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Monopoles légaux et marché commun d'Afrique Centrale

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par Gaël Nguefack Donzeu
Université de Dschang-Cameroun - Master 2 en Droit de Affaires et de l'Entreprise  2012
  

Disponible en mode multipage

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    i

    Thèse de Master

    Thème : MONOPOLES LÉGAUX ET MARCHÉ COMMUN

    D'AFRIQUE CENTRALE
    Par :
    NGUEFACK DONZEU Gaël
    Titulaire d'une Maitrise en Droit des Affaires et de l'Entreprise
    Université de Dschang- Cameroun

    Juin 2012

    ii

    AVERTISSEMENT

    L'Université de Dschang n'entend donner aucune approbation ni improbation aux
    opinions émises dans cette thèse. Celles-ci doivent être considérées comme propres à
    leur auteur qui en assume l'entière responsabilité.

    iii

    DEDICACE

    A mes chers parents

    NGUEFACK Benoît, de regrettée mémoire Et

    NGUEMO Marceline, pour son soutien immense et pour avoir nourri ma passion pour les études.

    iv

    REMERCIEMENTS

    Ce travail a été rendu possible par la contribution de plusieurs personnes à qui je tiens à exprimer ma gratitude. Je pense ainsi :

    Au Docteur NJEUFACK TEMGWA René, qui a accepté de le

    diriger et surtout pour son immense appui matériel ;

    Au Docteur WATCHO KEUGONG Rolande Sorel, pour son
    expertise apportée dans la réalisation de ce travail ;

    A mon grand frère NGUEFACK Roméo, pour son important
    soutien moral et financier ;

    A mon frère DJIEUFACK GAÏMA Roland, assistant à la
    Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de Dschang pour son appui et ses conseils ;

    A Monsieur NKWAM Hugues Alexandre, qui m'a donné
    l'occasion d'évoluer dans le monde professionnel ;

    A mes frères et soeurs NGUEFACK TEMGOUA Boniface,
    NGUEFACK Luciano Modeste
    ., NGUEFACK Cathy Audrey., NKENDJI Marie-Thérèse, FOPA Marie-Claire, NGUEFACK Eddy, KENFACK GAIMA Martin, NGUEFACK Antoine, TSAFACK Marie Thérèse pour leurs multiples encouragements ;

    A mes chers amis TSAFACK DJOUMESSI Cédric, NJUMELI
    TELEZING Gustave, NKENGNI Guy Marc, SINSET Eric Unnel, YAKETCHA Raïssa, ESSIBEN Sonia, TOUKO August Martial, ZEUMO NGUENANG Marcelin
    pour leur souci de voir ce travail achevé ;

    A toute ma famille ;

    Enfin, à Dieu pour avoir toujours été au contrôle de ce travail.

    v

    PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

    A.J.D.A. : Actualités Juridiques du Droit Administratif

    Aff. jtes. : Affaires jointes

    Aff. : Affaire

    Att. : Attendu

    Bull. Civ. : Bulletin Civil

    C. : Contre

    CAPC : Centre Africain de Politique Commerciale

    C.J.C. : Cour de Justice de la CEMAC.

    CAMRAIL : Cameroun Railways

    Camtel : Cameroon Telecommunications

    Cass. Com. : Chambre commerciale de la Cour de cassation française

    CEMAC : Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale

    Cf. : Confère

    Chr. : Chronique

    CJCE : Cour de Justice des Communautés Européennes

    Concl. : Conclusion

    CRC : Conseil Régional de la Concurrence

    DEA : Diplôme d'Etudes Approfondies

    Déc. : Décision

    Doct. : Doctrine

    Ed. : Edition

    Gaz. Pal. : Gazette du Palais

    Ibid. : Au même endroit

    J.O.C.E. : Journal Officiel des Communautés Européennes

    J.O.U.E. : Journal Officiel de l'Union Européenne

    JP : Juridis Périodique

    : Numéro

    OAPI : Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle

    OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques

    vi

    OHADA : Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des

    Affaires

    OMC : Organisation Mondiale du Commerce

    OMPI : Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle

    Op. cit. : Opere citato (Cité plus haut)

    Ouv. Préc. : Ouvrage précité

    p. : Page

    Pp. : Pages

    R.D.I.D.C. : Revue de Droit International et de Droit Comparé

    R.I.D.C. : Revue Internationale de Droit Comparé

    Rec. : Recueil

    RJS : Revue de Jurisprudence Sociale Francis Lefebvre

    S. : Suivant (es)

    SIEG : Service d'intérêt économique général

    TFUE : Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne

    TPICE : Tribunal de Première instance des Communautés Européennes

    U.E.A.C. : Union Economique de l'Afrique Centrale

    UDEAC : Union Douanière et Economique des Etats de l'Afrique Centrale

    UEMOA : Union Economique et Monétaire Ouest Africaine

    V. : Voir

    Vol. : Volume

    Vii

    RESUMÉ

    Le droit de la concurrence CEMAC réglemente les interventions indirectes des Etats dans le marché commun par la soumission des monopoles légaux aux règles concurrentielles. Cette soumission passe par l'interdiction faite aux entreprises monopolistiques d'abuser de leur position préférentielle en posant des actes bien définis. Aussi, le législateur communautaire peut-il faire usage d'une arme influente qu'est la théorie des « facilités essentielles » afin de contraindre ces mêmes entreprises, mais cette fois disposant d'une ressource essentielle, à la partager avec d'autres opérateurs quand se présenteront les besoins urgents du marché voire des consommateurs.

    Pour ce faire, les Règlements CEMAC ont institué une procédure qui à l'analyse, regorge de nombreuses difficultés d'application ; d'où le souhait de voir organiser une procédure propre au contrôle des monopoles légaux, qui doit surtout correspondre à leur traitement spécial par le droit communautaire.

    Cette spécificité est d'autant plus réelle qu'il est prévu un régime dérogatoire appliqué aux monopoles légaux dans leur ensemble. Ce n'est rien d'autre que les exemptions pour des raisons d'intérêt général et la reconnaissance au profit de certaines personnes, de leurs droits de propriété intellectuelle. A l'examen, on s'aperçoit que ces exonérations légales souffrent elles-mêmes de nombreuses limitations et critiques en ce qui concerne leur opportunité dans notre sous région car il convient de retenir que la compétition joue un double rôle : la satisfaction des besoins des consommateurs, composante économique incontournable, et la préservation du bon fonctionnement de l'économie de marché.

    Viii

    ABSTRACT

    The CEMAC antitrust Law regulates States indirect interventions in the common market by the submission of legal monopolies to competition rules. This requires the prohibition of monopolistic firms from abusing their preferred position by asking well-defined acts. Also, the Community authorities can make use of an efficient weapon which is the theory of «essential facilities» so as to force these monopolistic companies, but this time detaining a vital resource or infrastructure, to share it with other operators when the urgent needs of the market or consumers arise.

    To do so, the CEMAC Acts have established a procedure which, after serious analysis, reveals many difficulties of implementation; henceforth the wish is to see organized a specific procedure to control legal monopolies, which should primarily reflect their special treatment by the competition law.

    This specificity of public monopolies is so evident that they do benefit of a derogatory regime in general. This is nothing other than the exemptions for reasons of general interest or the recognition of intellectual property rights. Well examined, the conclusion is that these legal exemptions themselves suffer many limitations and criticisms regarding their opportunity in our sub-region. Nevertheless, it should be noted that competition plays a double role: the contentment of consumer's needs, important economic component, and preservation of the good functioning of the market economy.

    ix

    SOMMAIRE

    INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

    PREMIÈRE PARTIE : L'ASSUJETISSEMENT DES MONOPOLES LÉGAUX AUX

    RÈGLES DE LA CONCURRENCE 14

    CHAPITRE I : L'INTERDICTION DES ABUS DE MONOPOLE 15

    Section 1 : La notion d'abus de monopole légal 16

    Section 2 : La complexité du contrôle des abus de position monopolistique 28

    CHAPITRE 2 : LA SOUMISSION PAR L'APPLICATION DE LA THÉORIE DES

    FACILITÉS ESSENTIELLES 40

    Section 1 : Le contenu de la théorie des facilités essentielles 41

    Section 2 : L'efficacité de l'application de la théorie des facilités essentielles 47

    DEUXIÈME PARTIE : L'AFFRANCHISSEMENT MESURÉ DES MONOPOLES

    LÉGAUX DES RÈGLES DE LA CONCURRENCE 54

    CHAPITRE 1 : LES RÉSERVES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL 56

    Section 1 : Les raisons relevant des besoins de sûreté nationale 57

    Section 2 : Les craintes inhérentes aux réserves d'intérêt général 68

    CHAPITRE 2 : LES RÉSERVES D'INTÉRÊT PRIVÉ : LA RECONNAISSANCE

    DES DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 75

    Section 1 : Les droits exclusifs inhérents aux droits de propriété intellectuelle 77

    Section 2 : La protection mitigée des droits de propriété intellectuelle 84

    CONCLUSION GÉNÉRALE 94

    1

    INTRODUCTION GÉNÉRALE

    La nécessité de mettre en oeuvre les règles garantissant la libre circulation des marchandises et le respect du libre jeu de la concurrence, eu égard aux mesures économiques et sociales de défense nationale des Etats, constitue une préoccupation impérieuse à laquelle les autorités communautaires se sont proposées de répondre ; le but étant d'égaliser les relations ou interactions entre opérateurs issus des Etats qui ont accepté de s'unir afin de propulser leur développement économique.

    C'est ainsi que dans un environnement caractérisé par une croissance rapide, la libéralisation et la concurrence, la plupart des pays du monde aspire à améliorer leur situation économique en signant des accords avec d'autres Etats afin de faciliter la libre circulation des personnes, des biens et des services1. En effet, l'internationalisation croissante des échanges commerciaux rompt totalement avec le système commercial parcellaire et autarcique entraînant une ouverture croissante des marchés avec une forte interaction des économies2. Cette ouverture des marchés mérite néanmoins que s'exerce un contrôle efficace pour contrecarrer les effets néfastes de la mondialisation, laquelle se répercute sur le plan régional, par la création d'un marché commun.

    La notion de `'Marché commun» a été employée pour la première fois en Europe3 et désigne cet espace composé de plusieurs Etats se proposant de promouvoir le développement harmonieux des activités économiques, une croissance et une stabilité accrues et les relations plus étroites entre les Etats membres. Le marché

    1 Centre Africain de Politique Commerciale (CAPC), « Les processus de création du marché commun africain : vue d'ensemble », juin 2004, P.1. Disponible sur www.uneca.org.

    2 MOR Bakhoun, « Répartition et exercice des compétences entre l'Union et les Etats membres en droit de la concurrence dans l'Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) », RIDE, 2005, P. 321.

    3 La définition de la notion de `'Marché commun» est faite par référence à la Communauté Economique Européenne (CEE). En effet, le Traité de Rome de 1957 instituant la CEE visait à créer un grand marché unifié, appelé alors Marché commun. Les Etats membres avaient dès lors accepté de mettre un terme aux barrières entre Etats en se fondant sur le modèle des pays du Bénélux (Voir TERCINET (A.), Droit européen de la concurrence (opportunités et menaces), Montchrestien, 2000, p. 256). La CEE a été remplacée par l'Union Européenne en 1999.

    2

    commun se caractérise entre autres par la suppression des barrières douanières, l'institution d'un tarif extérieur commun, la libre circulation des personnes et des biens4. A propos de ses objectifs, la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) a eu à poser que celui-ci visait « à l'élimination de toutes les entraves aux échanges intracommunautaires en vue de la fusion des marchés nationaux dans un marché unique réalisant les conditions aussi proches que possible de celles d'un véritable marché intérieur »5. Les expressions de marché commun, marché unique et marché intérieur s'appliquent à un processus continu de réalisation d'un même objet : le marché commun aboutit à un marché unique, lequel tend à s'identifier à un marché intérieur6.

    Pour ne pas rester en marge de cet élan initié par les pays européens, les représentants de six pays d'Afrique centrale7, comme un peu plus tard ceux d'Afrique de l'Ouest8, ont signé le 16 mars 1994 le Traité instituant la Communauté Economique et Monétaire des Etats de l'Afrique Centrale (CEMAC)9. La signature de ce Traité constituait pour les différents protagonistes « un tournant décisif dans la longue et difficile marche vers la constitution d'une communauté économiquement intégrée qui verrait la fusion des marchés particulièrement fragmentés des Etats précédemment membres de l'UDEAC10 ».

    4 Voir pour plus de détails l'article 13 de la Convention régissant l'Union Economique de l'Afrique Centrale (UEAC).

    5 CJCE, 5 mai 1982, Schul, Aff. 15/81, Rec., p.1409.

    6 MOLINIER (J.), Droit du marché intérieur européen, LGDJ, 1996, p. 14.

    7 Le Cameroun, la Centrafrique, du Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad.

    8 Il s'agit du Traité de l'UEMOA, conclu par le Benin, le Burkina Faso, la Cote d'Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Signé le 10 janvier 1994 et entré en vigueur le 1er août 1994, il est régi par le Règlement n°02/2002/CM/UEMOA relatif aux pratiques anticoncurrentielles, le Règlement n°03/2002/CM/UEMOA relatif aux procédures applicables aux ententes et abus de position dominante, le Règlement n°04/2002/CM/UEMOA relatif aux aides d'Etat et la Directive n°02/2002/CM/UEMOA organisant la coopération entre la Commission et les instances nationales. Textes disponibles sur le journal officiel en ligne de l'UEMOA sur le site www.izf.net.

    9 Le Traité de la CEMAC est entré en vigueur en juin 1999. La CEMAC est composée de deux Unions : l'Union Economique de l'Afrique Centrale(UEAC) et l'Union Monétaire de l'Afrique Centrale (UMAC) qui sont régies par des conventions séparées.

    10 Union Douanière et Economique des Etats de l'Afrique Centrale ; cité par MOUANGUE KOBILA (J.) et DONFACK SOKENG (L.), la CEMAC : à la recherche d'une nouvelle dynamique de l'intégration en Afrique Centrale, Annuaire de droit international, vol.6, 1998, p.66.

    3

    Les bases du marché commun ainsi posées, il demeure en principe libre pour les opérateurs économiques d'accroitre et même d'externaliser leurs activités. L'idée d'un commerce libre fondé sur une concurrence loyale entre les partenaires figurait déjà dans le Traité fondateur de l'UDEAC en son article 28 al. 5 qui pose le principe de « la recherche des moyens susceptibles d'aboutir à l'abandon progressif entre les Etats membres des pratiques commerciales restrictives ». Cette idée, dans le cadre de la redynamisation de l'intégration, fût réaffirmée au sein de l'UEAC par une réglementation communautaire destinée à contrôler les pratiques anticoncurrentielles des entreprises et des activités gouvernementales11. Clairement, contrairement à l'UDEAC qui constituait une simple union douanière, la CEMAC envisage plutôt un marché commun12.

    Dans la conquête des marchés à la recherche de plus de profit, les entreprises opèrent et transigent sous le regard suspicieux du législateur CEMAC. C'est dire que ce dernier exerce un contrôle, qui a pour domaine principal les agissements dont le but serait de troubler le libre jeu de la concurrence. Cette dernière étant une compétition économique notamment l'offre par plusieurs entreprises distinctes et rivales, de produits ou de services qui tendent à satisfaire les besoins équivalents avec, pour les entreprises, une chance de gagner ou de perdre les faveurs de la clientèle13.

    Suivant cette logique, les instances communautaires ont adopté d'une part le Règlement n°1/99/UEAC-CM-639 du 25 juin 1999 (modifié par le Règlement n°12/05-UEAC-69 U-CM du 25 juin 2005) portant réglementation des pratiques anticoncurrentielles. Celles-ci se comprennent comme tout acte ou comportement d'une ou plusieurs entreprises qui du fait d'accords ou d'arrangements officiels ou officieux, écrits ou non écrits, entre entreprises, ou par l'abus ou l'acquisition d'une position dominante de force sur le marché, limite ou risque de limiter l'accès aux

    11 KENFACK (Y.), Réglementation communautaire de la concurrence et renforcement du processus d'intégration économique en Afrique centrale, CNUCED, New York et Genève 2000, p.3. Disponible sur www.unctad.com.

    12 MOYE GODWIN (B.), CEMAC : integration or coexistence?, Annales de la FSJP, Université de Dschang, T. 8, 2004, p. 30.

    13 NJEUFACK TEMGWA (R.), Etude de la notion de collaboration dans les procédures en droit de la concurrence : une lecture du droit africain (CEMAC et UEMOA) sous le prisme du droit européen, R.D.I.D.C., Bruylant 2009, n° 1, p. 77.

    4

    marchés, restreint ou risque de restreindre la concurrence, ou risque d'avoir des effets préjudiciables pour le consommateur 14. D'autre part, il s'agit du Règlement n°4/99/UEAC-CM-639 du 18 août 1999 portant réglementation des pratiques étatiques affectant le commerce entre les Etats à l'instar des aides publiques, les monopoles et les marchés publics15. De toutes ces pratiques, si certaines réussissent à troubler une concurrence qui existe déjà, une par contre, lorsqu'elle est mise en oeuvre, conduit à exclure toute possibilité de concurrence, une domination absolue du marché qualifiée de situation de monopole. Situé au coeur du droit de la concurrence, la domination des marchés, à côté des ententes anticoncurrentielles, est une illustration singulière du souci des sociétés libérales de construire un système alliant les intérêts apparemment contradictoires, notamment la promotion d'un tissu industriel et commercial viable et la loyauté de la compétition entre acteurs. En effet, le problème du monopole et de la concurrence, tout comme les autres problèmes de la théorie économique, n'est pas statique mais typiquement dynamique16.

    Le terme `'monopole» vient des grecs monos signifiant « un » et polein signifiant « vendre » et illustre une situation économique, un marché de produits ou de services où il existe de nombreux acheteurs face à un seul vendeur et partant une absence totale de concurrence. Le vocabulaire juridique de G. CORNU le définit comme un régime de droit (monopole de droit) ou situation de fait (monopole de fait) ayant pour objet ou pour résultat de soustraire à toute concurrence sur un marché donné une entreprise privée ou un organe ou établissement public17. Le Règlement n°4/99 précité évoque dans le même sens « les entreprises en situation de monopole légal ou de fait »18.

    14 MASAMBA MAKELA, Pour une loi sur les pratiques commerciales restrictives au Zaïre, Afrique- éd., Kinshasa, 1986, p. 23. Les pratiques commerciales restrictives traitées par le Règlement n°1 sont les ententes, les concentrations et les abus de position dominante.

    15 Le droit de la concurrence existait déjà dans certains pays membres de la CEMAC. Voir notamment la loi n°98/13 du 14 juillet 1998 au Cameroun, la loi n°14/98 du 23 juillet 1998 au Gabon, la loi n°6-94 du 1er juin 1994 au Congo et la loi n°92/002 du 26 mai 1992 en RCA.

    16 GNIMPIEBA TONNANG (E.), la prohibition des pratiques de domination des marchés par les entreprises en Afrique Centrale : ombres et lumières d'une réforme, JP n°76, octobre-novembre-décembre 2008, p. 102.

    17 CORNU (G.), vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Quadrige, PUF 2001, p.560.

    18 Art. 8, paragraphe 1 du Règlement n°4/99.

    5

    Le monopole de fait est une situation économique dans laquelle toute concurrence est éliminée, soit naturellement par la puissance irrésistible d'une entreprise sur le marché, soit conditionnellement par l'intervention de la police qui, pour des raisons d'ordre public, refuse toutes les facilités qu'elle peut donner sur le domaine public à toute entreprise de son choix19 . Ce type de monopole résulterait de l'efficience économique de l'entreprise dominante, généralement le cas dans les situations de monopole naturel20. Aussi, une doctrine à laquelle nous adhérons, précise que de plus et à la différence du monopole de droit, le monopole de fait est apte à porter atteinte à la concurrence sur le marché même où il existe. En effet, ce marché étant juridiquement accessible à des concurrents potentiels de l'entreprise bénéficiant du monopole de fait, il met celle-ci en mesure de faire obstacle à l'entrée de ceux là sur ce marché21. Bien qu'elle ait perdu son ancien monopole de droit, il arrive qu'une entreprise publique conserve un monopole de fait22, en raison évidemment des caractéristiques du marché. Quoiqu'il en soit, on retiendra que dans ce cas, rien n'empêche l'entrée d'autres entreprises pour exercer dans le domaine d'activité concerné.

    19 Lexique des termes juridiques (GUILLEN R., VINCENT J., GUINCHARD S. et MONTAGNIER G.), 16e éd., Dalloz, 2007, p.435.

    20 On nomme monopole naturel les secteurs d'activité économique qui se caractérisent par des rendements strictement croissants (le coût de production de la dernière unité est inférieur à celui de toutes les précédentes) et par conséquent par des coûts moyens strictement décroissants (le coût moyen diminue avec le volume de production) et pour lesquels un opérateur unique est nécessairement plus performant que plusieurs opérateurs. Il s'agit en général d'activités dont les coûts d'investissement (coûts fixes) sont si élevés qu'il ne serait pas viable de les multiplier pour permettre l'introduction de la concurrence. C'est l'exemple des réseaux de transport d'électricité et de gaz qui ne sont pas duplicables, pour des raisons de viabilité économique aussi bien que pour des raisons environnementales.

    21 DECOCQ (A.) et DECOCQ (G.), Droit de la concurrence, droit interne et droit de l'Union européenne, 3e éd., L.G.D.J. , 2008, pp. 142-143. Cette même doctrine s'appuie sur un arrêt de la Cour de Cassation (Com, 14 février 1995, B, IV, n°48) qui approuve les juges du fond d'avoir considéré qu'une entreprise occupait une position dominante sur le marché spécifique des testeurs de pneus d'avions d'un certain type (TPIS) pour les appareils A330 et 340 lui permettant de faire obstacle à la concurrence sur ce marché, après avoir relevé que cette entreprise « exerçait depuis plusieurs années un monopole de fait sur l'ensemble des différents marchés de testeurs de pneus d'avions de type TPIS ».

    22 V. BLAISE (J-B) et IDOT (L.), Concurrence, RTD eur n° 3, juillet-septembre, éd. Dalloz, 2002, p. 565. Ces auteurs prendront l'exemple de l'entreprise publique intégrée à l'administration italienne des finances, qui détenait 100% du marché du commerce de gros des cigarettes, alors que cette activité avait été libéralisée par une loi de 1975 (TPICE, 22 novembre 2001, AAMS, Aff. T. 139/98 : Rec. P.II-3413). Au Cameroun, le secteur de l'électricité a été ouvert à la concurrence. Le monopole de fait que détient désormais AES SONEL, entreprise ayant pendant de longues années exploité ledit secteur, ne facilitera pas l'entrée de nouveaux opérateurs souhaitant investir dans la production électrique.

    6

    En ce qui nous concerne, « un monopole est dit légal lorsque l'Etat accorde des droits exclusifs à une entreprise privée ou publique pour exploiter un service public23 ou pour produire des biens et services »24. Les droits d'exclusivité sont octroyés par le procédé normal de l'action administrative qui est l'acte administratif unilatéral25, décision exécutoire créatrice de droits et d'obligations à l'égard des administrés, manifestation de la puissance publique26. Plus précisément, l'acte administratif est un acte juridique pris par une autorité administrative dans l'exercice d'une fonction exécutive et créant des droits et obligations pour les particuliers27. Il appert de cette définition que l'élément organique est l'autorité administrative. Celle-ci inclut non seulement les organes qui sont partie intégrante de l'appareil administratif de l'Etat, mais tout corps constitué qui est organiquement autonome, dans la mesure où il est chargé des tâches administratives28. C'est ainsi que suivant le concept de `'monopoles d'Etat délégués» dégagé par le législateur européen29, les collectivités territoriales, qui sont des personnes morales de droit public jouissant de l'autonomie administrative et financière pour la gestion des intérêts régionaux et locaux30, sont à même de constituer certaines entreprises en monopole31.

    Par ailleurs, le bénéficiaire de ces droits exclusifs est une entreprise privée ou publique, à savoir toute personne physique ou morale du secteur public ou privé, exerçant une activité à but lucratif32. Comme le rappelle la doctrine33, l'entreprise

    23 Le service public peut être défini comme une activité d'intérêt général exercée par une personne publique ou privée sous le contrôle d'une personne publique et suivant un régime dérogatoire au droit commun. Sur la notion, voir De LAUBADERE (A.), VENEZIA (J-C) et GAUDEMET (Y.), Traité de droit administratif, T. 1, 14e éd., L.G.D.J., 1996, 805 et s.

    24 Art. 8, paragraphe 2 du Règlement n°4/99.

    25L'acte administratif unilatéral peut venir entériner un contrat administratif qui consacrait une exclusivité au profit d'une entreprise. Tel est le cas du Décret n°99/058 du 19 mars 1999 portant approbation de la Convention de concession de l'activité ferroviaire au Cameroun au profit de la Société CAMRAIL.

    26 MORAND-DEVILLER (J.), Cours de droit administratif, 5e éd., Montchrestien, E.J.A., 1997, p. 322.

    27 Cour Fédérale de Justice, arrêt du 20 mars 1968, NGONGANG NJANKE Martin. 28MAURER (H.), Droit administratif allemand (manuel), L.G.D.J., 1992, p. 195-196.

    29 Art. 37 du TFUE.

    30 Art. 4 alinéa 1 de loi n° 2004/017 du 22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation au Cameroun. D'après ladite loi, les collectivités territoriales sont les régions et les communes.

    31 CJCE, 4 mai 1988, Bodson c/ pompes funèbres des régions libérées, Aff. 30/8 : Rec., p. 2479. Il ressortait des faits que la Commune de Charleville-Mezières avait concédé de manière exclusive le service extérieur des pompes funèbres à la Société des pompes funèbres des régions libérées.

    32 Art. 1 paragraphe 3 du Règlement n°1/99.

    7

    unique ne s'identifie pas forcément à une personne juridiquement isolée. Il peut s'agir aussi d'un groupe34 constitué par une société mère et ses filiales dès lors que l'ensemble forme une unité économique et que les filiales ne jouissent pas d'une autonomie réelle de décision35. Le monopole légal accordé à l'entreprise privée tendrait à humaniser le marché, pour ainsi satisfaire à l'esprit capitaliste qui prévaut dans les économies libérales. En ce qui concerne l'exclusivité concédée à l'entreprise publique, cette dernière fonctionnera certes selon certaines règles de droit public36, mais son activité ne doit pour autant pas échapper aux règles du marché.

    Précisons que la notion de monopole légal employée par le législateur CEMAC, trouve d'autres appellations qui n'en sont pas moins différentes. Le législateur européen, largement repris par certains auteurs37 parle plutôt de monopoles nationaux ou d'Etat38. La doctrine utilise également l'expression de `'monopole de droit''39. Le monopole légal doit impérativement être distingué des notions de monopole public, privatisation, d'aide étatique, de position dominante et d'entreprise publique.

