i
Thèse de Master
Thème : MONOPOLES LÉGAUX ET MARCHÉ
COMMUN
D'AFRIQUE CENTRALE
Par :
NGUEFACK DONZEU
Gaël
Titulaire d'une Maitrise en Droit des Affaires et de
l'Entreprise
Université de Dschang- Cameroun
Juin 2012
ii
AVERTISSEMENT
L'Université de Dschang n'entend donner aucune
approbation ni improbation aux
opinions émises dans cette
thèse. Celles-ci doivent être considérées comme
propres à
leur auteur qui en assume l'entière
responsabilité.
iii
DEDICACE
A mes chers parents
NGUEFACK Benoît, de regrettée
mémoire Et
NGUEMO Marceline, pour son soutien immense et
pour avoir nourri ma passion pour les études.
iv
REMERCIEMENTS
Ce travail a été rendu possible par la
contribution de plusieurs personnes à qui je tiens à exprimer ma
gratitude. Je pense ainsi :
Au Docteur NJEUFACK TEMGWA René, qui a
accepté de le
diriger et surtout pour son immense appui matériel ;
Au Docteur WATCHO KEUGONG Rolande Sorel,
pour son
expertise apportée dans la réalisation de ce
travail ;
A mon grand frère NGUEFACK Roméo,
pour son important
soutien moral et financier ;
A mon frère DJIEUFACK GAÏMA
Roland, assistant à la
Faculté des Sciences
Juridiques et Politiques de Dschang pour son appui et ses conseils ;
A Monsieur NKWAM Hugues Alexandre, qui m'a
donné
l'occasion d'évoluer dans le monde professionnel ;
A mes frères et soeurs NGUEFACK TEMGOUA
Boniface,
NGUEFACK Luciano Modeste., NGUEFACK Cathy
Audrey., NKENDJI Marie-Thérèse,
FOPA Marie-Claire, NGUEFACK Eddy,
KENFACK GAIMA Martin, NGUEFACK Antoine, TSAFACK Marie
Thérèse pour leurs multiples encouragements ;
A mes chers amis TSAFACK DJOUMESSI Cédric,
NJUMELI
TELEZING Gustave, NKENGNI Guy Marc, SINSET Eric Unnel, YAKETCHA
Raïssa, ESSIBEN Sonia, TOUKO August Martial, ZEUMO NGUENANG Marcelin
pour leur souci de voir ce travail achevé ;
A toute ma famille ;
Enfin, à Dieu pour avoir toujours été au
contrôle de ce travail.
v
PRINCIPALES ABRÉVIATIONS
A.J.D.A. : Actualités Juridiques du
Droit Administratif
Aff. jtes. : Affaires jointes
Aff. : Affaire
Att. : Attendu
Bull. Civ. : Bulletin Civil
C. : Contre
CAPC : Centre Africain de Politique
Commerciale
C.J.C. : Cour de Justice de la CEMAC.
CAMRAIL : Cameroun Railways
Camtel : Cameroon Telecommunications
Cass. Com.
: Chambre commerciale de la Cour de cassation française
CEMAC : Communauté Économique
et Monétaire de l'Afrique Centrale
Cf. : Confère
Chr. : Chronique
CJCE : Cour de Justice des Communautés
Européennes
Concl. : Conclusion
CRC : Conseil Régional de la
Concurrence
DEA : Diplôme d'Etudes Approfondies
Déc. : Décision
Doct. : Doctrine
Ed. : Edition
Gaz. Pal. : Gazette du Palais
Ibid. : Au même endroit
J.O.C.E. : Journal Officiel des
Communautés Européennes
J.O.U.E. : Journal Officiel de l'Union
Européenne
JP : Juridis Périodique
N° : Numéro
OAPI : Organisation Africaine de la
Propriété Intellectuelle
OCDE : Organisation de coopération et
de développement économiques
vi
OHADA : Organisation pour l'Harmonisation en
Afrique du Droit des
Affaires
OMC : Organisation Mondiale du Commerce
OMPI : Organisation Mondiale de la
Propriété Intellectuelle
Op. cit. : Opere citato (Cité
plus haut)
Ouv. Préc. : Ouvrage
précité
p. : Page
Pp. : Pages
R.D.I.D.C. : Revue de Droit International et
de Droit Comparé
R.I.D.C. : Revue Internationale de Droit
Comparé
Rec. : Recueil
RJS : Revue de Jurisprudence Sociale Francis
Lefebvre
S. : Suivant (es)
SIEG : Service d'intérêt
économique général
TFUE : Traité sur le Fonctionnement de
l'Union Européenne
TPICE : Tribunal de Première instance
des Communautés Européennes
U.E.A.C. : Union Economique de l'Afrique
Centrale
UDEAC : Union Douanière et Economique
des Etats de l'Afrique Centrale
UEMOA : Union Economique et Monétaire
Ouest Africaine
V. : Voir
Vol. : Volume
Vii
RESUMÉ
Le droit de la concurrence CEMAC réglemente les
interventions indirectes des Etats dans le marché commun par la
soumission des monopoles légaux aux règles concurrentielles.
Cette soumission passe par l'interdiction faite aux entreprises monopolistiques
d'abuser de leur position préférentielle en posant des actes bien
définis. Aussi, le législateur communautaire peut-il faire usage
d'une arme influente qu'est la théorie des « facilités
essentielles » afin de contraindre ces mêmes entreprises, mais cette
fois disposant d'une ressource essentielle, à la partager avec d'autres
opérateurs quand se présenteront les besoins urgents du
marché voire des consommateurs.
Pour ce faire, les Règlements CEMAC ont institué
une procédure qui à l'analyse, regorge de nombreuses
difficultés d'application ; d'où le souhait de voir organiser une
procédure propre au contrôle des monopoles légaux, qui doit
surtout correspondre à leur traitement spécial par le droit
communautaire.
Cette spécificité est d'autant plus
réelle qu'il est prévu un régime dérogatoire
appliqué aux monopoles légaux dans leur ensemble. Ce n'est rien
d'autre que les exemptions pour des raisons d'intérêt
général et la reconnaissance au profit de certaines personnes, de
leurs droits de propriété intellectuelle. A l'examen, on
s'aperçoit que ces exonérations légales souffrent
elles-mêmes de nombreuses limitations et critiques en ce qui concerne
leur opportunité dans notre sous région car il convient de
retenir que la compétition joue un double rôle : la satisfaction
des besoins des consommateurs, composante économique incontournable, et
la préservation du bon fonctionnement de l'économie de
marché.
Viii
ABSTRACT
The CEMAC antitrust Law regulates States indirect
interventions in the common market by the submission of legal monopolies to
competition rules. This requires the prohibition of monopolistic firms from
abusing their preferred position by asking well-defined acts. Also, the
Community authorities can make use of an efficient weapon which is the theory
of «essential facilities» so as to force these monopolistic
companies, but this time detaining a vital resource or infrastructure, to share
it with other operators when the urgent needs of the market or consumers
arise.
To do so, the CEMAC Acts have established a procedure which,
after serious analysis, reveals many difficulties of implementation; henceforth
the wish is to see organized a specific procedure to control legal monopolies,
which should primarily reflect their special treatment by the competition
law.
This specificity of public monopolies is so evident that they
do benefit of a derogatory regime in general. This is nothing other than the
exemptions for reasons of general interest or the recognition of intellectual
property rights. Well examined, the conclusion is that these legal exemptions
themselves suffer many limitations and criticisms regarding their opportunity
in our sub-region. Nevertheless, it should be noted that competition plays a
double role: the contentment of consumer's needs, important economic component,
and preservation of the good functioning of the market economy.
ix
SOMMAIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE 1
PREMIÈRE PARTIE : L'ASSUJETISSEMENT DES MONOPOLES
LÉGAUX AUX
RÈGLES DE LA CONCURRENCE 14
CHAPITRE I : L'INTERDICTION DES ABUS DE MONOPOLE 15
Section 1 : La notion d'abus de monopole légal 16
Section 2 : La complexité du contrôle des abus de
position monopolistique 28
CHAPITRE 2 : LA SOUMISSION PAR L'APPLICATION DE LA
THÉORIE DES
FACILITÉS ESSENTIELLES 40
Section 1 : Le contenu de la théorie des facilités
essentielles 41
Section 2 : L'efficacité de l'application de la
théorie des facilités essentielles 47
DEUXIÈME PARTIE : L'AFFRANCHISSEMENT MESURÉ DES
MONOPOLES
LÉGAUX DES RÈGLES DE LA CONCURRENCE 54
CHAPITRE 1 : LES RÉSERVES D'INTÉRÊT
GÉNÉRAL 56
Section 1 : Les raisons relevant des besoins de
sûreté nationale 57
Section 2 : Les craintes inhérentes aux réserves
d'intérêt général 68
CHAPITRE 2 : LES RÉSERVES D'INTÉRÊT
PRIVÉ : LA RECONNAISSANCE
DES DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 75
Section 1 : Les droits exclusifs inhérents aux droits de
propriété intellectuelle 77
Section 2 : La protection mitigée des droits de
propriété intellectuelle 84
CONCLUSION GÉNÉRALE 94
1
INTRODUCTION GÉNÉRALE
La nécessité de mettre en oeuvre les
règles garantissant la libre circulation des marchandises et le respect
du libre jeu de la concurrence, eu égard aux mesures économiques
et sociales de défense nationale des Etats, constitue une
préoccupation impérieuse à laquelle les autorités
communautaires se sont proposées de répondre ; le but
étant d'égaliser les relations ou interactions entre
opérateurs issus des Etats qui ont accepté de s'unir afin de
propulser leur développement économique.
C'est ainsi que dans un environnement
caractérisé par une croissance rapide, la libéralisation
et la concurrence, la plupart des pays du monde aspire à
améliorer leur situation économique en signant des accords avec
d'autres Etats afin de faciliter la libre circulation des personnes, des biens
et des services1. En effet, l'internationalisation croissante des
échanges commerciaux rompt totalement avec le système commercial
parcellaire et autarcique entraînant une ouverture croissante des
marchés avec une forte interaction des économies2.
Cette ouverture des marchés mérite néanmoins que s'exerce
un contrôle efficace pour contrecarrer les effets néfastes de la
mondialisation, laquelle se répercute sur le plan régional, par
la création d'un marché commun.
La notion de `'Marché commun» a été
employée pour la première fois en Europe3 et
désigne cet espace composé de plusieurs Etats se proposant de
promouvoir le développement harmonieux des activités
économiques, une croissance et une stabilité accrues et les
relations plus étroites entre les Etats membres. Le marché
1 Centre Africain de Politique Commerciale (CAPC),
« Les processus de création du marché commun africain : vue
d'ensemble », juin 2004, P.1. Disponible sur
www.uneca.org.
2 MOR Bakhoun, « Répartition et
exercice des compétences entre l'Union et les Etats membres en droit de
la concurrence dans l'Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine
(UEMOA) », RIDE, 2005, P. 321.
3 La définition de la notion de
`'Marché commun» est faite par référence à la
Communauté Economique Européenne (CEE). En effet, le
Traité de Rome de 1957 instituant la CEE visait à créer un
grand marché unifié, appelé alors Marché commun.
Les Etats membres avaient dès lors accepté de mettre un terme aux
barrières entre Etats en se fondant sur le modèle des pays du
Bénélux (Voir TERCINET (A.), Droit européen de la
concurrence (opportunités et menaces), Montchrestien, 2000, p.
256). La CEE a été remplacée par l'Union Européenne
en 1999.
2
commun se caractérise entre autres par la suppression
des barrières douanières, l'institution d'un tarif
extérieur commun, la libre circulation des personnes et des
biens4. A propos de ses objectifs, la Cour de Justice des
Communautés Européennes (CJCE) a eu à poser que celui-ci
visait « à l'élimination de toutes les entraves aux
échanges intracommunautaires en vue de la fusion des marchés
nationaux dans un marché unique réalisant les conditions aussi
proches que possible de celles d'un véritable marché
intérieur »5. Les expressions de marché
commun, marché unique et marché intérieur s'appliquent
à un processus continu de réalisation d'un même objet : le
marché commun aboutit à un marché unique, lequel tend
à s'identifier à un marché
intérieur6.
Pour ne pas rester en marge de cet élan initié
par les pays européens, les représentants de six pays d'Afrique
centrale7, comme un peu plus tard ceux d'Afrique de
l'Ouest8, ont signé le 16 mars 1994 le Traité
instituant la Communauté Economique et Monétaire des Etats de
l'Afrique Centrale (CEMAC)9. La signature de ce Traité
constituait pour les différents protagonistes « un tournant
décisif dans la longue et difficile marche vers la constitution d'une
communauté économiquement intégrée qui verrait la
fusion des marchés particulièrement fragmentés des Etats
précédemment membres de l'UDEAC10 ».
4 Voir pour plus de détails l'article 13 de
la Convention régissant l'Union Economique de l'Afrique Centrale
(UEAC).
5 CJCE, 5 mai 1982, Schul, Aff. 15/81, Rec.,
p.1409.
6 MOLINIER (J.), Droit du marché
intérieur européen, LGDJ, 1996, p. 14.
7 Le Cameroun, la Centrafrique, du Congo, le Gabon, la
Guinée Equatoriale et le Tchad.
8 Il s'agit du Traité de l'UEMOA, conclu par
le Benin, le Burkina Faso, la Cote d'Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali,
le Niger, le Sénégal et le Togo. Signé le 10 janvier 1994
et entré en vigueur le 1er août 1994, il est
régi par le Règlement n°02/2002/CM/UEMOA relatif aux
pratiques anticoncurrentielles, le Règlement n°03/2002/CM/UEMOA
relatif aux procédures applicables aux ententes et abus de position
dominante, le Règlement n°04/2002/CM/UEMOA relatif aux aides d'Etat
et la Directive n°02/2002/CM/UEMOA organisant la coopération entre
la Commission et les instances nationales. Textes disponibles sur le journal
officiel en ligne de l'UEMOA sur le site
www.izf.net.
9 Le Traité de la CEMAC est entré en
vigueur en juin 1999. La CEMAC est composée de deux Unions : l'Union
Economique de l'Afrique Centrale(UEAC) et l'Union Monétaire de l'Afrique
Centrale (UMAC) qui sont régies par des conventions
séparées.
10 Union Douanière et Economique des Etats
de l'Afrique Centrale ; cité par MOUANGUE KOBILA (J.) et DONFACK SOKENG
(L.), la CEMAC : à la recherche d'une nouvelle dynamique de
l'intégration en Afrique Centrale, Annuaire de droit
international, vol.6, 1998, p.66.
3
Les bases du marché commun ainsi posées, il
demeure en principe libre pour les opérateurs économiques
d'accroitre et même d'externaliser leurs activités. L'idée
d'un commerce libre fondé sur une concurrence loyale entre les
partenaires figurait déjà dans le Traité fondateur de
l'UDEAC en son article 28 al. 5 qui pose le principe de « la recherche des
moyens susceptibles d'aboutir à l'abandon progressif entre les Etats
membres des pratiques commerciales restrictives ». Cette idée, dans
le cadre de la redynamisation de l'intégration, fût
réaffirmée au sein de l'UEAC par une réglementation
communautaire destinée à contrôler les pratiques
anticoncurrentielles des entreprises et des activités
gouvernementales11. Clairement, contrairement à l'UDEAC qui
constituait une simple union douanière, la CEMAC envisage plutôt
un marché commun12.
Dans la conquête des marchés à la
recherche de plus de profit, les entreprises opèrent et transigent sous
le regard suspicieux du législateur CEMAC. C'est dire que ce dernier
exerce un contrôle, qui a pour domaine principal les agissements dont le
but serait de troubler le libre jeu de la concurrence. Cette dernière
étant une compétition économique notamment l'offre par
plusieurs entreprises distinctes et rivales, de produits ou de services qui
tendent à satisfaire les besoins équivalents avec, pour les
entreprises, une chance de gagner ou de perdre les faveurs de la
clientèle13.
Suivant cette logique, les instances communautaires ont
adopté d'une part le Règlement n°1/99/UEAC-CM-639 du 25 juin
1999 (modifié par le Règlement n°12/05-UEAC-69 U-CM du 25
juin 2005) portant réglementation des pratiques anticoncurrentielles.
Celles-ci se comprennent comme tout acte ou comportement d'une ou plusieurs
entreprises qui du fait d'accords ou d'arrangements officiels ou officieux,
écrits ou non écrits, entre entreprises, ou par l'abus ou
l'acquisition d'une position dominante de force sur le marché, limite ou
risque de limiter l'accès aux
11 KENFACK (Y.), Réglementation
communautaire de la concurrence et renforcement du processus
d'intégration économique en Afrique centrale, CNUCED, New
York et Genève 2000, p.3. Disponible sur
www.unctad.com.
12 MOYE GODWIN (B.), CEMAC : integration or
coexistence?, Annales de la FSJP, Université de Dschang, T. 8,
2004, p. 30.
13 NJEUFACK TEMGWA (R.), Etude de la notion de
collaboration dans les procédures en droit de la concurrence : une
lecture du droit africain (CEMAC et UEMOA) sous le prisme du droit
européen, R.D.I.D.C., Bruylant 2009, n° 1, p. 77.
4
marchés, restreint ou risque de restreindre la
concurrence, ou risque d'avoir des effets préjudiciables pour le
consommateur 14. D'autre part, il s'agit du Règlement
n°4/99/UEAC-CM-639 du 18 août 1999 portant réglementation des
pratiques étatiques affectant le commerce entre les Etats à
l'instar des aides publiques, les monopoles et les marchés
publics15. De toutes ces pratiques, si certaines réussissent
à troubler une concurrence qui existe déjà, une par
contre, lorsqu'elle est mise en oeuvre, conduit à exclure toute
possibilité de concurrence, une domination absolue du marché
qualifiée de situation de monopole. Situé au coeur du droit de la
concurrence, la domination des marchés, à côté des
ententes anticoncurrentielles, est une illustration singulière du souci
des sociétés libérales de construire un système
alliant les intérêts apparemment contradictoires, notamment la
promotion d'un tissu industriel et commercial viable et la loyauté de la
compétition entre acteurs. En effet, le problème du monopole et
de la concurrence, tout comme les autres problèmes de la théorie
économique, n'est pas statique mais typiquement
dynamique16.
Le terme `'monopole» vient des grecs monos
signifiant « un » et polein signifiant « vendre
» et illustre une situation économique, un marché de
produits ou de services où il existe de nombreux acheteurs face à
un seul vendeur et partant une absence totale de concurrence. Le vocabulaire
juridique de G. CORNU le définit comme un régime de droit
(monopole de droit) ou situation de fait (monopole de fait) ayant pour objet ou
pour résultat de soustraire à toute concurrence sur un
marché donné une entreprise privée ou un organe ou
établissement public17. Le Règlement n°4/99
précité évoque dans le même sens « les
entreprises en situation de monopole légal ou de fait
»18.
14 MASAMBA MAKELA, Pour une loi sur les
pratiques commerciales restrictives au Zaïre, Afrique- éd.,
Kinshasa, 1986, p. 23. Les pratiques commerciales restrictives traitées
par le Règlement n°1 sont les ententes, les concentrations et les
abus de position dominante.
15 Le droit de la concurrence existait
déjà dans certains pays membres de la CEMAC. Voir notamment la
loi n°98/13 du 14 juillet 1998 au Cameroun, la loi n°14/98 du 23
juillet 1998 au Gabon, la loi n°6-94 du 1er juin 1994 au Congo
et la loi n°92/002 du 26 mai 1992 en RCA.
16 GNIMPIEBA TONNANG (E.), la prohibition des
pratiques de domination des marchés par les entreprises en Afrique
Centrale : ombres et lumières d'une réforme, JP n°76,
octobre-novembre-décembre 2008, p. 102.
17 CORNU (G.), vocabulaire juridique,
Association Henri Capitant, Quadrige, PUF 2001, p.560.
18 Art. 8, paragraphe 1 du Règlement
n°4/99.
5
Le monopole de fait est une situation économique dans
laquelle toute concurrence est éliminée, soit naturellement par
la puissance irrésistible d'une entreprise sur le marché, soit
conditionnellement par l'intervention de la police qui, pour des raisons
d'ordre public, refuse toutes les facilités qu'elle peut donner sur le
domaine public à toute entreprise de son choix19 . Ce type de
monopole résulterait de l'efficience économique de l'entreprise
dominante, généralement le cas dans les situations de monopole
naturel20. Aussi, une doctrine à laquelle nous
adhérons, précise que de plus et à la différence du
monopole de droit, le monopole de fait est apte à porter atteinte
à la concurrence sur le marché même où il existe. En
effet, ce marché étant juridiquement accessible à des
concurrents potentiels de l'entreprise bénéficiant du monopole de
fait, il met celle-ci en mesure de faire obstacle à l'entrée de
ceux là sur ce marché21. Bien qu'elle ait perdu son
ancien monopole de droit, il arrive qu'une entreprise publique conserve un
monopole de fait22, en raison évidemment des
caractéristiques du marché. Quoiqu'il en soit, on retiendra que
dans ce cas, rien n'empêche l'entrée d'autres entreprises pour
exercer dans le domaine d'activité concerné.
19 Lexique des termes juridiques (GUILLEN R.,
VINCENT J., GUINCHARD S. et MONTAGNIER G.), 16e éd., Dalloz,
2007, p.435.
20 On nomme monopole naturel les secteurs
d'activité économique qui se caractérisent par des
rendements strictement croissants (le coût de production de la
dernière unité est inférieur à celui de toutes les
précédentes) et par conséquent par des coûts moyens
strictement décroissants (le coût moyen diminue avec le volume de
production) et pour lesquels un opérateur unique est
nécessairement plus performant que plusieurs opérateurs. Il
s'agit en général d'activités dont les coûts
d'investissement (coûts fixes) sont si élevés qu'il ne
serait pas viable de les multiplier pour permettre l'introduction de la
concurrence. C'est l'exemple des réseaux de transport
d'électricité et de gaz qui ne sont pas duplicables, pour des
raisons de viabilité économique aussi bien que pour des raisons
environnementales.
21 DECOCQ (A.) et DECOCQ (G.), Droit de la
concurrence, droit interne et droit de l'Union européenne, 3e
éd., L.G.D.J. , 2008, pp. 142-143. Cette même doctrine s'appuie
sur un arrêt de la Cour de Cassation (Com, 14 février 1995, B, IV,
n°48) qui approuve les juges du fond d'avoir considéré
qu'une entreprise occupait une position dominante sur le marché
spécifique des testeurs de pneus d'avions d'un certain type (TPIS) pour
les appareils A330 et 340 lui permettant de faire obstacle à la
concurrence sur ce marché, après avoir relevé que cette
entreprise « exerçait depuis plusieurs années un monopole de
fait sur l'ensemble des différents marchés de testeurs de pneus
d'avions de type TPIS ».
22 V. BLAISE (J-B) et IDOT (L.), Concurrence,
RTD eur n° 3, juillet-septembre, éd. Dalloz, 2002, p. 565.
Ces auteurs prendront l'exemple de l'entreprise publique intégrée
à l'administration italienne des finances, qui détenait 100% du
marché du commerce de gros des cigarettes, alors que cette
activité avait été libéralisée par une loi
de 1975 (TPICE, 22 novembre 2001, AAMS, Aff. T. 139/98 : Rec.
P.II-3413). Au Cameroun, le secteur de l'électricité a
été ouvert à la concurrence. Le monopole de fait que
détient désormais AES SONEL, entreprise ayant pendant de longues
années exploité ledit secteur, ne facilitera pas l'entrée
de nouveaux opérateurs souhaitant investir dans la production
électrique.
6
En ce qui nous concerne, « un monopole est dit
légal lorsque l'Etat accorde des droits exclusifs à une
entreprise privée ou publique pour exploiter un service
public23 ou pour produire des biens et services
»24. Les droits d'exclusivité sont octroyés
par le procédé normal de l'action administrative qui est l'acte
administratif unilatéral25, décision exécutoire
créatrice de droits et d'obligations à l'égard des
administrés, manifestation de la puissance publique26. Plus
précisément, l'acte administratif est un acte juridique pris par
une autorité administrative dans l'exercice d'une fonction
exécutive et créant des droits et obligations pour les
particuliers27. Il appert de cette définition que
l'élément organique est l'autorité administrative.
Celle-ci inclut non seulement les organes qui sont partie intégrante de
l'appareil administratif de l'Etat, mais tout corps constitué qui est
organiquement autonome, dans la mesure où il est chargé des
tâches administratives28. C'est ainsi que suivant le concept
de `'monopoles d'Etat délégués» dégagé
par le législateur européen29, les
collectivités territoriales, qui sont des personnes morales de droit
public jouissant de l'autonomie administrative et financière pour la
gestion des intérêts régionaux et locaux30, sont
à même de constituer certaines entreprises en
monopole31.
Par ailleurs, le bénéficiaire de ces droits
exclusifs est une entreprise privée ou publique, à savoir toute
personne physique ou morale du secteur public ou privé, exerçant
une activité à but lucratif32. Comme le rappelle la
doctrine33, l'entreprise
23 Le service public peut être défini
comme une activité d'intérêt général
exercée par une personne publique ou privée sous le
contrôle d'une personne publique et suivant un régime
dérogatoire au droit commun. Sur la notion, voir De LAUBADERE (A.),
VENEZIA (J-C) et GAUDEMET (Y.), Traité de droit administratif,
T. 1, 14e éd., L.G.D.J., 1996, 805 et s.
24 Art. 8, paragraphe 2 du Règlement
n°4/99.
25L'acte administratif unilatéral peut venir
entériner un contrat administratif qui consacrait une exclusivité
au profit d'une entreprise. Tel est le cas du Décret n°99/058 du 19
mars 1999 portant approbation de la Convention de concession de
l'activité ferroviaire au Cameroun au profit de la Société
CAMRAIL.
26 MORAND-DEVILLER (J.), Cours de droit
administratif, 5e éd., Montchrestien, E.J.A., 1997, p.
322.
27 Cour Fédérale de Justice, arrêt
du 20 mars 1968, NGONGANG NJANKE Martin. 28MAURER (H.), Droit
administratif allemand (manuel), L.G.D.J., 1992, p. 195-196.
29 Art. 37 du TFUE.
30 Art. 4 alinéa 1 de loi n° 2004/017
du 22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation au
Cameroun. D'après ladite loi, les collectivités territoriales
sont les régions et les communes.
31 CJCE, 4 mai 1988, Bodson c/ pompes
funèbres des régions libérées, Aff. 30/8 :
Rec., p. 2479. Il ressortait des faits que la Commune de
Charleville-Mezières avait concédé de manière
exclusive le service extérieur des pompes funèbres à la
Société des pompes funèbres des régions
libérées.
32 Art. 1 paragraphe 3 du Règlement
n°1/99.
7
unique ne s'identifie pas forcément à une
personne juridiquement isolée. Il peut s'agir aussi d'un
groupe34 constitué par une société mère
et ses filiales dès lors que l'ensemble forme une unité
économique et que les filiales ne jouissent pas d'une autonomie
réelle de décision35. Le monopole légal
accordé à l'entreprise privée tendrait à humaniser
le marché, pour ainsi satisfaire à l'esprit capitaliste qui
prévaut dans les économies libérales. En ce qui concerne
l'exclusivité concédée à l'entreprise publique,
cette dernière fonctionnera certes selon certaines règles de
droit public36, mais son activité ne doit pour autant pas
échapper aux règles du marché.
Précisons que la notion de monopole légal
employée par le législateur CEMAC, trouve d'autres appellations
qui n'en sont pas moins différentes. Le législateur
européen, largement repris par certains auteurs37 parle
plutôt de monopoles nationaux ou d'Etat38. La doctrine utilise
également l'expression de `'monopole de droit''39. Le
monopole légal doit impérativement être distingué
des notions de monopole public, privatisation, d'aide étatique, de
position dominante et d'entreprise publique.
