UNIVERSITÉ DE PARIS IV - SORBONNE
CELSA
École des hautes études en sciences de
l'information et de la communication
MASTER 1ère année
Mention : Information et
Communication Spécialité : Communication et Médias
« L'HISTOIRE Á L'HEURE DU MULTIMEDIA : LES
ENJEUX DU WEB-DOCUMENTAIRE
HISTORIQUE »
Préparé sous la direction du Professeur
Véronique RICHARD
Lavigne Joffrey
Promotion : 2011-2012
Option : Communication et Médias
Soutenu le :
Note du mémoire :
Mention :
Remerciements
Je tiens à remercier chaleureusement et respectueusement
Madame Jacqueline Chervin, tutrice de ce travail de recherche, ainsi que
l'ensemble des personnes qui ont eu la patience de participer aux
enquêtes d'observation. Je remercie tout particulièrement Mrs
Pierre Olivier François et François Le Gall qui ont
l'amabilité de répondre à différentes questions au
cours des entretiens menés dans le cadre de notre travail.
2.2- La traçabilité de la lecture et de
l'écriture : comment le web documentaire se donne à voir au
Table des matières
Introduction 4
Partie 1 - Les enjeux et les promesses du
web-documentaire historique 13
1.1- Histoire et formes du web-documentaire historique : au
coeur de l'imaginaire de l'innovation.
13
1.1.1- Emergence et évolution du web-documentaire
historique 13
1.1.2- Le web-documentaire, nouveau paradis de la création
médiatique ? 16
1.1.3- Y a-t-il une forme canonique du web-documentaire
historique ? 17
1.1.3.1- Le corpus de web-documentaires historiques : la
typologie 18
1.1.3.2- L'étude de cas : les fresques hypermédia
de l'Ina .21
1.2- Délinéariser le récit ou la
volonté d'impacter le discours traditionnel du documentaire
historique 22
1.2.1- Une volonté de rupture partagée par tous les
professionnels ? 23
1.2.2- Une rupture exigée par les logiques
intrinsèques d'internet 24
1.2.3.1- Le signe passeur : à l'origine de la
déconstruction de la lecture 25
1.2.3.2- La polyphonie énonciative inhérente aux
logiques internet est utilisée comme un
moyen de multiplier les entrées possibles dans le texte
25 1.2.3.3- La question de l'intermédialité : le
web-documentaire historique en est il une
conséquence ou un précurseur ? 26 1.2.3- Comment
est matérialisée cette déconstruction de la narration? La
question du rapport
entre le texte et l'image 27
1.2.3.1- Le pouvoir et le rôle de l'image et du texte dans
notre civilisation 27
1.2.3.2- Peut on parler de nouveau rapport de force entre texte
et image au sein du web-
documentaire historique ? 28
1.2.3.3- En quoi ces modifications impactent la construction d'un
récepteur type ? 29
1.3- L'expérience interactive du webdoc ou la promesse de
penser l'usage 30
1.3.1- Le web documentaire et la théorie de l'oeuvre
ouverte d'Umberto Eco 30
1.3.1.1- Un champ des possibilités ouvert 31
1.3.1.2- Le web-documentaire et l'improbabilité 31
1.3.2- La fin de l'opposition lecteur passif - lecteur actif ?
32
1.3.2.1- La dualité actif-passif dans les médias
32
1.3.2.2- Penser l'interactivité c'est aussi penser l'usage
: la figure de l'interacteur 33
1.3.2.3- Le webdoc historique s'inscrit-il dans une réelle
démarche interactive ? 34
1.2.3- Quelle est la nature de cette interactivité ?