    Malgré l'emploi indissociable des notions de `'monopole public'' et de `'monopole légal''40, la première s'en distingue légèrement par l'idée que c'est toujours une entreprise publique, dont l'Etat en est le seul ou le principal propriétaire,

    33BLAISE (J-B), Ententes et concentrations économiques, Sirey 1983, n° 672.

    34 Le concept de groupe de sociétés visant bien entendu, la structure ainsi dénommée en droit des sociétés soumise à un contrôle commun du fait de liens organiques ou institutionnels entre les entreprises concernées, mais qu'on ne peut considérer comme une entreprise unique, pour des raisons diverses. Voir article 173 et svts de l'AUSCGIE.

    35 Si ce critère tend à éloigner le concept de monopole des ententes, il en est pas de même en matière de concentration, car le monopole légal peut être accordé à l'issue d'une opération de fusion ou d'acquisition, à l'exemple, dans cette dernière hypothèse, de la Décision n°2009-D/FUSAC-01/CNC du 08 octobre 2009 rendue par la Commission Nationale de la Concurrence portant acquisition de la SIAC ISENBECK par la Société Anonyme des Brasseries du Cameroun.

    36 Par exemple la nomination et la responsabilité de certains dirigeants, la comptabilité publique.

    37 GRYNFOGEL (C.), Droit communautaire de la concurrence, 2e éd., L.G.D.J., E.J.A., 2000, p. 9 et 129, FAVRET (J-M), Droit communautaire du matché intérieur, Gualino éditeur, Coll. UFAC (Mémentos).

    38 Article 37 du TFUE.

    39 KOVAR (R.), Monopoles, Répertoire de droit communautaire, 8e année (septembre 1994), T III, Encyclopédie Dalloz 2000, p. 2 ; MOULIN (R.), Droit public des activités économiques, Dpae polycopie, 17 septembre 2007, p. 5, document disponible sur www.univ-rouen.fr/servlet/com.univ.utils. L'auteur ici l'emploie pour désigner les monopoles publics dans le cadre des activités économiques publiques exercées en exclusivité.

    40 Voir par exemple CHAMPSAUR(P.), Du monopole public à la concurrence, p.1, document disponible sur www.minefe.gouv.fr.

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    qui se trouve en situation de monopole, c'est-à-dire qu'aucune autre entreprise ne vend le même type de produit qu'elle sur le territoire41. Plus précisément, un monopole public est détenu ou contrôlé, au moyen d'une participation au capital, par des intérêts publics. Ce qui semble vouloir réduire l'entreprise publique à un service public. Ainsi, un organe réglementaire (État ou collectivité) intervient pour restreindre une situation de concurrence sur un marché donné afin d'atteindre un objectif dit « de service public» (aménagement du territoire, bien stratégique, solidarité, investissements trop lourds pour des acteurs privés...) qui ne serait pas atteint dans le cas d'une situation de libre concurrence. C'est pour cette raison que la situation de monopole légal prend souvent la forme d'un monopole public, c'est-à-dire gérée et encadrée directement par la collectivité.

    Il est certes clair que les processus de privatisation et de monopolisation font intervenir impérativement la puissance publique. Mais cette intervention ne s'effectue pas de la même façon. Dans le premier cas, l'opération est acquise lorsqu'une personne publique transfère la propriété ou confie la gestion d'un service public ou d'une entreprise pouvant avoir la qualité d'un service public, à une personne privée. Dans le second, c'est juste une entreprise qui se voit confier exclusivement la gestion d'un secteur de l'économie nationale.

    Un monopole légal n'est pas en soi une aide : même s'ils constituent des avantages consentis à certaines entreprises, l'allocation des aides sous forme de subventions, d'exonérations d'impôts et de taxes, de bonifications d'intérêts ou de couverture de pertes d'exploitation42 participe à fausser le libre jeu de la concurrence par les privilèges accordés à des entreprises qui peineront à subsister dans le respect des règles normales du marché43. Ces aides d'Etats représentent dans une certaine mesure des pertes pour la collectivité publique44. En situation de monopole légal par

    41 Il est à préciser tout de même qu'un monopole légal peut être public mais aussi à utilité privée c'est-à-dire l'Etat décide de soustraire l'activité concernée de la concurrence. On peut citer le cas des péages routiers.

    42 Art. 4 al 4 du Règlement n°4/99 pour plus de détails.

    43 L'aide a également un côté positif en ce sens que la disparition ou l'affaiblissement d'une entreprise, si elle ne pouvait pas obtenir la dite aide, est de nature à diminuer la concurrence en supprimant un offreur du marché.

    44 V. GRYNFOGEL (C.), Droit communautaire de la concurrence, 2e éd., L.G.D.J., E.J.A., 2000, p. 104.

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    contre, la concurrence est simplement écartée pour laisser la place à une seule entité, bénéficiant d'une exclusivité de droit.

    Le monopole légal ne doit pas être confondu avec une entreprise publique. En dépit du fait qu'ils bénéficient des prérogatives de la puissance publique, ces notions se distinguent d'abord par l'idée que, même étant publique, une entreprise peut se voir en plus accordée le monopole. Par ailleurs, l'entreprise publique se définit comme «une personne morale de droit public, dotée de l'autonomie financière et de la personnalité juridique, ayant reçu de l'Etat ou d'une collectivité territoriale décentralisée un patrimoine d'affectation, en vue de réaliser une mission d'intérêt général ou d'assurer une obligation de service public»45. D'après une directive de la Commission européenne46, une entreprise publique est celle sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer une influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent. La présomption de cette influence dominante est révélée par la détention de la majorité du capital, de la majorité des voix attachées aux parts et de la désignation de plus de la moitié des membres de l'organe d'administration. Une entreprise d'Etat peut également constituer un obstacle non discriminatoire à l'accès au marché, mais cet obstacle sera plus ou moins marqué selon que l'entreprise se trouve en situation de monopole ou exerce ses activités dans le secteur concurrentiel.

    Enfin, même étant qualifiés de « positions de force »47, le monopole se distingue de la position dominante48. Celle-ci, à la différence d'une situation de monopole ou de quasi-monopole, n'exclut pas l'existence d'une certaine concurrence ;

    45Article 2§3 de la loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic au Cameroun.

    46Art. 8 de la Directive n°2006/111 du 16 novembre 2006 relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques.

    47 DECOCQ (A.) et DECOCQ (G.), ouv. préc., p.135 et s.

    48 L'article 15 du Règlement 1/99 fixe à 30% le seuil à partir duquel on peut considérer une entreprise comme étant en position dominante. Ce qui est critiquable et à notre avis, on devrait s'inspirer davantage de l'article 25§2 du projet de réforme du Règlement relatif à la protection de la concurrence dans la CEMAC qui prévoit qu'une position dominante est établie lorsqu'une entreprise ou un groupe d'entreprises est susceptible de s'abstraire de la concurrence d'autres acteurs sur le marché concerné. Projet de révision du dispositif institutionnel concurrence de la CEMAC, étude réalisée par Guy CHARRIER, Landell Mills Limited, février 2010, sous l'égide du PAIRAC (Programme d'Appui à l'Intégration Régionale en Afrique Centrale), disponible sur www.camereco.com/files/communiques/13pdf.

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    elle met la firme qui en bénéficie en mesure, sinon de décider, tout au moins d'influencer notablement les conditions dans lesquelles cette concurrence se développera et, en tout cas, de se comporter dans une large mesure sans devoir tenir compte et sans pour autant que cette attitude lui porte préjudice49. C'est sans doute une étape vers l'atteinte d'une situation de monopole, « stade ultime de la domination qui suppose qu'une entreprise ou un groupe d'entreprises contrôle de la totalité de la fabrication et de la distribution d'un produit, de la totalité du marché d'un service dans le marché commun »50. Le monopole, plus précisément, est une situation de concentration absolue, établissant la domination sans qu'il y ait à faire d'autres démonstrations, éliminant toute possibilité de concurrence. Schématiquement, si l'existence d'une position dominante n'implique pas nécessairement celle d'un monopole, l'existence d'un monopole implique toujours en pratique celle d'une position dominante51.

    L'existence des monopoles est tolérée au sein de la CEMAC, contrairement aux Etats Unis où le Sherman Antitrust Act 1890 incrimine tout monopole ou tentative de monopolisation52. Le législateur communautaire ne s'interpose que lorsque l'entité monopoliste profite de sa position en se livrant à des pratiques excessives, d'où la consécration du Titre III, du Règlement n°4/99 qui traite `'Du monopole légal et de la concurrence». C'est donc à juste titre qu'il convient de porter une attention particulière à cette pratique limitatrice dans un espace économique fragile qu'est la CEMAC. Envisager les monopoles légaux sur le marché commun d'Afrique centrale

    49 CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-Laroche, Aff. 85/76, 461. La Cour ajouta même qu'une position dominante doit également être distinguée des parallélismes de comportements propres aux situations d'oligopoles en ce que, dans un oligopole, les comportements s'influencent réciproquement, tandis qu'en cas de position dominante, le comportement de l'entreprise qui bénéficie de cette position est, dans une large mesure, déterminé unilatéralement.

    50 GNIMPIEBA TONNANG (E.), la prohibition des pratiques de domination des marchés par les entreprises en Afrique Centrale : ombres et lumières d'une réforme, JP n° 76, octobre-novembre-décembre 2008, p. 106.

    51 WAELBROECK (M.) et FRIGNANI (A.), Le droit de la CE, concurrence (4), Commentaire J. MEGRET, 2e éd, Etudes européennes, 1997, p.248. C'est pour cette raison que le monopole est assimilé à une position dominante individuelle.

    52 Section 2. Monopolizing trade a felony ; penalty :» Every person who shall monopolize, or attempt to monopolize, or combine or conspire with any other person or persons, to monopolize any part of the trade or commerce among the several States, or with foreign nations, shall be deemed guilty of a felony, and, on conviction thereof, shall be punished by fine not exceeding $10,000,000 if a corporation, or, if any other person, $350,000, or by imprisonment not exceeding three years, or by both said punishments, in the discretion of the court».

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    revient à se poser les questions fondamentales suivantes : en vue d'assurer une compétition équitable dans le marché, par quels mécanismes concilie t-on les raisons d'intérêt public ou privé invoquées à l'actif des monopoles légaux avec l'exercice du libre jeu de la concurrence ? Ces mécanismes sont ils suffisants pour permettre la croissance économique envisagée ?

    L'intérêt d'une telle étude est surtout pratique, dans la mesure où l'occasion est offerte aux opérateurs économiques et aux consommateurs, d'apprécier l'encadrement juridique des monopoles légaux, dans le souci d'assurer une certaine égalité et transparence dans le marché commun, gage des investissements pour les uns, et de la satisfaction des besoins pour les autres. Pour ce faire, la méthode utilisée incorporera l'exégèse des textes, la casuistique et le recours au droit comparé.

    La place du droit de la concurrence dans le droit communautaire n'est plus à démontrer au motif que le regroupement des Etats au sein d'une communauté revêt beaucoup plus d'importance dans ses aspects économique et juridique. Economiquement parce que l'une des raisons de la création du marché commun est le développement sous régional avec pour perspectives intrinsèques la libre circulation des biens et capitaux, l'élimination des barrières tarifaires, la mise en place d'un code d'investissement commun et l'harmonisation des politiques commerciales. Sur le plan juridique, il est normal d'encadrer les actes et activités se déroulant dans un espace commun et intégré à la suite des Etats qui ont en principe accepté de concéder une partie de leur souveraineté économique et de confier à des organes supranationaux le contrôle et la sanction des atteintes aux transactions économiques communautaires.

    Or, la création ou l'existence des monopoles légaux53 ne cadre pas avec ces considérations même si, par ailleurs, elle correspond à une conception

    53 Pour s'en convaincre, on se servira de quelques exemples. Jusqu'à récemment au Cameroun, l'entreprise AES SONEL détenait le monopole légal dans le secteur de l'électricité, la SONARA détient le monopole de la raffinerie, la CAMWATER gère exclusivement le secteur de l'eau. Au Gabon, La prise de participation de 51 % du capital de Gabon Télécom par un partenaire stratégique, Maroc Télécom, s'est accompagnée d'une prolongation jusqu'en 2012 du monopole de l'opérateur sur les services de télécommunications fixes de base. La Caisse de stabilisation et de péréquation (CAISTAB), la Société gabonaise de raffinage (SOGARA), la Société d'énergie et d'eau du Gabon (SEEG), CIMGABON, la Régie gabonaise des tabacs, Compagnie de navigation interne (CNI), détiennent respectivement le monopole légal de la commercialisation du café et du cacao, l'approvisionnement du marché national en produits pétroliers raffinés, la production de l'eau et la distribution

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    interventionniste en matière de gestion de l'économie nationale. Pour autant, dans les Etats africains francophones en général et au Cameroun en particulier, en dépit des politiques de désengagement de l'Etat des secteurs productifs, certaines activités d'intérêt général bénéficient d'un aménagement légal sous forme d'un monopole ou de la reconnaissance des droits exclusifs54. La fluidité des échanges communautaires doit être consolidée et les entraves qui sont parfois le fait des opérateurs économiques empêchant par diverses pratiques une saine concurrence dans le marché commun doivent être levées au maximum55.

    Privilège exclusif conféré par une autorité publique à une personne physique ou morale de produire, d'exploiter, de fournir certains biens ou services, les monopoles de droit constituent l'une des atteintes les plus sérieuses à la liberté du commerce et de l'industrie, dans le cadre étatique comme dans celui de la Communauté56. Le législateur communautaire a donc perçu les risques du maintien de l'assistance et des régimes de faveur octroyés aux monopoles légaux dans un environnement marqué par la mondialisation des affaires en optant pour l'assujettissement des monopoles aux règles de la concurrence (Première partie), assurant de ce fait, le contrôle de l'intervention publique dans la concurrence 57. Cette soumission des monopoles légaux n'est pas aussi aisée qu'ailleurs et se heurte tout en les conciliant, à certaines conséquences de souveraineté et de droit de propriété, qui les affranchissent dans une certaine mesure des règles du marché (Deuxième partie).

    de l'électricité, la vente des matériaux de construction(le ciment et le clinker), les ventes de cigarettes sur le territoire national, le transport des passagers par voie fluviale. En RCA, les sociétés ENERCA, SOCATEL et SOCATRAF détiennent respectivement le monopole légal de la distribution de l'électricité sur tout le territoire, le téléphone fixe et le fax et le transport fluvial.

    54 GNIMPIEBA TONNANG (E.) et NDIFFO KEMETIO (M.L.), Les services publics dans l'étau du droit de la concurrence de la CEMAC, Annales de la Faculté des Sciences juridiques et Politiques, Université de Dschang, T. 15, 2011, p. 272.

    55 KALIEU ELONGO (Y.), La Cour de Justice de la CEMAC et le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, Actes du séminaire sous régional de sensibilisation au droit communautaire et à l'intégration dans la zone CEMAC, Libreville-Gabon, éd. GIRAF, AIF, 2005.

    56 KOVAR (R.), Monopoles, Répertoire de droit communautaire, 8e année (septembre 1994), T III, Encyclopédie Dalloz 2000, p. 2.

    57DUTHEIL de la ROCHERE (J.), Droit communautaire matériel, éd. Hachette, 2001, p. 143.

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    PREMIÈRE PARTIE : L'ASSUJETISSEMENT DES MONOPOLES LÉGAUX AUX RÈGLES DE LA CONCURRENCE

    DEUXIÈME PARTIE : L'AFFRANCHISSEMENT MESURÉ DES MONOPOLES LÉGAUX DES RÈGLES DE LA CONCURRENCE

    PREMIÈRE PARTIE : L'ASSUJETISSEMENT DES MONOPOLES LÉGAUX AUX RÈGLES DE LA CONCURRENCE

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    Le législateur CEMAC, sans être hostile à l'existence des monopoles légaux, est toutefois méfiant à l'égard de leurs activités dans le marché. Cette méfiance est surtout motivée par la volonté de circonscrire cette forme d'aide qualifiée d'indirecte, et de faire en sorte que le régime particulier reconnu aux opérateurs publics ne fasse pas obstacle au développement, sur le marché, d'une compétition par les mérites. Plus encore, c'est dans le but de garantir non seulement les autres opérateurs économiques, mais aussi les consommateurs, que le Règlement n°4/99 définit la politique d'hostilité contre certains comportements des entreprises en situation de monopole légal. Comme pour les autres pratiques anticoncurrentielles, il est interdit aux bénéficiaires des monopoles légaux d'abuser de leur position (Chapitre 1).

    Par ailleurs, s'appuyant sur le droit antitrust américain suivi par la jurisprudence européenne, la soumission des entreprises monopolistiques au droit du marché pourrait s'opérer en leur imposant l'usage ou le partage d'une ressource stratégique se révélant indispensable à d'autres opérateurs pour leur implantation en vue de l'exercice d'une activité économique. Cette modalité, plus adéquate dans le cadre de la CEMAC, s'apprécie par la mise en application de la théorie des « facilités essentielles » (Chapitre 2).

    Chapitre 1 : l'interdiction des abus de position monopolistique

    Chapitre 2 : la soumission par l'application de la théorie des « facilités essentielles »

    CHAPITRE I : L'INTERDICTION DES ABUS DE MONOPOLE

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    Le législateur communautaire prévoit que les entreprises en situation de monopole légal ou de fait sont soumises aux règles régissant les pratiques anticoncurrentielles et notamment à celles relatives à l'abus de position dominante58. Le régime de cette dernière fait apparaître des comportements incriminés pratiquement identiques à ceux reprochés aux entreprises parties à des ententes illicites59, encore qu'il est possible qu'un groupe d'entreprises soit condamné pour entente et abus de position dominante60.

    A l'image des situations de monopoles, il est interdit aux entreprises en position dominante d'en abuser, ainsi que le démontre, dans cette dernière hypothèse, les dispositions du Règlement n°1/99. L'abus consisterait pour les entreprises concernées à se livrer à des activités prohibées, vue leur impact négatif dans l'économie de la Communauté. Nous l'analyserons davantage en examinant minutieusement la notion d'abus de monopole (Section 1).

    Par ailleurs, ces interdictions, pour ne pas rester sans effet probant, n'auront d'intérêt que s'il existe des mesures contraignantes à appliquer aux contrevenants. Le législateur a pris le soin de s'y atteler par des mesures de sanction déterminées au terme d'une procédure fixée par les articles 9 et 10 du Règlement n°4, qui n'est pas très élaborée comme en matière de contrôle des aides d'Etats. En réalité, l'essentiel de la procédure ressort clairement du Règlement n°1 qui a fait l'objet d'une réforme dans ses dispositions relatives aux autorités communautaires en charge d'appliquer et de

    58 Art.8 paragraphe 1du Règlement n°4/99.

    59 V. les articles 3 et 16 du Règlement n°1/99 pour les pratiques abusives. En ce qui concerne la procédure commune de sanction, à une exception près (l'obligation de notification), elle est prévue par les articles 27 à 36 et 40 du même Règlement.

    60 Déc. Du 23 décembre 1992 de la Commission européenne à l'encontre de la Conférence maritime Cewal Cowac Ukwal, JOCE L. 34.

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    mettre en oeuvre le droit communautaire de la concurrence61. Malgré cette évolution procédurale, le constat est que la spécificité du statut des monopoles légaux n'est pas prise en compte ; ce qui ne sera sans effet sur le régime de répression (Section 2).

    SECTION 1 : LA NOTION D'ABUS DE MONOPOLE LÉGAL

    Sémantiquement, l'abus désigne un usage excessif et disproportionné d'un droit ou d'un privilège. Le législateur CEMAC précise bien des cas où les entreprises en situation de monopole légal seront considérées comme ayant franchi le seuil de tolérance, qu'il a qualifié de pratiques abusives (Paragraphe 1). Cependant, la pratique abusive se déroule dans le territoire d'un Etat membre, mettant ainsi en concours l'application du droit national et du droit communautaire. Mais, il ne faut pas perdre de vue que l'effet des pratiques restrictives sur les échanges interétatiques est ainsi une condition commune de leur soumission au droit communautaire62. Le recours au droit communautaire ne sera donc possible que si la pratique proscrite affecte pertinemment le marché (Paragraphe 2).

    Paragraphe 1 : Les pratiques abusives

    Le Règlement n°4/99 en son article 8 paragraphe 3 dresse une liste non limitative de pratiques que les entreprises en situation de monopole doivent tout particulièrement veiller à éviter. Il est au préalable prévu que ces mêmes entreprises sont soumises aux règles régissant les pratiques anticoncurrentielles et notamment celles relatives à l'abus de position dominante. C'est justement en raison du fait que toute situation de monopole constitue avant tout une position dominante et les études

    61 V. KALIEU ELONGO (Y.R.) et WATCHO KEUGONG (R.S.), La reforme de la procédure communautaire de concurrence CEMAC, JP n°80, Octobre-Novembre-Décembre 2009, p.107.

    62 NANDJIP MONEYANG (S.), Les concentrations d'entreprises en droit interne et en droit communautaire CEMAC, JP n° 73, janvier-février-mars 2008, p.72.

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    consacrées à l'une ne vont pas sans intégrer l'autre63. A l'analyse conjointe des pratiques intéressées, on retient que les monopoles légaux doivent éviter d'une part des pratiques inhérentes aux stratégies de vente (A), celles relatives aux prix d'autre part (B) et enfin les pratiques motivées par leur position stratégique (C).

    A. Les pratiques inhérentes aux stratégies de vente

    Il s'agit des ventes liées (1), des refus de vente (2) et des ventes discriminatoires injustifiées (3).

    1- Les ventes liées

    L'article 25 de la loi n°90/031 du 10 août 1990 régissant l'activité commerciale au Cameroun prévoit qu'il est interdit de subordonner la vente d'un produit à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou l'achat d'un produit64. La vente liée ou subordonnée consiste, selon le Règlement n°1, à subordonner la conclusion des contrats à l'acceptation, par les partenaires des prestations supplémentaires qui par leur nature ou selon les usages commerciaux n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats65. Plus encore, c'est une pratique commerciale restrictive qui exige du consommateur d'acheter, de louer ou de se procurer toute technologie, bien ou service comme une condition ou un préalable pour acheter, louer ou se procurer toute autre technologie, bien ou service66.

    En effet, il est contraire aux usages commerciaux de subordonner un contrat à la signature d'un autre. Lorsqu'un producteur ou distributeur subordonne la vente d'un

    63 La loi gabonaise n°14/1998 précitée, dispose en son article 9 que : « Est considéré comme abus de domination, le fait pour un opérateur économique ou un groupe d'opérateurs économiques d'occuper sur le marché une position de monopole... ».

    64C'est la même définition retenue par l'article 17 de la loi gabonaise précitée : «La vente liée ou subordonnée désigne la vente d'un produit ou la prestation d'un service sous conditions de l'achat concomitant d'un ou d'autres produits ou d'une autre prestation de service ».

    65 Article 16, paragraphe 2 (e).

    66 Article 2 de la Loi-cadre n°2011/012 du 6 mai 2011 portant protection du consommateur au Cameroun.

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    bien nécessaire à l'utilisateur à l'acceptation des quantités sans commune mesure avec les besoins normaux de l'acquéreur ou à la vente d'un autre bien sans rapport avec le précédent, il porte atteinte à la liberté de choix de l'utilisateur67. La jurisprudence européenne a eu à se prononcer sur des cas de contrats couplés en l'occurrence le fait pour une entreprise de gestion des droits d'auteur d'exiger des engagements non indispensables à son objet social68 ou encore la subordination du maintien d'un tarif préférentiel à la souscription d'un nouveau service69. La pratique visée prend souvent la forme d'un refus de fournir un produit ou service, parce que l'utilisateur n'est pas intéressé par une offre que l'entreprise dominante entend fournir en premier.

    2- Les refus de vente

    Il est interdit de refuser, sauf motif légitime, à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service dès lors que la demande du consommateur ne présente aucun caractère anormal par rapport aux pratiques habituelles du fournisseur et de ses biens70. C'est le fait pour une entreprise en situation de monopole de ne pas accéder aux demandes d'achat de produits ou de prestations de services lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi et que le refus n'est pas justifié. Le refus de vente ou `'refus de commercer»71 dans ce cas sera préjudiciable aux autres concurrents et aux consommateurs. Dans le premier cas, il peut s'agir d'un refus de livraison injustifié risquant d'éliminer toute concurrence72. Dans le second, le préjudice prend des proportions plus importantes, dans la mesure où en raison de l'exclusivité légale accordée l'entreprise monopolistique, le refus de vendre le produit visé ou de fournir la prestation de service

    67 GNIMPIEBA TONNANG (E.), Recherches sur le nouvel encadrement communautaire des ententes anticoncurrentielles des entreprises en Afrique Centrale, JP n°69, janvier-février mars 2007, p 107.

    68 CJCE, 21 mars 1974, Belgische Radio en Televisie c/ SABAM, Aff. 127/73, Rec. CJCE, I, p. 313.

    69 Déc. 5 décembre 2001, De Post-La Poste belge, JOCE n° L.61, 2mars 2002.

    70 Art. 24 de la loi n°90/031 précitée.

    71Selon l'expression employée par HUGUENIN-VUILLEMIN (L-X), Le contrôle des pratiques anticoncurrentielles au sein des marchés de l'Union Européenne, des Etats Unis et du Canada : Perspectives d'un droit antitrust international, Mémoire de Maitrise, Université de Montréal, Faculté de droit, 3 septembre 2003, p. 56.

    72 CJCE, 6 mars 1974, ICI Commercial Solvents, Aff. 6 et 7/73, 223.

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    concernée aura pour conséquence de priver les consommateurs d'un bien indispensable et pour lequel il peut exister une demande considérable73. Ce serait sans doute une limitation de la production, de débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs74. Dans tous les cas, le consommateur ne doit pas être privé de la possibilité d'acquérir une technologie, un bien ou un service à moins qu'il n'en soit exclu par un texte particulier75.

    3- Les ventes discriminatoires injustifiées

    La vente discriminatoire visée est celle réalisée entre un fournisseur, c'est à dire l'entreprise monopolistique, et deux ou plusieurs acheteurs dont les termes de chacune des ventes du même produit ne sont pas identiques. Aux termes de l'article 16 paragraphe 2 (d) du Règlement n°1/99, il est interdit aux entreprises dominantes d'appliquer à l'égard des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence. Le respect d'une règle du jeu économique consiste en effet à ne pas avantager ou désavantager un utilisateur ou un fournisseur comparativement aux autres. La concurrence entre acheteurs de biens ou destinataires de services qui les utilisent pour eux-mêmes ou pour les besoins d'une activité commerciale est faussée toutes les fois que certains d'entre eux se voient systématiquement imposer des prix ou d'autres conditions contractuelles moins favorables76. La discrimination abusive est chose fréquente de la part des entreprises monopolistiques surtout lorsqu'elles octroient des avantages aux seuls clients anciens, ou à ceux qui acceptent des contraintes particulières77. Aussi, les bénéficiaires du monopole ne doivent en effet pratiquer des discriminations ayant pour effet de soumettre les produits importés à des

    73 On prendra l'exemple de la CAMRAIL qui refuse de transporter les marchandises, essentielles dans la fabrication des produits d'une entreprise située au Tchad ou qui refuse injustement l'usage des ses wagons à un importateur de bétail alors qu'il existe sur le marché une demande non satisfaite en viande.

