Conclusion
Le changement climatique correspond à une nouvelle
épreuve pour les démocraties de par ses conséquences
potentielles, sa nature très particulière touchant au quotidien
et aux équilibres naturels et la difficulté de
l'appréhender pour son caractère inédit parce que global
et trans-étatique dans un monde inter-étatique.
Ce phénomène climatique anthropique est une
vérité de fait c'est-à-dire démontré et
certain tandis qu'il ne parvient pas à être
considéré comme une vérité de raison. Le passage
entre les deux n'est pas encore franchi et empêche toute intervention
politique majeure en raison de la faible prise de conscience du danger.
Parvenir à convaincre les opinions publiques et les sphères
politiques et économiques afin de modifier les mentalités et les
comportements écologiques sont donc un préalable à la
réussite des futures politiques environnementales. Mais
l'équilibre est encore difficile à trouver entre le
développement de divers catastrophisme et la promotion de la
responsabilité citoyenne. Un tel défi doit se partager entre les
devoirs de citoyens et les obligations de l'Etat dans un cadre
démocratique : l'éducation à l'environnement et une
meilleure prise en compte des problèmes environnementaux locaux
constituent des voies envisageables pour traiter politiquement du changement
climatique. Comme le dit l'adage populaire, on ne prend soin que ce dont on
connaît et ceci s'applique autant à l'individu qu'à un Etat
démocratique.
La démocratie est encore inadaptée au nouveau
contexte climatique : c'est pourquoi elle a besoin d'être
réformée. Pour autant le projet de démocratie
écologique n'est pas la panacée puisqu'elle se concentre
uniquement sur les problèmes écologiques alors que comme nous
l'avons vu, les difficultés que rencontrent les démocraties sont
multiples. Centrer notre attention sur le seul milieu naturel ne
résoudra pas le changement climatique qui s'inscrit dans un ensemble de
difficultés de la démocratie. Celle-ci en tant que modèle
imparfait est en mouvement constant : elle vit et évolue sans se
transformer fondamentalement. A partir de son essence libérale et de sa
promotion de la diversité, nous pouvons la faire aller de l'avant.
Des réformes doivent être engagées afin
d'opérer des changements politiques : sans les remettre en cause, les
institutions, la participation populaire dans la prise de décision et
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l'éducation sont à revoir. Ces réformes
sont toutes liées entre elles et forment un système : l'une ne
peut fonctionner sans les autres et le tout est plus fort que les parties.
Parallèlement à ces réformes, il s'agit d'arrêter de
tout attendre ou à l'inverse de ne rien espérer de l'Etat qui
doit jouer son rôle en s'ajustant lui aussi et surtout en
coopérant avec ses partenaires. La vision idyllique d'un monde uni et
d'un gouvernement mondial n'a pas plus de chance d'exister que par le
passé. Le politique doit retrouver son utilité d'origine et
proposer sa capacité de dialogue. Cependant le scénario vers
lequel nous nous profilons est bien celui d'une crise puisque l'anticipation
des difficultés ne semble plus envisageable dans un monde attaché
au court terme et au pragmatisme.
Jean Pierre Dupuy voit notre salut dans la catastrophe
à la condition sine qua non que nous l'esquivions non par la
fuite mais par l'action. Le caractère inédit du changement
climatique consacre un rôle primordial à la politique bien que par
le passé d'autres catastrophes comme Tchernobyl n'aient pas servis de
leçons. Paul Ricoeur écrivait avec justesse qu'« avant le
pouvoir sur, vient le pouvoir dans. Le pouvoir procède fondamentalement
de la capacité d'agir en commun ». Le politique incite dans son
essence même à penser, imaginer, mettre en place des
réponses adaptées à la situation et donner les moyens
à la politique pour réussir.
La difficulté pour le politique est d'écouter,
de prendre en compte les opinions des experts mais de ne point se
réduire à elles. La science se meut entre l'information et la
connaissance alors que la philosophie se situe entre la connaissance et la
sagesse. De fait le politique peut s'appuyer sur la science pour prendre
connaissance et comprendre le problème mais doit également se
servir de la sagesse philosophique pour penser et agir.
Agir dans le contexte actuel revient à évoluer
pour perdurer. Dans l'Histoire, toutes les sociétés qui ont
parcouru les siècles sont celles qui ont su respecter les règles
qu'elles s'imposaient tout en les actualisant. Après les
développements économiques et les besoins de développement
des XIX et XXème siècles, ces règles ont changé. Il
faut faire évoluer - sans révolutionner - nos démocraties
afin de conserver notre cadre démocratique inhérent au principe
de liberté.
Pour savoir comment évoluer et vers où nous
diriger, l'éthique, en dialogue avec le politique, peut nous guider. Une
éthique acceptée par les individus parait consubstantiel au
succès des réformes étant donné qu'il est bien
aisé de respecter des valeurs que l'on partage. Les valeurs de la
démocratie libérale forment une première ébauche
d'une société désirable et souhaitée avec notamment
la défense des libertés et de l'autonomie de l'individu, un mode
de
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gouvernement respectant la pluralité des opinions et
des pouvoirs. Une éthique environnementale, notion encore confuse et
hétérogène, pourrait voir le jour dans ce cadre
démocratique. A condition d'être anthropocentrique et de
rapprocher la théorie de la pratique, elle constituerait un moyen
d'accompagner la politique. En effet sur un tel sujet de complexité
qu'est le changement climatique, la politique est pour le moment
velléitaire. Assujettie aux partis politiques et prit en tenaille par
l'antagonisme entre l'utopie et l'idéologie - dont le pragmatisme fait
partie aujourd'hui-, elle a perdu de son efficacité et de sa vigueur.
Dans son ouvrage L'utopie et l'idéologie paru
en 1997, Paul Ricoeur écrivait : « L'idéologie et l'utopie
opèrent toutes deux à trois niveaux. Là où
l'idéologie apparaît comme une distorsion, l'utopie se
présente comme une fantasmagorie irréalisable. Là
où l'idéologie est légitimation, l'utopie est une
alternative au pouvoir en place. La fonction positive de l'idéologie est
de préserver l'identité d'une personne ou d'un groupe ; le
rôle positif de l'utopie consiste à explorer le possible, les
possibilités latérales du réel. Idéologie et utopie
illustrent ainsi les deux versants de l'imagination-conservation et invention
». C'est de cet esprit de conservation et d'invention que la politique a
besoin à la fois. Le changement climatique, en tant qu'épreuve
pour la politique et la démocratie, aura au moins le mérite de
forcer la politique à dépasser l'opposition conservatisme et
progressisme : l'un et l'autre sont nécessaires. En revanche la question
est de savoir dans quelles proportions et si la capacité de
renouvellement de la politique ( contenu ) se fera dans un cadre limité
ou si ce cadre ( le contenant ) sera
débordé par l'audace et notre faculté
d'invention.
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