35
1.2.3.1- L'interactivité du geste : la pensée du
clic 35
1.2.3.3- L'interactivité intellectuelle 36
Partie 2- Le webdoc historique bouleverse t-il nos
pratiques médiatiques ? 37
2.1- La place de l'internaute au sein du dispositif 38
2.1.1- La manipulation des web documentaires : l'internaute doit
prendre place 38
2.1.2- L'appropriation du web documentaire par les internautes
40
2.1.3- Enonciation éditoriale dans le web doc : quel
rôle est amené à jouer l'internaute ? 41
2.1.4- Quelles sont les stratégies de lecture des
internautes ? 43
lecteur dans l'optique de définir ce dernier 45
2.2.1- L'importance des balises et repères :
l'internaute est sur un sentier balisé plus ou moins
directif. 46
2.2.2- La mise en transparence, en visibilité des moyens
de production du savoir 47
2.2.3- la traçabilité du parcours de l'internaute
et de son action sur la page web 48
2.3- L'internaute est pensé et valorisé comme un
explorateur : résponsabilité cognitive 49
2.3.1- Le web-documentaire historique et l'écrit en
strates 49
2.3.2- L'imaginaire du voyage : explorateur technique et
explorateur du sens 50
2.3.3- Une exploration vers l'inconnu ? 51
Partie 3- Le web-documentaire historique : quel impact
sur la mémoire collective et sur la
transmission du savoir ? 53
3.1- Le web-documentaire historique, un média du souvenir
53
3.1.1- L'histoire dans la société et dans les
médias : l'objectif, c'est l'avenir. 53
3.1.2- L'apologie de l'évènementiel et de la
commémoration dans les médias 54
3.1.3- Le rôle de l'image dans l'élaboration du
souvenir 55
3.1.4- Le web documentaire et la mémoire individuelle,
quel impact direct ? 57
3.2- Le web-documentaire peut il nous enseigner l'Histoire ?
58
3.2.1- Les attributs d'un média : quel tâche incombe
au web-documentaire historique ? 58
3.2.2- Quelle place pour le web-documentaire dans la
classification ? 59
3.2.3- La structure même d'un webdoc historique stimule
t-elle l'apprentissage ? 60
3.3- La valorisation de l'expérience humaine et du
témoignage permet une incarnation plus forte
de l'évènement 62 3.3.1- Retour à la
parole alors que l'écriture recule : la parole construit
l'évènement, le texte
l'accompagne 62
3.3.2- L'importance de la rencontre 63
3.3.3-Peut on oublier cependant la figure de l'historien ou du
professeur ? L'analyse est elle
déterminante dans la constitution d'une mémoire
collective ? 63
3.3.4- Le web-documentaire est-il au coeur d'une
expérience collective ? 64
Conclusion 67
Bibliographie 68
Annexes 70
Résumé du mémoire 138
Les mots clé du mémoire 139
Introduction
« Récente ou plus ancienne,
l'Histoire dans le documentaire bénéficie d'un traitement
spécifique ; le "document" permettant de faire oeuvre de mémoire,
constituant une des matières premières les plus répandues
du genre. » C'est en ces termes que Nicolas Bole, dans un
article1 extrait de son blog, explicite le rapport particulier qui
se joue entre l'Histoire et le documentaire. Il poursuit sa remarque en
avançant que c'est « naturellement » que le
web-documentaire s'est « saisi de cette thématique »
soit, en l'occurrence, l'Histoire. Avant d'approfondir, il semble
nécessaire de préciser que nous opterons au cours de ce
développement pour l'orthographe "web-documentaire". Il s'agit d'un
néologisme qui associe un "médium" - le web - et un genre
cinématographique - le documentaire -. Une telle précision, en
apparence futile, est nécessaire tant l'orthographe du terme
diffère selon les sources. Ces divergences orthographiques sont
signifiantes à plus d'un titre. Elles révèlent notamment
la profonde confusion, autour de ce genre médiatique, qui règne
tant chez les internautes que parmi les professionnels de l'audiovisuel
incapables de s'accorder sur une définition. L'absence de consensus se
traduit ainsi par une certaine liberté quant à la nomenclature
adoptée. Au-delà de ces considération linguistique, le
manque de définition précise et consensuelle dont souffre le
genre web-documentaire impacte également notre travail de recherche. En
effet, le choix du corpus repose en partie sur cette définition.
Néanmoins, ce brouillard sémantique est aussi une richesse et un
enjeu essentiel dans l'optique de l'analyse que nous mènerons. D'autant
plus qu'une telle confusion est relativement normale voire prévisible.
Le web-documentaire est un dispositif médiatique qui, semble t-il, a
émergé à l'aube des années 2000. Nombreux sont les
professionnels incapables de mettre le doigt sur le moment où le
web-documentaire a vu le jour. D'autres, tels que François Le
Gall2, considèrent que le genre est né par
étapes successives :
« Il y a pour moi 3 moments-clés dans la
naissance du genre "web-documentaire" :
1. les premiers pas de Brian Storm aux USA avec des
productions documentaires commandées et produites pour le web (mais non
interactives). C'était en 2002/2003 de mémoire, c'est la
naissance de MediaStorm.