    74 Art. 16 paragraphe 2(c) du Règlement n°1/99.

    75 Art. 12 (2) de la Loi-cadre n°2011/012 du 6 mai 2011 précitée.

    76 GNIMPIEBA TONNANG (E.), Recherches sur le nouvel encadrement communautaire des ententes anticoncurrentielles des entreprises en Afrique Centrale, op. cit., p. 106.

    77 CJCE, affaires United Brands, Hofmann-Laroche précitées ; CJCE, 9 novembre 1983, Michelin Nederland, Aff. 322/81, Rec. II, 1727.

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    charges plus lourdes que celles qui grèvent les produits nationaux78 ou de rendre plus difficile les exportations.

    Dans l'affaire Coupe du monde de football 199879, la Commission a retenu un cas de discrimination à l'encontre du Comité français d'organisation (CFO). En effet ce dernier, en position de monopole et chargé de la distribution des billets d'accès aux stades, avait posé la condition supplémentaire que les spectateurs devront indiquer une adresse en France. La Commission a estimé, à juste titre, que cette condition était discriminatoire car elle défavorisait les clients résidents hors de France. Elle conclut que ces modalités de vente étaient abusives car elles « limitaient les débouchés au préjudice des consommateurs ».

    En droit interne, la Commission Nationale de la Concurrence80 s'est récemment prononcée sur une situation de vente discriminatoire en sanctionnant la société SOSUCAM en raison de sa position de monopole sur le marché de la mélasse. D'après les motifs, cette dernière pratiquait des ventes de la mélasse à des conditions discriminatoires à la société ADIC par rapport à celles fixées à l'égard de la société FERMENCAM, qui sont les seules sociétés à transformer la mélasse au Cameroun. La raison de la discrimination avancée, par la société ADIC, était qu'elle s'est vue supprimer une ristourne de 2500 FCFA/T antérieurement consentie à son profit, alors que FERMENCAM a continué à bénéficier d'une ristourne de 4500 FCFA/T déductible du montant de la facturation mensuelle. En conséquence, elle achetait la mélasse 40% plus cher que sa concurrente. La Commission conclut que se faisant, la SOSUCAM a « incontestablement faussé le jeu de la concurrence devant s'exercer entre ADIC et FERMENCAM sur le marché de l'alcool ».

    En réalité, cette pratique n'est pas fondamentalement différente de celles précédemment étudiées, tant il est indéniable que leurs éléments constitutifs convergent et peuvent se résumer en toute forme d'iniquité des transactions ou de pratiques de prix abusifs.

    78C.J.C.E, 16 décembre 1970, Aff. n°13/70, Cinzano, Rec., p. 1089.

    79 Déc. Du 20 juillet 1999, JOCE L. 5, 8 janvier 2000.

    80 Déc. N° 2009-D-01/CNC du 12 novembre 2009.

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    B. Les pratiques relatives aux prix

    Les monopoles légaux peuvent être amenés à faire de leur position privilégiée, un usage disproportionné dans la politique des prix qu'ils fixent sur le marché. Il s'agit des pratiques abusives relatives aux prix qui se caractérisent par leur imposition sur le marché (1) et la pratique de prix artificiels (2).

    1- L'imposition des prix sur le marché

    Par référence à l'article 16 paragraphe 2 (a), le Règlement n°1/99 désigne comme pratique abusive le fait pour une entreprise dominante « d'imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transactions non équitables ». Ce type de comportement n'est pas sans influencer la situation des consommateurs dont la satisfaction devrait être garantie. Or la pratique des prix imposés de manière inéquitable relève de la stratégie d'une entreprise qui n'a guère à se préoccuper de la concurrence et qui cherche à optimiser ses marges ou ses profits ou à éliminer la concurrence.

    En droit européen, la précision du contenu de la notion d'imposition de prix a néanmoins posé quelque difficulté. Initialement, la CJCE a apporté des éclaircissements dans l'affaire United Brands81 dans laquelle elle précisait qu' « un prix sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie », constituait un abus de position dominante82. Des situations de monopole engendrent souvent ce genre de pratiques83 qui peuvent quelques fois être encouragées ou favorisées par les pouvoirs publics84.

    81 CJCE, United Brands « chiquita » c/ Commission, 14 février 1978, Aff. 27/76, Rec., p.207.

    82 Pour la mise en oeuvre de l'interdiction, le juge a considéré cette condition insuffisante et à l'occasion d'une affaire Distillers Company LTD (CJCE, 10 juillet 1980, Aff. 30/78, Rec., 2229), elle a associé d'autres critères notamment l'importance de la marge bénéficiaire, l'évaluation de la proportion excessive, entre le coût effectivement supporté et le prix réclamé ainsi qu'à leur comparaison avec les produits concurrents.

    83 Voir pour la discussion autour des prix facturés par la SACEM aux discothèques, CJCE, 13 juillet 1989, Tournier, Aff. 95/87, Rec., I, p.251 ; pour une redevance sans contrepartie, CJCE, 10 février 2000, Deutsche Post c/GZS, Aff. C. 147et 148/97 : Rec., I, 825.

    84 Pour le monopole de services dans un port, CJCE, 12 février 1998, Silvano Raso, Aff. C. 16/96, Rec., I, 533.

    22

    Force est donc de constater que le législateur communautaire, comme l'a fait certains législateur nationaux85, s'est vivement opposé aux actions ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser les règles du marché notamment en faisant obstacle à l'abaissement des prix de revient, de vente ou de revente et en favorisant la hausse ou la baisse artificielle des prix.

    2- Les pratiques de prix artificiels

    Sur ce point, le Règlement n° 1/99 interdit aux entreprises en situation de domination de pratiquer des prix anormalement bas ou abusivement élevés. Selon la Cour européenne, les différences substantielles de prix constituent un abus de position dominante dès l'instant où le marché est homogène et que rien ne permet de justifier objectivement la disparité constatée86.

    De même, le prix peut aussi présenter un caractère excessivement bas. Des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables, c'est-à-dire ceux qui varient en fonction des quantités produites, par lesquels une entreprise dominante cherche à éliminer un concurrent doivent être considérés comme abusifs. Une entreprise en position dominante n'a, en effet, aucun intérêt à pratiquer de tels prix, si ce n'est celui d'éliminer ses concurrents pour pouvoir, ensuite, relever ses prix en tirant profit de sa situation monopolistique, puisque chaque vente entraîne pour elle une perte, à savoir la totalité des coûts fixes, et une partie au moins des coûts variables afférents à l'unité produite87. Ainsi, l'entreprise en situation de monopole légal peut augmenter les prix après les avoir abaissé, créant des phénomènes de spéculation préjudiciables à l'économie de marché.

    85 V. par exemple l'article 43 de l'ordonnance n° 72/018 du 17 octobre 1972 portant régime général des prix au Cameroun.

    86 CJCE, 13 juillet 1989, Ministère public c/ Tournier (SACEM), Aff. 395/87, Rec. p. 2521, cité par GNIMPIEBA TONNANG (E.), la prohibition des pratiques de domination des marchés par les entreprises en Afrique Centrale : ombres et lumières d'une réforme, op. cit., p. 110.

    87 DECOCQ (A.) et DECOCQ (G.), ouv. préc., p. 396.

    23

    C. Les pratiques motivées par la position stratégique

    La position stratégique occupée par les monopoles légaux est incontestablement justifiée par l'exclusivité qui leur est accordée par les autorités nationales. Toutefois, ils doivent tout particulièrement éviter de rompre injustement les relations commerciales (1) et d'utiliser les recettes de leurs activités à titre de subventions (2).

    1- Les ruptures injustifiées de relations commerciales

    La rupture injustifiée ici se réfère à la cessation anticipée d'un contrat en cours d'exécution, à l'initiative du monopole légal, sans aucune raison valable, ou se fondant sur un motif arbitraire ou injuste. Cette pratique excessive, visée par le Règlement n°4, est largement tributaire de la position stratégique profitant aux entreprises monopolistiques. Les unes pouvant éliminer naturellement tout concurrent par leur puissance économique irrésistible, les autres bénéficiant des droits exclusifs qui leur ont été conférés par les lois ou règlements. Or l'idée fondamentale est qu'en matière de relation commerciale ou de contrat, les parties doivent être traitées au même pied d'égalité dans le respect des obligations respectives. L'effet des obligations doit donc être observé car elles ne peuvent être révoquées que par consentement mutuel ou pour les causes légales et doivent être exécutées de bonne foi88. Mais l'analyse s'avère plus intéressante quant à l'interdiction d'utiliser les recettes comme source de subventions.

    2- L'utilisation des recettes aux fins de subventions

    Le Règlement CEMAC n°4/99 précise à cet effet que les entreprises monopolistes ne doivent pas utiliser les recettes qu'elles tirent de leurs activités soumises à monopole pour subventionner leurs ventes dans d'autres secteurs. C'est le

    88 Article 1131 alinéas 2 et 3 du Code Civil.

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    cas d'une entreprise jouissant de l'exploitation exclusive d'un domaine d'activité et qui dispose en même temps une activité livrée à la concurrence. Il s'agit en fait de garantir une meilleure transparence comptable, notamment pour éviter les subventions croisées entre des activités sous régime de droits exclusifs et des activités concurrentielles89. Le regard est donc focalisé sur ces dernières car si l'activité soumise à monopole échappe à la compétition et engendre beaucoup de profit, ces bénéfices ne doivent servir à troubler un autre marché occupé par d'autres opérateurs.

    L'intérêt d'une telle interdiction se révèle du fait que ces subventions peuvent prendre la forme d'aides telles que prévues par l'article 2 paragraphe 4 du même texte, à la seule différence que dans ce cas, elles ne sont pas octroyées directement par l'Etat. A la vérité, jouissant déjà d'un statut privilégié grâce à l'exclusivité légale, il serait inconcevable de permettre aux monopoles légaux de fausser le jeu de la concurrence dans un marché dérivé.

    Faisant rebondir le débat sur la « compatibilité analytique », ce critère permet de vérifier d'une part que les activités concurrentielles du service universel ne sont pas subventionnées au-delà de ce qui est nécessaire pour rendre le service et d'autre part, que les activités concurrentielles ne sont pas du tout subventionnées90.

    Au total, on retient que ces interdictions s'inscrivent pour les unes dans l'élan de protection des consommateurs, et pour les autres, la protection de la concurrence dans d'autres secteurs d'activités. Si l'appréciation des pratiques monopolistiques interdites a mérité un examen approfondi, il convient aussi et surtout de déterminer, selon les règles communautaires, le marché dans lequel elles se déroulent.

    Paragraphe 2 : La pertinence du marché en cause

    La notion de `'marché en cause» est définie comme étant « le résultat de la combinaison entre le marché de produits en cause et le marché géographique en

    89 FAVRET (J-M), Droit communautaire du matché intérieur, Gualino éditeur, Coll. UFAC (Mémentos), p. 149.

    90 COURTOIS (C.), « Les monopoles en droit communautaire de la concurrence : problèmes actuels», juris PTT, 1996, fasc 44, p. 34, cité par NJEUFACK TEMGWA (R.), thèse précitée, p. 111.

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    cause »91. L'espace communautaire est composé de plusieurs Etats membres et par conséquent, des marchés divers. C'est donc ces mêmes Etats qui entretiennent et hébergent les monopoles légaux dont les abus doivent réussir à affecter le commerce sous régional92 pour catalyser la mise en oeuvre du droit communautaire. Le droit communautaire ne s'insurge contre les activités du monopole que lorsqu'elles affectent les importations et les exportations intracommunautaires.

    La délimitation du marché est donc très indispensable et se fait en deux étapes: d'une part, l'identification des biens ou services qui s'échangent sur le marché (marché de produits) et d'autre part, la définition de la zone géographique concernée. Ainsi, le marché, qui doit certainement être pertinent (relevant market), sera examiné en distinguant l'étendue géographique (B) de la délimitation matérielle (A).

    A. La prise en compte de la délimitation matérielle

    Le droit européen de la concurrence93 définit le marché de produits en cause comme celui qui comprend « tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leur caractéristique, de leur prix et de leur usage auquel ils sont destinés. Un marché de produit en cause peut, dans certains cas, se composer de plusieurs produits et/ ou services qui présentent des caractéristiques physiques ou techniques en grande partie identiques et sont interchangeables ». la jurisprudence a par ailleurs apporté une définition similaire, par la considération que le marché se définit comme le lieu où se rencontrent l'offre et la demande pour un bien ou un service spécifique, pour être retenu comme pertinent, ce marché implique qu'existe une concurrence effective entre les produits ou services qui en font partie ; ce qui suppose un degré suffisant d'interchangeabilité en vue du même usage entre les produits ou services faisant partie

    91 Selon le paragraphe 1 de la Note interprétative n° 4 de l'annexe n° 1 au Règlement n° 03/2002/CM/UEMOA du 23 mai 2002 relatif aux procédures applicables aux ententes et abus de position dominante à l'intérieur de l'UEMOA.

    92 Sinon c'est le droit national qui s'appliquerait.

    93 Annexe II du Règlement (CE) de la Commission du 7 avril 2004 portant mise en oeuvre du Règlement (CE) n°139/2004. V. dans le même sens le paragraphe 2 (a) de la Note interprétative sus citée.

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    du même marché »94. L'élément essentiel de la notion de marché de produits est donc la substituabilité95 qui s'apprécie davantage aussi bien du côté de l'offre que celui de la demande.96

    La substituabilité de la demande est le critère le plus généralement utilisé. Il s'agit de voir s'il existe des moyens de rechange raisonnables et perceptibles par les consommateurs. Les méthodes d'appréciation peuvent varier selon qu'on considère les caractéristiques propres des produits ou services qui concordent quelque fois à des besoins permanents des utilisateurs finals et constituent des marchés distincts du fait d'une demande délimitée97. Une autre méthode consiste à se pencher sur les prix des produits sur le marché.

    La substituabilité du côté de l'offre n'est retenue pour délimiter le marché pertinent que dans la mesure où les offres concurrentes au service monopolisé pourront satisfaire rapidement la demande enregistrée ou les besoins des consommateurs. Elle suppose donc, pour être prise en compte une situation de concurrence potentielle, suffisamment directe et effective entre les produits déjà présents sur le marché et ceux qui peuvent y arriver sans délai98.

    Remarquons que les spécificités du produit ou des services peuvent servir d'indice pour établir la substituabilité, mais il n'est pas un élément suffisant car, il convient de tenir compte du comportement des utilisateurs99. Les spécificités ne sont alors à prendre en compte que si les choix des demandeurs sont influencés, sinon déterminés par ces spécificités100. D'où l'émergence d'un autre critère, celui de

    94 Cour d'appel de Paris, 1ère chambre, 12 mars 2002, Juris-Data, n° 171254.

    95 La notion de substituabilité vient d'un célèbre arrêt de la Cour Suprême des Etats Unis prononcé en 1956 (51-US-377-404, Affaire Du Pont de Nemours dite de La Cellophane). Elle a été reprise en droit européen notamment dans les arrêts CJCE, 21 février 1973, Continental Can, Aff. 6/72, Rec., p. 215 et United Brands précité.

    96DECOCQ (A.) et DECOCQ (G.), op. cit., p. 102 et s ; GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op. cit., p. 208 et s.

    97 Voir par exemple pour les différents marchés de transport ferroviaire (marchandises, voyageurs, rapide, moins rapide) TPICE, 15 septembre 1998, European Night Service C/ Commission, Aff. T. 374 et s/94, Rec. II, 3141 ; pour les marchés de transport aérien, Déc. 16 janvier 1996, Lufthansa-SAS, JOCE n°L.4, 5 mars 1996.

    98 Déc. 22 janvier 1997, Coca-cola Amalgamated Beverages, JOCE n° L. 18, 9 août 1997.

    99 Rapport du conseil de la concurrence, 1990 P. 34 et s.

    100 Cass. Com. 22 mai 2001, Société Routière de l'Est Parisien, Le Dalloz, 2001 A J. 2973.

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    l'affectation, comme condition d'applicabilité du droit communautaire, et qui sert de ligne de démarcation entre le droit communautaire et les droits nationaux101.

    Toujours est-il que l'on doit également tenir compte de la délimitation géographique du marché.

    B. L'importance de la délimitation géographique du marché

    Le monopole légal, même exerçant ses activités illicites dans le territoire d'un Etat, devrait troubler le jeu de la concurrence du marché intérieur de la communauté. Selon la jurisprudence européenne, les droits exclusifs consistent en la reconnaissance au profit d'une entreprise du droit exclusif de vente et de production, ou encore du droit d'offrir un service dans une zone géographique déterminée102.

    Le critère géographique s'entend de la définition de la sphère territoriale sur laquelle les entreprises (monopolistes) concernées se sont engagées dans l'offre des biens et des services en cause, sur lesquels les conditions de la concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distinguée des zones géographiques voisines103. Il est donc requis que ce « grand espace sans frontière », dans lequel les échanges s'effectuent dans les mêmes conditions que dans un marché intérieur104, constitué par la CEMAC, soit affecté. Plus précisément, le comportement abusif de l'entreprise dominante devrait revêtir une dimension communautaire, c'est-à-dire susceptible d'avoir une influence sur les relations commerciales entre deux ou plusieurs Etats de la Communauté105.

    L'article 16 du Règlement n°1/99 précise d'ailleurs que l'affectation d'une partie du marché commun suffit pour mettre en oeuvre la réglementation

    101 NANDJIP MONEYANG (S.), op. cit., p.72.

    102C.J.C.E, 04 mai 1988, Aff. n°30/87, Corinne Bodson, Rec. 1988.

    103 TECHIOTSOP (C.), L'encadrement des interventions publiques économiques par le droit communautaire de la concurrence en Afrique centrale, Thèse de Master, Université de Dschang, juin 2011, p. 81.

    104 WAELBROECK (M.) et FRIGNANI (A.), Le droit de la CE, concurrence (4), Commentaire J. MEGRET, 2e éd, Etudes européennes, 1997, n° 2.

    105 GNIMPIEBA TONNANG (E.), Recherches sur le nouvel encadrement communautaire des ententes anticoncurrentielles des entreprises en Afrique Centrale, op. cit., p. 100.

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    communautaire sur les abus de position dominante. Mais l'imprécision de cette disposition peut amener à se poser la question de savoir si l'affectation d'une partie, aussi petite, suffit elle pour mettre en oeuvre le droit communautaire ? Sur ce point, le législateur CEMAC n'a pas, à tort, suivi l'exemple européen qui insiste sur le fait que cette partie doit être « substantielle »106.

    Considérant le marché d'Afrique centrale, une pratique qui touche sensiblement la ville de Douala107 et ses environs doit nécessairement relever du droit communautaire du moment où le marché de cette partie du territoire représente une proportion appréciable du marché commun108, de même que la ville de Port-Gentil, au regard par ailleurs de leur position géographique dans l'Afrique centrale. Pour être significative, cette partie du marché commun doit servir de cadre à des opérations commerciales suffisamment denses. En d'autres termes, le degré de transactions commerciales dans cette partie du territoire communautaire doit être de nature à influencer les opérations effectuées dans le reste du territoire de la Communauté109.

    SECTION 2 : LA COMPLEXITÉ DU CONTRÔLE DES ABUS DE POSITION
    MONOPOLISTIQUE

    Comme les autres pratiques anticoncurrentielles, les abus de monopoles légaux doivent normalement faire l'objet d'une procédure tendant à les réprimer. Pour se faire, le Règlement n° 1/99 modifié par le Règlement n° 12/05 prévoit des organes et la mise en oeuvre des opérations conséquentes. Il est cependant connu que les Etats et les entités soumises à leur tutelle, ne sont pas facilement malléables sur le plan de la justice. A l'examen, on dénote d'une part une procédure peu ordinaire quant à la

    106 Article 102 du TFUE.

    107 En réalité, la ville de Douala avec son port autonome constitue le point majeur de desserte des pays tels que la République Centrafricaine, le Tchad et la Guinée Equatoriale tous particulièrement enclavés. Elle regroupe également l'essentiel des entreprises camerounaises et constitue ainsi le lieu des opérations importantes tant pour le Cameroun que pour la sous région.

    108 Voir en ce sens KALIEU (Y.) et KEUGONG WATCHO (R.S.), Commentaire sur Règlement n° 1/99/UEAC-CM-639 du 25 juin 1999 portant réglementation des pratiques commerciales anti concurrentielles et Règlement n° 4/99/UEAC-CM- 639 du 18 aout 1999 portant règlementation des pratiques étatiques affectant le commerce entre les Etats membres, JP n°54, Avril-Mai-Juin 2003, pp.96-97.

    109 NJEUFACK TEMGWA (R.), op. cit., p. 41.

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    prise des décisions (Paragraphe 1) et d'autre part, une procédure particulière en vue de leur exécution (paragraphe 2).

    Paragraphe 1 : Une procédure peu ordinaire quant à la prise de décisions

    La législation communautaire sur les pratiques étatiques ne contient aucune procédure générale liée au contrôle des abus de monopole. On se serait attendu qu'une procédure spécifique soit instituée à l'encontre des entreprises concernées. Curieusement, le Règlement n°1/99 et ses modifications sont plus exhaustifs sur ce point alors qu'en réalité, les contextes ne sont pas identiques. Aux termes de l'article 17 paragraphe 1 du Règlement n°12/05, « il est crée pour l'application du présent Règlement, un Conseil Régional de la Concurrence chargé de donner des avis au Secrétaire Exécutif de la CEMAC sur toutes les questions ou litiges concernant la concurrence dont elle est saisie »110. Il apparait clairement que les organes de prise de décisions existent avec des compétences précises (A), même si en matière d'abus de monopole légal, les personnes indexées suscitent des interrogations (B).

    A. Les organes compétents111

    Ce sont le Conseil Régional de Concurrence (1) et la Commission112 (2), coiffés par la Cour de Justice Communautaire (3).

    1- Le Conseil Régional de Concurrence (CRC)

    L'article 8 du Règlement n°4/99 interdit aux entreprises en situation de monopole de se livrer particulièrement à un certain nombre de pratiques. L'article

    110 L'ancienne rédaction de cet article prévoyait la création d'un Organe de Surveillance de la Concurrence composé du Secrétariat Exécutif, chargé de l'instruction des pratiques prohibées et du Conseil Régional de la Concurrence chargé de délibérer et d'arrêter les décisions en matière de répression des infractions. Cet organe n'existe plus.

    111 L'article 47 du Règlement n°1/99 prévoit que les pratiques étatiques affectant le commerce entre les Etats membres feront l'objet d'un Règlement particulier. Néanmoins, l'organe chargé du contrôle des pratiques anticoncurrentielles et la commission permanente sont communs aux pratiques commerciales et aux pratiques étatiques.

    112 Depuis la réforme des institutions de la CEMAC intervenue en 2007, le Secrétariat Exécutif est devenue la Commission.

    30

    suivant dispose que : « Le CRC veille à l'application des dispositions de l'article 8. Il adresse en tant que de besoin, les directives et décisions appropriées aux Etats membres, pour les informer qu'une mesure donnée est contraire aux prohibitions édictées à l'article précédent et leur demander d'y mettre fin ». Cette compétence reconnue au CRC mérite quelques précisions surtout que le Règlement modificatif a opéré dans certains domaines de compétence un dessaisissement important de ses compétences113. Le CRC a une composition très riche en compétence. Il s'agit selon l'article 18 nouveau, des personnalités suivantes : un magistrat, Président et des membres en l'occurrence un représentant de la Conférence des Chambres Consulaires, d'un universitaire, spécialiste du droit de la concurrence, d'un avocat, spécialiste du droit des affaires, un macro économiste, un ingénieur statisticien économiste, un représentant des associations des consommateurs, un représentant de l'Union des Patronats de l'Afrique Centrale (UNIPACE)114. Il est tout de même curieux de constater que désormais, celui-ci n'est plus chargé que de donner des avis. En tout cas, loin d'être un simple instrument de consultation juridique, l'intervention du CRC s'apparente à une mesure d'instruction exercée par un technicien115.

    En ce qui concerne les abus de monopole, le CRC après avoir été saisi, délibérera par un avis consultatif qui sera communiqué à la Commission. Le doute survient lorsqu'aucune précision n'est faite sur la force, ou du moins le sort de cet avis.

    113 KALIEU ELONGO (Y.R.) et WATCHO KEUGONG (R.S.), La réforme de la procédure communautaire de concurrence CEMAC, op. cit., p. 108.

    114 Antérieurement à la réforme, le CRC était composé de sept membres à l'exclusion du représentant de la Conférence des Chambres Consulaires et le représentant de l'Union des Patronats de l'Afrique Centrale.

    115 GODET (R.), « La participation des autorités administratives indépendantes au règlement des litiges juridictionnels en droit commun : l'exemple des autorités de marché », R.F.D.A., 2000, p. 957. Cité par NJEUFACK TEMGWA (R.), Etude de la notion de collaboration dans les procédures en droit de la concurrence : une lecture du droit africain (CEMAC et UEMOA) sous le prisme du droit européen, op. cit., p. 81.

    31

    2- La compétence de la Commission

    La Commission est chargée de l'instruction et des enquêtes relatives aux infractions se rapportant aux règles de concurrence et aux aides d'Etats116. Ce renforcement du rôle de la Commission est en outre consacré par la possibilité d'arrêter les sanctions relatives aux infractions117. Suivant l'article 10 du Règlement n° 4/99 qui dispose : « Les infractions sont poursuivies conformément aux dispositions

    du Règlement n°1/99-639-UEAC-639 portant réglementation des pratiques
    commerciales anticoncurrentielles
    », on déduit aisément que l'instruction et les enquêtes ressortissent normalement de la compétence de la Commission qui pourra adopter une décision formelle condamnant ou non la pratique incriminée. Une doctrine118 propose néanmoins que pour plus d'efficacité, le CRC aurait pu être intégré au sein de la Commission. Son rôle serait alors d'examiner, obligatoirement, les rapports, procès verbaux et toutes les informations qui lui seront communiquées après enquêtes et instructions afin de donner son avis à la Commission. Au demeurant, la composition du CRC est désormais bien pensée, car elle combine toutes les expertises indispensables à la maîtrise d'un contentieux économique119. Il s'agit en l'occurrence d'un organe technique spécialisé dont les travaux peuvent s'enrichir de l'expérience de l'expert enquêteur désigné par le Président de la Commission ou l'Etat membre concerné par le litige le cas échéant.

