1ère PARTIE :
9
PROBLEMATIQUE DE LA RECHERCHE
10
ENONCE DU PROBLEME
Depuis la période coloniale, les économies du
tiers monde ont été contraintes de jouer un rôle
précis : fournir aux pays riches - les métropoles - les
matières premières brutes dont les usines occidentales avaient le
plus grand besoin et servir de débouchés aux surplus industriels
des nations colonisatrices (J. Y. CARFANTAN al. ,
1980)4 . A titre d'illustration, on peut citer le Congo
Belge (actuelle République Démocratique du Congo) qui, devenu
grand producteur de cuivre, de par les ressources naturelles que renferme son
sous-sol, ne dispose pas d'une véritable industrie électrique.
Les bagues et bijoux sont fabriqués ailleurs que sur son territoire. En
1970, le tiers-monde assurait la quasi totalité de la production
mondiale en caoutchouc naturel et pourtant, 10% des pneumatiques, des joints
élastiques ou autres dérivés étaient
fabriqués ou montés dans les pays en développement.
Nombreux sont ces exemples qui démontrent que les usines des pays
développés n'auraient pas fonctionné sans l'extraction de
la bauxite dont le tiers-monde fournissait encore 80% de la consommation
mondiale en 1977.
Les choses se passèrent sous forme de
répartition du travail où les pays développés ont
pu croire que le rôle exclusif des pays colonisés correspondait
à la vocation naturelle d'alimenter leurs usines des matières et
ressources naturelles de pays en développement. Ainsi, dès la
colonisation, ceux-ci ont été «mis en valeur», en y
pratiquant une économie de «cueillette» parce que les
ressources minières locales étaient considérées
comme un don inépuisable de la nature aux pays colonisateurs.
La recherche de solutions au problème de surendettement
des pays en développement a incité les institutions de Brettons
Wood (Fonds Monétaire International, Banque Mondiale) à mettre en
oeuvre des Politiques d'Ajustement Structurel (PAS) d'inspiration
libérale, qui, appliquées à partir des années 1980,
ont pour objectif principal d'encourager les pays concernés à se
spécialiser là où ils ont des avantages comparatifs.
Ainsi, pour acquérir des devises étrangères, ceux-ci ont
renforcé leur spécialisation non seulement dans la production des
biens primaires, mais aussi dans l'échange d'une seule et unique
ressource.
4 In Qui a peur du Tiers Monde ? Rapports Nord-Sud :
les faits. Edt° Le Seuil 1980
11
C'est le cas par exemple des pays comme le Nigeria et le Ghana
dont le cumul des exportations, en 1980, avoisinait 98% des produits de base.
Il en est de même de la Zambie dont la production de cuivre
exporté est estimée à 90%5 . Le Togo s'est
également illustré dans la production des phosphates.
Cette spécialisation peut, par conséquent,
conduire à l'intensification des méthodes d'exploitation ou
à l'extension de la mise en valeur des ressources non exploitées,
non sans effets sur la qualité de l'environnement. Ainsi, les pays en
développement poussés par la spécialisation dans le cadre
des PAS subissent des conséquences sociales et environnementales les
plus graves entraînant parfois la substitution effrénée
d'écosystèmes riches par l'exploitation de ressources naturelles.
Le fardeau de la dette est tel que beaucoup de pays en développement
surexploitent leurs sols et leurs ressources naturelles pour
l'alléger.
Au regard de ce qui précède, la croissance de
l'ensemble de l'économie des pays en développement se fait au
détriment du milieu de vie. Cette croissance débouche sur une
destruction de l'humanité parce que l'exploitation des ressources
naturelles est faite sans tenir compte de l'incidence que cela pourrait
provoquer sur l'environnement. Dans ce cas, toute modification ou atteinte
à l'environnement est intimement liée à des
activités productives gouvernées par des processus
économiques. Ainsi, une activité économique mal
orientée détruit l'environnement ... (Jean-Philippe
BARDE, 1992)6.
Telle que conçue, la croissance est plus basée
voire orientée vers une vision matérialiste qui privilégie
plus les gains en «avoir» au détriment de
l'«être». Depuis plusieurs décennies, l'exploitation des
ressources naturelles, loin de contribuer au développement des
populations, a davantage appauvri celles-ci tant sous l'angle physique que
humain. La dégradation écologique est, pour une large part la
conséquence d'«erreurs économiques, sociales et politiques
... ; elle est aussi, et avec une force croissante, la principale cause de la
pauvreté» (Erik P. ECKOLM, 1976 p.
28)7. En aliénant l'environnement, l'homme, de par
ses atteintes à la nature, non seulement atrophie le soubassement de sa
vie, mais aussi
5In Qui a peur du Tiers Monde ? Rapports Nord-Sud :
les faits. Edt° Le Seuil 1980
6 Economie et politique de l'environnement, PUF, P.
147
7 La terre sans arbres: la destruction des sols
à l'échelle mondiale, traduction française :
éditions Robert LAFFONT
12
s'aliène lui-même et, de cette aliénation,
naissent des formes de misère et de paupérisation indicibles.