Malgré l'emploi indissociable des notions de `'monopole
public'' et de `'monopole légal''40, la première s'en
distingue légèrement par l'idée que c'est toujours une
entreprise publique, dont l'Etat en est le seul ou le principal
propriétaire,
33BLAISE (J-B), Ententes et concentrations
économiques, Sirey 1983, n° 672.
34 Le concept de groupe de sociétés
visant bien entendu, la structure ainsi dénommée en droit des
sociétés soumise à un contrôle commun du fait de
liens organiques ou institutionnels entre les entreprises concernées,
mais qu'on ne peut considérer comme une entreprise unique, pour des
raisons diverses. Voir article 173 et svts de l'AUSCGIE.
35 Si ce critère tend à
éloigner le concept de monopole des ententes, il en est pas de
même en matière de concentration, car le monopole légal
peut être accordé à l'issue d'une opération de
fusion ou d'acquisition, à l'exemple, dans cette dernière
hypothèse, de la Décision n°2009-D/FUSAC-01/CNC du 08
octobre 2009 rendue par la Commission Nationale de la Concurrence portant
acquisition de la SIAC ISENBECK par la Société Anonyme des
Brasseries du Cameroun.
36 Par exemple la nomination et la
responsabilité de certains dirigeants, la comptabilité
publique.
37 GRYNFOGEL (C.), Droit communautaire de la
concurrence, 2e éd., L.G.D.J., E.J.A., 2000, p. 9 et
129, FAVRET (J-M), Droit communautaire du matché
intérieur, Gualino éditeur, Coll. UFAC (Mémentos).
38 Article 37 du TFUE.
39 KOVAR (R.), Monopoles,
Répertoire de droit communautaire, 8e année
(septembre 1994), T III, Encyclopédie Dalloz 2000, p. 2 ; MOULIN (R.),
Droit public des activités économiques, Dpae polycopie,
17 septembre 2007, p. 5, document disponible sur
www.univ-rouen.fr/servlet/com.univ.utils.
L'auteur ici l'emploie pour désigner les monopoles publics dans le cadre
des activités économiques publiques exercées en
exclusivité.
40 Voir par exemple CHAMPSAUR(P.), Du monopole
public à la concurrence, p.1, document disponible sur
www.minefe.gouv.fr.
8
qui se trouve en situation de monopole, c'est-à-dire
qu'aucune autre entreprise ne vend le même type de produit qu'elle sur le
territoire41. Plus précisément, un monopole public est
détenu ou contrôlé, au moyen d'une participation au
capital, par des intérêts publics. Ce qui semble vouloir
réduire l'entreprise publique à un service public. Ainsi, un
organe réglementaire (État ou collectivité) intervient
pour restreindre une situation de concurrence sur un marché donné
afin d'atteindre un objectif dit « de service public»
(aménagement du territoire, bien stratégique, solidarité,
investissements trop lourds pour des acteurs privés...) qui ne serait
pas atteint dans le cas d'une situation de libre concurrence. C'est pour cette
raison que la situation de monopole légal prend souvent la forme d'un
monopole public, c'est-à-dire gérée et encadrée
directement par la collectivité.
Il est certes clair que les processus de privatisation et de
monopolisation font intervenir impérativement la puissance publique.
Mais cette intervention ne s'effectue pas de la même façon. Dans
le premier cas, l'opération est acquise lorsqu'une personne publique
transfère la propriété ou confie la gestion d'un service
public ou d'une entreprise pouvant avoir la qualité d'un service public,
à une personne privée. Dans le second, c'est juste une entreprise
qui se voit confier exclusivement la gestion d'un secteur de l'économie
nationale.
Un monopole légal n'est pas en soi une aide :
même s'ils constituent des avantages consentis à certaines
entreprises, l'allocation des aides sous forme de subventions,
d'exonérations d'impôts et de taxes, de bonifications
d'intérêts ou de couverture de pertes d'exploitation42
participe à fausser le libre jeu de la concurrence par les
privilèges accordés à des entreprises qui peineront
à subsister dans le respect des règles normales du
marché43. Ces aides d'Etats représentent dans une
certaine mesure des pertes pour la collectivité publique44.
En situation de monopole légal par
41 Il est à préciser tout de
même qu'un monopole légal peut être public mais aussi
à utilité privée c'est-à-dire l'Etat décide
de soustraire l'activité concernée de la concurrence. On peut
citer le cas des péages routiers.
42 Art. 4 al 4 du Règlement n°4/99 pour
plus de détails.
43 L'aide a également un côté
positif en ce sens que la disparition ou l'affaiblissement d'une entreprise, si
elle ne pouvait pas obtenir la dite aide, est de nature à diminuer la
concurrence en supprimant un offreur du marché.
44 V. GRYNFOGEL (C.), Droit communautaire de la
concurrence, 2e éd., L.G.D.J., E.J.A., 2000, p. 104.
9
contre, la concurrence est simplement écartée
pour laisser la place à une seule entité,
bénéficiant d'une exclusivité de droit.
Le monopole légal ne doit pas être confondu avec
une entreprise publique. En dépit du fait qu'ils
bénéficient des prérogatives de la puissance publique, ces
notions se distinguent d'abord par l'idée que, même étant
publique, une entreprise peut se voir en plus accordée le monopole. Par
ailleurs, l'entreprise publique se définit comme «une personne
morale de droit public, dotée de l'autonomie financière et de la
personnalité juridique, ayant reçu de l'Etat ou d'une
collectivité territoriale décentralisée un patrimoine
d'affectation, en vue de réaliser une mission d'intérêt
général ou d'assurer une obligation de service
public»45. D'après une directive de la
Commission européenne46, une entreprise publique est celle
sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer une influence dominante du
fait de la propriété, de la participation financière ou
des règles qui la régissent. La présomption de cette
influence dominante est révélée par la détention de
la majorité du capital, de la majorité des voix attachées
aux parts et de la désignation de plus de la moitié des membres
de l'organe d'administration. Une entreprise d'Etat peut également
constituer un obstacle non discriminatoire à l'accès au
marché, mais cet obstacle sera plus ou moins marqué selon que
l'entreprise se trouve en situation de monopole ou exerce ses activités
dans le secteur concurrentiel.
Enfin, même étant qualifiés de «
positions de force »47, le monopole se distingue de la position
dominante48. Celle-ci, à la différence d'une situation
de monopole ou de quasi-monopole, n'exclut pas l'existence d'une certaine
concurrence ;
45Article 2§3 de la loi n°99/016 du 22
décembre 1999 portant statut général des
établissements publics et des entreprises du secteur public et
parapublic au Cameroun.
46Art. 8 de la Directive n°2006/111 du 16
novembre 2006 relative à la transparence des relations
financières entre les Etats membres et les entreprises publiques.
47 DECOCQ (A.) et DECOCQ (G.), ouv. préc.,
p.135 et s.
48 L'article 15 du Règlement 1/99 fixe
à 30% le seuil à partir duquel on peut considérer une
entreprise comme étant en position dominante. Ce qui est critiquable et
à notre avis, on devrait s'inspirer davantage de l'article 25§2 du
projet de réforme du Règlement relatif à la protection de
la concurrence dans la CEMAC qui prévoit qu'une position dominante est
établie lorsqu'une entreprise ou un groupe d'entreprises est susceptible
de s'abstraire de la concurrence d'autres acteurs sur le marché
concerné. Projet de révision du dispositif institutionnel
concurrence de la CEMAC, étude réalisée par Guy CHARRIER,
Landell Mills Limited, février 2010, sous l'égide du PAIRAC
(Programme d'Appui à l'Intégration Régionale en Afrique
Centrale), disponible sur
www.camereco.com/files/communiques/13pdf.
10
elle met la firme qui en bénéficie en mesure,
sinon de décider, tout au moins d'influencer notablement les conditions
dans lesquelles cette concurrence se développera et, en tout cas, de se
comporter dans une large mesure sans devoir tenir compte et sans pour autant
que cette attitude lui porte préjudice49. C'est sans doute
une étape vers l'atteinte d'une situation de monopole, « stade
ultime de la domination qui suppose qu'une entreprise ou un groupe
d'entreprises contrôle de la totalité de la fabrication et de la
distribution d'un produit, de la totalité du marché d'un service
dans le marché commun »50. Le monopole, plus
précisément, est une situation de concentration absolue,
établissant la domination sans qu'il y ait à faire d'autres
démonstrations, éliminant toute possibilité de
concurrence. Schématiquement, si l'existence d'une position dominante
n'implique pas nécessairement celle d'un monopole, l'existence d'un
monopole implique toujours en pratique celle d'une position
dominante51.
L'existence des monopoles est tolérée au sein de
la CEMAC, contrairement aux Etats Unis où le Sherman Antitrust Act 1890
incrimine tout monopole ou tentative de monopolisation52. Le
législateur communautaire ne s'interpose que lorsque l'entité
monopoliste profite de sa position en se livrant à des pratiques
excessives, d'où la consécration du Titre III, du
Règlement n°4/99 qui traite `'Du monopole légal et de la
concurrence». C'est donc à juste titre qu'il convient de porter une
attention particulière à cette pratique limitatrice dans un
espace économique fragile qu'est la CEMAC. Envisager les monopoles
légaux sur le marché commun d'Afrique centrale
49 CJCE, 13 février 1979,
Hoffmann-Laroche, Aff. 85/76, 461. La Cour ajouta même qu'une
position dominante doit également être distinguée des
parallélismes de comportements propres aux situations d'oligopoles en ce
que, dans un oligopole, les comportements s'influencent réciproquement,
tandis qu'en cas de position dominante, le comportement de l'entreprise qui
bénéficie de cette position est, dans une large mesure,
déterminé unilatéralement.
50 GNIMPIEBA TONNANG (E.), la prohibition des
pratiques de domination des marchés par les entreprises en Afrique
Centrale : ombres et lumières d'une réforme, JP n° 76,
octobre-novembre-décembre 2008, p. 106.
51 WAELBROECK (M.) et FRIGNANI (A.), Le droit
de la CE, concurrence (4), Commentaire J. MEGRET, 2e éd, Etudes
européennes, 1997, p.248. C'est pour cette raison que le monopole est
assimilé à une position dominante individuelle.
52 Section 2. Monopolizing trade a felony ; penalty
:» Every person who shall monopolize, or attempt to monopolize, or combine
or conspire with any other person or persons, to monopolize any part of the
trade or commerce among the several States, or with foreign nations, shall be
deemed guilty of a felony, and, on conviction thereof, shall be punished by
fine not exceeding $10,000,000 if a corporation, or, if any other person,
$350,000, or by imprisonment not exceeding three years, or by both said
punishments, in the discretion of the court».
11
revient à se poser les questions fondamentales
suivantes : en vue d'assurer une compétition équitable dans le
marché, par quels mécanismes concilie t-on les raisons
d'intérêt public ou privé invoquées à l'actif
des monopoles légaux avec l'exercice du libre jeu de la concurrence ?
Ces mécanismes sont ils suffisants pour permettre la croissance
économique envisagée ?
L'intérêt d'une telle étude est surtout
pratique, dans la mesure où l'occasion est offerte aux opérateurs
économiques et aux consommateurs, d'apprécier l'encadrement
juridique des monopoles légaux, dans le souci d'assurer une certaine
égalité et transparence dans le marché commun, gage des
investissements pour les uns, et de la satisfaction des besoins pour les
autres. Pour ce faire, la méthode utilisée incorporera
l'exégèse des textes, la casuistique et le recours au droit
comparé.
La place du droit de la concurrence dans le droit
communautaire n'est plus à démontrer au motif que le regroupement
des Etats au sein d'une communauté revêt beaucoup plus
d'importance dans ses aspects économique et juridique. Economiquement
parce que l'une des raisons de la création du marché commun est
le développement sous régional avec pour perspectives
intrinsèques la libre circulation des biens et capitaux,
l'élimination des barrières tarifaires, la mise en place d'un
code d'investissement commun et l'harmonisation des politiques commerciales.
Sur le plan juridique, il est normal d'encadrer les actes et activités
se déroulant dans un espace commun et intégré à la
suite des Etats qui ont en principe accepté de concéder une
partie de leur souveraineté économique et de confier à des
organes supranationaux le contrôle et la sanction des atteintes aux
transactions économiques communautaires.
Or, la création ou l'existence des monopoles
légaux53 ne cadre pas avec ces considérations
même si, par ailleurs, elle correspond à une conception
53 Pour s'en convaincre, on se servira de quelques
exemples. Jusqu'à récemment au Cameroun, l'entreprise AES SONEL
détenait le monopole légal dans le secteur de
l'électricité, la SONARA détient le monopole de la
raffinerie, la CAMWATER gère exclusivement le secteur de l'eau. Au
Gabon, La prise de participation de 51 % du capital de Gabon
Télécom par un partenaire stratégique, Maroc
Télécom, s'est accompagnée d'une prolongation jusqu'en
2012 du monopole de l'opérateur sur les services de
télécommunications fixes de base. La Caisse de stabilisation et
de péréquation (CAISTAB), la Société gabonaise de
raffinage (SOGARA), la Société d'énergie et d'eau du Gabon
(SEEG), CIMGABON, la Régie gabonaise des tabacs, Compagnie de navigation
interne (CNI), détiennent respectivement le monopole légal de la
commercialisation du café et du cacao, l'approvisionnement du
marché national en produits pétroliers raffinés, la
production de l'eau et la distribution
12
interventionniste en matière de gestion de
l'économie nationale. Pour autant, dans les Etats africains francophones
en général et au Cameroun en particulier, en dépit des
politiques de désengagement de l'Etat des secteurs productifs, certaines
activités d'intérêt général
bénéficient d'un aménagement légal sous forme d'un
monopole ou de la reconnaissance des droits exclusifs54. La
fluidité des échanges communautaires doit être
consolidée et les entraves qui sont parfois le fait des
opérateurs économiques empêchant par diverses pratiques une
saine concurrence dans le marché commun doivent être levées
au maximum55.
Privilège exclusif conféré par une
autorité publique à une personne physique ou morale de produire,
d'exploiter, de fournir certains biens ou services, les monopoles de droit
constituent l'une des atteintes les plus sérieuses à la
liberté du commerce et de l'industrie, dans le cadre étatique
comme dans celui de la Communauté56. Le législateur
communautaire a donc perçu les risques du maintien de l'assistance et
des régimes de faveur octroyés aux monopoles légaux dans
un environnement marqué par la mondialisation des affaires en optant
pour l'assujettissement des monopoles aux règles de la concurrence
(Première partie), assurant de ce fait, le
contrôle de l'intervention publique dans la concurrence 57.
Cette soumission des monopoles légaux n'est pas aussi aisée
qu'ailleurs et se heurte tout en les conciliant, à certaines
conséquences de souveraineté et de droit de
propriété, qui les affranchissent dans une certaine mesure des
règles du marché (Deuxième partie).
de l'électricité, la vente des matériaux
de construction(le ciment et le clinker), les ventes de cigarettes sur le
territoire national, le transport des passagers par voie fluviale. En RCA, les
sociétés ENERCA, SOCATEL et SOCATRAF détiennent
respectivement le monopole légal de la distribution de
l'électricité sur tout le territoire, le téléphone
fixe et le fax et le transport fluvial.
54 GNIMPIEBA TONNANG (E.) et NDIFFO KEMETIO (M.L.),
Les services publics dans l'étau du droit de la concurrence de la
CEMAC, Annales de la Faculté des Sciences juridiques et Politiques,
Université de Dschang, T. 15, 2011, p. 272.
55 KALIEU ELONGO (Y.), La Cour de Justice de la
CEMAC et le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, Actes du
séminaire sous régional de sensibilisation au droit communautaire
et à l'intégration dans la zone CEMAC, Libreville-Gabon,
éd. GIRAF, AIF, 2005.
56 KOVAR (R.), Monopoles, Répertoire de
droit communautaire, 8e année (septembre 1994), T III,
Encyclopédie Dalloz 2000, p. 2.
57DUTHEIL de la ROCHERE (J.), Droit communautaire
matériel, éd. Hachette, 2001, p. 143.
13
PREMIÈRE PARTIE : L'ASSUJETISSEMENT DES
MONOPOLES LÉGAUX AUX RÈGLES DE LA CONCURRENCE
DEUXIÈME PARTIE : L'AFFRANCHISSEMENT
MESURÉ DES MONOPOLES LÉGAUX DES RÈGLES DE LA
CONCURRENCE
PREMIÈRE PARTIE : L'ASSUJETISSEMENT DES MONOPOLES
LÉGAUX AUX RÈGLES DE LA CONCURRENCE
14
Le législateur CEMAC, sans être hostile à
l'existence des monopoles légaux, est toutefois méfiant à
l'égard de leurs activités dans le marché. Cette
méfiance est surtout motivée par la volonté de
circonscrire cette forme d'aide qualifiée d'indirecte, et de faire en
sorte que le régime particulier reconnu aux opérateurs publics ne
fasse pas obstacle au développement, sur le marché, d'une
compétition par les mérites. Plus encore, c'est dans le but de
garantir non seulement les autres opérateurs économiques, mais
aussi les consommateurs, que le Règlement n°4/99 définit la
politique d'hostilité contre certains comportements des entreprises en
situation de monopole légal. Comme pour les autres pratiques
anticoncurrentielles, il est interdit aux bénéficiaires des
monopoles légaux d'abuser de leur position (Chapitre 1).
Par ailleurs, s'appuyant sur le droit antitrust
américain suivi par la jurisprudence européenne, la soumission
des entreprises monopolistiques au droit du marché pourrait
s'opérer en leur imposant l'usage ou le partage d'une ressource
stratégique se révélant indispensable à d'autres
opérateurs pour leur implantation en vue de l'exercice d'une
activité économique. Cette modalité, plus adéquate
dans le cadre de la CEMAC, s'apprécie par la mise en application de la
théorie des « facilités essentielles » (Chapitre 2).
Chapitre 1 : l'interdiction des abus de position
monopolistique
Chapitre 2 : la soumission par l'application de la
théorie des « facilités essentielles »
CHAPITRE I : L'INTERDICTION DES ABUS DE MONOPOLE
15
Le législateur communautaire prévoit que les
entreprises en situation de monopole légal ou de fait sont soumises aux
règles régissant les pratiques anticoncurrentielles et notamment
à celles relatives à l'abus de position dominante58.
Le régime de cette dernière fait apparaître des
comportements incriminés pratiquement identiques à ceux
reprochés aux entreprises parties à des ententes
illicites59, encore qu'il est possible qu'un groupe d'entreprises
soit condamné pour entente et abus de position
dominante60.
A l'image des situations de monopoles, il est interdit aux
entreprises en position dominante d'en abuser, ainsi que le démontre,
dans cette dernière hypothèse, les dispositions du
Règlement n°1/99. L'abus consisterait pour les entreprises
concernées à se livrer à des activités
prohibées, vue leur impact négatif dans l'économie de la
Communauté. Nous l'analyserons davantage en examinant minutieusement la
notion d'abus de monopole (Section 1).
Par ailleurs, ces interdictions, pour ne pas rester sans effet
probant, n'auront d'intérêt que s'il existe des mesures
contraignantes à appliquer aux contrevenants. Le législateur a
pris le soin de s'y atteler par des mesures de sanction
déterminées au terme d'une procédure fixée par les
articles 9 et 10 du Règlement n°4, qui n'est pas très
élaborée comme en matière de contrôle des aides
d'Etats. En réalité, l'essentiel de la procédure ressort
clairement du Règlement n°1 qui a fait l'objet d'une réforme
dans ses dispositions relatives aux autorités communautaires en charge
d'appliquer et de
58 Art.8 paragraphe 1du Règlement
n°4/99.
59 V. les articles 3 et 16 du Règlement
n°1/99 pour les pratiques abusives. En ce qui concerne la procédure
commune de sanction, à une exception près (l'obligation de
notification), elle est prévue par les articles 27 à 36 et 40 du
même Règlement.
60 Déc. Du 23 décembre 1992 de la
Commission européenne à l'encontre de la Conférence
maritime Cewal Cowac Ukwal, JOCE L. 34.
16
mettre en oeuvre le droit communautaire de la
concurrence61. Malgré cette évolution
procédurale, le constat est que la spécificité du statut
des monopoles légaux n'est pas prise en compte ; ce qui ne sera sans
effet sur le régime de répression (Section 2).
SECTION 1 : LA NOTION D'ABUS DE MONOPOLE
LÉGAL
Sémantiquement, l'abus désigne un usage excessif
et disproportionné d'un droit ou d'un privilège. Le
législateur CEMAC précise bien des cas où les entreprises
en situation de monopole légal seront considérées comme
ayant franchi le seuil de tolérance, qu'il a qualifié de
pratiques abusives (Paragraphe 1). Cependant, la pratique abusive se
déroule dans le territoire d'un Etat membre, mettant ainsi en concours
l'application du droit national et du droit communautaire. Mais, il ne faut pas
perdre de vue que l'effet des pratiques restrictives sur les échanges
interétatiques est ainsi une condition commune de leur soumission au
droit communautaire62. Le recours au droit communautaire ne sera
donc possible que si la pratique proscrite affecte pertinemment le
marché (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les pratiques abusives
Le Règlement n°4/99 en son article 8 paragraphe 3
dresse une liste non limitative de pratiques que les entreprises en situation
de monopole doivent tout particulièrement veiller à
éviter. Il est au préalable prévu que ces mêmes
entreprises sont soumises aux règles régissant les pratiques
anticoncurrentielles et notamment celles relatives à l'abus de position
dominante. C'est justement en raison du fait que toute situation de monopole
constitue avant tout une position dominante et les études
61 V. KALIEU ELONGO (Y.R.) et WATCHO KEUGONG
(R.S.), La reforme de la procédure communautaire de concurrence
CEMAC, JP n°80, Octobre-Novembre-Décembre 2009, p.107.
62 NANDJIP MONEYANG (S.), Les concentrations
d'entreprises en droit interne et en droit communautaire CEMAC, JP n°
73, janvier-février-mars 2008, p.72.
17
consacrées à l'une ne vont pas sans
intégrer l'autre63. A l'analyse conjointe des pratiques
intéressées, on retient que les monopoles légaux doivent
éviter d'une part des pratiques inhérentes aux stratégies
de vente (A), celles relatives aux prix d'autre part (B) et enfin les pratiques
motivées par leur position stratégique (C).
A. Les pratiques inhérentes aux stratégies de
vente
Il s'agit des ventes liées (1), des refus de vente (2)
et des ventes discriminatoires injustifiées (3).
1- Les ventes liées
L'article 25 de la loi n°90/031 du 10 août 1990
régissant l'activité commerciale au Cameroun prévoit qu'il
est interdit de subordonner la vente d'un produit à l'achat concomitant
d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation
d'un service à celle d'un autre service ou l'achat d'un
produit64. La vente liée ou subordonnée consiste,
selon le Règlement n°1, à subordonner la conclusion des
contrats à l'acceptation, par les partenaires des prestations
supplémentaires qui par leur nature ou selon les usages commerciaux
n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats65. Plus encore, c'est
une pratique commerciale restrictive qui exige du consommateur d'acheter, de
louer ou de se procurer toute technologie, bien ou service comme une condition
ou un préalable pour acheter, louer ou se procurer toute autre
technologie, bien ou service66.
En effet, il est contraire aux usages commerciaux de
subordonner un contrat à la signature d'un autre. Lorsqu'un producteur
ou distributeur subordonne la vente d'un
63 La loi gabonaise n°14/1998
précitée, dispose en son article 9 que : « Est
considéré comme abus de domination, le fait pour un
opérateur économique ou un groupe d'opérateurs
économiques d'occuper sur le marché une position de monopole...
».
64C'est la même définition retenue par
l'article 17 de la loi gabonaise précitée : «La vente
liée ou subordonnée désigne la vente d'un produit ou la
prestation d'un service sous conditions de l'achat concomitant d'un ou d'autres
produits ou d'une autre prestation de service ».
65 Article 16, paragraphe 2 (e).
66 Article 2 de la Loi-cadre n°2011/012 du 6 mai
2011 portant protection du consommateur au Cameroun.
18
bien nécessaire à l'utilisateur à
l'acceptation des quantités sans commune mesure avec les besoins normaux
de l'acquéreur ou à la vente d'un autre bien sans rapport avec le
précédent, il porte atteinte à la liberté de choix
de l'utilisateur67. La jurisprudence européenne a eu à
se prononcer sur des cas de contrats couplés en l'occurrence le fait
pour une entreprise de gestion des droits d'auteur d'exiger des engagements non
indispensables à son objet social68 ou encore la
subordination du maintien d'un tarif préférentiel à la
souscription d'un nouveau service69. La pratique visée prend
souvent la forme d'un refus de fournir un produit ou service, parce que
l'utilisateur n'est pas intéressé par une offre que l'entreprise
dominante entend fournir en premier.
2- Les refus de vente
Il est interdit de refuser, sauf motif légitime,
à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service
dès lors que la demande du consommateur ne présente aucun
caractère anormal par rapport aux pratiques habituelles du fournisseur
et de ses biens70. C'est le fait pour une entreprise en situation de
monopole de ne pas accéder aux demandes d'achat de produits ou de
prestations de services lorsque ces demandes ne présentent aucun
caractère anormal, qu'elles sont faites de bonne foi et que le refus
n'est pas justifié. Le refus de vente ou `'refus de
commercer»71 dans ce cas sera préjudiciable aux autres
concurrents et aux consommateurs. Dans le premier cas, il peut s'agir d'un
refus de livraison injustifié risquant d'éliminer toute
concurrence72. Dans le second, le préjudice prend des
proportions plus importantes, dans la mesure où en raison de
l'exclusivité légale accordée l'entreprise monopolistique,
le refus de vendre le produit visé ou de fournir la prestation de
service
67 GNIMPIEBA TONNANG (E.), Recherches sur le
nouvel encadrement communautaire des ententes anticoncurrentielles des
entreprises en Afrique Centrale, JP n°69, janvier-février mars
2007, p 107.
68 CJCE, 21 mars 1974, Belgische Radio en
Televisie c/ SABAM, Aff. 127/73, Rec. CJCE, I, p. 313.
69 Déc. 5 décembre 2001, De Post-La
Poste belge, JOCE n° L.61, 2mars 2002.
70 Art. 24 de la loi n°90/031
précitée.
71Selon l'expression employée par
HUGUENIN-VUILLEMIN (L-X), Le contrôle des pratiques
anticoncurrentielles au sein des marchés de l'Union Européenne,
des Etats Unis et du Canada : Perspectives d'un droit antitrust
international, Mémoire de Maitrise, Université de
Montréal, Faculté de droit, 3 septembre 2003, p. 56.
72 CJCE, 6 mars 1974, ICI Commercial
Solvents, Aff. 6 et 7/73, 223.
19
concernée aura pour conséquence de priver les
consommateurs d'un bien indispensable et pour lequel il peut exister une
demande considérable73. Ce serait sans doute une limitation
de la production, de débouchés ou le développement
technique au préjudice des consommateurs74. Dans tous les
cas, le consommateur ne doit pas être privé de la
possibilité d'acquérir une technologie, un bien ou un service
à moins qu'il n'en soit exclu par un texte particulier75.