    Dans le souci de l'administration d'une bonne justice communautaire, les décisions de la Commission peuvent faire l'objet de contestation.

    116 Article 17 paragraphe 2 du Règlement n°12/05.

    117 Article 19 paragraphe 3.

    118 KALIEU ELONGO (Y.R.) et WATCHO KEUGONG (R.S.), La réforme de la procédure communautaire de concurrence CEMAC, op. cit., p. 112.

    119 NJEUFACK TEMGWA (R.), Etude de la notion de collaboration dans les procédures en droit de la concurrence : une lecture du droit africain (CEMAC et UEMOA) sous le prisme du droit européen, op. cit., p. 80.

    32

    3- La compétence a postériori de la Cour de Justice Communautaire

    Contrairement aux aides d'Etats120, l'article 10 du Règlement n°4/99 reconnait de manière implicite la compétence de la CJC pour connaitre des recours en matière de monopoles légaux puisque les infractions y relatives sont poursuivies conformément aux dispositions de la réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles121. Il ressort des articles 24 du Règlement n°1/99 et 25 du Règlement n°12/05 que les décisions rendues par la Commission peuvent faire l'objet d'un recours auprès de la Cour de Justice de la CEMAC122, chambre judiciaire, par les entreprises et les tiers ayant un intérêt légitime123. De plus, considérée comme la plus haute juridiction communautaire à l'instar des cours suprêmes nationales, la Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction en dernier ressort sur la légalité de la décision de la Commission. Si les intéressés peuvent de manière ordinaire faire opposition, extraordinairement, ils ont la possibilité d'une tierce opposition, d'un recours en révision, de la contestation sur le sens ou la portée du dispositif et de la vérification d'erreur matérielle. Ces recours sont introduits par requête à la Cour ou au greffe de la chambre judiciaire124.

    A vrai dire, le législateur communautaire peut infliger des sanctions à exécution directe comme les amendes. Pour d'autres, il pose les bases d'incrimination et renvoie aux lois nationales qui fixent les mesures répressives finales125. On notera

    120 En matière d'aides d'Etats, c'est le Conseil des Ministres qui est compétent pour connaitre des recours du CRC y relatives (article 6 du Règlement n°4/99).

    121 MBOGNING KENFACK (J.S.), L'intégration économique de la CEMAC à l'aune du marché commun et les politiques d'accompagnement, Mémoire DEA, Dschang, 2006, p.91.

    122 La Cour arbitrale était chargée de façon provisoire de connaitre des recours exercés contre les décisions du conseil régional. Il est remplacé par la Cour de Justice Communautaire donc la mise en place a été effective en 2000. On aurait pu penser qu'en instituant la Cour Arbitrale, l'intention du législateur communautaire était de soumettre le Règlement des différents au droit de la concurrence à un modèle arbitral. Ce qui aboutirait à une parenthèse fermée avant d'avoir été ouverte (Cf. PRISO ESSAWE (S. J), L'émergence d'un droit communautaire africain de la concurrence : double variation sur une partition européenne, Revue Internationale de Droit Comparé, n°2, Avril juin 2004, p.329).

    123 Les Actes Additionnels n°4/00-CEMAC 041-CCE-CJ-02 et n°5/00-CEMAC 041-CCE-CJ-02 du 14 décembre 2000 fixent respectivement les règles de procédure et le statut de cette juridiction.

    124 Pour une étude détaillée des voies de recours, voir GNIMPIEBA TONNANG (E), Droit matériel et intégration sous-régionale en Afrique centrale (contribution à l'étude des mutations récentes du marché intérieur et du droit de la concurrence CEMAC), Thèse de Doctorat, Université de Nice-Sophia Antipolis, Mars 2004, pp. 309-314.

    125 Article 27 § 3 du Règlement n° 1/99.

    33

    enfin le concours des organisations de consommateurs et des juridictions nationales. Concernant ces dernières en effet, le prononcé des sanctions pénales se présente comme le domaine réservé du juge national en cas de violation de la réglementation communautaire. Cette situation s'expliquerait par le fait que, si le juge communautaire venait à prononcer des peines privatives de liberté, la Communauté ne disposerait pas de structures pour accueillir les pensionnaires de cette nature126. C'est pourquoi le juge national demeure tout naturellement le juge d'application des peines127.

    Ces Etats, comme en matière d'aides aux entreprises, sont directement visés en cas de pratiques démesurées des monopoles légaux.

    B. Le traitement diplomatique des abus de monopoles légaux par le droit

    communautaire

    Les entreprises bénéficiant des droits exclusifs ne doivent pas se livrer à des pratiques abusives ; le cas échéant, les règles communautaires s'appliquent. Curieusement, l'article 9 du Règlement n°4/99 indique que les Etats vont se voir adresser les directives ou décisions appropriées pour les informer qu'une mesure donnée est contraire aux prohibitions édictées et leur demander d'y mettre fin. Le législateur laisse donc le choix, en deuxième ressort, aux Etats de prendre des mesures de cessation urgentes. A propos, une discussion vaut la peine d'être soulevée.

    D'une part, les monopoles légaux étant régis en tant que pratiques étatiques affectant le commerce entre les Etats, il est tout à fait normal de pointer directement du doigt les Etats et leur demander de mettre fin à la pratique querellée. On est tenté de

    126 CHAMEGUEU (G.M.), Le contrôle juridictionnel des activités de la CEMAC, Mémoire DEA, Université de Douala, 2008, p. 16.

    127 La Cour de Justice de la CEMAC reconnaît elle-même que les infractions pénales au droit communautaire relèvent de la compétence des juridictions nationales en affirmant dans un de ses arrêts que : « Considérant que les violations alléguées des dispositions des articles 6 de l'annexe de la Convention du 17 janvier 1992 constituent des infractions pénales dont la connaissance relève des juridictions camerounaises ». Cf. arrêt n°003/CJ/CEMAC/CJ/03 du 03juillet 2003, affaire Tasha Loweh Lawrence c/ Décision COBAC D-2000/22 et Amity Bank Cameroon plc, Sanda Oumarou, Anomah Ngu Victor.

    34

    croire que le monopole légal est ici réduit à un simple prolongement de l'administration publique, mais est ce vraiment le cas ?

    D'autre part, même profitant des droits exclusifs pour exploiter un service public ou pour produire des biens et des services, ces entreprises publiques ou privées, sont avant tout, des opérateurs économiques, voire des commerçants. On suspecte ainsi à leur égard, une certaine autonomie. L'Etat accorde des droits exclusifs pour des raisons propres mais n'ordonne ou encore n'intervient pas lorsque ces entreprises pratiquent des ventes liées ou des ruptures injustifiées de relations commerciales. Ces entreprises pourraient évidemment être indexées illico comme en matière d'ententes illicites ou de concentrations et il reviendrait à l'Etat, de prendre des mesures de réparation en compensation de l'exclusivité préjudiciable accordée. On sous-entend que le comportement d'une entreprise peut échapper à l'application des règles communautaires par manque d'autonomie, si l'attitude lui a été unilatéralement imposée par les autorités nationales128.

    Du reste, on pourrait se servir du recours en manquement, prévu par les articles 258 à 260 du TFUE, qui est l'une des pièces essentielles du dispositif communautaire. Il permet à la Commission d'engager des poursuites contre un Etat membre si elle estime que cet Etat a manqué à l'une des obligations qui lui incombent en vertu du Traité. La procédure est simple : l'Etat en cause doit d'abord être mis en mesure de présenter ses observations sur la question litigieuse. En août 1991 par exemple, la Commission a écrit à plusieurs Etats membres (dont la France) en les invitant à présenter des observations sur les droits exclusifs établis par leur législation dans les secteurs de l'électricité et du gaz129.

    A la vérité, l'intérêt majeur est donc de soumettre indirectement les incursions étatiques au droit de la concurrence et en infligeant, dans la mesure du possible, les sanctions appropriées.

    128 TPICE, 18 septembre 1996, Asia Motor France, Aff. 387/94, Rec. II, 961.

    129 HAMON (F.), Les monopoles des services publics français face au droit communautaire : le cas d'EDF et GDF, Recueil Dalloz 1993, Chroniques p. 91.

    Paragraphe 2 : Une procédure particulière quant à l'exécution des

    décisions

    La saisine des organes leur permet d'examiner la cause en vue de prendre évidemment des sanctions, déterminées de façon acrobatique (A). Celles-ci doivent être appliquées en principe aux Etats et l'on n'ignore que sur ce point particulier, l'application des décisions à leur encontre se heurte à des difficultés (B).

    A. La détermination complexe des sanctions encourues

    L'article 10 du Règlement n°4/99 stipule que : « Les infractions sont poursuivies conformément aux dispositions du Règlement n°1/99... ». Ce texte traitant de plusieurs pratiques commerciales, on est davantage fixé par l'article 8 du Règlement n°4/99 qui nous rappelle que les entreprises en situation de monopole légal ou de fait sont soumises aux règles régissant les pratiques anticoncurrentielles notamment à celles relatives à l'abus de position dominante. Se référant à ces dernières, on constate que le législateur opère une fois de plus par renvoi aux ententes prohibées à l'exception de conditions relatives à l'obligation de notification130.

    Le chapitre 1 du Titre IV du Règlement n° 1/99 traite des sanctions des ententes prohibées. Ces sanctions visent les entreprises mises en cause et les personnes physiques qui y ont énergiquement participé. On se pose alors la question de savoir comment transposer cette disposition en cas de pratiques monopolistiques abusives ? En se reportant par la suite au Règlement n° 4/99, il est clair que ce sont les Etats qui sont visées. Cette option facile du législateur n'est-elle pas critiquable dans la mesure où les ententes illicites et les abus de monopoles légaux regorgent des contextes qui leur sont propres ? On peut sans doute avancer la raison que les sanctions pécuniaires sont commandées à l'encontre des Etats au nom et pour le compte des entreprises intervenues dans les transactions excessives. Et pour les peines d'emprisonnement, doit-on objectivement les exclure dans le cas d'espèce ? La raison de ce

    35

    130 Article 42 du Règlement n°1/99.

    36

    questionnement est qu'il est inconcevable d'envisager qu'une personne à qui l'Etat a accordé des droits exclusifs se voit infligée une peine d'emprisonnement. A plus forte raison, l'infraction des personnes physiques en matière des interventions publiques en Afrique centrale est d'une telle complexité que l'on peut avoir des doutes sur son caractère réel131.

    En matière d'aide d'Etats, le débat ne se pose pas de la même façon ; en droit communautaire, l'État membre qui octroie l'aide est le destinataire des mesures adoptées par la Commission132. Si donc, il était fait grief plutôt aux droits exclusifs accordés aux entreprises, on conclurait de la même façon dans le cadre des monopoles légaux sachant que l'irrespect par l'administration des règles de concurrence est aussi susceptible d'engager sa responsabilité133.

    Quoi qu'il en soit, la Commission pourrait infliger une amende134 dont le montant ne peut dépasser 5% du chiffre d'affaires hors taxes réalisé par l'entreprise monopolistique dans le marché commun au cours du dernier exercice clos, sur les produits litigieux ou, 75% du bénéfice réalisé au cours de l'opération prohibée. A défaut d'exécution spontanée, les astreintes de 100 000 à 5 000 000 de francs CFA par jour de retard, à compter de la date fixée sans la décision, qui viendront en majoration pour contraindre les concernés à s'exécuter.

    131 TECHIOTSOP (C.), op. cit., p. 102.

    132 BLUMANN (C.), Contrôle des aides d'État et droit des tiers, Montchrestien, Paris, 2003, p. 325.

    133 L'arrêt de la Cour d'appel administrative de Paris du 14 juin 2010 concernant la Fédération française de football.

    134 La qualification des amendes en droit communautaire a soulevé un débat doctrinal. Pour les uns, considérant que les pratiques interdites constituent de véritables infractions comprenant des éléments légal, matériel et moral et que l'amende répond à la définition de la peine dans sa fonction rétributive, « les textes qui nient la qualification pénale usent un raisonnement purement verbal » ou « constituent une fiction » ( RIGAUX (J), Trib. 1973, 56 ; LOMBOIS, Droit Pénal International, Paris, Dalloz, 2e éd. 1979, n°161 ; LEGROS, CDE 1980, P.222 et 236-237). Pour les autres, les amendes communautaires sont exclusivement administratives car la qualification pénale supposerait que les Etats ont transféré une partie de leur souveraineté (VANDERSANDEN CDE, 1971, 38 et s. ; GASSIN, in Etudes offertes à Alfred JAUFFRET, 1974, p. 338). Controverse relevée par ABOMO (M.L.), Les particularismes et les zones d'ombre de la répression des pratiques anticoncurrentielles dans la zone CEMAC, JP n°70, avril-mai-juin 2007, p. 111. A notre sens, par souci de conciliation, les amendes communautaires peuvent être appréhendées comme des sanctions administratives pénales.

    37

    B. Le problème de l'efficacité des mesures de contrainte

    Le recouvrement des amendes et astreintes bénéficie des mêmes sûretés et privilèges que celui des créances fiscales135. Toutefois, on s'interroge quand même sur les facilités d'exécution pour évoquer ici certains moyens de défense automatique reconnus aux Etats. Ce doute se renforce encore plus lorsqu'on lit dans le Traité révisé de la CEMAC que : «les décisions qui comportent, à la charge des personnes autres que les Etats, une obligation pécuniaire, forment titre exécutoire »136. Qu'en est-il donc de celles qui interpellent les Etats ? Cette question reprécise une inquiétude déjà soulevée par une doctrine137 sur le caractère politique du recours contre le refus d'exécution par un Etat concerné des exhortations du CRC.

    L'article 30 de l'Acte uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution dispose à cet effet que : « l'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité d'exécution ». L'Etat est la personne morale par excellence jouissant d'une telle immunité.

    En outre, en prévoyant que les directives ou décisions appropriées peuvent être adressées aux Etats membres pour les informer qu'une mesure donnée est contraire aux prohibitions édictées à l'article 8 et leur demander d'y mettre fin, le législateur CEMAC ne fournit pas les garanties effectives en vue de leur exécution. La venue d'une jurisprudence communautaire en la matière pourra résoudre un certain nombre de problème.

    En attendant les « textes spécifiques138 », on pourrait s'appuyer sur l'article 51 du Traité CEMAC qui institue un prélèvement automatique sur le compte ouvert

    135 Article 31 paragraphe 2 du Règlement n°1/99.

    136 Article 45 alinéa 1 du Traité.

    137 NJEUFACK TEMGWA (R.), Le renouveau du cadre institutionnel-décisionnel au sein de la CEMAC, vers une communauté plus dynamique ?, Annales de la FSJP, Université de Dschang, T.8, 2004, p.170.

    138 L'article 4 paragraphe 2 du Traité révisé de la CEMAC apporte sans toute fois régler le problème, une piste de solution en prévoyant que : « En cas de manquement par un Etat aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire, la Cour de Justice peut être saisie en vue de prononcer les sanctions dont le régime sera défini par des textes spécifiques ».

    38

    par chaque trésor national auprès de la BEAC lorsque l'Etat n'a pas effectué les versements auxquels il est astreint.

    A notre avis, les entreprises publiques ou privées auxquelles l'Etat accorde des droits exclusifs, intervenant dans le marché et se livrant à des activités commerciales, doivent être traitées comme les autres et répondre de leurs actes sans que l'on invoque le couvert des Etats. C'est en cas de défaillance qu'on pourrait recourir à ces derniers, tenus d'apporter leurs concours à la réalisation des objectifs de l'Union Economique en adoptant toutes mesures internes propres à assurer l'exécution de leurs obligations. Car en réalité, la libre concurrence permet d'appréhender l'impact d'une décision publique sur le marché des opérateurs économiques, dont elle ne doit ni entraver le bon fonctionnement ni placer l'un des opérateurs en situation de développer une pratique anticoncurrentielle139.

    Aussi, doivent-ils s'abstenir de toute mesure susceptible de faire obstacle à l'application de la Convention de l'UEAC et des actes juridiques pris pour sa mise en

    oeuvre140.

    *

    * *

    Le législateur CEMAC interdit donc aux monopoles des pratiques abusives qu'il a fallu apprécier sur le plan communautaire avant de voir que la répression ne se définit pas aisément comme en matière de pratiques commerciales prohibées. Les difficultés seront en partie réglées s'il était institué un régime de répression propre aux monopoles légaux dont l'état actuel des choses confirme que c'est « un domaine

    139 NICINSKI (S.), LOMBARD (M.), GLASER (E.), Actualité du droit de la concurrence et de la régulation, ADJA, L'Actualité juridique, Dalloz, n°12/2011, 4 avril 2011, p. 649.

    140 Idée tirée de l'article 10 de la Convention de l'UEAC.

    soustrait à tout contrôle efficace »141. La jurisprudence communautaire ne s'est malheureusement pas encore prononcée sur la question, ce qui laisse encore planer des doutes. Une autre solution existe néanmoins et pourrait constituer, selon le cas, une arme efficace : c'est la théorie des « facilités essentielles ».

    39

    141 MBOGNING KENFACK (J.S.), op. cit. p.88.

    CHAPITRE 2 : LA SOUMISSION PAR L'APPLICATION DE LA THÉORIE DES FACILITÉS ESSENTIELLES

    40

    Les « facilités essentielles » désignent des actifs qui sont généralement détenus par des monopoleurs qui dominent donc des marchés en amont et qui sont essentiels pour accéder à un marché aval, actuel ou potentiel (produit nouveau)142. C'est la circonstance particulière d'un monopoleur, auteur d'un blocus, invoquant un droit de propriété sur des équipements essentiels. Tel est le cas des ports (monopole du gestionnaire sur le marché amont des infrastructures, accès indispensable sur le marché aval du transport143), des aéroports144 et même des infrastructures ferroviaires145. La théorie des « facilités essentielles » trouve son origine en droit américain de l'antitrust, plus précisément dans la décision United States v. Terminal Railroad de 1912. La « Terminal Railroad Association » avait été assignée par les Etats Unis parce que, jouissant d'un monopole par le contrôle des ponts ferroviaires, elle en refusait l'accès aux sociétés ferroviaires rivales. La Cour suprême a par conséquent, considéré que les ponts ferroviaires étaient des facilités devant être mises à la disposition des concurrents qui en font la demande à tarifs raisonnables et non discriminatoires. Cette théorie a été reçue par la jurisprudence européenne à propos d'une affaire Oscar Bronner qui est aujourd'hui la décision de référence d'application de la théorie ou, à tout le moins, celle qui pose les critères d'application générale plus stables146. Son

    142 GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op. cit., p. 377.

    143 V. Déc. 21 décembre 1993, Port de Robby et Sea Containers : JOCE n°55, 25 février 1995 ; Déc. 16 mai 1995, Irish Continental Group, Rapport 1995, p. 126.

    144 TPICE, 12 décembre 2000, Aéroports de Paris, Aff. T. 128/98 : Rec. CJCE 2000, II, p. 3939.

    145 V. Déc. 23 août 2003, GVS-FS, JOUE n° L. 11, 16 janvier 2004. Au Cameroun, en vertu du Décret n°99/058 du 19 mars 1999 portant approbation de la Convention de concession de l'activité ferroviaire au Cameroun au profit de la Société CAMRAIL, les rails sont utilisés exclusivement par la dite société, constituant ainsi des installations essentielles pour l'accès à un compétiteur dans le transport ferroviaire.

    146 EVRARD S-J, Essential Facilities in the EU : Bronner and Beyond, Colombia Journal of European Law, Vol.10, 2004 cité par THOMAS SERTILLANGES (J-B), La théorie des facilités essentielles en droit de la

    41

    application a été par la suite consacrée dans la célèbre affaire Magill rendue en 1995, dans laquelle le juge communautaire a eu à poser qu'un élément autre qu'une infrastructure physique tel qu'un droit de propriété intellectuelle puisse être considéré comme une infrastructure essentielle147.

    Cette théorie repose sur l'idée selon laquelle lorsque l'accès à une ressource est essentiel pour pouvoir opérer sur le marché dérivé, le propriétaire peut, dans certaines circonstances, être obligé de garantir l'usage à d'autres opérateurs148. Certaines conditions doivent donc être cumulativement observées pour que le refus d'accès aux installations ou infrastructures détenues par l'entreprise monopolistique soit qualifié d'abusif en droit de la concurrence (section 1). Ces conditions réunies permettront de mettre en oeuvre cette théorie dont l'efficacité doit être démontrée (section 2).

    SECTION 1 : LE CONTENU DE LA THÉORIE DES FACILITÉS
    ESSENTIELLES

    Dès l'apparition de la théorie, la jurisprudence européenne en a fait sienne. Nombre de décisions149 ont été rendues en ce sens avec des critères évoluant au vu de chaque espèce. Si les unes concernent les détenteurs des droits de propriété intellectuelle, les autres, pour la plupart, s'appliquent aux monopoles légaux disposant d'une ressource stratégique. Celle-ci étant la clé d'accès à un marché secondaire. Toutes ces décisions indiquent des conditions d'application de la théorie. Cependant,

    propriété intellectuelle, approche et perspectives à la lumière de l'affaire Microsoft, Mémoire de Master, Université Paris- Ouest, Nanterre la Défense, Octobre 2008, p.16.

    147 CJCE, 6 avril1995, RTE et ITV C/ Commission (Magill TV guide), Aff. C. 241 et 242/91 : Rec. CJCE 1995, I, p.2265 concernant la détention des droit d'auteur sur les grilles de programmes TV.

    148 Par exemple au Cameroun, la CAMTEL, qui est le fournisseur local provisoire d'accès au segment spatial, est tenu en principe de partager ce dernier avec d'autres opérateurs qui souhaitent exercer dans la télécommunication.

    149 CJCE, affaire Magill précitée ; CJCE, 29 avril 2004, IMS Health c/ Commission, Aff. C. 418/01, Rec. I, 5039 ; TPICE, 16 décembre 1999, Micro Leader Business c/ Commission : Rec. CJCE, II, p. 3989 ; Déc. 14 janvier 1998, Flughafen Frankfurt am Main, JOCE n° L. 72, 11mars 1998 ; CJCE, 5 octobre 1998, Volvo c/ Veng, Aff. 238/87 : Rec. CJCE 1998, I, p. 6211.

    42

    la synthèse de toutes ces exigences se retrouve formulée dans l'arrêt MCI v. AT&T de 1983 de la cour d'appel du 7e circuit aux Etats Unis. A l'analyse, on distingue les conditions relatives au titulaire de la facilité (paragraphe 1) et celles liées à la nature de la ressource proprement dite (paragraphe 2).

    Paragraphe 1 : Les conditions relatives au titulaire de la facilité

    Le propriétaire, personne physique ou morale, doit être en une véritable situation de monopole (A). Celle-ci est justifiée par la possession d'une ressource importante pour l'accès d'un concurrent à qui l'utilisation est illégitimement refusée (B).

    A. La situation de monopole du titulaire

    Si le titulaire n'est pas en situation de monopole ou de position dominante, les tiers ont a priori un accès concurrentiel sur le marché et à une technologie suffisante. Il est donc nécessaire que le monopole soit incontestable, d'une part, par la qualité de l'infrastructure et d'autre part, par l'exclusivité de son usage.

    Au Cameroun par exemple, la Cameroon Telecommunications (CAMTEL) est le fournisseur local provisoire chargé de la gestion de tous les segments spatiaux des systèmes à satellites ayant une empreinte au Cameroun150. Aussi, elle fournit en exclusivité l'accès au segment spatial aux opérateurs et exploitants de réseaux et fournisseurs de services autorisés pendant toute la durée de validité de la décision n°000179151. Ce monopole de la CAMTEL est d'autant plus clair qu'elle a pour objet de posséder, d'opérer et de fournir une infrastructure et des services de télécommunications dans le cadre des licences à elle octroyées à cet effet par les autorités compétentes152.

    150 Article 5 alinéa 2 de la Décision N°000179/MPT/SG/DPE du 07 octobre 2003 portant désignation et attributions du fournisseur local provisoire d'accès au segment spatial au Cameroun.

    151 Article 6 de l'annexe à la Décision N°000179/MPT/SG/DPE du 07 octobre 2003.

    152 Article 2 alinéa 1 du Décret 98/198 du 8 septembre 1998 portant création de la société Cameroun Telecommunications.

    43

    L'équipement nécessaire en question ne doit pas simplement s'avérer utile aux concurrents, mais être une condition de « viabilité concurrentielle » de l'entreprise dominante153. En outre, comme le souligne une doctrine, seule une situation de monopole soumet le titulaire d'une infrastructure essentielle à des obligations particulières vis-à-vis des autres opérateurs désirant entrer sur le marché154.

    B. Le refus illégitime d'utilisation opposé aux concurrents

    Le monopoleur en possession de la ressource nécessaire doit opposer un refus dépourvu de justification, c'est-à-dire enclin à exclure toute concurrence dans le marché dérivé. Selon la décision Hecht v. Pro Football de 1977(Cour d'Appel du district de Colombia), pour qu'une facilité soit qualifiée d'essentielle, il n'est pas nécessaire que cette dernière soit réellement indispensable. Il suffit de montrer que le refus d'accès inflige un sérieux handicap aux nouveaux entrants potentiels sur le marché. Dès lors, le refus de contracter peut s'avérer illicite s'il est motivé par l'intention de créer ou de maintenir un monopole. A bien des égards, la théorie des équipements essentiels est une application particulière du refusal to deal155.

    Le requérant devra prouver devant les juridictions communautaires, un effet néfaste, potentiel ou avéré, sur la concurrence résultant du refus. C'est dire qu'il devrait apporter la preuve d'une intention subjective, des mobiles qui ont déterminé le refus de contracter, preuve éventuellement corroborée par les effets économiques et concurrentiels avérés156. A titre illustratif, la Cour de cassation a eu à confirmer le refus d'accès à une infrastructure essentielle au motif que le défaut d'accès à la dite infrastructure ne compromet pas la situation des requérants dont les produits d'exploitation n'ont subi aucune dégradation au cours des dernières années. Elle conclut donc que le refus d'accès direct au tronc commun du logiciel Presse 2000 opposé par les Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP) à la société

    153 Data General Corp. v. Grumman Sys. Support Corp., 36F. 3d 1147, 1187 (1st cir. 1994).

    154 BOY Laurence, «L'abus de pouvoir de marché : contrôle de la domination ou protection de la concurrence ? », R.I.D.E., 2005, Livre 1, p. 40.

    155 Image Technical Servs. Inc v. Eastman Kodak Co., 125 F. 3d 1195, 1201-02 (9th cir. 1997).

    156 THOMAS SERTILLANGES (J-B), Mémoire précité, p.26.

    44

    Messagerie lyonnaise de presse (MLP), n'était pas à l'origine directe et certaine d'une atteinte grave et immédiate à l'intérêt des MLP ou au secteur intéressé.

