ?
18
CHAPITRE I : L'ambigüité sémantique de
l'artificialisation et de ses discours
Le terme d' « artificialisation » est apparu
à partir du moment où les institutions européenne d'abord,
puis le gouvernement français se sont attachés à
cartographier le phénomène. Toutefois, cette inscription à
travers les nomenclatures des cartes, qui a déterminé son sens,
est elle-même sujette à des insuffisances, insuffisances qui se
perpétuent dans les discours, faisant de l'artificialisation un mot
valise. Dans le cas de Lille Métropole, le partenariat entre la chambre
d'Agriculture et le syndicat mixte ENLM en 2002 est un exemple parlant de
l'ambigüité de la notion.
1. L'émergence de la notion à travers les
cartes et ses insuffisances 1.1.L'Agence Européenne de l'Environnement
et le Ministère de l'Agriculture
L'Agence Européenne de l'Environnement ainsi que le
Ministère de l'Agriculture se dote d'outils dès les années
1980 afin de pouvoir observer les évolutions de l'occupation du sol, et
de ce fait, le phénomène de l'artificialisation. Les cartes
publiées permettent de faire émerger la notion
d'artificialisation.
a. La CORINE Land Cover
La CORINE Land Cover est un inventaire de l'occupation du sol
homogène et standardisé sur tout le territoire français au
1/100 000ème, issu de la photo-interprétation d'images
satellitaires23. Cet inventaire est produit dans le cadre du
programme européen de coordination de l'information sur l'environnement
CORINE. Trois versions de cette base de données existent : celles de
1990, de 2000, et de 2006. La prochaine version est en cours de production, les
résultats ne devraient être obtenus qu'en 2015. La nomenclature
est multi-niveau, avec un niveau général décomposé
en 5 catégories dont la première s'intitule « territoires
artificialisés », et un niveau davantage développé
qui décrit l'occupation de la surface en fonction de 45
possibilités. L'intérêt premier de la CORINE Land Cover,
dite CLC, est qu'elle permet d'identifier les éléments de
fragmentation, car elle cartographie l'artificialisation des sols (couche
« territoires artificialisés ») et certaines sources
potentielles
23
http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/donnees-ligne/li/1825.html
19
de pollution (couche « mines décharges et
chantiers », « zones industrielles et commerciales et réseaux
de communication »).
D'après le géographe Guillaume Schmitt,
l'artificialisation est un néologisme ancien dont « on trouve
les origines dans les travaux de géographie à l'échelle
européenne, développés avec la montée en puissance
de l'UE pour des raisons politiques »24 et pour des
raisons technologiques avec l'émergence de l'observation de la Terre par
images satellites de plus en plus précises. De l'utilisation de cette
carte nait une certaine vision de l'Europe. Les premières images
satellites identifiaient la minéralisation en bleu, formant un ensemble
presque continu de territoires artificialisés. C'est ce que Roger Brunet
a appelé la « banane bleue »25,
désignant cet espace densément peuplé et fortement
urbanisé qui s'étend approximativement de Londres à
Milan.
L'artificialisation est donc profondément liée
à une question politique et technologique, née au moment
où l'Union Européenne se dote d'un outil d'observation commun de
surface terrestre. Cette innovation va se diffuser à l'échelle
nationale, qui cherche à se doter de ses propres outils d'observation de
l'artificialisation des territoires.
b. La TERUTI-Lucas
La première enquête nationale sur l'utilisation
du territoire agricole remonte à l'année 1946 avec la mise en
place d'une enquête « contrôle de surface » reposant sur
l'analyse des plans cadastraux. Avec l'apparition de la photo aérienne
à partir de 1982, le Ministère de l'Agriculture se dote
également d'un outil d'observation de l'occupation des sols : c'est la
carte TERUTI, issue de l'enquête statistique organisée par
Agreste, le service statistique du ministère de
l'Agriculture26. Depuis 2005, cette carte s'intitule TERUTI-Lucas,
le terme « Lucas » a été ajouté car il s'agit de
l'adaptation de l'enquête TERUTI au cahier des charges européen
« Lucas »27. Les sols artificialisés correspondent
aux nomenclatures suivantes : « sols artificialisés non bâtis
», « sols bâtis », « zones interdites » et
« pelouses d'agrément et superficies en herbe »,
regroupés dans la catégorie principale « territoires
artificialisés ». Concernant la méthodologie, des points,
espacés de 300 mètres, sont tirés au hasard sur une trame
de points quadrillant l'ensemble du territoire. Pour chaque point,
l'enquêteur relève
24 Entretien avec Guillaume Schmitt, géographe,
le 2 avril 2015 à Lille
25 Roger Brunet, « Structures et dynamiques du
territoire français », L'Espace géographique,
1973
26 « Teruti-Lucas-Enquête sur l'utilisation du
territoire », Géoconfluences, 12/03/2013
27
http://www.stats.environnement.developpement-durable.gouv.fr/Eider/view-meta.do?metaCode=OC-LUCAS
20
chaque année l'occupation ainsi que l'utilisation du
territoire à partir de photos aériennes. L'objectifs de cette
enquête est de disposer de données sur l'occupation et
l'évolution des territoires qu'ils soient agricoles ou non.
Les données issues de TERUTI peuvent être
différentes de celles qui sont observées par d'autres
dispositifs, en particulier la CLC, à partir de l'interprétation
d'images satellitaires. Les nomenclatures sont différentes et il
apparaîtrait que CORINE apprécie surtout le territoire en termes
de paysages, alors que TERUTI fait référence à une
nomenclature physique d'occupation des sols28. De plus, si la
tendance à l'artificialisation des sols est montrée dans tous les
cas, de fortes variations peuvent être observées selon la source
d'information utilisée. « Le zonage de l'Insee détecte
dix fois plus de surfaces artificialisées que l'enquête TERUTI,
qui, elle-même, en détecte plus de cinq fois que CLC. Ces
différences ne sont pas surprenantes car les finalités de ces
bases de données sont très différentes. »29
Cela s'explique également par la position du
Ministère de l'Agriculture, qui s'inquiète du « gaspillage
» des terres agricoles30. La Loi de modernisation agricole de
2010 vise notamment à « mettre en oeuvre une véritable
politique de préservation du foncier agricole en France
»31 et préconise de « réduire de
moitié »32 le rythme de consommation des terres
agricoles d'ici 2020. Il apparaît donc, d'après l'orientation de
l'enquête TERUTI et de la carte qui en découle que «
l'artificialisation des sols agricoles correspond aux flux de terres
agricoles vers ces usages ni agricoles ni forestiers : sols bâtis,
infrastructures de transports, chantiers, cimetières, terrains vagues,
carrières, décharges, jardin d'agrément et
pelouses
»33.
c. L'artificialisation, une notion qui semble faire
consensus
Avec le développement des enquêtes
chiffrées puis des cartes qui en découlent de la part des
institutions européenne et nationale, la tendance à
l'artificialisation du territoire est
28 Philippe Chéry, Alexandre Lee, Loïc
Commagnac, Anne-Laure Thomas-Chery, Stéphanie Jalabert and
Marie-Françoise Slak, « Impact de l'artificialisation sur les
ressources en sol et les milieux en France métropolitaine »,
Cybergeo : European Journal of Geography, 2014
29 Ibid.
30 Yannick Sencébé, Florence Pinton et
Pierre Alphandéry, «Le contrôle des terres agricoles en
France Du gouvernement par les pairs à l'action des experts »,
Sociologie, n°3, vol. 4, 2013
31
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022521587&categorieLien=id
32 Ibid.
33 Philippe Pointereau et Frédéric
Coulon, « Abandon et artificialisation des terres agricoles »,
Courrier de l'environnement de l'INRA n° 57, juillet 2009
21
observée unanimement. De même, le concept d'
« artificialisation » se développe, et tous s'accordent sur sa
définition. Pour l'Institut Français de l'Environnement, ancien
service du Ministère français de l'écologie, de
l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du
territoire, « ces surfaces artificielles regroupent l'habitat et les
espaces verts associés, les infrastructures, les équipements
sportifs ou de loisirs, les bâtiments divers (industrie, commerces,
entrepôts, dépôts et décharges, services...)
»34.
D'après le Schéma régional du climat, de
l'air et de l'énergie du Nord-Pas de Calais, dont la consultation
publique du projet s'est déroulé à la fin de
l'année 2011, et qui a été approuvé par
arrêté du Préfet de région le 20 novembre 2012,
« on entend par surface artificialisée tout surface
retirée de son état naturel (friche, prairie naturelle, zone
humide etc.), forestier ou agricole, qu'elle soit bâtie ou non et qu'elle
soit revêtue (exemple : parking) ou non (exemple : jardin de maison
pavillonnaire)».35 L'Observatoire des territoires du
Commissariat général à l'égalité des
territoires ajoute : « l'extension de l'artificialisation correspond
à une consommation d'espaces naturels et ruraux » et «
les espaces qui subissent une artificialisation ne sont plus disponibles
pour des usages tels que l'agriculture ou comme habitats naturels
»36.
Le terme d'artificialisation est donc employé pour
traduire un changement d'occupation des sols dont le résultat est
d'aboutir à : une occupation bâtie (habitations, locaux
d'activités commerciale, industrielle), une occupation revêtue
(voie de circulation et parkings par exemple), une activité d'extraction
(carrières, gravières), ou de stockage de déchets. De
plus, ce terme est utilisé à propos de « transformations
d'espaces agricoles en espaces verts urbains qui, bien que non détruits
physiquement, ne pourront plus être utilisés par l'activité
agricole. En d'autres termes, c'est une transformation d'un lieu en lui donnant
les caractères de la ville. »37
L'observation de l'artificialisation à travers les
cartes a permis le développement de la notion et l'adoption par les
institutions de ce terme, exprimant par là-même qu'elles
34 Annie Coutelier, « L'artificialisation
s'étend sur tout le territoire », Les données de
l'environnement, n°8, janvier-février 2003
35 Schéma régional du climat, de l'air
et de l'énergie adopté en novembre 2012
http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-srcae-bd-nov2012.pdf
36
http://www.datar.gouv.fr/observatoire-des-territoires/fr/part-des-espaces-artificialis%C3%A9s
37 Philippe Chéry, Alexandre Lee, Loïc
Commagnac, Anne-Laure Thomas-Chery, Stéphanie Jalabert and
Marie-Françoise Slak, « Impact de l'artificialisation sur les
ressources en sol et les milieux en France métropolitaine »,
Cybergeo : European Journal of Geography, 2014
22
reconnaissent son importance. Toutefois, si la notion semble
faire consensus, elle est sujette à des insuffisances.
1.2.Les limites de la cartographie
Si l'interprétation des images satellites par l'Union
Européenne et par le gouvernement français ont permis d'observer
le phénomène d'artificialisation des sols, les cartes qui en
découlent sous sujettes à des imprécisions et ne rendent
pas compte pleinement de la réalité de cette
artificialisation.
a. Le manque de précision
Corine Land Cover est une des données qui
présentent le plus de limites d'utilisation, et notamment en raison d'un
manque de précision. En effet, cette ressource n'est pas adaptée
aux échelles intercommunale et communale. De plus, CLC ne détecte
pas les éléments d'une surface de moins de 25 hectares, ce qui
exclut un grand nombre de zones humides. Elle comporte donc des lacunes en
matière de cartographie notamment dans la plupart des zones humides. En
ce qui concerne les espaces agricoles et les milieux naturels, CLC les classe
dans des rubriques intitulées « surfaces essentiellement agricoles,
interrompues par des espaces naturels importants » ou « territoires
agro-forestiers » : il y a donc un manque de précision pour ces
types de milieux, qui peuvent pourtant être très
diversifiés et correspondre plutôt à une mosaïque
d'espaces agricoles et de milieux naturels. Il apparaît donc que la
précision et la typologie sont limitées, et cela nécessite
d'être complété par des données d'occupation du sol
plus précises.
Ainsi, « ces discours et ces chiffres sur
l'artificialisation méritent d'être déconstruits avec
vigueur. Nous ne rentrerons pas ici dans le détail des calculs et ferons
confiance à leurs auteurs. Il serait pourtant possible de critiquer
l'usage de base TERUTI-Lucas pour évaluer l'artificialisation et plus
particulièrement l'étalement urbain. »38. Il
apparaît également que la carte européenne CORINE ne permet
pas de différencier usage et occupation du sol.
38 Philippe Pointereau et Frédéric
Coulon, « Abandon et artificialisation des terres agricoles »,
Courrier de l'environnement de l'INRA n° 57, juillet 2009
23
b. La confusion entre occupation et usage du sol de la CORINE
Land Cover
Il y a également dans la CLC une confusion entre
l'occupation du sol - pelouse herbacée par exemple - et l'usage du sol -
équipement sportif par exemple. Leur différence est pourtant
significative. En effet, l'occupation du sol est la couverture physique
observable, naturelle ou anthropique, de la surface terrestre à un
moment donné tandis que l'usage du sol est l'activité humaine
directement liée à la surface terrestre, ayant un impact sur
elle.
La confusion entre occupation et usage du sol n'est pas
seulement liée à la méthode. Les chercheurs Aurélie
Bousquet et Laurent Couderchet consultent les définitions données
par les principaux dictionnaires de géographie française, et
remarquent « l'absence d'entrée portant sur l'occupation ou
usage du sol, soit un amalgame des deux termes »39. Or,
les contextes d'utilisation dans lesquels ces termes s'utilisent sont
différents : « la connaissance de l'occupation du sol est
nécessaire comme aide au développement de modèles
environnementaux alors que l'usage du sol est l'objet d'étude pour les
sciences centrées sur l'homme et ses actions, la planification et
l'aménagement »40.
Corine Land Cover entretient cette confusion en
réunissant à un même niveau de nomenclature l'occupation du
sol (végétation clairsemée; tissu urbain discontinu) et
les usages du sol (espace vert urbain, zones industrielles ou commerciales).
« Le type d'usage résidentiel peut être composé de
plusieurs occupations du sol qui incluent des arbres, de l'herbe, des
bâtiments et de l'asphalte, mais CLC ne prend pas en compte cette
complexité et qualifie ces occupations du sol de «tissu urbain
discontinu»»41.
La carte CLC qui détermine une certaine vision de
l'artificialisation ne permet pas de saisir la mosaïque urbaine, car elle
confond usage et occupation du sol. Cette ambigüité remet en
question la pertinence de l'utilisation du terme d'artificialisation.
1.3.Une notion qui recouvre des réalités
très différentes
Guillaume Schmitt rappelle la cartographie réduit la
réalité du territoire. D'après lui, « ceux qui
ont construit cette nomenclature le regardaient de loin
»42, et se concentraient sur
39 Bousquet Aurélie, Couderchet Laurent,
Gassiat Anne, Hautdidier Baptiste, « Les résolutions des bases de
données « occupation du sol » et la mesure du changement
», L'Espace géographique 1/2013 (Tome 42), p. 6176
40 Ibid.
41 Ibid.
42 Entretien avec Guillaume Schmitt, géographe,
le 2 avril 2015 à Lille
24
les zones bâties pour qualifier l'artificialisation.
Dans les territoires artificialisés, « on aperçoit des
zones urbanisées, des routes, mais aussi des parcs et des jardins en
zone urbaine, considérés comme telle, ainsi que des friches
»43. La notion d'artificialisation décrit des
réalités différentes.
a. Les exigences de précision en milieux urbain
et périurbain
Les milieux à dominante urbaine sont des espaces
complexes, multiformes. Le périurbain apparaît tout
particulièrement comme un territoire hybride, et est qualifié de
« tiers espace » par Martin Vanier44, car il ne
répond pas à la distinction simplifiée entre ville et
campagne. Les bases de données d'occupation des sols de type CLC, bien
qu'elles soient utiles pour divers types d'études, apparaissent donc
comme simplificatrices et réductrices pour ces espaces. Ainsi, «
pour les espaces urbains et périurbains, les exigences de
précision sont plus élevées. Les bases d'occupation des
sols de type CLC étant fondées sur des images satellitaires de
moyenne résolution, elles présentent de nombreuses approximations
qui les rendent peu satisfaisante quand il est nécessaire
d'appréhender le territoire à «grande
échelle«»45.
L'imprécision spatiale (la finesse et la
fiabilité des zones d'occupation des sols délimitées)
ainsi que l'imprécision thématique des classes (description trop
grossière des tissus urbains notamment) ne permettent pas de
retranscrire la complexité du tissu urbain. Dans la nomenclature CLC, la
catégorie « Territoires artificialisés » se
décomposent en 11 classes. Celles-ci permettent d'offrir une vue
relativement détaillée de la morphologie des villes, mais restent
néanmoins imprécis. « Comment distinguer une zone
résidentielle pavillonnaire d'un quartier d'immeubles collectifs ?
Commet séparer réseaux routiers et emprises ferroviaires ? Quid
de l'individualisation des « dents creuses », ces espaces non
construits à l'intérieur des tissus urbains, fort
intéressants pour raisonner en termes de densification ?
»46
43 Ibid.
44 Martin Vanier, « Qu'est-ce que le tiers
espace ? Territorialités complexes et construction politique »,
Revue de géographie alpine, 2000, Volume 88, Numéro
88-1, pp. 105-113
45 Samuel Robert et Jacques Autran, «
Décrire à grande échelle l'occupation des sols urbains par
photo-interprétation. Réflexion méthodologique et
expérimentation en Provence », Sud-Ouest Européen, Revue
Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, n°33,
2012, p. 25-40
46 Samuel Robert et Jacques Autran, «
Décrire à grande échelle l'occupation des sols urbains par
photo-interprétation. Réflexion méthodologique et
expérimentation en Provence », Sud-Ouest Européen, Revue
Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, n°33,
2012, p. 25-40
25
Si la CORINE Land Cover permet de saisir dans un large
territoire le phénomène d'artificialisation, son application pour
une échelle plus précise est inappropriée, notamment en
milieu urbain.
b. Un problème quantitatif ou qualitatif ?
»48.
Éric Charmes s'interroge sur les chiffres de
l'artificialisation, cette dernière étant selon lui un
problème davantage qualitatif que quantitatif47.
Agreste, la revue publiée par le ministère de
l'Agriculture, souligne en 2010, que le laps de temps dans lequel
l'équivalent d'un département était artificialisé
avait été réduit, passant de 10 à 7 ans. Toutefois,
d'après l'auteur, la définition de l'artificialisation ici
retenue est celle de la TERUTI-Lucas, et cette dernière est relativement
extensive : « sont retenus les routes, chemins et bâtiments de
toute nature, mais aussi les espaces non bâtis considérés
comme urbains (espaces verts, pelouses, équipements sportifs, terrains
vaques etc)
Les milieux agricoles restent toutefois les premiers
touchés par les impacts de l'urbanisation, mais « ces impacts
sont moins dus à la quantité des sols artificialisés
qu'aux modalités de l'artificialisation »49. La
focalisation sur les aspects quantitatifs, développés par la
cartographie, mettrait un voile sur ce qui pose véritablement
problème, à savoir « la forme prise pas les extensions
urbaines et périurbaines et la manière dont elles
s'organisent. »50
En effet, les métropoles ne s'étendent plus
guère par étalement continu de leurs espaces bâtis, mais
par émiettement. Le périurbain est émietté, et
l'impact de cette caractéristique soulève beaucoup plus de
problèmes que la quantité des terres artificialisées. Si
l'urbanisation se faisait exclusivement par étalement continu, en
continuité des limites des métropoles françaises, ces
impacts seraient bien moindres qu'avec les formes actuelles de la
périurbanisation car l'émiettement démultiplie les
surfaces de contact entre l'agriculture et les territoires urbanisés.
Ainsi, l'urbanisation massive du rural augmente les occasions de conflits entre
les activités agricoles et les activités urbaines.
Concernant la biodiversité également,
l'émiettement à un impact très fort. Cette forme
d'artificialisation empêche certaines espèces d'évoluer sur
de grands périmètres, et ces
47 Eric Charmes, « L'artificialisation est-elle
vraiment un problème quantitatif ? », Etudes
foncières, ADEF, 2013
48 Ibid.
49 Ibid.
50 Ibid.
26
dernières se heurtent aux coupures introduites
notamment par les infrastructures routières. De plus, avec
l'intensification des flux circulatoires sur les étendues de plus en
plus vastes des aires urbaines, ces coupures se renforcent. Éric Charmes
annonce les moyens mis en oeuvre pour lutter contre cette fragmentation :
« de là découle notamment l'insistance actuelle des
textes de loi sur les corridors et les trames vertes et
bleues.»51
Ainsi, l'apparition de l'artificialisation à travers
les cartes ne permet pas de rendre compte de la complexité du
phénomène en raison de l'imprécision de la cartographie.
Cette imprécision est d'autant plus préjudiciable que
l'artificialisation ne peut pas être mesurée seulement à
partir de chiffres car elle est qualitative autant, voire plus, que
quantitative.
1.4.La ville, rattrapée par son environnement
La ville est d'abord définie par opposition à la
campagne au nom du paradigme opposant nature et culture. Aujourd'hui, alors que
les espaces verts urbains suscite l'enthousiasme des citadins, cette dichotomie
est obsolète, la ville est « rattrapée par son
environnement »52.
a. La mosaïque urbaine
L'espace urbain est formé de matériaux de
natures différentes et d'objets de tailles variées. «
L'espace urbain est un milieu fortement hétérogène,
formant une mosaïque urbaine. On y trouve des surfaces minérales,
des surfaces métalliques, des surfaces chlorophylliennes et des surfaces
hydriques »53. La ville n'est donc pas totalement
minéralisée, et d'après Laure Cormier, on trouve des
potentialités de nature dans l'espace public urbain. Ainsi, le
territoire urbain est formé d'une mosaïque d'espaces, et une si
« une zone est plutôt artificialisée, cela ne veut pas
dire qu'elle l'est complètement ».54
Toutefois, malgré les différents stades de
l'artificialisation, et l'incapacité de cette notion à rendre
compte de la pluralité des milieux qui composent l'espace urbain, le
terme se diffuse. Pour Guillaume Schmitt, l'artificialisation a tendance
à trop généraliser, notamment concernant les espaces verts
urbains. En effet, il peut un avoir des processus de renaturation,
51 Eric Charmes, « L'artificialisation est-elle
vraiment un problème quantitatif ? », Etudes
foncières, ADEF, 2013
52 Philippe Clergeau, Une écologie du
paysage urbain, Ed. Apogée, Rennes, 2007
53 Rahim Aguejdad, thèse intitulée
« Etalement urbain et évaluation de son impact sur la
biodiversité, de la reconstitution des trajectoires à la
modélisation prospective. Application à une agglomération
de taille moyenne : Rennes Métropole », Géographie,
Université de Rennes, 2009
54 Entretien avec Guillaume Schmitt, géographe,
le 2 avril 2015 à Lille
27
et une « ancienne carrière peut devenir un
site de nidification »55. Pourtant, la CORINE Land Cover,
qui détermine l'artificialisation, « ne fait pas de
différence entre cette carrière et une autre qui serait encore en
activité »56. Au regard de la complexité de
la ville, « ce terme est très discutable en soi
»57.
b. Le rôle social de la nature
Produire une ville complètement minérale serait
une « aberration »58, si l'on reprend le mot de
Laure Cormier, géographe. Et ce d'autant plus que la présence de
la nature en ville remplit des fonctions esthétiques, de confort, et
sociales. Pour Martin Vanier, il y a une diversité des
représentations de la nature, et celle-ci conditionne «
l'identité profonde du tiers espace »59, id
est le périurbain. La nature peut être à la fois le
cadre du confort domestique, un support récréatif, un
héritage culture traduit par son paysage, un gisement à exploiter
et à contrôler, un patrimoine de biodiversité. Elle peut
même être l'infrastructure de l'organisation urbaine, devenant un
« vide structurant ».
En raison de la pluralité des fonctions qui sont
adressées à la nature, il existe une très forte demande
sociale pour la diversité urbaine, et ainsi, pour une nature de
proximité en ville. Cela conditionne « l'intérêt
grandissant pour la nature et les enjeux que représente l'étude
du fonctionnement des écosystèmes en ville
»60. Ainsi, la nature occupe, matériellement et
immatériellement, une place prépondérante dans l'espace
urbain. La nature constitue l'espace collectif, et assure alors une fonction
sociale. Pour Emma Raudin, on ne peut pas parler de densité si on ne
parle pas de nature en ville. Pourtant, les cartes visant à
déterminer l'occupation des sols comprennent ces espaces de natures
comme des espaces artificialisés. Il s'agit alors de se reposer la
question de la pertinence de cette notion, si elle regroupe sous la même
catégorie des surfaces minéralisées et des surfaces
chlorophylliennes. Les espaces de nature en ville sont d'une importance majeure
pour l'organisation de nos modes de vie citadins, et ne peuvent être
ignorés.
La notion d'artificialisation apparaît avec le
développement des cartes qui visent à rendre compte de ce
phénomène. Pourtant, les données cartographiques en milieu
urbain ne
55 Ibid.
56 Ibid.
57 Ibid.
58 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le
5 mars 2015 à Paris
59 Martin Vanier, « Qu'est-ce que le tiers
espace ? Territorialités complexes et construction politique »,
Revue de géographie alpine, 2000, Volume 88, Numéro
88-1, pp. 105-113
60 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le
5 mars 2015 à Paris
28
permettent pas de traduire la complexité de la
mosaïque urbaine. Les chiffres et les cartes se développent
à une échelle plus grande dans le souci de précision,
permettant de mettre en place des politiques de limitation de
l'artificialisation.
2. Le poids des chiffres et l'importance des documents
d'urbanisme
Si les cartes élaborées par l'Union
Européenne et par le gouvernement ne retranscrivent pas
fidèlement l'artificialisation des sols, les communes de dotent d'un
outil d'observation de l'occupation des sols. De cette
photo-interprétation plus fine découlent les documents
d'urbanisme qui ambitionnent de limiter l'étalement urbain.
L'objectivité de ces outils et de ces documents peut être remise
en question, car ils doivent répondre à une ambition de
territoire formulée par les acteurs de la métropole.