3- Les ventes discriminatoires
injustifiées
La vente discriminatoire visée est celle
réalisée entre un fournisseur, c'est à dire l'entreprise
monopolistique, et deux ou plusieurs acheteurs dont les termes de chacune des
ventes du même produit ne sont pas identiques. Aux termes de l'article 16
paragraphe 2 (d) du Règlement n°1/99, il est interdit aux
entreprises dominantes d'appliquer à l'égard des partenaires
commerciaux des conditions inégales à des prestations
équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la
concurrence. Le respect d'une règle du jeu économique consiste en
effet à ne pas avantager ou désavantager un utilisateur ou un
fournisseur comparativement aux autres. La concurrence entre acheteurs de biens
ou destinataires de services qui les utilisent pour eux-mêmes ou pour les
besoins d'une activité commerciale est faussée toutes les fois
que certains d'entre eux se voient systématiquement imposer des prix ou
d'autres conditions contractuelles moins favorables76. La
discrimination abusive est chose fréquente de la part des entreprises
monopolistiques surtout lorsqu'elles octroient des avantages aux seuls clients
anciens, ou à ceux qui acceptent des contraintes
particulières77. Aussi, les bénéficiaires du
monopole ne doivent en effet pratiquer des discriminations ayant pour effet de
soumettre les produits importés à des
73 On prendra l'exemple de la CAMRAIL qui refuse de
transporter les marchandises, essentielles dans la fabrication des produits
d'une entreprise située au Tchad ou qui refuse injustement l'usage des
ses wagons à un importateur de bétail alors qu'il existe sur le
marché une demande non satisfaite en viande.
74 Art. 16 paragraphe 2(c) du Règlement
n°1/99.
75 Art. 12 (2) de la Loi-cadre n°2011/012 du 6
mai 2011 précitée.
76 GNIMPIEBA TONNANG (E.), Recherches sur le
nouvel encadrement communautaire des ententes anticoncurrentielles des
entreprises en Afrique Centrale, op. cit., p. 106.
77 CJCE, affaires United Brands,
Hofmann-Laroche précitées ; CJCE, 9 novembre 1983,
Michelin Nederland, Aff. 322/81, Rec. II, 1727.
20
charges plus lourdes que celles qui grèvent les
produits nationaux78 ou de rendre plus difficile les
exportations.
Dans l'affaire Coupe du monde de football
199879, la Commission a retenu un cas de discrimination
à l'encontre du Comité français d'organisation (CFO). En
effet ce dernier, en position de monopole et chargé de la distribution
des billets d'accès aux stades, avait posé la condition
supplémentaire que les spectateurs devront indiquer une adresse en
France. La Commission a estimé, à juste titre, que cette
condition était discriminatoire car elle défavorisait les clients
résidents hors de France. Elle conclut que ces modalités de vente
étaient abusives car elles « limitaient les débouchés
au préjudice des consommateurs ».
En droit interne, la Commission Nationale de la
Concurrence80 s'est récemment prononcée sur une
situation de vente discriminatoire en sanctionnant la société
SOSUCAM en raison de sa position de monopole sur le marché de la
mélasse. D'après les motifs, cette dernière pratiquait des
ventes de la mélasse à des conditions discriminatoires à
la société ADIC par rapport à celles fixées
à l'égard de la société FERMENCAM, qui sont les
seules sociétés à transformer la mélasse au
Cameroun. La raison de la discrimination avancée, par la
société ADIC, était qu'elle s'est vue supprimer une
ristourne de 2500 FCFA/T antérieurement consentie à son profit,
alors que FERMENCAM a continué à bénéficier d'une
ristourne de 4500 FCFA/T déductible du montant de la facturation
mensuelle. En conséquence, elle achetait la mélasse 40% plus cher
que sa concurrente. La Commission conclut que se faisant, la SOSUCAM a «
incontestablement faussé le jeu de la concurrence devant s'exercer entre
ADIC et FERMENCAM sur le marché de l'alcool ».
En réalité, cette pratique n'est pas
fondamentalement différente de celles précédemment
étudiées, tant il est indéniable que leurs
éléments constitutifs convergent et peuvent se résumer en
toute forme d'iniquité des transactions ou de pratiques de prix
abusifs.
78C.J.C.E, 16 décembre 1970, Aff. n°13/70,
Cinzano, Rec., p. 1089.
79 Déc. Du 20 juillet 1999, JOCE L. 5, 8
janvier 2000.
80 Déc. N° 2009-D-01/CNC du 12 novembre
2009.
21
B. Les pratiques relatives aux prix
Les monopoles légaux peuvent être amenés
à faire de leur position privilégiée, un usage
disproportionné dans la politique des prix qu'ils fixent sur le
marché. Il s'agit des pratiques abusives relatives aux prix qui se
caractérisent par leur imposition sur le marché (1) et la
pratique de prix artificiels (2).
1- L'imposition des prix sur le marché
Par référence à l'article 16 paragraphe 2
(a), le Règlement n°1/99 désigne comme pratique abusive le
fait pour une entreprise dominante « d'imposer de façon directe
ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de
transactions non équitables ». Ce type de comportement n'est
pas sans influencer la situation des consommateurs dont la satisfaction devrait
être garantie. Or la pratique des prix imposés de manière
inéquitable relève de la stratégie d'une entreprise qui
n'a guère à se préoccuper de la concurrence et qui cherche
à optimiser ses marges ou ses profits ou à éliminer la
concurrence.
En droit européen, la précision du contenu de la
notion d'imposition de prix a néanmoins posé quelque
difficulté. Initialement, la CJCE a apporté des
éclaircissements dans l'affaire United Brands81 dans
laquelle elle précisait qu' « un prix sans rapport raisonnable
avec la valeur économique de la prestation fournie »,
constituait un abus de position dominante82. Des situations de
monopole engendrent souvent ce genre de pratiques83 qui peuvent
quelques fois être encouragées ou favorisées par les
pouvoirs publics84.
81 CJCE, United Brands « chiquita
» c/ Commission, 14 février 1978, Aff. 27/76, Rec., p.207.
82 Pour la mise en oeuvre de l'interdiction, le
juge a considéré cette condition insuffisante et à
l'occasion d'une affaire Distillers Company LTD (CJCE, 10 juillet
1980, Aff. 30/78, Rec., 2229), elle a associé d'autres critères
notamment l'importance de la marge bénéficiaire,
l'évaluation de la proportion excessive, entre le coût
effectivement supporté et le prix réclamé ainsi
qu'à leur comparaison avec les produits concurrents.
83 Voir pour la discussion autour des prix
facturés par la SACEM aux discothèques, CJCE, 13 juillet 1989,
Tournier, Aff. 95/87, Rec., I, p.251 ; pour une redevance sans
contrepartie, CJCE, 10 février 2000, Deutsche Post c/GZS, Aff.
C. 147et 148/97 : Rec., I, 825.
84 Pour le monopole de services dans un port, CJCE, 12
février 1998, Silvano Raso, Aff. C. 16/96, Rec., I, 533.
22
Force est donc de constater que le législateur
communautaire, comme l'a fait certains législateur
nationaux85, s'est vivement opposé aux actions ayant pour
objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de
fausser les règles du marché notamment en faisant obstacle
à l'abaissement des prix de revient, de vente ou de revente et en
favorisant la hausse ou la baisse artificielle des prix.
2- Les pratiques de prix artificiels
Sur ce point, le Règlement n°
1/99 interdit aux entreprises en situation de domination de pratiquer des prix
anormalement bas ou abusivement élevés. Selon la Cour
européenne, les différences substantielles de prix constituent un
abus de position dominante dès l'instant où le marché est
homogène et que rien ne permet de justifier objectivement la
disparité constatée86.
De même, le prix peut aussi présenter un
caractère excessivement bas. Des prix inférieurs à la
moyenne des coûts variables, c'est-à-dire ceux qui varient en
fonction des quantités produites, par lesquels une entreprise dominante
cherche à éliminer un concurrent doivent être
considérés comme abusifs. Une entreprise en position dominante
n'a, en effet, aucun intérêt à pratiquer de tels prix, si
ce n'est celui d'éliminer ses concurrents pour pouvoir, ensuite, relever
ses prix en tirant profit de sa situation monopolistique, puisque chaque vente
entraîne pour elle une perte, à savoir la totalité des
coûts fixes, et une partie au moins des coûts variables
afférents à l'unité produite87. Ainsi,
l'entreprise en situation de monopole légal peut augmenter les prix
après les avoir abaissé, créant des
phénomènes de spéculation préjudiciables à
l'économie de marché.
85 V. par exemple l'article 43 de l'ordonnance
n° 72/018 du 17 octobre 1972 portant régime général
des prix au Cameroun.
86 CJCE, 13 juillet 1989, Ministère
public c/ Tournier (SACEM), Aff. 395/87, Rec. p. 2521, cité par
GNIMPIEBA TONNANG (E.), la prohibition des pratiques de domination des
marchés par les entreprises en Afrique Centrale : ombres et
lumières d'une réforme, op. cit., p. 110.
87 DECOCQ (A.) et DECOCQ (G.), ouv. préc., p.
396.
23
C. Les pratiques motivées par la position
stratégique
La position stratégique occupée par les
monopoles légaux est incontestablement justifiée par
l'exclusivité qui leur est accordée par les autorités
nationales. Toutefois, ils doivent tout particulièrement éviter
de rompre injustement les relations commerciales (1) et d'utiliser les recettes
de leurs activités à titre de subventions (2).
1- Les ruptures injustifiées de relations
commerciales
La rupture injustifiée ici se réfère
à la cessation anticipée d'un contrat en cours
d'exécution, à l'initiative du monopole légal, sans aucune
raison valable, ou se fondant sur un motif arbitraire ou injuste. Cette
pratique excessive, visée par le Règlement n°4, est
largement tributaire de la position stratégique profitant aux
entreprises monopolistiques. Les unes pouvant éliminer naturellement
tout concurrent par leur puissance économique irrésistible, les
autres bénéficiant des droits exclusifs qui leur ont
été conférés par les lois ou règlements. Or
l'idée fondamentale est qu'en matière de relation commerciale ou
de contrat, les parties doivent être traitées au même pied
d'égalité dans le respect des obligations respectives. L'effet
des obligations doit donc être observé car elles ne peuvent
être révoquées que par consentement mutuel ou pour les
causes légales et doivent être exécutées de bonne
foi88. Mais l'analyse s'avère plus intéressante quant
à l'interdiction d'utiliser les recettes comme source de subventions.
2- L'utilisation des recettes aux fins de
subventions
Le Règlement CEMAC n°4/99 précise à
cet effet que les entreprises monopolistes ne doivent pas utiliser les recettes
qu'elles tirent de leurs activités soumises à monopole pour
subventionner leurs ventes dans d'autres secteurs. C'est le
88 Article 1131 alinéas 2 et 3 du Code
Civil.
24
cas d'une entreprise jouissant de l'exploitation exclusive
d'un domaine d'activité et qui dispose en même temps une
activité livrée à la concurrence. Il s'agit en fait de
garantir une meilleure transparence comptable, notamment pour éviter les
subventions croisées entre des activités sous régime de
droits exclusifs et des activités concurrentielles89. Le
regard est donc focalisé sur ces dernières car si
l'activité soumise à monopole échappe à la
compétition et engendre beaucoup de profit, ces bénéfices
ne doivent servir à troubler un autre marché occupé par
d'autres opérateurs.
L'intérêt d'une telle interdiction se
révèle du fait que ces subventions peuvent prendre la forme
d'aides telles que prévues par l'article 2 paragraphe 4 du même
texte, à la seule différence que dans ce cas, elles ne sont pas
octroyées directement par l'Etat. A la vérité, jouissant
déjà d'un statut privilégié grâce à
l'exclusivité légale, il serait inconcevable de permettre aux
monopoles légaux de fausser le jeu de la concurrence dans un
marché dérivé.
Faisant rebondir le débat sur la «
compatibilité analytique », ce critère permet de
vérifier d'une part que les activités concurrentielles du service
universel ne sont pas subventionnées au-delà de ce qui est
nécessaire pour rendre le service et d'autre part, que les
activités concurrentielles ne sont pas du tout
subventionnées90.
Au total, on retient que ces interdictions s'inscrivent pour
les unes dans l'élan de protection des consommateurs, et pour les
autres, la protection de la concurrence dans d'autres secteurs
d'activités. Si l'appréciation des pratiques monopolistiques
interdites a mérité un examen approfondi, il convient aussi et
surtout de déterminer, selon les règles communautaires, le
marché dans lequel elles se déroulent.
Paragraphe 2 : La pertinence du marché en
cause
La notion de `'marché en cause» est définie
comme étant « le résultat de la combinaison entre le
marché de produits en cause et le marché géographique
en
89 FAVRET (J-M), Droit communautaire du
matché intérieur, Gualino éditeur, Coll. UFAC
(Mémentos), p. 149.
90 COURTOIS (C.), « Les monopoles en droit
communautaire de la concurrence : problèmes actuels», juris
PTT, 1996, fasc 44, p. 34, cité par NJEUFACK TEMGWA (R.), thèse
précitée, p. 111.
25
cause »91. L'espace communautaire est
composé de plusieurs Etats membres et par conséquent, des
marchés divers. C'est donc ces mêmes Etats qui entretiennent et
hébergent les monopoles légaux dont les abus doivent
réussir à affecter le commerce sous régional92
pour catalyser la mise en oeuvre du droit communautaire. Le droit communautaire
ne s'insurge contre les activités du monopole que lorsqu'elles affectent
les importations et les exportations intracommunautaires.
La délimitation du marché est donc très
indispensable et se fait en deux étapes: d'une part, l'identification
des biens ou services qui s'échangent sur le marché
(marché de produits) et d'autre part, la définition de la zone
géographique concernée. Ainsi, le marché, qui doit
certainement être pertinent (relevant market), sera
examiné en distinguant l'étendue géographique (B) de la
délimitation matérielle (A).
A. La prise en compte de la délimitation
matérielle
Le droit européen de la concurrence93
définit le marché de produits en cause comme celui qui comprend
« tous les produits et/ou services que le consommateur
considère comme interchangeables ou substituables en raison de leur
caractéristique, de leur prix et de leur usage auquel ils sont
destinés. Un marché de produit en cause peut, dans certains cas,
se composer de plusieurs produits et/ ou services qui présentent des
caractéristiques physiques ou techniques en grande partie identiques et
sont interchangeables ». la jurisprudence a par ailleurs
apporté une définition similaire, par la considération que
le marché se définit comme le lieu où se rencontrent
l'offre et la demande pour un bien ou un service spécifique, pour
être retenu comme pertinent, ce marché implique qu'existe une
concurrence effective entre les produits ou services qui en font partie ; ce
qui suppose un degré suffisant d'interchangeabilité en vue du
même usage entre les produits ou services faisant partie
91 Selon le paragraphe 1 de la Note
interprétative n° 4 de l'annexe n° 1 au Règlement
n° 03/2002/CM/UEMOA du 23 mai 2002 relatif aux procédures
applicables aux ententes et abus de position dominante à
l'intérieur de l'UEMOA.
92 Sinon c'est le droit national qui
s'appliquerait.
93 Annexe II du Règlement (CE) de la
Commission du 7 avril 2004 portant mise en oeuvre du Règlement (CE)
n°139/2004. V. dans le même sens le paragraphe 2 (a) de la Note
interprétative sus citée.
26
du même marché »94.
L'élément essentiel de la notion de marché de produits est
donc la substituabilité95 qui s'apprécie davantage
aussi bien du côté de l'offre que celui de la
demande.96
La substituabilité de la demande est le critère
le plus généralement utilisé. Il s'agit de voir s'il
existe des moyens de rechange raisonnables et perceptibles par les
consommateurs. Les méthodes d'appréciation peuvent varier selon
qu'on considère les caractéristiques propres des produits ou
services qui concordent quelque fois à des besoins permanents des
utilisateurs finals et constituent des marchés distincts du fait d'une
demande délimitée97. Une autre méthode consiste
à se pencher sur les prix des produits sur le marché.
La substituabilité du côté de l'offre
n'est retenue pour délimiter le marché pertinent que dans la
mesure où les offres concurrentes au service monopolisé pourront
satisfaire rapidement la demande enregistrée ou les besoins des
consommateurs. Elle suppose donc, pour être prise en compte une situation
de concurrence potentielle, suffisamment directe et effective entre les
produits déjà présents sur le marché et ceux qui
peuvent y arriver sans délai98.
Remarquons que les spécificités du produit ou
des services peuvent servir d'indice pour établir la
substituabilité, mais il n'est pas un élément suffisant
car, il convient de tenir compte du comportement des utilisateurs99.
Les spécificités ne sont alors à prendre en compte que si
les choix des demandeurs sont influencés, sinon déterminés
par ces spécificités100. D'où
l'émergence d'un autre critère, celui de
94 Cour d'appel de Paris, 1ère
chambre, 12 mars 2002, Juris-Data, n° 171254.
95 La notion de substituabilité vient d'un
célèbre arrêt de la Cour Suprême des Etats Unis
prononcé en 1956 (51-US-377-404, Affaire Du Pont de Nemours dite de
La Cellophane). Elle a été reprise en droit
européen notamment dans les arrêts CJCE, 21 février 1973,
Continental Can, Aff. 6/72, Rec., p. 215 et United Brands
précité.
96DECOCQ (A.) et DECOCQ (G.), op. cit., p. 102 et s
; GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op. cit., p. 208 et s.
97 Voir par exemple pour les différents
marchés de transport ferroviaire (marchandises, voyageurs, rapide, moins
rapide) TPICE, 15 septembre 1998, European Night Service C/
Commission, Aff. T. 374 et s/94, Rec. II, 3141 ; pour les marchés
de transport aérien, Déc. 16 janvier 1996, Lufthansa-SAS,
JOCE n°L.4, 5 mars 1996.
98 Déc. 22 janvier 1997, Coca-cola
Amalgamated Beverages, JOCE n° L. 18, 9 août 1997.
99 Rapport du conseil de la concurrence, 1990 P. 34 et
s.
100
Cass. Com. 22 mai 2001,
Société Routière de l'Est Parisien, Le Dalloz,
2001 A J. 2973.
27
l'affectation, comme condition d'applicabilité du droit
communautaire, et qui sert de ligne de démarcation entre le droit
communautaire et les droits nationaux101.
Toujours est-il que l'on doit également tenir compte de
la délimitation géographique du marché.
B. L'importance de la délimitation
géographique du marché
Le monopole légal, même exerçant ses
activités illicites dans le territoire d'un Etat, devrait troubler le
jeu de la concurrence du marché intérieur de la
communauté. Selon la jurisprudence européenne, les droits
exclusifs consistent en la reconnaissance au profit d'une entreprise du droit
exclusif de vente et de production, ou encore du droit d'offrir un service dans
une zone géographique déterminée102.
Le critère géographique s'entend de la
définition de la sphère territoriale sur laquelle les entreprises
(monopolistes) concernées se sont engagées dans l'offre des biens
et des services en cause, sur lesquels les conditions de la concurrence sont
suffisamment homogènes et qui peut être distinguée des
zones géographiques voisines103. Il est donc requis que ce
« grand espace sans frontière », dans lequel les
échanges s'effectuent dans les mêmes conditions que dans un
marché intérieur104, constitué par la CEMAC,
soit affecté. Plus précisément, le comportement abusif de
l'entreprise dominante devrait revêtir une dimension communautaire,
c'est-à-dire susceptible d'avoir une influence sur les relations
commerciales entre deux ou plusieurs Etats de la
Communauté105.
L'article 16 du Règlement n°1/99 précise
d'ailleurs que l'affectation d'une partie du marché commun suffit pour
mettre en oeuvre la réglementation
101 NANDJIP MONEYANG (S.), op. cit., p.72.
102C.J.C.E, 04 mai 1988, Aff. n°30/87,
Corinne Bodson, Rec. 1988.
103 TECHIOTSOP (C.), L'encadrement des interventions
publiques économiques par le droit communautaire de la concurrence en
Afrique centrale, Thèse de Master, Université de Dschang,
juin 2011, p. 81.
104 WAELBROECK (M.) et FRIGNANI (A.), Le droit de la
CE, concurrence (4), Commentaire J. MEGRET, 2e éd, Etudes
européennes, 1997, n° 2.
105 GNIMPIEBA TONNANG (E.), Recherches sur le nouvel
encadrement communautaire des ententes anticoncurrentielles des entreprises en
Afrique Centrale, op. cit., p. 100.
28
communautaire sur les abus de position dominante. Mais
l'imprécision de cette disposition peut amener à se poser la
question de savoir si l'affectation d'une partie, aussi petite, suffit elle
pour mettre en oeuvre le droit communautaire ? Sur ce point, le
législateur CEMAC n'a pas, à tort, suivi l'exemple
européen qui insiste sur le fait que cette partie doit être «
substantielle »106.
Considérant le marché d'Afrique centrale, une
pratique qui touche sensiblement la ville de Douala107 et ses
environs doit nécessairement relever du droit communautaire du moment
où le marché de cette partie du territoire représente une
proportion appréciable du marché commun108, de
même que la ville de Port-Gentil, au regard par ailleurs de leur position
géographique dans l'Afrique centrale. Pour être significative,
cette partie du marché commun doit servir de cadre à des
opérations commerciales suffisamment denses. En d'autres termes, le
degré de transactions commerciales dans cette partie du territoire
communautaire doit être de nature à influencer les
opérations effectuées dans le reste du territoire de la
Communauté109.
SECTION 2 : LA COMPLEXITÉ DU CONTRÔLE DES
ABUS DE POSITION
MONOPOLISTIQUE
Comme les autres pratiques anticoncurrentielles, les abus de
monopoles légaux doivent normalement faire l'objet d'une
procédure tendant à les réprimer. Pour se faire, le
Règlement n° 1/99 modifié par le Règlement n°
12/05 prévoit des organes et la mise en oeuvre des opérations
conséquentes. Il est cependant connu que les Etats et les entités
soumises à leur tutelle, ne sont pas facilement malléables sur le
plan de la justice. A l'examen, on dénote d'une part une
procédure peu ordinaire quant à la
106 Article 102 du TFUE.
107 En réalité, la ville de Douala avec son port
autonome constitue le point majeur de desserte des pays tels que la
République Centrafricaine, le Tchad et la Guinée Equatoriale tous
particulièrement enclavés. Elle regroupe également
l'essentiel des entreprises camerounaises et constitue ainsi le lieu des
opérations importantes tant pour le Cameroun que pour la sous
région.
108 Voir en ce sens KALIEU (Y.) et KEUGONG WATCHO (R.S.),
Commentaire sur Règlement n° 1/99/UEAC-CM-639 du 25 juin 1999
portant réglementation des pratiques commerciales anti concurrentielles
et Règlement n° 4/99/UEAC-CM- 639 du 18 aout 1999 portant
règlementation des pratiques étatiques affectant le commerce
entre les Etats membres, JP n°54, Avril-Mai-Juin 2003,
pp.96-97.
109 NJEUFACK TEMGWA (R.), op. cit., p. 41.
29
prise des décisions (Paragraphe 1) et d'autre part, une
procédure particulière en vue de leur exécution
(paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Une procédure peu ordinaire quant
à la prise de décisions
La législation communautaire sur les pratiques
étatiques ne contient aucune procédure générale
liée au contrôle des abus de monopole. On se serait attendu qu'une
procédure spécifique soit instituée à l'encontre
des entreprises concernées. Curieusement, le Règlement
n°1/99 et ses modifications sont plus exhaustifs sur ce point alors qu'en
réalité, les contextes ne sont pas identiques. Aux termes de
l'article 17 paragraphe 1 du Règlement n°12/05, « il est
crée pour l'application du présent Règlement, un Conseil
Régional de la Concurrence chargé de donner des avis au
Secrétaire Exécutif de la CEMAC sur toutes les questions ou
litiges concernant la concurrence dont elle est saisie
»110. Il apparait clairement que les organes de prise de
décisions existent avec des compétences précises (A),
même si en matière d'abus de monopole légal, les personnes
indexées suscitent des interrogations (B).
A. Les organes compétents111
Ce sont le Conseil Régional de Concurrence (1) et la
Commission112 (2), coiffés par la Cour de Justice
Communautaire (3).
1- Le Conseil Régional de Concurrence
(CRC)
L'article 8 du Règlement n°4/99 interdit aux
entreprises en situation de monopole de se livrer particulièrement
à un certain nombre de pratiques. L'article
110 L'ancienne rédaction de cet article
prévoyait la création d'un Organe de Surveillance de la
Concurrence composé du Secrétariat Exécutif, chargé
de l'instruction des pratiques prohibées et du Conseil Régional
de la Concurrence chargé de délibérer et d'arrêter
les décisions en matière de répression des infractions.
Cet organe n'existe plus.
111 L'article 47 du Règlement n°1/99
prévoit que les pratiques étatiques affectant le commerce entre
les Etats membres feront l'objet d'un Règlement particulier.
Néanmoins, l'organe chargé du contrôle des pratiques
anticoncurrentielles et la commission permanente sont communs aux pratiques
commerciales et aux pratiques étatiques.
112 Depuis la réforme des institutions de la CEMAC
intervenue en 2007, le Secrétariat Exécutif est devenue la
Commission.
30
suivant dispose que : « Le CRC veille à
l'application des dispositions de l'article 8. Il adresse en tant que de
besoin, les directives et décisions appropriées aux Etats
membres, pour les informer qu'une mesure donnée est contraire aux
prohibitions édictées à l'article précédent
et leur demander d'y mettre fin ». Cette compétence reconnue
au CRC mérite quelques précisions surtout que le Règlement
modificatif a opéré dans certains domaines de compétence
un dessaisissement important de ses compétences113. Le CRC a
une composition très riche en compétence. Il s'agit selon
l'article 18 nouveau, des personnalités suivantes : un magistrat,
Président et des membres en l'occurrence un représentant de la
Conférence des Chambres Consulaires, d'un universitaire,
spécialiste du droit de la concurrence, d'un avocat, spécialiste
du droit des affaires, un macro économiste, un ingénieur
statisticien économiste, un représentant des associations des
consommateurs, un représentant de l'Union des Patronats de l'Afrique
Centrale (UNIPACE)114. Il est tout de même curieux de
constater que désormais, celui-ci n'est plus chargé que de donner
des avis. En tout cas, loin d'être un simple instrument de consultation
juridique, l'intervention du CRC s'apparente à une mesure d'instruction
exercée par un technicien115.
En ce qui concerne les abus de monopole, le CRC après
avoir été saisi, délibérera par un avis consultatif
qui sera communiqué à la Commission. Le doute survient
lorsqu'aucune précision n'est faite sur la force, ou du moins le sort de
cet avis.
113 KALIEU ELONGO (Y.R.) et WATCHO KEUGONG (R.S.), La
réforme de la procédure communautaire de concurrence CEMAC,
op. cit., p. 108.
114 Antérieurement à la réforme, le CRC
était composé de sept membres à l'exclusion du
représentant de la Conférence des Chambres Consulaires et le
représentant de l'Union des Patronats de l'Afrique Centrale.
115 GODET (R.), « La participation des autorités
administratives indépendantes au règlement des litiges
juridictionnels en droit commun : l'exemple des autorités de
marché », R.F.D.A., 2000, p. 957. Cité par NJEUFACK TEMGWA
(R.), Etude de la notion de collaboration dans les procédures en
droit de la concurrence : une lecture du droit africain (CEMAC et UEMOA) sous
le prisme du droit européen, op. cit., p. 81.
31
2- La compétence de la Commission
La Commission est chargée de l'instruction et des
enquêtes relatives aux infractions se rapportant aux règles de
concurrence et aux aides d'Etats116. Ce renforcement du rôle
de la Commission est en outre consacré par la possibilité
d'arrêter les sanctions relatives aux infractions117. Suivant
l'article 10 du Règlement n° 4/99 qui dispose : « Les
infractions sont poursuivies conformément aux dispositions
du Règlement n°1/99-639-UEAC-639 portant
réglementation des pratiques
commerciales anticoncurrentielles
», on déduit aisément que l'instruction et les
enquêtes ressortissent normalement de la compétence de la
Commission qui pourra adopter une décision formelle condamnant ou non la
pratique incriminée. Une doctrine118 propose néanmoins
que pour plus d'efficacité, le CRC aurait pu être
intégré au sein de la Commission. Son rôle serait alors
d'examiner, obligatoirement, les rapports, procès verbaux et toutes les
informations qui lui seront communiquées après enquêtes et
instructions afin de donner son avis à la Commission. Au demeurant, la
composition du CRC est désormais bien pensée, car elle combine
toutes les expertises indispensables à la maîtrise d'un
contentieux économique119. Il s'agit en l'occurrence d'un
organe technique spécialisé dont les travaux peuvent s'enrichir
de l'expérience de l'expert enquêteur désigné par le
Président de la Commission ou l'Etat membre concerné par le
litige le cas échéant.