2. les 1ères expérimentations d'Upian avec
La Cité des Mortes puis Thanatorama : des oeuvres multimédias
à part entières, avec une vraie narration documentaire.
3. Voyage au bout du charbon qui a propulsé le
genre en Une du Monde et donc touché pour la première fois une
audience grand public, tout en introduisant la dimension ludique
1 BOLE, Nicolas, « L'actu du webdocu et des narrations web
#11 : le traitement de l'histoire dans le webdoc » Publié le 09
avril 2012 dans le blog documentaire.
http://cinemadocumentaire.wordpress.com/2012/04/09/lactu-du-webdocu-11-du-traitement-de-lhistoire/
2 LE GALL, François, producteur nouveaux médias
au sein de la société Caméra Talk Productions.
Entretien réalisé au mois de mars 2012.
(histoire dont vous êtes le héros)
»
De quelques avis qu'ils soient, l'ensemble des professionnels
s'accordent à dire qu'il s'agit d'un genre innovant. «
Innovation : Toujours dangereuse »3. Dès le XIX
ème siècle l'on se méfiait, selon le dictionnaire des
idées reçues de Gustave Flaubert, de ce que l'on qualifiait
d'innovant. Néanmoins, avant de se hâter de parler de
péril, nous nous devons d'interroger le web-documentaire à la
lumière du terme ''innovation''. En quoi ce genre médiatique est
réellement innovant ? Cette question sera au coeur de notre
réflexion puisque nous focaliserons notre travail de recherche sur
l'impact de ce genre médiatique sur les formes narratives du
documentaire, sur les pratiques sociales des individus devant un documentaire
et notamment sur le rapport au savoir et la transmission de se savoir. Si le
web-documentaire se révèle être une innovation
réelle et eficiente dans le champ médiatique,
alors il est nécessaire d'analyser et de saisir les enjeux sociaux et
médiatiques que cette innovation entraîne. Le philosophe et
historien de l'art Pierre Francastel a développé tout au long de
ses ouvrages une théorie qui place l'oeuvre d'art dans la
société pensée comme un paradigme. Selon lui, toute oeuvre
artistique pouvait, de manière légitime, se prévaloir
d'une « fonction sociale ». Nous pensons que cette pensée peut
s'ouvrir aux médias. Or dans l'optique d'une recherche sur les rapports
entre le web-documentaire et la transmission du savoir, la notion de «
fonction sociale » est primordiale. Dès 1995, Jean-Noe l Dibie met
en exergue les mutations des pratiques sociales que vont générer
les nouveaux médias. Qu'il s'agisse du monde du travail ou du rapport
aux connaissances, l'ère du multimédia va bouleverser les
comportements et les habitudes des consommateurs de médias. L'extrait de
l'article publié dans la revue Communication et langages,
Jean-Noe l Dibie explicite son hypothèse quant à l'impact des
nouveaux médias sur le rapport à la connaissance des
individus.
« Si traditionnellement les
télécommunications étaient un moyen de communication
bilatéral interactif et la télévision un moyen de
communication passif et collectif, tout laisse croire qu'il va rapidement en
être différemment. L'ère du ''multimédia'', que je
préfère appeler pluri-média, par opposition aux
monomédias que sont le livre, la presse, la télévision,
les support préenregistrés (cassettes, CD-ROM, CDI), devrait
profondément modifier les habitudes d'acquisition des
connaissances.
De passif, le ''téléspectateur'' va devenir
actif ; déjà, il doit choisir entre plusieurs programmes et
demain, ce sera entre plusieurs dizaines, si ce n'est centaines, d'offres
d'images animées. »4
Sans souscrire à l'ensemble du propos cité
ci-dessus, il n'en reste pas moins que l'auteur a le mérite d'aborder la
question des conséquences sociales des mutations médiatiques
actuelles dès le milieu des années 1990. L'actuel travail de
recherche vise précisément à mesurer et analyser l'ampleur
des modifications - si modifications il y a - qu'un exemple de dispositif
multimédia a engendré sur l'acquisition d'un savoir.