2.1. SCOT, PLU et géocatalogue témoins de
l'artificialisation
a. Les conséquences de la CLC
La carte Corine Land Cover, conçue à
l'échelle européenne, se diffuse progressivement, et «
donne des petits »61, qui visent à atteindre le
degré de précision qui n'est pas assuré par cette
dernière. La métropole lilloise se dote d'outils qui reprennent
la nomenclature initiale en l'adaptant et en l'améliorant. Elle dispose
de son propre géocatalogue qui est en voie de développer une
carte très précise d'interprétation de photos
aérienne pour l'arrondissement de la MEL (Métropole
Européenne de Lille), avec un « détail plus fin que
celui de la CLC »62. Ce nouvel outil, « OCSOL »,
est une « méthode affinée par rapport aux modèles
nationaux ».63
L'OCSOL régional est établi en 2009, et celui de
la métropole est en cours d'élaboration. Concernant la
métropole lilloise, l'objectif est de faire de l'année 2015 la
première phase de l'observation pour obtenir en 2020 l'évolution
de l'occupation des sols. Ce n'est pas la première fois que l'occupation
des sols est scrutée directement par la métropole. Il existe sur
le site de l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille «
une publication
61 Entretien avec Guillaume Schmitt, géographe,
le 2 avril 2015 à Lille
62 Entretien avec Benoît Masson, membre du
géocatalogue de Lille, le 25 février 2015 à Lille
63 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT
à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20
février 2015 à Lille
29
qui présente l'analyse et le traitement des
données d'occupation du sol de 1971 à 2008 ». 64 Ce
souci d'adaptation à une plus petite échelle répond
également à l'impératif de la comparaison entre les
communes, afin de se montrer la plus vertueuse. Elles usent toutes de la
même nomenclature, reprenant les 5 catégories principales de la
Corine Land Cover, pour illustrer leur périurbanisation, et leur souhait
de la limiter.
b. Le diagnostic du Schéma Directeur de 2002
Le Syndicat mixte du Schéma Directeur de Lille
métropole, présidé à l'époque par Pierre
Mauroy, présente un schéma directeur approuvé en 2002,
illustrant « (le) projet pour la métropole de l'an 2015
»65. Ce schéma directeur s'articule autour de la
notion de renouvellement urbain, en prenant en compte le tissu industriel
historique, et notamment les friches. « Les élus et les
techniciens portent l'idée de reconquérir la ville sur
elle-même pour des questions écologiques mais aussi sociales
»66 dans un contexte de montée des exigences
environnementales. Il s'agit de refonder le schéma social et repensant
la ville.
En développant l'idée selon laquelle la ville se
refait sur elle-même, illustrée par l'obligation de construire les
2/3 des logements dans la ville, et seulement 1/3 en extension, l'objectif est
de limiter l'artificialisation. Pour Emma Raudin, l'artificialisation est en
effet un concept central de tout document d'urbanisme, et « n'est pas
artificialisation terres agricoles et espaces naturels. Mais les espaces verts
urbains et périurbains sont des surfaces artificialisées
»67. Le diagnostic du Schéma Directeur
évoque également les espaces naturels et les espaces verts
urbains. « Les espaces naturels peuvent être définis
comme des espaces où la nature se développe librement depuis
plusieurs années sans que l'homme n'intervienne vraiment ou de
façon limitée. On ajoute généralement aux zones
ainsi définies les espaces qui présentent soit un niveau
satisfaisant de diversité biologique, au regard du potentiel qu'offre le
milieu, soit un potentiel très fort de développement de la
biodiversité (cas des zones humides par exemple)
»68. Cette définition recoupe donc une ensemble de
situations variées,
64 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable
Structure territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme
de Lille, le 19 mars 2015 à Lille
65 Schéma Directeur de Développement
et d'Urbanisme de Lille Métropole, élaboré par le Syndicat
mixte du Schéma Directeur de Lille Métropole et approuvé
le 6 décembre 2002
66 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT
à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20
février 2015 à Lille
67 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT
à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20
février 2015 à Lille
68 Schéma Directeur de Développement
et d'Urbanisme de Lille Métropole, élaboré par le Syndicat
mixte du Schéma Directeur de Lille Métropole et approuvé
le 6 décembre 2002
30
parce qu'elle englobe à la fois les espaces faiblement
anthropisés, mais également les espaces dont les
potentialités de biodiversité sont fortes. Pourtant, «
ainsi défini, l'espace naturel occupe une très faible
superficie dans l'arrondissement de Lille »69. De plus,
concernant les espaces verts urbains, le Schéma directeur annonce qu'ils
« apparaissent très dispersés, et surtout pas ou mal
reliés entre eux »70.
Le Schéma directeur de 2002 donc un document qui
regroupe les enjeux de l'artificialisation, de la rareté des espaces
verts urbains, et de la fragmentation de l'espace naturel. Il annonce
l'objectif de développement d'une Trame verte et bleue
métropolitaine après avoir souligné la carence en espace
vert.
c. Le projet du SCOT
L'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille porte
aujourd'hui le projet de renouvellement du SCOT qui date de 2008, afin
d'obtenir une nouvelle version qui serait adoptée fin 2015 et applicable
dès 2016. Les membres de l'Agence soulignent les évolutions par
rapport au Schéma Directeur de 2002. En effet, la «
métropole lilloise est très agricole, 50% du territoire est
occupé par des terres agricoles »71 et «
l'évolution s'accélère dans la manière de
prendre en compte le foncier agricole. On le pensait avant comme un
réservoir des terres urbaines ».72 Il existe
désormais un partenariat avec la Chambre d'Agriculture, initiée
par le géocatalogue de Lille qui engage le dialogue avec plus de 600
exploitations sur les 640 du territoire de la métropole. Cela permet des
« échanges dans le cadre de l'élaboration du PLU, pour
trouver les endroits les plus opportuns pour l'urbanisation
»73.
L'objet du SCOT est d'organiser au mieux la question des
extensions, qui « coûtent en termes d'investissement et
d'environnement »74, et de révéler le
potentiel de certains territoires, ceux qui sont les mieux desservis
étant ceux qui ont la capacité à être
urbanisés la plus forte. Il y a un mécanisme spontané
allant vers l'extension, et l'un des grands enjeux du SCOT est « la
répartition et le phasage, c'est-à-dire ce qu'on ouvre à
l'urbanisation »75. Toutefois, « il y a une
balance à trouver entre ce qu'on ferme et ce qu'on ouvre, il ne faut
pas
69 Ibid.
70 Ibid.
71 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT
à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20
février 2015 à Lille
72 Ibid.
73 Entretien avec Benoît Masson, membre du
géocatalogue de Lille, le 25 février 2015 à Lille
74 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT
à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20
février 2015 à Lille
75 Ibid.
31
trop fermer non plus »76. Il s'agit
donc de la capacité du document d'urbanisme à «
évaluer un potentiel et à maîtriser la consommation
foncière »77.
Pour Emma Raudin, « le Schéma directeur de
2002 était outrancier dans le schéma de consommation foncier,
avec 2 500 hectares ouverts à l'urbanisation. C'est une enveloppe
très très large »78. Aujourd'hui,
Marc-Philippe Daubresse, premier vice-président de Lille
Métropole Communauté urbaine (LMCU), chargé de
l'aménagement urbain président de l'Agence de
Développement et d'Urbanisme, présente un projet d'extension de 2
000 hectares à négocier pour l'horizon 2030. D'après Emma
Raudin, « on a franchi un cap dans la manière de penser la
question foncière. Avant, il fallait prouver qu'un espace était
remarquable. Aujourd'hui, il faut montrer qu'on ne peut pas faire autrement que
grignoter. (...) L'arsenal législatif s'est renforcé, on a
changé d'angle d'attaque : il y a des exigences normatives
»79.
La priorité reste la même, celle du
renouvellement urbain, le « remplissage de petites poches sans
renoncer à l'urbanisation »80. Toutefois, l'ADU
doit procéder au cas par cas, certains élus veulent garder ces
« poches » de verdure, comme l'illustre le cas de
Marquette-les-Lille, village organisé autour d'un champ, et dont le
maire ne veut pas changer la physionomie. De même, certains espaces
symboliques restent sujets à des incertitudes, « le site des
Moulins, entre Villeneuve d'Ascq et Lille, faut-il l'urbaniser ou
l'intégrer dans la trame verte ? »81.
Les documents d'urbanisme s'attachent donc à limiter
l'artificialisation du territoire et à densifier la ville sur
elle-même. Le Schéma Directeur de 2002, tout comme le prochain
Schéma de Cohérence Territoriale, développe l'idée
d'un renouvellement de la ville sur elle-même pour limiter la
consommation foncière. On peut souligner une évolution dans la
prise en compte des territoires agricoles, qui ne sont plus désormais
simplement perçus comme une réserve foncière. Si l'Agence
de Développement et d'Urbanisme souhaite limiter l'artificialisation, il
faut qu'en retour elle ouvre des territoires à l'urbanisation.
76 Ibid.
77 Ibid.
78 Ibid.
79 Ibid.
80 Ibid.
81 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable
Structure territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme
de Lille, le 19 mars 2015 à Lille
32
2.2.La remise en question de l'objectivité des
documents d'urbanisme
a. La pertinence du PLU remise en question
Le SCOT, qui détermine le PLU, est un outil
indispensable et surtout obligatoire afin d'analyser l'état
d'artificialisation des sols, et de déterminer ce qui pourra être
artificialisé ou non dans le souci de redensifier la ville. Benoît
Masson, du géocatalogue de Lille, nuance pourtant la pertinence du SCOT,
et notamment la réalité du zonage introduit par le PLU : «
Il y a une confusion dans les documents d'urbanisme au sens où il
n'y a pas de distinction entre l'espace artificialisé réel et
l'artificialisé réglementaire.»82
En effet, en regardant de plus près les zones
appelées « à urbaniser » (AU) sur le territoire de la
métropole lilloise, « beaucoup sont non-urbanisées,
elles n'ont pas basculé dans l'AUc83
»84. Benoît Masson illustre son propos à partir de
dernières photos aériennes, comparées au zonage du PLU :
« il y a des zones au jaune, ce sont les AU, certaines ne sont pas
construites, c'est-à-dire qu'il y a encore des champs dans la ville
»85. Un champ, perdu entre des zones bâties à
Fives, confirmes ses critiques. Il conclue : « on n'a pas tellement
pris sur l'espace naturel »86.
Ainsi, si le diagnostic du Schéma de Directeur de 2002
et les préoccupations actuelles de l'ADU concernant le futur SCOT
s'inquiètent de l'artificialisation en mettant en avant le remplissage
du périurbain, il semble que ces documents réglementaires ne
prennent pas pleinement en compte la réalité des territoires. On
peut s'interroger dès lors, dans une certaine mesure, sur la pertinence
de leur diagnostic, et de leurs recommandations.
b. Le SCOT, un outil qui doit plaire aux politiques
Les documents d'urbanisme sont le reflet de la volonté
politique, la « volonté politique très forte du
renouvellement urbain, de la ville intense »87. Il s'agit
pour le SCOT, dans sa manière d'aborder l'artificialisation, de «
décliner un projet politique autour d'une vision
82 Entretien avec Benoît Masson, membre du
géocatalogue de Lille, le 25 février 2015 à Lille
83 Les zones AUc sont des zones destinées
à permettre l'extension de l'urbanisation, principalement l'habitat,
sous forme d'ensemble exclusivement.
84 Entretien avec Benoît Masson, membre du
géocatalogue de Lille, le 25 février 2015 à Lille
85 Ibid.
86 Ibid.
87 Entretien avec Benoît Masson, membre du
géocatalogue de Lille, le 25 février 2015 à Lille
33
d'avenir »88. La question centrale
pour l'ADU est la suivante : « comment utiliser le sol, de quelle
manière peut-on faire de l'espace le levier d'une politique sur le
territoire ? »89. L'artificialisation est donc un enjeu
politique majeur, qui fait intervenir le registre de la
légitimité. Il s'agit de mesurer, au regard des recommandations
initiales, la réalisation des objectifs. « La mesure de
l'objectif de la consommation foncière est très regardé,
on doit se montrer vertueux »90.
Le SCOT est donc un document qui doit plaire au politique, qui
doit montrer son efficience en termes de limite de l'urbanisation. Mais le SCOT
est surtout un « document de consensus politique, et il est
limité en termes d'action »91. Il s'agit de
développer la ville sur elle-même, certes, mais en prenant en
compte les ambitions de développement des politiques. De plus, le «
SCOT n'est pas un document de gestion, et il est limité sur le volet
de la biodiversité »92.
Apparaît donc la question du temps politique. L'Agence
de Développement et d'Urbanisme réfléchit au
renouvellement du SCOT depuis 2008, et il est urgent d'adopter de nouvelles
réglementations afin de freiner le grignotage des espaces naturels. Mais
le SCOT est soumis à « l'aléa politique, le temps est
arrêté »93. Le projet du SCOT doit être
arrêté en 2015, et « doit passer en revue l'obligation de
concertation pour le rendre opérant à la fin 2016
»94. L'ADU doit réaliser différentes cartes
en vue de cette concertation pour en débattre avec les élus lors
de la concertation. Le temps politique met en mal l'application d'une
véritable réglementation, il faut « reporter la
démarche, presque jusqu'à la dernière pièce,
attendre la dernière gouvernance pour répondre au nouveau visage
politique »95. Ivanova Rodastina le déplore :
« ADU, c'est un technicien, il est dépassé car l'enjeu
politique est à prendre en compte.»96
88 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT
à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20
février 2015 à Lille
89 Ibid.
90 Ibid.
91 Ibid.
92 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable
Structure territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme
de Lille, le 19 mars 2015 à Lille
93 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT
à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20
février 2015 à Lille
94 Ibid.
95 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable
Structure territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme
de Lille, le 19 mars 2015 à Lille
96 Ibid.
34
c. Les chiffres au service du politique
Les cartes déterminent le sens de la notion
d'artificialisation, et les chiffres illustrent son évolution. Les
chiffres semblent être objectifs, et ils sont pourtant, au même
titre que les documents d'urbanisme, soumis au souhait du politique.
Benoît Masson le souligne : « il y a une difficulté
politique, celle de sortir des chiffres compréhensibles, des chiffres
à annoncer pour le politique »97. Les chiffres
deviennent des outils au service du discours politique, et, effet pervers de
l'utilisation des données chiffrées sur l'artificialisation,
« une fois annoncés, les chiffres sont fixés par le
discours des politiques. Ce chiffre, ça fait cinq ans qu'on en parle
mais il est faux. [...] La base de données produit des chiffres
critiquables. »98
Guillaume Schmitt étend la réflexion au concept
de l'artificialisation : « c'est une expression très
utilisée dans le débat politique ou dans les négociations
entre les acteurs. Le chiffre est un pouvoir, on arrive avec ses statistiques
pour prendre telle ou telle mesure »99. Les enjeux
politiques derrière cette notion sont majeurs, « le mot on peut
l'utiliser à «toutes les sauces» »100.
Pour la Chambre d'Agriculture du Nord-Pas de Calais, le projet de plan
forestier régional, qui visait à planter de manière
organisée des arbres, contribue à l'artificialisation des zones
agricoles et des prairies, tandis que pour le syndicat mixte Espace Naturel
Lille Métropole, la question ne doit pas se poser, assurant le
bien-fondé des politiques de renaturation. Pour Guillaume Schmitt, cette
opposition est révélatrice, cette notion « peut
être employé à contre-courant de sa définition
initiale, compte tenu du fait qu'elle n'est même pas stabilisée
initialement ».101
L'artificialisation est donc « un mot valise dans
lequel on met ce qu'on veut, même si l'on dit que l'artificialisation,
c'est l'urbanisation »102. Elle reste pourtant une
thématique de plus en plus importante au regard de l'étalement
urbain et de ses conséquences. Mais elle recouvre des
réalités fort différentes, pouvant qualifier des
opérations de « renaturation ». Laure Cormier use du terme d'
« espace ouvert »103, qualifiant tous les espaces
qui ne seraient pas bâtis, afin de contourner la difficulté que
pose la définition de « territoires artificialisés
».
97 Entretien avec Benoît Masson, membre du
géocatalogue de Lille, le 25 février 2015 à Lille
98 Ibid.
99 Entretien avec Guillaume Schmitt, géographe,
le 2 avril 2015 à Lille
100 Ibid.
101 Entretien avec Guillaume Schmitt, géographe, le 2
avril 2015 à Lille
102 Ibid.
103 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
35
Le concept d'artificialisation pose donc des problèmes
car il s'agit pour certains de formes d'anthropisation, entendant par-là
la restauration des écosystèmes tandis qu'il doit être pour
d'autres la légitimation de ces politiques de protection de la
biodiversité. Il s'agit bien-là d'un mot valise, né de
cartographie dont les insuffisances remettent en question la pertinence du
terme. Il est employé par les acteurs pour défendre leur usage du
sol, et de là émergent des conflits entre les acteurs du
territoire dans une métropole où la pression sur le foncier est
de plus en plus forte.
3. Le concept de l'artificialisation usité par les
acteurs du territoire
L'artificialisation nait des cartes, et ne permet pas de
rendre compte de la complexité du territoire, qui rencontre une
dimension matérielle, et une dimension également
matérielle qui correspond aux aspirations des acteurs projetées
sur ce territoire. Les limites de concept conduisent à sa
réappropriation par les acteurs, et mettent en exergue la dissociation
entre les dimensions matérielle et immatérielle de l'espace,
conduisant à des incompréhensions.
3.1.Le territoire, investi d'une mission et porteur de
sens
a. L'aspect immatériel du territoire : le paysage
La Convention européenne du paysage, adoptée en
2000, définit le paysage comme « une portion de territoire
telle que perçue par les populations, dont le caractère
résulte de l'action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs
interrelations »104. La question du paysage ne se retreint
donc pas à la question des qualités esthétiques d'un lieu
: elle suppose la prise en compte simultanée de la façon dont les
groupes sociaux attribuent certaines qualités à un lieu.
Marie-Anne Germaine, dans sa thèse intitulée
« De la caractérisation à la gestion des paysages
ordinaires des vallées du Nord-Ouest de la France
»105, s'intéresse aux fonctions attribuées
au paysage. A partir de la caractérisation des formes visibles du
paysage grâce à une approche morphologique et une approche des
couvertures du sol, elle dégage 11 types de paysages
représentatifs. La reconstitution des systèmes de production
permet de comprendre le rôle des différentes fonctions - agricole,
industrielle, résidentielle - des paysages. Elle
104 Convention européenne du Paysage, Florence, 20.X.2000
du Conseil de l'Europe
http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/Html/176.htm
105 Marie-Anne Germaine, thèse intitulée «
De la caractérisation à la gestion des paysages ordinaires des
vallées du Nord-Ouest de la France », Géographie,
Université de Caen, 2009
36
analyse également le discours des acteurs locaux pour
rendre compte de la complexité des représentations du paysage.
Son travail présente la confrontation entre la dimension
matérielle, c'est-à-dire les modes de production, et les
représentations du paysage, déterminées par les attentes
des usagers du territoire, les habitants, et les producteurs du paysage.
L'attente sociale à propos du paysage est souvent
l'attente d'un verdissement, notamment dans le cas de la métropole
lilloise. D'après Anne Sgard, la notion de paysage acquiert une
importance croissance dans nos sociétés depuis l'émergence
de la question environnementale dans les années 1970. Le paysage
reflète les rapports sociaux à l'environnement, il permet
d'appréhender « des registres de valeurs et de besoins
(esthétique, éthique, économique, écologique), la
réalité matérielle et les représentations sociales
de cette réalité »106. Ainsi, « la
définition des politiques de gestion ou de développement des
espaces ruraux suppose aujourd'hui la compréhension de ces liens
»107.
Dès lors, si la dimension immatérielle du
territoire voudrait le développement des espaces verts, notamment
à travers la réhabilitation des friches industrielles, le paysage
ne peut ignorer la matérialité du territoire, et doit prendre en
compte les fonctions attribuées au sol. Les aspirations et les besoins,
notamment agricoles, peuvent entrer en confrontation, et c'est le concept
d'artificialisation qui est ici remis en cause car il ne permet pas de saisir
la complexité de cette opposition, ne rendant compte que du grignotage
des espaces ruraux par les espaces verts urbains.
b. La fonction socio-économique du territoire
L'immatérialité des représentations ne
doit pas oublier la matérialité du territoire. Le sol a une
fonction, qui se matérialise dans le paysage. Guillaume Schmitt revient
sur l'utilisation du sol dans la région Nord-Pas de Calais, afin de
prouver que celle-ci « induit une utilité de l'espace
quantifiable en superficie et des actions humaines à des
temporalités plurielles visant à l'organiser et à le
planifier ».108
Il est bien ici question de l'utilité du sol,
l'utilisation est définie comme « la fonction
socio-économique des surfaces ou des activités humaines
(territoire agricole, zones urbaines,
106 Anne Sgard, thèse intitulée « Le partage
du paysage », Géographie, Université de Grenoble, 2011
107 Ibid.
108 Guillaume Schmitt, « Inégalités
écologiques et utilisation du sol : situation de la région
Nord-Pas de Calais », Développement durable &
territoires, Dossier 9, 2007
37
forêt) »109. Ainsi, si le
paysage est le reflet des attentes des citoyens, il ne faut pas oublier la
fonction attribuée du sol, et les singularités du territoire qui
en découlent. En effet, l'utilisation du sol génère la
particularité du territoire. Toutefois, cet usage peut évoluer.
Dans le cas du Nord-Pas de Calais, la requalification des quelques 10 000
hectares de friches industrielles s'accompagnant notamment d'un «
verdissement » réinterroge de la singularité de
l'utilisation du sol des communes de l'ancien bassin minier. Les fonctions
socio-économiques du territoire étaient celles de
l'activité industrielle, mais cette fonction n'est pas figée.
« Ainsi, les friches industrielles, auxquelles il est parfois
difficile d'attribuer d'autres fonctions, ont pu servir de manière un
peu paradoxale, de supports spatiaux à la renaturation de territoires
fortement marqués par les modes de développement passé
»110. Il s'agit de l'attribution de « fonctions
plus ou moins pérennes »111.
Le territoire rencontre deux dimensions, matérielles et
immatérielles, l'immatérialité du paysage, et la
matérialité de l'usage socio-économique du sol. Les
aspirations citoyennes invitent à aller dans le sens d'un «
verdissement ». Mais ce « verdissement » peut poser
problème, car les attentes sociales et économiques peuvent
être opposées concernant l'utilisation du foncier. Ainsi,
l'agriculture, qui est, d'après la définition théorique de
l'artificialisation, la première victime de l'étalement urbain,
redoute cette association entre dimension immatérielle et
matérielle qui mettrait à mal la pérennité de
l'agriculture périurbaine en lui préférant le
développement des espaces de nature.
3.2.La Chambre d'Agriculture et l'agriculture
périurbaine
a. L'agriculture victime de l'artificialisation des
sols
L'artificialisation des territoires conduit à la
réduction des surfaces agricoles et naturelles pour satisfaire les
besoins de l'urbanisation. L'agriculture est tout particulièrement
touchée par l'étalement urbain, elle apparaît comme la
première victime de l'artificialisation des sols. D'après Nicolas
Rouget, « l'éclatement de la ville permet
l'interpénétration de l'urbain et de
109 Ibid.
110 Ibid.
111 Ibid.
38
l'espaces agricole à tel point que 75% de
l'agriculture française est localisée aujourd'hui dans les aires
urbaines définies par l'INSEE »112.
La consommation des surfaces agricoles dans le Nord-Pas de
Calais est spécialement importante. D'après Jean-Marc Valet,
Directeur Général du Conservatoire Botanique National de
Bailleul, « La probabilité de voir des territoires agricoles
s'urbaniser est à minima 7 fois plus importante que pour les milieux
naturels. Lorsqu'un projet émerge dans des secteurs périurbains,
ce sont surtout les territoires agricoles qui sont concernés. Il est
donc statistiquement « compréhensible » que nous ayons
beaucoup plus de territoires agricoles détruits que de milieux naturels
»113. Il est donc indispensable au regard de ce constat de
freiner le rythme de l'artificialisation car celle-ci menace la
pérennité de l'agriculture sur le territoire régional, et
tout particulièrement, dans l'arrondissement de Lille où la
pression foncière est beaucoup plus forte que dans le reste de la
région.
La métropole lilloise est une un territoire fortement
agricole, l'agriculture occupe 50% du territoire de l'arrondissement. Il
semblerait que cette agriculture en sein de la métropole soit la
première menacée par l'artificialisation des sols. Pour Monique
Poulot, il est légitime de se poser la question de la disparition de la
catégorie du rural absorbée par celle de l'urbain, et «
La reconnaissance par l'INSEE en 1996 du périurbain comme
catégorie statistique spatiale semble donner en partie raison à
ce courant de pensée et signifier une « fin de partie » pour
la géographie rurale : la nouvelle nomenclature en zonages en aires
urbaines adjuge à la ville, dans le cadre d'un espace à dominante
urbaine, les couronnes périurbaines et les communes
multipolarisées de moins de 2 000 habitants agglomérés et
retranche le périurbain de l'espace à dominante rurale
»114. L'agriculture en territoire périurbain
apparaît donc comme la cible première de l'étalement
urbain, et, afin de permettre la continuation de son existence dans le
territoire, il est nécessaire de lutter contre l'artificialisation des
territoires. Toutefois, l'agriculture n'est pas seulement victime, et peut
également profiter de cette imbrication entre urbain et rural.
112 Nicolas Rouget, compte-rendu du Café géo de
Montpellier le 13 janvier 2015 intitulé « La ville et son
agriculture : retour vers le futur ».
113 Jean-Marc Valet, Directeur Général de
Conservatoire Botanique National de Bailleul lors de la Journée annuelle
de l'Observatoire, « Un point complet sur l'état de santé de
la nature en Nord-Pas de Calais », le vendredi 20 mai 2011
http://www.observatoire-biodiversite-npdc.fr/fichiers/documents/restitutions/restitution-journee-observatoire-2011.pdf
114 Monique Poulot, « Les territoires périurbains
: « fin de partie » pour la géographie rurale ou nouvelles
perspectives ? », Géocarrefour, vol. 83/4, 2008
39
b. Nouvelles perspectives pour l'agriculture
périurbaine
La reconfiguration du couple traditionnel villes-campagnes de
la géographie conduit à appréhender autrement l'espace
rural en périurbain. Les espaces agricoles qui étaient de «
simples réceptacles de l'urbanisation dans les années 1970
»115 deviennent « des éléments
essentiels du cadre de vie des habitants de la ville élargie
»116. Bernard Prost qualifie le rôle de l'espace
rural « secondaire mais non inutile dans le territoire
périurbain »117.
L'urbanisation conduit en effet à un grignotage des
surfaces agricoles, mais permet également de développer un
nouveau rapport entre ville et campagne. Pour Serge Bonnefoy, « la
périurbanisation ouvre le champ à l'agriculture
périurbaine, pour une nouvelle relation entre les agriculteurs et les
habitants »118. Ce lien entre ville et campagne
évolue avec la promulgation d'une nouvelle loi d'orientation agricole,
en 1999, qui reconnaît la multifonctionnalité de l'exploitation
agricole qui n'a pas pour seul but de produire des biens alimentaire.
L'exploitation agricole produit notamment des paysages. Avec la loi SRU (loi
relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain, 2000), les
métropoles sont obligées de définir des projets de
territoire, c'est-à-dire le SCOT, incluant des espaces à vocation
agricole qui prennent alors part à l'ambition porté par le
territoire.
