1.4 - Le repli sur la sphère intime
« Des sociologues tels que Norbert Elias et Richard
Sennett décrivent que ce mouvement d'industrialisation de la
société s'est accompagné d'un lent surinvestissement dans
la sphère privée et le retrait progressif de la sphère
publique. »77 Ce désinvestissement de la sphère publique se
serait réalisé au début du XIXème siècle au
profit de la famille du fait de la réduction des espaces publiques de
sociabilité comme les spectacles par exemple78. Patrice
Flichy, Professeur de sociologie à l'université de
Marne-la-Vallée et directeur de la revue Réseaux explique ce qui
a pu se jouer d'un point de vue médiatique durant cette période :
« [...] La fin du XIXe siècle verra ainsi le déclin des
spectacles collectifs. Dans le même temps, les divertissements à
domicile connaîtront un remarquable essor. Il est donc tentant de voir
dans la privatisation et l'individualisation les deux clés permettant de
comprendre l'évolution des modes de divertissement et d'échange
interpersonnel depuis cent cinquante ans. Disparition des spectacles collectifs
et développement d'une consommation privée dans les espaces
domestiques d'une part ; réception des spectacles toujours plus
individuelle d'autre part. Chacune de ces deux évolutions est autonome.
La première correspond à une lente érosion des lieux
collectifs et à un repli sur le « home ». Quant à
l'individualisation, elle se manifeste aussi bien dans les lieux collectifs que
dans l'espace privé79.» A travers l'exemple des
spectacles collectifs, nous pouvons mieux comprendre comment la
société médiatique moderne, dans son développement,
a contribué à replier les individus sur leur sphère
intime.
1.5 - Individualisme et recentrage sur la famille
D'après Stéfana Broadbent, les sociologues ne
sont pas unanimes pour déterminer l'origine de l'individualisme qui a
accompagné l'évolution industrielle, pour savoir notamment si
elle en est la cause ou s'il en est la conséquence, mais en revanche
selon l'auteure : « il existe un certain consensus concernant le fait que
les familles se sont développées jusqu'à devenir la
principale source de solidarité et de
77 In : Broadbent S. , l'intimité au
travail : la vie privée et les communications interpersonnelles dans
l'entreprise , France : FYP éditions, 2011, p.94.
78 Ibid. p. 95.
79 Flichy P. , « Les communications de
l'intimité », Sciences Humaines, n°140, Juillet
2003.
39
soutien émotionnel, au détriment d'arènes
sociales plus larges. »80 Ainsi durant toute cette
période, progressivement jusqu'à nos jours, la famille serait
devenue l'espace de sociabilité le plus réconfortant dans une
société où « l'individu est considéré
comme unité de référence fondamentale, pour lui-même
et pour la société81. »
Au travers ces lectures, nous voyons donc qu'historiquement,
le travail cherche à isoler l'individu de ses préoccupations
extérieures dans un objectif de production optimale. Le retrait
progressif des espaces de sociabilité collectifs aurait entrainé
un surinvestissement de la vie privée et qu'en outre, la
société aurait vu se développer une forme d'individualisme
et une primauté de la famille. Dès lors nous pouvons nous
interroger sur la manière dont ce recentrage sur la vie privée
est concilié avec le travail et nous pouvons faire le lien avec
l'étude de Corinne Martin sur le rôle de réassurance
centré sur la famille joué par le portable pendant le travail.
D'autant que les organisations du travail ont encouragé
ce phénomène d'individualisation, en donnant moins de place au
collectif dans les organisations82. Cela se retrouve au travers des
horaires, des salaires ou encore de la protection sociale et de la gestion
individuelle des carrières comme l'explique Michel Lallement dans son
ouvrage Le travail sous tension.83
|