Dans le souci de l'administration d'une bonne justice
communautaire, les décisions de la Commission peuvent faire l'objet de
contestation.
116 Article 17 paragraphe 2 du Règlement n°12/05.
117 Article 19 paragraphe 3.
118 KALIEU ELONGO (Y.R.) et WATCHO KEUGONG (R.S.), La
réforme de la procédure communautaire de concurrence CEMAC,
op. cit., p. 112.
119 NJEUFACK TEMGWA (R.), Etude de la notion de
collaboration dans les procédures en droit de la concurrence : une
lecture du droit africain (CEMAC et UEMOA) sous le prisme du droit
européen, op. cit., p. 80.
32
3- La compétence a postériori de la Cour de
Justice Communautaire
Contrairement aux aides d'Etats120, l'article 10 du
Règlement n°4/99 reconnait de manière implicite la
compétence de la CJC pour connaitre des recours en matière de
monopoles légaux puisque les infractions y relatives sont poursuivies
conformément aux dispositions de la réglementation des pratiques
commerciales anticoncurrentielles121. Il ressort des articles 24 du
Règlement n°1/99 et 25 du Règlement n°12/05 que les
décisions rendues par la Commission peuvent faire l'objet d'un recours
auprès de la Cour de Justice de la CEMAC122, chambre
judiciaire, par les entreprises et les tiers ayant un intérêt
légitime123. De plus, considérée comme la plus
haute juridiction communautaire à l'instar des cours suprêmes
nationales, la Cour de justice statue avec compétence de pleine
juridiction en dernier ressort sur la légalité de la
décision de la Commission. Si les intéressés peuvent de
manière ordinaire faire opposition, extraordinairement, ils ont la
possibilité d'une tierce opposition, d'un recours en révision, de
la contestation sur le sens ou la portée du dispositif et de la
vérification d'erreur matérielle. Ces recours sont introduits par
requête à la Cour ou au greffe de la chambre
judiciaire124.
A vrai dire, le législateur communautaire peut infliger
des sanctions à exécution directe comme les amendes. Pour
d'autres, il pose les bases d'incrimination et renvoie aux lois nationales qui
fixent les mesures répressives finales125. On notera
120 En matière d'aides d'Etats, c'est le Conseil des
Ministres qui est compétent pour connaitre des recours du CRC y
relatives (article 6 du Règlement n°4/99).
121 MBOGNING KENFACK (J.S.), L'intégration
économique de la CEMAC à l'aune du marché commun et les
politiques d'accompagnement, Mémoire DEA, Dschang, 2006, p.91.
122 La Cour arbitrale était chargée de
façon provisoire de connaitre des recours exercés contre les
décisions du conseil régional. Il est remplacé par la Cour
de Justice Communautaire donc la mise en place a été effective en
2000. On aurait pu penser qu'en instituant la Cour Arbitrale, l'intention du
législateur communautaire était de soumettre le Règlement
des différents au droit de la concurrence à un modèle
arbitral. Ce qui aboutirait à une parenthèse fermée avant
d'avoir été ouverte (Cf. PRISO ESSAWE (S. J),
L'émergence d'un droit communautaire africain de la concurrence :
double variation sur une partition européenne, Revue Internationale
de Droit Comparé, n°2, Avril juin 2004, p.329).
123 Les Actes Additionnels n°4/00-CEMAC 041-CCE-CJ-02 et
n°5/00-CEMAC 041-CCE-CJ-02 du 14 décembre 2000 fixent
respectivement les règles de procédure et le statut de cette
juridiction.
124 Pour une étude détaillée des voies de
recours, voir GNIMPIEBA TONNANG (E), Droit matériel et
intégration sous-régionale en Afrique centrale (contribution
à l'étude des mutations récentes du marché
intérieur et du droit de la concurrence CEMAC), Thèse de
Doctorat, Université de Nice-Sophia Antipolis, Mars 2004, pp.
309-314.
125 Article 27 § 3 du Règlement n° 1/99.
33
enfin le concours des organisations de consommateurs et des
juridictions nationales. Concernant ces dernières en effet, le
prononcé des sanctions pénales se présente comme le
domaine réservé du juge national en cas de violation de la
réglementation communautaire. Cette situation s'expliquerait par le fait
que, si le juge communautaire venait à prononcer des peines privatives
de liberté, la Communauté ne disposerait pas de structures pour
accueillir les pensionnaires de cette nature126. C'est pourquoi le
juge national demeure tout naturellement le juge d'application des
peines127.
Ces Etats, comme en matière d'aides aux entreprises,
sont directement visés en cas de pratiques démesurées des
monopoles légaux.
B. Le traitement diplomatique des abus de monopoles
légaux par le droit
communautaire
Les entreprises bénéficiant des droits exclusifs
ne doivent pas se livrer à des pratiques abusives ; le cas
échéant, les règles communautaires s'appliquent.
Curieusement, l'article 9 du Règlement n°4/99 indique que les Etats
vont se voir adresser les directives ou décisions appropriées
pour les informer qu'une mesure donnée est contraire aux prohibitions
édictées et leur demander d'y mettre fin. Le législateur
laisse donc le choix, en deuxième ressort, aux Etats de prendre des
mesures de cessation urgentes. A propos, une discussion vaut la peine
d'être soulevée.
D'une part, les monopoles légaux étant
régis en tant que pratiques étatiques affectant le commerce entre
les Etats, il est tout à fait normal de pointer directement du doigt les
Etats et leur demander de mettre fin à la pratique querellée. On
est tenté de
126 CHAMEGUEU (G.M.), Le contrôle juridictionnel des
activités de la CEMAC, Mémoire DEA, Université de
Douala, 2008, p. 16.
127 La Cour de Justice de la CEMAC reconnaît
elle-même que les infractions pénales au droit communautaire
relèvent de la compétence des juridictions nationales en
affirmant dans un de ses arrêts que : « Considérant que les
violations alléguées des dispositions des articles 6 de l'annexe
de la Convention du 17 janvier 1992 constituent des infractions pénales
dont la connaissance relève des juridictions camerounaises ». Cf.
arrêt n°003/CJ/CEMAC/CJ/03 du 03juillet 2003, affaire Tasha Loweh
Lawrence c/ Décision COBAC D-2000/22 et Amity Bank Cameroon plc, Sanda
Oumarou, Anomah Ngu Victor.
34
croire que le monopole légal est ici réduit
à un simple prolongement de l'administration publique, mais est ce
vraiment le cas ?
D'autre part, même profitant des droits exclusifs pour
exploiter un service public ou pour produire des biens et des services, ces
entreprises publiques ou privées, sont avant tout, des opérateurs
économiques, voire des commerçants. On suspecte ainsi à
leur égard, une certaine autonomie. L'Etat accorde des droits exclusifs
pour des raisons propres mais n'ordonne ou encore n'intervient pas lorsque ces
entreprises pratiquent des ventes liées ou des ruptures
injustifiées de relations commerciales. Ces entreprises pourraient
évidemment être indexées illico comme en matière
d'ententes illicites ou de concentrations et il reviendrait à l'Etat, de
prendre des mesures de réparation en compensation de
l'exclusivité préjudiciable accordée. On sous-entend que
le comportement d'une entreprise peut échapper à l'application
des règles communautaires par manque d'autonomie, si l'attitude lui a
été unilatéralement imposée par les
autorités nationales128.
Du reste, on pourrait se servir du recours en manquement,
prévu par les articles 258 à 260 du TFUE, qui est l'une des
pièces essentielles du dispositif communautaire. Il permet à la
Commission d'engager des poursuites contre un Etat membre si elle estime que
cet Etat a manqué à l'une des obligations qui lui incombent en
vertu du Traité. La procédure est simple : l'Etat en cause doit
d'abord être mis en mesure de présenter ses observations sur la
question litigieuse. En août 1991 par exemple, la Commission a
écrit à plusieurs Etats membres (dont la France) en les invitant
à présenter des observations sur les droits exclusifs
établis par leur législation dans les secteurs de
l'électricité et du gaz129.
A la vérité, l'intérêt majeur est
donc de soumettre indirectement les incursions étatiques au droit de la
concurrence et en infligeant, dans la mesure du possible, les sanctions
appropriées.
128 TPICE, 18 septembre 1996, Asia Motor France, Aff.
387/94, Rec. II, 961.
129 HAMON (F.), Les monopoles des services publics
français face au droit communautaire : le cas d'EDF et GDF, Recueil
Dalloz 1993, Chroniques p. 91.
Paragraphe 2 : Une procédure particulière
quant à l'exécution des
décisions
La saisine des organes leur permet d'examiner la cause en vue
de prendre évidemment des sanctions, déterminées de
façon acrobatique (A). Celles-ci doivent être appliquées en
principe aux Etats et l'on n'ignore que sur ce point particulier, l'application
des décisions à leur encontre se heurte à des
difficultés (B).
A. La détermination complexe des sanctions
encourues
L'article 10 du Règlement n°4/99 stipule que :
« Les infractions sont poursuivies conformément aux dispositions du
Règlement n°1/99... ». Ce texte traitant de plusieurs
pratiques commerciales, on est davantage fixé par l'article 8 du
Règlement n°4/99 qui nous rappelle que les entreprises en situation
de monopole légal ou de fait sont soumises aux règles
régissant les pratiques anticoncurrentielles notamment à celles
relatives à l'abus de position dominante. Se référant
à ces dernières, on constate que le législateur
opère une fois de plus par renvoi aux ententes prohibées à
l'exception de conditions relatives à l'obligation de
notification130.
Le chapitre 1 du Titre IV du Règlement n° 1/99
traite des sanctions des ententes prohibées. Ces sanctions visent les
entreprises mises en cause et les personnes physiques qui y ont
énergiquement participé. On se pose alors la question de savoir
comment transposer cette disposition en cas de pratiques monopolistiques
abusives ? En se reportant par la suite au Règlement n° 4/99, il
est clair que ce sont les Etats qui sont visées. Cette option facile du
législateur n'est-elle pas critiquable dans la mesure où les
ententes illicites et les abus de monopoles légaux regorgent des
contextes qui leur sont propres ? On peut sans doute avancer la raison que les
sanctions pécuniaires sont commandées à l'encontre des
Etats au nom et pour le compte des entreprises intervenues dans les
transactions excessives. Et pour les peines d'emprisonnement, doit-on
objectivement les exclure dans le cas d'espèce ? La raison de ce
35
130 Article 42 du Règlement n°1/99.
36
questionnement est qu'il est inconcevable d'envisager qu'une
personne à qui l'Etat a accordé des droits exclusifs se voit
infligée une peine d'emprisonnement. A plus forte raison, l'infraction
des personnes physiques en matière des interventions publiques en
Afrique centrale est d'une telle complexité que l'on peut avoir des
doutes sur son caractère réel131.
En matière d'aide d'Etats, le débat ne se pose
pas de la même façon ; en droit communautaire, l'État
membre qui octroie l'aide est le destinataire des mesures adoptées par
la Commission132. Si donc, il était fait grief plutôt
aux droits exclusifs accordés aux entreprises, on conclurait de la
même façon dans le cadre des monopoles légaux sachant que
l'irrespect par l'administration des règles de concurrence est aussi
susceptible d'engager sa responsabilité133.
Quoi qu'il en soit, la Commission pourrait infliger une
amende134 dont le montant ne peut dépasser 5% du chiffre
d'affaires hors taxes réalisé par l'entreprise monopolistique
dans le marché commun au cours du dernier exercice clos, sur les
produits litigieux ou, 75% du bénéfice réalisé au
cours de l'opération prohibée. A défaut d'exécution
spontanée, les astreintes de 100 000 à 5 000 000 de francs CFA
par jour de retard, à compter de la date fixée sans la
décision, qui viendront en majoration pour contraindre les
concernés à s'exécuter.
131 TECHIOTSOP (C.), op. cit., p. 102.
132 BLUMANN (C.), Contrôle des aides d'État et
droit des tiers, Montchrestien, Paris, 2003, p. 325.
133 L'arrêt de la Cour d'appel administrative de Paris
du 14 juin 2010 concernant la Fédération française de
football.
134 La qualification des amendes en droit communautaire a
soulevé un débat doctrinal. Pour les uns, considérant que
les pratiques interdites constituent de véritables infractions
comprenant des éléments légal, matériel et moral et
que l'amende répond à la définition de la peine dans sa
fonction rétributive, « les textes qui nient la qualification
pénale usent un raisonnement purement verbal » ou «
constituent une fiction » ( RIGAUX (J), Trib. 1973, 56 ; LOMBOIS,
Droit Pénal International, Paris, Dalloz, 2e
éd. 1979, n°161 ; LEGROS, CDE 1980, P.222 et 236-237). Pour les
autres, les amendes communautaires sont exclusivement administratives car la
qualification pénale supposerait que les Etats ont
transféré une partie de leur souveraineté (VANDERSANDEN
CDE, 1971, 38 et s. ; GASSIN, in Etudes offertes à Alfred JAUFFRET,
1974, p. 338). Controverse relevée par ABOMO (M.L.), Les
particularismes et les zones d'ombre de la répression des pratiques
anticoncurrentielles dans la zone CEMAC, JP n°70, avril-mai-juin
2007, p. 111. A notre sens, par souci de conciliation, les amendes
communautaires peuvent être appréhendées comme des
sanctions administratives pénales.
37
B. Le problème de l'efficacité des mesures
de contrainte
Le recouvrement des amendes et astreintes
bénéficie des mêmes sûretés et
privilèges que celui des créances fiscales135.
Toutefois, on s'interroge quand même sur les facilités
d'exécution pour évoquer ici certains moyens de défense
automatique reconnus aux Etats. Ce doute se renforce encore plus lorsqu'on lit
dans le Traité révisé de la CEMAC que : «les
décisions qui comportent, à la charge des personnes autres que
les Etats, une obligation pécuniaire, forment titre exécutoire
»136. Qu'en est-il donc de celles qui interpellent les Etats ?
Cette question reprécise une inquiétude déjà
soulevée par une doctrine137 sur le caractère
politique du recours contre le refus d'exécution par un Etat
concerné des exhortations du CRC.
L'article 30 de l'Acte uniforme OHADA portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies
d'exécution dispose à cet effet que : «
l'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas
applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité
d'exécution ». L'Etat est la personne morale par excellence
jouissant d'une telle immunité.
En outre, en prévoyant que les directives ou
décisions appropriées peuvent être adressées aux
Etats membres pour les informer qu'une mesure donnée est contraire aux
prohibitions édictées à l'article 8 et leur demander d'y
mettre fin, le législateur CEMAC ne fournit pas les garanties effectives
en vue de leur exécution. La venue d'une jurisprudence communautaire en
la matière pourra résoudre un certain nombre de
problème.
En attendant les « textes
spécifiques138 », on pourrait s'appuyer sur l'article 51
du Traité CEMAC qui institue un prélèvement automatique
sur le compte ouvert
135 Article 31 paragraphe 2 du Règlement n°1/99.
136 Article 45 alinéa 1 du Traité.
137 NJEUFACK TEMGWA (R.), Le renouveau du cadre
institutionnel-décisionnel au sein de la CEMAC, vers une
communauté plus dynamique ?, Annales de la FSJP, Université
de Dschang, T.8, 2004, p.170.
138 L'article 4 paragraphe 2 du Traité
révisé de la CEMAC apporte sans toute fois régler le
problème, une piste de solution en prévoyant que : « En cas
de manquement par un Etat aux obligations qui lui incombent en vertu du droit
communautaire, la Cour de Justice peut être saisie en vue de prononcer
les sanctions dont le régime sera défini par des textes
spécifiques ».
38
par chaque trésor national auprès de la BEAC
lorsque l'Etat n'a pas effectué les versements auxquels il est
astreint.
A notre avis, les entreprises publiques ou privées
auxquelles l'Etat accorde des droits exclusifs, intervenant dans le
marché et se livrant à des activités commerciales, doivent
être traitées comme les autres et répondre de leurs actes
sans que l'on invoque le couvert des Etats. C'est en cas de défaillance
qu'on pourrait recourir à ces derniers, tenus d'apporter leurs concours
à la réalisation des objectifs de l'Union Economique en adoptant
toutes mesures internes propres à assurer l'exécution de leurs
obligations. Car en réalité, la libre concurrence permet
d'appréhender l'impact d'une décision publique sur le
marché des opérateurs économiques, dont elle ne doit ni
entraver le bon fonctionnement ni placer l'un des opérateurs en
situation de développer une pratique
anticoncurrentielle139.
Aussi, doivent-ils s'abstenir de toute mesure susceptible de
faire obstacle à l'application de la Convention de l'UEAC et des actes
juridiques pris pour sa mise en
oeuvre140.
*
* *
Le législateur CEMAC interdit donc aux monopoles des
pratiques abusives qu'il a fallu apprécier sur le plan communautaire
avant de voir que la répression ne se définit pas aisément
comme en matière de pratiques commerciales prohibées. Les
difficultés seront en partie réglées s'il était
institué un régime de répression propre aux monopoles
légaux dont l'état actuel des choses confirme que c'est « un
domaine
139 NICINSKI (S.), LOMBARD (M.), GLASER (E.),
Actualité du droit de la concurrence et de la
régulation, ADJA, L'Actualité juridique, Dalloz,
n°12/2011, 4 avril 2011, p. 649.
140 Idée tirée de l'article 10 de la Convention de
l'UEAC.
soustrait à tout contrôle efficace
»141. La jurisprudence communautaire ne s'est malheureusement
pas encore prononcée sur la question, ce qui laisse encore planer des
doutes. Une autre solution existe néanmoins et pourrait constituer,
selon le cas, une arme efficace : c'est la théorie des «
facilités essentielles ».
39
141 MBOGNING KENFACK (J.S.), op. cit. p.88.
CHAPITRE 2 : LA SOUMISSION PAR L'APPLICATION DE LA
THÉORIE DES FACILITÉS ESSENTIELLES
|
40
Les « facilités essentielles »
désignent des actifs qui sont généralement détenus
par des monopoleurs qui dominent donc des marchés en amont et qui sont
essentiels pour accéder à un marché aval, actuel ou
potentiel (produit nouveau)142. C'est la circonstance
particulière d'un monopoleur, auteur d'un blocus, invoquant un droit de
propriété sur des équipements essentiels. Tel est le cas
des ports (monopole du gestionnaire sur le marché amont des
infrastructures, accès indispensable sur le marché aval du
transport143), des aéroports144 et même des
infrastructures ferroviaires145. La théorie des «
facilités essentielles » trouve son origine en droit
américain de l'antitrust, plus précisément dans la
décision United States v. Terminal Railroad de 1912.
La « Terminal Railroad Association » avait été
assignée par les Etats Unis parce que, jouissant d'un monopole par le
contrôle des ponts ferroviaires, elle en refusait l'accès aux
sociétés ferroviaires rivales. La Cour suprême a par
conséquent, considéré que les ponts ferroviaires
étaient des facilités devant être mises à la
disposition des concurrents qui en font la demande à tarifs raisonnables
et non discriminatoires. Cette théorie a été reçue
par la jurisprudence européenne à propos d'une affaire Oscar
Bronner qui est aujourd'hui la décision de référence
d'application de la théorie ou, à tout le moins, celle qui pose
les critères d'application générale plus
stables146. Son
142 GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op. cit., p. 377.
143 V. Déc. 21 décembre 1993, Port de Robby
et Sea Containers : JOCE n°55, 25 février 1995 ; Déc.
16 mai 1995, Irish Continental Group, Rapport 1995, p. 126.
144 TPICE, 12 décembre 2000, Aéroports de
Paris, Aff. T. 128/98 : Rec. CJCE 2000, II, p. 3939.
145 V. Déc. 23 août 2003, GVS-FS, JOUE
n° L. 11, 16 janvier 2004. Au Cameroun, en vertu du Décret
n°99/058 du 19 mars 1999 portant approbation de la Convention de
concession de l'activité ferroviaire au Cameroun au profit de la
Société CAMRAIL, les rails sont utilisés exclusivement par
la dite société, constituant ainsi des installations essentielles
pour l'accès à un compétiteur dans le transport
ferroviaire.
146 EVRARD S-J, Essential Facilities in the EU : Bronner
and Beyond, Colombia Journal of European Law, Vol.10, 2004 cité par
THOMAS SERTILLANGES (J-B), La théorie des facilités
essentielles en droit de la
41
application a été par la suite consacrée
dans la célèbre affaire Magill rendue en 1995, dans
laquelle le juge communautaire a eu à poser qu'un élément
autre qu'une infrastructure physique tel qu'un droit de propriété
intellectuelle puisse être considéré comme une
infrastructure essentielle147.
Cette théorie repose sur l'idée selon laquelle
lorsque l'accès à une ressource est essentiel pour pouvoir
opérer sur le marché dérivé, le propriétaire
peut, dans certaines circonstances, être obligé de garantir
l'usage à d'autres opérateurs148. Certaines conditions
doivent donc être cumulativement observées pour que le refus
d'accès aux installations ou infrastructures détenues par
l'entreprise monopolistique soit qualifié d'abusif en droit de la
concurrence (section 1). Ces conditions réunies permettront de mettre en
oeuvre cette théorie dont l'efficacité doit être
démontrée (section 2).
SECTION 1 : LE CONTENU DE LA THÉORIE DES
FACILITÉS
ESSENTIELLES
Dès l'apparition de la théorie, la jurisprudence
européenne en a fait sienne. Nombre de décisions149
ont été rendues en ce sens avec des critères
évoluant au vu de chaque espèce. Si les unes concernent les
détenteurs des droits de propriété intellectuelle, les
autres, pour la plupart, s'appliquent aux monopoles légaux disposant
d'une ressource stratégique. Celle-ci étant la clé
d'accès à un marché secondaire. Toutes ces
décisions indiquent des conditions d'application de la théorie.
Cependant,
propriété intellectuelle, approche et
perspectives à la lumière de l'affaire Microsoft,
Mémoire de Master, Université Paris- Ouest, Nanterre la
Défense, Octobre 2008, p.16.
147 CJCE, 6 avril1995, RTE et ITV C/ Commission (Magill TV
guide), Aff. C. 241 et 242/91 : Rec. CJCE 1995, I, p.2265 concernant la
détention des droit d'auteur sur les grilles de programmes TV.
148 Par exemple au Cameroun, la CAMTEL, qui est le fournisseur
local provisoire d'accès au segment spatial, est tenu en principe de
partager ce dernier avec d'autres opérateurs qui souhaitent exercer dans
la télécommunication.
149 CJCE, affaire Magill précitée ;
CJCE, 29 avril 2004, IMS Health c/ Commission, Aff. C. 418/01, Rec. I,
5039 ; TPICE, 16 décembre 1999, Micro Leader Business c/ Commission
: Rec. CJCE, II, p. 3989 ; Déc. 14 janvier 1998, Flughafen
Frankfurt am Main, JOCE n° L. 72, 11mars 1998 ; CJCE, 5 octobre
1998, Volvo c/ Veng, Aff. 238/87 : Rec. CJCE 1998, I, p. 6211.
42
la synthèse de toutes ces exigences se retrouve
formulée dans l'arrêt MCI v. AT&T de 1983 de la cour
d'appel du 7e circuit aux Etats Unis. A l'analyse, on distingue les
conditions relatives au titulaire de la facilité (paragraphe 1) et
celles liées à la nature de la ressource proprement dite
(paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les conditions relatives au titulaire de
la facilité
Le propriétaire, personne physique ou morale, doit
être en une véritable situation de monopole (A). Celle-ci est
justifiée par la possession d'une ressource importante pour
l'accès d'un concurrent à qui l'utilisation est
illégitimement refusée (B).
A. La situation de monopole du titulaire
Si le titulaire n'est pas en situation de monopole ou de
position dominante, les tiers ont a priori un accès
concurrentiel sur le marché et à une technologie suffisante. Il
est donc nécessaire que le monopole soit incontestable, d'une part, par
la qualité de l'infrastructure et d'autre part, par l'exclusivité
de son usage.
Au Cameroun par exemple, la Cameroon Telecommunications
(CAMTEL) est le fournisseur local provisoire chargé de la gestion de
tous les segments spatiaux des systèmes à satellites ayant une
empreinte au Cameroun150. Aussi, elle fournit en exclusivité
l'accès au segment spatial aux opérateurs et exploitants de
réseaux et fournisseurs de services autorisés pendant toute la
durée de validité de la décision
n°000179151. Ce monopole de la CAMTEL est d'autant plus clair
qu'elle a pour objet de posséder, d'opérer et de fournir une
infrastructure et des services de télécommunications dans le
cadre des licences à elle octroyées à cet effet par les
autorités compétentes152.
150 Article 5 alinéa 2 de la Décision
N°000179/MPT/SG/DPE du 07 octobre 2003 portant désignation et
attributions du fournisseur local provisoire d'accès au segment spatial
au Cameroun.
151 Article 6 de l'annexe à la Décision
N°000179/MPT/SG/DPE du 07 octobre 2003.
152 Article 2 alinéa 1 du Décret 98/198 du 8
septembre 1998 portant création de la société Cameroun
Telecommunications.
43
L'équipement nécessaire en question ne doit pas
simplement s'avérer utile aux concurrents, mais être une condition
de « viabilité concurrentielle » de l'entreprise
dominante153. En outre, comme le souligne une doctrine, seule une
situation de monopole soumet le titulaire d'une infrastructure essentielle
à des obligations particulières vis-à-vis des autres
opérateurs désirant entrer sur le marché154.
B. Le refus illégitime d'utilisation opposé
aux concurrents
Le monopoleur en possession de la ressource nécessaire
doit opposer un refus dépourvu de justification, c'est-à-dire
enclin à exclure toute concurrence dans le marché
dérivé. Selon la décision Hecht v. Pro Football
de 1977(Cour d'Appel du district de Colombia), pour qu'une facilité
soit qualifiée d'essentielle, il n'est pas nécessaire que cette
dernière soit réellement indispensable. Il suffit de montrer que
le refus d'accès inflige un sérieux handicap aux nouveaux
entrants potentiels sur le marché. Dès lors, le refus de
contracter peut s'avérer illicite s'il est motivé par l'intention
de créer ou de maintenir un monopole. A bien des égards, la
théorie des équipements essentiels est une application
particulière du refusal to deal155.
Le requérant devra prouver devant les juridictions
communautaires, un effet néfaste, potentiel ou avéré, sur
la concurrence résultant du refus. C'est dire qu'il devrait apporter la
preuve d'une intention subjective, des mobiles qui ont déterminé
le refus de contracter, preuve éventuellement corroborée par les
effets économiques et concurrentiels avérés156.
A titre illustratif, la Cour de cassation a eu à confirmer le refus
d'accès à une infrastructure essentielle au motif que le
défaut d'accès à la dite infrastructure ne compromet pas
la situation des requérants dont les produits d'exploitation n'ont subi
aucune dégradation au cours des dernières années. Elle
conclut donc que le refus d'accès direct au tronc commun du logiciel
Presse 2000 opposé par les Nouvelles messageries de la presse parisienne
(NMPP) à la société
153 Data General Corp. v. Grumman Sys. Support Corp.,
36F. 3d 1147, 1187 (1st cir. 1994).
154 BOY Laurence, «L'abus de pouvoir de marché
: contrôle de la domination ou protection de la concurrence ?
», R.I.D.E., 2005, Livre 1, p. 40.