L'enjeu, d'après Nicolas Rouget, de ce nouveau
paradigme ville-campagne, est la convergence des intérêts de la
sphère agricole et de la ville. L'agriculture, menacée par
l'urbanisation, ne peut défendre sa présence sur des territoires
à dominante urbaine qu'en offrant des services aux citadins. Toutefois,
la fonction socio-économique de l'agriculture n'est pas uniquement celle
de l'offre paysagère, et la mission initiale de l'agriculture est
d'ordre économique. L'agriculture, pour assurer son existence sur des
territoires de plus en plus artificialisés, doit être «
considérée comme activité économique à
part entière de la cité ».119
Il ne faut cependant pas oublier la demande nouvelle en «
nature » de la part des citadins, non pas sauvage, mais «
maîtrisée »120. Il s'agit donc, pour
l'agriculture, de réassocier la
115 Ibid.
116 Ibid.
117 Bernard Prost, « Quel périurbain aujourd'hui ?
», Géocarrefour, 76, n°4, p. 283-288, 2001
118 Serge Bonnefoy, « Concilier urbanisation, gestion des
espaces naturels et des activités agricoles : des progrès mais...
», POUR, n° 199, 2008
119 Nicolas Rouget, compte-rendu du Café géo de
Montpellier le 13 janvier 2015 intitulé « La ville et son
agriculture : retour vers le futur »
120 Ibid.
40
dimension matérielle et immatérielle du
territoire, en devenant à la fois une activité économique,
mais également un paysage qui plaise aux habitants.
3.3.La convergence des enjeux économiques et des
aspirations pour le paysage
a. Produire de la « campagne »
D'après le paysagiste Pierre Donadieu, « la
campagne se décline autour d'archétypes paysagers
esthétiques et bucoliques »121. L'agriculture
périurbaine, pour résister aux assauts de l'étalement
urbain, doit être « reconnue comme activité
économique, composante de l'armature spatiale et paysagère du
territoire. »122
Cette idée de produire du paysage a été
reprise par Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel Lille Métropole,
en 2002, au moment des négociations avec la Chambre d'Agriculture pour
établir un partenariat. Afin de sécuriser le foncier agricole
dans une métropole qui s'urbanisait à un rythme très
soutenu, Pierre Dhenin avait pour ambition de « produire une campagne
»123, permettant ainsi d'associer les aspirations
citadines pour un paysage plus agréable et les fonctions
économiques de l'agriculture périurbaine. D'après Nicolas
Rouget, le partenariat entre le syndicat mixte ENLM et la Chambre d'Agriculture
visait le développement d'une « vision esthétique, de
loisir, et aussi de protection des écosystèmes
»124. L'agriculture périurbaine avait donc pour
mission de développer une offre paysagère. Nicolas Rouget parle
de « l'attitude constructive de la Chambre d'agriculture (...) qui
contribue à une mise en convergence des représentations du
territoire. » 125 Le partenariat ENLM-profession agricole est
entrepris dans l'idée de promouvoir une campagne, à la fois cadre
paysager et espace de production de l'activité agricole. Il s'agissait
d'ouvrir les espaces agricoles à la promenade, tandis qu'ENLM assurait
la bonne gestion des chemins et encourageait financièrement les
agriculteurs à respecter une « charte paysagère » pour
leurs exploitations.
121 Pierre Donadieu, « Le paysage, un paradigme de
médiation entre l'espace et la société »,
Economie rurale, n°297, janvier-avril 2007, p. 5-9
122 Monique Poulot, « Les territoires périurbains
: « fin de partie » pour la géographie rurale ou nouvelles
perspectives ? », Géocarrefour, vol. 83/4, 2008
123 Entretien avec Nicolas Rouget, géographe, 10
février 2015 à Lille
124 Entretien avec Nicolas Rouget, géographe, 10
février 2015 à Lille
125 Nicolas Rouget, compte-rendu du Café géo de
Montpellier le 13 janvier 2015 intitulé « La ville et son
agriculture : retour vers le futur »
41
b. Une agriculture qui répond aux attentes des
citadins
Si l'agriculture veut survivre à l'artificialisation
des espaces, elle doit assurer des fonctions socio-économiques
précises. Monique Six, ancienne présidente de la Chambre
d'Agriculture, souligne que « l'agriculture devait se mettre en
conformité avec les attentes sociales citadines, être attentive
aux externalités, c'est-à-dire au paysager
»126. Un enjeu majeur était également celui
de l'environnement, il fallait produire propre et surtout pour le marché
local, pour répondre à l'émergence au souhait de certains
citadins de développer une habitude de « locavore ».
D'après Nicolas Rouget, le dialogue qui avait
été rendu possible grâce à Pierre Dhenin, directeur
d'Espace Naturel Lille Métropole, « est peut-être en
train de se rompre car les représentations sont exclusivement urbaines,
l'agriculture périurbaine est forcément bio
»127. L'agriculture doit répondre aux demandes des
citadins, et ces attentes sont extrêmement précises concernant
l'offre alimentaire. « L'agriculture périurbaine serait
forcément une culture alternative »128. Pour le
géographe, il s'agit d'une réflexion conditionnée par
une « forme d'idéologie (...), certaines lectures des
problématiques agricoles ne sont pas forcément en
adéquation avec la réalité »129.
Ainsi, dans le cas de la métropole lilloise, si l'agriculture veut
survivre, elle doit s'assurer qu'elle plaît au citadin, d'un point de vue
esthétique, et d'un point de vue alimentaire. Or, les
représentations citadines de ce que serait l'agriculture apparaissent
parfois comme idéalistes. Pour Roland Vidal et André Fleury,
« l'agriculture est tiraillée entre une réalité
économique qui l'accuse d'être productiviste, et une image
champêtre et protectrice de la nature qu'on aimerait la voir porter mais
qu'elle a du mal à assumer »130. Pour eux,
l'agriculture doit devenir une offre « agriculturelle
»131 pour survivre à l'étalement urbain.
Il apparaît donc que l'agriculture périurbaine
est la première menacée par le mouvement de l'artificialisation.
L'enjeu, si elle veut ne pas être grignotée jusqu'à sa
perte par l'urbanisation, est qu'elle devienne un paysage à part
entière, accessible pour le citadin. Le partenariat entre la Chambre
d'Agriculture et le syndicat mixte Espace Naturel Lille
126 Entretien avec Nicolas Rouget, géographe, 10
février 2015 à Lille
127 Ibid.
128 Ibid.
129 Ibid.
130 Roland Vidal et André Fleury, « La place de
l'agriculture dans la métropole verte ; Nostalgies, utopies et
réalités dans l'aménagement des territoires aux franges
urbains », Projets de paysage, n°1, 09/02/2009
131 Ibid.
Métropole permet de produire de la « campagne
» et de répondre ainsi aux représentations des habitants,
faisant de l'espace rural un paysage ouvert. Elle devient donc peu à peu
un espace naturel périurbain, ouvert à la promenade, tout en
devant répondre à sa mission première de production
agricole. Ainsi, alors que l'artificialisation oppose de manière binaire
les espaces agricoles et les espaces verts urbains, en faisant du premier la
première victime de l'artificialisation et du second une facette
même de l'artificialisation, elle rencontre des limites quand les acteurs
font converger leurs intérêts. En cherchant à limiter cette
même artificialisation, les acteurs du territoire doivent rendre conforme
l'espace rural aux attentes citadines, et, de ce fait, l'artificialisent, si on
comprend le phénomène comme une diffusion du modèle de
compréhension citadin.
De plus, le territoire, s'il rencontre les dimensions
matérielle et immatérielle en conciliant offre paysagère
et offre alimentaire, il est également le reflet de la «
dimension organisationnelle »132, « le
territoire est défini comme une entité dotée d'une
organisation des acteurs sociaux et institutionnels
»133.
Les dimensions du territoire se confrontent et se confortent,
l'identité de l'espace est la traduction des fonctions
économiques attribuées au sol, des représentations
imaginaires du paysage, et le résultat du jeu entre les acteurs du
territoire. Ceux-ci réinventent le territoire à travers des
partenariats comme l'illustre l'accord entre la Chambre d'Agriculture et Espace
Naturel Lille Métropole, et à travers la politique
d'aménagement au nom de la biodiversité qu'est le concept de
Trame verte et bleue.
42
132 Richard Laganier, Bruno Villalba et Bertrand Zuindeau, «
Le développement durable face au territoire :
éléments pour une recherche pluridisciplinaire
», Développement durable & territoires, Dossier 1,
2002
133 Ibid.
43
CHAPITRE II : L'artificialisation des territoires et la
Trame verte et
bleue
L'artificialisation des territoires apparaît comme un
enjeu majeur dans les discours des acteurs du territoire. Son
ambiguïté sémantique conduit à l'apparition d'un
dialogue entre des organismes qui, pour le premier, était victime de
l'artificialisation, et qui, pour le second, y participait. L'artificialisation
justifie également l'émergence d'un concept, celui de la Trame
verte et bleue, qui, en poursuivant l'ambition de limiter les
conséquences de l'étalement urbain sur la biodiversité
locale, remet encore en question la fiabilité de la définition de
l'artificialisation, et qui génèrent des réactions
variées.
1. L'artificialisation et la fragmentation des espaces
naturels
L'artificialisation menace non seulement l'agriculture, elle
impacte profondément l'environnement et met en péril les
équilibres écosystémiques des milieux naturels. Le constat
selon lequel l'artificialisation conduit à la fragmentation des habitats
naturels se développe aux échelles nationale et
régionale.
1.1.Un constat national inquiétant
a. Une artificialisation
généralisée et ses conséquences
Les dynamiques d'artificialisation des sols s'étendent
sur tout le territoire métropolitain. Entre 1992 et 2004, les
superficies artificialisées se sont accrues de plus de 600
km2 par an en France métropolitaine, ce qui correspond
à la superficie d'un département tous les dix ans. Depuis le
début des années 1980, cette progression a même
été quatre fois plus rapide que la croissance
démographique, avec 40% d'augmentation des superficies
artificialisées entre 1982 et 2003. Le rythme d'artificialisation s'est
poursuivi après 2000, et « selon les mêmes tendances que
dans les années 1990, c'est-à-dire principalement aux
dépens des espaces agricoles.»134 . On compte
près de 86 000 hectares gagnés par l'artificialisation chaque
année entre 2006 et 2009.
134 Philippe Chéry, Alexandre Lee, Loïc Commagnac,
Anne-Laure Thomas-Chery, Stéphanie Jalabert and Marie-Françoise
Slak, « Impact de l'artificialisation sur les ressources en sol et les
milieux en France métropolitaine », Cybergeo : European Journal
of Geography, 2014
44
Ce constat est d'autant plus inquiétant, que «
cette artificialisation est, pour l'essentiel, irréversible
»135, « 250 km2 sont
imperméabilisés chaque années, avec des
conséquences majeures sur les sols et la gestion des eaux pluviales
»136. Les ressources en sol diminuent à grande
vitesse et les impacts de l'artificialisation vont bien au-delà de la
destruction des sols. En effet, ce phénomène tend à «
fermer le paysage et met en danger l'identité de l'habitat et le
devenir de l'agriculture »137.
Du point de vue de l'environnement, les conséquences
sont multiples. L'artificialisation conduit à une réduction de la
surface des espaces naturels et donc de la biodiversité. Elle
génère également des effets de coupure des corridors
biologiques et conduit donc à la fragmentation des
écosystèmes, selon les localisations de l'étalement
urbain. S'ensuit une imperméabilisation des sols entraînant un
accroissement des risques d'inondation et une moindre recharge des nappes. De
plus, l'étalement urbain est un facteur de dépendance à
l'automobile : le taux de motorisation est d'autant plus élevé
que l'on s'éloigne du centre-ville. Logiquement, la consommation
d'énergie par habitant augmente lorsque la densité baisse. Il en
va de même pour les émissions de CO2. L'artificialisation, du
point de vue de la biodiversité locale, est particulièrement
néfaste car elle génère la fragmentation des habitats
naturels.
b. La fragmentation des habitats naturels
L'artificialisation du territoire génère la
fragmentation des habitats naturels. D'après le Ministère du
développement durable, « la fragmentation des milieux naturels
peut être défavorables à de nombreuses espèces,
d'une part à cause de la faiblesse des surfaces accessibles et d'autre
part par l'isolement, le cloisonnement des différents espaces naturels
»138. Ainsi, l'artificialisation réduit les
habitats naturels, et provoque également des barrières
infranchissables pour certaines espèces. L'accroissement des surfaces
bâties, que ce soit pour des infrastructures telles que des autoroutes,
ou pour des lotissement, conduit donc à la fragmentation des habitats
naturels, et menacent la biodiversité nationale.
135 Guillaume Sainteny, « L'étalement urbain
», Annales des Mines - Responsabilité et Environnement,
n° 49, 2008, pp. 7-15
136 Ibid.
137 Philippe Chéry, Alexandre Lee, Loïc Commagnac,
Anne-Laure Thomas-Chery, Stéphanie Jalabert and Marie-Françoise
Slak, « Impact de l'artificialisation sur les ressources en sol et les
milieux en France métropolitaine », Cybergeo : European Journal
of Geography, 2014
138 Commissariat général au développement
durable - Service de l'observation et des statistiques, « Conservation
et gestion durable de la biodiversité et des ressources
naturelles », Etudes & documents, n°57, novembre 2011
45
L'étalement urbain est un puissant facteur de
fragmentation paysagère ; l'urbanisation met en place des structures
anthropiques permanentes qui provoquent de profondes modifications du paysage
et des changements d'occupation du sol « généralement
irréversibles »139. L'artificialisation est
également responsable de la minéralisation et de la pollution et
de leurs conséquences sur la biodiversité. Il ne s'agit pas
seulement d'une fragmentation des habitats naturels, mais de pressions plus ou
moins directes exercées sur les écosystèmes.
Philippe Clergeau souligne également l'étalement
et l'uniformisation du modèle urbain, sous-tendu par l'artificialisation
des sols. Peu à peu, les villes se développent, et elles adoptent
la même structure, ce qui est un danger pour la biodiversité
régionale et locale. En effet, l'uniformisation des paysages urbains
conduit à un « processus d'homogénéisation
taxonomique des communautés en milieu urbain »140
et favorise l'introduction d'espèces exotiques qui sont un danger pour
la conservation de la biodiversité locale. « La ville
détruit la nature soit directement par la destruction des habitats
naturels, soit indirectement, par la fragmentation et l'isolement des sites
naturels »141. Quand cette nature est présente,
elle est résiduelle dans quelques espaces qui lui sont
dédiés. Les préoccupations actuelles en termes de
conservation de la biodiversité urbaine, voire de restauration des
milieux, intéressent tous les territoires et se pose aujourd'hui
concrètement en ville.
L'étude de l'artificialisation et de ces
conséquences connaît un fort développement, au travers des
institutions nationales, et de travaux des chercheurs en géographie et
en écologie. Il apparaît donc que le phénomène de
l'étalement urbain, et ces répercussions sur la
biodiversité, est un constat national, et qu'il est urgent de ralentir
de rythme de l'artificialisation, ou du moins de corriger le mieux possible la
dégradation des écosystèmes. Ce constat national se
décompose à l'échelle de la région, qui dresse le
bilan de l'artificialisation des territoires et des conséquences sur la
biodiversité locale.
139 Rahim Aguejdad, thèse intitulée «
Etalement urbain et évaluation de son impact sur la biodiversité,
de la reconstitution des trajectoires à la modélisation
prospective. Application à une agglomération de taille moyenne :
Rennes Métropole », Géographie, Université de
Rennes2009
140 Philippe Clergeau, « Biodiversité urbaine : de
l'inventaire naturaliste au fonctionnement écologique »,
Société Française d'Ecologie, 16 décembre
2010
141 Ibid.
46
1.2.Le poids de la région
a. Le diagnostic pour le Nord-Pas de Calais
La DREAL142, direction régionale de
l'environnement, de l'aménagement et du logement du Nord Pas de Calais
annonce que « les espaces naturels, agricoles et forestiers (sont)
fragilisés »143. De cette occupation des sols qui
menacent tout particulièrement les espaces naturels et agricoles
découlent une biodiversité amoindrie. Jean-Marc Valet, directeur
général du Conservatoire Botanique de Bailleul fait l'état
des lieux des pressions actuelles sur la nature régionale.
L'exploitation les données de l'outil SIGALE144 qui identifie
l'occupation des sols rend compte de l'occupation des sols régionale.
L'agriculture intensive occupe 77% du territoire, les milieux naturels et les
forêts représentent 9% du territoire, et enfin, les espaces
artificialisés, 13,5% du territoire. « Le premier constat est
une perte très importante des territoires agricoles au profit des
territoires artificialisés. C'est le l'ordre de 1021 hectare par an, ce
qui est énorme »145.
La région Nord-Pas de Calais a connu un
développement des espaces artificialisés de 3,11% entre 2005 et
2009. Le SRCE146, Schéma régional de cohérence
écologique, dresse le même constat, et revient sur
l'artificialisation dans chaque milieu : boisé, humide, naturel ouvert,
et cultivé. Ce schéma ajoute que « concernant la
région, la faible superficie des espaces naturels régionaux, la
population importante de la région, et l'engouement récent pour
les activités de nature concourent à augmenter la
fréquentation des sites naturels »147.
142 La DREAL est la création d'un échelon
régional sous l'égide du ministère de développement
durable. Elle a pour mission de piloter les politiques de développement
durable résultant notamment des engagements du Grenelle
Environnement.
143 Direction régionale de l'environnement, de
l'aménagement et du logement du Nord-Pas de Calais, « Prendre en
compte l'environnement dans les documents d'urbanisme », octobre 2012
144 Le SIGALE est le Système d'Information
Géographique et de l'Analyse de L'Environnement de la région
Nord-Pas de Calais
145 Jean-Marc Valet, Directeur Général de
Conservatoire Botanique National de Bailleul lors de la Journée annuelle
de l'Observatoire, « Un point complet sur l'état de santé de
la nature en Nord-Pas de Calais », le vendredi 20 mai 2011.
http://www.observatoire-biodiversite-npdc.fr/fichiers/documents/restitutions/restitution-journee-observatoire-2011.pdf
146 Le SRCE a été mis en place dans le cadre de la
démarche concertée du Grenelle de l'Environnement. Il s'agit
d'une démarche visant à maintenir et à reconstituer un
réseau sur le territoire national pour que les espèces animales
et végétales puissent assurer leur survie.
147 Schéma Régional de Cohérence Ecologique
du Nord-Pas de Calais, Rapport, Juillet 2014
http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport
srce-tvb juillet 2014.pdf
47
Le PCET148, Plan Climat Energie Territorial, est un
projet territorial de développement durable qui a pour finalité
la lutte contre le changement climatique. Institué par le Plan Climat
national et repris par les lois Grenelle, il s'adresse aux élus locaux.
Le PCET de Lille Métropole constate, « lors de la
préparation du PADD du SCOT, (...) il apparaît que la surface
d'artificialisation a été d'environ 330 ha par an, ces 40
dernières années, sur l'arrondissement de Lille. Sur une
période plus courte (1998-2005) conforme au SRCAE, la moyenne
s'établissait à environ 270 ha/an »149.
Comme à l'échelle nationale, l'artificialisation
du Nord-Pas de Calais conduit à une fragmentation des habitats naturels
à l'échelle régionale, menaçant directement les
milieux naturels et la biodiversité locale.
b. Les menaces pesant sur la biodiversité
locale
Le constat général présenté
à l'échelle nationale « mérite d'être
précisé par des approches régionales permettant d'utiliser
des données plus précises (...) en termes d'occupation du sol
»150. Les documents régionaux et le Conservatoire
Botanique de Bailleul s'attachent à décrire plus
précisément l'artificialisation régionale, ainsi que les
effets sur l'environnement qu'elle provoque. Jean-Michel Malé, le chef
du service « Préservation des milieux, prévention des
pollutions » de la DREAL met en avant la fragmentation des habits naturels
: « Jean-Marc Valet (directeur général du Conservatoire
Botanique de Bailleul) nous a présenté tout à l'heure une
carte qui montre que nous en étions à 35 000 îlots. La
cible de tout ce travail est de lutter contre la fragmentation des milieux et
d'aider à préserver, gérer à remettre en
état des milieux nécessaires aux continuités
écologiques »151.
148 Le PCET est institué par le Plan Climat National et
repris par les lois de Grenelle, c'est un projet territorial dont la
finalité est la lutte contre le changement climatique et l'adaptation du
territoire.
149 Plan Climat Energies Territorial de Lille Métropole,
Rapport du 18/10/2013
http://www.lillemetropole.fr/files/live/sites/lmcu/files/images/ACTUALITES/DEVELOPPEMENT%20DURAB
LE/plan%20climat%20energie.pdf
150 Philippe Chéry, Alexandre Lee, Loïc Commagnac,
Anne-Laure Thomas-Chery, Stéphanie Jalabert and Marie-Françoise
Slak, « Impact de l'artificialisation sur les ressources en sol et les
milieux en France métropolitaine », Cybergeo : European Journal
of Geography, 2014
151 Jean-Michel Malé, Chef du service «
Préservation des milieux, prévention des pollutions » de la
DREAL lors de la Journée annuelle de l'Observatoire, « Un point
complet sur l'état de santé de la nature en Nord-Pas de Calais
», le vendredi 20 mai 2011.
http://www.observatoire-biodiversite-npdc.fr/fichiers/documents/restitutions/restitution-journee-observatoire-2011.pdf
48
Le SRCE souligne également la « faible surface
globale des milieux naturels du Nord-Pas de Calais »152 et
ajoute que celle-ci « s'accompagne de leur émiettement en une
multitude de petits espaces naturels disséminés sur le territoire
»153. Le schéma ajoute qu' « une large
majorité des milieux naturels du Nord-Pas de Calais sont en fait des
milieux semi-naturels qui représentent aujourd'hui des milieux de
substitution pour tout la faune et la flore régionale
»154. D'après ce document, une fragmentation
naturelle très lente est favorable à la biodiversité. Mais
ce phénomène, à l'origine plutôt positif, peut
aujourd'hui être considéré comme « l'une des
causes majeurs de l'érosion de la biodiversité
»155.
En effet, la fragmentation des habitats naturels se traduit
par la diminution des surfaces utilisables et limite ainsi le brassage
génétique. De plus, « toutes les espèces ne sont
pas affectées de la même façon par la fragmentation des
espaces naturels (...) et la fragmentation tend à favoriser les
espèces pionnières et ubiquistes au détriment des
espèces les plus spécialisées »156.
Le changement climatique en cours est susceptible d'aggraver encore les
conséquences de la fragmentation des habitats. A cette fragmentation
perceptible s'ajoute une fragmentation invisible : pollution des sols, de
l'eau, nuisances sonores et lumineuses, mais aussi mode de gestion des espaces
naturels. Les conséquences environnementales de l'artificialisation de
concernent pas seulement la perte de biodiversité. Pour Emma Raudin,
membre de l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, il convient
de protéger de l'étalement urbain les champs captants grâce
à des documents réglementaires. Aujourd'hui, les champs captants
de Seclin Ronchin sont menacés par le développement des
infrastructures, « l'autoroute A1 et le développement des ZA
(zone d'activité) »157, posant des problèmes
de ressources en eau.
Les menaces pesant sur la biodiversité locale conduit
au développement de ressources et d'inventaire faisant l'état des
lieux sur cette dernière. Les biologistes occupent une place
prépondérante dans la lutte contre la fragmentation des habitats
naturels et développant l'expertise sur l'état des
écosystèmes.
152 Schéma Régional de Cohérence Ecologique
du Nord-Pas de Calais, Rapport, Juillet 2014
http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_srce-tvb_juillet_2014.pdf
153 Ibid.
154 Ibid.
155 Ibid.
156 Ibid.
157 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT à
l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20 février
2015 à Lille
49
1.3.Le rôle des experts de la biodiversité
a. Une expertise indispensable
La complexité de la mosaïque urbaine et
l'émergence des politiques environnementales oblige l'urbanisme à
prendre en compte l'écologie du paysage. Cette dernière
considère la ville comme « un paysage spatialement
hétérogène composé de multiples tâches qui
interagissent entre elles à l'intérieur de la ville comme
au-delà de ses limites »158. Compte-tenu de
l'hétérogénéité de la matrice urbaine et de
l'isolement des habitats naturels caractéristique de cet espace urbain,
il convient de faire appel aux experts de la biodiversité.
L'importance de l'expertise est réaffirmée par
la Stratégie Nationale pour la Biodiversité qui encourage
notamment « l'amélioration de l'expertise (...) en s'appuyant
sur toutes les connaissances »159 en se fixant pour
objectif de « développer, partager et valoriser les
connaissances »160. « La multiplication des
politiques de conservation de la biodiversité, depuis les années
1990 a, en effet, généré un besoin accru de connaissances
sur le patrimoine naturel et la biodiversité et a donné lieu
à la mise en place d'équipements spécifiques
destinés à encourager la production et la rationalisation de ces
données »161. L'adoption du Système
d'Information sur la Nature et les Paysages en 2007 et l'Observatoire National
de la biodiversité marque la volonté du Ministère de
l'environnement de développer les connaissances concernant la
biodiversité. Yannick Sencébé s'intéresse à
la diffusion du modèle d'expertise environnementale. D'après lui,
« le recours à l'expertise n'est pas nouveau mais sa diffusion
et son appropriation par de multiples acteurs marquent la période
récente »162.
L'importance prise par la science écologique facilite
l'acceptabilité sociale des politiques de la nature, et « ouvre
le champ de l'élaboration du diagnostic des problèmes et des
leurs solutions »163. Ainsi, l'écologie du paysage
s'intègre à l'urbanisme afin de rendre compte de la
réalité multiforme de l'espace urbain et permet de
développer et de diffuser la connaissance
158 Rahim Aguejdad, thèse intitulée «
Etalement urbain et évaluation de son impact sur la biodiversité,
de la reconstitution des trajectoires à la modélisation
prospective. Application à une agglomération de taille moyenne :
Rennes Métropole », Géographie, Université de
Rennes2009
159 Pierre Alphandéry, Agnès Fortier et Anne
Sourdril, « Les données entre normalisation et territoire : la
construction de la trame verte et bleue »,
Développement durable & territoires, Vol. 3, n°2,
juillet 2012
160 Ibid.
161 Ibid.
162 Yannick Sencébé, Florence Pinton et Pierre
Alphandéry, «Le contrôle des terres agricoles en France
Du gouvernement par les pairs à l'action des experts
», Sociologie, n°3, vol. 4, 2013
163 Ibid.
50
afin de permettre sa réappropriation par les acteurs du
territoire. Elle permet également d'identifier les continuités
écologiques et ses possibles ruptures, amenant l'adoption de politique
de restauration visant à limiter l'érosion de la
biodiversité.
b. L'ingénierie de l'environnement et ses
limites
Le développement des données sur
l'artificialisation et ses conséquences permet également de faire
émerger des préconisations à propos de politiques qui
permettraient de freiner l'érosion de la biodiversité. Le
processus d'identification des continuités écologiques de la
Trame verte et bleue donne une place importante à la mobilisation des
connaissances.