Avant de poursuivre cette introduction, nous pensons le moment
opportun d'émettre une réserve quant à la profonde
ambition de ce travail de recherche. Les propos de François Le Gall nous
serviront de point d'appui à cette réserve. Lorsqu'il
évoque la troisième étape primordiale du
développement et de l'émergence du web-documentaire, il cite le
programme ''Voyage au bout du
3 FLAUBERT, Gustave, Dictionnaire des idées reçues,
Edition du Boucher, pdf :
http://www.leboucher.com/pdf/flaubert/b_fla_di.pdf
4 DIBIE, Jean-Noël, « L'impact des nouveaux
médias » in Communication et langage, N°103, 1995,
p.110-112
charbon" qui a été « propulsé en
Une du Monde et donc a touché pour la première fois une audience
grand public »5. Nous pouvons nous demander, à
juste titre, si parler d'audience grand public est justifié dans ce cas.
Certes ce web-documentaire sur l'exploitation minière en Chine a eu un
impact médiatique relativement important au regard des autres
productions médiatiques du même genre. Néanmoins le
web-documentaire de Samuel Bollendorff et d'Abel Ségrétin reste
une exception d'audience. Dans un entretien, le producteur du web-documentaire,
Arnaud Dressen, livre quelques chiffres concernant la diffusion :
« Voyage au bout du charbon [a atteint]plus de
200.000 visites grâce à un phénomène de longue
traine. Mais le plus marquant, c'est la durée de visionnage qui
s'est située au-dessus des 10 minutes, ce qui constitue un excellent
résultat pour nous, surtout si l'on considère que les internautes
sont encore peu habitués à consulter ce type de programme sur
internet.6 »
Ces résultats marquent une véritable
réussite de ce web-documentaire. Néanmoins, peu de production
médiatique pluri-média peuvent se targuer d'un tel succès.
Par ailleurs, ce dernier reste à nuancer au regard des audiences
télévisées (d'autant plus que les programmes
télévisés ont une durée de vie plus courte que les
web-documentaires, bien que cela évolue avec les dispositifs de replay).
Loin de nous l'idée de dénigrer le succès de
web-documentaire, nous souhaitons simplement souligner le fait qu'un tel genre
médiatique est encore discret - pour ne pas employer le terme anonyme.
Les enquêtes d'observation réalisées davantage
auprès d'une population issue de la génération dite «
y » démontrent que beaucoup d'individus ignorent encore l'existence
ou la réalité du web-documentaire et notamment du
web-documentaire historique. Il est donc nécessaire d'éviter de
tomber dans le piège de la pensée de l'évidence, du fait
d'une forte implication dans le travail de recherche. Cette
honnêteté intellectuelle est d'autant plus cruciale que nous
souhaitons développer une réflexion qui se focalise en partie sur
les pratiques sociales impliquées par l'expérience
pluri-média.
L'axe innovation - fonction sociale est donc bien celui autour
duquel s'articule la problématique de ce travail de recherche. Cette
base de réflexion et ce choix de sujet s'explique en grande partie par
une profonde croyance en la mission d'éducation et de
démocratisation de l'accès à la connaissance qu'incarnent
les médias. Cette croyance s'inscrit par ailleurs dans l'idéal
porté par John Reith, directeur général de la BBC entre
1927 et 1936, qui consiste à voir dans les médias une triple
fonction : éduquer, informer, distraire. Qu'en est il aujourd'hui ? Quel
rôle le web-documentaire peut il être amené à jouer
dans cette optique de transmission des connaissances ?
Une telle interrogation nous guide vers d'autres sentiers et
en particulier celui du paradoxe sur lequel se fondent le dispositif du
web-documentaire et l'imaginaire qu'il suscite. Le paradoxe en question
réside en la tension entre les promesses ou les discours autour de ce
genre médiatique et la réalité du dispositif du
web-documentaire. Nous avons aborder précédemment la question de
l'innovation à laquelle le web-documentaire est intimement lié.
Néanmoins, en quoi ce dispositif médiatique est innovant ?
L'innovation de ce dispositif ne réside ni dans le média lui
même, puisqu'il s'agit avant toute chose d'un site internet, ni dans la
nature du contenu. En effet, il y a une
5 LE GALL, François, Entretien réalisé au
cours du mois de mars 2012.