La dégradation de l'environnement et son coût en
argent, en misère sociale et en souffrance individuelle est
essentiellement le résultat d'une politique technologique
anti-écologique qui a été utilisée en vue de
l'exploitation des ressources minières. D'ailleurs, les populations qui
vivent sur le site d'exploitation ne sont pas soumises à un choix
d'exploitation ou non de ces ressources, car celles-ci sont
considérées comme propriété de l'Etat. Il y a chez
ces populations ce que l'on appelle « un consentement à accepter
(CAA)»8. En contrepartie, il est question de savoir s'il y a
auprès de l'entreprise un consentement à payer (CAP) les dommages
causés à l'écosystème.
Les effets consécutifs sur l'environnement attaquent
les écosystèmes de base qui supportent la vie des êtres
humains, détruisent le «capital biologique» essentiel au
fonctionnement de l'agriculture et peuvent, si l'on n'y prend garde, provoquer
une dislocation catastrophique de ces systèmes. (Robert et Nancy
DORFMAN, al. 1975. P. 220)9 .
Sur le plan physique, l'exploitation des phosphates
entraîne le déboisement excessif, la désorganisation du
profil du relief, la dégradation du sol, la menace à l'extinction
de certaines espèces biologiques. Ce dénuement de la zone
d'exploitation constitue la première étape de l'exploitation des
phosphates.
Sur le plan social, la progression des carrières
d'extraction sur les nouveaux sites (terres en jachères, champs)
entraîne pour la population locale la perte de ses terres d'habitation et
de culture et son déplacement. Lorsque l'équilibre de
l'environnement est ébranlé et que la capacité des
écosystèmes à répondre aux besoins humains entre
dans une période critique, les mauvaises conditions de vie de ceux qui
dépendent directement de la terre empirent, et leurs efforts de
redressement et de développement - ... - deviennent de plus en plus
difficiles. (Erik P. ECKOLM, 1976 p. 28)10. Il en
résulte un bouleversement socio-économique de toute la
région. En outre, les terres soumises à l'exploitation des
phosphates deviennent peu
8 Economie et politique de l'environnement, PUF, P.
92.
9 Economie de l'Environnement, (Robert et Nancy S.
DORFMAN, al.), Ed. Calmann-Lévy, 1975
10 Op. cité
13
propices à l'agriculture, surtout de type traditionnel,
par le simple fait que la reconstitution de la végétation sur ces
terres s'effectue avec une extrême lenteur. Cette exploitation
entraîne voire impose des coûts sociaux non compensés
à la collectivité.
Les incidences relatives à l'exploitation des
ressources naturelles sur l'environnement
physique et social des pays de l'UEMOA en
général et du Togo en particulier avec l'exploitation des
phosphates à Hahotoé suscite quelques interrogations.
- Quelles sont les conséquences engendrées par
l'exploitation des ressources naturelles dans les pays en développement
en général ?
- Quelles sont les incidences de l'exploitation des phosphates
à Hahotoé ?
- Quelle serait la solution au problème de
l'environnement face à l'exploitation effrénée des
ressources naturelles dans les pays en développement ?
- Quelles politiques appliquer pour protéger
l'environnement ?
- Peut-on évaluer le coût exact de la destruction
de l'environnement par l'exploitation des ressources naturelles ?
Ce sont là des questions auxquelles la recherche tentera
de répondre.
Si par critères environnementaux, faut-il regrouper
l'ensemble des «considérations directement liées à
l'objectif de protection de la santé et du bien-être», il est
impérieux de savoir si ces critères sont pris en compte lors de
la décision d'exploiter ces terres. Par cette décision, il est
question d'identifier les éléments pouvant nuire à
l'environnement et à la santé ou les seuils au-delà
desquels la détérioration de l'environnement met en péril
la santé, le bien-être, le développement économique
(menaces sur les ressources en eau, sur la productivité des sols et
autres écosystèmes, sur la diversité écologique, le
climat, etc.). En effet, si l'exploitation des ressources naturelles dans les
pays en développement est capable de mettre en péril
l'environnement physique et humain, il devient indispensable de s'en
préoccuper. Pour ce faire, la problématique de l'environnement
est devenue une préoccupation primordiale, la question étant
évoquée à toutes les rencontres internationales. Cette
tendance à l'internationalisation a été illustrée
en juin 1972, lorsque s'est tenue à Stockholm la conférence des
Nations-Unies sur l'environnement humain dont la devise est
14
« une seule terre » (C. RUSSEL et al.,
1971)11 et vingt ans plus tard à Rio de Janeiro en
1992. C'est à juste titre que Jean-Philippe
BARDE12 prône la coopération internationale
dans la préservation de l'écosystème.