Dans le cadre de l'artificialisation des sols,
différentes méthodes privilégiant des approches relevant
de l'écologie du paysage permettent d'identifier les habitats naturels,
et notamment les corridors écologiques. Les Conservatoires botaniques
établissent des inventaires faunistiques et floristiques, et les
organismes devant les préserver mettent en place des méthodes
pour assurer leur suivi. Sont identifiés à travers des cartes
plus précises d'occupation des sols les potentialités des milieux
et les possibles réservoirs de biodiversité. Afin de mesurer les
conséquences de l'artificialisation des sols et notamment
l'érosion de la biodiversité, l'expertise environnementale est
donc indispensable.
Le développement des connaissances permettant la prise
en compte des enjeux environnementaux et la modélisation d'une Trame
verte et bleue qui rétablirait les continuités écologiques
met sur le devant de la scène les experts. Toutefois, ces experts de la
biodiversité ne sont pas forcément entendus ni compris par les
autres acteurs du territoire. L'expertise écologique peut
s'avérer trop complexe, car elle doit rendre compte de la
complexité de la matrice urbaine, mais Alphandéry remarque la
« simplification des fonds cartographiques »164.
De plus, bien que les cartes soient plus précises car s'appliquant
à une échelle de plus en plus grandes, elles ne peuvent
être parfaitement exhaustives, et, d'après certains experts
locaux, « les bases de données
géoréférencées utilisées, par exemple,
laisseraient de côté des éléments locaux voire
micro-locaux essentiels à la détermination et à la
hiérarchisation des continuités écologiques
»165.
164 Pierre Alphandéry, Agnès Fortier et Anne
Sourdril, « Les données entre normalisation et territoire : la
construction de la trame verte et bleue »,
Développement durable & territoires, Vol. 3, n°2,
juillet 2012
165 Ibid.
51
Ainsi, les cartes de déplacements des espèces,
les inventaires faunistiques et floristiques sont indispensables pour mesurer
la fragmentation des habitats naturels et mettre en place des mesures de
correction. Mais le développement de l'expertise locale est sujet
à des insuffisances. « Les cartes produites, essentiellement
alimentées par des données pouvant être
intégrées au SIG, n'ont pas permis une appréhension des
continuités dans toute leur complexité, à l'échelle
locale »166. Des données produites par les experts
de la biodiversité découlent des orientations impulsées
par la région pour, d'une part, limiter l'artificialisation, et pour
mettre en place la Trame verte et bleue afin de limiter les menaces sur les
écosystèmes.
1.4.Les orientations des schémas
régionaux
a. Des objectifs chiffrés pour
l'artificialisation
Le SRCAE167, Schéma régional du
climat, de l'air et de l'énergie, met en place des objectifs
chiffrés concernant l'artificialisation des sols. Il exige une
consommation de moins de 500 ha/an à l'échelle de la
région. Toutefois, « la question de la répartition n'est
pas abordée. Quel territoire a droit à quoi, et selon quels
critères ? »168. Si l'on limite
l'artificialisation, on ne peut le faire totalement, car les besoins fonciers
restent très importants.
En avant-propos, le Schéma Régional annonce
qu'il a pour vocation de fixer un cap vers la sobriété et
l'efficacité dans la consommation d'espaces. Il vise à «
infléchir l'augmentation de l'étalement urbain,
génération de pollution et de GAS, et destructeur de terres
naturelles et agricoles qui captent le carbone »169. De
plus, le changement d'affectation des sols conduit à un
déstockage du carbone contenu dans le sol sur une vingtaine
d'années. La disposition prise par le SRCAE est donc la suivante :
limiter l'artificialisation des sols liée à l'étalement
urbain du fait de la perte de capacité d'absorption et le
déstockage de carbone engendrée. Cette disposition se traduit par
l'orientation n° AT2 qui vise à « freiner
166 Pierre Alphandéry, Agnès Fortier et Anne
Sourdril, « Les données entre normalisation et territoire : la
construction de la trame verte et bleue », Développement
durable & territoires, Vol. 3, n°2, juillet 2012
167 Le SRCAE est l'un des grands schémas régionaux
créés par les lois de Grenelle, il décline aux
échelles régionales une partie du contenu de la
législation européenne sur le climat et l'énergie
168 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT à
l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20 février
2015 à Lille le
169 Schéma régional du climat, de l'air et de
l'énergie adopté en novembre 2012
http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-srcae-bd-nov2012.pdf
52
l'étalement urbain en favorisant
l'aménagement de la ville sur elle-même »170.
L'objectif à l'horizon 2020 est de « limiter à 500ha/an
l'extension de l'artificialisation des sols, et donc diviser par 3 la dynamique
d'artificialisation des sols observé entre 1998 et 2005 au niveau
régional »171.
Le SRCAE est donc un dispositif pour limiter
l'artificialisation, il est « juridiquement faible mais précis
»172 et « influence les élus
»173. L'objectif est de diviser par trois
l'artificialisation. D'après Ivanova Rodastina, de l'Agence de
Développement et d'Urbanisme de Lille, il est légitime que la
métropole « prenne 30% du gâteau
»174 car elle doit répondre à la forte
demande en logement. Le SRCAE est donc le « garde-fou pour les besoins
en logement et pour les besoins économiques. Le SRCAE permet de
recadrer, de limiter entre les besoins et ce qu'on veut faire
»175. A propos de l'arrondissement de Lille, le Plan
Climat Energie Territorial limite l'extension à 175 ha/an «
pour tenir compte que le territoire est très peuplé, et par
souci de proportionnalité »176. La question est
désormais la suivant : « est-ce qu'on s'inscrit dans la
division par 3 au regard de l'outil OCSOL ? »177.
Les documents émis par la DREAL ne se contentent pas de
donner des objectifs chiffrés de l'étalement urbain pour limiter
l'artificialisation des territoires, ils invitent également les communes
à mettre en oeuvre des politiques de protection de la
biodiversité, et cette politique est la Trame verte et bleue.
b. Des préconisations pour la TVB
Le Grenelle de l'Environnement prévoit la mise en place
du SRCE, Schéma Régional de Cohérence Ecologique. «
Chaque région en France en aura un, avec le souci du
législateur que les différents schémas régionaux
s'articulent pour contribuer à une Trame verte et une
170 Schéma régional du climat, de l'air et de
l'énergie adopté en novembre 2012
http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-srcae-bd-nov2012.pdf
171 Ibid.
172 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT à
l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 20 février 2015 à Lille
173 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et
d'Urbanisme de Lille, le 19 mars 2015 à Lille
174 Ibid.
175 Ibid.
176 Ibid.
177 Ibid.
53
Trame bleue à l'échelle nationale
»178. L'objectif est donc de mettre en place un maillage
national pour freiner l'érosion de la biodiversité et «
ce sont l'Etat et la Région qui s'en chargent, en s'appuyant sur un
comité régional qui doit être créé pour
l'occasion, le Comité régional TVB. La cible principale est la
fragmentation. »179
Le SRCE s'intéresse donc au diagnostic régional
concernant les espaces naturels, et aux moyens de freiner l'érosion de
la biodiversité régionale. D'après le SRCE du Nord-Pas de
Calais, « la grande majorité des espaces
végétalisés le sont avec des espèces non
régionales »180 ce qui limite les
potentialités écologiques de ces espaces et « la mise en
place de milieux faisant davantage appel aux espèces indigènes
serait un plus indéniable »181. Toutefois, le
schéma ajoute que « Le Nord-Pas de Calais est une région
pionnière en matière d'intégration de la nature en ville
»182. La nature, dans le SRCE, est également vue
comme un « cadre d'activités touristiques et de loisirs
importants »183, reprenant les orientations du
schéma régional de TVB adopté par la région en 2006
donc l'objectif est d'améliorer et d'augmenter l'offre
d'aménités et de loisirs en cohérence avec les objectifs
de conservation de la biodiversité.
Le SRCAE, quant à lui, cherche à limiter les
pertes de superficies agricoles, notamment via les prairies en «
concourant à la Trame verte et bleue »184. Le
PCET de Lille s'attache également à définir des
orientations pour la Trame verte et bleue métropolitaine. Il identifie
les réservoirs de biodiversité de la TVB métropolitaine
dans un encadré spécifique.
c. L'influence sur le SCOT
D'après l'article L. 121-1 du code de l'urbanisme, issu
de la loi de Grenelle II, « Les schémas de cohérence
territoriale, les plans locaux d'urbanisme et les cartes communales
déterminent les conditions permettant d'assurer, dans le respect des
objectifs du développement durable : (...) l'utilisation économe
des espaces naturels, la préservation des
178 Jean-Marc Valet, Directeur Général de
Conservatoire Botanique National de Bailleul lors de la Journée annuelle
de l'Observatoire, « Un point complet sur l'état de santé de
la nature en Nord-Pas de Calais », le vendredi 20 mai 2011.
179 Ibid.
180 Schéma Régional de Cohérence Ecologique
du Nord-Pas de Calais, Rapport, Juillet 2014
http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport
srce-tvb juillet 2014.pdf
181 Ibid.
182 Ibid.
183 Ibid.
184 Ibid.
54
espaces affectés aux activités agricoles et
forestières, et la protection des sites, des milieux et paysages
naturels. »185
Le PCET, pour atteindre les objectifs restreignant
l'artificialisation, invite à « s'appuyer sur les outils
d'intervention déjà existants (SCOT, PLU, chartes des parcs
naturels régionaux) et sur les réflexions régionales comme
le SRADDT186, les directives régionales d'aménagement
« Trame verte et bleue » et « maîtrise de la
périurbanisation », (...) ou encore l'élaboration du SRCE
»187. Les documents d'urbanisme ont une place
particulièrement importante pour ralentir le rythme de
l'artificialisation ; les SCOT et PLU « devront relever plusieurs
défis : lutter contre l'étalement urbain avec une maîtrise
du rythme moyen d'artificialisation des sols : que la moyenne pour les 20
prochaines années s'établisse autour de 165 ha par an (soit plus
d'un tiers de réduction) au niveau de l'arrondissement (échelle
SCOT) »188. Le PCET est établi par la LMCU, c'est
un « document supérieur au SCOT, et il faut une
compatibilité avec le SCOT puis vers le PLU »189.
Pour le Plan Climat, l'urbanisme est « l'un des leviers permettant de
réduire la vulnérabilité des territoires. En
intégrant ces enjeux dans ses documents d'urbanisme, Lille
Métropole permettra notamment au SCOT et au futur PLU d'être des
outils au service de l'adaptation au changement climatique
»190.
La DREAL invite également à la « prise
en compte de l'environnement dans les document d'urbanisme
»191. A partir du 1er janvier 2016, l'ensemble
des Schémas de Cohérence Territoriale devront être
conformes aux termes des lois Grenelle, et à compter du 1er janvier
2017, les communes non couvertes par un SCOT ne pourront pas ouvrir de
nouvelles zones à l'urbanisation. Le SCOT et PLU, d'après la
DREAL, doivent prendre en compte le SCRAE et le SRCE, le PCET devant être
compatibles avec le SRCAE.
185
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020949548
186 Le SRADDT est le schéma régional
d'aménagement et de développement durable du territoire, il
précise les orientations fondamentales et à moyen terme du
développement durable d'un territoire régional et ses principes
d'aménagement.
187 Plan Climat Energies Territorial de Lille Métropole,
Rapport du 18/10/2013
http://www.lillemetropole.fr/files/live/sites/lmcu/files/images/ACTUALITES/DEVELOPPEMENT%20DURAB
LE/plan%20climat%20energie.pdf
188 Ibid.
189 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT à
l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20 février
2015 à Lille
190 Plan Climat Energies Territorial de Lille Métropole,
Rapport du 18/10/2013
http://www.lillemetropole.fr/files/live/sites/lmcu/files/images/ACTUALITES/DEVELOPPEMENT%20DURAB
LE/plan%20climat%20energie.pdf
191 Direction régionale de l'environnement, de
l'aménagement et du logement du Nord-Pas de Calais, « Prendre en
compte l'environnement dans les documents d'urbanisme », octobre 2012
55
L'accumulation des orientations élaborées par
les lois de Grenelles et se traduisant par les schémas
rédigés par la région impose des objectifs chiffrés
visant à limiter l'artificialisation et invite les communes à
mettre en place une Trame verte et bleue pour rétablir les
continuités écologiques, afin de limiter les conséquences
de la fragmentation des habitats naturels. L'artificialisation justifie donc
l'apparition du concept de Trame verte et bleue et conduit à son
inscription réglementaire dans les documents d'urbanisme. Le concept de
Trame vert et bleue apparaît précocement dans la métropole
lilloise, et se développe à travers le jeu des acteurs et les
lois de Grenelle.
2. L'officialisation du concept de Trame verte et bleue
La région Nord-Pas de Calais, et la métropole
lilloise sont particulièrement touchés par l'artificialisation
des territoires. L'apparition du concept de Trame verte et bleue
métropolitaine dans les années 1990 s'explique par la
nécessité de limiter l'érosion de la biodiversité,
mais également pour des raisons économiques. Le
développement du projet de Trame verte et bleue est marqué par le
Grenelle sur l'Environnement de 2009 qui institutionnalise le concept.
2.1.Espace Naturel Lille Métropole et le projet de
Trame verte et bleue
a. La genèse de Trame verte et bleue
lilloise
La Trame verte et bleue lilloise nait d'une
préoccupation économique. « Au début des
années 1990, Euralille ne se remplit pas, il y a moins de 20%
d'occupation dans les grandes tours »192. La conclusion
est la suivante : la ville souffre d'une mauvaise image auprès des
entrepreneurs, il serait « plus agréable de travailler dans le
tertiaire à Lyon qu'à Lille »193. L'objectif
est de changer cette mauvaise perception. Et pour cela, le verdissement semble
être la bonne solution. En effet, « le vert est vendeur
»194 et Lille veut incarner la ville de l'Europe du Nord,
« qui est une ville verte »195 à l'image
de Copenhague ou d'Amsterdam.
Pierre Mauroy, à l'époque de ce constat, est
président de la communauté urbaine, et lance le projet d'Espace
Naturel Lille Métropole. Il aurait lancé en 1974 la
création des Parcs
192 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
193 Ibid.
194 Entretien avec Nicolas Rouget, géographe, 10
février 2015 à Lille
195 Ibid.
56
Naturels Régionaux dans la même idée,
« changer l'image auprès des investisseurs
»196. En juin 1991, Pierre Mauroy développe la
pensée autour du déficit d'espaces verts, et cherche à
associer les habitants à l'élaboration des parcs dans un souci de
« proximité ». Pierre Dhenin, président d'ENLM depuis
sa création, est alors contacté par Pierre Mauroy, en raison de
son expérience dans la communication et dans la gestion associative avec
la MNE, désormais Maison Régionale de l'Environnement et des
Solidarités. « A l'époque, on est à 6 mois des
élections cantonales »197, et « c'est un
projet difficile car sur la métropole, le moindre mètre
carré est âprement discuté »198.
Finalement, Pierre Dhenin rejoint l'équipe de Pierre Mauroy en septembre
1992 à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille car la
« reconquête de la métropole verte passe d'abord par les
documents d'urbanisme »199.
Il travaille de 1992 à 2002 à l'Agence de
Développement et d'Urbanisme afin de faire émerger des structures
pour les projets locaux. Naissent de ce travail 7 projets donc le Parc de la
Deûle, le Canal de Roubaix, la Marque Urbaine, et la Basse Deûle.
L'ADU permet le regroupement des élus et des techniciens pour «
rendre possible un projet vert »200. Mais «
cela reste modeste, il n'y a pas de fond, il faut un moteur plus puissant
»201. ENLM se dote de nouvelles compétences en
2000, qui se traduisent à l'automne 2002. L'aspect plus
stratégique est laissé à la communauté urbaine, et
ENLM se charge d' « animer et de concerter »202.
Il réunit 40 communes afin de « fusionner les 7 projet
»203 et permet d' « avoir un outil plus
général, pour sortir une méthode plus partagée
»204. Il s'agit d'une « structure de concertation
permanente »205 avec « le conseil des élus
et le conseil des usagers »206.
b. L'actualité de la Trame verte et bleue
lilloise
Les missions d'ENLM sont variées : il contribue
à collecter des données environnementales, à la protection
de la ressource en eau, et plus particulièrement des eaux de surfaces
avec la zone humide des Prés du Hem à Armentières,
à l'éducation à la nature et sensibilise à la
biodiversité, au moyen d'un programme d'animations, et surtout,
contribue à
196 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
197 Ibid.
198 Ibid.
199 Ibid.
200 Ibid.
201 Ibid.
202 Ibid.
203 Ibid.
204 Ibid.
205 Ibid.
206 Ibid.
57
l'échelle de son aire métropolitaine à la
construction d'un maillage déclinant la trame verte régionale
dessinée par le SRCE. Aujourd'hui, ENLM gère 1 300 hectares sur
40 communes, emploie 130 agents permanents et environ 100 saisonniers. Le
budget qui lui est alloué est de 3 millions d'euros par an. On distingue
4 territoires : la Basse-Deûle / Val de Lys, le canal de la Deûle
à l'Escaut, le Val de Marque et le Parc de la Deûle,
complété par l'Espace Naturel des Périseaux, premier parc
agricole de la Métropole. 180 hectares sur les 1 300 que gère
ENLM sont des équipements payants : les prés du Hem, Mosaïc
et le dernier arrivée, en 2004, le Musée du plein air. Le
syndicat mixte travaille conjointement avec d'autres organismes tels que le
Groupe ornithologique du Nord, le Conservatoire botanique de Bailleul, ainsi
que le Muséum National d'Histoire Naturelle.
La base du travail d'ENLM, est, d'après Pierre Dhenin,
le Schéma Directeur de 2002, qui évoquait la Trame verte et bleue
et donnait des orientations. L'ADU identifie désormais les espaces
acquis par ENLM selon leurs potentialités en termes de
biodiversité. Cependant, d'après l'agence, il apparaît que
les espaces dont ENLM a la gestion sont « fragmentés et mal
reliés »207. Pourtant, d'après son
directeur, la Trame doit être « vaste, ample, c'est un
entrecroisement de fils qui forment la trame et non pas une succession de
taches »208. Ainsi, la TVB doit être «
préalable à l'aménagement et non pas ce qu'on fait
avec ce qui reste »209. Le syndicat mixte vise donc
l'inscription de la TVB au prochain PLU afin de lui conférer une valeur
réglementaire et assurer sa pérennité sur le territoire de
la métropole.
c. Une Trame verte et bleue à visée
récréative
La Trame verte et bleue lilloise est donc initialement
pensée à des visées économiques, elle doit
être récréative. Elle fait intervenir « d'autres
registres de légitimité que la préservation de la
biodiversité : nature en ville, et bien être des citadins [...J
»210. Dans le cas de la métropole lilloise,
celle-ci est fortement imprégnée de son histoire industrielle. Il
y a plus de 150 friches sur le territoire de Lille, et l'enjeu pour ENLM est
dépolluer et restructurer ces friches pour en faire des espaces de
nature dans l'objectif d'améliorer le cadre de vie des habitants et
l'attractivité du territoire. Cette renaturation a bien-sûr des
effets positifs sur la biodiversité car elle permet également de
rétablir la circulation écologique, d'autant plus que
207 Schéma Directeur de Développement et
d'Urbanisme de Lille Métropole, élaboré par le Syndicat
mixte du Schéma Directeur de Lille Métropole et approuvé
le 6 décembre 2002
208 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
209 Ibid.
210 Nathalie Blanc, Sandrine Galton et Guillaume Schmitt, «
Trames vertes urbaines : recherches en sciences humaines et sociales »,
Développement durable & territoires, Vol. 3, n°2,
juillet 2012
58
la métropole est caractérisée par une
forte artificialisation et une fragmentation de son territoire, notamment en
raison des infrastructures : canaux, axes routiers et ferrés. Toutefois,
au moment de la mise en place de cette Trame verte et bleue
métropolitaine, l'accent est mis sur l'aspect
récréatif.
D'après le Schéma Directeur de 2002, l'ambition
de TVB est d'atteindre pour 2020 « 20 000 hectares voués
à la natures et aux loisirs à l'horizon 2015
»211. La TVB s'appuie donc sur des territoires à
vocation naturelle, et également à visée
récréative. Elle comprend, d'après le document
d'urbanisme, plusieurs catégories d'espaces, dont « des grands
espaces paysagers et des parcs périurbains à vocation naturelle
et récréative, des bases de loisirs avec de vastes plans d'eau,
des liaisons et coulées vertes, et des espaces verts de proximité
dans l'agglomération dense »212. Avant
l'inscription du concept de Trame verte et bleue à une échelle
nationale à travers la Loi de Grenelle de 2009, elle est entreprise dans
la métropole lilloise dans un souci de changer l'image d'une ville au
passé industriel peu vendeur davantage que dans un souci de freiner
l'érosion de la biodiversité. Il fallait faire de Lille non plus
une de ces villes du nord qui « avait conservé une tradition
minérale »213, mais une ville d'Europe du Nord. Le
directeur d'ENLM depuis 10 ans l'annonce sans gêne, tout en soulignant
les réussites en matière de gestion de la biodiversité.
Les espaces verts urbains semblent devoir répondre aux attentes sociales
en matière de loisirs avant de pouvoir faire accepter une politique de
protection de la biodiversité.
La politique de Trame verte et bleue connaît une
apparition précoce dans la métropole lilloise, et se
développe dans l'idée de changer l'image de la ville, et dans une
visée récréative. Le Grenelle de l'Environnement
intervient lors du développement de la Trame verte et bleue
métropolitaine, et lui impulse un caractère profondément
écologique.
211 Schéma Directeur de Développement et
d'Urbanisme de Lille Métropole, élaboré par le Syndicat
mixte du
Schéma Directeur de Lille Métropole et
approuvé le 6 décembre 2002
212 Ibid.
213 Interview de Pierre Dhenin, « Culture et nature
intimement liées », propos recueillis par S. Morelli, Sortir Lille
Eurorégion
59
2.2.Le Grenelle de l'Environnement et l'émergence de
la législation
La Trame verte et bleue lilloise est, au moment de sa
création, une « compétence originale pour un espace
naturel à l'échelle intercommunale. Mais la loi Grenelle
intervient avec sa propre définition de la TVB
»214.
a. Un contexte international favorisant
l'émergence du concept de TVB
Dans les années 1990 se développe l'idée
qu'il est nécessaire de lutter contre l'artificialisation des sols, et
au vue du rythme soutenu de cette artificialisation apparaît une prise de
« conscience du grignotage des espaces agricoles
»215. Le développement de cette pensée
conditionne l'apparition du concept de Trame verte et bleue dont la
visée serait d'abord écologique. C'est également à
ce même moment qu'apparaît le concept de «
développement durable » à l'échelle internationale
lors de la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement et le
Développement. Depuis cette époque, la notion de trames vertes et
bleues « est utilisée pour les planificateurs comme un moyen de
favoriser le développement durable des villes
»216.
En 1995, la France ratifie la Stratégie
paneuropéenne pour la diversité biologique et
paysagère217, et cette dernière prévoie la mise
en place d'un réseau écologique sur le continent. Le concept de
Trame verte et bleue, initiée dès les années 1990, prend
de plus en plus d'importance au niveau international et Européen. Il
émerge en France en 2009 lors du Grenelle de l'Environnement, «
à l'issue d'une période de plus de 15 ans marquée par
la mise en oeuvre conflictuelle de la directive Habitats. Il répond
également à la recherche d'une politique innovante en France
»218 après l'échec de la politique
européenne Natura 2000219 qui donnait trop d'importance
à l'expertise. Cette politique apparaît également au moment
où il y a une forte tentative de stopper l'érosion de la
biodiversité en France et dans l'UE en 2010 ; l'année 2010
étant d'ailleurs l'année internationale de la
biodiversité.
214 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 19 mars 2015 à Lille
215 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
216 Laure Cormier, thèse intitulée « Les
Trames vertes : entre discours et matérialités, quelles
réalités ? », Géographie, Université d'Angers,
2011
217 La Stratégie paneuropéenne pour la protection
de la diversité biologique et paysagère introduit la notion de
réseau écologique paneuropéen pour stopper
l'appauvrissement de la biodiversité biologique et paysagère.
218 Pierre Alphandéry, Agnès Fortier et Anne
Sourdril, « Les données entre normalisation et territoire : la
construction de la trame verte et bleue », Développement
durable & territoires, Vol. 3, n°2, juillet 2012
219 Le réseau Natura 2000 est un ensemble de sites
naturels européens identifiés pour la rareté ou la
fragilité des espèces sauvage et de leurs habitats.
60
b. Présentation de la loi du Grenelle
La politique de trame verte est bleue apparaît lors du
Grenelle sur l'environnement et illustre la volonté de lutter contre la
fragmentation, conséquence de l'étalement urbain. Le gouvernement
français initie une réflexion en matière d'environnement
et de développement durable. Il réunit, à travers ce que
l'on appelle le Grenelle de l'Environnement, « les acteurs du
développement durable »220.
Depuis 2009, le terme est officiellement introduit dans la loi
du 3 août 2009 dite « Grenelle 1 » qui définit les
points-clés de la politique gouvernementale sur les questions de
développement durable. Elle a pour objectif « la remise en bon
état des milieux nécessaires aux continuités
écologiques »221, avec en particulier, «
le rétablissement ou l'amélioration de leur
fonctionnalité. Elle s'effectue notamment par des actions de gestions,
d'aménagement ou d'effacement des éléments de
fragmentation qui perturbent significativement leur fonctionnalité et
constituent ainsi des obstacles »222. La loi
considère que la trame verte est « constituée, sur la
base de données scientifiques, d'espaces protégés en
application du droit de l'environnement et de territoires assurant leur
connexion et le fonctionnement global de la biodiversité
»223. Les objectifs affichés, par le
ministère de l'Ecologie, du Développement durable, des Transports
et du Logement, de la Trame verte et bleue sont :
« - diminuer la fragmentation et la
vulnérabilité des habitats naturels et habitats
d'espèces
- identifier et relier les espaces importants pour la
préservation de la biodiversité par des corridors
écologiques
- atteindre ou conserver le bon état écologique
ou le bon potentiel des eaux de surface
- prendre en compte la biologie des espèces
migratrices faciliter les échanges génétiques
nécessaires à la survie des espèces de la faune et de la
flore sauvage
- améliorer la qualité et la diversité
des paysages
220
http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Le-Grenelle-de-l-environnement-de-.html
221
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020949548
222 Ibid.
223 Ibid.
61
- permettre le déplacement des aires de
répartition des espèces sauvages et des habitats naturels dans le
contexte du changement climatique »224 .