155 Image Technical Servs. Inc v. Eastman Kodak Co., 125
F. 3d 1195, 1201-02 (9th cir. 1997).
156 THOMAS SERTILLANGES (J-B), Mémoire
précité, p.26.
44
Messagerie lyonnaise de presse (MLP), n'était pas
à l'origine directe et certaine d'une atteinte grave et immédiate
à l'intérêt des MLP ou au secteur
intéressé.
Le refus du titulaire doit être objectivement
injustifié dans la mesure de l'approvisionnement d'un marché
alors qu'il existe une demande légitime et importante pour les produits
qui incorporent le droit de propriété. En outre, le refus
illégitime peut se caractériser par une discrimination
d'accès à l'infrastructure essentielle. C'est l'hypothèse
où une entreprise monopolistique, détentrice de l'installation
concernée en octroierait l'usage à certains opérateurs
économiques tout en le déclinant à d'autres se trouvant
pourtant dans une situation comparable157.
La ressource exigée, selon sa nature, doit remplir des
conditions qui lui sont
propres.
Paragraphe 2 : Les conditions liées à la
nature de l'infrastructure
La jurisprudence de la cour d'appel du 7e circuit
pose également deux critères supplémentaires, en tenant
compte cette fois de la typologie de l'installation. Celle-ci ne peut
être reproduite dans les conditions normales (A). Par ailleurs, dans le
souci de conciliation des intérêts, il est surtout exigé
que l'utilisation partagée soit techniquement et économiquement
possible (B).
A. La duplication techniquement inenvisageable
La Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 9 septembre
1997 a défini la notion d'infrastructure essentielle comme « des
équipements indispensables pour assurer la liaison avec les clients et/
ou permettre à des concurrents d'exercer leurs activités et qu'il
serait impossible de reproduire par des moyens raisonnables ». Cette
condition répond à ceux qui pensent que la théorie des
facilités essentielles tue la concurrence,
157 Voir sur cet aspect les conclusions de l'avoat
général Gulman précédant l'arrêt
Magill, point 115.
45
dans la mesure où il est exigé que le concurrent
soit dans l'impossibilité matérielle ou juridique de
répliquer l'installation ou le poids de la duplication serait
manifestement déraisonnable. Par exemple, une entreprise tierce qui
souhaite relier la ville de Douala à N'Djamena par chemin de fer pour
les besoins de son commerce, doit naturellement se servir des rails de la
Cameroun Railways puisque, techniquement, il serait impossible de créer
d'autres sur la même voie de transport.
Dans cette logique, il se trouve qu'il n'est pas
économiquement viable de répliquer cette facilité ; cela
signifie qu'elle demeurera essentielle s'il n'existe ni substitut réel
ou actuel, encore moins potentiel. On n'imagine pas d'autres moyens de parvenir
aux mêmes fins et en plus, matériellement et
financièrement, le concurrent n'est pas en mesure d'assurer la
reproduction. Le juge devra chercher si un opérateur standard (in
abstracto) placé dans les conditions analogues (in
concreto) aurait été capable de reproduire une solution
alternative. C'est donc la disproportion entre les moyens à mettre en
oeuvre, les résultats escomptés et a contrario les
conséquences du renoncement qui révèle le caractère
déraisonnable du processus de reproduction. Si celui-ci est trop
onéreux, long ou incertain, il est déraisonnable entraînant
l'absence de substitut potentiel.
En France, il est connu qu'une ressource ne pourrait
constituer une facilité essentielle que s'il était établi
que son usage est strictement nécessaire pour exercer une
activité économique et qu'une entreprise, concurrente de celle
qui l'a mis au point, ne pourrait pas développer une ressource
concurrente de la première. Si, à l'inverse, il était
établi, soit que l'accès à cette ressource n'est pas
strictement nécessaire en raison du fait, par exemple, que des
concurrents seraient prêts à exercer l'activité
économique en question sans l'utiliser, soit que les concurrents,
auxquels l'accès à la ressource est dénié,
pourraient être capables d'innover en développant, dans des
conditions économiques raisonnables, une ressource équivalente,
« le logiciel considéré ne revêtirait pas les
caractéristiques d'une facilité essentielle au sens de la
jurisprudence
»158
158 Avis n°02-A-08 du 22 mai 2002, non publié. Ce
fut le cas des logiciels protégés en France par le droit
d'auteur.
46
Le juge américain, à cet effet, considère
que « comme l'indique le mot essentiel, le requérant doit prouver
plus que la simple inconvenience ou même une perte économique. Il
doit montrer qu'une alternative à la facilité n'est pas faisable
»159.
Il n'existe donc pas de facilité essentielle en
présence d'autres options, plus coûteuses, mais
praticables160.
B. La possibilité d'une utilisation saine
L'utilisation saine de la facilité s'apprécie
d'abord sur le plan technique. En effet, si le titulaire de l'installation ou
de la ressource peut concéder l'usage concomitant à un tiers, il
ne faudrait pas que cette concession empiète ou emporte son propre
emploi. Il y a donc lieu d'entrevoir la faisabilité pour l'entreprise
monopolistique de mettre son installation à la disposition du
concurrent. Ce qui veut a contrario dire que le refus du titulaire
pourra être justifié s'il prouve que l'utilisation partagée
de l'infrastructure altérera de manière significative son droit.
Le demandeur doit être dans l'incapacité d'utiliser de
façon saine l'installation.
Sur le plan économique ensuite, l'usage par le
concurrent ne doit pas causer un préjudice au titulaire. Ainsi,
l'entreprise en situation de monopole se déchargera en invoquant des
raisons légitimes telles que le risque pour elle d'enregistrer une
augmentation substantielle de ses coûts ou encore l'insolvabilité
manifeste de celui qui fait la demande d'accès.
Une autre justification du refus couramment avancée est
l'impossibilité technique ou pratique de donner accès, notamment
pour des raisons de saturation de capacité ou encore l'incapacité
technique ou financière du demandeur de faire face durablement aux
obligations résultant de l'exercice de son
activité161.
Le détenteur de la facilité est donc soumis
à des contraintes pour le bien du marché commun. Il doit offrir
l'accès aux nouveaux concurrents et n'a pas la faculté
159 Twin Lab. V. Weider Health & Fitness, 900 F. 2d
566, 570 (2nd cir. 1996).
160 CJCE, 26 novembre 1998, affaire Oscar Bronner
précitée.
161 Article10 alinéa 1 du Décret
n°2001/830/PM du 17 septembre 2001 définissant les modalités
d'autorisation d'exploitation des réseaux de
télécommunications.
47
de refuser de contracter ou choisir son partenaire ; le cas
échéant, il s'exposera à une sanction énergique.
SECTION 2 : L'EFFICACITÉ DE L'APPLICATION DE LA
THÉORIE
DES FACILITÉS ESSENTIELLES
Le refus illégitime d'une entreprise en situation de
monopole peut avoir pour conséquence de l'obliger à contracter
et, particulièrement, de consentir des licences relatives à son
droit. C'est donc une entorse considérable aux principes du droit des
contrats, et l'on comprend pourquoi le droit communautaire s'attache à
limiter cette obligation au cas d'abus injustifié empêchant
l'apparition d'un produit nouveau sur le marché162. Il
convient donc d'apporter des précisions et les contours du contrat
forcé (paragraphe 1). Cette atteinte systématique à la
liberté commerciale et au droit de propriété de
l'entreprise reste tout de même réhabilitée par les
intérêts du marché qui entre en droite ligne avec les
effets du contrat forcé (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La notion de contrat forcé
Encore appelé licence obligatoire163, le
contrat forcé n'est accordé par les autorités
communautaires que dans des cas exceptionnels. Les modalités de cession
méritent d'être explicitées à partir des exigences
de proportionnalité (A) et de rémunération (B).
A. Les exigences de proportionnalité
Il peut donc arriver que, dans des circonstances
exceptionnelles, le titulaire de l'équipement se doit de consentir des
licences à des tiers. Les conditions de ce contrat
162 GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op. cit., n° 664.
163 Critère appliqué aux droits de
propriété intellectuelle.
48
devraient impérativement traduire le principe de
proportionnalité. La licence ne doit porter que sur ce qui est
nécessaire pour mettre un terme à l'abus c'est-à-dire
viser le marché dérivé et le produit nouveau en question.
Aussi, la durée de la licence doit permettre un accès efficace et
non temporaire sur le dit marché.
Le contrat forcé doit également revêtir un
minimum de respect de l'éthique commerciale : on ne saurait autoriser un
compétiteur qui viendrait exploiter ou occuper considérablement
la ressource au point de vouloir soustraire le titulaire de l'usage de
l'infrastructure visée. Cet accaparement doit normalement être
évité et un contrôle rigoureux s'impose. Il serait donc
intéressant de consolider les droits désormais acquis du monopole
légal en fixant un seuil d'utilisation opposable au concurrent. Loin de
constituer un refus, ce sera une manière de permettre l'accès au
marché de l'entreprise postulante en lui accordant une part et une marge
de manoeuvre raisonnables.
Dans tous les cas, les conditions du contrat obligatoire
doivent être proportionnelles à l'objectif concurrentiel. Il ne
faut pas que l'accès se traduise par des désincitations à
l'investissement plus élevées pour l'entreprise monopolistique
que les nouvelles incitations à investir dans de nouveaux
développements et fonctionnalités créés pour
l'entreprise bénéficiant de l'accès. La balance des
incitations, déterminante pour préserver les
intérêts de long terme du consommateur, va poser l'épineux
problème de la redevance.
B. La rémunération de la
licence
Le prix doit être équitable et raisonnable car il
n'a jamais été question d'accorder aux concurrents l'accès
gratuit à une facilité essentielle. Il doit être
établi sur une base commerciale normale, en tenant compte, le cas
échéant, des efforts des licenciés pour le maintien ou
pour le développement de la technologie en cause164. En
principe, toutes les parties devraient tirer profit de la licence ; on peut
toujours cependant craindre que le monopoleur, obligé de consentir une
licence, exige des redevances si élevées que les licenciés
ne puissent être de réels concurrents, et qu'ils
164 CJCE, 29 avril 2004, IMS Health préc.
49
soient en fin de compte contraints de vendre leurs produits ou
services plus chers. Il y aura un effet de « ciseau » ou «
squeeze », constitutive d'abus.
»165.
Relativement à ce sujet, la jurisprudence a quand
même eu à confirmer le principe selon lequel « lorsque
l'exploitant monopolistique d'une infrastructure essentielle est en même
temps le concurrent potentiel d'une entreprise offrant un service exigeant le
recours à cette facilité, cet exploitant peut restreindre ou
fausser le jeu de la concurrence sur le marché aval du service en
abusant de sa position dominante ou de la situation de dépendance
économique dans laquelle se trouve son concurrent à son
égard, en établissant un prix d'accès à cette
facilité injustifié, non proportionné à la nature
et à l'importance des services demandés, non transparent et
orienté vers les coûts encourus relevant des critères
objectifs
La licence obligée demeure une licence qui doit
être accordée aux conditions de marché. Son prix doit
être orienté vers les coûts du titulaire de l'installation
essentielle. L' « orientation vers les coûts » prive ce
titulaire de la marge commerciale potentielle et ne peut être retenue que
sur les marchés récemment ouverts à la concurrence, sur
lesquels les opérateurs historiques sont encore dominants et
détiennent les infrastructures essentielles et lorsque la concurrence
peine encore à s'affirmer166.
Le contrat forcé ainsi analysé démontre
de l'efficacité de l'application de la théorie. Les effets nous
en diront plus.
Paragraphe 2 : Les effets du contrat forcé
Nous les apprécierons tant sur le plan du droit de la
concurrence (A) que sur le plan du droit de la consommation (B).
165 Cour d'appel de Paris, arrêt du 9 septembre 1997.
166 GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op. cit. p.442.
50
A. Les effets sur le plan du droit de la concurrence
La théorie des facilités essentielles pourrait
être employée par les autorités de la concurrence comme un
outil visant à réduire le pouvoir de marché des
entreprises dominantes afin de favoriser les nouveaux entrants ou du moins , de
maintenir une frange concurrentielle sur le marché. A ce titre, elle
constitue l'un des outils permettant au juge de la concurrence de peser sur la
« libéralisation » d'un secteur faisant l'objet d'une
régulation sectorielle spécifique ou sur la «
préservation d'une structure de marché de concurrence effective
», notamment dans les secteurs de haute technologie
(télécommunications, information, transports) pour lesquels les
effets de réseaux jouent pleinement. Ce qui revient très
rapidement à marginaliser les firmes qui n'ont pas
développé le standard de marché167.
Ainsi, la théorie peut être
appréhendée comme un instrument de « régulation
asymétrique » s'inscrivant dans la logique d'obligations
spécifiques pesant sur l'entreprise monopolistique ou l' «
opérateur crucial » d'un marché donné, quant au fait
de ne pas remettre en cause par sa stratégie mitigée, la
structure concurrentielle du marché. La politique présente
à court terme un avantage considérable se fondant en grande
partie sur la volonté de protéger les compétiteurs du
monopoleur.
Sur le long terme, toujours en faveur de la concurrence, on
pourrait voir l'avantage de réserver l'usage à une entreprise en
position dominante de ses propres installations, développées pour
les besoins de son activité car cela inciterait ses potentiels
concurrents à investir dans les infrastructures aussi
efficaces168. Mais, il ne faut pas aller loin dans cette
réflexion, au motif que les conditions de reproduction pratiquement
impossible et d'utilisation non difficultueuse referont surface et justifieront
l'usage partagé de la ressource pour l'intensification de la
compétition marchande, et pourquoi pas le bonheur des consommateurs.
167 MARTY (F.) et PILLOT (J.), Le recours à la
théorie des facilités essentielles dans la pratique
décisionnelle des juridictions concurrentielles : Ambigüité
du droit et régulation de la concurrence, Séminaire SPOC-IAE
de Paris, 27 mars 2009, pp. 9-10. (Version électronique).
168 Ne perdons toutefois pas de vue qu'un recours excessif
à la théorie des infrastructures essentielles serait très
probablement de nature à décourager les entreprises dominantes
à investir dans des installations efficaces, sachant que, sur demande,
leurs concurrents pourraient en partager les bénéfices. V. les
conclusions de l'avocat général JACOBS précédant
l'arrêt Bronner, point 57.
51
B. Les effets sur le plan du droit de la
consommation
Dans sa stratégie d' «assèchement » du
marché, le bénéficiaire du monopole légal,
exploitant exclusivement une facilité et par ricochet le marché
considéré, peut priver les consommateurs ou utilisateurs finals
d'une offre nouvelle, souvent techniquement plus avancée. Cette pratique
de confiscation et de stérilisation du progrès technique va
évidemment à l'encontre des intérêts des
consommateurs et du marché en général.
En effet, parmi les critères dégagés par
la jurisprudence pour caractériser l'abus de position monopolistique,
figure en bonne place la mise en oeuvre d'obstacle à l'apparition, d'un
nouveau produit pour lequel existe une demande actuelle ou potentielle des
consommateurs. En réalité, selon le cas, deux raisons solides
soutiennent le recours à la théorie étudiée : le
titulaire de la facilité ne peut plus satisfaire à la demande des
consommateurs ou bien le concurrent voudrait introduire sur le marché un
produit nouveau. C'est pourquoi la Cour européenne dans ses arrêts
Magill et IMS Health, reconnut que l'entreprise qui a
demandé la licence a l'intention d'offrir des produits ou des services
nouveaux que le titulaire du monopole légal n'offre pas et pour lesquels
il existe une demande potentielle de la part des
consommateurs169.
Pour sa part, la législation antitrust
américaine, à travers notamment l'article 2 du Sherman Act, dans
la lignée des arrêts Standard Oil, considère que tout
monopole est intrinsèquement néfaste pour le consommateur car il
ne laisse pas de place pour une offre alternative170.
169 Dans l'affaire Magill en particulier, il
s'agissait d'un guide reprenant les programmes télévisés
diffusée en Irlande.
170 HUGUENIN-VUILLEMIN (L-X), Le contrôle des
pratiques anticoncurrentielles au sein des marchés de l'Union
Européenne, des Etats Unis et du Canada : Perspectives d'un droit
antitrust international, op. cit., p.53.
52
*
* *
Si l'atteinte portée au droit de
propriété et à la liberté contractuelle par la
théorie des facilités essentielles fait indéniablement
l'objet d'un encadrement au travers des conditions limitatives fixées
par la jurisprudence, il n'empêche que cette possibilité existe
bel et bien, et qu'on ne se priva pas d'en faire usage. Faut-il s'en
réjouir ? Est-il vraiment bénéfique pour la concurrence de
contraindre ainsi une entreprise dominante à partager son bien au motif
que celui-ci revêt un caractère essentiel pour entrer sur un
marché déterminé ? La réalité
économique de l'Afrique centrale amène à penser que la
mise en oeuvre de cette théorie pourrait apporter un plus à son
économie quand bien même on est sans ignorer que bien des
entreprises monopolistiques disposent des équipements
stratégiques dont l'exploitation par d'autres opérateurs serait
bénéfique.
Tout étant question de fait, il s'agira, pour chaque
cas d'espèces, de mettre en balance les bienfaits d'une amplification de
la concurrence à court terme avec le risque d'une diminution de celle-ci
à long terme.
53
CONCLUSION PREMIÈRE PARTIE
Il ressort de toute évidence que le marché de la
CEMAC se construit avec les monopoles légaux. Si leur existence laisse
perplexe, il leur est interdit, vu leur position préférentielle,
de poser certains actes que le législateur a
énuméré, faute de quoi, des sanctions seront
appliquées suivant une procédure qui mérite d'être
solidifiée. En plus, les entreprises monopolistiques titulaires de
ressources essentielles pour l'accès d'autres concurrents au
marché peuvent se voir imposer la cession de droits à travers la
théorie des facilités essentielles.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que les entreprises
à qui l'Etat accorde des droits exclusifs peuvent être
considérées comme un prolongement de l'administration dans la
mesure où ils peuvent exploiter un service public. Aussi, les
législations des Etats octroient des droits intellectuels à des
personnes qui les exploitent en exclusivité. Il est donc clair qu'il
existe des domaines de compétence qui échappent, sans toutefois
exagérer, au droit de la concurrence : d'où l'épineux
problème des réserves à la soumission des monopoles
légaux aux règles du marché commun.
DEUXIÈME PARTIE : L'AFFRANCHISSEMENT
MESURÉ DES MONOPOLES LÉGAUX DES RÈGLES DE LA
CONCURRENCE
54
Il est depuis longtemps connu que les restrictions
quantitatives à l'importation et à l'exploitation, ainsi que
toutes les mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les Etats,
qui ont librement affirmé leur volonté de se conformer aux
principes d'une économie de marché ouverte, concurrentielle et
favorisant l'allocation optimale des ressources 171. Ce qui est tout
à fait normal car entrant en droite ligne dans les défis du droit
communautaire. Paradoxalement, ce droit a lui-même forgé le
concept de `'monopole légal» qui se trouve à la
croisée des chemins entre la libre concurrence et l'interdiction de
concurrence.
Ce dernier aspect mérite à présent
d'être examiné surtout que l'article 16 de la Convention de l'UEAC
prévoyait déjà que les échanges intracommunautaires
peuvent être limités pour des raisons de moralité publique,
d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la
santé ou de la vie des personnes et des animaux, de la
préservation des végétaux, de protection des patrimoines
culturel, historique ou archéologique de protection de la santé
ou de la vie des personnes et des animaux, de préservation des
végétaux, de protection des patrimoines culturel, historique ou
archéologique, de protection de la propriété industrielle
et commerciale.
Par la suite, le Règlement n° 4/99 précise
qu'il y'a monopole légal lorsque l'Etat accorde des droits exclusifs
à une entreprise privée ou publique pour exploiter un service
public ou pour produire des biens et des services. La finalité de
l'octroi de l'exclusivité ainsi consacrée est confortée
par des restrictions d'ordre, de sécurité et de santé
publics.
171 Paragraphe 5 du préambule de la Convention de
l'U.E.A.C.
En outre, même si les Règlements CEMAC ne l'ont
pas expressément évoqué, la Charte des investissements a
prévu que les Etats s'attachent à créer un environnement
propice au développement des entreprises tout en assurant la protection
de la propriété intellectuelle172, dont l'exploitation
des oeuvres y afférentes ressort du monopole légal du
titulaire.
Ces limitations seront donc examinées en deux rubriques
principales à savoir les réserves d'intérêt
général (chapitre 1) et les réserves
d'intérêt privé (chapitre 2).
Chapitre 1 : Les réserves d'intérêt
général
Chapitre 2 : Les réserves
d'intérêt privé : la reconnaissance des droits de
propriété intellectuelle
55
172 Article 10 de la Charte des investissements CEMAC.
CHAPITRE 1 : LES RÉSERVES D'INTÉRÊT
GÉNÉRAL
56
L'ouverture prévue par le droit communautaire permet
sûrement de concilier deux intérêts majeurs : la promotion
de la concurrence au niveau communautaire pour réaliser un marché
unifié et le souci des Etats de préserver les fonctions
d'intérêt général qu'ils exercent par leurs services
publics et dont ils sont responsables173. Certes, la libre
concurrence doit permettre en principe au consommateur d'obtenir, au meilleur
prix, les produits et les services offerts par les entreprises de tous les
Etats membres de la Communauté. Mais, elle a des limites et comporte des
risques lorsqu'il s'agit de satisfaire des besoins d'intérêt
général174. Sur ce second point, le législateur
CEMAC n'a pas failli et a même avancé des raisons (section 1).
Sans doute, les Etats ont un rôle positif à jouer
pour développer le service public. Toutefois, ils se doivent de
coordonner la politique de protection du service public avec
l'applicabilité des règles de concurrence. Il leur revient de
respecter la règle selon laquelle les entreprises titulaires de droits
de monopole doivent s'abstenir de lui ôter la substance. Il s'agit en
effet d'empêcher que les objectifs nationaux de service public ne nuisent
aux objectifs communautaires de l'intégration175. On craint
cependant que la réalité démontre le contraire (section
2).
173 NDIFFO KEMETIO (M.L.), L'influence du droit
communautaire de la CEMAC sur le droit administratif camerounais,
Mémoire de DEA, Dschang, février 2008, p. 28.
174 FAVRET (J-M), Droit communautaire du matché
intérieur, op. cit., p. 139.
175 BALLA (M.), La libre circulation des biens en zone
CEMAC, Mémoire de DEA, Dschang, 1999, p. 60.
57
SECTION 1 : LES RAISONS RELEVANT DES BESOINS DE
SÛRETÉ
NATIONALE
Le droit communautaire n'a pas l'apanage des restrictions de
concurrence pour les motifs d'intérêt général. A
titre d'exemple, le Décret n° 2001/830/PM du 17 septembre 2001
définissant les modalités d'exploitation des réseaux de
télécommunications au Cameroun prévoit en son article 10,
alinéa 1 que l'autorisation peut être refusée en cas de
sauvegarde d'ordre public, les besoins de défense nationale ou de la
sécurité publique. Le Règlement CEMAC n° 4/99,
conforté plus tard par la Charte des investissements176, a
autant prévu un régime d'exceptions dont il convient d'analyser
le contenu (paragraphe 1).
Dans le même registre, en s'appuyant sur le droit
européen de la concurrence, dans l'esprit de distinguer les services
publics marchands des services publics non marchands, il a défini la
notion de service d'intérêt économique
général (paragraphe 2), suivant l'idée que les entreprises
en situation de monopole légal peuvent produire des biens et
services.
Paragraphe 1 : L'analyse du régime de limitation
du législateur CEMAC
Il ressort clairement de l'article 8 du Règlement
n° 4/99 relatif aux pratiques étatiques que les entreprises en
situation de monopole légal ou de fait sont soumises aux règles
régissant les pratiques anticoncurrentielles sous réserve des
limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de
sécurité et de santé publique (A). Toujours est-il que
pour être admises, elles doivent remplir certaines conditions (B).
176 L'article 9 de la Charte des investissements CEMAC admet
que les Etats accordent à l'investissement étranger le même
traitement qu'à l'investissement national, sauf motif d'ordre public, de
sécurité ou de santé publique.
58
A. Les limitations non économiques
Ces différentes limitations, malgré leurs
objectifs consubstantiels, présentent toutefois chacune des
particularités.
1- L'ordre public
L'ordre public désigne une notion particulariste d'un
Etat ayant pour effet de rejeter toute règle qui entrainerait la
naissance d'une situation contraire aux principes fondamentaux de droit
national. L'ordre public dont il s'agit est celui qui est susceptible
d'être invoqué discrétionnairement par chaque Etat membre
pour la protection de ce qu'il estime être ses intérêts
essentiels ou ceux de sa population177. C'est une limite à la
liberté contractuelle comme à la libre concurrence. On peut
d'emblée se poser la question de savoir comment est ce qu'une entreprise
en situation de monopole peut échapper aux normes concurrentielles pour
des raisons d'ordre public ou de moralité publique ? Est ce que cela
implique pour autant qu'elle se livre à des activités non
marchandes ?
Pour répondre à cette question, il convient de
retenir d'abord que l'article 1 du Règlement n° 1/99 définit
l'entreprise comme toute personne physique ou morale du secteur public ou
privé, exerçant une activité à but lucratif. Par
application, on en déduit que ces activités du monopoleur
légal, considéré ici comme un opérateur
économique, sont des activités commerciales. Il est donc question
de démontrer qu'une activité commerciale peut échapper,
pour les raisons évoquées ci-dessus, à la concurrence.
L'ordre public justifiant le non conformisme aux règles
du marché est un problème national et varie d'un Etat à un
autre. Chacun définit ses principes d'intérêt
général et pour les respecter, décide de laisser
fonctionner certains monopoles. Il n'est pas nécessaire qu'une
réglementation soit assortie de sanctions pénales pour relever
la
177 DUTHEIL de la ROCHERE (J.), Droit communautaire
matériel, op. cit., p. 46.
59
notion d'ordre public178. La
généralité du concept la rend finalement proche de celui
d'«intérêt public » dans la mesure où l'ordre
public désigne les institutions et les normes fondamentales qui sur tous
les plans gouvernent la vie d'une nation. Il n'est donc pas facile de vouloir
procéder à une qualification des activités qui entrent
dans ce cadre. Contextuellement, seule « l'utilité que
présente l'activité » et l'incapacité d'être
« assurée par des entreprises dans les conditions de marché
»179 permettrait aux autorités communautaires d'accorder
l'immunité ainsi prévue.
Très proche de l'ordre public, la moralité
publique sera une dérogation à la libre circulation des
marchandises par la prise en compte de la nécessité d'adapter les
règles commerciales aux valeurs intrinsèques partagées par
les peuples de la sous région.
La porosité des frontières des Etats membres a
donc poussé le législateur communautaire à ériger
la notion d'ordre public, qui semble plus générale et «
apparait quasiment toujours avec ses deux petites soeurs jumelles que sont la
sécurité et la santé publiques »180.
2- La sécurité et la santé
publiques
En ce qui concerne particulièrement les
préoccupations de sécurité et de santé, les Etats
peuvent être amenés à déroger aux règles
générales de l'Union économique et de la politique
commerciale commune afin de prendre des mesures de protection qui s'imposent.
Les domaines dans lesquels les entreprises monopolistiques peuvent
opérés sont variés : les produits
pharmaceutiques181, le monopole public de la production
nucléaire, les produits chimiques182, les boissons
alcoolisées et même les
178 CJCE, 13 mars 1984, Prantl, Aff. 16/83 : Rec.
1299.
179 GOLDMAN (B.), LYON -CAEN (A.) et VOGEL (L.), Droit
commercial européen, 3e éd., précis
Dalloz, 1994, n° 957.
