Annexe 4 :
Karl Popper, «Public Opinion and Liberal Principles
(1954), in Conjectures and Refutations, RKP, 1963, traduction originale d'Alain
Boyer.
Principes de Popper sur la démocratie :
1. L'Etat est un mal nécessaire : ses pouvoirs ne
doivent pas être multipliés au delà de ce qui est
nécessaire. On peut appeler ce principe le «rasoir
libéral» (par analogie avec le «rasoir d'Ockham», le
fameux principe selon lequel les entités ne doivent pas être
multipliées au delà de ce qui est nécessaire).
Afin de montrer la nécessité de l'Etat, je ne
fais pas appel à la conception hobbesienne (Léviathan, trad.
Folio, I, ch. XIII.) de l'homo homini lupus. Au contraire, sa
nécessité peut être montrée même si nous
supposons que homo homini felis, ou même que homo homini angelus, en
d'autres termes, si nous supposons qu'à cause de leur bonté
angélique, personne ne nuit à personne d'autre. Dans un tel
monde, il y aurait encore des hommes plus ou moins forts, et les plus faibles
n'auraient aucun droit légal à être tolérés
par les plus forts, mais devraient leur tenir gratitude d'être assez bons
pour les tolérer. Ceux qui (forts ou faibles) pensent que cela n'est pas
un état de choses satisfaisant, et que toute personne doit avoir un
droit à vivre, et une prétention (claim) légale à
être protégée contre le pouvoir des forts, accorderont que
nous avons besoin d'un Etat qui protège les
droits de tous. Il est facile de montrer que cet Etat
constituera un danger constant (ce que je me suis permis d'appeler un mal),
fût-il nécessaire. Pour que l'Etat puisse remplir sa fonction, il
doit avoir plus de pouvoir qu'aucun individu privé ou aucune
organisation publique, et bien que nous puissions créer des institutions
qui minimisent le danger que ces pouvoirs puissent être mal
utilisés, nous ne pourront jamais en éliminer le danger
complètement. Au contraire, la plupart des citoyens auront à
payer en échange de la protection de l'Etat, non seulement sous la forme
de taxes, mais même sous la forme de certaines humiliations, par exemple,
lorsqu'ils sont dans les mains de fonctionnaires brutaux.
2. La différence entre une démocratie et une
tyrannie est que dans une démocratie, les gouvernants peuvent être
rejetés sans effusion de sang.
3. La démocratie ne peut conférer aucun
bénéfice aux citoyens. Elle ne peut rien faire, seuls les
citoyens peuvent agir. Elle n'est qu'un cadre dans lequel les citoyens peuvent
agir de manière plus ou moins cohérente et organisée.
!!!!
4. Nous sommes démocrates non parce que la
majorité a toujours raison, mais parce que les traditions
démocratiques sont les moins mauvaises que nous connaissons. Si la
majorité se décide en faveur d'une tyrannie, un démocrate
ne doit pas penser qu'il y a une contradiction fatale dans sa conception, mais
que la tradition démocratique dans son pays n'était pas assez
forte.
5. Les institutions ne sont pas suffisantes si elles ne sont
pas tempérées par des traditions, car elles sont toujours
ambivalentes (....)
6. Une utopie libérale, un Etat rationnellement
crée sur une table rase sans traditions, est impossible. Le
libéralisme exige que les limitations de la liberté de chacun
rendues nécessaires par la
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vie en société doivent être
minimisées et rendues égales pour tous autant que possible
(Kant). Mais comment appliquer un tel principe a priori dans la vie
réelle ? Toutes les lois, étant universelles, doivent être
interprétées afin d'être appliquées, et ceci
nécessite certains principes de pratique concrète, qui ne peuvent
être fournis que par une tradition vivante.
7. Les principes libéraux peuvent être
décrits comme des principes d'évaluation et si nécessaire
de modification des institutions. On peut dire que le libéralisme est
une doctrine «évolutionnaire» plutôt que
révolutionnaire (sauf dans le cas d'une tyrannie).
8. Parmi ces traditions, nous devons mettre en premier ce que
l'on peut appeler le «cadre moral» (correspondant au «cadre
légal») d'une société. Cela comprend le sens
traditionnel de la justice ou équité («fairness»), ou
le degré de sensibilité morale que la société a
atteint. Ce cadre sert de base pour rendre possible des compromis
équitables entre des intérêts en conflit. Il n'est pas
lui-même intouchable, mais il change relativement lentement. Rien n'est
plus dangereux que sa destruction, laquelle fut consciemment visée par
les Nazis, qui ne peut conduire qu'au nihilisme, à la dissolution de
toutes les valeurs humaines.
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