    Le refus du titulaire doit être objectivement injustifié dans la mesure de l'approvisionnement d'un marché alors qu'il existe une demande légitime et importante pour les produits qui incorporent le droit de propriété. En outre, le refus illégitime peut se caractériser par une discrimination d'accès à l'infrastructure essentielle. C'est l'hypothèse où une entreprise monopolistique, détentrice de l'installation concernée en octroierait l'usage à certains opérateurs économiques tout en le déclinant à d'autres se trouvant pourtant dans une situation comparable157.

    La ressource exigée, selon sa nature, doit remplir des conditions qui lui sont

    propres.

    Paragraphe 2 : Les conditions liées à la nature de l'infrastructure

    La jurisprudence de la cour d'appel du 7e circuit pose également deux critères supplémentaires, en tenant compte cette fois de la typologie de l'installation. Celle-ci ne peut être reproduite dans les conditions normales (A). Par ailleurs, dans le souci de conciliation des intérêts, il est surtout exigé que l'utilisation partagée soit techniquement et économiquement possible (B).

    A. La duplication techniquement inenvisageable

    La Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 9 septembre 1997 a défini la notion d'infrastructure essentielle comme « des équipements indispensables pour assurer la liaison avec les clients et/ ou permettre à des concurrents d'exercer leurs activités et qu'il serait impossible de reproduire par des moyens raisonnables ». Cette condition répond à ceux qui pensent que la théorie des facilités essentielles tue la concurrence,

    157 Voir sur cet aspect les conclusions de l'avoat général Gulman précédant l'arrêt Magill, point 115.

    45

    dans la mesure où il est exigé que le concurrent soit dans l'impossibilité matérielle ou juridique de répliquer l'installation ou le poids de la duplication serait manifestement déraisonnable. Par exemple, une entreprise tierce qui souhaite relier la ville de Douala à N'Djamena par chemin de fer pour les besoins de son commerce, doit naturellement se servir des rails de la Cameroun Railways puisque, techniquement, il serait impossible de créer d'autres sur la même voie de transport.

    Dans cette logique, il se trouve qu'il n'est pas économiquement viable de répliquer cette facilité ; cela signifie qu'elle demeurera essentielle s'il n'existe ni substitut réel ou actuel, encore moins potentiel. On n'imagine pas d'autres moyens de parvenir aux mêmes fins et en plus, matériellement et financièrement, le concurrent n'est pas en mesure d'assurer la reproduction. Le juge devra chercher si un opérateur standard (in abstracto) placé dans les conditions analogues (in concreto) aurait été capable de reproduire une solution alternative. C'est donc la disproportion entre les moyens à mettre en oeuvre, les résultats escomptés et a contrario les conséquences du renoncement qui révèle le caractère déraisonnable du processus de reproduction. Si celui-ci est trop onéreux, long ou incertain, il est déraisonnable entraînant l'absence de substitut potentiel.

    En France, il est connu qu'une ressource ne pourrait constituer une facilité essentielle que s'il était établi que son usage est strictement nécessaire pour exercer une activité économique et qu'une entreprise, concurrente de celle qui l'a mis au point, ne pourrait pas développer une ressource concurrente de la première. Si, à l'inverse, il était établi, soit que l'accès à cette ressource n'est pas strictement nécessaire en raison du fait, par exemple, que des concurrents seraient prêts à exercer l'activité économique en question sans l'utiliser, soit que les concurrents, auxquels l'accès à la ressource est dénié, pourraient être capables d'innover en développant, dans des conditions économiques raisonnables, une ressource équivalente, « le logiciel considéré ne revêtirait pas les caractéristiques d'une facilité essentielle au sens de la jurisprudence

    »158

    158 Avis n°02-A-08 du 22 mai 2002, non publié. Ce fut le cas des logiciels protégés en France par le droit d'auteur.

    46

    Le juge américain, à cet effet, considère que « comme l'indique le mot essentiel, le requérant doit prouver plus que la simple inconvenience ou même une perte économique. Il doit montrer qu'une alternative à la facilité n'est pas faisable »159.

    Il n'existe donc pas de facilité essentielle en présence d'autres options, plus coûteuses, mais praticables160.

    B. La possibilité d'une utilisation saine

    L'utilisation saine de la facilité s'apprécie d'abord sur le plan technique. En effet, si le titulaire de l'installation ou de la ressource peut concéder l'usage concomitant à un tiers, il ne faudrait pas que cette concession empiète ou emporte son propre emploi. Il y a donc lieu d'entrevoir la faisabilité pour l'entreprise monopolistique de mettre son installation à la disposition du concurrent. Ce qui veut a contrario dire que le refus du titulaire pourra être justifié s'il prouve que l'utilisation partagée de l'infrastructure altérera de manière significative son droit. Le demandeur doit être dans l'incapacité d'utiliser de façon saine l'installation.

    Sur le plan économique ensuite, l'usage par le concurrent ne doit pas causer un préjudice au titulaire. Ainsi, l'entreprise en situation de monopole se déchargera en invoquant des raisons légitimes telles que le risque pour elle d'enregistrer une augmentation substantielle de ses coûts ou encore l'insolvabilité manifeste de celui qui fait la demande d'accès.

    Une autre justification du refus couramment avancée est l'impossibilité technique ou pratique de donner accès, notamment pour des raisons de saturation de capacité ou encore l'incapacité technique ou financière du demandeur de faire face durablement aux obligations résultant de l'exercice de son activité161.

    Le détenteur de la facilité est donc soumis à des contraintes pour le bien du marché commun. Il doit offrir l'accès aux nouveaux concurrents et n'a pas la faculté

    159 Twin Lab. V. Weider Health & Fitness, 900 F. 2d 566, 570 (2nd cir. 1996).

    160 CJCE, 26 novembre 1998, affaire Oscar Bronner précitée.

    161 Article10 alinéa 1 du Décret n°2001/830/PM du 17 septembre 2001 définissant les modalités d'autorisation d'exploitation des réseaux de télécommunications.

    47

    de refuser de contracter ou choisir son partenaire ; le cas échéant, il s'exposera à une sanction énergique.

    SECTION 2 : L'EFFICACITÉ DE L'APPLICATION DE LA THÉORIE

    DES FACILITÉS ESSENTIELLES

    Le refus illégitime d'une entreprise en situation de monopole peut avoir pour conséquence de l'obliger à contracter et, particulièrement, de consentir des licences relatives à son droit. C'est donc une entorse considérable aux principes du droit des contrats, et l'on comprend pourquoi le droit communautaire s'attache à limiter cette obligation au cas d'abus injustifié empêchant l'apparition d'un produit nouveau sur le marché162. Il convient donc d'apporter des précisions et les contours du contrat forcé (paragraphe 1). Cette atteinte systématique à la liberté commerciale et au droit de propriété de l'entreprise reste tout de même réhabilitée par les intérêts du marché qui entre en droite ligne avec les effets du contrat forcé (paragraphe 2).

    Paragraphe 1 : La notion de contrat forcé

    Encore appelé licence obligatoire163, le contrat forcé n'est accordé par les autorités communautaires que dans des cas exceptionnels. Les modalités de cession méritent d'être explicitées à partir des exigences de proportionnalité (A) et de rémunération (B).

    A. Les exigences de proportionnalité

    Il peut donc arriver que, dans des circonstances exceptionnelles, le titulaire de l'équipement se doit de consentir des licences à des tiers. Les conditions de ce contrat

    162 GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op. cit., n° 664.

    163 Critère appliqué aux droits de propriété intellectuelle.

    48

    devraient impérativement traduire le principe de proportionnalité. La licence ne doit porter que sur ce qui est nécessaire pour mettre un terme à l'abus c'est-à-dire viser le marché dérivé et le produit nouveau en question. Aussi, la durée de la licence doit permettre un accès efficace et non temporaire sur le dit marché.

    Le contrat forcé doit également revêtir un minimum de respect de l'éthique commerciale : on ne saurait autoriser un compétiteur qui viendrait exploiter ou occuper considérablement la ressource au point de vouloir soustraire le titulaire de l'usage de l'infrastructure visée. Cet accaparement doit normalement être évité et un contrôle rigoureux s'impose. Il serait donc intéressant de consolider les droits désormais acquis du monopole légal en fixant un seuil d'utilisation opposable au concurrent. Loin de constituer un refus, ce sera une manière de permettre l'accès au marché de l'entreprise postulante en lui accordant une part et une marge de manoeuvre raisonnables.

    Dans tous les cas, les conditions du contrat obligatoire doivent être proportionnelles à l'objectif concurrentiel. Il ne faut pas que l'accès se traduise par des désincitations à l'investissement plus élevées pour l'entreprise monopolistique que les nouvelles incitations à investir dans de nouveaux développements et fonctionnalités créés pour l'entreprise bénéficiant de l'accès. La balance des incitations, déterminante pour préserver les intérêts de long terme du consommateur, va poser l'épineux problème de la redevance.

    B. La rémunération de la licence

    Le prix doit être équitable et raisonnable car il n'a jamais été question d'accorder aux concurrents l'accès gratuit à une facilité essentielle. Il doit être établi sur une base commerciale normale, en tenant compte, le cas échéant, des efforts des licenciés pour le maintien ou pour le développement de la technologie en cause164. En principe, toutes les parties devraient tirer profit de la licence ; on peut toujours cependant craindre que le monopoleur, obligé de consentir une licence, exige des redevances si élevées que les licenciés ne puissent être de réels concurrents, et qu'ils

    164 CJCE, 29 avril 2004, IMS Health préc.

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    soient en fin de compte contraints de vendre leurs produits ou services plus chers. Il y aura un effet de « ciseau » ou « squeeze », constitutive d'abus.

    »165.

    Relativement à ce sujet, la jurisprudence a quand même eu à confirmer le principe selon lequel « lorsque l'exploitant monopolistique d'une infrastructure essentielle est en même temps le concurrent potentiel d'une entreprise offrant un service exigeant le recours à cette facilité, cet exploitant peut restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché aval du service en abusant de sa position dominante ou de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouve son concurrent à son égard, en établissant un prix d'accès à cette facilité injustifié, non proportionné à la nature et à l'importance des services demandés, non transparent et orienté vers les coûts encourus relevant des critères objectifs

    La licence obligée demeure une licence qui doit être accordée aux conditions de marché. Son prix doit être orienté vers les coûts du titulaire de l'installation essentielle. L' « orientation vers les coûts » prive ce titulaire de la marge commerciale potentielle et ne peut être retenue que sur les marchés récemment ouverts à la concurrence, sur lesquels les opérateurs historiques sont encore dominants et détiennent les infrastructures essentielles et lorsque la concurrence peine encore à s'affirmer166.

    Le contrat forcé ainsi analysé démontre de l'efficacité de l'application de la théorie. Les effets nous en diront plus.

    Paragraphe 2 : Les effets du contrat forcé

    Nous les apprécierons tant sur le plan du droit de la concurrence (A) que sur le plan du droit de la consommation (B).

    165 Cour d'appel de Paris, arrêt du 9 septembre 1997.

    166 GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op. cit. p.442.

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    A. Les effets sur le plan du droit de la concurrence

    La théorie des facilités essentielles pourrait être employée par les autorités de la concurrence comme un outil visant à réduire le pouvoir de marché des entreprises dominantes afin de favoriser les nouveaux entrants ou du moins , de maintenir une frange concurrentielle sur le marché. A ce titre, elle constitue l'un des outils permettant au juge de la concurrence de peser sur la « libéralisation » d'un secteur faisant l'objet d'une régulation sectorielle spécifique ou sur la « préservation d'une structure de marché de concurrence effective », notamment dans les secteurs de haute technologie (télécommunications, information, transports) pour lesquels les effets de réseaux jouent pleinement. Ce qui revient très rapidement à marginaliser les firmes qui n'ont pas développé le standard de marché167.

    Ainsi, la théorie peut être appréhendée comme un instrument de « régulation asymétrique » s'inscrivant dans la logique d'obligations spécifiques pesant sur l'entreprise monopolistique ou l' « opérateur crucial » d'un marché donné, quant au fait de ne pas remettre en cause par sa stratégie mitigée, la structure concurrentielle du marché. La politique présente à court terme un avantage considérable se fondant en grande partie sur la volonté de protéger les compétiteurs du monopoleur.

    Sur le long terme, toujours en faveur de la concurrence, on pourrait voir l'avantage de réserver l'usage à une entreprise en position dominante de ses propres installations, développées pour les besoins de son activité car cela inciterait ses potentiels concurrents à investir dans les infrastructures aussi efficaces168. Mais, il ne faut pas aller loin dans cette réflexion, au motif que les conditions de reproduction pratiquement impossible et d'utilisation non difficultueuse referont surface et justifieront l'usage partagé de la ressource pour l'intensification de la compétition marchande, et pourquoi pas le bonheur des consommateurs.

    167 MARTY (F.) et PILLOT (J.), Le recours à la théorie des facilités essentielles dans la pratique décisionnelle des juridictions concurrentielles : Ambigüité du droit et régulation de la concurrence, Séminaire SPOC-IAE de Paris, 27 mars 2009, pp. 9-10. (Version électronique).

    168 Ne perdons toutefois pas de vue qu'un recours excessif à la théorie des infrastructures essentielles serait très probablement de nature à décourager les entreprises dominantes à investir dans des installations efficaces, sachant que, sur demande, leurs concurrents pourraient en partager les bénéfices. V. les conclusions de l'avocat général JACOBS précédant l'arrêt Bronner, point 57.

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    B. Les effets sur le plan du droit de la consommation

    Dans sa stratégie d' «assèchement » du marché, le bénéficiaire du monopole légal, exploitant exclusivement une facilité et par ricochet le marché considéré, peut priver les consommateurs ou utilisateurs finals d'une offre nouvelle, souvent techniquement plus avancée. Cette pratique de confiscation et de stérilisation du progrès technique va évidemment à l'encontre des intérêts des consommateurs et du marché en général.

    En effet, parmi les critères dégagés par la jurisprudence pour caractériser l'abus de position monopolistique, figure en bonne place la mise en oeuvre d'obstacle à l'apparition, d'un nouveau produit pour lequel existe une demande actuelle ou potentielle des consommateurs. En réalité, selon le cas, deux raisons solides soutiennent le recours à la théorie étudiée : le titulaire de la facilité ne peut plus satisfaire à la demande des consommateurs ou bien le concurrent voudrait introduire sur le marché un produit nouveau. C'est pourquoi la Cour européenne dans ses arrêts Magill et IMS Health, reconnut que l'entreprise qui a demandé la licence a l'intention d'offrir des produits ou des services nouveaux que le titulaire du monopole légal n'offre pas et pour lesquels il existe une demande potentielle de la part des consommateurs169.

    Pour sa part, la législation antitrust américaine, à travers notamment l'article 2 du Sherman Act, dans la lignée des arrêts Standard Oil, considère que tout monopole est intrinsèquement néfaste pour le consommateur car il ne laisse pas de place pour une offre alternative170.

    169 Dans l'affaire Magill en particulier, il s'agissait d'un guide reprenant les programmes télévisés diffusée en Irlande.

    170 HUGUENIN-VUILLEMIN (L-X), Le contrôle des pratiques anticoncurrentielles au sein des marchés de l'Union Européenne, des Etats Unis et du Canada : Perspectives d'un droit antitrust international, op. cit., p.53.

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    *

    * *

    Si l'atteinte portée au droit de propriété et à la liberté contractuelle par la théorie des facilités essentielles fait indéniablement l'objet d'un encadrement au travers des conditions limitatives fixées par la jurisprudence, il n'empêche que cette possibilité existe bel et bien, et qu'on ne se priva pas d'en faire usage. Faut-il s'en réjouir ? Est-il vraiment bénéfique pour la concurrence de contraindre ainsi une entreprise dominante à partager son bien au motif que celui-ci revêt un caractère essentiel pour entrer sur un marché déterminé ? La réalité économique de l'Afrique centrale amène à penser que la mise en oeuvre de cette théorie pourrait apporter un plus à son économie quand bien même on est sans ignorer que bien des entreprises monopolistiques disposent des équipements stratégiques dont l'exploitation par d'autres opérateurs serait bénéfique.

    Tout étant question de fait, il s'agira, pour chaque cas d'espèces, de mettre en balance les bienfaits d'une amplification de la concurrence à court terme avec le risque d'une diminution de celle-ci à long terme.

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    CONCLUSION PREMIÈRE PARTIE

    Il ressort de toute évidence que le marché de la CEMAC se construit avec les monopoles légaux. Si leur existence laisse perplexe, il leur est interdit, vu leur position préférentielle, de poser certains actes que le législateur a énuméré, faute de quoi, des sanctions seront appliquées suivant une procédure qui mérite d'être solidifiée. En plus, les entreprises monopolistiques titulaires de ressources essentielles pour l'accès d'autres concurrents au marché peuvent se voir imposer la cession de droits à travers la théorie des facilités essentielles.

    Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que les entreprises à qui l'Etat accorde des droits exclusifs peuvent être considérées comme un prolongement de l'administration dans la mesure où ils peuvent exploiter un service public. Aussi, les législations des Etats octroient des droits intellectuels à des personnes qui les exploitent en exclusivité. Il est donc clair qu'il existe des domaines de compétence qui échappent, sans toutefois exagérer, au droit de la concurrence : d'où l'épineux problème des réserves à la soumission des monopoles légaux aux règles du marché commun.

    DEUXIÈME PARTIE : L'AFFRANCHISSEMENT MESURÉ DES MONOPOLES LÉGAUX DES RÈGLES DE LA CONCURRENCE

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    Il est depuis longtemps connu que les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exploitation, ainsi que toutes les mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les Etats, qui ont librement affirmé leur volonté de se conformer aux principes d'une économie de marché ouverte, concurrentielle et favorisant l'allocation optimale des ressources 171. Ce qui est tout à fait normal car entrant en droite ligne dans les défis du droit communautaire. Paradoxalement, ce droit a lui-même forgé le concept de `'monopole légal» qui se trouve à la croisée des chemins entre la libre concurrence et l'interdiction de concurrence.

    Ce dernier aspect mérite à présent d'être examiné surtout que l'article 16 de la Convention de l'UEAC prévoyait déjà que les échanges intracommunautaires peuvent être limités pour des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé ou de la vie des personnes et des animaux, de la préservation des végétaux, de protection des patrimoines culturel, historique ou archéologique de protection de la santé ou de la vie des personnes et des animaux, de préservation des végétaux, de protection des patrimoines culturel, historique ou archéologique, de protection de la propriété industrielle et commerciale.

    Par la suite, le Règlement n° 4/99 précise qu'il y'a monopole légal lorsque l'Etat accorde des droits exclusifs à une entreprise privée ou publique pour exploiter un service public ou pour produire des biens et des services. La finalité de l'octroi de l'exclusivité ainsi consacrée est confortée par des restrictions d'ordre, de sécurité et de santé publics.

    171 Paragraphe 5 du préambule de la Convention de l'U.E.A.C.

    En outre, même si les Règlements CEMAC ne l'ont pas expressément évoqué, la Charte des investissements a prévu que les Etats s'attachent à créer un environnement propice au développement des entreprises tout en assurant la protection de la propriété intellectuelle172, dont l'exploitation des oeuvres y afférentes ressort du monopole légal du titulaire.

    Ces limitations seront donc examinées en deux rubriques principales à savoir les réserves d'intérêt général (chapitre 1) et les réserves d'intérêt privé (chapitre 2).

    Chapitre 1 : Les réserves d'intérêt général

    Chapitre 2 : Les réserves d'intérêt privé : la reconnaissance des droits de propriété intellectuelle

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    172 Article 10 de la Charte des investissements CEMAC.

    CHAPITRE 1 : LES RÉSERVES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL

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    L'ouverture prévue par le droit communautaire permet sûrement de concilier deux intérêts majeurs : la promotion de la concurrence au niveau communautaire pour réaliser un marché unifié et le souci des Etats de préserver les fonctions d'intérêt général qu'ils exercent par leurs services publics et dont ils sont responsables173. Certes, la libre concurrence doit permettre en principe au consommateur d'obtenir, au meilleur prix, les produits et les services offerts par les entreprises de tous les Etats membres de la Communauté. Mais, elle a des limites et comporte des risques lorsqu'il s'agit de satisfaire des besoins d'intérêt général174. Sur ce second point, le législateur CEMAC n'a pas failli et a même avancé des raisons (section 1).

    Sans doute, les Etats ont un rôle positif à jouer pour développer le service public. Toutefois, ils se doivent de coordonner la politique de protection du service public avec l'applicabilité des règles de concurrence. Il leur revient de respecter la règle selon laquelle les entreprises titulaires de droits de monopole doivent s'abstenir de lui ôter la substance. Il s'agit en effet d'empêcher que les objectifs nationaux de service public ne nuisent aux objectifs communautaires de l'intégration175. On craint cependant que la réalité démontre le contraire (section 2).

    173 NDIFFO KEMETIO (M.L.), L'influence du droit communautaire de la CEMAC sur le droit administratif camerounais, Mémoire de DEA, Dschang, février 2008, p. 28.

    174 FAVRET (J-M), Droit communautaire du matché intérieur, op. cit., p. 139.

    175 BALLA (M.), La libre circulation des biens en zone CEMAC, Mémoire de DEA, Dschang, 1999, p. 60.

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    SECTION 1 : LES RAISONS RELEVANT DES BESOINS DE SÛRETÉ

    NATIONALE

    Le droit communautaire n'a pas l'apanage des restrictions de concurrence pour les motifs d'intérêt général. A titre d'exemple, le Décret n° 2001/830/PM du 17 septembre 2001 définissant les modalités d'exploitation des réseaux de télécommunications au Cameroun prévoit en son article 10, alinéa 1 que l'autorisation peut être refusée en cas de sauvegarde d'ordre public, les besoins de défense nationale ou de la sécurité publique. Le Règlement CEMAC n° 4/99, conforté plus tard par la Charte des investissements176, a autant prévu un régime d'exceptions dont il convient d'analyser le contenu (paragraphe 1).

    Dans le même registre, en s'appuyant sur le droit européen de la concurrence, dans l'esprit de distinguer les services publics marchands des services publics non marchands, il a défini la notion de service d'intérêt économique général (paragraphe 2), suivant l'idée que les entreprises en situation de monopole légal peuvent produire des biens et services.

    Paragraphe 1 : L'analyse du régime de limitation du législateur CEMAC

    Il ressort clairement de l'article 8 du Règlement n° 4/99 relatif aux pratiques étatiques que les entreprises en situation de monopole légal ou de fait sont soumises aux règles régissant les pratiques anticoncurrentielles sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité et de santé publique (A). Toujours est-il que pour être admises, elles doivent remplir certaines conditions (B).

    176 L'article 9 de la Charte des investissements CEMAC admet que les Etats accordent à l'investissement étranger le même traitement qu'à l'investissement national, sauf motif d'ordre public, de sécurité ou de santé publique.

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    A. Les limitations non économiques

    Ces différentes limitations, malgré leurs objectifs consubstantiels, présentent toutefois chacune des particularités.

    1- L'ordre public

    L'ordre public désigne une notion particulariste d'un Etat ayant pour effet de rejeter toute règle qui entrainerait la naissance d'une situation contraire aux principes fondamentaux de droit national. L'ordre public dont il s'agit est celui qui est susceptible d'être invoqué discrétionnairement par chaque Etat membre pour la protection de ce qu'il estime être ses intérêts essentiels ou ceux de sa population177. C'est une limite à la liberté contractuelle comme à la libre concurrence. On peut d'emblée se poser la question de savoir comment est ce qu'une entreprise en situation de monopole peut échapper aux normes concurrentielles pour des raisons d'ordre public ou de moralité publique ? Est ce que cela implique pour autant qu'elle se livre à des activités non marchandes ?

    Pour répondre à cette question, il convient de retenir d'abord que l'article 1 du Règlement n° 1/99 définit l'entreprise comme toute personne physique ou morale du secteur public ou privé, exerçant une activité à but lucratif. Par application, on en déduit que ces activités du monopoleur légal, considéré ici comme un opérateur économique, sont des activités commerciales. Il est donc question de démontrer qu'une activité commerciale peut échapper, pour les raisons évoquées ci-dessus, à la concurrence.

    L'ordre public justifiant le non conformisme aux règles du marché est un problème national et varie d'un Etat à un autre. Chacun définit ses principes d'intérêt général et pour les respecter, décide de laisser fonctionner certains monopoles. Il n'est pas nécessaire qu'une réglementation soit assortie de sanctions pénales pour relever la

    177 DUTHEIL de la ROCHERE (J.), Droit communautaire matériel, op. cit., p. 46.

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    notion d'ordre public178. La généralité du concept la rend finalement proche de celui d'«intérêt public » dans la mesure où l'ordre public désigne les institutions et les normes fondamentales qui sur tous les plans gouvernent la vie d'une nation. Il n'est donc pas facile de vouloir procéder à une qualification des activités qui entrent dans ce cadre. Contextuellement, seule « l'utilité que présente l'activité » et l'incapacité d'être « assurée par des entreprises dans les conditions de marché »179 permettrait aux autorités communautaires d'accorder l'immunité ainsi prévue.

    Très proche de l'ordre public, la moralité publique sera une dérogation à la libre circulation des marchandises par la prise en compte de la nécessité d'adapter les règles commerciales aux valeurs intrinsèques partagées par les peuples de la sous région.

    La porosité des frontières des Etats membres a donc poussé le législateur communautaire à ériger la notion d'ordre public, qui semble plus générale et « apparait quasiment toujours avec ses deux petites soeurs jumelles que sont la sécurité et la santé publiques »180.

    2- La sécurité et la santé publiques

    En ce qui concerne particulièrement les préoccupations de sécurité et de santé, les Etats peuvent être amenés à déroger aux règles générales de l'Union économique et de la politique commerciale commune afin de prendre des mesures de protection qui s'imposent. Les domaines dans lesquels les entreprises monopolistiques peuvent opérés sont variés : les produits pharmaceutiques181, le monopole public de la production nucléaire, les produits chimiques182, les boissons alcoolisées et même les

    178 CJCE, 13 mars 1984, Prantl, Aff. 16/83 : Rec. 1299.

    179 GOLDMAN (B.), LYON -CAEN (A.) et VOGEL (L.), Droit commercial européen, 3e éd., précis Dalloz, 1994, n° 957.

    180 POILLOT-PERUZZETTO (S.), « Ordre public et droit communautaire », D, 1993, Chr. 180 : cité par NJEUFACK TEMGWA (R.), Thèse précitée, p.116.

    181 Le cas d'une réglementation nationale qui réserve aux pharmacies un monopole pour la commercialisation des laits transformés du premier âge : CJCE, 29 juin 1995, Commission c/ Grèce, Aff. 391/92 : Rec. I, 621.