180 POILLOT-PERUZZETTO (S.), « Ordre public et droit
communautaire », D, 1993, Chr. 180 : cité par NJEUFACK TEMGWA
(R.), Thèse précitée, p.116.
181 Le cas d'une réglementation nationale qui
réserve aux pharmacies un monopole pour la commercialisation des laits
transformés du premier âge : CJCE, 29 juin 1995, Commission c/
Grèce, Aff. 391/92 : Rec. I, 621.
182 CJCE, 27 juillet 1996, Brandsma, Aff. 293/94 : Rec.
I- 159.
60
tabacs183. En l'absence des règles
harmonisées, les Etats membres de la communauté peuvent
décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la
santé publique et la manière de l'atteindre184.
La tâche paraîtrait moins ardue si le Conseil des
Ministres établit une liste exhaustive et régulièrement
mise à jour de maladies et d'incidents
sécuritaires185. Le cas contraire, cette situation serait
susceptible d'entraîner un abus de la part des autorités
nationales. Cependant, il est à noter que les mesures
d'intérêt général doivent respecter certaines
conditions.
B. Les conditions d'admissibilité
Les mesures nationales doivent être objectivement
justifiées par les raisons d'intérêt général
invoquées186 et surtout respecter le principe de
proportionnalité. Cela voudrait dire que, si les Etats demeurent libres,
à défaut d'harmonisation, de fixer le niveau auquel ils entendent
assurer la satisfaction des intérêts généraux, ils
doivent en considération de ce niveau, choisir la mesure raisonnablement
restrictive en tenant compte des autres parties. L'absence d'harmonisation
exclut en principe qu'une mesure interne divergente puisse être
considérée comme répondant à un
intérêt général au sens du droit
communautaire187. Les Etats doivent par conséquent choisir la
mesure qui est la moins restrictive sur les échanges188.
Les limitations pour des raisons de moralité publique
ne doivent en aucun cas constituer une discrimination arbitraire ; elles
doivent être cohérentes car il est inacceptable que la mesure
assure dans certaines situations la protection de l'intérêt
général avancé, et ne pouvant en tenir compte dans
d'autres.
183 Une législation nationale qui réserve la
vente au détail des tabacs manufacturés de toute provenance
à des distributeurs autorisés : CJCE, 14 décembre 1996,
Banchero, Aff. 387/93 : Rec. I- 4663.
184 V. CJCE, 25 juillet 1991, Aragonesa de Publicitad
exterior, Aff. Jtes. 1 et 176/90 : Rec. I-4151 ; CJCE, 1er juin 1994,
Commission c/ Allemagne, Aff. 17/92 : Rec. I-2039.
185 NJEUFACK TEMGWA (R.), Thèse précitée,
p.117.
186 Pour une mesure sans justification scientifique, CJCE, 23
février 1988, Commission c/ France, Aff. 216/84 : Rec. 1988, I,
p. 793.
187 CJCE, 9 février 1999, Van der Laan
(Staatsanwaltschaft Osnabrück), Aff. C. 383/97: Rec., I, 731.
188 Pour un risque minime face à une mesure
générale, CJCE, 26 octobre 1995, Commission c/Allemagne,
Aff. 51/94 : Rec. 1995, I, p. 3599.
61
Par ailleurs, sachant que la mesure nationale doit bien
entendue être objectivement indispensable à la couverture de
l'activité litigieuse du monopole, par référence à
l'intérêt général, des mesures infondées
scientifiquement seraient contestables189. Bref, pour
bénéficier de cette dérogation, les Etats devraient
prouver que l'intérêt général qui est à la
base de l'activité est impossible à atteindre dans les conditions
usuelles du marché commun.
Puisque le droit communautaire CEMAC vise à favoriser
les échanges économiques entre les pays membres, le libre jeu de
la concurrence influencerait normalement la situation des acteurs
économiques. Pour autant, certaines activités économiques
ne sont pas exercées dans les conditions du marché. Les textes de
droit communautaire prévoient donc des possibilités de
dérogation au droit de la concurrence lorsque le service à
satisfaire est un service d'intérêt économique
général.
Paragraphe 2 : L'extension aux services
d'intérêt économique général
(SIEG)
Tout en jouant son rôle d'arbitre des rapports
économiques notamment au moyen de la réglementation, l'Etat a
progressivement acquis dans les économies libérales, un statut
d'acteur en opérant sur le marché, soit directement à
travers les travaux publics, soit indirectement par l'entremise des entreprises
auxquelles il rétrocède certaines fonctions en monopole ou en
concurrence avec les acteurs privés. C'est justement parce que le
caractère vital de certains secteurs économiques continue
à justifier la réticence des pouvoirs publics à se retirer
complètement ou même partiellement de la gestion des
activités subséquentes, en raison bien souvent de l'impact
négatif qu'un tel retrait pourrait avoir sur les populations
bénéficiaires190.
Le service d'intérêt économique
général partage des points communs avec le service universel dans
la mesure où ils sont offerts à tous les consommateurs quelle
189 CJCE, 28 avril 1998, Decher, Aff. C. 120/95 : Rec.,
I, p. 181.
190 GNIMPIEBA TONNANG (E.), thèse précitée,
p. 353.
62
que soit leur localisation géographique, à des
prix raisonnables, abordables et non discriminatoires191. Plus
encore, la Commission européenne192 a eu à accepter la
légitimité du monopole sur le service postal de base, en
considérant qu'il était nécessaire pour assurer un service
postal universel. En d'autres termes, elle accepta, sur la base de l'article
90, paragraphe 2 du TCE, la légitimité du maintien d'un secteur
réservé dans la mesure où et pour aussi longtemps que cela
est nécessaire pour assurer une mission d'intérêt
économique général comme le maintien d'un service
universel193.
Cet arrière fond de considérations
générales nous amène à analyser d'une part la
revendication d'un service d'intérêt économique
général (A) qui doit impérativement respecter
l'équilibre financier (B).
A. La revendication d'un service d'intérêt
économique général
Pour qu'une entreprise, publique ou privée, en position
de monopole légal, puisse se prévaloir d'assurer un SIEG, il
existe des critères d'appréciation (1). Ceux-ci permettent
à l'entité concernée de justifier ses droits exclusifs
dans l'accomplissement de certaines missions (2).
1- Les critères d'un SIEG
A travers deux décisions de référence,
Corbeau194 et Commune d'Almelo195, la
jurisprudence a eu à retenir plusieurs critères pour
définir l'entreprise chargée d'un SIEG. Dans l'affaire
Corbeau, qui concernait le Régie des postes belges, la Cour
a
191 La petite différence qui existe, réside dans
la circonstance que le service universel recouvre un ensemble d'obligations
imposées par la loi à un opérateur sur un marché et
qui, en conséquence, peut déroger aux règles de la
concurrence.
192 Déc. 20 décembre 1989 sur les courriers
rapides aux Pays Bas (déc. 90/16/CEE, JO L.10 du 12.01.1990, paragraphe
16-18, p.51).
193 BLUENDIA SIERRA (J.L.), Services
d'intérêt général en Europe et politique
communautaire de concurrence, Competition policy newsletter, vol. 2,
n° 3, Autumn/Winter 1996, p. 19. Disponible sur:
www.uropa.eu
194 CJCE, 17 mai 1993, Corbeau (Procureur du Roi), Aff.
C. 320/91 : Rec. 1993, I, p. 253.
195 CJCE, 27 avril 1994, Commune d'Almelo c/ Energiebedrijfs
Ijsselmij, Aff. C. 393/92 : Rec. I, 1477.
63
admis la possibilité aux Etats membres « de
conférer à des entreprises, qu'ils chargent de la gestion des
services d'intérêt économique général, des
droits exclusifs qui peuvent faire obstacle à l'application des
règles du traité sur la concurrence, dans la mesure où des
restrictions à la concurrence, voire une exclusion de toute concurrence,
de la part d'autres opérateurs économiques, sont
nécessaires pour assurer l'accomplissement de la mission
particulière qui a été impartie aux entreprises titulaires
des droits exclusifs ». Le même arrêt précise, par
ailleurs, qu' « autoriser des entrepreneurs particuliers de faire
concurrence au titulaire des droits exclusifs dans les secteurs de leur choix
correspondant à ces droits les mettrait en mesure de se concentrer sur
les activités économiquement rentables et d'y offrir des tarifs
plus avantageux que ceux pratiqués par les titulaires des droits
exclusifs, étant donné que, à la différence de ces
derniers, ils ne sont pas économiquement tenus d'opérer une
compensation entre les pertes réalisées dans les secteurs non
rentables et les bénéfices réalisés dans les
secteurs plus rentables ».
On retient au total que l'entreprise doit être
chargée d'une mission par une décision des autorités
publiques pour la fourniture d'un service qui doit être ininterrompu. Le
service doit pouvoir couvrir l'intégralité du territoire
concédé et s'adresser à tous les consommateurs ou
utilisateurs finals dans les quantités demandées, à tout
moment. Les tarifs du service en question doivent être uniformes, sachant
que les conditions de sa prestation ne peuvent varier que selon des
critères objectifs applicables à tous les clients196.
Dans l'arrêt Commission c/ France197, qui concernait le
monopole français d'EDF/GDF dans l'importation et l'exportation
d'électricité et de gaz, la Cour de justice précise que
l'exemption concurrentielle peut être relevée s'il est possible de
démontrer que l'application des règles du marché ferait
échec « à l'accomplissement des missions
particulières imparties à l'entreprise, telles qu'elles sont
précisées par les obligations de service public pesant sur elle
».
196 Mémento Pratique Francis Lefebvre,
Communauté Européenne : 1998-1999, p. 349-350.
197 CJCE, 2 octobre 1997, Aff. C. 294/89 : Rec. I, 5815.
64
Ainsi, l'application des règles concurrentielles
empêchera l'exécution du service particulier confié
à l'entreprise par l'Etat. Pour la Commission198, une
limitation aux règles de la concurrence ne peut être admise que
lorsque l'entreprise ne dispose d'aucun autre moyen technique possible et
économiquement réalisable pour remplir sa mission.
2- Les missions d'un SIEG
Tant sur le plan national199 que communautaire, il
est reconnu aux SIEG un rôle particulier dans la Communauté en vue
de la promotion de la cohésion sociale, l'efficience
économique200, l'accessibilité de tous les citoyens
à certains services nécessaires ou de base. Surtout, ces derniers
doivent présenter « des caractères spécifiques par
rapport à ceux que revêtent d'autres activités de la vie
courante »201.
Il appartient toutefois aux autorités communautaires
d'apprécier dans chaque cas, la mission délivrée par
l'entreprise jouissant du monopole légal. Par exemple, sont
considérés comme chargés d'un service
d'intérêt économique général, les organismes
publics de radiotélévision202, les
sociétés de distribution d'eau constituées par les
pouvoirs publics203, les entreprises chargées du monopole de
la gestion des systèmes de
télécommunications204, les entreprises chargées
de surveiller le fonctionnement de la distribution publique
d'électricité205 ou de distribuer
l'électricité sur une partie du territoire
national206. Rentrent également dans cette catégorie,
une entreprise titulaire
198 Déc. « Navewa-Anseau », 17
décembre 1981 : JOCE, L. 167, 15 juin 1982.
199 Article 12 de loi n°98/13 relative à la
concurrence au Cameroun.
200 CJCE, 21 mars 1974, BRT c/ Sabam, Aff. 17/73 : Rec.
1974, I, p.313.
201 DECOCQ (A.) et DECOCQ (G.), op. cit. p. 590.
202 Déc. « Magill TV Guide » du 21
décembre 1988.
203 Déc. Navewa-Anseau
précitée.
204 Déc. « British Telecommunication »s
du 10 décembre 1982.
205 Déc. « Ijssel Centrale » du 16
janvier 1991 : JOCE ; L.28, 2 février 1991.
206 CJCE, 27 avril 1994, Commune d'Almelo.
65
du monopole postal207, un office public
exerçant des activités de placement des demandeurs d'emploi et de
gestion des allocations de chômage208.
A titre illustratif, dans l'arrêt Corbeau, la
Cour de justice qualifie la Poste belge de service d'intérêt
économique général au motif qu'elle a l'obligation
d'assurer la collecte, le transport et la distribution du courrier , au profit
de tous les usagers, sur l'ensemble du territoire de l'Etat membre
concerné, à des tarifs uniformes et à des conditions de
qualité similaires, sans égard aux conditions
particulières et au degré de rentabilité économique
de chaque opération individuelle. Aussi, dans l'arrêt Commune
d'Almelo, qualifia-t-elle de service d'intérêt
économique général, une entreprise hollandaise de
distribution d'électricité au motif qu'elle doit assurer la
fourniture ininterrompue d'énergie électrique, sur
l'intégralité du territoire concédé, à tous
les consommateurs, distributeurs locaux ou utilisateurs finals, dans les
quantités demandées, à tout moment, à des tarifs
uniformes et selon les critères objectifs applicables à tous les
clients.
Dans cette optique, la Commission européenne a
adopté le 26 décembre 1996, une communication sur les services
d'intérêt général qui prend en compte les
avancées doctrinales parmi lesquelles la définition de la notion
de service universel, qui repose de ce fait sur le souci d'assurer partout un
service de qualité à prix abordable pour tous. Les
critères du service universel portent sur des principes
d'égalité, d'universalité, de continuité et
d'adaptation, ainsi que sur des lignes de conduite saines à savoir :
transparence de gestion, de tarification et de financement.
207 CJCE, 17 mai 1993, Corbeau.
208 CJCE, 23 avril 1991, Höfner et Elser, Aff.
441/90 : Rec. I-1979. A ne pas confondre avec les organismes chargés de
la gestion des régimes de sécurité sociale. En effet, la
notion d'entreprise s'arrête où commencent les notions de service
public et d'intérêt général. Ainsi, n'a pas la
qualité d'entreprise un organisme concourant à la gestion du
service public de la Sécurité sociale, CJCE, 13 février
1993, Poucet et Pistre, Aff. Jtes. 159 et 160/91 : RJS 3/93, n°
336, Rec. I-637. Cité par MONGIN (B.), CHAVRIER (H.) et HONORAT (E.),
chronique générale de jurisprudence communautaire, Revue du
Marché Commun et de l'Union européenne, n° 393,
décembre 1995, p. 691 et s.
66
B. L'équilibre financier des SIEG
Le service d'intérêt général ne
doit pas être systématiquement déficitaire, et
cantonné à ce qui n'est pas rentable car si
l'intérêt général n'est pas synonyme de
fonctionnement à perte, son but n'est pas non plus normalement la
recherche du profit209. Il est question d'établir une balance
charges/avantages d'une concurrence pour l'entreprise,
c'est-à-dire savoir si celle-ci pouvait satisfaire à la fois la
continuité et l'équilibre du service d'intérêt
économique général210. L'équilibre
financier des services publics est légitime surtout que les Etats
doivent veiller aux conditions qui permettent aux entreprises qui en sont
chargées d'accomplir leur mission211. Pour assurer ses
missions dans les conditions d'équilibre économique, l'entreprise
dominante doit pouvoir opérer une compensation entre les secteurs
d'activité rentables et ceux qui le sont moins. La limitation de
concurrence est par conséquent justifiée au niveau des secteurs
économiquement rentables gérés par ces entreprises
monopolistiques.
L'équilibre financier, par ailleurs, peut être
atteint par injection d'aides ou subventions pourvu que dans ce cas
particulier, elles n'excèdent pas ce qui est nécessaire à
la stabilité financière de l'activité de service public.
En effet, il serait illégitime que ces subventions outrepassent le
strict nécessaire du service et soient de façon directe ou
indirecte utilisées pour produire des ressources affectées
à la conquête, par une concurrence anormale, des marchés
demeurés ouverts à la
concurrence212.
Cela pose le problème de l'articulation de ce droit
à subventionner avec l'interdiction des aides d'Etats213 . La
jurisprudence, dans un important arrêt214, a
209 FAVRET (J-M), op. cit., p. 145.
210 Ibid.
211 GAVALDA (C) et PARLEANI (G), op. cit. n° 871.
212 Pour l'obligation de la poste française de
maintenir des bureaux en milieu rural, TPICE, 27 février1997, La
Poste, FFSA c. Commission, Aff. T. 106/95 : Rec. CJCE, II, p.
233. Voir dans le même sens CJCE, 17 mai 2001, TNT-Traco c/ Poste
Italiane, Aff. C. 340/99 : Rec. I, 4109.
213 V. Déc. 28 novembre 2005 de la Commission
concernant l'application des dispositions de l'article 86 paragraphe 2 du TCE
aux aides d'Etats, sous forme de compensation de service public,
octroyées à certaines
67
dégagé quatre points fondamentaux215
en vue de la qualification réelle des subventions :
- L'entreprise bénéficiaire doit être
chargée d'obligations de service public clairement définies ;
- Les paramètres de compensation doivent être
établis à l'avance de façon objective et transparente.
Ainsi, « la sécurité juridique impose le maximum de
transparence dans les relations entre les autorités publiques et les
entreprises en charge de SIEG. Dans ce cadre, il est nécessaire que les
obligations réciproques des entreprises et de l'Etat attributaire du
service public soient précisées dans un document officiel, par
exemple dans un contrat [...]. »216. Cette obligation de
« pré-établissement » et de transparence est
essentielle. A défaut, l'injection de nouvelles subventions publiques
avec des bases financières opaques et imprécises sera une aide au
sens du Règlement n° 4/99 ;
- La compensation ne doit pas excéder ce qui est
nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par le
service public, en tenant compte des recettes engendrées par le tarif
imposé et d'un bénéfice raisonnable ;
- La subvention doit être évaluée non pas
en fonction de la situation individuelle de cette entreprise, mais en fonction
des coûts d'une entreprise moyenne, bien gérée et
dotée d'équipements.
entreprises chargées de la gestion des services
d'intérêt économique général : JOUE, L.
312/67, 29 novembre 2005.
214 CJCE, 24 juillet 2003, Altmark Trans c/
Nahverkehrsgesellschaft Altmark, Aff. C. 280/00: Rec. I, 7747.
215 Les Professeurs GAVALDA et PARLEANI ont même conclu
que ces conditions se transposent naturellement à tous les services
d'intérêt général, ouv. préc., p. 599.
216 Rapport de la Commission, relatif à l'état
des travaux concernant les lignes directrices relatives aux aides d'Etat
liées aux services d'intérêt économique
général, Bruxelles 27/11/2002, COM (2002) 636. Cité par
ARMBRUSTER Neda, L'impact du droit communautaire sur les relations entre
l'Etat et les entreprises chargées d'un service d'intérêt
économique général : Vers une contractualisation des
obligations de service public ?, Mémoire de Master en droit
communautaire, Université du droit et de la santé, Faculté
des Sciences Juridiques, politiques et Sociales, Lille 2, 2005-2006, p. 10.
Disponible en ligne sur :
http://edoctorale74.univ-lille2.fr.
68
A la vérité, on constate qu'un champ libre est
désormais ouvert par le législateur communautaire aux Etats, de
façonner à leur guise les nécessités
d'intérêt général, sous la condition limite que le
développement des échanges ne soit pas affecté dans une
mesure contraire aux intérêts de la communauté. Tout est
alors problème de respect des concessions et des obligations
communautaires ; ce qui peut s'avérer être un leurre car on
reconnait les Etats par leur volonté outrancière de maintenir
leur souveraineté au point de troubler l'ordre économique.
SECTION 2 : LES CRAINTES INHÉRENTES AUX
RÉSERVES D'INTÉRÊT
GÉNÉRAL
Même si le droit communautaire reconnaît a
priori la spécificité des entreprises titulaires de droits
exclusifs, il ressort de toute évidence qu'a posteriori, la
réalisation du marché intérieur pourrait aboutir à
une remise en cause de la légitimité même des services
publics. Cela passe d'abord par l'attitude des Etats soucieux de
préserver au maximum leurs intérêts avec une petite dose de
mépris à l'égard des intérêts du
marché (paragraphe 1). Aussi, admettre que les entreprises
monopolistiques puissent, par un « lobbying habile » 217 se mettre
à l'abri de toute concurrence ne va pas de paire avec l'idée
d'efficacité recherchée de la part des services publics
(paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La résurgence des
intérêts des Etats
Le concept de service d'intérêt
général, qui assure pleinement l'exemption des monopoles
légaux aux règles de la concurrence, a le mérite majeur de
respecter un minimum de souveraineté des Etats. Cette liberté
à eux accordée n'est pas très loin d'aboutir au
libertinage. La persistance des égoïsmes nationaux218
amène à assister à des discriminations en guise de
protection des intérêts domestiques. Il existe donc
malheureusement chez les dirigeants de la sous région une contradiction
entre le désir
217 WAELBROECK (M.) et FRIGNANI (A.), Le droit de la
CE, concurrence (4), Commentaire J. MEGRET, 2e éd, Etudes
européennes, 1997, p.1014.
218 BALLA (M.), La libre circulation des biens en zone
CEMAC, op. cit. p. 78.
69
profond et inavoué du chacun pour soi et la
volonté de s'intégrer, proclamée officiellement du bout
des lettres par les pays membres de la Communauté. En
réalité, la souveraineté conduit immanquablement à
l'irresponsabilité vis-à-vis de l'autre, celui qui est à
l'extérieur et qui ne relève à son tour que de sa
souveraineté219. Pourtant, l'une des raisons fondamentales de
la stagnation et de la paralysie de l'UDEAC résidait dans le
désir exagéré des Etats membres de conserver et d'exercer
jalousement leurs souverainetés, et ce en dépit du processus
d'intégration amorcé220. Quoi qu'il en soit, le
respect de la souveraineté nationale et les principes qui lui sont
liés est l'une des questions essentielles que suscite
l'intégration dans l'espace Afrique centrale221
Face à cette situation, la jurisprudence essaye
cahin caha de s'assurer que la Etats ne versent pas dans l'anarchie et
les excès. Elle a eu à décider que même s'il
appartient à chaque Etat de déterminer les exigences de
moralité publique sur son territoire selon sa propre échelle de
valeur, en revanche, un Etat ne peut l'invoquer pour interdire l'importation de
certaines marchandises lorsque, sa législation ne comporte aucune
interdiction de fabriquer ou de commercialiser ces mêmes marchandises sur
son territoire222. Les prétentions égocentriques des
Etats au mépris des intérêts d'autres opérateurs
économiques sont ainsi passées au crible, en ce sens qu'ils
conservent la possibilité de prendre certaines mesures à
l'encontre des Etats tiers et même à l'encontre des Etats membres.
Le risque de ces mesures nationales est de donner naissance à des flux
artificiels de commerce et donc à des détournements de
trafic223.
Par ailleurs, en l'absence d'harmonisation communautaire des
réglementations respectives, le principe de la reconnaissance mutuelle a
vu le jour dans une célèbre
219 Ibid, p.79.
220 MOYE GODWIN (B.), CEMAC: integration or
coexistence?, op. cit, p. 39.
221 BIPELE KEMFOUEDIO (J.), Droit communautaire d'Afrique
centrale et constitutions des Etats membres : la querelle de la
primauté, Annales de la FSJP, Université de Dschang, T.13,
2009, p. 126.
222 CJCE, 11 mars 1989, Conegate, Aff. 121/85 : Rec.
1007. A l'occasion de la saisie par les douanes britanniques d'un lot de
poupées gonflables « à caractère manifestement
sexuel » importées d'Allemagne, la Cour a estimé qu'un
Etat membre ne pouvait pas invoquer l'exception de moralité publique
pour interdire l'importation de certains produits alors que, sur son propre
territoire, la fabrication et la distribution des mêmes produits
n'étaient pas interdites.
223 GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op. cit. n° 671.
70
affaire « Cassis de Dijon »224. En
l'espèce, l'Allemagne avait interdit l'importation de la liqueur Cassis
de Dijon à un importateur français au motif que la teneur en
alcool était inférieure au taux maximal prescrit par le droit
allemand. La Cour a relevé que puisque cette liqueur était
licitement produite en France, la législation allemande apportait une
restriction à la libre circulation en raison du monopole des alcools de
l'administration fédérale allemande. Cette restriction
n'était pas en l'occurrence justifiée par l'intérêt
général. En effet, une teneur en alcool inférieure
à celle de la loi nationale ne peut nuire à la santé
publique voire à l'intérêt général. Un
équilibre doit donc être trouvé dans l'évaluation
faite par chaque Etat membre, en fonction des circonstances de ce qu'il estime
relever de l'ordre public, qui ne devrait intervenir qu'en cas de «
menace réelle et suffisamment grave, affectant un
intérêt fondamental de la société
»225.
Ces intentions excessives des Etats n'ont autre catalyseur que
le manque de réglementation, au niveau sous régional, des
principes d'intérêt général régissant la
fonction spécifique des monopoles légaux. Elles traduisent dans
un autre sens la disparité culturelle et sociologique qui voudrait que
l'intérêt général soit tout d'abord une affaire
nationale et chaque Etat y va de son intérêt. De façon
générale, même s'il n'est pas un acteur économique,
l'Etat conserve sa responsabilité politique et réglementaire lui
enjoignant de multiplier des actions en vue d'assurer une couverture sociale
adéquate. Ce n'est pas toujours par complaisance que « par une
sorte de dédoublement, l'Etat actionnaire se transforme en Etat
souverain, préoccupé par l'intérêt
général qu'il a pour mission d'incarner »226.
C'est donc pour éviter que cette intervention ne soit
pas source d`abus qu'une doctrine227 entrevoit la
nécessité d'une redéfinition des rôles des services
publics dans la construction communautaire. En effet, si le service public est
considéré sur le plan
224 CJCE, 20 février 1979, Rewe Zentrale c/
Bundesmonopolverqwaltung für Brantwein, Aff. 120/78 : Rec. P. 649.
225 CJCE, 27 octobre 1977, Bouchereau, Aff. 30/77 : Rec.
p. 1997.
226 MBENDANG EBONGUE (J.), Les entreprises d'Etat au
Cameroun, Thèse de doctorat, Paris I, 30 mai 1989, p. 304.
Cité par NJEUFACK TEMGWA (R.), op. cit. p. 115.
227 NDIFFO KEMETIO (M.L.), L'influence du droit
communautaire de la CEMAC sur le droit administratif camerounais,
Mémoire de DEA, Dschang, février 2008, p.28 et s.
71
interne comme vecteur de solidarité,
d'intégration et de maintien du tissu social, le raisonnement est
transposable sur le plan régional : le service public serait ainsi
essentiel pour l'existence d'un consensus social basé sur
l'égalité d'accès, la sécurité et la
solidarité dans la Communauté. Ce serait en quelque sorte
l'émergence des « services publics sans frontières » si
cela peut être réalisable même dans le long terme par le
service universel228. Même si les dirigeants voient toujours
avec réserve l'ouverture des frontières, il est temps pour nos
Etats de s'adapter et de reconnaître comme l'a constaté BERTRAND
BADIE, que nous vivons aujourd'hui dans un « monde sans
souveraineté »229.
Mais, le débat se pose également en termes
d'efficacité des services publics.
Paragraphe 2 : Vers une perte probable de
l'efficacité des services publics
La gestion étatiste a parfois été peu
satisfaisante, toujours est il qu'il n'est pas raisonnable de nos jours, sur la
base des « contraintes nouvelles », de confier uniquement à
certaines entreprises la gestion du service public. Face à des usagers
de plus en plus exigeants et de la collectivité toute entière, il
est pratiquement impensable que les monopoles pourront à eux seuls
satisfaire à tous les besoins. En effet, l'institution des monopoles
publics chargés de gérer totalement l'offre ou la demande de
certains produits a, sur le commerce intracommunautaire, des
répercutions restrictives qu'il conviendrait assurément
d'éliminer. L'urgence est donc de concilier les contraintes du service
public et la liberté d'entreprendre, voire le marché avec
l'intérêt général car l' « ouverture
maîtrisée et la concurrence sont nécessaires pour stimuler
l'investissement productif ».
