Université Paris II Panthéon Assas Institut
des Hautes Études Internationales (IHEI)
Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la
Cour pénale internationale
2
Rapport de recherche dirigé par Mme Pascale
MARTIN-BIDOU pour l'obtention du certificat de recherche approfondie
(février 2012)
Pierre GIRAUD, Magistrat
3
L'Institut des hautes études internationales
n'entend ni approuver, ni désapprouver les opinions émises dans
ce rapport. Ces opinions sont considérées comme propres à
leurs auteurs.
4
SOMMAIRE
INTRODUCTION 5
PREMIERE PARTIE La consécration et
l'encadrement statutaires du
pouvoir discrétionnaire du Procureur
12
A) La reconnaissance d'un pouvoir discrétionnaire aux
stades de l'ouverture d'enquête et du
déclenchement des poursuites ..13
B) Les controverses liées au pouvoir
discrétionnaire 18
DEUXIÈME PARTIE Les contrôles et
garanties dans la mise en oeuvre du
pouvoir discrétionnaire du Procureur
28
A) Les garanties et contrôles internes au Bureau du
Procureur 29
B) Le contrôle judiciaire sur l'action
discrétionnaire du Procureur .36
CONCLUSION .40
BIBLIOGRAPHIE 42
5
INTRODUCTION
6
Le travail du Procureur a « sans aucun doute un effet
politique et nous le voyons tous les jours. Et là, le nouveau Procureur
va devoir trouver le juste équilibre ». Les propos tenus par M.
Christian WENAWESER, président sortant de l'assemblée des Etats
parties au Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale
illustrent les liens étroits qu'entretiennent la justice pénale
internationale et le politique, et plus particulièrement, la relation
qui lie le Procureur de la Cour pénale internationale aux acteurs
internationaux traditionnels que sont les Etats et les organisations
internationales. Dans ce discours, tenu à l'occasion de
l'élection de Mme Fatou BENSOUDA pour succéder au Procureur Luis
MORENO OCAMPO, le président de l'assemblée des Etats parties
évoque les effets politiques possibles des décisions du Procureur
sans induire pour autant que ses décisions sont
déterminées par des considérations d'ordre politique. La
politisation possible des décisions, et notamment des décisions
du Procureur, constitue néanmoins l'un des aspects de la justice
pénale internationale donnant le plus lieu à controverses. Cette
critique, tenace, est inhérente à l'essor même de la
justice pénale internationale.
L'histoire de la justice pénale internationale
révèle en effet la forte proximité qu'entretiennent
répression internationale et politique. C'est dans le contexte de
guerres au retentissement majeur et dans la recherche de moyens de
châtier les vaincus, que l'idée de justice pénale
internationale a trouvé ses premières concrétisations.
Ainsi, après la première guerre mondiale, les alliés ont
envisagé au titre des sanctions infligées à l'Allemagne,
la constitution d'un tribunal composé de cinq juges nommés par
les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Italie et le Japon pour juger
l'ex-Empereur d'Allemagne, Guilllaume II, mis en accusation par ces mêmes
puissances pour offense suprême contre la moralité et
l'autorité sacrée des traités1.
Cette première étape en vue de l'instauration
d'une juridiction pénale internationale montre que les origines de la
justice pénale internationale sont moins à rechercher dans la
volonté de promouvoir un droit international des droits de l'homme et
d'en garantir l'effectivité que dans la volonté de punir l'ennemi
et en quelque sorte, « de continuer la guerre par d'autres moyens
».
Les tribunaux militaires institués après la
seconde guerre mondiale s'inscrivaient dans
1 Article 227 du traité de Versailles.
Réfugié aux Pays-Bas, Guillaume II ne fut jamais livré aux
vainqueurs.
7
la même logique de règlement des conflits voulue
par les vainqueurs. Ainsi du tribunal militaire international de Nuremberg
crée par les accords de Londres du 8 août 1945 et du tribunal
international pour l'Extrême-Orient crée suite à la
déclaration du Général MacArthur, Commandant suprême
des forces alliées. Conformément au souhait des alliés,
ces premiers tribunaux internationaux n'étaient composés que de
membres issus des Etats victorieux à savoir, l'URSS, les Etats-Unis, la
France et le Royaume-Uni. Bien que non exemptes de tout grief en ce qui
concerne notamment la commission de crimes de guerre2, les
puissances alliées avaient exclu que la responsabilité
pénale de leurs propres dirigeants puisse être
recherchée.
De plus, les procès satisfaisaient peu aux standards du
procès équitable3, et ce notamment dans le domaine de
l'administration de la preuve. Les articles 19 et 21 des accords de Londres
stipulaient par exemple que « le Tribunal n'exigera pas que soit
rapportée la preuve des faits de notoriété publique, mais
les tiendra pour acquis. Il considère également comme preuves
authentiques, les documents et rapports officiels des gouvernements
alliés ».