6 BOLE, Nicolas, « Webdocu : entretien avec Arnaud Dressen
(Honkytonk), publié le 25 janvier 2012.
http://cinemadocumentaire.wordpress.com/2012/01/25/webdocu-entretien-avec-arnaud-dressen-honkytonk/
mobilisation de contenus de nature diverse certes, mais en
aucun cas innovants. Certains professionnels parlent même
d'hybridité. Concevoir le web-documentaire comme un objet hybride est
une idée rejetée par Jürgen E. Müller dans un article
publié dans la revue Métamorphoses. Selon cet auteur, le
terme "hybride", trop souvent utilisé, court le risque d'être
dilué d'autant plus que Jürgen E. Müller dénonce un
concept un peu « statique »7. Il
préfère utiliser le terme d'intermédialité qu'il
présente comme un concept-clef des études culturelles et
littéraires. Bien que lui même reconnaisse que « les
médias audiovisuels et digitaux avec leurs interactions complexes sont
négligés »8 dans l'utilisation de ce
concept, il estime que ce dernier est doté d'un
véritable potentiel pour aborder la « matérialité
des médias, et, en même temps, les interactions entre ces
matérialités »9. Afin de poser les bases
d'une réflexion sur les liens entre intermédialité et
web-documentaire - que nous aborderons de manière plus précise
dans le développement -, nous citerons la définition
proposée par ce même auteur en 2000 dans l'un de ses ouvrages :
Selon cette définition, l'intermédialité
se fonde sur le « fait qu'un média recèle en soi des
structures et des possibilités d'un ou plusieurs autres médias et
qu'il intègre à son propre contexte des questions, des concepts
et des principes qui se sont développés au cours de l'histoire
sociale et technologique des médias et de l'art figuratif occidental.
»
Le web-documentaire s'inscrit dans cette lignée. Il
pousse d'ailleurs cette logique au-delà de ses limites en proposant
parfois une richesse de contenus et logiques médiatiques au sein de son
dispositif. Bien qu'il utilise des formes médiatiques
préexistantes, ce qui nous a amené à penser
l'intermédialité, le dispositif web-documentaire est
appréhendé comme une source intarissable de création,
d'imagination et d'innovation. Cette promesse d'innovation réside dans
la définition d'un nouveau contrat de lecture avec l'internaute
vis-à-vis du genre documentaire et dans la volonté de construire
un nouveau rapport à la connaissance. En cela repose notre
première hypothèse qui consiste à penser que les
professionnels de l'audiovisuel proposent, par le biais du web-documentaire,
une expérience médiatique inédite fondée sur une
remise en cause des formes de narration traditionnelles mais que cette promesse
est confronté à deux contraintes majeures. D'une part, nous
pensons que c'est précisément sur l'absence de clarté et
d'un consensus autour de la définition et de la forme même du
web-documentaire que repose la force créative de ce dispositif et donc
de la promesse d'une expérience sensorielle et intellectuelle nouvelle.
Au cours des analyses de discours de professionnels notamment, nous avons pris
conscience du réel danger qui pèse sur ce dispositif
médiatique. Certes le danger est relatif puisqu'il s'agit d'une
période d'expérimentations. Néanmoins, certains
journalistes et producteurs estiment que la logique du développement du
web-documentaire ne doit ni ne peut se construire sur une démarche
d'innovation perpétuelle et obligée. D'autre part, les facettes
majeures de cette promesse d'innovation s'inscrivent dans un contexte
média-socio-économique qui est à la fois propice à
la création de web-documentaire mais aussi source d'obstacles et
dificultés parfois délétères.
7 JÜRGEN E. Müller, « Vers
l'intermédialité. Histoires, positions et options d'un axe de
pertinence », in la revue Médiamorphoses.
8 Ibid
9 Ibid
De toute évidence, le caractère innovant du
web-documentaire ne peut être discuté qu'à l'aune des
pratiques médiatiques réelles qu'il implique. Notre
deuxième hypothèse se construit autour de l'idée que le
web-documentaire modifie la posture même de l'individu consommateur de
média ainsi que ses pratiques. Il est évident qu'au regard de la
grande hétérogénéité qui domine l'ensemble
des créations de web-documentaire, les pratiques et postures induites
par ces derniers sont également marquées du sceau de la
diversité. Néanmoins, nous supposons que les promesses
éditoriales du web-documentaire qui s'incarnent dans le dispositif
technique ont un impact - dont les conséquences varient selon l'individu
- sur les pratiques médiatiques traditionnelles alors même qu'il
s'agit de formes médiatiques anciennes (le texte, la vidéo, la
bande audio, l'animation etc) qui sont mobilisées au coeur de ces
dispositifs. Le web-documentaire redessine t-il les contours des
différentes figures de la réception ? Telle est l'interrogation
qui anime notre deuxième hypothèse.