228 JACQUEMIN (A.), « Compétitivité et
intérêt général » in l'Europe à
l'épreuve de l'intérêt général (sous la
direction de STOFFAES C.) Collection ISUPE, éd. ASPE Europe, 1994, p.
321.
229 BERTRAND BADIE, Un monde sans souveraineté :
les Etats entre ruse et responsabilité, Paris, Fayard 1999.
72
La possibilité de croire à une cohabitation
entre service public et concurrence n'est en soi interdite. Non seulement on en
tirera des avantages en termes de diversité pour élargir la
consommation, mais aussi des avantages en termes d'efficacité
économique. C'est d'ailleurs en vertu du constat que les monopoles
publics ont un inconvénient majeur notamment l'insuffisante incitation
au gain de productivité. Ils amenuisent les capacités
d'innovation et la réduction des coûts de production.
En réalité, du fait que les règles de la
concurrence sont destinées à orienter et à façonner
profondément les actions des Etats et des entreprises dans le domaine
économique et social, elles auront inéluctablement d'importantes
répercutions particulièrement sur le régime juridique des
services publics, expression privilégiée de l'interventionnisme
économique230. Dans certains secteurs comme la
télécommunication, la rapidité du progrès
technologique, la diversification des techniques et l'augmentation de la
demande ont fortement affaibli les arguments en faveur des monopoles
légaux gestionnaires. Dans de nombreux pays, il a été mis
en évidence que les choix techniques des monopoles existants
étaient devenus très éloignés de
l'efficacité qu'auraient permis les techniques actualisées. La
concurrence a réussi à être ouverte dans ce segment de
marché. En Europe par exemple, la Commission a retenu que
l'achèvement de ce grand marché est impensable sans un
marché intégré de l'énergie car «
l'énergie est une composante essentielle de toutes les
activités économiques ». Se faisant, elle initia des
projets dont les axes principaux étaient la suppression, d'une part, des
droits exclusifs à la production d'électricité, et d'autre
part, des droits exclusifs à la construction de lignes de transmission
électrique ou de gazoducs231.
La libéralisation ne voudrait pas donc dire
dérégulation, mais plutôt une nouvelle façon de
régulation232. On passera ainsi d'un modèle
fondé sur le monopole à un modèle où une certaine
concurrence joue à l'intérieur d'un cadre réglementaire.
On
230 GNIMPIEBA TONNANG (E.) et NDIFFO KEMETIO (M.L.), Les
services publics dans l'étau du droit de la concurrence de la
CEMAC, Annales de la Faculté des Sciences juridiques et Politiques,
Université de Dschang, T. 15, 2011, p. 263.
231 HAMON (F.), Les monopoles des services publics
français face au droit communautaire : le cas d'EDF et GDF, Recueil
Dalloz 1993, Chroniques p. 91.
232 BLUENDIA SIERRA (J.L.), Services
d'intérêt général en Europe et politique
communautaire de concurrence, op. cit., p. 21.
ne renonce pas aux objectifs d'intérêt
général ; de façon simple, il conviendrait de chercher
à les assurer par d'autres moyens qui soient davantage compatibles avec
la concurrence et la libre circulation.
Au clair, il ne faut pas confondre « services
d'intérêt général » et « monopoles
légaux » tant il ressort de toute logique que le monopole n'est pas
l'apanage du service public233. La mise en concurrence permettrait
aux compétiteurs de pouvoir concourir à leur niveau (par exemple
par la délégation de service public), à fournir ces
prestations précieuses et importantes pour la cohésion sociale et
la réduction des inégalités.
En retenant comme crédo économique la libre
concurrence, la Communauté ne peut a priori que faire
prévaloir les exigences du marché sur toute autre
considération. C'est la raison pour laquelle, tout laisse à
croire que le service public ne peut avoir qu'une place marginale en droit
communautaire et que le primat de l'intérêt général,
qui le caractérise, ne doit résister à céder le pas
au primat du marché.
73
*
* *
233 On prendra garde de ne pas assimiler service public et
entreprises bénéficiant de droits exclusifs, car si ces deux
notions peuvent se recouper, elles n'en sont pas moins distinctes. Une
entreprise bénéficiant de droits exclusifs n'est pas
nécessairement chargée d'un service public et
réciproquement.
74
La notion de service public tient une place
particulière dans la vie de l'Etat, à tel point qu'elle a pu
être considérée comme source de légitimité
des actions étatiques. Le droit communautaire, quant à lui, s'est
construit sur des fondements essentiellement
économiques234.
La construction communautaire, en effet, est placée
sous le signe de la libre concurrence et les services publics semblent
n'être qu'une préoccupation mineure de la genèse
communautariste. Ainsi, la notion de service public n'est pas largement
envisagée dans l'élaboration du droit communautaire
principalement en raison de l'importance accordée au respect de la libre
concurrence. Celle-ci souffre des attaques de la part des Etats à titre
principal, mais également de l'idée de la reconnaissance, au
profit des personnes privées, de leurs droits de propriété
intellectuelle.
234 ARMBRUSTER Neda, L'impact du droit communautaire sur
les relations entre l'Etat et les entreprises chargées d'un service
d'intérêt économique général : Vers une
contractualisation des obligations de service public ?, op. cit. p. 26.
CHAPITRE 2 : LES RÉSERVES D'INTÉRÊT
PRIVÉ : LA
RECONNAISSANCE DES DROITS DE
PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE
75
On appelle propriété intellectuelle l'ensemble
des droits protégeant les créations nouvelles et les signes
distinctifs, à savoir pour l'essentiel les droits d'auteur, les brevets,
les dessins et modèles et les marques. Le TFUE posait déjà
pour principe que le régime de la propriété est de la
compétence des Etats membres : « Les Traités ne
préjugent en rien le régime de la propriété dans
les Etats membres » (article 345). Or, les droits de
propriété intellectuelle sont des droits de
propriété à part entière. Au Cameroun, l'Etat
garantit à toute personne physique ou morale régulièrement
établie ou désireuse de s'établir, la protection des
brevets et autres éléments relevant de la propriété
intellectuelle235. Au même titre, Le législateur
gabonais de 1998 posait déjà que la liberté des
importations et des exportations ne doit porter atteinte à la
propriété industrielle, commerciale ou
intellectuelle236.
Aussi, il ressort clairement de la Charte des investissements
CEMAC que, membres actifs de l'Organisation Africaine de la
Propriété Intellectuelle (OAPI), les Etats garantissent la
protection des brevets, marques, signes distinctifs, labels, noms commerciaux,
indications géographiques, appellation d'origine237. En ce
qui concerne leur nature, l'article 3, alinéa 1 de la Convention de
Bangui dispose que « les droits afférents aux domaines de la
propriété intellectuelle tels que prévus par les Annexes
au présent Accord, sont des droits nationaux indépendants, soumis
à la législation de chacun des Etats membres238 dans
lesquels ils ont effet ». Ces droits sont conférés
aux
235 Articla 10 de la loi n° 2002/004 du 19 avril 2002
portant Charte des investissements en République du Cameroun.
236 Article 6 de la loi n° 14/98 fixant le régime de
la concurrence.
237 La propriété intellectuelle regroupe
plusieurs types de droits. Dans le cadre de ce travail et par mesure de
synthèse, on ne les évoquera pas tous.
238 Tous les pays de la CEMAC sont membres de l'OAPI à
l'exception de la Guinée Equatoriale. Elle est toutefois membre de
l'OMPI et a ratifié les Conventions de Paris et de Berne (26 juin 1997),
le Traité de Nairobi
76
entreprises, étant entendu que le mot
`'entreprise» vise toute personne physique239 ou morale
engagée dans une activité économique ou commerciale
quelconque240.
C'est ainsi que sous réserve des mesures de
rapprochement des législations mises en oeuvre par l'Union Economique,
les Etats membres peuvent interdire ou restreindre l'importation, l'exportation
ou le transit des biens lorsque ces interdictions ou restrictions sont
justifiées par des raisons de protection241 de la
propriété industrielle et commerciale242. Cette
protection est garantie par les Etats mais ce sont les entreprises titulaires
qui en bénéficient.
A la question de savoir comment est ce que la
propriété intellectuelle peut constituer un obstacle au
développement des échanges communautaires ou à la libre
concurrence, on dira tout simplement qu'elle confère des droits
exclusifs à son détenteur (section 1). Or, il ne faut pas perdre
de vue que les relations entre le droit de la concurrence et le droit de la
propriété intellectuelle ressemblent à un « mariage
forcé » dont l'équilibre doit être maintenu. C'est que
les logiques qui sous-tendent ces deux branches du droit sont a priori
incompatibles. Ces considérations ne passent pas sans laisser le
régime de protection indifférent (section 2).
(25 septembre 1982) et le Traité de Washington (17
juillet 2001), auxquels adhérent les autres Etats de la CEMAC.
239 Ainsi, un inventeur personne physique, qui a
concédé une licence de ses brevets « a commercialisé
son invention » et doit être considéré comme une
entreprise : Déc. du 2 décembre 1975, AOIP-Beyrard : JOCE, L. 6,
13 janvier 1976.
240 C'est précisément le sens donné par la
Directive européenne n° 85/200/CEE du 7 mars 1985.
241 Cette protection était déjà
envisagée par l'article 7 de l'Accord sur les aspects des droits de
propriété intellectuelle qui touchent au commerce, Annexe 1C du
Traité de l'OMC.
242 Article 16 paragraphe 1 de Convention de l'U.E.A.C.
77
SECTION 1 : LES DROITS EXCLUSIFS INHÉRENTS AUX
DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
La primauté subsistante des droits
nationaux243 en matière de propriété
industrielle et commerciale, explique que le titulaire des droits y
afférents puisse invoquer la législation de son Etat pour
s'opposer à l'importation de produits en provenance d'un autre Etat,
membre ou non de la Communauté. Il en découle l'idée
capitale que tout droit de propriété intellectuelle est
constitutif d'un monopole légal d'exploitation (paragraphe 1)
attaché au territoire national de délivrance. Dès lors, il
constitue per se un frein au commerce intracommunautaire244
et doté d'un intérêt concurrentiel particulier (paragraphe
2).
Paragraphe 1 : La consistance du monopole légal
d'exploitation du droit de
propriété
intellectuelle
Le monopole d'exploitation désigne le droit exclusif,
pour l'auteur d'une oeuvre ou le titulaire d'une marque, de procéder ou
faire procéder à l'exploitation de celle-ci, et d'en tirer un
profit pécuniaire. Cet usage à titre privé ou personnel
attaché au monopole d'innovation doit respecter l'objet
spécifique (A). Ce qui est interdit aux tiers constitue donc les actes
qui rentrent dans le champ du monopole du titulaire (B).
A. L'objet spécifique
Le but de la sauvegarde des droits exclusifs, qui constituent
par essence une dérogation au principe de la libre concurrence pour des
raisons de protection des droits de propriété intellectuelle, se
révèle par l'objet spécifique de cette
propriété. En matière de brevet, l'objet spécifique
est d'assurer au titulaire, afin de récompenser l'effort créateur
de l'inventeur, le droit exclusif d'utiliser l'invention en vue de la
243 GAVALDA (C.) et PARLEANI (G.), op ; cit. p. 423.
244 TERCINET (A.), ouv. préc., p. 255.
78
fabrication et de la première mise en circulation de
produits industriels, soit directement, soit par l'octroi de licences à
des tiers, ainsi que le droit de s'opposer à toute
contrefaçon245. En substance, il s'agit, à travers le
monopole d'exploitation, de permettre l'exclusivité de la
première mise en circulation du produit afin que l'inventeur puisse
obtenir les bénéfices escomptés.
Dans une affaire Centrafarm246, la
jurisprudence a défini l'objet spécifique de la marque en
déclarant qu'il est notamment d'assurer au titulaire le droit exclusif
d'utiliser la marque, pour la première mise en circulation du produit et
de se protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient abuser de la
position, et de la réputation de la marque en vendant des produits
indûment pourvus de celle-ci . Le concept particulier du droit des
marques est surtout de protéger leurs titulaires contre les risques de
confusion247.
Sans se limiter à la marque et au brevet, on dira que
l'objet spécifique justifie réellement le monopole d'exploitation
en ce sens qu'il permet au titulaire du droit de s'en prévaloir et d'en
tirer profit, pendant l'intervalle de temps requis, à l'encontre des
tiers. Il délimite le statut légal et détermine aussi le
facteur concurrentiel lié à tout droit de propriété
intellectuelle. Il y en a autant que de droits.
La notion d' « objet spécifique » est
complétée par celle de « fonction essentielle ».
Celle-ci se réfère à la finalité du droit et permet
d'affiner en quelque sorte la détermination de l'objet spécifique
en donnant la mesure de la justification de l'existence des droits de
propriété intellectuelle248. La fonction essentielle
de chacun des droits n'est pas identique à celle des autres. Pour le
droit de brevet, la jurisprudence met en avant la récompense de l'effort
créateur de l'inventeur249 et pour le droit de marque, il
s'agit de garantir au consommateur l'identité d'origine du produit
245 CJCE, 31 octobre 1974, Centrafarm BV c/ Sterling
Drug, Aff. 15/74; Rec. 1974, p. 1147.
246 CJCE, 31 octobre 1974, Centrafarm BV c/
Winthrop, Aff. 16/74 : Rec. P. 1183.
247 CJCE, 17 octobre 1990, Hag II, Aff. 10/89 : RJDA
1/91, n° 77, Rec. I- 3711.
248 POLLAUD-DULIAN (F.), Droit de la propriété
industrielle, Montchrestien, E.J.A., Paris, 1999, p 38.
249 CJCE, 31 octobre 1974, Centrafarm c/ Sterling
Drug préc.
79
marqué250. En ce qui concerne le droit
d'auteur et les droits voisins, c'est la préservation du droit moral et
de la récompense de l'effort créateur251.
Mais, le droit exclusif ne se justifie que si le titulaire met
en oeuvre son invention et ne la laisse pas « en jachère », en
se prévalant naturellement de certains actes.
B. Les actes compris dans le champ du
monopole252
Le breveté est maître des utilités
économiques de l'invention ; puisqu'il s'agit d'un droit de
propriété, il est absolu et opposable à tous. La
portée du monopole légal d'exploitation se justifie par la teneur
des revendications et la précision des éléments pour
lesquels le titulaire a voulu obtenir la protection.
Il s'agit d'abord de la revendication de produit. Le droit
exclusif couvre la fabrication, l'offre, la mise dans le commerce,
l'utilisation, l'importation ou la détention à de telles fins. La
revendication de produit couvre sa commercialisation quelque soit le moyen
utilisé pour obtenir le produit et quelque soit ses applications.
Ensuite, il peut être question de revendication de procédé,
c'est-à-dire l'exclusivité de son utilisation. Normalement, la
protection du droit devrait concerner uniquement la mise en oeuvre du
procédé, mais elle s'étend également aux produits
obtenus directement par le procédé, objet du droit intellectuel.
Cela signifie que le procédé inclut le produit, raison pour
laquelle, il est exigé que le produit soit obtenu directement par le
procédé. C'est donc au défendeur du procès en
contrefaçon d'apporter la preuve que le procédé
utilisé pour obtenir un produit identique est différent du
procédé breveté.
Dans le même ordre d'idées, l'exclusivité
traduit aussi la revendication d'application nouvelle et de combinaison
nouvelle de moyens connus sachant que dans ce dernier cas, le titulaire a le
droit sur l'exploitation de la combinaison revendiquée,
250 CJCE, 22 juin 1976, Terrapin Overseas c/ Terranova
Industrie et Kapferer, Aff. 119/75 : Rec. P. 1039.
251 CJCE, 20 octobre 1993, Phil Collins, D. 1995, p. 133
; obs. B. Edelman.
252 Nous nous sommes inspirés du Pr.
Frédéric POLLAUD-DULIAN, op. cit. pp. 505-520
80
mais pas sur celle des moyens qui la composent, pris
séparément ou dans une combinaison distincte. Néanmoins,
sont exclus du champ du monopole d'exploitation les actes accomplis dans un
cadre privé à des fins non commerciales et à titre
expérimental.
En somme, le droit intellectuel assure à son titulaire
que les concurrents déloyaux ne pourront pas s'approprier indûment
des fruits de sa création, de son innovation ou des signes de ralliement
qu'il utilise vis-à-vis de sa clientèle. En défendant son
droit exclusif, on lui garantit le respect de sa position concurrentielle qu'il
a conquise grâce à ses inventions, ses dessins ou modèles
et ses marques, afin d'encourager les tiers d'en faire autant.
Paragraphe 2 : L'intérêt de l'octroi des
droits exclusifs
La place de la propriété intellectuelle dans le
droit de la concurrence se dévoile par son utilité
économique dans la sous-région. En effet, en toutes les
matières, la création nouvelle, technologique ou commerciale,
occupe une place de choix. Ces domaines où l'on crée des valeurs
immatérielles, qui comptent parmi les secteurs d'activités les
plus rentables dans les économies modernes, nécessitent une
attention particulière. Si la propriété intellectuelle
permet de stimuler la concurrence (A), la notion de monopole légal qui
en découle, devrait être réappréciée (B) pour
dissiper les doutes.
A. La propriété intellectuelle comme
stimulateur de la concurrence
Il s'agit d'examiner le « rôle concurrentiel »
de la propriété intellectuelle. A priori, on est
tenté de considérer le monopole légal
conféré par ces droits comme des instruments de restriction par
nature, à la libre concurrence. Les droits de propriété
intellectuelle ont pour terrain unique le commerce et l'industrie, pour but le
ralliement et l'attachement d'une clientèle et pour objet un droit
exclusif d'exploitation. Faisant suite à ces considérations, une
doctrine253 posa qu'en réalité, ils constituent «
un
253 POLLAUD-DULIAN (F.), Droit de la propriété
industrielle, op. cit. p. 28.
81
aiguillon » au développement de la concurrence.
D'une part, ils exhortent et récompensent la recherche et la
création et permettent au rival de différencier ses produits ou
services auprès de la clientèle. Cette situation lui permettra de
développer un fonds de commerce sans se soucier des perturbations
économiques qu'admettraient les confusions intentionnelles ou
involontairement créées.
D'autre part, l'existence d'un produit ou d'une technique
nouvelle protégée sur le marché commun incitera la
concurrence à rechercher et développer des techniques plus
compétitives et des produits plus attractifs en vue de stimuler le
progrès. A titre particulier, les signes distinctifs créent
pareillement un élément d'estimation et de choix, permettant
ainsi au consommateur de distinguer les meilleures entreprises selon la
qualité et le prix.
La marque est un aiguillon dans la concurrence254.
En effet, il est important de reconnaitre que les droits intellectuels
représentent des moteurs pour la survie de la concurrence et de la
croissance économique à moyen ou à long terme. Un
marché sans incitation à l'innovation technique, ni
système de différenciation des protagonistes, est en
réalité un marché non compétitif255.
Plus encore, à analyse d'un rapport de l'OCDE256, il ressort
que l'octroi d'un brevet n'implique en soi une puissance de marché ou
une position de force. Il y a pratiquement toujours des techniques
substituables à celles qui couvrent les droits de
propriété industrielle. D'une manière
générale, il faut admettre avec l'OCDE, que «
l'idée bien ancrée selon laquelle il y a conflit entre le
droit de la propriété intellectuelle et la politique de
concurrence doit être remise en question. Les droits de
propriété intellectuelle comme les droits afférents
à d'autres formes de propriété, sont indispensables au
fonctionnement d'une économie de marché concurrentielle (...) il
est à présent préférable de permettre à un
innovateur de s'approprier la rente inhérente à l'innovation,
puisque cela apparait comme la garantie la plus sûre pour assurer la
concurrence et la croissance à long terme ».
254 De MELLO (X.), « Marques et fonctionnement
concurrentiel des marchés », Gaz. Pal., 1992, 16 et 17 octobre
1992, doct., p.24.
255 C'est typiquement le défaut des systèmes de
corporation.
256 OCDE, « Politique de concurrence et
propriété intellectuelle », Paris 1989, pp. 119-121.
82
C'est suivant cette logique qu'une doctrine257
soulève intelligemment l'idée que « la perspective du droit
exclusif d'exploiter stimule la recherche appliquée », celle-ci
largement soutenue par les interventions des pouvoirs publics. N'ajouta-elle
pas que si la propriété industrielle confère un droit
exclusif d'exploiter, il s'agit en fait de conférer à son
titulaire le pouvoir d'exploiter à l'abri de toute concurrence. Il
revient donc à ce dernier d'organiser la jouissance de ce droit
exclusif. Au minimum, l'exploitant peut escompter ses bénéfices
grâce au monopole, pouvoir fixer ses prix à un niveau tel qu'il
rembourse les frais de recherche antérieurs ; et même, la
recherche devant être continue, il s'appliquera à financer la
recherche postérieure à l'application de son droit.
Eu égard à ce qui précède, on se
demande bien quel est le sens réel du monopole conféré par
un droit intellectuel.
B. La redéfinition de la notion de monopole
couvert par le droit de propriété intellectuelle
Dans la réappréciation de la notion de monopole
en matière de brevets, la doctrine258 pense que prise dans un
sens concurrentiel, elle doit être nuancée. Si l'on adopte une
conception étroite du marché, le produit ou le moyen
breveté satisfait à un besoin et ne trouve pas de
véritable substitut dans la concurrence, puisqu'il assure un
résultat spécifique d'une façon particulière. La
communauté a intérêt à ce que cette technique soit
d'accès et d'exploitation ouverts autant que possible, en même
temps qu'elle a intérêt à encourager la recherche. Ce qui
explique l'idée que le droit de propriété intellectuelle
rétrocède un monopole légal qui restreint clairement la
concurrence, mais concorde avec l'encouragement du titulaire. La concurrence va
donc permettre à rechercher une alternative en vue d'atteindre un
résultat similaire, « un meilleur produit pour satisfaire un
même besoin ou un perfectionnement ». Le droit exclusif
d'exploiter supprime ou modifie la concurrence (notamment la
257 ZEUMO NGUENANG (M.), Les restrictions à la
libre concurrence en droit positif camerounais, Thèse de Master,
Université de Dschang, juin 2011, pp.42-43.
258 POLLAUD-DULIAN (F.), Droit de la propriété
industrielle, op. cit. p. 30.
83
concurrence par les prix) ; mais il laisse subsister et il
renforce même, une autre forme de concurrence, la concurrence par
l'innovation259.
Bien plus, sachant tout de même que le droit exclusif
d'exploiter ne sacrifie pas l'intérêt de la
société260, les entreprises concurrentes du
monopoleur, trouvant une certaine voie barrée pour elles par l'existence
d'une création intellectuelle, si elles veulent soutenir victorieusement
la compétition, sont contraintes de rechercher le progrès dans
d'autres voies. Même dans le cas où n'existe pas encore de brevet
ou de signes distinctifs pour certains objets, l'industrie est obligée
de continuer à travailler à son développement, de
perfectionner les machines et les procédés utilisés, car
chacun doit craindre qu' un autre ne vienne le faire et monopoliser, pour une
période correspondante à la durée du brevet, de la marque
ou de dessin ou modèle dans le domaine d'activité
correspondant.
La puissance publique assure donc la protection des droits
intellectuels qui permettent aux innovateurs de disposer d'un monopole
temporaire sur leurs inventions. La délivrance d'un monopole
légal sur une durée déterminée et sur un produit
ciblé en échange de la publication des spécifications de
ce produit constitue l'instrument essentiel d'encouragement à
l'innovation.
On retient dès lors que certaines limitations aux
principes de libre circulation et, par identité de raisons, de libre
concurrence, sont admissibles dès lors qu'elles sont justifiées
par la préservation des droits de propriété intellectuelle
en faisant de l'innovation le « cheval de bataille ». Cette
préservation ne saurait être effective si elle n'était
complétée par un système de protection convenable.
259 ZEUMO NGUENANG (M.), Les restrictions à la libre
concurrence en droit positif camerounais, op. cit. p.
45.
260 Ibid,
84
SECTION 2 : LA PROTECTION MITIGÉE DES DROITS
DE
PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
Le monopole légal d'exploitation doit être
garanti au titulaire. En réalité, un nouveau produit place son
innovateur dans une situation de monopole. Pourtant, si les profits sont
importants, des concurrents ne tarderont pas à le menacer par des
procédés de contrefaçon ou d'imitation. Les droits
intellectuels reposent naturellement sur l'effort créatif ; il faut donc
favoriser leur développement et assurer leur défense. Mais ces
droits confèrent des pouvoirs de marché dont la teneur traduit
dans une certaine mesure, un risque de dévoiement anticoncurrentiel
au-delà de la seule récompense légitime.
La protection des droits de propriété
intellectuelle varie donc selon qu'on se trouve en face des concurrents
illégitimes ou en considération des fonctions du marché
commun. Si elle est certaine dans le premier cas (paragraphe 1), dans le second
par contre, elle est intensément affaiblie (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Une protection certaine à
l'égard des concurrents
L'Annexe 1C du Traité de l'OMC précité
prévoyait déjà que les Membres feront en sorte que leur
législation comporte des procédures destinées à
faire respecter les droits de propriété intellectuelle telles que
celles qui sont énoncées dans la présente partie, de
manière à permettre une action efficace contre tout acte qui
porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle
couverts par le présent accord, y compris des mesures correctives
rapides destinées à prévenir toute atteinte et des mesures
correctives qui constituent un moyen de dissuasion contre toute atteinte
ultérieure. Ces procédures seront appliquées de
manière à éviter la création d'obstacles au
commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage
abusif 261. Conséquemment, il n'effleure aucun doute que le
titulaire dispose des actions à l'encontre de tout
261 Article 41 de l'Annexe 1C portant Accord sur les aspects
des droits de propriété intellectuelle qui touchent au
commerce.
85
contrevenant (A) dont le succès pourrait conduire au
prononcé de certaines sanctions (B).
A. Les actions réservées au titulaire
Les moyens juridiques employés pour la sauvegarde des
droits de propriété intellectuelle comportent deux degrés
possibles suivant que l'action intentée est l'action en concurrence
déloyale (2) ou en contrefaçon (1). Contrairement à cette
dernière qui est « la conséquence d'un droit privatif
», la première est plutôt « la sanction d'un
devoir ». Or, s'il existe de nombreux traits de ressemblance entre la
contrefaçon et la concurrence déloyale, aucune confusion n'est
possible. La lutte contre la contrefaçon consacre un monopole
juridiquement protégé contre la concurrence alors que la
concurrence déloyale consacre la liberté de
concurrence262.
1- L'action en contrefaçon
La contrefaçon est une atteinte portée à
un droit de propriété intellectuelle, c'est-à-dire un
droit exclusif reconnu à une personne tant sur le plan
littéraire, artistique qu'industriel263. Elle consiste
généralement dans le fait d'avoir copié une oeuvre
littéraire, un titre, un dessin ou un modèle, d'avoir reproduit
une marque de fabrique ou fabriqué un objet breveté sans
l'autorisation du titulaire du droit de propriété en question. La
contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et non les
différences. Pour en décider, le juge se place du point de vue
d'un client moyen selon son intelligence et son attention. La mauvaise foi du
contrefacteur doit être prouvée. Les faits de contrefaçon
sont susceptibles d'entraîner la responsabilité civile et la
responsabilité pénale de leur auteur.
L'action en contrefaçon sanctionne l'atteinte
protée à un droit privatif. Elle tend à rétablir le
titulaire du droit dans l'intégralité de son monopole, à
faire cesser l'usurpation et à la sanctionner. Elle peut être
portée soit devant la juridiction civile,
262 ZENA NGOUNE (H.B.), La contrefaçon des
créations techniques dans l'espace OAPI, Thèse de Master,
Université de Dschang, juin 2011, p. 9.
263 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit. p. 220.