Enfin, les libertés prises quant au respect du principe
fondamental du droit pénal de non-rétroactivité de la loi
pénale, tendaient également à renforcer l'idée que
la justice pénale internationale était moins mobilisée
comme institution destinée à prémunir contre l'arbitraire
et à promouvoir le respect de la règle de droit, que comme
instrument des vainqueurs. Ainsi, l'introduction du crime contre
l'humanité au sein des accords de Londres a eu pour effet de voir
reprocher aux accusés, la commission d'un crime qui n'avait pas
été défini et qui n'existait pas au moment où ils
avaient agi. Si l'idée qui a prévalu alors était de
pallier l'insuffisance de la notion de crime de guerre seule en vigueur et qui,
ne concernant que les actes commis sur des civils et militaires d'Etats ennemis
excluait de son champ, les actes commis par des Allemands sur des juifs
allemands, cette brèche dans la non- rétroactivité a pu
conforter les critiques contre la justice pénale internationale, justice
d'exception4.
Les premières juridictions pénales
internationales s'inscrivent donc davantage dans la volonté
2 Le massacre de Katyn avait été imputé
par les Soviétiques aux troupes allemandes jusqu'à la chute du
mur de Berlin où ils ont reconnu qu'il avait été commis
sur instruction de Staline.
3 L'article 19 des accords de Londres stipule que « le
tribunal ne sera pas lié par des règles techniques relatives
à l'administration des preuves. Il adoptera et appliquera autant que
possible, une procédure rapide et non formaliste et admettra tout moyen
qu'il estimera avoir une valeur probante ». 4Cependant,
l'incrimination de crimes contre l'humanité a été peu
retenue par le Tribunal de Nuremberg.
8
des vainqueurs d'étendre leur domination au plan
international que dans celle d'affirmer la prééminence du
droit.
Les juridictions internationales instituées plus
récemment ont pâti de la même suspicion
d'instrumentalisation par le politique mais force est de constater qu'elles ont
su aussi s'affirmer en tant que juridictions garantissant le respect des droits
de la défense.
Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
crée le 25 mai 19935 et le Tribunal pénal
international pour le Rwanda crée le 8 novembre 19946 ont
été institués sur résolution du Conseil de
sécurité de l'organisation des Nations Unies prises sur le
fondement du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, c'est-à-dire par
l'organe exécutif de l'ONU, agissant dans le cadre du règlement
des conflits. Ils ont pu être perçus comme un levier
actionné par les vainqueurs pour asseoir leur victoire fondant ainsi un
argumentaire facile aux accusés poursuivis devant elles. Ce fut, entre
autre, la stratégie de défense adoptée par le
Président Slobodan MILOSEVIC devant le Tribunal pénal
international pour l'ex-Yougoslavie, celui-ci refusant, lors de sa
première comparution devant le tribunal pénal le 3 juillet 2001
de répondre aux juges affirmant : « je considère que ce
tribunal est faux, que l'acte d'accusation est un acte erroné, sans
légitimité » et ajoutant « le but de ce tribunal n'est
autre que de justifier les crimes commis par l'OTAN en Yougoslavie ».
Cependant, tout autant le tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie que le tribunal pénal international pour le Rwanda ont
respecté les principes fondamentaux du procès pénal. Les
infractions dont ils ont été et sont encore amenés
à connaître ont été, par ailleurs
préalablement définies.
L'observation, sur le temps long, du
développement de la justice pénale internationale montre qu'elle
a connu un double mouvement de diversification et
d'approfondissement.
Diversification puisque la justice pénale
internationale est rendue selon des formes multiples. Par des juridictions
internationales mais aussi par des juridictions internes auxquelles sont
reconnues le cas échéant, une compétence universelle. En
1993 par exemple, la Belgique s'était doté d'une
législation accordant à ses juridictions, compétence
universelle pour juger
5 Résolutions 808 et 827 du Conseil de
sécurité. Le TPIY est compétent pour l'ensemble de
l'ex-Yougoslavie c'est-à-dire à la fois pour les conflits de
Croatie, de Bosnie et du Kosovo.
6 Résolution 955 du Conseil de sécurité
9
les auteurs présumés de crimes de guerre ou de
crimes contre l'humanité commis à l'étranger quelque soit
leur nationalité et celle des victimes7. Diversification
encore, car la justice pénale internationale peut également
être rendue par des juridictions mixtes, à l'instar des Chambres
extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens. Diversification enfin car la
justice rétributive traditionnelle a parfois été
délaissée au nom de la recherche de la restauration des liens,
c'est l'exemple des commissions vérités et
réconciliation.
Approfondissement de la justice pénale internationale
avec la Cour pénale internationale. La création de cette Cour
apporte en effet un bouleversement notable dans la manière dont la
justice pénale internationale s'est jusqu'à présent mise
en oeuvre.