C'est dans le prolongement de l'hypothèse
précédente que nait la dernière. La troisième
hypothèse s'inscrit dans l'idéal mentionné plus en amont
de l'introduction. Dès les premières lignes de cette
introduction, nous avons cité un article extrait du blog de Nicolas Bole
à propos des relations entre l'Histoire et le documentaire. Le travail
de recherche que nous menons s'intéresse précisément
à la relation entre Histoire, web-documentaire et la mémoire
sociale. C'est à travers une discipline des sciences humaines et
sociales qui s'est forgée au XIX ème siècle et qui
possède ses caractéristiques propres, que nous avons
décidé d'aborder les enjeux qui lient les médias et le
savoir. Au-delà de cette relation intime, ce qui suscite notre
intérêt réside dans le lien qui se tisse entre un
média et la mémoire. Cela permet de traiter la fonction sociale
d'un média et notamment celle du web-documentaire dans une logique
temporelle précise, celle du temps long. Une nouvelle fois, dans un
souci d'honnêteté intellectuelle, il nous semble nécessaire
de préciser que vérifier une telle hypothèse
présente quelques dificultés. Tout d'abord, il
nous est impossible de mener une enquête d'observation sur un temps
sufisamment long pour obtenir des résultats
significatifs. Par ailleurs, le média en question est récent et
sa relative faible audience ne permettrait pas non plus de dresser des constats
scientifiques valables. Enfin, une telle hypothèse a trait à des
phénomènes et concepts dont l'utilisation reste délicate
ni sans risque de fourvoiement. Néanmoins, nous ne pouvons ignorer une
telle dimension du web-documentaire puisqu'il s'agit du coeur même de
notre réflexion initiale. Impactant les pratiques médiatiques -
selon la deuxième hypothèse -, le web-documentaire permet de
repenser le genre même du documentaire historique et par
conséquent l'accès au savoir et la construction d'une
mémoire collective. Nous tenterons dès lors de vérifier
une telle hypothèse en menant une réflexion étayée
majoritairement par des concepts et des analyses. La dernière
hypothèse nous mènera vers des sentiers divers de la question de
la transmission du savoir historique.
La discussion qui va s'ouvrir pour penser, étayer et
vérifier nos hypothèses se fondera en partie sur un corpus large
et divers. L'objet d'étude majeur est bien entendu le web-documentaire.
C'est d'ailleurs à partir de l'intérêt porté
à ce format médiatique inédit que notre réflexion
s'est forgée. L'analyse sémiotique de ces objets
médiatiques constituera donc un pilier essentiel de notre corpus. Quant
est il de sa légitimité ? En sciences sociales, et tout
particulièrement en sciences de l'information de l a communication
(SIC), il existe une certaine difficulté à construire
scientifiquement un objet d'étude du fait de la
revendication d'interdisciplinité. J-B Perret aborde cette question dans
un article intitulé V a-t-il des objets plus communicationnels que
d'autres ? Cet article est l'occasion pour l'auteur de s'intéresser
à la fondation et le développement des sciences de la
communication. Dans cette optique, il pense notamment la relation entre la
théorie et les objets d'études concrets. « Une
discipline est une manière spécifique d'interroger un certain
domaine d'objets concrets. »10. Il afirme
même que « c'est le point de vue qui crée l'objet ».
Ainsi une réalité devient objet d'étude à
partir du moment où l'on adopte un regard critique et un angle d'analyse
particulier. C'est de la sorte qu'il faut envisager notre démarche
d'étude. Le web-documentaire est un objet médiatique concret et
complexe. Nous avons choisi d'aborder cet objet d'un point de vue bien
spécifique puisqu'il s'agit de saisir les enjeux de la relation entre le
web-documentaire et la transmission du savoir. Le point de vue adopté
est donc purement social. Les enjeux économiques, par exemple, ne seront
pas traités car ils ne sont d'aucune utilité dans le cadre de
notre analyse. Adopter un point de vue particulier sur un objet permet
également de soulever les questions essentielles et ainsi de tracer un
sillage dans lequel peut s'inscrit et se développe notre
réflexion. C'est cette même réflexion qui permet
d'afiner le corpus de web-documentaires. Par souci de
simplification et de clarté, nous avons créé la
dénomination « web-documentaire historique ». Or cette
catégorie n'existe pas ou du moins les web-documentaires ne sont pas
répertoriés par genre sur les sites qui les hébergent.