    182 CJCE, 27 juillet 1996, Brandsma, Aff. 293/94 : Rec. I- 159.

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    tabacs183. En l'absence des règles harmonisées, les Etats membres de la communauté peuvent décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et la manière de l'atteindre184.

    La tâche paraîtrait moins ardue si le Conseil des Ministres établit une liste exhaustive et régulièrement mise à jour de maladies et d'incidents sécuritaires185. Le cas contraire, cette situation serait susceptible d'entraîner un abus de la part des autorités nationales. Cependant, il est à noter que les mesures d'intérêt général doivent respecter certaines conditions.

    B. Les conditions d'admissibilité

    Les mesures nationales doivent être objectivement justifiées par les raisons d'intérêt général invoquées186 et surtout respecter le principe de proportionnalité. Cela voudrait dire que, si les Etats demeurent libres, à défaut d'harmonisation, de fixer le niveau auquel ils entendent assurer la satisfaction des intérêts généraux, ils doivent en considération de ce niveau, choisir la mesure raisonnablement restrictive en tenant compte des autres parties. L'absence d'harmonisation exclut en principe qu'une mesure interne divergente puisse être considérée comme répondant à un intérêt général au sens du droit communautaire187. Les Etats doivent par conséquent choisir la mesure qui est la moins restrictive sur les échanges188.

    Les limitations pour des raisons de moralité publique ne doivent en aucun cas constituer une discrimination arbitraire ; elles doivent être cohérentes car il est inacceptable que la mesure assure dans certaines situations la protection de l'intérêt général avancé, et ne pouvant en tenir compte dans d'autres.

    183 Une législation nationale qui réserve la vente au détail des tabacs manufacturés de toute provenance à des distributeurs autorisés : CJCE, 14 décembre 1996, Banchero, Aff. 387/93 : Rec. I- 4663.

    184 V. CJCE, 25 juillet 1991, Aragonesa de Publicitad exterior, Aff. Jtes. 1 et 176/90 : Rec. I-4151 ; CJCE, 1er juin 1994, Commission c/ Allemagne, Aff. 17/92 : Rec. I-2039.

    185 NJEUFACK TEMGWA (R.), Thèse précitée, p.117.

    186 Pour une mesure sans justification scientifique, CJCE, 23 février 1988, Commission c/ France, Aff. 216/84 : Rec. 1988, I, p. 793.

    187 CJCE, 9 février 1999, Van der Laan (Staatsanwaltschaft Osnabrück), Aff. C. 383/97: Rec., I, 731.

    188 Pour un risque minime face à une mesure générale, CJCE, 26 octobre 1995, Commission c/Allemagne, Aff. 51/94 : Rec. 1995, I, p. 3599.

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    Par ailleurs, sachant que la mesure nationale doit bien entendue être objectivement indispensable à la couverture de l'activité litigieuse du monopole, par référence à l'intérêt général, des mesures infondées scientifiquement seraient contestables189. Bref, pour bénéficier de cette dérogation, les Etats devraient prouver que l'intérêt général qui est à la base de l'activité est impossible à atteindre dans les conditions usuelles du marché commun.

    Puisque le droit communautaire CEMAC vise à favoriser les échanges économiques entre les pays membres, le libre jeu de la concurrence influencerait normalement la situation des acteurs économiques. Pour autant, certaines activités économiques ne sont pas exercées dans les conditions du marché. Les textes de droit communautaire prévoient donc des possibilités de dérogation au droit de la concurrence lorsque le service à satisfaire est un service d'intérêt économique général.

    Paragraphe 2 : L'extension aux services d'intérêt économique général (SIEG)

    Tout en jouant son rôle d'arbitre des rapports économiques notamment au moyen de la réglementation, l'Etat a progressivement acquis dans les économies libérales, un statut d'acteur en opérant sur le marché, soit directement à travers les travaux publics, soit indirectement par l'entremise des entreprises auxquelles il rétrocède certaines fonctions en monopole ou en concurrence avec les acteurs privés. C'est justement parce que le caractère vital de certains secteurs économiques continue à justifier la réticence des pouvoirs publics à se retirer complètement ou même partiellement de la gestion des activités subséquentes, en raison bien souvent de l'impact négatif qu'un tel retrait pourrait avoir sur les populations bénéficiaires190.

    Le service d'intérêt économique général partage des points communs avec le service universel dans la mesure où ils sont offerts à tous les consommateurs quelle

    189 CJCE, 28 avril 1998, Decher, Aff. C. 120/95 : Rec., I, p. 181.

    190 GNIMPIEBA TONNANG (E.), thèse précitée, p. 353.

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    que soit leur localisation géographique, à des prix raisonnables, abordables et non discriminatoires191. Plus encore, la Commission européenne192 a eu à accepter la légitimité du monopole sur le service postal de base, en considérant qu'il était nécessaire pour assurer un service postal universel. En d'autres termes, elle accepta, sur la base de l'article 90, paragraphe 2 du TCE, la légitimité du maintien d'un secteur réservé dans la mesure où et pour aussi longtemps que cela est nécessaire pour assurer une mission d'intérêt économique général comme le maintien d'un service universel193.

    Cet arrière fond de considérations générales nous amène à analyser d'une part la revendication d'un service d'intérêt économique général (A) qui doit impérativement respecter l'équilibre financier (B).

    A. La revendication d'un service d'intérêt économique général

    Pour qu'une entreprise, publique ou privée, en position de monopole légal, puisse se prévaloir d'assurer un SIEG, il existe des critères d'appréciation (1). Ceux-ci permettent à l'entité concernée de justifier ses droits exclusifs dans l'accomplissement de certaines missions (2).

    1- Les critères d'un SIEG

    A travers deux décisions de référence, Corbeau194 et Commune d'Almelo195, la jurisprudence a eu à retenir plusieurs critères pour définir l'entreprise chargée d'un SIEG. Dans l'affaire Corbeau, qui concernait le Régie des postes belges, la Cour a

    191 La petite différence qui existe, réside dans la circonstance que le service universel recouvre un ensemble d'obligations imposées par la loi à un opérateur sur un marché et qui, en conséquence, peut déroger aux règles de la concurrence.

    192 Déc. 20 décembre 1989 sur les courriers rapides aux Pays Bas (déc. 90/16/CEE, JO L.10 du 12.01.1990, paragraphe 16-18, p.51).

    193 BLUENDIA SIERRA (J.L.), Services d'intérêt général en Europe et politique communautaire de concurrence, Competition policy newsletter, vol. 2, n° 3, Autumn/Winter 1996, p. 19. Disponible sur: www.uropa.eu

    194 CJCE, 17 mai 1993, Corbeau (Procureur du Roi), Aff. C. 320/91 : Rec. 1993, I, p. 253.

    195 CJCE, 27 avril 1994, Commune d'Almelo c/ Energiebedrijfs Ijsselmij, Aff. C. 393/92 : Rec. I, 1477.

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    admis la possibilité aux Etats membres « de conférer à des entreprises, qu'ils chargent de la gestion des services d'intérêt économique général, des droits exclusifs qui peuvent faire obstacle à l'application des règles du traité sur la concurrence, dans la mesure où des restrictions à la concurrence, voire une exclusion de toute concurrence, de la part d'autres opérateurs économiques, sont nécessaires pour assurer l'accomplissement de la mission particulière qui a été impartie aux entreprises titulaires des droits exclusifs ». Le même arrêt précise, par ailleurs, qu' « autoriser des entrepreneurs particuliers de faire concurrence au titulaire des droits exclusifs dans les secteurs de leur choix correspondant à ces droits les mettrait en mesure de se concentrer sur les activités économiquement rentables et d'y offrir des tarifs plus avantageux que ceux pratiqués par les titulaires des droits exclusifs, étant donné que, à la différence de ces derniers, ils ne sont pas économiquement tenus d'opérer une compensation entre les pertes réalisées dans les secteurs non rentables et les bénéfices réalisés dans les secteurs plus rentables ».

    On retient au total que l'entreprise doit être chargée d'une mission par une décision des autorités publiques pour la fourniture d'un service qui doit être ininterrompu. Le service doit pouvoir couvrir l'intégralité du territoire concédé et s'adresser à tous les consommateurs ou utilisateurs finals dans les quantités demandées, à tout moment. Les tarifs du service en question doivent être uniformes, sachant que les conditions de sa prestation ne peuvent varier que selon des critères objectifs applicables à tous les clients196. Dans l'arrêt Commission c/ France197, qui concernait le monopole français d'EDF/GDF dans l'importation et l'exportation d'électricité et de gaz, la Cour de justice précise que l'exemption concurrentielle peut être relevée s'il est possible de démontrer que l'application des règles du marché ferait échec « à l'accomplissement des missions particulières imparties à l'entreprise, telles qu'elles sont précisées par les obligations de service public pesant sur elle ».

    196 Mémento Pratique Francis Lefebvre, Communauté Européenne : 1998-1999, p. 349-350.

    197 CJCE, 2 octobre 1997, Aff. C. 294/89 : Rec. I, 5815.

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    Ainsi, l'application des règles concurrentielles empêchera l'exécution du service particulier confié à l'entreprise par l'Etat. Pour la Commission198, une limitation aux règles de la concurrence ne peut être admise que lorsque l'entreprise ne dispose d'aucun autre moyen technique possible et économiquement réalisable pour remplir sa mission.

    2- Les missions d'un SIEG

    Tant sur le plan national199 que communautaire, il est reconnu aux SIEG un rôle particulier dans la Communauté en vue de la promotion de la cohésion sociale, l'efficience économique200, l'accessibilité de tous les citoyens à certains services nécessaires ou de base. Surtout, ces derniers doivent présenter « des caractères spécifiques par rapport à ceux que revêtent d'autres activités de la vie courante »201.

    Il appartient toutefois aux autorités communautaires d'apprécier dans chaque cas, la mission délivrée par l'entreprise jouissant du monopole légal. Par exemple, sont considérés comme chargés d'un service d'intérêt économique général, les organismes publics de radiotélévision202, les sociétés de distribution d'eau constituées par les pouvoirs publics203, les entreprises chargées du monopole de la gestion des systèmes de télécommunications204, les entreprises chargées de surveiller le fonctionnement de la distribution publique d'électricité205 ou de distribuer l'électricité sur une partie du territoire national206. Rentrent également dans cette catégorie, une entreprise titulaire

    198 Déc. « Navewa-Anseau », 17 décembre 1981 : JOCE, L. 167, 15 juin 1982.

    199 Article 12 de loi n°98/13 relative à la concurrence au Cameroun.

    200 CJCE, 21 mars 1974, BRT c/ Sabam, Aff. 17/73 : Rec. 1974, I, p.313.

    201 DECOCQ (A.) et DECOCQ (G.), op. cit. p. 590.

    202 Déc. « Magill TV Guide » du 21 décembre 1988.

    203 Déc. Navewa-Anseau précitée.

    204 Déc. « British Telecommunication »s du 10 décembre 1982.

    205 Déc. « Ijssel Centrale » du 16 janvier 1991 : JOCE ; L.28, 2 février 1991.

    206 CJCE, 27 avril 1994, Commune d'Almelo.

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    du monopole postal207, un office public exerçant des activités de placement des demandeurs d'emploi et de gestion des allocations de chômage208.

    A titre illustratif, dans l'arrêt Corbeau, la Cour de justice qualifie la Poste belge de service d'intérêt économique général au motif qu'elle a l'obligation d'assurer la collecte, le transport et la distribution du courrier , au profit de tous les usagers, sur l'ensemble du territoire de l'Etat membre concerné, à des tarifs uniformes et à des conditions de qualité similaires, sans égard aux conditions particulières et au degré de rentabilité économique de chaque opération individuelle. Aussi, dans l'arrêt Commune d'Almelo, qualifia-t-elle de service d'intérêt économique général, une entreprise hollandaise de distribution d'électricité au motif qu'elle doit assurer la fourniture ininterrompue d'énergie électrique, sur l'intégralité du territoire concédé, à tous les consommateurs, distributeurs locaux ou utilisateurs finals, dans les quantités demandées, à tout moment, à des tarifs uniformes et selon les critères objectifs applicables à tous les clients.

    Dans cette optique, la Commission européenne a adopté le 26 décembre 1996, une communication sur les services d'intérêt général qui prend en compte les avancées doctrinales parmi lesquelles la définition de la notion de service universel, qui repose de ce fait sur le souci d'assurer partout un service de qualité à prix abordable pour tous. Les critères du service universel portent sur des principes d'égalité, d'universalité, de continuité et d'adaptation, ainsi que sur des lignes de conduite saines à savoir : transparence de gestion, de tarification et de financement.

    207 CJCE, 17 mai 1993, Corbeau.

    208 CJCE, 23 avril 1991, Höfner et Elser, Aff. 441/90 : Rec. I-1979. A ne pas confondre avec les organismes chargés de la gestion des régimes de sécurité sociale. En effet, la notion d'entreprise s'arrête où commencent les notions de service public et d'intérêt général. Ainsi, n'a pas la qualité d'entreprise un organisme concourant à la gestion du service public de la Sécurité sociale, CJCE, 13 février 1993, Poucet et Pistre, Aff. Jtes. 159 et 160/91 : RJS 3/93, n° 336, Rec. I-637. Cité par MONGIN (B.), CHAVRIER (H.) et HONORAT (E.), chronique générale de jurisprudence communautaire, Revue du Marché Commun et de l'Union européenne, n° 393, décembre 1995, p. 691 et s.

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    B. L'équilibre financier des SIEG

    Le service d'intérêt général ne doit pas être systématiquement déficitaire, et cantonné à ce qui n'est pas rentable car si l'intérêt général n'est pas synonyme de fonctionnement à perte, son but n'est pas non plus normalement la recherche du profit209. Il est question d'établir une balance charges/avantages d'une concurrence pour l'entreprise, c'est-à-dire savoir si celle-ci pouvait satisfaire à la fois la continuité et l'équilibre du service d'intérêt économique général210. L'équilibre financier des services publics est légitime surtout que les Etats doivent veiller aux conditions qui permettent aux entreprises qui en sont chargées d'accomplir leur mission211. Pour assurer ses missions dans les conditions d'équilibre économique, l'entreprise dominante doit pouvoir opérer une compensation entre les secteurs d'activité rentables et ceux qui le sont moins. La limitation de concurrence est par conséquent justifiée au niveau des secteurs économiquement rentables gérés par ces entreprises monopolistiques.

    L'équilibre financier, par ailleurs, peut être atteint par injection d'aides ou subventions pourvu que dans ce cas particulier, elles n'excèdent pas ce qui est nécessaire à la stabilité financière de l'activité de service public. En effet, il serait illégitime que ces subventions outrepassent le strict nécessaire du service et soient de façon directe ou indirecte utilisées pour produire des ressources affectées à la conquête, par une concurrence anormale, des marchés demeurés ouverts à la

    concurrence212.

    Cela pose le problème de l'articulation de ce droit à subventionner avec l'interdiction des aides d'Etats213 . La jurisprudence, dans un important arrêt214, a

    209 FAVRET (J-M), op. cit., p. 145.

    210 Ibid.

    211 GAVALDA (C) et PARLEANI (G), op. cit. n° 871.

    212 Pour l'obligation de la poste française de maintenir des bureaux en milieu rural, TPICE, 27 février1997, La Poste, FFSA c. Commission, Aff. T. 106/95 : Rec. CJCE, II, p. 233. Voir dans le même sens CJCE, 17 mai 2001, TNT-Traco c/ Poste Italiane, Aff. C. 340/99 : Rec. I, 4109.

    213 V. Déc. 28 novembre 2005 de la Commission concernant l'application des dispositions de l'article 86 paragraphe 2 du TCE aux aides d'Etats, sous forme de compensation de service public, octroyées à certaines

    67

    dégagé quatre points fondamentaux215 en vue de la qualification réelle des subventions :

    - L'entreprise bénéficiaire doit être chargée d'obligations de service public clairement définies ;

    - Les paramètres de compensation doivent être établis à l'avance de façon objective et transparente. Ainsi, « la sécurité juridique impose le maximum de transparence dans les relations entre les autorités publiques et les entreprises en charge de SIEG. Dans ce cadre, il est nécessaire que les obligations réciproques des entreprises et de l'Etat attributaire du service public soient précisées dans un document officiel, par exemple dans un contrat [...]. »216. Cette obligation de « pré-établissement » et de transparence est essentielle. A défaut, l'injection de nouvelles subventions publiques avec des bases financières opaques et imprécises sera une aide au sens du Règlement n° 4/99 ;

    - La compensation ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par le service public, en tenant compte des recettes engendrées par le tarif imposé et d'un bénéfice raisonnable ;

    - La subvention doit être évaluée non pas en fonction de la situation individuelle de cette entreprise, mais en fonction des coûts d'une entreprise moyenne, bien gérée et dotée d'équipements.

    entreprises chargées de la gestion des services d'intérêt économique général : JOUE, L. 312/67, 29 novembre 2005.

    214 CJCE, 24 juillet 2003, Altmark Trans c/ Nahverkehrsgesellschaft Altmark, Aff. C. 280/00: Rec. I, 7747.

    215 Les Professeurs GAVALDA et PARLEANI ont même conclu que ces conditions se transposent naturellement à tous les services d'intérêt général, ouv. préc., p. 599.

    216 Rapport de la Commission, relatif à l'état des travaux concernant les lignes directrices relatives aux aides d'Etat liées aux services d'intérêt économique général, Bruxelles 27/11/2002, COM (2002) 636. Cité par ARMBRUSTER Neda, L'impact du droit communautaire sur les relations entre l'Etat et les entreprises chargées d'un service d'intérêt économique général : Vers une contractualisation des obligations de service public ?, Mémoire de Master en droit communautaire, Université du droit et de la santé, Faculté des Sciences Juridiques, politiques et Sociales, Lille 2, 2005-2006, p. 10. Disponible en ligne sur : http://edoctorale74.univ-lille2.fr.

    68

    A la vérité, on constate qu'un champ libre est désormais ouvert par le législateur communautaire aux Etats, de façonner à leur guise les nécessités d'intérêt général, sous la condition limite que le développement des échanges ne soit pas affecté dans une mesure contraire aux intérêts de la communauté. Tout est alors problème de respect des concessions et des obligations communautaires ; ce qui peut s'avérer être un leurre car on reconnait les Etats par leur volonté outrancière de maintenir leur souveraineté au point de troubler l'ordre économique.

    SECTION 2 : LES CRAINTES INHÉRENTES AUX RÉSERVES D'INTÉRÊT

    GÉNÉRAL

    Même si le droit communautaire reconnaît a priori la spécificité des entreprises titulaires de droits exclusifs, il ressort de toute évidence qu'a posteriori, la réalisation du marché intérieur pourrait aboutir à une remise en cause de la légitimité même des services publics. Cela passe d'abord par l'attitude des Etats soucieux de préserver au maximum leurs intérêts avec une petite dose de mépris à l'égard des intérêts du marché (paragraphe 1). Aussi, admettre que les entreprises monopolistiques puissent, par un « lobbying habile » 217 se mettre à l'abri de toute concurrence ne va pas de paire avec l'idée d'efficacité recherchée de la part des services publics (paragraphe 2).

    Paragraphe 1 : La résurgence des intérêts des Etats

    Le concept de service d'intérêt général, qui assure pleinement l'exemption des monopoles légaux aux règles de la concurrence, a le mérite majeur de respecter un minimum de souveraineté des Etats. Cette liberté à eux accordée n'est pas très loin d'aboutir au libertinage. La persistance des égoïsmes nationaux218 amène à assister à des discriminations en guise de protection des intérêts domestiques. Il existe donc malheureusement chez les dirigeants de la sous région une contradiction entre le désir

    217 WAELBROECK (M.) et FRIGNANI (A.), Le droit de la CE, concurrence (4), Commentaire J. MEGRET, 2e éd, Etudes européennes, 1997, p.1014.

    218 BALLA (M.), La libre circulation des biens en zone CEMAC, op. cit. p. 78.

    69

    profond et inavoué du chacun pour soi et la volonté de s'intégrer, proclamée officiellement du bout des lettres par les pays membres de la Communauté. En réalité, la souveraineté conduit immanquablement à l'irresponsabilité vis-à-vis de l'autre, celui qui est à l'extérieur et qui ne relève à son tour que de sa souveraineté219. Pourtant, l'une des raisons fondamentales de la stagnation et de la paralysie de l'UDEAC résidait dans le désir exagéré des Etats membres de conserver et d'exercer jalousement leurs souverainetés, et ce en dépit du processus d'intégration amorcé220. Quoi qu'il en soit, le respect de la souveraineté nationale et les principes qui lui sont liés est l'une des questions essentielles que suscite l'intégration dans l'espace Afrique centrale221

    Face à cette situation, la jurisprudence essaye cahin caha de s'assurer que la Etats ne versent pas dans l'anarchie et les excès. Elle a eu à décider que même s'il appartient à chaque Etat de déterminer les exigences de moralité publique sur son territoire selon sa propre échelle de valeur, en revanche, un Etat ne peut l'invoquer pour interdire l'importation de certaines marchandises lorsque, sa législation ne comporte aucune interdiction de fabriquer ou de commercialiser ces mêmes marchandises sur son territoire222. Les prétentions égocentriques des Etats au mépris des intérêts d'autres opérateurs économiques sont ainsi passées au crible, en ce sens qu'ils conservent la possibilité de prendre certaines mesures à l'encontre des Etats tiers et même à l'encontre des Etats membres. Le risque de ces mesures nationales est de donner naissance à des flux artificiels de commerce et donc à des détournements de trafic223.

    Par ailleurs, en l'absence d'harmonisation communautaire des réglementations respectives, le principe de la reconnaissance mutuelle a vu le jour dans une célèbre

    219 Ibid, p.79.

    220 MOYE GODWIN (B.), CEMAC: integration or coexistence?, op. cit, p. 39.

    221 BIPELE KEMFOUEDIO (J.), Droit communautaire d'Afrique centrale et constitutions des Etats membres : la querelle de la primauté, Annales de la FSJP, Université de Dschang, T.13, 2009, p. 126.

    222 CJCE, 11 mars 1989, Conegate, Aff. 121/85 : Rec. 1007. A l'occasion de la saisie par les douanes britanniques d'un lot de poupées gonflables « à caractère manifestement sexuel » importées d'Allemagne, la Cour a estimé qu'un Etat membre ne pouvait pas invoquer l'exception de moralité publique pour interdire l'importation de certains produits alors que, sur son propre territoire, la fabrication et la distribution des mêmes produits n'étaient pas interdites.

    223 GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op. cit. n° 671.

    70

    affaire « Cassis de Dijon »224. En l'espèce, l'Allemagne avait interdit l'importation de la liqueur Cassis de Dijon à un importateur français au motif que la teneur en alcool était inférieure au taux maximal prescrit par le droit allemand. La Cour a relevé que puisque cette liqueur était licitement produite en France, la législation allemande apportait une restriction à la libre circulation en raison du monopole des alcools de l'administration fédérale allemande. Cette restriction n'était pas en l'occurrence justifiée par l'intérêt général. En effet, une teneur en alcool inférieure à celle de la loi nationale ne peut nuire à la santé publique voire à l'intérêt général. Un équilibre doit donc être trouvé dans l'évaluation faite par chaque Etat membre, en fonction des circonstances de ce qu'il estime relever de l'ordre public, qui ne devrait intervenir qu'en cas de « menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société »225.

    Ces intentions excessives des Etats n'ont autre catalyseur que le manque de réglementation, au niveau sous régional, des principes d'intérêt général régissant la fonction spécifique des monopoles légaux. Elles traduisent dans un autre sens la disparité culturelle et sociologique qui voudrait que l'intérêt général soit tout d'abord une affaire nationale et chaque Etat y va de son intérêt. De façon générale, même s'il n'est pas un acteur économique, l'Etat conserve sa responsabilité politique et réglementaire lui enjoignant de multiplier des actions en vue d'assurer une couverture sociale adéquate. Ce n'est pas toujours par complaisance que « par une sorte de dédoublement, l'Etat actionnaire se transforme en Etat souverain, préoccupé par l'intérêt général qu'il a pour mission d'incarner »226.

    C'est donc pour éviter que cette intervention ne soit pas source d`abus qu'une doctrine227 entrevoit la nécessité d'une redéfinition des rôles des services publics dans la construction communautaire. En effet, si le service public est considéré sur le plan

    224 CJCE, 20 février 1979, Rewe Zentrale c/ Bundesmonopolverqwaltung für Brantwein, Aff. 120/78 : Rec. P. 649.

    225 CJCE, 27 octobre 1977, Bouchereau, Aff. 30/77 : Rec. p. 1997.

    226 MBENDANG EBONGUE (J.), Les entreprises d'Etat au Cameroun, Thèse de doctorat, Paris I, 30 mai 1989, p. 304. Cité par NJEUFACK TEMGWA (R.), op. cit. p. 115.

    227 NDIFFO KEMETIO (M.L.), L'influence du droit communautaire de la CEMAC sur le droit administratif camerounais, Mémoire de DEA, Dschang, février 2008, p.28 et s.

    71

    interne comme vecteur de solidarité, d'intégration et de maintien du tissu social, le raisonnement est transposable sur le plan régional : le service public serait ainsi essentiel pour l'existence d'un consensus social basé sur l'égalité d'accès, la sécurité et la solidarité dans la Communauté. Ce serait en quelque sorte l'émergence des « services publics sans frontières » si cela peut être réalisable même dans le long terme par le service universel228. Même si les dirigeants voient toujours avec réserve l'ouverture des frontières, il est temps pour nos Etats de s'adapter et de reconnaître comme l'a constaté BERTRAND BADIE, que nous vivons aujourd'hui dans un « monde sans souveraineté »229.

    Mais, le débat se pose également en termes d'efficacité des services publics.

    Paragraphe 2 : Vers une perte probable de l'efficacité des services publics

    La gestion étatiste a parfois été peu satisfaisante, toujours est il qu'il n'est pas raisonnable de nos jours, sur la base des « contraintes nouvelles », de confier uniquement à certaines entreprises la gestion du service public. Face à des usagers de plus en plus exigeants et de la collectivité toute entière, il est pratiquement impensable que les monopoles pourront à eux seuls satisfaire à tous les besoins. En effet, l'institution des monopoles publics chargés de gérer totalement l'offre ou la demande de certains produits a, sur le commerce intracommunautaire, des répercutions restrictives qu'il conviendrait assurément d'éliminer. L'urgence est donc de concilier les contraintes du service public et la liberté d'entreprendre, voire le marché avec l'intérêt général car l' « ouverture maîtrisée et la concurrence sont nécessaires pour stimuler l'investissement productif ».

    228 JACQUEMIN (A.), « Compétitivité et intérêt général » in l'Europe à l'épreuve de l'intérêt général (sous la direction de STOFFAES C.) Collection ISUPE, éd. ASPE Europe, 1994, p. 321.

