8 - LE RAPPORT AU PORTABLE
Selon une approche de Gérald Gaglio,
l'équipement en téléphone portable « procède
à la fois d'une dynamique relationnelle, et normative40.
» Pour comprendre le rapport qui lie l'Homme à son portable, nous
allons dégager les logiques d'usage de cet outil de communication
moderne et évolutif.
8.1 - Le portable, un objet rassurant
A travers le rapport que l'Homme entretien avec son portable,
Serge Tisseron41 pointe la transformation de la relation
d'attachement. Comparant l'objet à « une sorte de cordon ombilical
qui permet de garder à tout moment un contact privilégié
avec ceux dont on se trouve provisoirement éloigné. Le portable
modifiant la relation que nous entretenons avec nous-mêmes en
écartant le spectre de la solitude et de l'abandon puisque cette
solitude peut-être rompue à tout moment par notre simple
désir d'appeler l'autre. Allant jusqu'à comparer le portable
à un objet transitionnel "sorte d'ours en peluche" capable pour certains
d'échapper à l'angoisse de l'abandon par sa seule présence
: poser sa main sur lui, comme sur un être cher rassure ». Ces
notions permettent d'éclairer les raisons pour lesquelles les
utilisateurs et le personnel soignant dans le cas qui nous intéresse
garde son téléphone portable durant le travail. Garder le lien
avec la famille, les amis et pouvoir être en interaction avec eux si
nécessaire et à tout moment rassure. Ce rôle apaisant peut
avoir un intérêt positif pour le personnel en levant des
préoccupations d'ordre privé durant les heures qu'ils doivent
consacrer à leur exercice professionnel. L'entrée de ce nouvel
outil de communication dans les murs de l'hôpital peut-être alors
perçu comme un réel facteur de " mieux-être " au travail.
Un "soldeur de stress" comme l'évoque également Corinne Martin
dans « le téléphone portable et nous »: « Si le
portable peut parfois être source de nouveau stress, en ce qu'il
39 Op. Cit. Martin C. 2007, p. 81.
40 Gaglio G. , « La dynamique des normes de
consommation : le cas de l'avènement de la téléphonie
mobile en France », La Découverte, Revue Française de
Socio-Économie, n° 2, 2008/2, p. 181-198.
41 Serge TISSERON, L'intimité
surexposée, Paris : Ramsay, 2001. pp. 59-62.
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favorise la montée de l'urgence, avec le besoin
d'être connecté en permanence, il va se révéler ici
au contraire un véritable soldeur de stress42 . » Elle
le définit alors « comme un objet de réassurance qui permet
de répondre à l'urgence dans des situations imprévues de
la vie quotidienne » tandis que « Francis Jauréguiberry (2003)
empreinte lui aussi la notion d'objet transitionnel initialement
développée par Winnicott (1975) attribuant au portable la
capacité de rassurer et de permettre de lutter contre la
séparation et l'absence » 43. D'après
l'enquête menée par Corinne Martin44 la
réassurance constituerait le premier motif d'équipement des
utilisateurs et permettrait tout à la fois de se rassurer soit
même en se prémunissant de devoir affronter seul une situation
grave ou dangereuse mais aussi vis-à-vis de son propre réseau
familial qui a ainsi la possibilité d'informer en temps réel des
évènements vécus. Elle souligne combien cela permet de
réduire « la charge affective liée aux
évènements ». Nous pouvons supposer que la libération
de cette charge affective permet là encore de mieux se concentrer
ensuite sur l'exécution du travail et d'accorder à la personne
soignée une écoute plus attentive et disponible. Le sentiment de
sécurité est également mis en avant dans cette
étude face aux risques liés aux déplacements automobiles
par exemple. Cet aspect rassurant du portable conduit son utilisateur à
un usage routinier d'avoir en permanence le portable avec lui, telle la «
conjuration préventive »45d'un danger.
L'utilisation du téléphone portable permet la
gestion des affaires familiales courantes et C. Martin lui attribue le terme
« d'outil de micro-coordination familiale »46. Les membres
d'une famille vivent chacun leurs activités quotidiennes de leur
côté et le portable permet alors de réaliser des
ajustements sur l'intendance familiale. Qu'il s'agisse de gérer les
enfants à la sortie des cours ou des affaires domestiques de la maison
en se répartissant les rôles entre conjoints, il contribue
à garder le lien, à rester connecté par le biais d'appels
plutôt courts.47 Là encore il joue son rôle de
réassurance par la « médiatisation des relations
éducatives parents/enfants. »
42 Op. Cit. Martin C. 2007, p. 24.
43 In : Martin C., Le téléphone
portable et nous. En famille, entre amis, au travail, Paris : L'Harmattan,
2007. p. 25.
44 Ibid. p.26.
45 Ibid. p. 27.
46 Ibid. P. 47, p.76.
47 Ibid. p.50.
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