Qu'il s'agisse du site d'Arte, du Monde ou de France 5, nous ne pouvons que
dresser le même constat. Cela s'explique en partie par une relative
faible quantité de contenus de ce type. Face à cette absence de
catégorie, il est donc compliqué de distinguer le
web-documentaire qualifié d'historique du web-documentaire dit de
société. Néanmoins, la différenciation se fait
relativement facilement lorsque l'on se trouve sur la page qui
référence les divers web-documentaires. En effet, les
différents éléments graphiques (images de
présentation des webdocs) et sémantiques (les légendes et
les titres qui accompagnent ces images) ainsi que notre culture
médiatique permettent de distinguer les types de web-documentaires.
Cette distinction se fonde sur des critères acquis et
hérités du documentaire télévisé. Face
à la diversité des web-documentaires et la
dificulté de définir la nature et les formes de
ce genre médiatique, nous devons toutefois précisé que
notre corpus de web-documentaire se constitue de webdocs qui ont pour sujet
principal un événement, un personnage ou une période
historique. La présence d'images d'archive ni l'intervention
d'historiens ne sont pas des critère essentiels pour intégrer le
web-documentaire au sein du corpus. L'intérêt majeur de ce corpus
réside dans la diversité des manières d'aborder l'histoire
et le récit historique. Néanmoins, le choix de ne pas utiliser
d'images d'archive est peu fréquent dans les web-documentaires
historiques. Les images d'archive sont associées à l'existence
même du documentaire historique. Isabelle Veyrat-Masson,
spécialiste des rapports entre l'Histoire et les médias, souligne
que l'image d'archive est indissociable du documentaire historique. Selon elle,
les premiers documentaires historiques sont nés de montages
d'archives11. L'essence même du film documentaire
réside dans le montage. Nous pouvons citer à ce titre citer la
série de films
10 PERRET, Jean-Baptiste, Y a-t-il des objets plus
communicationnels que d'autres ? Dans Hermes n°38, CNRS Editions,
2004
11 VEYRET-MASSON, Isabelle, Télévison et
histoire la confusion des genres - Docudramas, docufictions et fictions du
réel, Editions De Boeck, 2008
réalisés par Dziga Vertov accompagné de
la monteuse Yelizoveta Svilova sous le règne de Nicolas II. Il s'agit de
brides d'actualités venues des quatre coins de l'empire russe. Jay Leyda
parle d'un « tableau de milles facettes de la vie soviétique,
captée par le regard pénétrant du Ciné-Oeil
»12 Nous pouvons retrouver cette caractéristique au coeur des
web-documentaires historiques qui sont en réalité une
manière particulière d'agencer des contenus de différentes
natures venus d'horizons divers. Jay Leyda afirme
également que les documentaires historiques datent des années
1920 et notamment sous l'impulsion de La Chute des Romanov (1927) de
Esther Choud qui fut la première à réaliser un film
historique à partir de films tournés par d'autres.
La présence d'un point de vue d'auteur est donc une
autre caractéristique essentielle pour définir le documentaire
historique et par la même occasion, le web-documentaire historique. Ce
point de vue peut être discret ou afirmé mais
doit animer tout web-documentaire historique qui constitue le corpus. Enfin,
tout web-documentaire doit être une page internet indépendante et
possédant une logique propre de navigation. Il faut prendre garde de ne
pas confondre à ce propos, ce que l'on appelle, entre autres
dénominations, "dossier" qui s'apparentent davantage à des
articles complétés par un contenu vidéo, audio ou
graphique. C'est le cas par exemple du dossier préparer par la radio
France Inter13 qui apparaît dans de nombreux articles -
notamment sur les blogs dédiés aux nouveaux médias - comme
un web-documentaire. Dans cette optique, Didier Mauro distingue le documentaire
du reportage : « le documentaire relève du champ artistique (et
cinématographique) alors que news, reportages et magazines
procèdent du champ journalistique. [...] Les films documentaires sont
considérés comme des oeuvres destinées à perdurer
ou à témoigner d'une époque, tandis que les programmes
audiovisuels journalistiques sont essentiellement constitués d'une
information jetable sans objectif de pérennité.