Ainsi, en raison de son inscription dans la loi de Grenelle,
le concept de TVB s'officialise. Alors qu'il était «
historiquement au profit des métropolitains, la trame verte avec le
Grenelle devient très écologique »225. En
effet, La réflexion gouvernementale, à travers la notion de
trames vertes, porte essentiellement sur un accroissement de la
biodiversité. « Or, cette vision des trames vertes n'est pas
partagée unanimement »226, certaines
municipalités donnent « une définition plus large,
multifonctionnelle »227. Ainsi, dans le cas de
l'élaboration de la Trame verte et bleue lilloise, celle-ci rencontre
une nouvelle orientation donnée par la législation nationale, qui
la conduit à se concentrer sur les aspects environnementaux.
c. Un concept nouveau ?
Si le concept de trame verte introduit dès les
années 1990, puis normé par la loi de Grenelle en 2009, il «
s'inscrit dans l'histoire de l'urbanisme depuis plus d'un siècle
»228 en faisant référence à une
pensée urbaine plus respectueuse de l'environnement. On retrouve les
origines d'un réseau vert structurant le développement des villes
au XIXe siècle, d'abord aux Etats-Unis où se développent
des « parkways », larges promenades plantées d'arbres dans les
villes. La rénovation de Paris au temps d'Haussmann et le travail de
l'urbaniste Adolphe Alphand permet l'aménagement de nombreux parcs,
squares et bois. Frederick Olmsted, paysagiste américain, intègre
les parcs dans la planification urbaine avec le mouvement des « greenways
». Avec la transformation des villes sous l'effet de l'industrialisation
s'affirme « la nécessité de penser le
développement urbain à partir d'un « système de parcs
» qui relie une grande diversité d'espaces, à des
échelles différentes»229. Ce projet est
porté par une ambition à la fois hygiéniste, de
santé, de salubrité, et esthétique. L'enjeu est «
d'offrir un
224
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020949548
225 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable structure
territoriale à l'Agence de Développement et
d'Urbanisme de Lille, le 19 mars 2015 à Lille
226 Ibid.
227 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
228 Laure Cormier, thèse intitulée « Les
Trames vertes : entre discours et matérialités, quelles
réalités ? », Géographie, Université d'Angers,
2011
229 Ibid.
62
système de promenades aux citadins et de favoriser
une meilleure circulation de l'air ; il n'est pas encore question de dynamique
des populations végétales ou animales
»230.
Pendant l'entre-deux guerres, un autre concept s'impose :
celui de Green belt. Il s'agit de préserver une couronne d'espaces non
bâtis autour des villes pour éviter leur agglomération.
Après la seconde guerre mondiale, Théodore Leveau, architecte et
urbaniste français, préconise la « nécessaire
pénétration des espaces verts dans la ville
»231 et conseille de « proportionner et
répartir la trame verte aux besoins futurs »232. Au
milieu des années 1970, la montée des préoccupations
environnementales oblige la prise en compte de la nature dans
l'aménagement du territoire. Le ministère chargé de la
protection de la nature et de l'environnement est créé. Au
même moment, l'écologie du paysage met en lumière les
bienfaits des corridors écologiques et participent de
l'interpénétration de l'environnement et de l'urbanisme.
La mise en place de la Trame verte et bleue lilloise
apparaît donc dans l'idée d'améliorer le visage de la
ville, et le syndicat mixte Espace Naturel Lille métropole vise à
faire des espaces naturels urbains des espaces récréatifs
à destination des habitants de la métropole. La loi de Grenelle
intervient alors que la Trame verte et bleue lilloise lui est
préexistante, et développe une vision très
environnementaliste de la notion, centrée alors sur le
rétablissement des continuités écologiques. Le
développement de ce concept, qui était pensé dans une
vision tout d'abord économique, et qui évolue pour se rapprocher
d'une politique de protection de la biodiversité, rencontre des limites,
et des désapprobations, notamment de la part des politiques.
3. La Trame verte et bleue, concept sujet aux
insuffisances
Le concept de Trame verte et bleue lilloise, pensé dans
un premier temps à l'échelle métropolitaine, prend de plus
en plus d'importance, et le syndicat mixte milite pour son inscription au PLU,
ce qui lui conférerait une grande valeur réglementaire.
Toutefois, la Trame verte et bleue rencontre des oppositions, et notamment en
raison de son approche très scientifique du territoire.
230 Laure Cormier, thèse intitulée « Les
Trames vertes : entre discours et matérialités, quelles
réalités ? »,
Géographie, Université d'Angers, 2011
231 Ibid.
232 Ibid.
63
3.1.Un discours environnementaliste qui pose problème
a. Un discours difficile entre acteurs scientifiques et
non scientifiques
La Trame verte et bleue fait la part belle aux experts de la
biodiversité car elle apparaît avec la législation qui
l'institutionnalise comme une politique dont la visée est clairement
écologiste. Toutefois, bien qu'elle soit érigée en
modèle normé par le Grenelle de l'Environnement, elle s'applique
différemment sur les territoires qui se l'approprient. Elle est le fruit
du travail conjointement mené par les acteurs scientifiques et les
groupes sociaux. Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à
l'écologie en 2009 le souligne : « l'Etat propose des
orientations et une méthodologie, mais ce sont surtout les acteurs
locaux qui construisent la TVB (...). Ce sont d'abord des projets de territoire
»233. Pour Pierre Alphandéry, « le projet
de TVB élaboré conjointement par des acteurs scientifiques et non
scientifiques dans le cadre du Grenelle, doit constituer un outil
d'aménagement du territoire »234 et «
mettre en synergie les différentes politiques publiques afin de
maintenir ou de restaurer les capacités de libre évolution de la
biodiversité au sein des territoires, notamment en maintenant ou en
rétablissant les continuités écologiques
»235. Il est donc crucial d'accorder une place importante
aux groupes sociaux et à leurs territoires, et de faciliter le dialogue
entre les experts et les citoyens.
Toutefois, cela met en exergue des visions différentes
concernant le territoire. Pour Serge Urbano, vice-président de FNE, la
conception de la trame se veut surtout naturaliste : « Nous sortons
enfin la protection de la nature de la confidentialité. Elle doit
maintenant être pleinement intégrée à
l'aménagement du territoire comme critère
prépondérant pour le penser et le repenser et, d'autre part,
servir comme outil pour (...) la TVB »236. « A
travers ces différents points de vue se profilent deux conceptions de la
TVB : celle qui envisage la Trame comme projet de territoire associant les
habitants et les usagers et celle qui affiche une visée naturaliste
prépondérante ».237
233 Intervention lors du 33ème
congrès de France Nature Environnement intitulé « Une trame
grandeur nature » à Lille, en 2009
234 Pierre Alphandéry, Agnès Fortier et Anne
Sourdril, « Les données entre normalisation et territoire : la
construction de la trame verte et bleue »,
Développement durable & territoires, Vol. 3, n°2,
juillet 2012
235 Ibid.
236 Intervention lors du 33ème congrès
de France Nature Environnement intitulé « Une trame grandeur nature
» à
Lille, en 2009
237 Pierre Alphandéry, Agnès Fortier et Anne
Sourdril, « Les données entre normalisation et territoire : la
construction de la trame verte et bleue »,
Développement durable & territoires, Vol. 3, n°2,
juillet 2012
64
b. Un discours essentiellement environnementaliste
Le Grenelle sur l'environnement, ainsi que les SCRE et SRCAE
font de la Trame verte et bleue un concept aux visées essentiellement
environnementalistes, dans un souci de préserver la biodiversité
locale et d'enrayer les effets du changement climatique. Pourtant, pour Pierre
Dhenin, directeur du syndicat mixte ENLM qui se charge de gérer et de
développer cette TVB sur le territoire de la métropole lilloise,
la visée est, dès le départ, clairement
économique.
En effet, si la notion telle que développée par
la réflexion environnementale porte sur un accroissement de la
biodiversité, ENLM donne une définition plus large. Et pourtant,
le terme reste mal-perçu car il semble mépriser l'aspect
économique. Concernant la Chambre d'Agriculture, celle-ci s'attache
à défendre la fonction économique de l'activité
agricole, et la « Trame verte est vue comme pénalisante pour
l'agriculture »238. Lors des négociations avec la
DREAL pour élaborer le Schéma de Cohérence
écologique, les membres de la Chambre étaient «
très remontés, très vigilants
»239. La position de la Chambre d'Agriculture qui cherche
à défendre le foncier agricole conduit à des partenariats
avec ENLM comme le Parc de la Deûle et les Périseaux. Cela «
sert d'exemple mais on est toujours dans le jeu de la séduction
pendant la négociation »240. Le compromis est
délicat à atteindre, « la Chambre d'Agriculture est
contre le zonage en N241 mais si ce zonage est peu contraignant
»242.
L'aspect environnementaliste de la Trame verte et bleue et mal
perçue par les politiques également, la métropole de Lille
est « très diverse, il y a 85 communes, avec une
variété de tailles. Si on va à Warneton et qu'on leur
parle d'espaces verts pour les citadins, ils vont répondre :»nous
on s'en fout, on a des chemins« »243. La Trame verte
et bleue et son objectif de protection de la biodiversité apparaît
pour certains acteurs du territoire comme pénalisant, ou même
inutile. Le discours environnementaliste semble ignorer les
réalités économiques des territoires. Par
conséquent, le concept de Trame verte et bleue est souvent
mal-perçu par les politiques qui la conçoivent comme une
contrainte supplémentaire.
238 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 19 mars 2015 à Lille
239 Ibid.
240 Ibid.
241 Les zones N (naturelles) sont celles dans lesquelles
l'urbanisation est interdite ou admise sous forme légère.
242 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 19 mars 2015 à Lille
243 Entretien avec Benoît Masson, membre du
géocatalogue de Lille, le 25 février 2015 à Lille
65
3.2.La Trame verte et bleue, mal-perçue par les
politiques
a. Un aspect réglementaire qui
dérange
Laure Cormier, à propos de la Trame verte et bleue,
parle d'un « point de vue réglementaire contre
l'étalement urbain »244. Cet aspect
réglementaire, qui s'incarne à travers la législation
d'abord nationale puis locale, pose problème aux élus. Le SCOT en
effet est un « arsenal législatif qui se renforce sur la
question de la Trame verte et bleue »245. Pourtant, la
trame verte n'est pas unique, elle est l'expression d'une «
diversité de pratiques en faveur d'une meilleure appropriation de
l'espace. Mais les élus la voient seulement comme une dimension
réglementaire »246. L'article L. 121-1 3° du
code de l'urbanisme exige en effet que « les documents d'urbanisme
déterminent les conditions de préservation et de la remise en bon
état des continuités écologiques, de la
biodiversité et des écosystèmes »247.
Les SCOT et les PLU qui en découlent déterminent donc les
fonctions de l'espace, en cherchant à préserver les
réservoirs de biodiversité de l'artificialisation.
Le SCOT de Lille, pour son élaboration, prend en compte
un inventaire « au nom du principe de l'écologie du paysage
»248. Il fait état du caractère «
plus ou moins naturel des espaces, s'ils sont grands, s'ils sont
fragmentés »249, il prend en considération
« leur compacité, leur proximité avec des espaces plus
ou moins artificialisés. Il permet de d'identifier les
potentialités. Croisé avec le PLU, il donne une dimension
réglementaire et permet de voir là où il y a une
concentration des enjeux écologiques »250. Le
diagnostic à la veille du PADD251 est assez mitigé,
« il y a pas mal d'études, et même si le territoire est
pauvre en biodiversité, les études s'imposent pour les nouvelles
exigences du code de l'urbanisme »252. Ainsi, les
documents d'urbanisme sont forcés par le code de l'urbanisme de
contraindre l'aménagement du territoire en fonction des qualités
environnementales d'un
244 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
245 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 19 mars 2015 à Lille
246 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
247
http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000019295069&cidTexte=LEGITE
XT000006074075
248 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 19 mars 2015 à Lille
249 Ibid.
250 Ibid.
251 Le PADD, projet d'aménagement et de
développement durable exprime les objectifs et projets de la
collectivité locale en matière de développement
économique et social, d'environnement et d'urbanisme à l'horizon
de 10 ou 20 ans.
252 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 19 mars 2015 à Lille
66
espace. Le développement de la documentation
réglementaire apposée à la TVB « agit sur sa
présence »253, et permet sa matérialisation.
Il y a une véritable « efficience du schéma directeur
sur l'occupation des sols »254, permettant la mise en
oeuvre de la TVB. Le SD de 2002 à Lille élabore un projet
d'aménagement du territoire qui définit les objectifs du
territoire en incluant « la préservation et la restauration de
la TVB et les actions permettant de l'atteindre »255.
D'après les nouveautés du code de l'urbanisme
qui oblige les documents d'urbanisme à prendre en compte les enjeux de
nature, l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille met en place
des mesures réglementaires afin d'assurer la mise en place de la TVB et
sa pérennité sur le territoire. Les élus le voit à
la fois comme une contrainte supplémentaire de la part du droit de
l'urbanisme, et également de l'Etat qui modélise le concept de
TVB sans prendre en compte sa matérialité. Pour Pierre Dhenin,
« en terme de trame vert, il y a trop en termes d'interdiction par
rapport à l'incitation »256.
b. Des élus démunis et
dépossédés
Pierre Alphandéry qualifie le Grenelle de
l'environnement de « dispositif complexe »257
caractérisé par différents niveaux d'intervention, une
volonté nationale de cadrer, et le caractère
indéterminé des mesures et outils à mettre en oeuvre au
plan local. Cette volonté nationale de cadrer est mal-vécue par
les élus locaux qui ont le sentiment d'être
dépossédés. En effet, avec le développement du
concept de Trame verte et bleue, la logique intercommunale est
prépondérante car ce dispositif nécessite une
homogénéisation des règlements, « on quitte alors
les enjeux très locaux et personnels, la décision est plus dans
le bien commun que dans la particularité locale
»258.
De plus, pour Laure Cormier, les élus sont
démunis car « trop d'échelles s'impliquent, il y a un
empilement de tous les niveaux. Entre le SRCE, le PLU, et le SCOT, comment les
élus s'y
253 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
254 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 19 mars 2015 à Lille
255 Schéma Directeur de Développement et
d'Urbanisme de Lille Métropole, élaboré par le Syndicat
mixte du Schéma Directeur de Lille Métropole et approuvé
le 6 décembre 2002
256 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
257 Pierre Alphandéry, Agnès Fortier et Anne
Sourdril, « Les données entre normalisation et territoire : la
construction de la trame verte et bleue », Développement
durable & territoires, Vol. 3, n°2, juillet 2012
258 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
67
retrouvent pour mettre en place ? Et avec la couche Natura
2000259, les ZNIEFF260, l'élu est démuni
»261. A ce problème de superposition des politiques
et des niveaux de gouvernance, il y a un enjeu financier. La trame verte est
bleue est « inscrite à l'échelle locale seulement d'un
point de vue réglementaire et il n'y a pas de subvention
»262. Pour Laure Cormier, « le zonage
réglementaire suggère des territoires figés et
dépossédés par les politiques centrales, sachant que c'est
fiscalement moins avantageux sur un territoire »263. En
effet, le rendement immobilier non-bâti est inférieur à 2%.
Pour faire face à l'imposition fiscale, « il s'avère
nécessaire d'accroître leurs rendements, et d'en changer la
substance, ou d'en amputer une partie c'est-à-dire de morceler les
espaces naturels ou de s'en défaire »264. Ainsi,
c'est en partie à cause de la fiscalité que les espaces naturels
sont morcelés, et la politique de TVB ne propose aucune mesure de
compensation auprès des élus. La réglementation
paraît être la seule mesure gouvernementale pour forcer
l'inscription de ce concept dans les documents d'urbanisme.
Pierre Dhenin nuance la problématique des financements.
D'après lui, les politiques de biodiversité sont très peu
coûteuses, il s'agit d'un « problème de volonté.
Les échangeurs autoroutiers correspondent à plusieurs
années d'investissement dans la TVB. La TVB ne coûte cher ni
à la conception, ni à l'entretien. Le grand stade a
coûté 700 millions d'euros. Au quotidien, bien plus de citadins
ont besoin de la TV que du stade, et ce besoin ira en grandissant
»265.
Si la Trame verte et bleue apparaît comme une
réglementation contraignante, elle est également difficile
à mettre en oeuvre, car emprunte du répertoire scientifique
parfois trop complexe pour les non-initiés, ce qui explique la mauvaise
réaction des maires à son égard.
259 Le réseau Natura 2000 est un ensemble de sites
naturels européens identifiés pour la rareté ou la
fragilité des espèces sauvage et de leurs habitats.
260 Les ZNIEFF, Zones Naturelles d'Intérêt
Ecologique, Faunistique et Floristique, sont des espaces naturels
labellisés par le ministère chargé de l'environnement
depuis 1982.
261 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
262 Ibid.
263 Ibid.
264 Guillaume Sainteny, « L'étalement urbain »,
Annales des Mines - Responsabilité et Environnement, n°
49, 2008, pp. 7-15
265 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
68
3.3.Un concept difficile à appliquer
a. Une définition techniciste
La Trame verte et bleue est modélisée
d'après les travaux en l'écologie du paysage. Il s'agit de la
coordination de réservoirs de biodiversité et de corridors
écologiques. Toutefois, ces termes sont scientifiques et peuvent poser
problème « quand on veut passer au stade de l'application au
terrain, notamment dans le cas des tentatives de limitation des effets de
coupure par des infrastructures linéaires »266.
Ainsi, l'écologie du paysage « est de plus en plus
sollicitée dans les prises de décision concernant
l'aménagement du territoire »267, mais il convient
de définir avec précision les notions qu'elle emploie à
propos de la modélisation des trames vertes et bleues.
Les « corridors » sont définis comme «
des éléments paysagers linéaires qui permettent la
dispersion d'espèces animales ou végétales entre deux
habitats, au sein d'un environnement plus ou moins hostile, la matrice
»268. Les « taches d'habitats » sont «
des structures paysagères qui apparaissent ponctuellement et
isolément dans un espace dominant caractérisé par une
certaine uniformité d'occupation du sol et qualifié de
«matrice» »269. Ces corridors, ou taches
d'habitats, doivent relier des « réservoirs de biodiversité
». Ils ont donc pour mission d'assurer la connexion biologique dans des
espaces étendus. Ces définitions ont été reprises
lors de la modélisation de la Trame verte et bleue. La « matrice
» tels que définie par les écologistes du paysage correspond
à l'espace à dominante urbaine. Le dispositif TVB mis en place
lors du Grenelle de l'Environnement et développé par le
ministère de développement durable use du vocable de
l'écologie du paysage et invite les communautés à mettre
en place des corridors biologiques à travers la matrice urbain. La
région Nord-Pas de Calais propose un Atlas régional de la Trame
verte et bleue accompagné d'un cahier méthodologique pour
faciliter l'élaboration des trames vertes et bleues
métropolitaines. Pourtant, les définitions restent complexes, et
les possibilités de réalisation obscures. Si, « devant
les difficultés d'appréhension, plusieurs typologies des
corridors ont été proposées »
266 Philippe Clergeau et Guy Désiré, «
Biodiversité, Paysage et Aménagement : du Corridor à la
Zone de
connexion biologique », MappeMonde, n°55, mars
1993
267 Ibid.
268 Ibid.
269 Atlas régional de la trame verte et bleue en Nord-Pas
de Calais et Cahier méthodologique, publiée par la
région Nord-Pas de Calais et la FEDER, 2007
http://www.sigale.nordpasdecalais.fr/cartotheque/atlas/tvb/Cahier
methodologique.pdf
69
en utilisant la typologie des corridors de Foppen & al.
(2000) selon la fonction qu'ils remplissent, l'application
matérialisée de ces corridors est floue.
b. Les difficultés d'application
Tandis que la Trame verte et bleue est érigée
comme un schéma à appliquer uniformément sur tous les
territoires par la législation, sa matérialisation est beaucoup
plus difficile. Le modèle qui se caractérise par une connexion
entre réservoirs de biodiversité, grâce à des
corridors écologiques de formes variées, rencontre des
difficultés lors de sa réalisation. Le modèle est unique,
mais les matérialisations sont variées. Pour Laure Cormier, il y
a une difficulté à oublier le discours premier qui «
cantonne la TVB à un schéma simpliste qui n'a pas de sens.
C'est une modélisation qui a du sens, mais une matérialisation
qui n'est pas possible. Il faut une Trame verte et bleue pour chaque espace
»270. La concrétisation de la TVB dépend
donc des acteurs locaux qui doivent se réapproprier l'approche
scientifique qui a été érigée en modèle par
le Grenelle I.
Il faut « s'affranchir du modèle
taches/corridors/matrice » car « la structure ne conditionne pas la
biodiversité »271. Il faut regarder avec
précision la réalisation des politiques devant favoriser la
biodiversité : « s'il y a une seule essence dans une haie, on a
fait le job si on regarde la structure, mais c'est uniformisé. Il faut
prendre en compte la fonctionnalité des espaces, le corridor fonctionnel
s'affranchit de la structure. Avec les « confettis verts », il y a un
échange de biodiversité d'un point de vue fonctionnel
»272. Ainsi, chaque territoire doit mettre en place des
modes de gestion de la biodiversité différents, et se concentrer
sur la fonctionnalité des espaces davantage que sur la structure de la
TVB. Le SRCE du Nord-Pas de Calais souligne également les limites de la
modélisation de la TVB : « les corridors écologiques ne
sont pas localisés précisément par le schéma. Ils
doivent être compris comme des "fonctionnalités
écologiques", c'est-à-dire des caractéristiques à
réunir entre deux réservoirs pour répondre aux besoins des
espèces »273. De plus, « tout espace
naturel peut concourir à fragmenter l'habitat naturel dès lors
que celui-ci diffère de son milieu de vie. Ainsi, les corridors des uns
peuvent constituer les barrières des autres
»274.
270 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
271 Ibid.
272 Ibid.
273 Schéma Régional de Cohérence Ecologique
du Nord-Pas de Calais, Rapport, Juillet 2014
http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_srce-tvb_juillet_2014.pdf
274 Ibid.
Quand il s'agit d'appliquer la Trame verte et bleue telle
qu'elle est décrite par la loi qui s'inspire de l'écologie du
paysage, les difficultés apparaissent et justifient le regard sceptique
des acteurs du territoire quand à au bien-fondé de cette
politique. D'après Laure Cormier, les théoriciens de
l'écologie du paysage sont « dépassés par
l'appropriation politique d'une conception scientifique
»275.
Il apparaît donc que le constat de l'artificialisation
et de la perte de biodiversité qu'elle entraîne conduit les
régions et les communes à se doter d'un outil
d'aménagement qui puisse lutter contre la fragmentation des habitats
naturels. La Trame verte et bleue, concept qui apparaît dès les
années 1990 dans la région Nord-Pas de Calais et dans la
métropole lilloise, et qui est officialisé par le Grenelle de
l'Environnement, se développe et est destiné à se voir
attribuer une valeur réglementaire permettant d'assurer sa
pérennité sur le territoire. Toutefois, la politique de
biodiversité qu'est la Trame verte et bleue est pensée dans un
premier temps comme un moyen de redorer l'image de la ville, et l'usage de du
répertoire de l'écologie du paysage avec la loi de Grenelle lui
confère une dimension scientifique qui pose problème, car souvent
incomprise par les acteurs du territoire, et vue comme une dépossession
de leurs territoires par les élus. Pourtant, la Trame verte et bleue est
un outil qui se veut consensuel, et le syndicat mixte Espace Naturel Lille
Métropole qui est chargé de son application sur le territoire de
la métropole adopte une position pragmatique, risquant de même
à mal la dimension écologique de ce concept.
70
275 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
71
CHAPITRE III : Le mainstreaming de l'écologie et
ses conséquences
Les conséquences de l'artificialisation sur la
biodiversité conduisent à l'apparition de la politique de Trame
verte et bleue qui ambitionne de rétablir les continuités
écologiques pour lutter contre l'érosion de la
biodiversité locale. Pourtant, ce concept s'éloigne de cette
visée écologique, et on peut parler de « mainstreaming
de l'écologie »276. De plus, le terme de
biodiversité peut être remis en question, et ainsi que la
légitimité de l'écologie de la restauration. Finalement,
peut-on dire que la Trame verte et bleue lilloise est une réussite ?
1. La TVB consensuelle au nom du développement
durable
Le concept de développement durable qui apparaît
au début des années 1980 cherche à associer trois aspects,
économique, social et environnemental. Ce qu'on a appelé les
trois piliers du développement durable se sont vus ajouter la notion de
gouvernance d'après le modèle de la concertation. La Trame verte
et bleue, en poursuivant l'objectif de concilier un aspect social et
économique ainsi qu'écologique, devient un outil de
concertation.
1.1.La TVB, un outil de concertation
a. L'impératif du dialogue
La Trame verte et bleue est un outil qui a pour but de
corriger les effets de la fragmentation des territoires. Si elle revendique, du
fait de son officialisation avec la loi de Grenelle, un aspect
écologique qui a du mal à fédérer les acteurs du
territoire, elle est également, et peut-être surtout, un moyen de
mettre ces acteurs autour de la table, et de brasser les connaissances afin
d'aboutir à un projet de territoire. Marie-Christine Blandin,
sénatrice verte en 2009, le souligne : « la trame n'est pas
seulement un but en soi. Il s'agit d'une opportunité pour que des gens
qui ne se parlent pas d'habitude se rencontrent, échangent leurs buts,
leurs connaissances, leurs contraintes et arrivent à accoucher de
quelque chose »277.
276 Andrew Dobson, Green Political Thought,
4e éd., London-New York, Routledge, 2007 (1990)
277 Pierre Alphandéry, Agnès Fortier et Anne
Sourdril, « Les données entre normalisation et territoire : la
construction de la trame verte et bleue », Développement
durable & territoires, Vol. 3, n°2, juillet 2012
72
Laure Cormier partage ce point de vue, « la trame
verte met autour de la table différents partis qui commencent à
réaliser un savoir commun de prise en compte »278.
Dans le cas de la métropole lilloise, le syndicat mixte ENLM souligne
également son rôle de générateur de dialogue. Pour
son directeur, « la première mission d'ENLM reste la
concertation, la nature représente un domaine sensible, la bataille sur
l'usage des terres de la métropole lilloise est telle que nous avons
à convaincre de l'intérêt de la métropole verte
»279. La concertation semble être indispensable pour
mener à bien les opérations de restauration de la nature dans la
métropole, et la diffusion de l'information occupe une place
prépondérante dans la mise en oeuvre du concept de TVB.
Pierre Dhenin assure que la « mise en oeuvre de la
trame verte c'est d'abord la concertation »280, et
illustre son propos, « il y a une chose difficile à faire,
c'est d'abattre les arbres. Dans la métropole, il y a des peupliers car
c'est intéressant économiquement, mais après 40 ans, c'est
dangereux et il n'y a pas d'intérêt paysager
»281. A Haubourdin, il y a deux ans, le syndicat s'engage
à abattre 20 hectares de peupliers, et durant un an, il diffuse «
des informations pour expliquer la vie de l'arbre, il y a un comité
de suivi avec les forestiers »282. Toutefois, les
riverains sont attachés aux charmes et aux ormes qui poussent entre les
peupliers, bien qu'il soit « très compliqué de les
garder. Finalement, on a fait le premier abatage avec des chevaux de traie,
c'était un spectacle. Aujourd'hui, il y a une nouvelle forêt qui
pousse »283. Ainsi, « il y a eu 20 hectares
d'arbres qui tombent et aucune protestation »284.