    229 BERTRAND BADIE, Un monde sans souveraineté : les Etats entre ruse et responsabilité, Paris, Fayard 1999.

    72

    La possibilité de croire à une cohabitation entre service public et concurrence n'est en soi interdite. Non seulement on en tirera des avantages en termes de diversité pour élargir la consommation, mais aussi des avantages en termes d'efficacité économique. C'est d'ailleurs en vertu du constat que les monopoles publics ont un inconvénient majeur notamment l'insuffisante incitation au gain de productivité. Ils amenuisent les capacités d'innovation et la réduction des coûts de production.

    En réalité, du fait que les règles de la concurrence sont destinées à orienter et à façonner profondément les actions des Etats et des entreprises dans le domaine économique et social, elles auront inéluctablement d'importantes répercutions particulièrement sur le régime juridique des services publics, expression privilégiée de l'interventionnisme économique230. Dans certains secteurs comme la télécommunication, la rapidité du progrès technologique, la diversification des techniques et l'augmentation de la demande ont fortement affaibli les arguments en faveur des monopoles légaux gestionnaires. Dans de nombreux pays, il a été mis en évidence que les choix techniques des monopoles existants étaient devenus très éloignés de l'efficacité qu'auraient permis les techniques actualisées. La concurrence a réussi à être ouverte dans ce segment de marché. En Europe par exemple, la Commission a retenu que l'achèvement de ce grand marché est impensable sans un marché intégré de l'énergie car « l'énergie est une composante essentielle de toutes les activités économiques ». Se faisant, elle initia des projets dont les axes principaux étaient la suppression, d'une part, des droits exclusifs à la production d'électricité, et d'autre part, des droits exclusifs à la construction de lignes de transmission électrique ou de gazoducs231.

    La libéralisation ne voudrait pas donc dire dérégulation, mais plutôt une nouvelle façon de régulation232. On passera ainsi d'un modèle fondé sur le monopole à un modèle où une certaine concurrence joue à l'intérieur d'un cadre réglementaire. On

    230 GNIMPIEBA TONNANG (E.) et NDIFFO KEMETIO (M.L.), Les services publics dans l'étau du droit de la concurrence de la CEMAC, Annales de la Faculté des Sciences juridiques et Politiques, Université de Dschang, T. 15, 2011, p. 263.

    231 HAMON (F.), Les monopoles des services publics français face au droit communautaire : le cas d'EDF et GDF, Recueil Dalloz 1993, Chroniques p. 91.

    232 BLUENDIA SIERRA (J.L.), Services d'intérêt général en Europe et politique communautaire de concurrence, op. cit., p. 21.

    ne renonce pas aux objectifs d'intérêt général ; de façon simple, il conviendrait de chercher à les assurer par d'autres moyens qui soient davantage compatibles avec la concurrence et la libre circulation.

    Au clair, il ne faut pas confondre « services d'intérêt général » et « monopoles légaux » tant il ressort de toute logique que le monopole n'est pas l'apanage du service public233. La mise en concurrence permettrait aux compétiteurs de pouvoir concourir à leur niveau (par exemple par la délégation de service public), à fournir ces prestations précieuses et importantes pour la cohésion sociale et la réduction des inégalités.

    En retenant comme crédo économique la libre concurrence, la Communauté ne peut a priori que faire prévaloir les exigences du marché sur toute autre considération. C'est la raison pour laquelle, tout laisse à croire que le service public ne peut avoir qu'une place marginale en droit communautaire et que le primat de l'intérêt général, qui le caractérise, ne doit résister à céder le pas au primat du marché.

    73

    *

    * *

    233 On prendra garde de ne pas assimiler service public et entreprises bénéficiant de droits exclusifs, car si ces deux notions peuvent se recouper, elles n'en sont pas moins distinctes. Une entreprise bénéficiant de droits exclusifs n'est pas nécessairement chargée d'un service public et réciproquement.

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    La notion de service public tient une place particulière dans la vie de l'Etat, à tel point qu'elle a pu être considérée comme source de légitimité des actions étatiques. Le droit communautaire, quant à lui, s'est construit sur des fondements essentiellement économiques234.

    La construction communautaire, en effet, est placée sous le signe de la libre concurrence et les services publics semblent n'être qu'une préoccupation mineure de la genèse communautariste. Ainsi, la notion de service public n'est pas largement envisagée dans l'élaboration du droit communautaire principalement en raison de l'importance accordée au respect de la libre concurrence. Celle-ci souffre des attaques de la part des Etats à titre principal, mais également de l'idée de la reconnaissance, au profit des personnes privées, de leurs droits de propriété intellectuelle.

    234 ARMBRUSTER Neda, L'impact du droit communautaire sur les relations entre l'Etat et les entreprises chargées d'un service d'intérêt économique général : Vers une contractualisation des obligations de service public ?, op. cit. p. 26.

    CHAPITRE 2 : LES RÉSERVES D'INTÉRÊT PRIVÉ : LA
    RECONNAISSANCE DES DROITS DE PROPRIÉTÉ
    INTELLECTUELLE

    75

    On appelle propriété intellectuelle l'ensemble des droits protégeant les créations nouvelles et les signes distinctifs, à savoir pour l'essentiel les droits d'auteur, les brevets, les dessins et modèles et les marques. Le TFUE posait déjà pour principe que le régime de la propriété est de la compétence des Etats membres : « Les Traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les Etats membres » (article 345). Or, les droits de propriété intellectuelle sont des droits de propriété à part entière. Au Cameroun, l'Etat garantit à toute personne physique ou morale régulièrement établie ou désireuse de s'établir, la protection des brevets et autres éléments relevant de la propriété intellectuelle235. Au même titre, Le législateur gabonais de 1998 posait déjà que la liberté des importations et des exportations ne doit porter atteinte à la propriété industrielle, commerciale ou intellectuelle236.

    Aussi, il ressort clairement de la Charte des investissements CEMAC que, membres actifs de l'Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI), les Etats garantissent la protection des brevets, marques, signes distinctifs, labels, noms commerciaux, indications géographiques, appellation d'origine237. En ce qui concerne leur nature, l'article 3, alinéa 1 de la Convention de Bangui dispose que « les droits afférents aux domaines de la propriété intellectuelle tels que prévus par les Annexes au présent Accord, sont des droits nationaux indépendants, soumis à la législation de chacun des Etats membres238 dans lesquels ils ont effet ». Ces droits sont conférés aux

    235 Articla 10 de la loi n° 2002/004 du 19 avril 2002 portant Charte des investissements en République du Cameroun.

    236 Article 6 de la loi n° 14/98 fixant le régime de la concurrence.

    237 La propriété intellectuelle regroupe plusieurs types de droits. Dans le cadre de ce travail et par mesure de synthèse, on ne les évoquera pas tous.

    238 Tous les pays de la CEMAC sont membres de l'OAPI à l'exception de la Guinée Equatoriale. Elle est toutefois membre de l'OMPI et a ratifié les Conventions de Paris et de Berne (26 juin 1997), le Traité de Nairobi

    76

    entreprises, étant entendu que le mot `'entreprise» vise toute personne physique239 ou morale engagée dans une activité économique ou commerciale quelconque240.

    C'est ainsi que sous réserve des mesures de rapprochement des législations mises en oeuvre par l'Union Economique, les Etats membres peuvent interdire ou restreindre l'importation, l'exportation ou le transit des biens lorsque ces interdictions ou restrictions sont justifiées par des raisons de protection241 de la propriété industrielle et commerciale242. Cette protection est garantie par les Etats mais ce sont les entreprises titulaires qui en bénéficient.

    A la question de savoir comment est ce que la propriété intellectuelle peut constituer un obstacle au développement des échanges communautaires ou à la libre concurrence, on dira tout simplement qu'elle confère des droits exclusifs à son détenteur (section 1). Or, il ne faut pas perdre de vue que les relations entre le droit de la concurrence et le droit de la propriété intellectuelle ressemblent à un « mariage forcé » dont l'équilibre doit être maintenu. C'est que les logiques qui sous-tendent ces deux branches du droit sont a priori incompatibles. Ces considérations ne passent pas sans laisser le régime de protection indifférent (section 2).

    (25 septembre 1982) et le Traité de Washington (17 juillet 2001), auxquels adhérent les autres Etats de la CEMAC.

    239 Ainsi, un inventeur personne physique, qui a concédé une licence de ses brevets « a commercialisé son invention » et doit être considéré comme une entreprise : Déc. du 2 décembre 1975, AOIP-Beyrard : JOCE, L. 6, 13 janvier 1976.

    240 C'est précisément le sens donné par la Directive européenne n° 85/200/CEE du 7 mars 1985.

    241 Cette protection était déjà envisagée par l'article 7 de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, Annexe 1C du Traité de l'OMC.

    242 Article 16 paragraphe 1 de Convention de l'U.E.A.C.

    77

    SECTION 1 : LES DROITS EXCLUSIFS INHÉRENTS AUX DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

    La primauté subsistante des droits nationaux243 en matière de propriété industrielle et commerciale, explique que le titulaire des droits y afférents puisse invoquer la législation de son Etat pour s'opposer à l'importation de produits en provenance d'un autre Etat, membre ou non de la Communauté. Il en découle l'idée capitale que tout droit de propriété intellectuelle est constitutif d'un monopole légal d'exploitation (paragraphe 1) attaché au territoire national de délivrance. Dès lors, il constitue per se un frein au commerce intracommunautaire244 et doté d'un intérêt concurrentiel particulier (paragraphe 2).

    Paragraphe 1 : La consistance du monopole légal d'exploitation du droit de
    propriété intellectuelle

    Le monopole d'exploitation désigne le droit exclusif, pour l'auteur d'une oeuvre ou le titulaire d'une marque, de procéder ou faire procéder à l'exploitation de celle-ci, et d'en tirer un profit pécuniaire. Cet usage à titre privé ou personnel attaché au monopole d'innovation doit respecter l'objet spécifique (A). Ce qui est interdit aux tiers constitue donc les actes qui rentrent dans le champ du monopole du titulaire (B).

    A. L'objet spécifique

    Le but de la sauvegarde des droits exclusifs, qui constituent par essence une dérogation au principe de la libre concurrence pour des raisons de protection des droits de propriété intellectuelle, se révèle par l'objet spécifique de cette propriété. En matière de brevet, l'objet spécifique est d'assurer au titulaire, afin de récompenser l'effort créateur de l'inventeur, le droit exclusif d'utiliser l'invention en vue de la

    243 GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op ; cit. p. 423.

    244 TERCINET (A.), ouv. préc., p. 255.

    78

    fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels, soit directement, soit par l'octroi de licences à des tiers, ainsi que le droit de s'opposer à toute contrefaçon245. En substance, il s'agit, à travers le monopole d'exploitation, de permettre l'exclusivité de la première mise en circulation du produit afin que l'inventeur puisse obtenir les bénéfices escomptés.

    Dans une affaire Centrafarm246, la jurisprudence a défini l'objet spécifique de la marque en déclarant qu'il est notamment d'assurer au titulaire le droit exclusif d'utiliser la marque, pour la première mise en circulation du produit et de se protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient abuser de la position, et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de celle-ci . Le concept particulier du droit des marques est surtout de protéger leurs titulaires contre les risques de confusion247.

    Sans se limiter à la marque et au brevet, on dira que l'objet spécifique justifie réellement le monopole d'exploitation en ce sens qu'il permet au titulaire du droit de s'en prévaloir et d'en tirer profit, pendant l'intervalle de temps requis, à l'encontre des tiers. Il délimite le statut légal et détermine aussi le facteur concurrentiel lié à tout droit de propriété intellectuelle. Il y en a autant que de droits.

    La notion d' « objet spécifique » est complétée par celle de « fonction essentielle ». Celle-ci se réfère à la finalité du droit et permet d'affiner en quelque sorte la détermination de l'objet spécifique en donnant la mesure de la justification de l'existence des droits de propriété intellectuelle248. La fonction essentielle de chacun des droits n'est pas identique à celle des autres. Pour le droit de brevet, la jurisprudence met en avant la récompense de l'effort créateur de l'inventeur249 et pour le droit de marque, il s'agit de garantir au consommateur l'identité d'origine du produit

    245 CJCE, 31 octobre 1974, Centrafarm BV c/ Sterling Drug, Aff. 15/74; Rec. 1974, p. 1147.

    246 CJCE, 31 octobre 1974, Centrafarm BV c/ Winthrop, Aff. 16/74 : Rec. P. 1183.

    247 CJCE, 17 octobre 1990, Hag II, Aff. 10/89 : RJDA 1/91, n° 77, Rec. I- 3711.

    248 POLLAUD-DULIAN (F.), Droit de la propriété industrielle, Montchrestien, E.J.A., Paris, 1999, p 38.

    249 CJCE, 31 octobre 1974, Centrafarm c/ Sterling Drug préc.

    79

    marqué250. En ce qui concerne le droit d'auteur et les droits voisins, c'est la préservation du droit moral et de la récompense de l'effort créateur251.

    Mais, le droit exclusif ne se justifie que si le titulaire met en oeuvre son invention et ne la laisse pas « en jachère », en se prévalant naturellement de certains actes.

    B. Les actes compris dans le champ du monopole252

    Le breveté est maître des utilités économiques de l'invention ; puisqu'il s'agit d'un droit de propriété, il est absolu et opposable à tous. La portée du monopole légal d'exploitation se justifie par la teneur des revendications et la précision des éléments pour lesquels le titulaire a voulu obtenir la protection.

    Il s'agit d'abord de la revendication de produit. Le droit exclusif couvre la fabrication, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation ou la détention à de telles fins. La revendication de produit couvre sa commercialisation quelque soit le moyen utilisé pour obtenir le produit et quelque soit ses applications. Ensuite, il peut être question de revendication de procédé, c'est-à-dire l'exclusivité de son utilisation. Normalement, la protection du droit devrait concerner uniquement la mise en oeuvre du procédé, mais elle s'étend également aux produits obtenus directement par le procédé, objet du droit intellectuel. Cela signifie que le procédé inclut le produit, raison pour laquelle, il est exigé que le produit soit obtenu directement par le procédé. C'est donc au défendeur du procès en contrefaçon d'apporter la preuve que le procédé utilisé pour obtenir un produit identique est différent du procédé breveté.

    Dans le même ordre d'idées, l'exclusivité traduit aussi la revendication d'application nouvelle et de combinaison nouvelle de moyens connus sachant que dans ce dernier cas, le titulaire a le droit sur l'exploitation de la combinaison revendiquée,

    250 CJCE, 22 juin 1976, Terrapin Overseas c/ Terranova Industrie et Kapferer, Aff. 119/75 : Rec. P. 1039.

    251 CJCE, 20 octobre 1993, Phil Collins, D. 1995, p. 133 ; obs. B. Edelman.

    252 Nous nous sommes inspirés du Pr. Frédéric POLLAUD-DULIAN, op. cit. pp. 505-520

    80

    mais pas sur celle des moyens qui la composent, pris séparément ou dans une combinaison distincte. Néanmoins, sont exclus du champ du monopole d'exploitation les actes accomplis dans un cadre privé à des fins non commerciales et à titre expérimental.

    En somme, le droit intellectuel assure à son titulaire que les concurrents déloyaux ne pourront pas s'approprier indûment des fruits de sa création, de son innovation ou des signes de ralliement qu'il utilise vis-à-vis de sa clientèle. En défendant son droit exclusif, on lui garantit le respect de sa position concurrentielle qu'il a conquise grâce à ses inventions, ses dessins ou modèles et ses marques, afin d'encourager les tiers d'en faire autant.

    Paragraphe 2 : L'intérêt de l'octroi des droits exclusifs

    La place de la propriété intellectuelle dans le droit de la concurrence se dévoile par son utilité économique dans la sous-région. En effet, en toutes les matières, la création nouvelle, technologique ou commerciale, occupe une place de choix. Ces domaines où l'on crée des valeurs immatérielles, qui comptent parmi les secteurs d'activités les plus rentables dans les économies modernes, nécessitent une attention particulière. Si la propriété intellectuelle permet de stimuler la concurrence (A), la notion de monopole légal qui en découle, devrait être réappréciée (B) pour dissiper les doutes.

    A. La propriété intellectuelle comme stimulateur de la concurrence

    Il s'agit d'examiner le « rôle concurrentiel » de la propriété intellectuelle. A priori, on est tenté de considérer le monopole légal conféré par ces droits comme des instruments de restriction par nature, à la libre concurrence. Les droits de propriété intellectuelle ont pour terrain unique le commerce et l'industrie, pour but le ralliement et l'attachement d'une clientèle et pour objet un droit exclusif d'exploitation. Faisant suite à ces considérations, une doctrine253 posa qu'en réalité, ils constituent « un

    253 POLLAUD-DULIAN (F.), Droit de la propriété industrielle, op. cit. p. 28.

    81

    aiguillon » au développement de la concurrence. D'une part, ils exhortent et récompensent la recherche et la création et permettent au rival de différencier ses produits ou services auprès de la clientèle. Cette situation lui permettra de développer un fonds de commerce sans se soucier des perturbations économiques qu'admettraient les confusions intentionnelles ou involontairement créées.

    D'autre part, l'existence d'un produit ou d'une technique nouvelle protégée sur le marché commun incitera la concurrence à rechercher et développer des techniques plus compétitives et des produits plus attractifs en vue de stimuler le progrès. A titre particulier, les signes distinctifs créent pareillement un élément d'estimation et de choix, permettant ainsi au consommateur de distinguer les meilleures entreprises selon la qualité et le prix.

    La marque est un aiguillon dans la concurrence254. En effet, il est important de reconnaitre que les droits intellectuels représentent des moteurs pour la survie de la concurrence et de la croissance économique à moyen ou à long terme. Un marché sans incitation à l'innovation technique, ni système de différenciation des protagonistes, est en réalité un marché non compétitif255. Plus encore, à analyse d'un rapport de l'OCDE256, il ressort que l'octroi d'un brevet n'implique en soi une puissance de marché ou une position de force. Il y a pratiquement toujours des techniques substituables à celles qui couvrent les droits de propriété industrielle. D'une manière générale, il faut admettre avec l'OCDE, que « l'idée bien ancrée selon laquelle il y a conflit entre le droit de la propriété intellectuelle et la politique de concurrence doit être remise en question. Les droits de propriété intellectuelle comme les droits afférents à d'autres formes de propriété, sont indispensables au fonctionnement d'une économie de marché concurrentielle (...) il est à présent préférable de permettre à un innovateur de s'approprier la rente inhérente à l'innovation, puisque cela apparait comme la garantie la plus sûre pour assurer la concurrence et la croissance à long terme ».

    254 De MELLO (X.), « Marques et fonctionnement concurrentiel des marchés », Gaz. Pal., 1992, 16 et 17 octobre 1992, doct., p.24.

    255 C'est typiquement le défaut des systèmes de corporation.

    256 OCDE, « Politique de concurrence et propriété intellectuelle », Paris 1989, pp. 119-121.

    82

    C'est suivant cette logique qu'une doctrine257 soulève intelligemment l'idée que « la perspective du droit exclusif d'exploiter stimule la recherche appliquée », celle-ci largement soutenue par les interventions des pouvoirs publics. N'ajouta-elle pas que si la propriété industrielle confère un droit exclusif d'exploiter, il s'agit en fait de conférer à son titulaire le pouvoir d'exploiter à l'abri de toute concurrence. Il revient donc à ce dernier d'organiser la jouissance de ce droit exclusif. Au minimum, l'exploitant peut escompter ses bénéfices grâce au monopole, pouvoir fixer ses prix à un niveau tel qu'il rembourse les frais de recherche antérieurs ; et même, la recherche devant être continue, il s'appliquera à financer la recherche postérieure à l'application de son droit.

    Eu égard à ce qui précède, on se demande bien quel est le sens réel du monopole conféré par un droit intellectuel.

    B. La redéfinition de la notion de monopole couvert par le droit de propriété intellectuelle

    Dans la réappréciation de la notion de monopole en matière de brevets, la doctrine258 pense que prise dans un sens concurrentiel, elle doit être nuancée. Si l'on adopte une conception étroite du marché, le produit ou le moyen breveté satisfait à un besoin et ne trouve pas de véritable substitut dans la concurrence, puisqu'il assure un résultat spécifique d'une façon particulière. La communauté a intérêt à ce que cette technique soit d'accès et d'exploitation ouverts autant que possible, en même temps qu'elle a intérêt à encourager la recherche. Ce qui explique l'idée que le droit de propriété intellectuelle rétrocède un monopole légal qui restreint clairement la concurrence, mais concorde avec l'encouragement du titulaire. La concurrence va donc permettre à rechercher une alternative en vue d'atteindre un résultat similaire, « un meilleur produit pour satisfaire un même besoin ou un perfectionnement ». Le droit exclusif d'exploiter supprime ou modifie la concurrence (notamment la

    257 ZEUMO NGUENANG (M.), Les restrictions à la libre concurrence en droit positif camerounais, Thèse de Master, Université de Dschang, juin 2011, pp.42-43.

    258 POLLAUD-DULIAN (F.), Droit de la propriété industrielle, op. cit. p. 30.

    83

    concurrence par les prix) ; mais il laisse subsister et il renforce même, une autre forme de concurrence, la concurrence par l'innovation259.

    Bien plus, sachant tout de même que le droit exclusif d'exploiter ne sacrifie pas l'intérêt de la société260, les entreprises concurrentes du monopoleur, trouvant une certaine voie barrée pour elles par l'existence d'une création intellectuelle, si elles veulent soutenir victorieusement la compétition, sont contraintes de rechercher le progrès dans d'autres voies. Même dans le cas où n'existe pas encore de brevet ou de signes distinctifs pour certains objets, l'industrie est obligée de continuer à travailler à son développement, de perfectionner les machines et les procédés utilisés, car chacun doit craindre qu' un autre ne vienne le faire et monopoliser, pour une période correspondante à la durée du brevet, de la marque ou de dessin ou modèle dans le domaine d'activité correspondant.

    La puissance publique assure donc la protection des droits intellectuels qui permettent aux innovateurs de disposer d'un monopole temporaire sur leurs inventions. La délivrance d'un monopole légal sur une durée déterminée et sur un produit ciblé en échange de la publication des spécifications de ce produit constitue l'instrument essentiel d'encouragement à l'innovation.

    On retient dès lors que certaines limitations aux principes de libre circulation et, par identité de raisons, de libre concurrence, sont admissibles dès lors qu'elles sont justifiées par la préservation des droits de propriété intellectuelle en faisant de l'innovation le « cheval de bataille ». Cette préservation ne saurait être effective si elle n'était complétée par un système de protection convenable.

    259 ZEUMO NGUENANG (M.), Les restrictions à la libre concurrence en droit positif camerounais, op. cit. p.

    45.

    260 Ibid,

    84

    SECTION 2 : LA PROTECTION MITIGÉE DES DROITS DE

    PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

    Le monopole légal d'exploitation doit être garanti au titulaire. En réalité, un nouveau produit place son innovateur dans une situation de monopole. Pourtant, si les profits sont importants, des concurrents ne tarderont pas à le menacer par des procédés de contrefaçon ou d'imitation. Les droits intellectuels reposent naturellement sur l'effort créatif ; il faut donc favoriser leur développement et assurer leur défense. Mais ces droits confèrent des pouvoirs de marché dont la teneur traduit dans une certaine mesure, un risque de dévoiement anticoncurrentiel au-delà de la seule récompense légitime.

    La protection des droits de propriété intellectuelle varie donc selon qu'on se trouve en face des concurrents illégitimes ou en considération des fonctions du marché commun. Si elle est certaine dans le premier cas (paragraphe 1), dans le second par contre, elle est intensément affaiblie (paragraphe 2).

    Paragraphe 1 : Une protection certaine à l'égard des concurrents

    L'Annexe 1C du Traité de l'OMC précité prévoyait déjà que les Membres feront en sorte que leur législation comporte des procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle telles que celles qui sont énoncées dans la présente partie, de manière à permettre une action efficace contre tout acte qui porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle couverts par le présent accord, y compris des mesures correctives rapides destinées à prévenir toute atteinte et des mesures correctives qui constituent un moyen de dissuasion contre toute atteinte ultérieure. Ces procédures seront appliquées de manière à éviter la création d'obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif 261. Conséquemment, il n'effleure aucun doute que le titulaire dispose des actions à l'encontre de tout

    261 Article 41 de l'Annexe 1C portant Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce.

    85

    contrevenant (A) dont le succès pourrait conduire au prononcé de certaines sanctions (B).

    A. Les actions réservées au titulaire

    Les moyens juridiques employés pour la sauvegarde des droits de propriété intellectuelle comportent deux degrés possibles suivant que l'action intentée est l'action en concurrence déloyale (2) ou en contrefaçon (1). Contrairement à cette dernière qui est « la conséquence d'un droit privatif », la première est plutôt « la sanction d'un devoir ». Or, s'il existe de nombreux traits de ressemblance entre la contrefaçon et la concurrence déloyale, aucune confusion n'est possible. La lutte contre la contrefaçon consacre un monopole juridiquement protégé contre la concurrence alors que la concurrence déloyale consacre la liberté de concurrence262.

    1- L'action en contrefaçon

    La contrefaçon est une atteinte portée à un droit de propriété intellectuelle, c'est-à-dire un droit exclusif reconnu à une personne tant sur le plan littéraire, artistique qu'industriel263. Elle consiste généralement dans le fait d'avoir copié une oeuvre littéraire, un titre, un dessin ou un modèle, d'avoir reproduit une marque de fabrique ou fabriqué un objet breveté sans l'autorisation du titulaire du droit de propriété en question. La contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et non les différences. Pour en décider, le juge se place du point de vue d'un client moyen selon son intelligence et son attention. La mauvaise foi du contrefacteur doit être prouvée. Les faits de contrefaçon sont susceptibles d'entraîner la responsabilité civile et la responsabilité pénale de leur auteur.

    L'action en contrefaçon sanctionne l'atteinte protée à un droit privatif. Elle tend à rétablir le titulaire du droit dans l'intégralité de son monopole, à faire cesser l'usurpation et à la sanctionner. Elle peut être portée soit devant la juridiction civile,

    262 ZENA NGOUNE (H.B.), La contrefaçon des créations techniques dans l'espace OAPI, Thèse de Master, Université de Dschang, juin 2011, p. 9.

    263 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit. p. 220.

    86

    soit devant la juridiction pénale de l'Etat où les faits se sont produits264. A l'action en contrefaçon, doit être rattachée la technique des preuves spécifiques que constituent la saisie contrefaçon et la rétention douanière. La première peut être réelle ou descriptive : la saisie réelle consiste en un enlèvement effectif des objets contrefaits alors que la saisie descriptive consiste en une description détaillée des produits contrefaits. Elle aboutit à un procès verbal constatant les atteintes portées au monopole légal du demandeur265.