86
soit devant la juridiction pénale de l'Etat où
les faits se sont produits264. A l'action en contrefaçon,
doit être rattachée la technique des preuves spécifiques
que constituent la saisie contrefaçon et la rétention
douanière. La première peut être réelle ou
descriptive : la saisie réelle consiste en un enlèvement effectif
des objets contrefaits alors que la saisie descriptive consiste en une
description détaillée des produits contrefaits. Elle aboutit
à un procès verbal constatant les atteintes portées au
monopole légal du demandeur265.
La rétention douanière a pour objet de faire
arrêter lors de leur introduction dans le territoire les marchandises
soupçonnées de constituer une contrefaçon. Les
procédures qui précèdent l'action en contrefaçon
jouent un rôle bien important dans la voie de la répression de
l'infraction. En effet, elles permettent de paralyser les agissements
présumés illicites et représentent aussi des mesures
probatoires pouvant servir de mode de preuve dans une instance en
contrefaçon266. Comme on peut le constater, la
contrefaçon est généralement réduite à
l'imitation ou à la reproduction qui n'est pourtant qu'un acte
matériel qui indépendamment de porter atteinte à un droit
privatif, pourrait constituer plutôt une concurrence
déloyale267.
Si la qualification des actes dommageables s'avère
parfois incertaine, la victime peut être autorisée à
joindre à la procédure de contrefaçon, une action en
concurrence déloyale.
2- L'action en concurrence déloyale
L'action en concurrence déloyale a pour but de
prévenir et de sanctionner l'usage des procédés
illégaux dans la concurrence. Avec la lutte contre les fraudes et les
droits de propriété intellectuelle, elle entretient des rapports
subtils. La Convention
264 Au Cameroun, c'est le Tribunal de Première Instance ou
de Grande Instance selon le cas.
265 Les opérations de saisie contrefaçon peuvent
faire intervenir les huissiers ou tout officier public ou ministériel,
les douaniers et les experts.
266 ZENA NGOUNE (H.B.), op cit, p 47.
267 Ibid, p. 9.
87
d'Union de Paris de 1883, suivie par l'Annexe VIII de
l'OAPI268, définit l'acte de concurrence déloyale
comme « tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en
matière industrielle ou commerciale »269. La
jurisprudence, dans un arrêt de principe270, a eu à
affirmer que « si la libre recherche de la clientèle est de
l'essence même du commerce, l'abus de la liberté du commerce
causant, volontairement ou non, un trouble commercial, constitue un acte de
concurrence déloyale ».
L'action en concurrence déloyale est une action en
responsabilité civile, fondée sur les articles 1382 et suivants
du Code civil271. Trois conditions doivent donc être
réunies à savoir une faute, un préjudice et un lien de
causalité. La faute, élément essentiel272, est
constituée par l'agissement déloyal et doit être commise
dans les rapports de concurrence. De manière générale,
sont retenues comme faute, la confusion avec l'entreprise
d'autrui273, l'atteinte à l'image ou à la
réputation de l'autre, la tromperie à l'égard du public,
le dénigrement de l'entreprise d'autrui, la divulgation, l'acquisition
ou l'utilisation par des tiers d'une information confidentielle et les actes de
nature à désorganiser une entreprise concurrente et le
marché274.
A dire vrai, l'action en contrefaçon et l'action en
concurrence déloyale, de nature et d'objets différents, ne font
pas double emploi et peuvent coexister. La première peut être
complétée par la seconde, pourvu que les faits soient
distincts275. Autrement dit, à la contrefaçon,
atteinte légale au droit de propriété intellectuelle,
peuvent s'adjoindre des procédés ou circonstances
déloyaux, qui mettent en jeu la responsabilité de leur auteur au
titre de la concurrence déloyale276.
268 Article 1er paragraphe 1 (a) de l'Annexe 8 de
l'Accord de l'OAPI.
269 Article 10 de la Convention d'Union de Paris.
270
Cass. Com. 22 octobre 1985, Bull. Civ. IV,
n° 245, p. 206.
271 BURST (J-J), « Concurrence déloyale et
parasitisme », Dalloz, 1993, n° 3.
272 La faute implique par elle seule un préjudice de
base : le trouble commercial qui résulte du risque de confusion et le
devoir d'agir pour faire cesser les actes en question. V. en ce sens
Cass. Com. 22 octobre 1985, op. cit. p.
206.
273 CA Littoral-Douala, Arrêt n°09/C du 21 octobre
2005, Société Onashi SARL c/ Sté Moulinex SA. Dans cette
affaire, la Société Onashi a été condamnée
au motif que les emballages de ses mixers de marque MAMMONLEX constituaient
« une copie servile ou quasi-servile des emballages des mixers MOULINEX et
de ce fait, susceptible de créer une confusion dans l'esprit du
consommateur ».
274 V. articles 2 à 7 de l'Annexe VIII de l'Accord de
Bangui.
275
Cass. Com. 23 mai 1973, Bull. Civ., IV,
n° 182.
276 CA Littoral-Douala, Arrêt n°09/C du 21 octobre
2005 précité.
88
Dans tous les cas, relevons que l'action en contrefaçon
tend à assurer la défense du droit invoqué par le jeu de
sanctions nombreuses et graves alors que l'action en concurrence
déloyale ne peut prétendre à des sanctions aussi
fortes277.
B. Les modalités de sanctions
La recevabilité des actions en protection permettra au
juge de prononcer des sanctions qui peuvent être pénales (1) ou
civiles (2).
1- Les sanctions pénales
Le législateur OAPI se démarque de son homologue
de l'OHADA, par la détermination, dans la plupart des cas, des quanta
des peines directement applicables par les juridictions des Etats membres. En
cas de constatation du délit de contrefaçon du brevet, soit par
l'emploi des moyens faisant l'objet dudit brevet, soit par le recel ou le
vente, les contrefaisants s'exposent à une amende de 1 000 000 à
3 000 000 de francs CFA278. En cas de récidive, outre
l'amende, un emprisonnement d'un à six mois peut être
infligé279.
L'article 41 de l'Annexe II de l'OAPI prévoit que toute
atteinte portée aux droits du titulaire du modèle
d'utilité enregistré, par la fabrication de produits ou par
l'emploi des moyens faisant l'objet de son modèle d'utilité est
punie d'une amende de 1000 000 à 6 000 000 de francs CFA280
comme en matière de marque281. A la seule différence
que dans le premier cas, les peines d'emprisonnement (en cas de récidive
ou circonstances aggravantes) pourront aller d'un à six mois alors que
dans le second, elles vont de trois mois à deux ans (en
complément des amendes).
277TANGOUE YI TCHOUTEZO (E.), La
contrefaçon en matière de marques, Mémoire de
Maîtrise, Université de Dschang, 1997, p. 18.
278 Article 58 de l'Annexe I de l'OAPI.
279 Article 59 de l'Annexe I de l'OAPI.
280 Sans mentionner le délit d'usurpation puni d'une
amende de 2 000 000 à 3000 000 francs CFA double en de
récidive.
281 Article 7de l'Annexe III de l'OAPI.
89
A ces peines principales, le tribunal peut prononcer des
peines accessoires telles que la confiscation des objets contrefaits, leur
destruction, et même la remise au propriétaire du droit exclusif
des objets contrefaits sans préjudice des réparations civiles.
2- Les sanctions civiles
L'atteinte portée au droit du titulaire engage la
responsabilité civile de son auteur, naturellement sur la base de
l'article 1382 du Code civil. Sous réserve de l'évaluation du
préjudice282 subi, le contrefacteur s'expose à des
dommages et intérêts. C'est ce qui ressort clairement de l'Annexe
1C du Traité de l'OMC283 qui habilite les autorités
judiciaires à ordonner au contrevenant, qui s'est livré à
une activité portant atteinte à un droit de
propriété intellectuelle sans le savoir ou sans avoir de motifs
raisonnables de le savoir, de verser au détenteur des dommages
-intérêts adéquats en réparation du préjudice
que celui-ci a subi du fait de l'atteinte portée à son droit
légal d'exclusivité.
On constate aisément que les dérogations
à la libre concurrence ne peuvent être justifiées que par
la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de la
propriété intellectuelle. Dans cette perspective, la conciliation
entre les exigences de la libre concurrence et le respect des droits
intellectuels doit être réalisée de telle sorte qu'une
protection soit assurée à l'exercice légitime des droits
conférés par les législations nationales, mais soit
refusée, en revanche, à tout exercice abusif des mêmes
droits, qui serait de nature à maintenir ou établir un
cloisonnement du marché unique284.
282 L'évaluation du préjudice pose des
problèmes en pratique car il est difficile pour les juges d'octroyer les
réparations suffisantes à la partie lésée. Pour
justifier ce fait, Michel VIVANT a avancé trois raisons : d'abord, les
juges qui connaissent de la contrefaçon ne sont pas assez
sensibilisés sur les réalités de la
propriété industrielle. Ensuite, les dossiers des demandeurs ne
permettent pas toujours d'apprécier à juste titre le coût
réel de la contrefaçon. Enfin, l'imprécision de l'article
1382 du code civil qui donne lieu à l'interprétation qui voudrait
que le préjudice, tout le préjudice et rien que le
préjudice soit réparé.
283 Précisément de l'article 45.
284 CJCE, 14 septembre 1982, Keurkoop c/ Nancy Kean
Gifts, Aff. 144/81: Rec., p. 2853.
90
Paragraphe 2 : Une protection menacée par les
intérêts et besoins du marché
intérieur
Si l'essor des droits intellectuels est la marque d'une
efficience économique incontestable, ces droits ne sont pas sans poser
de problème. A vrai dire, il peut exister une contradiction apparente
entre les principes du droit communautaire de la concurrence avec ceux de la
propriété intellectuelle. C'est ici que se pose la question de la
compatibilité, non de l'existence, mais de l'exercice de ces droits eu
égard aux fondements de la libre circulation des marchandises (A) et de
la libre concurrence (B). Dans les deux cas, cet exercice se trouve
suffisamment limité285.
A. L'exercice des droits de propriété
intellectuelle limité par la libre circulation des
marchandises
La libre circulation des marchandises suppose que chaque Etat
de la Communauté s'engage à ne pas créer de nouvelles
restrictions, directes ou indirectes, aux échanges intracommunautaires.
Celarequiert également que les agents économiques, autres que les
Etats, ne causent pas non plus de revers, directement ou indirectement,
à cette liberté par leur comportement. C'est l'idée
projetée par la Convention de l'U.E.A.C. d'où il ressort que les
restrictions ou interdictions sur le fondement de la propriété
industrielle et commerciale ne doivent constituer ni un moyen de discrimination
arbitraire, ni une restriction déguisée au commerce entre les
Etats membres286. La mesure limitative nationale ne doit
excéder le strict nécessaire pour atteindre l'objectif de
protection. La question reste donc de savoir dans quelle mesure la libre
circulation des marchandises peut porter atteinte à l'exercice des
droits de propriété intellectuelle ?
285 V. en ce sens TERCINET (A.), Droit européen de
la concurrence (opportunités et menaces) op. cit. pp. 256300 ;
POLLAUD-DULIAN (F.), Droit de la propriété industrielle,
op. cit. pp. 35-44 et 232-251.
286 Article 16 paragraphe 2 de la Convention de l'U.E.A.C. c'est
pratiquement le sens de l'article 36 du TFUE.
91
La jurisprudence287 est donc intervenue en
reprécisant la notion d'objet spécifique et en créant la
théorie de l'épuisement du droit288. En effet, si
l'objet spécifique est notamment d'assurer au titulaire
l'exclusivité et la récompense, ne fait pas partie de cet objet,
le droit de s'opposer à l'importation ou à la commercialisation
dans un Etat membre, d'un produit écoulé licitement sur le
marché d'un autre Etat par le titulaire lui-même, ou avec son
consentement. Dans ce cas, on dira qu'il a épuisé son droit.
L'épuisement du droit ne concerne que la circulation ou la
première commercialisation de produits couverts par le droit de
propriété intellectuelle, pas leur fabrication289.
Le monopole légal du titulaire s'amenuise lorsque
celui-ci a délibérément consenti à la
commercialisation de son produit dans d'autres Etats, ce qui l'oblige à
consentir des licences obligatoires. Le juge conclut dès lors que :
« L'exercice, par le titulaire d'un brevet, du droit que lui
confère la législation d'un Etat membre d'interdire la
commercialisation, dans cet Etat, d'un produit protégé par le
brevet et mis dans le commerce dans un autre Etat membre, par ce titulaire ou
avec son consentement, serait incompatible avec les règles du
Traité relatives à la libre circulation des marchandises à
l'intérieur du Marché commun »290.
Quid de la limitation par la libre concurrence ?
B. L'exercice des droits de propriété
intellectuelle limité par la libre
concurrence
Le caractère exclusif des droits de
propriété intellectuelle et la conclusion de licences souvent
elles mêmes exclusives posent le problème de la
compatibilité de ces droits et accords avec le principe de la libre
concurrence, tel qu'il s'exprime dans les prohibitions des ententes illicites
et abus de position dominante. Le caractère peu
287 Affaire Centrafarmc BV c/ Sterling Drug
précitée.
288 La théorie de l `épuisement du droit a
été initialement élaborée en droit de la
propriété intellectuelle par la doctrine allemande et
spécialement KOHLER (« Handbuch des deutschen Patentrechts in
rechtvergleichender Darstllung », Mannheim, 1900). Elle a
ultérieurement inspiré la jurisprudence.
289 CJCE, 5 octobre 1988, Maxicar c/ Renault, Aff.
53/82, Rec. P. 6039, Att. 11.
290 Point 15, arrêt Centrafarm.
92
contestable d'un marché où opèrent les
détenteurs de technologie favorise le développement des
comportements anticoncurrentiels ou abusifs tels que les « buissons de
brevet » ou encore l'effet de réseau destinés uniquement
à empêcher l'émergence de la concurrence.
Depuis l'affaire « semences de mais »291,
la jurisprudence a jugé de l'incompatibilité des licences
exclusives fermées comportant une protection territoriale absolue,
c'est-à-dire celle par laquelle les parties s'entendent pour
éliminer toute concurrence de la part des tiers.
En ce qui concerne les abus de position dominante, ce serait
détruire tout l'édifice de la propriété
intellectuelle si l'obtention d'un droit exclusif était
considérée comme abusive292. En revanche, l'exercice
abusif du droit peut être interdit s'il est de nature à affecter
le commerce intracommunautaire. En outre, en raison de la nature
particulière du monopole conféré par les droits de
propriété intellectuelle, la jurisprudence a
développé une approche en se fondant sur les circonstances
exceptionnelles293 pour obliger le titulaire du droit de consentir
une licence. Au nom de la libre concurrence voire la protection des
consommateurs, des droits seront concédés aux tiers s'il apparait
une demande nouvelle, un refus injustifié du titulaire d'accorder des
licences aux rivaux et l'intention d'exclure toute concurrence sur le
marché dérivé. Dans le même sens, en cas de non
exploitation ou d'exploitation insuffisante du droit intellectuel, avec pour
intention d'exclure la compétition, le titulaire pourra être
contraint d'octroyer des licences obligatoires.
*
* *
291 CJCE, 8 juin 1982, LC Nungesser et K. Eisele c/
Commission, Aff. 258/78 : Rec. p. 2015.
292 C'est en fait le sens le l'arrêt Maxicar c/
Renault.
293 Proches de la « théorie des facilités
essentielles».
Les droits de propriété intellectuelle apportent
des restrictions considérables au principe de la liberté du
commerce et de l'industrie ; la liberté d'action des autres agents
s'arrête où commence le droit exclusif294. Le
législateur et la jurisprudence sont donc intervenus pour définir
les contours et les frontières de ces droits car le domaine des abus
possibles commence là où s'arrête l'exercice des
prérogatives comprises dans les limites de l'objet spécifique
d'un droit de propriété industrielle.
Dès lors, bien que conférant un monopole
légal d'exploitation qui constitue un avantage concurrentiel, une
distinction doit être opérée entre l'existence même
d'un droit de propriété intellectuelle qui laisse
indifférent, et son exercice, qui tombe sous le regard
attentionné du droit communautaire de la concurrence.
93
294 POLLAUD-DULIAN (F.), op. cit. p. 21.
94
CONCLUSION GÉNÉRALE
Depuis les Accords de l'OMC, il est connu que chaque Etat
Membre fera en sorte que tout fournisseur monopolistique d'un service sur son
territoire n'agisse pas, d'une manière incompatible, lorsqu'il fournit
un service sur le marché considéré295. Au
demeurant, une réalité domine le droit communautaire de la CEMAC
: dans la gestion de certains secteurs jugés très sensibles, les
Etats membres refusent une implication directe en optant pour la
reconnaissance, au profit de certaines entreprises ou groupes d'entreprises,
d'un régime spécial leur conférant un statut
d'utilité publique. La réaffirmation de ces missions de service
public dans des secteurs clés de l'économie nationale et la
reconnaissance en faveur de certaines entreprises d'un statut de monopole
légal, n'a pour autant pas remis en question le nouveau principe de la
soumission de tous les acteurs économiques au libre jeu de la
concurrence admis par tous les pays membres, lesquels venaient de
reconnaître, depuis peu et à l'unanimité, les vertus du
libéralisme économique296.
Dans l'espace économique de la CEMAC, les monopoles
légaux sont autorisés et contribuent, dans une certaine mesure,
à justifier l'intervention des pouvoirs publics dans l'économie.
Leur existence se heurte donc à la question de leur conformité
à la logique du marché. Du coup, le législateur pose le
principe de leur assujettissement aux règles de la concurrence en
appliquant, à leur égard, les règles régissant les
pratiques d'abus de position dominante. Dans la même orientation, la
jurisprudence a imposé aux entreprises dominantes, l'accès
à leurs infrastructures aux autres opérateurs, en
élaborant la théorie dite des « installations essentielles
».
Le problème reste celui de savoir si cette soumission
réussit elle à rassurer les intérêts du
marché commun en général, et ceux d'autres
opérateurs économiques en particulier. La raison en est que des
réserves, sous fond de protection, y ont été
consacrées. En premier lieu, les activités des monopoles
légaux échappent aux règles
295 Article VIII de l'Accord Général sur le
Commerce des services, Annexe 1B du Traité de l'OMC.
296 GNIMPIEBA TONNANG (E.), droit matériel et
intégration sous-régionale en Afrique centrale (contribution a
l'étude des mutations récentes du marché intérieur
et du droit de la concurrence CEMAC), Thèse de Doctorat
précitée, pp. 353-354.
95
communautaires lorsqu'elles réussissent à
satisfaire des besoins d'intérêt général. Dans un
second temps, en vue de la garantie des intérêts privés,
certains acteurs se prévalent de la gestion exclusive d'un secteur
donné, par l'idée de la reconnaissance de leur droit de
propriété intellectuelle.
Indéniablement, la compétition joue un double
rôle : l'amélioration de la satisfaction des consommateurs et la
préservation du bon fonctionnement de l'économie en l'occurrence
en faisant place à la pérennité des entreprises, à
l'innovation et au maintien de la structure concurrentielle des
marchés297. La réglementation du marché est
donc nécessaire. Sinon, la compétition concurrentielle risquerait
de s'étouffer devant les comportements abusifs des entreprises
monopolistes ou en position dominante sur le marché et partant,
favoriser le triomphe des procédés anticoncurrentiels
préjudiciables aux intérêts des opérateurs
économiques, des consommateurs et à l'intérêt
général298.
Pour tout dire, le monopole légal signifie absence de
compétition traditionnelle par impératif juridique, alors que la
concurrence est un facteur essentiel pour un fonctionnement si ce n'est
optimal, du moins satisfaisant aux protagonistes de l'échange,
c'est-à-dire satisfaction de tous les intérêts et surtout
de l'intérêt général.
297 NJEUFACK TEMGWA (R.), Etude de la notion de
collaboration dans les procédures en droit de la concurrence : une
lecture du droit africain (CEMAC et UEMOA) sous le prisme du droit
européen, op. cit., p. 77.
298 MASAMBA MAKELA, Pour une loi sur les pratiques
commerciales restrictives au Zaïre, Afrique- éd., Kinshasa,
1986, p. 15.
96
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réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles
b) Règlement n°4/99/UEAC-CM-639 du 18 août
1999 portant réglementation des pratiques étatiques affectant le
commerce entre les Etats
c) Règlement n°02/2002/CM/UEMOA du 23 mai 2002
relatif aux pratiques anticoncurrentielles
d) Règlement n°03/2002/CM/UEMOA du 23 mai 2002
relatif aux procédures applicables aux ententes et abus de position
dominante
e) Convention régissant l'Union Economique de
l'Afrique Centrale (U.E.A.C.) du 5 juillet 1996
f) Règlement n°17/99/CEMAC-20-CM-03 du 17
décembre 1999 portant Charte des investissements CEMAC
g) Traité sur le fonctionnement de l'Union
Européenne (modifiant le Traité de Rome du 25 mars 1957)
h) Accord portant révision de l'Accord de Bangui du 02
mars 1977 instituant une Organisation Africaine de la Propriété
Intellectuelle (OAPI)
i) Annexe 1c du traité de l'OMC portant Accord sur les
aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au
commerce (ADPIC)
2. Textes nationaux
a) Loi n° 98/013 du 14 juillet 1998 relative à la
concurrence au Cameroun
b) Loi n°14/98 du 23 juillet 1998 fixant le régime
de la concurrence au
Gabon
c) Décret n° 98/198 du 08 septembre 1998 portant
création de la société Cameroon Telecommunications
(CAMTEL)
d) Décret n° 99/058 du 19 mars 1999 portant
approbation de la Convention de concession de l'activité ferroviaire au
Cameroun au profit de la Société CAMRAIL
e) Loi-cadre n°2011/012 du 06 mai 2011 portant protection
des
consommateurs au Cameroun
102
f) Loi du 9 avril 2011 régissant le
secteur de l'électricité au Cameroun
103
E. Sites internet
-
www.unctad.com
-
www.uneca.org
-
www.camereco.com
-
www.uropa.eu
104
TABLE DES MATIÈRES
AVERTISSEMENT ii
DEDICACE iii
REMERCIEMENTS iv
PRINCIPALES ABRÉVIATIONS v
RESUMÉ vii
ABSTRACT viii
SOMMAIRE ix
INTRODUCTION GÉNÉRALE 1
PREMIÈRE PARTIE : L'ASSUJETISSEMENT DES MONOPOLES
LÉGAUX AUX
RÈGLES DE LA CONCURRENCE 14
CHAPITRE I : L'INTERDICTION DES ABUS DE MONOPOLE 15
SECTION 1 : LA NOTION D'ABUS DE MONOPOLE LÉGAL 16
Paragraphe 1 : Les pratiques abusives 16
A. Les pratiques inhérentes aux stratégies de vente
17
1- Les ventes liées 17
2- Les refus de vente 18
3- Les ventes discriminatoires injustifiées 19
B. Les pratiques relatives aux prix 21
1- L'imposition des prix sur le marché 21
2- Les pratiques de prix artificiels 22
C. Les pratiques motivées par la position
stratégique 23
1- Les ruptures injustifiées de relations commerciales
23
2- L'utilisation des recettes aux fins de subventions 23
Paragraphe 2 : La pertinence du marché en cause 24
A. La prise en compte de la délimitation
matérielle 25
B. L'importance de la délimitation géographique du
marché 27
105
SECTION 2 : LA COMPLEXITÉ DU CONTRÔLE DES
ABUS DE POSITION
MONOPOLISTIQUE 28
Paragraphe 1 : Une procédure peu ordinaire quant à
la prise de décisions 29
A. Les organes compétents 29
1- Le Conseil Régional de Concurrence (CRC) 29
2- La compétence de la Commission 31
3- La compétence a postériori de la Cour de
Justice Communautaire 32
B. Le traitement diplomatique des abus de monopoles légaux
par le droit
communautaire 33
Paragraphe 2 : Une procédure particulière quant
à l'exécution des décisions 35
A. La détermination complexe des sanctions encourues
35
B. Le problème de l'efficacité des mesures de
contrainte 37
CHAPITRE 2 : LA SOUMISSION PAR L'APPLICATION DE LA
THÉORIE DES
FACILITÉS ESSENTIELLES 40
SECTION 1 : LE CONTENU DE LA THÉORIE DES FACILITÉS
ESSENTIELLES
41
Paragraphe 1 : Les conditions relatives au titulaire de la
facilité 42
A. La situation de monopole du titulaire 42
B. Le refus illégitime d'utilisation opposé aux
concurrents 43
Paragraphe 2 : Les conditions liées à la nature de
l'infrastructure 44
A. La duplication techniquement inenvisageable 44
B. La possibilité d'une utilisation saine 46
SECTION 2 : L'EFFICACITÉ DE L'APPLICATION DE LA
THÉORIE DES
FACILITÉS ESSENTIELLES 47
Paragraphe 1 : La notion de contrat forcé 47
A. Les exigences de proportionnalité 47
B. La rémunération de la licence 48
Paragraphe 2 : Les effets du contrat forcé 49
A.
106
Les effets sur le plan du droit de la concurrence 50
B. Les effets sur le plan du droit de la consommation 51
CONCLUSION PREMIÈRE PARTIE 53
DEUXIÈME PARTIE : L'AFFRANCHISSEMENT MESURÉ DES
MONOPOLES
LÉGAUX DES RÈGLES DE LA CONCURRENCE 54
CHAPITRE 1 : LES RÉSERVES D'INTÉRÊT
GÉNÉRAL 56
SECTION 1 : LES RAISONS RELEVANT DES BESOINS DE
SÛRETÉ
NATIONALE 57
Paragraphe 1 : L'analyse du régime de limitation du
législateur CEMAC 57
A. Les limitations non économiques 58
1- L'ordre public 58
2- La sécurité et la santé publiques 59
B. Les conditions d'admissibilité 60
Paragraphe 2 : L'extension aux services d'intérêt
économique général (SIEG) 61
A. La revendication d'un service d'intérêt
économique général 62
1- Les critères d'un SIEG 62
2- Les missions d'un SIEG 64
B. L'équilibre financier des SIEG 66
SECTION 2 : LES CRAINTES INHÉRENTES AUX
RÉSERVES D'INTÉRÊT
GÉNÉRAL 68
Paragraphe 1 : La résurgence des intérêts des
Etats 68
Paragraphe 2 : Vers une perte probable de l'efficacité des
services publics 71
CHAPITRE 2 : LES RÉSERVES D'INTÉRÊT
PRIVÉ : LA RECONNAISSANCE
DES DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 75
SECTION 1 : LES DROITS EXCLUSIFS INHÉRENTS AUX DROITS
DE
PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 77
Paragraphe 1 : La consistance du monopole légal
d'exploitation du droit de
propriété intellectuelle 77
A.
107
L'objet spécifique 77
B. Les actes compris dans le champ du monopole 79
Paragraphe 2 : L'intérêt de l'octroi des droits
exclusifs 80
A. La propriété intellectuelle comme stimulateur
de la concurrence 80
B. La redéfinition de la notion de monopole couvert par
le droit de propriété
intellectuelle 82
SECTION 2 : LA PROTECTION MITIGÉE DES DROITS DE
PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE 84
Paragraphe 1 : Une protection certaine à l'égard
des concurrents 84
A. Les actions réservées au titulaire 85
1- L'action en contrefaçon 85
2- L'action en concurrence déloyale 86
B. Les modalités de sanctions 88
1- Les sanctions pénales 88
2- Les sanctions civiles 89
Paragraphe 2 : Une protection menacée par les
intérêts et besoins du marché
intérieur 90
A. L'exercice des droits de propriété
intellectuelle limité par la libre circulation
des marchandises 90
B. L'exercice des droits de propriété
intellectuelle limité par la libre
concurrence 91
CONCLUSION GÉNÉRALE 94
BIBLIOGRAPHIE 96
TABLE DES MATIÈRES 104