Compte-tenu de cette réussite, il apparaît que le
dialogue est indispensable, et que la « trame verte est une oeuvre
collective »285 et l' « appropriation des lieux
»286 est essentielle. De même, si les documents
d'urbanisme qui implémentent cette trame verte, « la
réglementation doit être le fruit d'une information
»287 . L'élaboration du SCOT, et d'après
278 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
279 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
280 Ibid.
281 Ibid.
282 Ibid.
283 Ibid.
284 Ibid.
285 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 19 mars 2015 à Lille
286 Ibid.
287 Ibid.
73
Ivanova Rodastina, son intérêt, est « de
réunir élus et décideurs pour élaborer un projet
commun, une occupation des sols autour d'une ambition
»288.
La TVB semble donc être le fruit d'une concertation
complexe, que ce soit avec les résidents, ou avec les élus,
autour d'une vision du territoire, qu'elle soit à l'échelle du
citoyen comme à celle du décideur. Le dialogue est engagé
par le concept, et la « réussite de la Trame verte et bleue
repose sur l'implication de l'ensemble des acteurs qu'ils soient
décideurs, gestionnaires ou usagers de l'espace
»289. Il convient donc de « sensibiliser,
concerter et co-construire autour de la TVB »290 et «
d'identifier les clés de réussite pour faciliter le dialogue
territorial »291. Toutefois, si la concertation est
indispensable, le dialogue n'est pas évident.
b. Une concertation difficile
Si la concertation est nécessaire à la
matérialisation de la TVB, « (elle) ne garantit pas pour autant
la réussite de ces projets, comme l'illustre la difficulté des
TVB à trouver une traduction concrète dans les territoires
»292. Le dialogue qui permettrait de rassembler les
connaissances et de faire émerger un projet commun du territoire est
pourtant difficile ; certains acteurs du territoire restent attachés
à leurs représentations, et empêchent l'élaboration
d'une même ambition pour la métropole.
Pour Benoît Masson, la Chambre d'Agriculture est
particulièrement réticente au projet métropolitain de TVB.
En effet, le rachat des terres et leur gestion pour le syndicat ENLM signifie
un amoindrissement du stock de terres agricoles, « vous
empiétez aussi sur nos terres, les espaces verts pour les citadins,
c'est aussi la ville »293 résume Benoit Masson qui
ajoute qu'il y a « toujours la même difficulté à
mettre autour de la table des sensibilités agricole, urbaine et
écologique »294. La multitude des acteurs, et leurs
positions souvent difficilement conciliables, illustre la complexe
transversalité de la TVB, et donc, sa laborieuse mise en oeuvre. «
Force est de constater qu'une majorité des blocages provient des
difficultés à instaurer un dialogue entre les différents
acteurs impliqués : usagers, écologues, techniciens,
agriculteurs... Tout d'abord parce que les manières d'appréhender
le sujet sont variables,
288 Ibid.
289 Marie Décima, Julie Nicolas, Antoine Vaast, «
Le dialogue, condition du succès de la réussite des projets, Le
dialogue territorial dans les démarches de trame verte et bleue »,
Cerdd, décembre 2010
290 Ibid.
291 Ibid.
292 Yannick Sencébé, Florence Pinton et Pierre
Alphandéry, «Le contrôle des terres agricoles en France Du
gouvernement par les pairs à l'action des experts »,
Sociologie, n°3, vol. 4, 2013
293 Entretien avec Benoît Masson, membre du
géocatalogue de Lille, le 25 février 2015 à Lille
294 Ibid.
74
parce que les représentations sont très
différentes, mais aussi parce que le changement génère le
plus souvent des réticences, surtout quand il est imposé
»295.
En effet, la mise en oeuvre de la TVB « touche
à des problématiques de nature différente,
opérationnelles et sectorielles, stratégiques, politiques,
nécessitant d'avoir la maîtrise de l'ensemble des questions qui se
posent »296. Cette interdisciplinarité se heurte
à l'inconciliabilité des objectifs revendiqués par les
acteurs. De plus, la transversalité « se renforce au fur et
à mesure de l'élargissement de l'échelle
d'appréhension : le nombre d'acteurs à se mettre autour de la
table s'accroît, la démarche de construction de la TVB se
complexifie »297. Ainsi, plus le projet de TVB
s'étend, plus sa continuation est difficile. La mise en oeuvre
opérationnelle est également gênée par
l'articulation entre niveaux de collectivité. Aujourd'hui, ENLM ne
rassemble que 41 communes sur les 85 qui constituent la métropole
lilloise, et la matérialisation de la TVB est déjà
délicate, rencontrant des oppositions au sein même du syndicat
mixte. Si le projet s'étend à d'autres communes en raison de
potentialités écologiques ou d'opportunité
foncière, « la mise en oeuvre communale d'une stratégie
définie au niveau supra dépendant de la bonne volonté du
maire » peut être enrayée par « le « jeu »
politique local »298. Les intérêts d'un
élu peuvent être en contradiction avec la stratégie TVB, et
il préfèrera la non-réalisation de cette
dernière.
Ainsi, il s'agit de parvenir à une vision commune, et
à un langage commun, « mais comment (y) parvenir sur un objet
aussi complexe et interdépendant que l'est la biodiversité ?
»299. D'après le document rédigé par
Marie Décima, le fait que l'élaboration d'un projet commun sur un
territoire étendu soit complexe s'explique par la méconnaissance
des fonctions socio-économiques de la TVB. En effet, celle-ci ne vise
pas uniquement à l'amélioration de la biodiversité locale,
mais est multifonctionnelle.
295 Marie Décima, Julie Nicolas, Antoine Vaast, «
Le dialogue, condition du succès de la réussite des projets, Le
dialogue territorial dans les démarches de trame verte et bleue »,
Cerdd, décembre 2010
296 Tiphaine Kervadec, « Mettre en oeuvre la Trame verte
et bleue en milieu urbain », Etd, Centre de ressources
du développement territorial, juin 2012
297 Ibid.
298 Ibid.
299 Marie Décima, Julie Nicolas, Antoine Vaast, «
Le dialogue, condition du succès de la réussite des projets, Le
dialogue territorial dans les démarches de trame verte et bleue »,
Cerdd, décembre 2010
75
1.2.ENLM, fidèle au discours du développement
durable
a. La TVB multifonctionnelle
La Trame verte et bleue est une notion encore récente,
et « la connaissance de ses enjeux est souvent incomplète ou se
limite à la seule dimension écologique. Les fonctions
socio-économiques potentielles des corridors (support d'agriculture
urbaine, développement d'emplois verts, etc.) sont encore peu
appréhendées, ce qui conduit à un diagnostic incomplet
alors que la TVB pourrait être une véritable opportunité
pour réfléchir à un projet global de territoire, au
croisement des enjeux sociaux, économiques et écologiques
»300.
Pierre Dhenin rejoint cette idée, pour lui, la trame
verte doit être transcourante, et Laure Cormier ajoute : « la
trame verte ne doit pas être cantonnée à sa seule dimension
écologique. Les habitants par rapport à parc, ou une forêt,
ont des attentes précises, récréatives,
esthétiques, de santé »301. Ainsi, la trame
verte est multifonctionnelle afin d'assurer son acceptabilité par les
acteurs du territoire, et ainsi, sa matérialisation. Le directeur d'ENLM
souligne les situations dans les autres pays d'Europe, et notamment dans le
Kent : « Il y a une exploitation de 580 hectares de
céréales et de pomme de terre, avec trois fermiers, qui ont des
land-rovers et des ordinateurs qui vérifient le cours de la pomme de
terre en Hongrie »302. Les membres d'ENLM se sont rendus
dans cette ferme lors d'un voyage il y a quelques années, et ces
fermiers leur « montrent des mares qu'ils ont refaites, des chemins de
randonnées à travers les champs, des haies
»303. Pierre Dhenin demande : « Pourquoi ? Pour
le business ! »304. En effet, ces fermiers ont
signé un contrat avec la firme TESCO qui leur impose une charte de
qualité, qui passe par ses aménagements paysagers. «
Pour le blé, il est question de renom et l'exploitation doit
accueillir le public pour faire connaître la marque
»305.
La légitimation de cette politique censée
favoriser la biodiversité peut sembler inappropriée. Mais pour le
directeur d'ENLM, la vision très monolithique selon laquelle zone
d'activité, zone de nature et zone de lotissement seraient
distingués porte préjudice aux politiques de nature. Pour lui, la
réalité d'aujourd'hui est la pluridisciplinarité. ENLM
gère
300 Marie Décima, Julie Nicolas, Antoine Vaast, «
Le dialogue, condition du succès de la réussite des projets, Le
dialogue territorial dans les démarches de trame verte et bleue »,
Cerdd, décembre 2010
301 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
302 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
303 Ibid.
304 Ibid.
305 Ibid.
76
1 300 hectares de nature sur les 83 000 hectares de la
communauté urbaine, il y a « besoin d'une conception plus
transversale. (...) Tant qu'il n'y a pas d'approche pluridisciplinaire, il n'y
a pas d'avancée »306. La Trame verte et bleue est
pluridisciplinaire car elle cherche à recouvrir tous les aspects du
« développement durable », en recoupant les piliers sociaux,
économiques et écologiques. La question économique revient
souvent dans le discours du président du syndicat mixte, qui pense que
l'avenir de la TVB se trouve dans le partenariat public-privé. Pour
Laure Cormier, il faut également que l'élu prenne conscience que
la TVB recouvre toutes ces dimensions.
b. Un discours pragmatique
La Trame verte est bleue peine à se faire accepter par
les acteurs du territoire, qui la voit comme un concept citadin mettant en
péril l'agriculture périurbaine, ou une contrainte
supplémentaire empêchant le développement économique
des communes. Face à ces réticences, le concept cherche à
s'imposer, en mettant en avant son aspect transcourant.
Pierre Dhenin a donc un « discours logique et
pratique, il doit produire de l'espace naturel et le gérer tel que
défini dans le champ de compétence de la métropole. Pour
en acquérir et en gérer, il doit lutter face à des enjeux
bien plus forts que lui »307. Il s'agit de promouvoir la
TVB comme le moteur d'une activité économique, et ENLM «
s'en sert car il y a des tensions sur les marches fonciers et les zones
vertes sont moins rentables. Pierre Dhenin sort un discours masqué pour
pouvoir faire son travail correctement »308. Ce discours
est effectivement tourné vers l'aspect économique, « Le
jour où on montrera que la trame verte est économiquement
efficiente, on aura tout gagné »309. Pour ce
dernier, il s'agit de « trouver ce qui est rentable pour un
industriel, pour un lotisseur, et de faire entrer la TVB dans leurs
conceptions. [...] Il faut encourager les efforts privés ou publics qui
vont dans le même sens. Les zones d'activités sont les plus
puissantes, mais on veut aussi des zones plus naturelles. Casino intervient
pour la sauvegarde du jardin des géants car l'espace vert fait partie de
l'image, les commerçants sont conscients de l'importance de l'image
».310
306 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
307 Entretien avec Guillaume Schmitt, géographe, le 2
avril 2015 à Lille
308 Ibid.
309 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
310 Ibid.
77
Il s'agit d'arriver à un « rapport
gagnant-gagnant »311 pour assurer la
pérennité de la trame verte. Et cela passe par la conciliation
des intérêts privés et publics, pas le biais
économique. Ainsi, la TVB lilloise, élaborée à son
origine dans un objectif d'améliorer l'image de la ville, reste
fidèle à cet engagement. La toute-puissance du discours
économique est également utilisée pour promouvoir un objet
qui use de propos également écologiques. Le syndicat mixte ENLM
met en avant l'aspect transversal de la TVB, et cette position est reprise par
l'agence d'urbanisme et de développement. Pour Ivanova Rodastina, «
la TVB est forcément multifonctionnelle, elle ne sert pas seulement
à protéger la biodiversité »312.
Ainsi, la position pragmatique de Pierre Dhenin permet de faciliter le dialogue
avec les élus, mais également les entrepreneurs. Jean-Michel
Lebot et François Philip s'interroge sur cet aspect consensuel, et se
demande si « l'objet trame verte concoure à l'hybridation du
discours et au compromis ».313
1.3.ENLM, un syndicat mixte prêt au compromis
a. Le partenariat avec la Chambre d'Agriculture
La Chambre d'Agriculture est le premier acteur à
convaincre du bien-fondé de la politique de Trame verte et bleue. En
effet, les territoires agricoles sont les premiers touchés par
l'artificialisation des sols, et le développement d'espaces verts
destinés aux citadins apparaît comme une forme d'artificialisation
qui menace l'activité agricole au profit d'espaces de loisirs. Les
Périseaux sont l'incarnation de la coordination des
intérêts agricoles et écologiques, et le dialogue entre
ENLM et la Chambre d'Agriculture a été rendu possible grâce
à Pierre Dhenin, qui assure que « les agriculteurs sont les
premiers acteurs à convaincre »314. La Plaine des
Périseaux s'étend sur 266 hectares, sur les communes de
Templemars, Vendeville, Wattignies et Faches-Thumesnil. Elle est,
d'après le PCET, « appelée à devenir un espace
protégé de l'urbanisation où dominent et cohabitent
harmonieusement agriculture raisonnée, nature préservée
(développement de la biodiversité) et espaces de loisirs,
respectueux de l'environnement »315. Il s'agit donc de
concilier un usage de loisir, avec des activités de promenade et une
agriculture qui assure la préservation du
311 Ibid.
312 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 19 mars 2015 à Lille
313 Jean-Michel Le Bot et François Philip, « Les
trames vertes urbaines, un nouveau support pour une cité verte ? »,
Développement durable & territoires, Vol. 3, n°2,
Juillet 2012
314 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
315 Plan Climat Energie Territorial de Lille métropole du
18/10/2013
78
paysage et de l'environnement. ENLM intervient dans la
délimitation des circuits pédestres à travers les champs,
et assure l'offre paysagère grâce à des aides
financières aux agriculteurs afin que ceux-ci permettent de «
préserver un paysage de campagne agréable et authentique
à destination du grand public afin de renforcer l'identité
paysagère rurale »316. Il n'y a donc pas
d'acquisition foncière mais « ENLM agit discrètement sur
l'existant, c'est-à-dire les espaces agricoles
»317.
Pour Pierre Dhenin, il s'agit d'un partenariat qui permet le
maintien d'une activité agricole productive et rentable, en favorisant
un « vrai rapport de producteur à consommateur
»318, par acculturation à travers le paysage, et
également par la mise en place d'un circuit court favorisant
l'agriculture biologique. En effet, en périphérie de
l'agglomération lilloise, « les 2/3 des agriculteurs tirent
profit de la proximité urbaine : 16% par la mise en oeuvre de
système de production spécialisés, 50% par l'offre de
services aux particuliers. L'agriculture dite de proximité est
considérée par les aménageurs comme apte à produire
une valeur ajoutée au territoire »319. Aujourd'hui,
l'élaboration de ce partenariat qui a commencé dès 2005
par la mise à disposition de la LMCU des chemins vicinaux et du site de
l'étang de pêche par les communes, se développe
progressivement, et en 2013 sont entrepris des travaux pour assurer 6 km de
promenade supplémentaires.
La mission d'ENLM est donc d'assurer une offre
paysagère pour le citadin, « tout en laissant place à
l'initiative et en accompagnant les exploitants. Lorsqu'un éleveur
remplace lui-même du maïs au bord de rivières par des
prairies, ENLM finances les clôtures »320. La
collaboration se perpétue également à travers
différents programmes, une aide à l'insertion paysagère
qui constitue en une formation de 3 à 5 jours avec des techniciens et un
paysagiste, et 2000€ de fourniture ; un réseau de fermes, qui
« rendent services aux visiteurs tandis qu'ENLM veille à la
qualité de ce qui est proposé »321 ; un
système d'associés à la gestion des espaces comme pour les
prés du Hem, fauchés deux fois par an par un agriculteur qui
récupère le fourrage.
316 Ibid.
317 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et
d'Urbanisme de Lille, le 19 mars 2015 à Lille
318 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
319 Nicolas Rouget, compte-rendu du Café géo de
Montpellier le 13 janvier 2015 intitulé « La ville et son
agriculture : retour vers le futur »
320 Ibid.
321 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
79
Le partenariat initié par le projet des
Périseaux permet la convergence des intérêts d'ENLM et de
la Chambre d'Agriculture, la Trame verte et bleue et l'agriculture
périurbaine ne sont plus incompatibles.
b. Eviter les conflits : satisfaire les usagers
La Trame verte et bleue s'adresse en premier lieu aux Lillois,
et ENLM s'attache à assurer le soutien des usagers à ce projet.
Pierre Dhenin met en avant la présence d'un conseil des usagers au sein
du syndicat mixte. En effet, la TVB est pensée dans une visée
sociale, celle de développer les espaces de nature de proximité
dans un souci de bien-être et de loisirs pour le citadin. Elle vise
également au rétablissement des continuités
écologiques, et à l'amélioration de la biodiversité
locale. L'accommodement de ces deux objectifs peut sembler périlleux,
car l'utilisation des sites à des fin récréatives conduit
au piétinement, et nuit à la faune et à la flore.
ENLM concilie ces deux visées grâce à un
aménagement complexe des espaces de nature dont il a la gestion. Pierre
Dhenin confirme que la fréquentation peut mettre à mal les
écosystèmes, et propose un principe de base « il faut
que le public soit dans les sites comme sur des rails
»322. Ces rails sont en fait des « chemins
extrêmement agréables, et s'il en sort, il est rapidement
arrêté »323. Ainsi, le marcheur se
promène sur un chemin large de 3 mètres, couvert de sable de
marquise, et de part à d'autre de ce chemin s'étendent tout
d'abord du gazon tondu d'une largeur d'un mètre, procurant un «
sentiment de propreté »324, puis quelques
mètres de prairie, suivi d'un alignement d'arbres, puis de broussailles,
de ronces et enfin de murs qui protègent les coeurs de nature. Le
promeneur « ne les voit pas, il a un sentiment de liberté, car
l'interdit n'apparaît pas »325. Pierre Dhenin
poursuit : « Les familles ont besoin de 2h30 de promenade tous les
dimanches. Oui, mais sans détruire. On peut voir le coeur de nature mais
pas y pénétrer »326. Le Lac du Héron,
à Villeneuve-d'Ascq, voit passer près de 8 000 usagers certains
dimanches.
Le directeur d'ENLM souhaite aussi montrer que la TVB peut
profiter aux résidents. Un projet de sentier à travers le parc du
Héron devait être un chemin agricole qui « passe
derrière
322 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
323 Ibid.
324 Ibid.
325 Ibid.
326 Ibid.
80
un lotissement et qui arrive sur la rivière de la
Marcq »327. Mais ce projet rencontre l'opposition des
habitants des lotissements. ENLM organise des réunions publiques avec
les riverains, « pour étudier ce qui est possible, et comment
garantir l'intimité des gens »328. Finalement, ENLM
assure le rehaussement des haies, et « dans les faits, les gens se
rendent compte que c'est très bien et qu'en plus, la maison prend de la
valeur »329. Cela constitue pour ENLM « un
exemple à montrer, et permet de désamorcer les bombes
»330.
Ainsi, la Trame verte semble satisfaire les résidents,
les usagers, et les impératifs écologiques. La
multifonctionnalité de la trame verte oblige son aspect consensuel. Si
elle est parfois mal perçue par les acteurs du territoire, que ce soit
par la Chambre d'Agriculture qui l'entend comme un nouveau grignotement des
territoires ruraux, ou par les élus qui redoutent son aspect
réglementaire, elle est en fait multifonctionnelle. Du moins est-ce le
souhait du syndicat mixte Espace Naturel Lille Métropole qui porte le
projet de Trame verte et bleue lilloise. La position d'ENLM est pragmatique, il
s'agit de faire des espaces de nature en ville et de le faire admettre par la
majorité afin de d'assurer sa durabilité. Toutefois, si
l'apparition de la politique de Trame verte et bleue lilloise semble parfois
ignorer la dimension écologique, elle doit pourtant s'y attacher, et
apparaissent un certain nombre de questionnement quant à la
légitimité de la restauration des milieux naturels.
2. Du marketing territorial à promotion de la
biodiversité locale
Les politiques de verdissement de la ville sont initiées
dans le souci d'améliorer son
image, afin d'en faire un cadre de vie agréable pour
les habitants. Quand on parle de verdissement, celui-ci passe par le
développement d'une politique de protection de la biodiversité.
Mais de quelle biodiversité parle-t-on ? En effet, cette notion renvoie
à une multitude de réalité, et l'adéquation entre
l'idée d'une ville verte et sa matérialisation soulève de
nombreuses problématiques.
327 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
328 Ibid.
329 Ibid.
330 Ibid.
81
2.1.Une politique de biodiversité dans un objectif de
« marketing territorial »
a. La promotion de la ville verte
Toutes les métropoles sont soucieuses de l'image
qu'elles renvoient, que ce soit celle d'une ville minéralisée ou
celle d'une ville verte. Richard Florida défend l'idée selon
laquelle les métropoles sont en compétition331. La
performance de la ville dépend de la « classe créative
» qui recouvre une grande variété de métiers, de
l'ingénieur au journaliste. Le développement urbain dépend
de ces membres de la classe créative, qui sont les moteurs de la
création d'activités nouvelles. L'attraction de ces «
créatifs » apparait comme la solution pour obtenir le
développement des villes. Si la pertinence de cette hypothèse a
été remise en question, notamment par le sociologue Alain
Bourdin332, elle a été employée par les
métropoles car elle est peu onéreuse, attirer des personnes est
moins couteux que d'attirer des entreprises.
Lille est un exemple parlant de cette volonté d'attirer
les créatifs, et cela passe par la promotion d'une certaine image de la
ville. Ce marketing territorial débute avec Euralille qui «
peut apparaître comme un prototype de la ville marketing avec un lieu
générateur, la gare TGV, et un architecte médiatique, Rem
Koolhaas »333. La rupture induite par ses
aménagements a considérablement fait évoluer la perception
de la ville elle-même. Toutefois, « depuis Euralille, les temps
ont changé, et (...) nous avons fait le constat d'une contradiction
croissante entre deux types de marketing : le premier à destination des
décideurs économiques, qui a pour objectif d'inciter à des
implantations ou à des développements d'activités, et le
second à destination des habitants, visant à convaincre ceux-ci
de la qualité des services urbains locaux. Ces deux marketings ne
convergent pas spontanément, car les habitants n'aspirent par
d'emblée au « développement », mais plutôt
à l'amélioration constante de leur cadre de vie
»334.
Ainsi, la LMCU, afin de satisfaire les citadins,
développe une « ambition politique de faire du marketing
territorial »335 autour de la « création
d'espaces ludique et récréatifs »336. La TVB
est pensée à la fois comme un moyen d'attirer les classes
créatives et de satisfaire les
331 Richard Florida, The Flight of the Creative Class. The
New Global Competition for Talent, 2005
332 Alain Bourdin, « La classe créative existe-elle ?
» Revue d'Urbanisme, n°344, 2005
333 Antoine Loubière, « La ville marketing »,
Revue d'Urbanisme, n°344, 2005
334 Ibid.
335 Entretien avec Guillaume Schmitt, géographe, le 2
avril 2015 à Lille
336 Ibid.
82
habitants en proposant un corrigeant l'image négative
dont souffre Lille, celle d'une ville minéralisée avec
très peu d'espaces verts. Pour Laure Cormier, cette dimension marketing
de des espaces de nature est une réalité partout en France, et
« la ville végétale, c'est surtout une question d'image
et d'attractivité des foyers »337. Ainsi, la Trame
verte et bleue reste fidèle à ce « projet de faire du
ludique, du récréatif alors que l'objectif initial était
plutôt écologique. Aujourd'hui, on constate qu'il y a plus de
projets relatifs au cadre de vie qu'à la biodiversité, et le
cadre de vie, c'est un peu de paysage et très peu de biodiversité
»338. Le paysage est donc « la clé
d'entrée pour l'attractivité »339.
b. Une politique de biodiversité
publicisée
L'attractivité du territoire est directement
influencée par le paysage, et « finalement,
l'attractivité économique vient aussi de l'attractivité
tout court du territoire »340. La Trame verte et bleue est
donc le moteur de l'activité économique, en promouvant un cadre
de vie agréable pour les entrepreneurs et les habitants. Il s'agit donc
de développer l'idée selon laquelle cet outil
d'aménagement est un « élément de valorisation du
territoire facile à mettre en oeuvre »341 pour
convaincre notamment les élus.
L'affichage occupe donc une place prépondérante,
et ENLM doit communiquer atour de ses projets. Nicolas Rouget compare la
politique d'ENLM dans les Périseaux qui cherche à «
produire une campagne pour satisfaire les besoins des citadins
»342, et la zone maraîchère et horticole de
Wavrin « qui n'a pas cette visée »343. En
effet, cette dernière est une exploitation agricole alternative,
centrée sur le maraîchage et l'agriculture biologique, et pourtant
« c'est totalement fermé, il n'y a aucun affichage
»344. Le projet de trame verte « relève de
la volonté des élus d'être dans l'affichage, dans la
promotion de la ville verte »345.
Toutefois, les dimensions matérielles et
immatérielles du paysage sont indissociables. La promotion de la ville
verte, qui cherche à retranscrire les attentes de la
société concernant leur environnement, ne peut pas se faire sans
sa matérialisation. La mission d'ENLM est donc
337 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
338 Entretien avec Guillaume Schmitt, géographe, le 2
avril 2015 à Lille
339 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 19 mars 2015 à Lille
340 Ibid.
341 Ibid.
342 Entretien avec Nicolas Rouget, géographe, 10
février 2015 à Lille
343 Ibid.
344 Ibid.
345 Ibid.
83
d'accorder le discours politique qui répond à
des exigences d'attractivité et la dimension matérielle de la
trame verte. La Trame verte et bleue lilloise répond donc à une
ambition politique dans un souci de promouvoir la ville. La LMCU a longtemps
souffert de la représentation négative des villes industrielles,
et les grands projets d'aménagement des deux dernières
décennies, notamment sous l'impulsion de Pierre Mauroy, ont
cherché à améliorer cette image dans l'idée
d'attirer les entrepreneurs et de satisfaire les résidents. Le cadre de
vie apparaît comme un élément central du marketing de la
ville, et explique le développement des concepts de verdissement. Si la
Trame verte et bleue est pensée à l'échelle de la
métropole comme un concept à visée économique, elle
reste toutefois une politique de gestion des espaces verts et de la
biodiversité. ENLM a donc la tâche de concilier ces objectifs qui
répondent pourtant à des idéologies bien
différentes, celle du développement économique, et celle
de la protection de la faune et de la flore locales.
