3.3.2- L'importance de la rencontre
Au-delà de la parole, il s'agit de souligner
l'importance de la rencontre. Nous avons mentionné le contact existant
entre l'individu et le dispositif technique. Le web-documentaire vis
également à mettre au coeur de sa démarche le contact avec
les témoins. D'autant plus que le dialogue est essentiel dans le
processus d'apprentissage. Il y a un dialogue dans le sens où
l'internaute, lorsqu'il entend le récit, peut compléter le
discours par les informations disponibles sur le web-documentaire. Jean
Davallon développe dans son article Le musée est-il vraiment
un média ?141, l'idée selon laquelle le savoir
s'efface pour faire place à la rencontre dans la muséologie
d'objets. Tout est fait
139 BARTHES, Rolland, L'écriture de
l'évènement, in Communications, 12, 1968, pp. 108-112
140 Ibid
141 DAVALLON, Jean, Le musée est-il vraiment un
média ? In Publics et Musées, n°2, 1992, pp. 99-123
pour générer moins un rapport cognitif qu'une
rencontre avec l'objet. La rencontre est primordiale pour établir le
lien avec le passé. Dans le web-documentaire Indépendances
Chacha, l'absence de témoignages engagent une relation au savoir
intemporelle. Dans d'autres web-documentaires historiques, la manière
dont sont filmées les interviews permettent à l'internaute de se
trouver face au témoin. Comme dans toute rencontre, le témoin est
présenté à l'internaute. Diverses possibilités
existent. Dans le web-documentaire Berlin 1989, souvenirs d'un monde
d'hier, les témoins sont présentés de manière
très brève. L'information principale est son statut et son
rôle au moment de la période évoquée. La nuit
oubliée propose une présentation plus large du
témoin. Toute présentation est néanmoins le signe d'une
rencontre plus ou moins intime, plus ou moins longue. L'enjeu de l'internaute
est de rencontrer le témoin qui lui sera soit le plus sympathique, soit
le plus descriptif etc. Célia, dans son parcours de
lecture142, s'est arrêtée sur le couple de personnes
âgées car il lui paraissait distrayant et touchant. Ces
réactions amusées en témoignent. Ces rencontres sont le
socle du rapport à la connaissance et la vérité
historique. Ces témoins font ofice de preuves vivantes
de l'évènement.
3.3.3-Peut on oublier cependant la figure de l'historien ou
du professeur ? L'analyse est elle déterminante dans la constitution
d'une mémoire collective ?
« Ce n'est pas avec des histoires que l'on peut
construire l'histoire »143. Marc Ferro cite cette phrase de F.
Braudel pour signifier que bien qu'il soit nécessaire de convoquer
toutes les mémoires, la seule « juxtaposition de ces discours
»144ne sufit pas à fonder une
analyse. Reconstituer diffère de reconstruire. Si nous devions
distinguer le web-documentaire historique selon ces deux termes, nous serions
tentés d'y accoler le terme "reconstitution". En effet, la
majorité des web-documentaires historiques ne proposent pas une analyse
d'une période ou d'un événement. Ils proposent simplement
des documents, des contenus à valeur historique qui servent la
connaissance. L'absence d'historiens est le signe de cette prise de position.
Il n'est étonnant de souligner que le webdoc sur François Duprat
et l'extrême droite française propose des analyses de journalistes
et d'historiens car il s'agit d'une création réalisée par
un historien. La petite histoire n'a pas sa place. Nous pouvons même
poser la question de la possibilité de coexistence entre l'Histoire et
les histoires. Des documentaires tels que La nuit oubliée sépare
( thématiquement et graphiquement ) les témoignages et les
explications historiques.
Toutefois le web-documentaire historique est un moyen de
renouveler cette hiérarchie entre le savoir dogmatique et le savoir du
témoin. Henri Atlan et Edgar Morin s'interrogent à ce propos :
« Mais revenons aux sciences humaines : il existe,
là aussi, une espèce d'idéal scientifique, celui de
l'objectivité et de la soumission au fait. Idéal certes plus
dificile à réaliser que dans le cas de la physique. Mais que se
passerait-il si cet idéal scientifique pouvait être atteint dans
le domaine de l'histoire ? Cela voudrait dire que l'on devrait renoncer, une
fois pour toutes, à une théorie historique globale dotée
d'une capacité explicative large pour restreindre à des
explicatifs locaux
142 Annexe 23
143 Citation de Fernand Braudel
144 FERRO, Marc, Les oublis de l'histoire, op cit.
pour rendre compte de ces collections de faits. Dans ce
cas-lé, évidemment, on ferait sauter le caractère mythique
des travaux historiques. Mais la question alors se poserait de savoir s'il
serait encore possible de régénérer ces
évènements dans la mémoire. Je pense que non. Si ces
évènements historiques n'étaient qu'objets de science
historique idéale, une science historique elle-même non
traversée de mythes, ils seraient confinés dans la connaissance
érudite, celle du "vrai scientifique" et ne pourraient plus jouer aucun
rôle fondateur dans la société. La Révolution
française n'exciterait plus personne, il ne serait même pas
question de commémoration »145
Les petites histoires sont alors essentielles pour refonder la
mémoire collective car chaque témoin apportera sa pierre à
l'édifice commémoratif. L'histoire et la mémoire sont des
enjeux collectifs qui se construisent collectivement.
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