    La rétention douanière a pour objet de faire arrêter lors de leur introduction dans le territoire les marchandises soupçonnées de constituer une contrefaçon. Les procédures qui précèdent l'action en contrefaçon jouent un rôle bien important dans la voie de la répression de l'infraction. En effet, elles permettent de paralyser les agissements présumés illicites et représentent aussi des mesures probatoires pouvant servir de mode de preuve dans une instance en contrefaçon266. Comme on peut le constater, la contrefaçon est généralement réduite à l'imitation ou à la reproduction qui n'est pourtant qu'un acte matériel qui indépendamment de porter atteinte à un droit privatif, pourrait constituer plutôt une concurrence déloyale267.

    Si la qualification des actes dommageables s'avère parfois incertaine, la victime peut être autorisée à joindre à la procédure de contrefaçon, une action en concurrence déloyale.

    2- L'action en concurrence déloyale

    L'action en concurrence déloyale a pour but de prévenir et de sanctionner l'usage des procédés illégaux dans la concurrence. Avec la lutte contre les fraudes et les droits de propriété intellectuelle, elle entretient des rapports subtils. La Convention

    264 Au Cameroun, c'est le Tribunal de Première Instance ou de Grande Instance selon le cas.

    265 Les opérations de saisie contrefaçon peuvent faire intervenir les huissiers ou tout officier public ou ministériel, les douaniers et les experts.

    266 ZENA NGOUNE (H.B.), op cit, p 47.

    267 Ibid, p. 9.

    87

    d'Union de Paris de 1883, suivie par l'Annexe VIII de l'OAPI268, définit l'acte de concurrence déloyale comme « tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale »269. La jurisprudence, dans un arrêt de principe270, a eu à affirmer que « si la libre recherche de la clientèle est de l'essence même du commerce, l'abus de la liberté du commerce causant, volontairement ou non, un trouble commercial, constitue un acte de concurrence déloyale ».

    L'action en concurrence déloyale est une action en responsabilité civile, fondée sur les articles 1382 et suivants du Code civil271. Trois conditions doivent donc être réunies à savoir une faute, un préjudice et un lien de causalité. La faute, élément essentiel272, est constituée par l'agissement déloyal et doit être commise dans les rapports de concurrence. De manière générale, sont retenues comme faute, la confusion avec l'entreprise d'autrui273, l'atteinte à l'image ou à la réputation de l'autre, la tromperie à l'égard du public, le dénigrement de l'entreprise d'autrui, la divulgation, l'acquisition ou l'utilisation par des tiers d'une information confidentielle et les actes de nature à désorganiser une entreprise concurrente et le marché274.

    A dire vrai, l'action en contrefaçon et l'action en concurrence déloyale, de nature et d'objets différents, ne font pas double emploi et peuvent coexister. La première peut être complétée par la seconde, pourvu que les faits soient distincts275. Autrement dit, à la contrefaçon, atteinte légale au droit de propriété intellectuelle, peuvent s'adjoindre des procédés ou circonstances déloyaux, qui mettent en jeu la responsabilité de leur auteur au titre de la concurrence déloyale276.

    268 Article 1er paragraphe 1 (a) de l'Annexe 8 de l'Accord de l'OAPI.

    269 Article 10 de la Convention d'Union de Paris.

    270 Cass. Com. 22 octobre 1985, Bull. Civ. IV, n° 245, p. 206.

    271 BURST (J-J), « Concurrence déloyale et parasitisme », Dalloz, 1993, n° 3.

    272 La faute implique par elle seule un préjudice de base : le trouble commercial qui résulte du risque de confusion et le devoir d'agir pour faire cesser les actes en question. V. en ce sens Cass. Com. 22 octobre 1985, op. cit. p. 206.

    273 CA Littoral-Douala, Arrêt n°09/C du 21 octobre 2005, Société Onashi SARL c/ Sté Moulinex SA. Dans cette affaire, la Société Onashi a été condamnée au motif que les emballages de ses mixers de marque MAMMONLEX constituaient « une copie servile ou quasi-servile des emballages des mixers MOULINEX et de ce fait, susceptible de créer une confusion dans l'esprit du consommateur ».

    274 V. articles 2 à 7 de l'Annexe VIII de l'Accord de Bangui.

    275 Cass. Com. 23 mai 1973, Bull. Civ., IV, n° 182.

    276 CA Littoral-Douala, Arrêt n°09/C du 21 octobre 2005 précité.

    88

    Dans tous les cas, relevons que l'action en contrefaçon tend à assurer la défense du droit invoqué par le jeu de sanctions nombreuses et graves alors que l'action en concurrence déloyale ne peut prétendre à des sanctions aussi fortes277.

    B. Les modalités de sanctions

    La recevabilité des actions en protection permettra au juge de prononcer des sanctions qui peuvent être pénales (1) ou civiles (2).

    1- Les sanctions pénales

    Le législateur OAPI se démarque de son homologue de l'OHADA, par la détermination, dans la plupart des cas, des quanta des peines directement applicables par les juridictions des Etats membres. En cas de constatation du délit de contrefaçon du brevet, soit par l'emploi des moyens faisant l'objet dudit brevet, soit par le recel ou le vente, les contrefaisants s'exposent à une amende de 1 000 000 à 3 000 000 de francs CFA278. En cas de récidive, outre l'amende, un emprisonnement d'un à six mois peut être infligé279.

    L'article 41 de l'Annexe II de l'OAPI prévoit que toute atteinte portée aux droits du titulaire du modèle d'utilité enregistré, par la fabrication de produits ou par l'emploi des moyens faisant l'objet de son modèle d'utilité est punie d'une amende de 1000 000 à 6 000 000 de francs CFA280 comme en matière de marque281. A la seule différence que dans le premier cas, les peines d'emprisonnement (en cas de récidive ou circonstances aggravantes) pourront aller d'un à six mois alors que dans le second, elles vont de trois mois à deux ans (en complément des amendes).

    277TANGOUE YI TCHOUTEZO (E.), La contrefaçon en matière de marques, Mémoire de Maîtrise, Université de Dschang, 1997, p. 18.

    278 Article 58 de l'Annexe I de l'OAPI.

    279 Article 59 de l'Annexe I de l'OAPI.

    280 Sans mentionner le délit d'usurpation puni d'une amende de 2 000 000 à 3000 000 francs CFA double en de récidive.

    281 Article 7de l'Annexe III de l'OAPI.

    89

    A ces peines principales, le tribunal peut prononcer des peines accessoires telles que la confiscation des objets contrefaits, leur destruction, et même la remise au propriétaire du droit exclusif des objets contrefaits sans préjudice des réparations civiles.

    2- Les sanctions civiles

    L'atteinte portée au droit du titulaire engage la responsabilité civile de son auteur, naturellement sur la base de l'article 1382 du Code civil. Sous réserve de l'évaluation du préjudice282 subi, le contrefacteur s'expose à des dommages et intérêts. C'est ce qui ressort clairement de l'Annexe 1C du Traité de l'OMC283 qui habilite les autorités judiciaires à ordonner au contrevenant, qui s'est livré à une activité portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle sans le savoir ou sans avoir de motifs raisonnables de le savoir, de verser au détenteur des dommages -intérêts adéquats en réparation du préjudice que celui-ci a subi du fait de l'atteinte portée à son droit légal d'exclusivité.

    On constate aisément que les dérogations à la libre concurrence ne peuvent être justifiées que par la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de la propriété intellectuelle. Dans cette perspective, la conciliation entre les exigences de la libre concurrence et le respect des droits intellectuels doit être réalisée de telle sorte qu'une protection soit assurée à l'exercice légitime des droits conférés par les législations nationales, mais soit refusée, en revanche, à tout exercice abusif des mêmes droits, qui serait de nature à maintenir ou établir un cloisonnement du marché unique284.

    282 L'évaluation du préjudice pose des problèmes en pratique car il est difficile pour les juges d'octroyer les réparations suffisantes à la partie lésée. Pour justifier ce fait, Michel VIVANT a avancé trois raisons : d'abord, les juges qui connaissent de la contrefaçon ne sont pas assez sensibilisés sur les réalités de la propriété industrielle. Ensuite, les dossiers des demandeurs ne permettent pas toujours d'apprécier à juste titre le coût réel de la contrefaçon. Enfin, l'imprécision de l'article 1382 du code civil qui donne lieu à l'interprétation qui voudrait que le préjudice, tout le préjudice et rien que le préjudice soit réparé.

    283 Précisément de l'article 45.

    284 CJCE, 14 septembre 1982, Keurkoop c/ Nancy Kean Gifts, Aff. 144/81: Rec., p. 2853.

    90

    Paragraphe 2 : Une protection menacée par les intérêts et besoins du marché

    intérieur

    Si l'essor des droits intellectuels est la marque d'une efficience économique incontestable, ces droits ne sont pas sans poser de problème. A vrai dire, il peut exister une contradiction apparente entre les principes du droit communautaire de la concurrence avec ceux de la propriété intellectuelle. C'est ici que se pose la question de la compatibilité, non de l'existence, mais de l'exercice de ces droits eu égard aux fondements de la libre circulation des marchandises (A) et de la libre concurrence (B). Dans les deux cas, cet exercice se trouve suffisamment limité285.

    A. L'exercice des droits de propriété intellectuelle limité par la libre circulation des marchandises

    La libre circulation des marchandises suppose que chaque Etat de la Communauté s'engage à ne pas créer de nouvelles restrictions, directes ou indirectes, aux échanges intracommunautaires. Celarequiert également que les agents économiques, autres que les Etats, ne causent pas non plus de revers, directement ou indirectement, à cette liberté par leur comportement. C'est l'idée projetée par la Convention de l'U.E.A.C. d'où il ressort que les restrictions ou interdictions sur le fondement de la propriété industrielle et commerciale ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée au commerce entre les Etats membres286. La mesure limitative nationale ne doit excéder le strict nécessaire pour atteindre l'objectif de protection. La question reste donc de savoir dans quelle mesure la libre circulation des marchandises peut porter atteinte à l'exercice des droits de propriété intellectuelle ?

    285 V. en ce sens TERCINET (A.), Droit européen de la concurrence (opportunités et menaces) op. cit. pp. 256300 ; POLLAUD-DULIAN (F.), Droit de la propriété industrielle, op. cit. pp. 35-44 et 232-251.

    286 Article 16 paragraphe 2 de la Convention de l'U.E.A.C. c'est pratiquement le sens de l'article 36 du TFUE.

    91

    La jurisprudence287 est donc intervenue en reprécisant la notion d'objet spécifique et en créant la théorie de l'épuisement du droit288. En effet, si l'objet spécifique est notamment d'assurer au titulaire l'exclusivité et la récompense, ne fait pas partie de cet objet, le droit de s'opposer à l'importation ou à la commercialisation dans un Etat membre, d'un produit écoulé licitement sur le marché d'un autre Etat par le titulaire lui-même, ou avec son consentement. Dans ce cas, on dira qu'il a épuisé son droit. L'épuisement du droit ne concerne que la circulation ou la première commercialisation de produits couverts par le droit de propriété intellectuelle, pas leur fabrication289.

    Le monopole légal du titulaire s'amenuise lorsque celui-ci a délibérément consenti à la commercialisation de son produit dans d'autres Etats, ce qui l'oblige à consentir des licences obligatoires. Le juge conclut dès lors que : « L'exercice, par le titulaire d'un brevet, du droit que lui confère la législation d'un Etat membre d'interdire la commercialisation, dans cet Etat, d'un produit protégé par le brevet et mis dans le commerce dans un autre Etat membre, par ce titulaire ou avec son consentement, serait incompatible avec les règles du Traité relatives à la libre circulation des marchandises à l'intérieur du Marché commun »290.

    Quid de la limitation par la libre concurrence ?

    B. L'exercice des droits de propriété intellectuelle limité par la libre

    concurrence

    Le caractère exclusif des droits de propriété intellectuelle et la conclusion de licences souvent elles mêmes exclusives posent le problème de la compatibilité de ces droits et accords avec le principe de la libre concurrence, tel qu'il s'exprime dans les prohibitions des ententes illicites et abus de position dominante. Le caractère peu

    287 Affaire Centrafarmc BV c/ Sterling Drug précitée.

    288 La théorie de l `épuisement du droit a été initialement élaborée en droit de la propriété intellectuelle par la doctrine allemande et spécialement KOHLER (« Handbuch des deutschen Patentrechts in rechtvergleichender Darstllung », Mannheim, 1900). Elle a ultérieurement inspiré la jurisprudence.

    289 CJCE, 5 octobre 1988, Maxicar c/ Renault, Aff. 53/82, Rec. P. 6039, Att. 11.

    290 Point 15, arrêt Centrafarm.

    92

    contestable d'un marché où opèrent les détenteurs de technologie favorise le développement des comportements anticoncurrentiels ou abusifs tels que les « buissons de brevet » ou encore l'effet de réseau destinés uniquement à empêcher l'émergence de la concurrence.

    Depuis l'affaire « semences de mais »291, la jurisprudence a jugé de l'incompatibilité des licences exclusives fermées comportant une protection territoriale absolue, c'est-à-dire celle par laquelle les parties s'entendent pour éliminer toute concurrence de la part des tiers.

    En ce qui concerne les abus de position dominante, ce serait détruire tout l'édifice de la propriété intellectuelle si l'obtention d'un droit exclusif était considérée comme abusive292. En revanche, l'exercice abusif du droit peut être interdit s'il est de nature à affecter le commerce intracommunautaire. En outre, en raison de la nature particulière du monopole conféré par les droits de propriété intellectuelle, la jurisprudence a développé une approche en se fondant sur les circonstances exceptionnelles293 pour obliger le titulaire du droit de consentir une licence. Au nom de la libre concurrence voire la protection des consommateurs, des droits seront concédés aux tiers s'il apparait une demande nouvelle, un refus injustifié du titulaire d'accorder des licences aux rivaux et l'intention d'exclure toute concurrence sur le marché dérivé. Dans le même sens, en cas de non exploitation ou d'exploitation insuffisante du droit intellectuel, avec pour intention d'exclure la compétition, le titulaire pourra être contraint d'octroyer des licences obligatoires.

    *

    * *

    291 CJCE, 8 juin 1982, LC Nungesser et K. Eisele c/ Commission, Aff. 258/78 : Rec. p. 2015.

    292 C'est en fait le sens le l'arrêt Maxicar c/ Renault.

    293 Proches de la « théorie des facilités essentielles».

    Les droits de propriété intellectuelle apportent des restrictions considérables au principe de la liberté du commerce et de l'industrie ; la liberté d'action des autres agents s'arrête où commence le droit exclusif294. Le législateur et la jurisprudence sont donc intervenus pour définir les contours et les frontières de ces droits car le domaine des abus possibles commence là où s'arrête l'exercice des prérogatives comprises dans les limites de l'objet spécifique d'un droit de propriété industrielle.

    Dès lors, bien que conférant un monopole légal d'exploitation qui constitue un avantage concurrentiel, une distinction doit être opérée entre l'existence même d'un droit de propriété intellectuelle qui laisse indifférent, et son exercice, qui tombe sous le regard attentionné du droit communautaire de la concurrence.

    93

    294 POLLAUD-DULIAN (F.), op. cit. p. 21.

    94

    CONCLUSION GÉNÉRALE

    Depuis les Accords de l'OMC, il est connu que chaque Etat Membre fera en sorte que tout fournisseur monopolistique d'un service sur son territoire n'agisse pas, d'une manière incompatible, lorsqu'il fournit un service sur le marché considéré295. Au demeurant, une réalité domine le droit communautaire de la CEMAC : dans la gestion de certains secteurs jugés très sensibles, les Etats membres refusent une implication directe en optant pour la reconnaissance, au profit de certaines entreprises ou groupes d'entreprises, d'un régime spécial leur conférant un statut d'utilité publique. La réaffirmation de ces missions de service public dans des secteurs clés de l'économie nationale et la reconnaissance en faveur de certaines entreprises d'un statut de monopole légal, n'a pour autant pas remis en question le nouveau principe de la soumission de tous les acteurs économiques au libre jeu de la concurrence admis par tous les pays membres, lesquels venaient de reconnaître, depuis peu et à l'unanimité, les vertus du libéralisme économique296.

    Dans l'espace économique de la CEMAC, les monopoles légaux sont autorisés et contribuent, dans une certaine mesure, à justifier l'intervention des pouvoirs publics dans l'économie. Leur existence se heurte donc à la question de leur conformité à la logique du marché. Du coup, le législateur pose le principe de leur assujettissement aux règles de la concurrence en appliquant, à leur égard, les règles régissant les pratiques d'abus de position dominante. Dans la même orientation, la jurisprudence a imposé aux entreprises dominantes, l'accès à leurs infrastructures aux autres opérateurs, en élaborant la théorie dite des « installations essentielles ».

    Le problème reste celui de savoir si cette soumission réussit elle à rassurer les intérêts du marché commun en général, et ceux d'autres opérateurs économiques en particulier. La raison en est que des réserves, sous fond de protection, y ont été consacrées. En premier lieu, les activités des monopoles légaux échappent aux règles

    295 Article VIII de l'Accord Général sur le Commerce des services, Annexe 1B du Traité de l'OMC.

    296 GNIMPIEBA TONNANG (E.), droit matériel et intégration sous-régionale en Afrique centrale (contribution a l'étude des mutations récentes du marché intérieur et du droit de la concurrence CEMAC), Thèse de Doctorat précitée, pp. 353-354.

    95

    communautaires lorsqu'elles réussissent à satisfaire des besoins d'intérêt général. Dans un second temps, en vue de la garantie des intérêts privés, certains acteurs se prévalent de la gestion exclusive d'un secteur donné, par l'idée de la reconnaissance de leur droit de propriété intellectuelle.

    Indéniablement, la compétition joue un double rôle : l'amélioration de la satisfaction des consommateurs et la préservation du bon fonctionnement de l'économie en l'occurrence en faisant place à la pérennité des entreprises, à l'innovation et au maintien de la structure concurrentielle des marchés297. La réglementation du marché est donc nécessaire. Sinon, la compétition concurrentielle risquerait de s'étouffer devant les comportements abusifs des entreprises monopolistes ou en position dominante sur le marché et partant, favoriser le triomphe des procédés anticoncurrentiels préjudiciables aux intérêts des opérateurs économiques, des consommateurs et à l'intérêt général298.

    Pour tout dire, le monopole légal signifie absence de compétition traditionnelle par impératif juridique, alors que la concurrence est un facteur essentiel pour un fonctionnement si ce n'est optimal, du moins satisfaisant aux protagonistes de l'échange, c'est-à-dire satisfaction de tous les intérêts et surtout de l'intérêt général.

    297 NJEUFACK TEMGWA (R.), Etude de la notion de collaboration dans les procédures en droit de la concurrence : une lecture du droit africain (CEMAC et UEMOA) sous le prisme du droit européen, op. cit., p. 77.

    298 MASAMBA MAKELA, Pour une loi sur les pratiques commerciales restrictives au Zaïre, Afrique- éd., Kinshasa, 1986, p. 15.

    96

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    D. Législation

    1. Textes communautaires

    a) Règlement n°12/05-UEAC-639-CM du 25 juin 2005 modifiant le Règlement n° 1/99/UEAC-CM-639 du 25 juin 1999 portant réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles

    b) Règlement n°4/99/UEAC-CM-639 du 18 août 1999 portant réglementation des pratiques étatiques affectant le commerce entre les Etats

    c) Règlement n°02/2002/CM/UEMOA du 23 mai 2002 relatif aux pratiques anticoncurrentielles

    d) Règlement n°03/2002/CM/UEMOA du 23 mai 2002 relatif aux procédures applicables aux ententes et abus de position dominante

    e) Convention régissant l'Union Economique de l'Afrique Centrale (U.E.A.C.) du 5 juillet 1996

    f) Règlement n°17/99/CEMAC-20-CM-03 du 17 décembre 1999 portant Charte des investissements CEMAC

    g) Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (modifiant le Traité de Rome du 25 mars 1957)

    h) Accord portant révision de l'Accord de Bangui du 02 mars 1977 instituant une Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI)

    i) Annexe 1c du traité de l'OMC portant Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)

    2. Textes nationaux

    a) Loi n° 98/013 du 14 juillet 1998 relative à la concurrence au Cameroun

    b) Loi n°14/98 du 23 juillet 1998 fixant le régime de la concurrence au

    Gabon

    c) Décret n° 98/198 du 08 septembre 1998 portant création de la société Cameroon Telecommunications (CAMTEL)

    d) Décret n° 99/058 du 19 mars 1999 portant approbation de la Convention de concession de l'activité ferroviaire au Cameroun au profit de la Société CAMRAIL

    e) Loi-cadre n°2011/012 du 06 mai 2011 portant protection des
    consommateurs au Cameroun

    102

    f) Loi du 9 avril 2011 régissant le secteur de l'électricité au Cameroun

    103

    E. Sites internet

    - www.unctad.com

    - www.uneca.org

    - www.camereco.com

    - www.uropa.eu

    104

    TABLE DES MATIÈRES

    AVERTISSEMENT ii

    DEDICACE iii

    REMERCIEMENTS iv

    PRINCIPALES ABRÉVIATIONS v

    RESUMÉ vii

    ABSTRACT viii

    SOMMAIRE ix

    INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

    PREMIÈRE PARTIE : L'ASSUJETISSEMENT DES MONOPOLES LÉGAUX AUX

    RÈGLES DE LA CONCURRENCE 14

    CHAPITRE I : L'INTERDICTION DES ABUS DE MONOPOLE 15

    SECTION 1 : LA NOTION D'ABUS DE MONOPOLE LÉGAL 16

    Paragraphe 1 : Les pratiques abusives 16

    A. Les pratiques inhérentes aux stratégies de vente 17

    1- Les ventes liées 17

    2- Les refus de vente 18

    3- Les ventes discriminatoires injustifiées 19

    B. Les pratiques relatives aux prix 21

    1- L'imposition des prix sur le marché 21

    2- Les pratiques de prix artificiels 22

    C. Les pratiques motivées par la position stratégique 23

    1- Les ruptures injustifiées de relations commerciales 23

    2- L'utilisation des recettes aux fins de subventions 23

    Paragraphe 2 : La pertinence du marché en cause 24

    A. La prise en compte de la délimitation matérielle 25

    B. L'importance de la délimitation géographique du marché 27

    105

    SECTION 2 : LA COMPLEXITÉ DU CONTRÔLE DES ABUS DE POSITION

    MONOPOLISTIQUE 28

    Paragraphe 1 : Une procédure peu ordinaire quant à la prise de décisions 29

    A. Les organes compétents 29

    1- Le Conseil Régional de Concurrence (CRC) 29

    2- La compétence de la Commission 31

    3- La compétence a postériori de la Cour de Justice Communautaire 32

    B. Le traitement diplomatique des abus de monopoles légaux par le droit

    communautaire 33

    Paragraphe 2 : Une procédure particulière quant à l'exécution des décisions 35

    A. La détermination complexe des sanctions encourues 35

    B. Le problème de l'efficacité des mesures de contrainte 37

    CHAPITRE 2 : LA SOUMISSION PAR L'APPLICATION DE LA THÉORIE DES

    FACILITÉS ESSENTIELLES 40

    SECTION 1 : LE CONTENU DE LA THÉORIE DES FACILITÉS ESSENTIELLES

    41

    Paragraphe 1 : Les conditions relatives au titulaire de la facilité 42

    A. La situation de monopole du titulaire 42

    B. Le refus illégitime d'utilisation opposé aux concurrents 43

    Paragraphe 2 : Les conditions liées à la nature de l'infrastructure 44

    A. La duplication techniquement inenvisageable 44

    B. La possibilité d'une utilisation saine 46

    SECTION 2 : L'EFFICACITÉ DE L'APPLICATION DE LA THÉORIE DES

    FACILITÉS ESSENTIELLES 47

    Paragraphe 1 : La notion de contrat forcé 47

    A. Les exigences de proportionnalité 47

    B. La rémunération de la licence 48

    Paragraphe 2 : Les effets du contrat forcé 49

    A.

    106

    Les effets sur le plan du droit de la concurrence 50

    B. Les effets sur le plan du droit de la consommation 51

    CONCLUSION PREMIÈRE PARTIE 53

    DEUXIÈME PARTIE : L'AFFRANCHISSEMENT MESURÉ DES MONOPOLES

    LÉGAUX DES RÈGLES DE LA CONCURRENCE 54

    CHAPITRE 1 : LES RÉSERVES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL 56

    SECTION 1 : LES RAISONS RELEVANT DES BESOINS DE SÛRETÉ

    NATIONALE 57

    Paragraphe 1 : L'analyse du régime de limitation du législateur CEMAC 57

    A. Les limitations non économiques 58

    1- L'ordre public 58

    2- La sécurité et la santé publiques 59

    B. Les conditions d'admissibilité 60

    Paragraphe 2 : L'extension aux services d'intérêt économique général (SIEG) 61

    A. La revendication d'un service d'intérêt économique général 62

    1- Les critères d'un SIEG 62

    2- Les missions d'un SIEG 64

    B. L'équilibre financier des SIEG 66

    SECTION 2 : LES CRAINTES INHÉRENTES AUX RÉSERVES D'INTÉRÊT

    GÉNÉRAL 68

    Paragraphe 1 : La résurgence des intérêts des Etats 68

    Paragraphe 2 : Vers une perte probable de l'efficacité des services publics 71

    CHAPITRE 2 : LES RÉSERVES D'INTÉRÊT PRIVÉ : LA RECONNAISSANCE

    DES DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 75

    SECTION 1 : LES DROITS EXCLUSIFS INHÉRENTS AUX DROITS DE

    PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 77

    Paragraphe 1 : La consistance du monopole légal d'exploitation du droit de

    propriété intellectuelle 77

    A.

    107

    L'objet spécifique 77

    B. Les actes compris dans le champ du monopole 79

    Paragraphe 2 : L'intérêt de l'octroi des droits exclusifs 80

    A. La propriété intellectuelle comme stimulateur de la concurrence 80

    B. La redéfinition de la notion de monopole couvert par le droit de propriété

    intellectuelle 82

    SECTION 2 : LA PROTECTION MITIGÉE DES DROITS DE PROPRIÉTÉ

    INTELLECTUELLE 84

    Paragraphe 1 : Une protection certaine à l'égard des concurrents 84

    A. Les actions réservées au titulaire 85

    1- L'action en contrefaçon 85

    2- L'action en concurrence déloyale 86

    B. Les modalités de sanctions 88

    1- Les sanctions pénales 88

    2- Les sanctions civiles 89

    Paragraphe 2 : Une protection menacée par les intérêts et besoins du marché

    intérieur 90

    A. L'exercice des droits de propriété intellectuelle limité par la libre circulation

    des marchandises 90

    B. L'exercice des droits de propriété intellectuelle limité par la libre

    concurrence 91

    CONCLUSION GÉNÉRALE 94

    BIBLIOGRAPHIE 96

    TABLE DES MATIÈRES 104






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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King