2.2. La gestion des espaces naturels et l'écologie
de la restauration
a. L'écologie de la restauration
La Trame verte et bleue s'attache à restaurer les
espaces naturels, afin de permettre une amélioration de la
biodiversité et de lutter contre les conséquences de la
fragmentation des habitats naturels. Cette entreprise correspond à
l'idéologie de l'écologie de la restauration. Il s'agit de «
réhabiliter ou de rétablir des espèces, des
populations et des systèmes dégradés ou condamnés
par les usages sociaux multiples des ressources naturelles accumulées
à travers l'histoire »346. L'écologie de la
restauration apparaît comme un domaine susceptible d'être
critiqué. En effet, l'application de cette idéologie ne peut pas
être la traduction pure et simple de normes biologiques, « il
s'agit inévitablement du produit d'une négociation sur la place
à accorder aux valeurs « naturelles » dans nos
sociétés contemporaines »347. De plus, il
existe un débat éthique qui interroge la légitimité
d'une intervention réparatrice et « la référence
à l'esthétisation de la nature qui conduit à une
hiérarchie des formes de spectacle qu'elle peut offrir
»348.
Le fait de renaturer un espace pose donc de nombreuses
questions. En effet, la restauration ne chercher pas à arrêter ou
empêcher un processus d'anthropisation, mais vise à
346 Jean-Louis Fabiani, « Ethiques et politiques de la
techno-nature », Revue européenne des sciences sociales, n°
118, pp. 5-18, 2000
347 Ibid.
348 Ibid.
84
« remonter le cours du temps de l'anthropisation
à l'aide de dispositifs anthropiques »349. Robert
Elliot, dans l'article de référence Faking
Nature350 s'interroge sur la légitimité du
remplacement d'éléments de natures disparus ou très
fortement dégradés, et défend l'idée selon laquelle
la restauration « ne permet pas de retrouver la valeur naturelle ou la
naturalité de la nature, dans la mesure où le processus
perturbation/restauration, qui postule un certain type de
réversibilité, ne permet pas de retrouver la valeur naturelle ou
la naturalité de la nature existant antérieurement à la
modification d'un espace »351. La renaturation est donc un
processus d'anthropisation qui correspond à une représentation de
la nature, et ils ont un caractère d'artefact.
L'application de cette idéologie pose problème,
et Jacques Lecomte, président du programme du ministère de
l'environnement « Recréer la nature, réhabilitation,
restauration et création d'écosystèmes » lancé
en 1996 ajoute : « ce que j'ai voulu, c'est montrer à quel
point la liaison entre l'écologie fondamentale et la pratique de la
restauration pouvait être délicate »352. En
effet, « la re-création de la nature suppose un état de
référence. Or celui-ci ne peut être que subjectif. A quel
temps, à quelle histoire se reporte-t-on ? »353. La
restauration fait donc intervenir une série de controverses qui
s'attache à la question des représentations de la nature, et de
la légitimité de la renaturation. La définition de la
nature est le reflet des attentes sociales, et sa recréation peut
être biaisée car en décalage avec la réalité
d'un état initial. L'élaboration de la Trame verte et bleue du
Poitou Charentes a voulu « réinstaurer un bocage détruit
à cause du remembrement, pour un paysage plus champêtre. Mais
quand on interroge les habitants, on se rend compte qu'il n'y a jamais eu de
bocage ! La TVB correspond à un modèle culturel avec un paysage
bucolique de haies et de bocages »354. Pour Jacques
Lecomte, les politiques de renaturation sont donc dangereuse, « rien
d'irréversible ne doit être réalisé dans le milieu
naturel ».355
b. La gestion des espaces naturels
ENLM engage des politiques de renaturation sur la Trame verte
et bleue dans l'objectif de sauvegarder des écosystèmes, et donc,
des espèces locales. L'écologie de la restauration invite
349 Ibid.
350 Robert Eliott, Faking Nature : the Ethics of
Environmental Restoration, 1982
351 Jean-Louis Fabiani, « Ethiques et politiques de la
techno-nature », Revue européenne des sciences sociales, n°
118, pp. 5-18, 2000
352 Moune Poli, « Recréer la nature »,
Espaces naturels, n°1, janvier 2003
353 Ibid.
354 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
355 Moune Poli, « Recréer la nature »,
Espaces naturels, n°1, janvier 2003
85
à s'interroger sur la représentation de la
nature, et donc, sur les implications concernant la biodiversité locale.
En effet, les valeurs projetées par les citadins sur la nature ne
peuvent être dissociées d'une matérialisation et cette
dernière implique un choix dans la gestion des espaces naturels. «
Le respect de la nature, principe quasi-sacralisé de
non-interventionnisme, s'est donc inversé en parti-pris gestionnaire
»356.
Cette gestion passe par « la manière dont
(ENLM) conçoit la plantation »357. Pierre Dhenin,
son directeur, ajoute : « Dans le parc de la Deûle, il y a des
plantations pour avoir des baies toute l'année. Il y a 7 ans, il a fait
un froid sibérien, et le jaseur boréal s'installe là
où il a à manger. Il y a eu une colonie d'environ 10 jaseurs qui
sont restés un mois avant de remonter. La qualité des boisements
génère la qualité des lieux. Si on mélange les
espèces botaniques, on aura un mélange des espèces
animales. C'est à nous, dans nos choix de plantation, d'offrir cette
diversité. On abat 150 peupliers à Villeneuve d'Ascq, et on
replante des espèces variées. Sur un if, on trouve 5 à 6
variétés d'insectes, et sur un bouleau, 176 espèces donc
on a des oiseaux plus variés ».358
La Trame verte et bleue lilloise est donc le résultat
d'un travail précis de mélange des essences. La renaturation
permet l'enrichissement de la biodiversité, et le directeur d'ENLM
souligne bien que les espèces qui sont replantés sont des
espèces floristiques indigènes, qui attirent donc une faune
elle-aussi indigène. Toutefois, la sélection des essences, qui
entraine la destruction d'autres, peut poser des problèmes
éthiques. La gestion des espaces de nature conduit en effet à
détruire les espèces qui ne seraient pas locales, ou qui
n'apporterait aucune plus-value à la biodiversité. Cette gestion
n'est pas toujours aussi précise, il peut également s'agir de la
promotion d'une nature « sauvage » au sein de la TVB. A «
Sainghin en Mélantois, il y a un petit étang, qui
était beaucoup trop bien entretenu. On est passé de 12 tontes
à 2 fauches par an. C'est un lieu de fort passage, mais cela
n'empêche pas la diversité ; les martins pêcheurs se sont
réinstallés »359.
La modification d'une gestion pour qu'elle devienne plus
« douce » pour la biodiversité est une réalité
pour toutes les politiques visant à améliorer la
biodiversité. « Dans la forêt, du point de vue de la
biodiversité, c'est limité, parce qu'il n'y a pas de
photosynthèse en strate
356 Jean-Louis Fabiani, « Ethiques et politiques de la
techno-nature », Revue européenne des sciences sociales, n°
118, pp. 5-18, 2000
357 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
358 Ibid.
359 Ibid.
86
inférieure. Au contraire, dans les friches, c'est
là qu'on trouve la plus grande biodiversité, grâce aux
essences prairiales. Mais la friche est un état temporaire, qui est
destiné à devenir une forêt. La gestion permet, en
évitant les arbres, de favoriser cet état temporaire
»360. Ces gestions permettent de lutter contre
l'appauvrissement de la biodiversité, et, pour Laure Cormier, «
il est illusoire de se dire que dans notre société, il peut
ne pas y avoir de gestion ».361
La gestion actuelle de la Trame verte et bleue lilloise ne met
donc en avant « les usages et les pratiques associées à
ces gestions »362, ces usages permettant « la
durabilité du système »363.
L'écologie de la restauration passe par des modes de gestion
différenciés qui détruisent des espèces
indésirables, et qui modifient le paysage, ou au contraire,
empêche son évolution naturelle vers un autre milieu, au nom de
l'accroissement de la biodiversité.
2.3.Une biodiversité d' « agrément » ?
a. La biodiversité, un mot valise
Historiquement, « l'expression de la «
biodiversité » est construite au début des années
1980, avec l'objectif de faire du vivant une ressource, d'en faire quelque
chose de marchant pour mettre en place des mesures compensatoires. L'usage de
la biodiversité était fait dans un paradigme singulier
»364. Aujourd'hui, la notion de « biodiversité
» est un mot valise, Guillaume Schmitt invite à «
remplacer « biodiversité » par « développement
durable » dans les discours, ou remplacer « Agenda 21 » par
« TVB », et on aura le même discours »365.
Bien que le contenu de sa définition reste flou, elle est de plus en
plus utilisée par les acteurs du territoire. Pour Laure Cormier, il
s'agit d'une petite victoire, « on n'en parlait même pas de la
biodiversité, ou très peu. On disait : «qu'est-ce qu'il nous
énerve ce crapeauduc ! «»366, mais ajoute que
ce terme réduit la richesse des écosystèmes. Pour
André Micoud, « la diversité
360 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
361 Ibid.
362 Ibid.
363 Ibid.
364 Entretien avec Guillaume Schmitt, géographe, le 2
avril 2015 à Lille
365 Ibid.
366 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
87
biologique, alias bio-diversité, est devenue un
slogan de la revendication de gestion écologique
».367
La Trame verte et bleue s'attache à favoriser la
biodiversité locale, et le rôle des experts de la
biodiversité est prépondérant. Le Conservatoire botanique
de Bailleul, qui travaille en partenariat avec le syndicat mixte, identifie les
espèces indigènes, et les menaces qui pèsent sur la
biodiversité locale. Lors de la Journée de l'observatoire, en
2011, Jean-Marc Valet, le directeur général du conservatoire,
fait l'état des lieux des pressions actuelles sur la nature
régionale, en se demandant « comment se porte la flore du
Nord-Pas de Calais »368. Il insiste sur la richesse
floristique, et ajoute que « les espèces rares, très
rares et exceptionnelles ont soit disparue, soit elles sont aujourd'hui dans
des secteurs qui sont préservés »369.
L'évocation d'espèces qui seraient remarquables, et d'autres,
communes, soulève des questions. En effet, l'objectif est de favoriser
la biodiversité locale, mais il existe au sein de cette
biodiversité, une hiérarchie entre les espèces. Le PCET
suit cette même-idée en ajoutant qu'il faut « prioriser
la fonction écologique des sites qui possèdent une qualité
écologique et paysagère remarquable »370.
Ainsi, il existe des milieux ou des espèces qui ont un caractère
« remarquable » tandis que d'autres sont plus communs. La
biodiversité est donc un « mot valise » dans le sens où
il est aujourd'hui utilisé dans les discours des élus comme dans
ceux des experts. Et pourtant, il recouvre des réalités bien
différentes, car il regroupe un aspect remarquable et un aspect
commun.
Favoriser la biodiversité locale passe aussi par
l'éradication des espèces introduites, qui ne seraient pas
indigènes, et qui correspond pour José Godin, président du
groupe ornithologique et naturaliste du Nord-Pas de Calais, à une «
biodiversité négative »371. Il
apparaît donc que la biodiversité est à la fois la
biodiversité remarquable, la biodiversité commune, et la
biodiversité dite négative. Et pourtant, ce terme est
utilisé dans les discours sans que les orateurs en mesurent
forcément la complexité.
367 André Micoud et Valentin Pelosse, « Du domestique
au sauvage cultivé : des catégories pertinentes pour la
biodiversité ? », Etudes rurales, Vol. 129,
n°129-130, 1993
368 Jean-Marc Valet, Directeur Général de
Conservatoire Botanique National de Bailleul lors de la Journée annuelle
de l'Observatoire, « Un point complet sur l'état de santé de
la nature en Nord-Pas de Calais », le vendredi 20 mai 2011
369 Ibid.
370 Plan Climat Energie Territorial de Lille métropole du
18/10/2013
http://www.lillemetropole.fr/files/live/sites/lmcu/files/images/ACTUALITES/DEVELOPPEMENT%20DURAB
LE/plan%20climat%20energie.pdf
371 José Godin, Président du groupe ornithologique
et naturaliste du Nord-Pas de Calais lors de la Journée
annuelle de l'Observatoire, « Un point complet sur
l'état de santé de la nature en Nord-Pas de Calais », le
vendredi 20 mai 2011
88
b. Une sélection au sein de la
biodiversité
Les corridors écologiques sont souvent destinés
à un certain type d'espèces, car il est presque impossible de les
rendre performants pour des espèces dont les caractéristiques
sont trop éloignées. En mettant en place ces infrastructures
naturelles, on favorise donc une certaine biodiversité au
détriment d'une autre. La Trame verte et bleue, par ses
opérations de gestion des espaces naturelles, conduit techniquement
à l'amélioration de certaines espèces tandis que d'autres
ne suscitent pas son intérêt et sa réaction.
D'après Chantal Aspe, la biodiversité est un
« produit social historiquement construit »372.
Elle souligne également le rôle des différents savoirs dans
le processus de construction. Les normes de conservation produites par
l'écologie scientifique permettent d'élaborer une nouvelle grille
de références qui participent à l'élaboration de
représentations considérées comme légitimes. Ainsi,
les discours des experts conditionnent une certaine vision de la
biodiversité. La Trame verte et bleue s'inspire de ces travaux, et
alimentent cette représentation, en la transmettant aux usagers. Les
experts de la biodiversité, en mettant en avant certains aspects de la
biodiversité, créent donc une structure qui s'étend
à la société, lui permettant de juger ce qui serait une
« bonne » biodiversité ou une « mauvaise »
biodiversité.
De plus, en érigeant les normes qui doivent encadrer la
biodiversité, les experts, puis tous les acteurs des politiques
écologiques, participent à une « muséification »
de cette biodiversité. Pour Christophe Calenge, la biodiversité
de la trame verte est la traduction d'une représentation de la nature
qui « n'est pas sauvage »373. En effet, la
gestion des espaces naturels afin de favoriser la biodiversité «
rend la nature à l'homme, elle la civilise. [...] On pouvait
piétiner les pelouses entre les immeubles ; il sera plus difficile de
mépriser ou d'ignorer les arbres, les haies, les cheminements
piétonniers, les ronds-points « paysagers », les massifs et
les compositions florales. [...] Bref, la trame verte
»374. La gestion de la nature est répond à
une « idéologie dans la mesure où elle fournit un jeu de
représentations liées structurant l'imaginaire de la ville dans
ses rapports à l'espace et à la nature »375.
Ainsi, la gestion de la biodiversité, qui est d'abord prôné
par les scientifiques, devient peu à peu une représentation
commune de la nature en ville, et la TVB participe pleinement de cette
entreprise.
372 Chantal Aspe, « De la gestion des ressources naturelles
à la patrimonialisation : biodiversité savante et
biodiversité populaire. Quels savoirs, valeurs et échelles pour
une gestion durable », 2012
373 Christian Calenge, « Idéologie verte et
rhétorique paysagère », Communications, 2003,
n°74, pp. 33-47
374 Ibid.
375 Ibid.
89
Ainsi, une politique initialement centrée sur le
désir de rendre la ville attractive permet de faire émerger une
préoccupation portée par les élus et nourrie par les
experts de la biodiversité. Toutefois, ce déroulement peut poser
des problèmes car la politique de Trame verte et bleue nécessite
de restaurer des espaces naturels afin de rétablir les
continuités écologiques. Pourtant, cette restauration
soulève un certain nombre de questionnements éthiques et la
gestion de la biodiversité alimente un processus de sélection des
espèces souhaitables et de destruction des espèces
indésirables. Finalement, quelle est la place de la nature dans la ville
?
3. Quelle place pour la nature en ville ? 3.1.La
biodiversité urbaine
a. « Faire place à la nature en ville
»376
La Trame verte et bleue lilloise cherche à associer la
nature et la ville, mais « de quoi parle-t-on lorsqu'on parle de nature en
ville ? « Dans les villes, la nature matérielle n'existe donc
pour la société qu'en tant qu'elle est expliquée ou
incomprise, qualifié ou déqualifiée, manipulée ou
non manipulée par les hommes. Ceux dont le métier est de produire
et de gérer la nature dans les villes, comme les paysagistes, les
écologues et les jardiniers s'intéressent particulièrement
aux espaces non construits qui sont occupés par les espaces verts,
boisés et cultivés, et par la vie végétale et
animale qui leur est associée ».377
La nature en ville est donc une nature qui est produite et
gérée, et qui se doit de répondre aux
représentations citadines. Elle peut être à la fois un
« décor urbain » qui qualifie l'attractivité des
villes, et la qualité de vie des habitants. Dans cette fonction, elle se
doit d'être en adéquation avec les attentes esthétiques de
citadins. « La nature spontanée, qui est valorisée par
les naturalistes et parfois pas les paysagistes, suscite en
général chez les citadins à la fois rejet et fascination
»378. Mais la nature n'occupe pas seulement une place de
décor, elle est également sujette à des jugements qui en
font une nécessité, ou une menace pour la ville. La nature permet
en effet de lutter contre les îlots de chaleur grâce à un
376 Pierre Donadieu, « Faire place à la nature en
ville, la nécessité de nouveaux métiers »,
Métropolitiques.eu,
le 11/02/2013
377 Ibid.
378 Pierre Donadieu, « Faire place à la nature en
ville, la nécessité de nouveaux métiers »,
Métropolitiques.eu,
le 11/02/2013
90
phénomène de micro-climatisation. Mais il existe
également une résistance sociale vis-à-vis de cette
nature, contre les pigeons, les étourneaux, certains rongeurs ou encore
les racines destructrices de certains arbres. Ainsi, la question de la nature
en ville recouvre un ensemble de problématiques qui participent de sa
représentation, et de ses effets sur le milieu urbain. L'idée de
laisser sa place à la nature en ville ne s'impose pas d'elle-même,
et si elle doit progressivement coloniser les esprits, elle répond
pourtant à un certain imaginaire.
Dans le cas de la Trame verte et bleue, les espaces de nature
périurbains reçoivent le soutien des usagers, qui profitent de
cette offre récréative et paysagère. Mais qu'en serait-il
si cet aspect social était soumis aux priorités
écologiques ?
b. Laisser la nature reprendre ses droits
Pour Jean-Michel Le Bot et François Philip, « la
meilleure méthode, c'est l'absence d'action, c'est de ne rien faire.
C'est de laisser la nature reprendre ses droits »379. La ville
est effectivement, si l'on reprend les mots de Philippe Clergeau, le «
sanctuaire de la biodiversité spontanée
»380. Si la gestion des écosystèmes par le
syndicat mixte ENLM est entreprise dans le but d'améliorer la
biodiversité, et notamment de permettre la réapparition d'une
biodiversité remarquable, il apparaît également que la
végétation spontanée est très riche. En effet,
« une pollution plus forte qu'ailleurs peut parfois être
génératrice de réaction et de réadaptation
d'espèces. Cela crée des choses singulières. On peut
prendre l'exemple des terrils, qui ont permis l'apparition d'une
végétation qu'on ne va pas retrouver à côté
»381.
La biodiversité urbaine qui serait spontanée
n'est pas une utopie. Philippe Clergeau démontrent que les villes
accueillent une grande variété d'oiseau et de plantes dans leurs
espaces publics. L'objectif est de pouvoir identifier les contraintes à
l'installation de la faune et de la flore en milieu urbain, afin de «
dépasser la simple typologie de la qualité biologique de
certains espaces »382. Le schéma directeur de 2002
de la métropole lilloise ajoute que, « contrairement à
une idée reçue, la ville et sa périphérie
constituent aussi un espace refuge
379 Jean-Michel Le Bot et François Philip, « Les
trames vertes urbaines, un nouveau support pour une cité verte ? »,
Développement durable & territoires, Vol. 3, n°2,
Juillet 2012
380 Philippe Clergeau, Une écologie du paysage
urbain, Ed. Apogée, Rennes, 2007
381 Entretien avec Guillaume Schmitt, géographe, le 2
avril 2015 à Lille
382 Philippe Clergeau, « Biodiversité urbaine : de
l'inventaire naturaliste au fonctionnement écologique »,
Société Française d'Ecologie, 16 décembre
2010
91
pour la faune et la flore, complémentaire des zones
naturelles protégées. En effet, le milieu urbain présente
des caractéristiques que n'offre pas toujours l'espace
rural.»383
Toutefois, cette biodiversité urbaine, bien qu'elle
soit présente, doit être encouragée, et il est
nécessaire de maintenir la qualité des ressources en air, en sol,
et en eau, nécessaire aux espèces. Jean-Marc Valet, lors de la
journée sur la biodiversité, souligne que « sur des
friches, des espaces urbanisés perdus ou sur la biodiversité
urbaine, beaucoup de chose sont faites ».384
c. Arrêter la chasse aux espèces «
envahissantes »
Le conservatoire botanique de Bailleul inventorie les
espèces faunistique et floristique de la région Nord-Pas de
Calais, et ces inventaires distingue la biodiversité indigène, et
les espèces invasives. Le travail d'inventaire peut être
assimilé à une forme de patrimonialisation de la
biodiversité locale, celle-ci est désormais inscrite,
chiffrée, et on lui donne une valeur. La biodiversité locale est
la seule qui soit digne d'être protégée, car elle est la
seule qui soit authentique. De cette idée découle
l'impératif d'éradiquer la biodiversité qui ne serait pas
locale. Gille Clément, paysagiste reconnu, théoricien du tiers
paysage qui désigne l'ensemble des espaces qui, négligés
ou inexploités par l'homme, présentent davantage de richesse
naturelle en termes de biodiversité, remet en question la conservation
à tout prix des espèces indigènes.
Dans son ouvrage Plantes envahissantes, pionnières
ou simplement expansives ?, il constate que toutes les espèces
dites indigènes, celles qui ont le mérite d'être
patrimonialisées, sont au départ des espèces
pionnières. Le mouvement de diffusion des semences est naturel : «
Depuis toujours les vents, les courants marins, les animaux transportent
les semences ou les éclats de plantes. Ces graines, ces fragments
végétatifs s'installent lorsque les conditions leur sont
favorables en des lieux opportuns. Les plantes venues d'ailleurs se trouvent
alors au voisinage de celles qui semblent avoir toujours été
là ou qui, dans tous les cas, se trouvaient en place avant leur
arrivée »385. De plus, ces espèces
exogènes permettent un accroissement de la diversité locale,
lorsqu'elles cohabitent avec les espèces indigènes. Toutefois,
« d'autres
383 Schéma Directeur de Développement et
d'Urbanisme de Lille Métropole, élaboré par le Syndicat
mixte du Schéma Directeur de Lille Métropole et approuvé
le 6 décembre 2002
384 Jean-Marc Valet, Directeur Général de
Conservatoire Botanique National de Bailleul lors de la Journée annuelle
de l'Observatoire, « Un point complet sur l'état de santé de
la nature en Nord-Pas de Calais », le vendredi 20 mai 2011
385 Gilles Clément, Plantes envahissantes,
pionnières ou simplement expansives ?, Ed. Terre Vivante, 2014
92
fois les plantes exogènes se trouvent en
compétition avec les espèces locales et la diversité
s'amenuise sous l'effet d'une pression conquérante
».386
Il convient donc de différencier les espèces
exogènes qui seraient pionnières, et qui permettraient
d'améliorer la richesse des écosystèmes, et les
espèces invasives qui mettent en péril la biodiversité
préexistante à leur apparition sur le territoire. Ainsi, au sein
de la « biodiversité négative », on peut distinguer les
espèces qui sont opportunistes, pionnières, conquérantes
et envahissantes.
A ce jour, les experts de la biodiversité publient des
inventaires précis sur les espèces locales, et ceux-ci servent de
référentiels à tous les acteurs impliqués dans la
gestion de la biodiversité. Pourtant, le terme de biodiversité
recouvre une multitude de situations, et l'édiction de normes
n'évalue qu'un écart entre la réalité, et une
certaine idée de la conformité. Ce processus de
patrimonialisation de la biodiversité est le fait des scientifiques, et
se transmet plus largement à l'ensemble de la société,
fondant ainsi des représentations de la nature. La
hiérarchisation des espèces, le souci d'authenticité sont
aujourd'hui les maîtres mots de toutes entreprises de restauration.
3.2.L'évaluation du concept de TVB
a. La Trame verte et bleue balayée par
l'hémicycle
La politique européenne intitulé « Natura
2000 », qui visait à mettre en place un réseau
européen de sites écologiques, est lancée par la directive
« Oiseaux » de 1979 et la directive « Habitats faune flore
» de 1992. Aujourd'hui, ces initiatives européennes sont souvent
perçues comme des échecs, les acteurs perçoivent mal cette
domination communautaire, et la concertation est souvent difficile pour la mise
en oeuvre de ces zones protégées. Les directives ont souvent
été qualifiées d'échec, et les chercheurs invitent
à en identifier les raisons pour ne pas reproduire cette situation. Les
réactions hostiles des agriculteurs, des forestiers privés, des
propriétaires, des chasseurs et pêcheurs, et des maires de
communes forestières s'expliquent par « les risques qui en
découleraient au niveau de l'emploi »387 et par
« l'absence quasi-
386 Ibid.
387 J.-C Rameau, « La directive « Habitats » :
analyse d'un échec, réflexions pour l'avenir », Revue
Forestière Française, n°5, 1997
93
totale de concertation qui a caractérisé la
définition des futures zones spéciales de conservation
».388
Si la politique de conservation de la biodiversité
qu'est Natura 2000 génère autant d'oppositions, on peut
s'interroger sur le possible échec du concept de TVB. Ce concept, et le
syndicat mixte qui oeuvre à son élaboration, met en avant
l'importance de l'information et de la concertation. Pourtant, le
bien-fondé de cette politique n'est pas évident pour tous les
acteurs du territoire, certains élus se sentent
dépossédés, la Chambre d'Agriculture se sent
menacée, et la réglementation qui est en voie d'être
adoptée à travers les documents d'urbanisme nourrit des
discussions vives entres tous ces acteurs.