Tirant les enseignements des lacunes dont ont souffert les
juridictions répressives internationales ayant
précédé la Cour pénale internationale, les Etats
présents à Rome pour l'élaboration de son
Statut8, ont crée une juridiction à vocation
universelle et non plus ad hoc. La Cour pénale n'a par ailleurs plus
rien d'une juridiction circonstancielle. Elle est permanente et sans
compétence rétroactive.
L'ancrage de la justice pénale internationale
interroge. Pourquoi les Etats s'en remettent-ils aux juges ? Pourquoi les chefs
d'Etat bénéficiant d'immunités traditionnellement
reconnues consentent-ils à devenir justiciables ? Sont-ils vraiment
seuls à l'initiative de l'abandon de leurs immunités ? Si la
justice pénale internationale s'est autant développée
c'est sans doute qu'elle est assise sur d'autres ressorts que celui de la
quête de puissance des Etats. L'avènement des droits de l'homme,
l'universalisme juridique ont favorisé son développement. Le
postulat réaliste qui prétend voir dans la justice pénale
internationale, la traduction d'un rapport de force au profit de ceux qui en
sont les instituteurs révèle non seulement la difficulté
à concevoir une justice qui dépasserait le cadre
étatique9 mais aussi l'incapacité à envisager
la justice de manière autonome.
7Cette législation avait notamment pour
objectif de juger les génocidaires rwandais. Le succès de la loi
expliqua son extension quelque soit la qualité officielle des personnes
mises en cause. La loi niait les conséquences attachées aux
immunités des chefs d'Etat et ministres des affaires
étrangères. Après l'arrêt Yerobia rendu par la Cour
internationale de justice en 1993 dans lequel celle-ci rappelait
l'opposabilité de ces immunités aux Etats, la Belgique a adouci
sa législation.
8 Le Statut de Rome est entré en vigueur le
1er juillet 2002 après sa ratification par 60 pays. A ce
jour, 120 Etats sont parties au Statut de Rome.
9V. notamment GARAPON (A), Des crimes qu'on ne
peut ni punir ni pardonner, pour une Justice internationale, Odile Jacob,
novembre 2002.
10
L'interpellation du Procureur général
américain au Tribunal militaire de Nuremberg, M.JACKSON évoque
cette justice au-dessus des Nations, l'idée d'un monde commun, d'une
justice post-conflit chargée de sauvegarder une communauté de
valeurs :
« Que quatre grands pays exaltés par leur victoire
et profondément blessés, arrêtent les mains vengeresses et
livrent volontairement leurs ennemis captifs au jugement de la Loi est un des
plus grands tributs que la Force payât jamais à la Raison
[É] Nous ne devons jamais oublier que les gestes sur lesquels nous
fondons aujourd'hui notre jugement contre ces défendeurs sont ceux sur
lesquels l'histoire nous jugera demain. Offrir à ces accusés une
coupe empoisonnée est aussi porter cette coupe à nos
lèvres. Nous devons appliquer à la tâche qui nous attend un
tel détachement et une telle intégrité intellectuelle que
ce procès passera à la postérité comme étant
la réalisation des aspirations de l'humanité à la justice
».
Alors que l'année 2011 a été une
année où l'actualité de la Cour pénale
internationale a connu une réelle importance : élections d'un
nouveau Procureur et de six nouveaux juges, ouverture de deux nouvelles
enquêtes concernant les situations en Libye et en Côte d'Ivoire,
les critiques restent encore pregnantes. C'est moins la Cour en
général et donc le principe de justice pénale
internationale qui sont critiqués que les décisions rendues par
les organes de la Cour et singulièrement par le Procureur. Le Procureur
est en effet l'un des organes incontournables et fondamentaux de la Cour. Au
regard des prérogatives qui lui sont confiées, son action
conditionne l'existence du procès international. Il suscite en
conséquence de nombreuses attentes et, corollaire, déceptions.
Que juger ? Qui juger ? La marge d'appréciation que lui ont reconnu les
Etats parties, la manière dont le Procureur de la Cour pénale
internationale élabore ses choix en matière d'enquête et de
poursuites ou encore les garanties qu'il présente en matière
d'impartialité constituent le siège des objections.
L'examen des dispositions statutaires montre que le Procureur
dispose d'un large pouvoir d'appréciation à l'occasion de deux
stades procéduraux fondamentaux : l'enquête et les poursuites. Ce
pouvoir peut d'ailleurs être qualifié de pouvoir
discrétionnaire. L'octroi de celui-ci tend à confirmer ce
mouvement vers l'autonomisation du judiciaire dans l'ordre
11
international (I). Il suscite des reproches, alors qu'il est
malgré tout encadré par l'existence de garanties internes au
Bureau du Procureur et par l'existence d'un contrôle judiciaire (II).
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