Il fait remarquer que « la dimension internationale de
l'environnement n'est pas seulement affaire d'échange commerciaux, ...
L'environnement ne connaît pas de frontières : ... les ressources
de la planète, atmosphère, océans, ressources biologiques
constituent un patrimoine partagé que seule une gestion commune ou
coordonnée sur le plan international, pourra efficacement
préserver»13. Ainsi nous nous proposons d'analyser les
statistiques disponibles pour avoir une vision quantitative fiable de la
destruction de l'environnement de Hahotoé.
Ceci nous aidera à mieux comprendre l'impact de
l'exploitation des ressources naturelles sur l'environnement dans les pays en
développement en général et à Hahotoé en
particulier avec l'exploitation des phosphates. Toutes ces questions seront
examinées à travers le thème spécifique à
développer relatif à l'impact de l'exploitation des phosphates
sur l'environnement physique et humain à Hahotoé
HYPOTHESES DE TRAVAIL
Pour mieux appréhender la problématique
ci-dessus, nous partirons des hypothèses suivantes :
1 - l'exploitation des ressources naturelles dans les pays en
développement n'a guère contribué au développement
de ceux-ci ; pire, elle les a davantage appauvris en ce sens que la
dégradation de l'environnement doit être perçue comme la
dégradation subie par les systèmes écologiques qui
constituent l'habitacle de toute forme de vie sur cette planète ;
2 - l'exploitation des phosphates a créé dans la
zone d'étude une « politique de pauvreté de masse »
;
3 - la dégradation de l'environnement ou du milieu de
vie peut annihiler une hausse du niveau de vie et même entraîner
une réduction du bien-être global lorsque la nocivité de
11 «International Environmental Problems = A
Taxonomy»(Les problèmes d'environnement à l'échelle
internationale), extrait de Science, vol. CVXXII, 25 juin 1971 in Economie de
l'environnement sous la direction de Robert et Nancy DORFMAN, éditions
Calmann-Lévy, 1975.
12 Op. cité
13 In Chapitre XII : «Pollutions
transfrontières et pollutions globales» P. 342
15
cette dégradation apparaît supérieure.
Cette dégradation constitue une entrave à la réalisation
de trois (03) conditions essentielles pour les populations des zones
concernées :
· vivre longtemps et en bonne santé ;
· acquérir un savoir ;
· avoir accès aux ressources nécessaires afin
de jouir d'un niveau de vie convenable.
OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
En nous situant dans la perspective de la thèse,
l'objectif principal consistera à dégager et analyser l'impact de
l'exploitation des ressources naturelles sur l'environnement dans la zone UEMOA
en vue de susciter un besoin d'évaluation régionale des
politiques environnementales.
Comme objectifs spécifiques, il sera question de :
· évaluer l'impact de l'exploitation des
phosphates à Hahotoé sur l'environnement tant physique qu'humain
en faisant ressortir les divers déséquilibres
entraînés par ladite exploitation;
· faire le point sur l'évolution de
l'exploitation des phosphates à Hahotoé et ses
répercussions sur l'environnement ;
· répertorier les dommages environnementaux dus
à l'extraction des phosphates ;
· stimuler la prise de conscience sur la
dégradation de l'environnement ;
· identifier les problèmes sanitaires liés
à l'exploitation des phosphates ;
· relever les problèmes fonciers auxquels sont
soumis les populations de la zone d'exploitation ;
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RESULTATS ATTENDUS
Au terme de cette étude qui va déboucher sur la
thèse, on doit :
+ faire un état des lieux de l'exploitation des
ressources naturelles dans la zone de l'Union Economique et Monétaire
Ouest Africaine ;
+ analyser les conséquences de la dégradation de
l'environnement liée à l'exploitation des ressources naturelles
dans la zone UEMOA ;
+ dégager les similitudes et les divergences de gestion
de l'environnement dans cette zone ;
+ pouvoir incorporer la perspective écologique dans le
processus de planification sous régionale;
+ satisfaire les besoins sociaux fondamentaux comme les soins
médicaux élémentaires, une nutrition adéquate et
l'alphabétisation à partir des fonds générés
par l'exploitation des ressources minières notamment les phosphates ;
+ parvenir à une indemnisation effective prenant en
compte les besoins essentiels des populations vivant sur les sites
d'exploitation minière;
+ contribuer à ralentir voire freiner la
dégradation de l'environnement et à instaurer une politique de
reconstitution des terres ;
+ favoriser un reboisement de reconstitution ;
+ viser à accroître et pérenniser
rapidement les biens immatériels notamment les satisfactions collectives
à l'égard de l'environnement sous le double aspect des conditions
de vie qui expriment l'environnement social (enseignement, culture, soins de
santé...) et du milieu de vie qui traduit l'environnement physique des
populations.
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