Aujourd'hui, un concept présenté par l'Agence
d'aménagement et d'urbanisme de Lille apparaît comme la prochaine
politique verte, c'est l'hémicycle et il a « a beaucoup de
succès auprès des élus »389. Il
s'agit de « zones de transition entre l'espace naturel et l'espace
urbain (...) identifiées comme étant particulièrement
vulnérables à l'étalement urbain. Ces ceintures vertes
constituent des espaces riches indispensables à l'absorption des
nuisances produites par la ville »390. Ce concept use du
même répertoire de légitimité que celui de la Trame
verte et bleue : « (l'hémicycle) génère des
externalités positives en termes d'adaptation (barrière contre
l'artificialisation des sols et l'expansion des surfaces
imperméabilisées), de paysage et d'attractivité du
territoire, de lien social et de sensibilisation des consommateurs...Elles
peuvent devenir des espaces naturels de proximité accueillant des
activités récréatives compatibles avec les
activités agricoles ».391
Cependant, contrairement au concept de Trame verte et bleue
qui n'a pas l'ambition d'être une « ceinture verte » limitant
l'artificialisation des sols, l'hémicycle est un outil qui permettrait
de redensifier la ville. L'offre de loisirs reste au coeur des discours, «
il y a un grand potentiel de l'hémicycle en termes
récréatif »392, et ce nouvel outil s'inspire
de la plaine des Périseaux : « il y a un accord avec la Chambre
d'Agriculture pour laisser une part plus importante aux promeneurs
»393. L'idée est de « pérenniser la
vocation agricole et de l'ouvrir
388 Ibid.
389 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 19 mars 2015 à Lille
390 Plan Climat Energie Territorial de Lille métropole du
18/10/2013
391 Ibid.
392 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 19 mars 2015 à Lille
393 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable Structure
territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille,
le 19 mars 2015 à Lille
94
aux citadins »394, « de
révéler le paysage métropolitain en favorisant
l'accès aux espaces naturels et à l'agriculture du territoire
»395. La consultation Lille 2030 met à l'honneur le
concept d'hémicycle, la qualifiant de « lisière
épaisse qui devient la grande rive agricole et paysagère de
l'éco-métropole ».396
Toutefois, pour Pierre Dhenin, « avec
l'hémicycle et la TVB, on repaye deux fois la même chose. C'est un
concept d'architecte bien vendu ».397 Si le directeur
d'ENLM ne comprend pas l'utilité de ce nouveau concept, qu'en est-il de
l'avenir de la Trame verte et bleue lilloise ?
b. L'enjeu pour la survie de la Trame verte et bleue,
sensibiliser ?
Le concept de Trame verte et bleue est menacé par
l'apparition du concept d'hémicycle, qui rencontre l'engouement des
équipes d'urbanisme, des cabinets d'architecture, des élus, et
qui a le soutien de la Chambre d'Agriculture. La différence entre ces
deux notions est mince, et pourtant, elles remportent des adhésions fort
différentes. Peut-être cela peut être imputé au fait
que le concept d'hémicycle ne connaît aucune réalisation,
et reste pour l'instant du domaine de la conception. Mais il est toutefois
nécessaire pour les défenseurs de la Trame verte et bleue de
continuer leur combat pour son acceptation et sa pérennisation.
Il apparaît que l'un des points centraux pour permettre
la continuation de la TVB est la sensibilisation. L'agence d'aménagement
et d'urbanisme est « à la fois obligée de traduire ces
questions, de sensibiliser et de faire face au désir de
développement des élus »398. Pour Laure
Cormier, « il faut sensibiliser les urbanistes
»399 car « les urbanistes qui inscrivent dans le
SCOT et le PLU la TVB sont les moins sensibles aux questions
écologiques, et la prônent comme une contraintes
supplémentaires »400. Pour sensibiliser les
élus, il faut donc au
394 Ibid.
395 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT à
l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20 février
2015 à Lille
396 Mathilde Ballenghein, Valérie Bridoux, Oriol Clos,
Marie Defay, Franck Lemerle, Gaël Smagghe,
« Eléments pour une synthèse - La consultation
Lille Métropole 2030 », Comité syndical du SCoT de Lille
Métropole - 19 juin 2014
397 Entretien avec Pierre Dhenin, directeur d'Espace Naturel
Lille Métropole, le 27 février 2015 à Lille
398 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT à
l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20 février
2015 à Lille
399 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
400 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
95
préalable sensibiliser les urbanistes, afin que la
réglementation concernant la TVB ne soit pas vécue comme une
dépossession du territoire pour les élus.
Les élus perçoivent souvent mal la limitation de
l'urbanisation, et le classement en zones naturelles. Pour eux, l'attrait de la
commune est un attrait qui est d'abord économique, ce qui explique que
cet aspect soit souvent mis en avant par le syndicat mixte ENLM. Ils veulent
répondre à la demande des résidents, qui est souvent
entendue comme étant celle du logement ou de zones d'activité. La
sensibilisation des habitants est donc cruciale, l'acceptation de la Trame
verte et bleue passe par l'éveil, chez les citadins, des enjeux qu'elle
soulève. ENLM prend très à coeur cette mission de
sensibilisation. Le « carnet de l'explorateur », publié chaque
année par le syndicat mixte, ambitionne de générer une
prise de conscience des enjeux de biodiversité sur le territoire
métropolitain. Ce carnet s'adresse aux enfants, et rencontre une
approbation générale. Pour Daniel Béguin, membre d'EELV et
vice-président du conseil général de Lorraine, «
l'intervention auprès des élus et de la population est
importante d'un point de vue pédagogique. Il s'agit de les sensibiliser
aux enjeux de la conservation en montrant qu'il n'y a pas
systématiquement des implications monétaires, stratégiques
ou politiques »401.
Il apparaît donc que la Trame verte et bleue doit
continuer à diffuser les informations concernant la biodiversité,
tout en attirant les habitants dans les espaces naturels dont Espace Naturel
Lille Métropole à la gestion si elle ne veut pas être
balayée par le concept d'hémicycle.
La Trame verte et bleue lilloise nait d'un désir de
promouvoir la ville, et d'attirer les classes créatives afin de
redynamiser l'économie locale. De ce marketing territorial naît
une politique de protection de la biodiversité, en s'appuyant sur
l'expertise scientifique. Si la corrélation entre marketing territorial
et politique environnementale est audacieuse, la protection des espèces
indigènes et les opérations de restauration des
écosystèmes montrent l'empreinte anthropique, même si elles
ambitionnent de servir la nature. Finalement, on peut se demander quelle est la
place de la nature en ville, et également, quel avenir pour la Trame
verte et bleue qui ne cesse jamais de démontrer son utilité et
son aspect multifonctionnel pour plaire aux acteurs du territoires et aux
résidents, pour assurer sa durabilité sur le territoire
métropolitain.
401 Moune Poli, « Recréer la nature »,
Espaces naturels, n°1, janvier 2003
96
CONCLUSION
La métropole lilloise également connue sous le
sigle LMCU, s'étend sur 611,45 km2 et accueille plus de 1,1
million d'habitant en 2012 ce qui représente 28% de la population
régionale. Cette pression démographique oblige à la
construction de logements et d'infrastructures toujours plus nombreux pour
satisfaire les besoins de ces métropolitains. L'étalement urbain
est donc particulièrement important et la ville s'étend peu
à peu sur les espaces qui l'entourent. Cette artificialisation qui
correspond à un changement de l'occupation des milieux naturels et
ruraux vers des usages urbains génère des dommages sur les
écosystèmes et remet en question la durabilité de
l'agriculture périurbaine. L'acquisition du foncier apparaît donc
comme un enjeu majeur pour les différents acteurs de la métropole
qui cherchent à défendre leur vision du projet de territoire. Les
conflits quant à l'occupation des sols sont d'autant plus virulents que
des objectifs chiffrés de limitation de l'artificialisation sont
fixés par la Direction Régionale de l'Environnement, de
l'Aménagement et du Logement. Ces orientations sont obligatoirement
reprises par les documents d'urbanisme de la métropole, et le
Schéma de Cohérence Territoriale en cours d'élaboration
par l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille doit prendre en
compte les obligations émise par le Schéma Régional du
Climat, de l'Air et de l'Energie de diviser par trois le rythme de
l'artificialisation par rapport à la période 2006-2009.
Pour atténuer les effets du rythme soutenu de
l'artificialisation sur la biodiversité locale, une politique est mise
en place dans la métropole lilloise en 2002 : c'est la Trame verte et
bleue. Elle nait dans un premier temps du constat du déficit d'espaces
verts urbains, et de la nécessité de redorer le blason de la
ville et mettant en avant un cadre de vie plus agréable auprès
des entrepreneurs. Avec le Grenelle de l'Environnement en 2009, la visée
de la Trame verte et bleue devient clairement environnementaliste, empruntant
au vocabulaire de l'écologie du paysage. La Trame verte et bleue mise en
oeuvre par les communes a pour mission rétablir les continuités
écologiques au sein de la matrice urbaine afin de permettre la
circulation des espèces faunistiques et floristiques. Cette
réorientation est mal-vécue par les élus qui l'entendent
comme une politique cadre établie au niveau national et qui ne prend pas
en compte les particularités du paysage et la réalité
économique des territoires. Pour faciliter son acceptation auprès
des acteurs du territoire, le syndicat mixte Espace Naturel Lille
97
Métropole qui est chargé de l'élaboration
de la Trame verte et bleue adopte une position pragmatique. Son directeur,
Pierre Dhenin, entend multiplier les fonctions associées à ce
concept, en faisant de la Trame verte lilloise non seulement un espace
réservé à l'amélioration de la biodiversité
locale, mais également un espace récréatif et de loisirs
pour les citadins.
Le constat de l'artificialisation des territoires
amènent donc à l'obligation par la région de sa
limitation, et par la mise en place de politiques correctrices visant à
atténuer l'érosion de la biodiversité. Le premier moyen
mis en oeuvre pour la lutte contre l'artificialisation se traduit dans les
documents d'urbanisme qui déterminent les espaces qui seront ouverts ou
non à l'artificialisation. Toutefois, l'Agence de Développement
et d'Urbanisme de Lille ne doit pas se cantonner aux orientations fixées
par les Schémas régionaux et par le Plan Climat Territorial de
Lille, elle doit également répondre aux aspirations de
développement des élus pour leurs communes. Dès lors, le
Schéma de Cohérence Territoriale qui détermine le Plan
Local d'Urbanisme, est également un document consensuel qui doit plaire
aux politiques afin d'être adoptés. A l'heure actuelle, les
membres de l'Agence de Développement et d'Urbanisme semblent être
conscients des enjeux environnementaux se rapportant au phénomène
de l'artificialisation, mais avouent ne pas pouvoir refréner totalement
le rythme de l'artificialisation. L'étalement urbain semble être
la réponse naturelle aux besoins des citadins en logements et en
infrastructures, et bien que les institutions responsables de
l'aménagement invitent fortement à redensifier la ville,
l'artificialisation continue d'être un phénomène en
marche.
Concernant la politique qui vise à limiter les effets
de cette artificialisation, et non plus l'artificialisation directement, elle
génère également des résistances. En effet, la mise
en place de Trame verte et bleue conduit à l'occupation de certains
territoires qui étaient auparavant destinés à
l'activité agricole, ou qui étaient entendus comme des
réservoirs de terres pour l'étalement urbain. Le
développement des espaces naturels au nom de la protection de la
biodiversité, qu'elle soit ordinaire tout comme remarquable, semble
être encore inaudible dans la sphère publique et notamment
politique. L'occupation du foncier en milieu périurbain
génère des conflits entre le syndicat mixte Espace Naturel Lille
Métropole, la Chambre d'Agriculture, et les élus qui
perçoivent cette Trame verte et bleue comme une dépossession de
leurs territoires.
Afin d'améliorer son acceptabilité auprès
des acteurs du territoire et d'assurer ainsi sa durabilité sur le
territoire urbain, le syndicat mixte milite pour l'inscription dans les
98
documents d'urbanisme de la Trame verte et bleue, pour qu'elle
soit entendue comme une condition préalable à toute
opération d'aménagement. Toutefois, les outils d'urbanisme sont
soumis aux ambitions politiques pour le territoire. Un autre moyen mis en
oeuvre par le syndicat mixte Espace Naturel Lille Métropole pour
permettre son admissibilité est d'adopter une position consensuelle,
faisant de la Trame verte et bleue un outil d'aménagement
multifonctionnel. Le discours du directeur d'ENLM, Pierre Dhenin, est
pragmatique : il s'agit de développer le dialogue avec la Chambre
d'Agriculture, notamment à travers des parcs agricoles tels que les
Périseaux, et d'offrir au citadin un lieu de promenade
agréable.
Ce mainstreaming de l'écologie, pour reprendre
l'expression d'Andrew Dobson, permet de faire de la Trame verte et bleue
métropolitaine un objet consensuel, étant à la fois le
support de l'amélioration de la biodiversité, mais
également de loisirs voire d'une nouvelle activité
économique. En somme, le constat de l'artificialisation et de ses
conséquences amène à la prise de conscience des enjeux
concernant la biodiversité locale avec la mise en place d'une politique
censée la protéger. Toutefois, la matérialisation de cette
politique conduit l'élaboration d'une Trame verte et bleue qui doit
prendre en compte les aspirations des acteurs du territoire et qui, pour
être acceptée, doit adopter une posture consensuelle. Elle
apparaît comme un outil d'aménagement en se détachant de la
mission qui lui est confiée par le Grenelle de l'Environnement.
De plus, la réalisation de la Trame verte et bleue au
nom de l'écologie peut poser problème. Tout d'abord, elle oblige
la gestion des espaces naturels à travers des opérations de
restauration des écosystèmes, de renaturation ou de destruction
d'une biodiversité qui n'est pas souhaitable comme l'illustrent les
opérations d'abatage de peupliers par les employés d'Espace
Naturel Lille Métropole. Apparaît ici un paradoxe profond : au nom
de la lutte contre les effets de l'artificialisation, la politique mise en
oeuvre participe elle-même de l'artificialisation en occupant des
territoires qui étaient occupés auparavant par des territoires
ruraux ou d'autres milieux naturels. De plus, la Trame verte et bleue est une
opération anthropique de gestion de la nature, selon les
représentations humaines de cette dernière. Les experts de la
biodiversité ont une place prépondérante à la fois
dans le diagnostic de l'état des lieux pour la biodiversité
locale, et également dans sa détermination, établissant au
sein du patrimoine naturel des hiérarchies entre les milieux et les
espèces qui seraient remarquables et celles et ceux qui seraient
uniquement ordinaires.
99
Finalement, la Trame verte et bleue qui d'un souhait de «
verdir » la ville, et permet de faire converger la nécessité
de protection de la biodiversité et l'étalement urbain. Philippe
Clergeau milite pour la reconnaissance d'une biodiversité urbaine, et
l'opposition entre la nature et la ville semble s'atténuer au profit de
la multiplication des entreprises de verdissement. Toutefois, les oppositions
restent prégnantes, et en cherchant à réassocier nature et
culture, les aménageurs ignorent les nouvelles ruptures et
problématiques qui en naissent.
Tout d'abord, l'artificialisation qui est
particulièrement intense dans les territoires environnant les villes en
raison de leur attrait foncier pour des raisons économiques et
également de qualités de vie conduit à
l'émiettement du périurbain et à la coexistence de plus en
plus présente des activités agricoles et des lotissements et
infrastructures nécessaires au nouveau mode de vie des rurbains.
Aujourd'hui, 75% de l'agriculture est situation en aire urbaine d'après
le zonage de l'INSEE. Les zones qui seraient uniquement rurales ou urbaines
disparaissent au profit d'aire à dominante urbaine, et le couple
ville-nature disparaît au profit d'une nouvelle opposition : celle entre
ville dense et ville diffuse.
De plus, en cherchant à rendre la ville plus
agréable pour les citadins en lui donnant les attributs de ce qui
était autrefois la campagne, on ne reconnaît pas la
particularité du paysage urbain. La ville découvre un nouveau
visage, et cette transformation influence « la relation des hommes
à leur environnement, notamment dans leur rapport imaginaire et
idéel au lieu »402. Ce qui était autrefois
caractérisé par une couverture minérale devient
aujourd'hui le support d'une nouvelle biodiversité, et dans le souhait
de rendre la ville plus durable, on en vient à « la rendre
invisible »403. Pour Christian Calenge, la politique de
Trame verte et bleue, figure classique du discours « vert », illustre
« l'existence de la doxa paysagère »404.
Ce dernier affirme que cette doxa nait d'une idéologie « un peu
molle et pleine de contradictions, mais qui constitue bien un ensemble de
représentations en actes, qui peuvent ou, du moins, veulent faire sens.
Cette rhétorique paysagère est particulièrement
prégnante : compris très généralement comme
étant « de nature », le paysage autorise un véritable
travail sur les formes proposées au regard, et par là permet une
transformation in visu des espaces »405.
402 Emeline Bailly, « Poétique du paysage urbain
»,
Métropolitiques.eu,
le 13/02/2013
403 Christian Calenge, « Idéologie verte et
rhétorique paysagère », Communications, 2003,
n°74, pp. 33-47
404 Ibid.
405 Ibid.
Les aménageurs sont friands des opérations de
réintroduction de la nature en ville, et « on se demande alors
si certains gestes urbains qui apparaissent comme des idées de bon sens,
comme transformer une autoroute en boulevard urbain, créer une trame
verte et bleue pour mieux respirer en ville, ne sont pas en
réalité le résultat d'une idéologie dominante dans
le milieu professionnel sous influence »406. Le paysage
qui est offert au citadin est un paysage particulier, qui répond
à ses aspirations et donc à ses représentations. De plus,
il semble que les opérations des politiques de biodiversité
répondent à un impératif de visibilité, «
Le paysage « fournit » les formes visibles de l'action, les
signes et les codes de sa lisibilité »407. La Trame
verte et bleue mobilise les acteurs et fournit du sens commun à travers
la construction d'un bien commun : celui du paysage. Ce bien commun est
réservé aux citadins de plus en plus nombreux, et répond
à une logique de patrimonialisation de la nature.
Les conséquences de l'artificialisation sont donc bien
plus profondes qu'il n'y paraît au premier abord. Il ne s'agit pas
seulement de la disparition progressive des milieux naturels ou ruraux et de
l'érosion de la biodiversité. Avec la mise en place d'une
politique destinée à en limiter les effets, c'est l'image de la
ville qui est repensée, et avec elle, l'image de ce que serait une bonne
nature. Pour produire une « ville de qualité », il faut une
nature « civilisée, contrôlée, travaillée,
ordonnée »408 et dont la valeur est
déterminée par les experts de la biodiversité. Au regard
des éthiques environnementales, on assiste bien à la victoire de
la posture anthropocentrique en voulant faire une ville « verte ».
100
406 Jean-Paul Blais, « L'aménageur, roi du
copier-coller, Réflexions d'un urbaniste à partir de ses
dérives professionnelles »,
Metropolitiques.eu, le
26/11/2014
407 Christian Calenge, « Idéologie verte et
rhétorique paysagère », Communications, 2003,
n°74, pp. 33-
408 Ibid.
101
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Comité syndical du SCoT de Lille Métropole - 19 juin 2014
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http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_srce-tvb
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http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-srcae-bd-nov2012.pdf
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Sitographie
-
http://www.datar.gouv.fr
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http://www.developpement-durable.gouv.fr
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http://www.legifrance.gouv.fr
-
http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/
-
http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/
109
ANNEXES
Plan topographique de Lille métropole, 2014
SIG personnel - données du géocatalogue de
Lille
Photo satellite de Lille métropole, 2013
110
SIG personnel - données du géocatalogue de
Lille
Plan des communes de Lille Métropole
111
SIG personnel - données du géocatalogue de
Lille
112
Plan topographique Espaces Verts et Plans d'Eau
SIG personnel - données du géocatalogue de
Lille
Plan des espaces bâtis d'après
photo-interprétation, 2013
113
SIG personnel - données du géocatalogue de Lille
Nomenclature pour la base de données cartographiques de
l'occupation du sol dans l'arrondissement de Lille
114
Géocatalogue de Lille
115
« Prendre en compte l'environnement dans les documents
d'urbanisme »
Direction régionale de l'environnement, de
l'aménagement et du logement du Nord-Pas de Calais, octobre 2012
116
Occupation du sol dans la région Nord-Pas de Calais
d'après les données TERUTI 2013
117
Les territoires d'intervention du syndicat mixte Espace Naturel
Lille Métropole
Nicolas Rouget, « La gestion des espaces ouverts de Lille
Métropole, Produire un « paysage vivant », mettre à
contribution l'agriculture », Projet de Paysage, le 13/07/2012
Carte des territoires d'intervention d'Espace Naturel Lille
Métropole
118
http://www.enlm.fr/
119
Carte des hémicycles potentiels
Mathilde Ballenghein, Valérie Bridoux, Oriol Clos, Marie
Defay, Franck Lemerle, Gaël Smagghe, « Eléments pour une
synthèse - La consultation Lille Métropole 2030 »,
Comité syndical du SCoT de Lille Métropole - 19 juin 2014
120
SOMMAIRE GENERAL
REMERCIEMENTS 2
SIGLES UTILISES 3
TABLE DES MATIERES 4
INTRODUCTION 6
CHAPITRE I : L'ambigüité sémantique de
l'artificialisation et de ses discours 18
1. L'émergence de la notion à travers les cartes et
ses insuffisances 18
1.1. L'Agence Européenne de l'Environnement et le
Ministère de l'Agriculture 18
a. La CORINE Land Cover 18
b. La TERUTI-Lucas 19
c. L'artificialisation, une notion qui semble faire consensus
20
1.2. Les limites de la cartographie 22
a. Le manque de précision 22
b. La confusion entre occupation et usage du sol de la CORINE
Land Cover 23
1.3. Une notion qui recouvre des réalités
très différentes 23
a. Les exigences de précision en milieux urbain et
périurbain 24
b. Un problème quantitatif ou qualitatif ? 25
1.4. La ville, rattrapée par son environnement 26
a. La mosaïque urbaine 26
b. Le rôle social de la nature 27
2. Le poids des chiffres et l'importance des documents
d'urbanisme 28
2.1. SCOT, PLU et géocatalogue témoins de
l'artificialisation 28
a. Les conséquences de la CLC 28
b. Le diagnostic du Schéma Directeur de 2002 29
c. Le projet du SCOT 30
2.2. La remise en question de l'objectivité des documents
d'urbanisme 32
a. La pertinence du PLU remise en question 32
b. Le SCOT, un outil qui doit plaire aux politiques 32
c. Les chiffres au service du politique 34
121
3. Le concept de l'artificialisation usité par les acteurs
du territoire 35
3.1. Le territoire, investi d'une mission et porteur de sens
35
a. L'aspect immatériel du territoire : le paysage 35
b. La fonction socio-économique du territoire 36
3.2. La Chambre d'Agriculture et l'agriculture périurbaine
37
a. L'agriculture victime de l'artificialisation des sols 37
b. Nouvelles perspectives pour l'agriculture périurbaine
39
3.3. La convergence des enjeux économiques et des
aspirations pour le paysage 40
a. Produire de la « campagne » 40
b. Une agriculture qui répond aux attentes des citadins
41
CHAPITRE II : L'artificialisation des territoires et la Trame
verte et bleue 43
1. L'artificialisation et la fragmentation des espaces naturels
43
1.1. Un constat national inquiétant 43
a. Une artificialisation généralisée et ses
conséquences 43
b. La fragmentation des habitats naturels 44
1.2. Le poids de la région 46
a. Le diagnostic pour le Nord-Pas de Calais 46
b. Les menaces pesant sur la biodiversité locale 47
1.3. Le rôle des experts de la biodiversité 49
a. Une expertise indispensable 49
b. L'ingénierie de l'environnement et ses limites 50
1.4. Les orientations des schémas régionaux 51
a. Des objectifs chiffrés pour l'artificialisation 51
b. Des préconisations pour la TVB 52
c. L'influence sur le SCOT 53
2. L'officialisation du concept de Trame verte et bleue 55
2.1. Espace Naturel Lille Métropole et le projet de Trame
verte et bleue 55
a. La genèse de Trame verte et bleue lilloise 55
b. L'actualité de la Trame verte et bleue lilloise 56
c. Une Trame verte et bleue à visée
récréative 57
2.2. Le Grenelle de l'Environnement et l'émergence de la
législation 59
a.
122
Un contexte international favorisant l'émergence du
concept de TVB 59
b. Présentation de la loi du Grenelle 60
c. Un concept nouveau ? 61
3. La Trame verte et bleue, concept sujet aux insuffisances 62
3.1. Un discours environnementaliste qui pose problème
63
a. Un discours difficile entre acteurs scientifiques et non
scientifiques 63
b. Un discours essentiellement environnementaliste 64
3.2. La Trame verte et bleue, mal-perçue par les
politiques 65
a. Un aspect réglementaire qui dérange 65
b. Des élus démunis et
dépossédés 66
3.3. Un concept difficile à appliquer 68
a. Une définition techniciste 68
b. Les difficultés d'application 69
CHAPITRE III : Le mainstreaming de l'écologie et ses
conséquences 71
1. La TVB consensuelle au nom du développement durable
71
1.1. La TVB, un outil de concertation 71
a. L'impératif du dialogue 71
b. Une concertation difficile 73
1.2. ENLM, fidèle au discours du développement
durable 75
a. La TVB multifonctionnelle 75
b. Un discours pragmatique 76
1.3. ENLM, un syndicat mixte prêt au compromis 77
a. Le partenariat avec la Chambre d'Agriculture 77
b. Eviter les conflits : satisfaire les usagers 79
2. Du marketing territorial à promotion de la
biodiversité locale 80
2.1. Une politique de biodiversité dans un objectif de
« marketing territorial » 81
a. La promotion de la ville verte 81
b. Une politique de biodiversité publicisée 82
2.2. La gestion des espaces naturels et l'écologie de la
restauration 83
a. L'écologie de la restauration 83
b. La gestion des espaces naturels 84
123
2.3. Une biodiversité d' « agrément » ?
86
a. La biodiversité, un mot valise 86
b. Une sélection au sein de la biodiversité 88
3. Quelle place pour la nature en ville ? 89
3.1. La biodiversité urbaine 89
a. « Faire place à la nature en ville » 89
b. Laisser la nature reprendre ses droits 90
c. Arrêter la chasse aux espèces «
envahissantes » 91
3.2. L'évaluation du concept de TVB 92
a. La Trame verte et bleue balayée par l'hémicycle
92
b. L'enjeu pour la survie de la Trame verte et bleue,
sensibiliser ? 94
CONCLUSION 96
BIBLIOGRAPHIE 101
Articles académiques 101
Articles de presse 105
Ouvrages 105
Thèses 106
Sitographie 108
ANNEXES 109
Plan topographique de Lille métropole, 2014 109
Photo satellite de Lille métropole, 2013 110
Plan des communes de Lille Métropole 111
Plan topographique Espaces Verts et Plans d'Eau 112
Plan des espaces bâtis d'après
photo-interprétation, 2013 113
Nomenclature pour la base de données cartographiques de
l'occupation du sol dans
l'arrondissement de Lille 114
« Prendre en compte l'environnement dans les documents
d'urbanisme » 115
Occupation du sol dans la région Nord-Pas de Calais
d'après les données TERUTI 2013 116
Les territoires d'intervention du syndicat mixte Espace Naturel
Lille Métropole 117
Carte des territoires d'intervention d'Espace Naturel Lille
Métropole 118
Carte des hémicycles potentiels 119
SOMMAIRE GENERAL 120
124
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