»14 Il définit ainsi le documentaire selon un
double axe : celui de la production journalistique et celui de la
pérennité du contenu. Or le web-documentaire est pour le moment
accaparé, en grande partie, par les journalistes qui y voient un espace
de liberté. Par ailleurs, les sites web-documentaires sont
confrontés aux problématiques de pérennité
technique notamment celle des liens passeur. Nous constatons ainsi que la
frontière entre web-reportage et web-documentaire est poreuse voire
inexistante. D'autant plus que les site hébergeur ne distinguent pas les
web-documentaires de société des web-documentaires historiques
qui se rapprocheraient davantage de l'idéal du documentaire
prôné par Mauro.
Aux web-documentaires s'ajoutent d'autres contenus qui
composent le corpus. Nous accorderons une attention toute particulière
aux enquêtes d'observation réalisées tout au long de la
période de recherche. Dix personnes ont été mises en
situation face au même web-documentaire intitulé La Nuit
Oubliée15 créé par Olivier Lambert et
Thomas Salva. Chaque entretien s'est réalise selon un processus
similaire composé de trois étapes. Tout d'abord, un premier
questionnaire permettait
12 LEYDA, Jay, Compilation Films from propaganda to dram,
New-York : Hilland Wang, 1964, p.192
13
http://www.franceinter.fr/dossier-algerie-1954-1962-la-derniere-guerre-d-appeles
14 MAURO D., Le Documentaire, cinéma et
télévision, Paris, éditions Dixit, 350p., 2003
(réédition : mars 2005).[http
www.dixit.fr]
15
http://www.lemonde.fr/societe/visuel/2011/10/17/la-nuit-oubliee_1587567_3224.html
d'établir le profil de l'individu ainsi que certaines
représentations et intuitions concernant le web-documentaire. Cet
entretien est suivi d'une mise en situation libre. Tout individu pouvait
interrompre la navigation dès qu'il le souhaitait. Les aptitudes
médiatiques, les attitudes (remarques, hésitations, etc) , les
postures corporelles ainsi que la navigation sont analysées au cours de
cette étape. Puis, l'enquête s'achève avec un nouvel
entretien dont l'objectif est de recueillir les impressions immédiates
de l'individu ainsi que de l'interroger sur ces choix et son comportement face
au dispositif médiatique. Les résultats de ces enquêtes
d'observation permettent d'étayer ou d'infirmer nos hypothèses.
Par ailleurs, les discussions et les observations nous engagent parfois vers
d'autres pistes de réflexion et de recherche. En effet, cette approche
sémio-pragmatique permet d'analyser dans le contexte réel de
communication et ainsi de saisir des enjeux ou questionnements qui
complètent le travail de recherche.
Parallèlement à ces enquêtes, des
entretiens auprès de professionnels on été
réalisés. Deux professionnels du web-documentaire nous ont donc
livré leur analyse, leurs intuitions et leur expérience au cours
d'entretiens guidés. Ces données enrichissent notre analyse et
ouvrent la voie à d'autres interrogations. Les entretiens s'inscrivent
dans un corpus plus large de discours de professionnels. En effet, nous avons
cherché et sélectionné divers articles et interviews
(format papier et format vidéo) ou encore compte-rendus de
conférence et débat qui sont autant de discours à
analyser. Ces analyses de discours participent d'une volonté de saisir
les enjeux et les imaginaires qui découlent de la création de
web-documentaires. Les points de vue des professionnels nous informent
également sur les promesses implicites et explicites du
web-documentaire. Ces éléments sont essentiels dans l'optique de
définir un récepteur "type" construit à travers les
pratiques médiatiques anticipées par les instances
énonciatives du web-documentaire.
Concernant l'analyse de discours, nous tenterons de dresser un
corpus significatif et perspicace de commentaires d'internaute. Qu'ils
s'agissent des commentaires de certains web-documentaires historiques ou
d'articles ayant trait au web-documentaire, ces discours d'internaute sont
également utiles dans le cadre de notre travail de recherche. Les
aspects quantitatif et qualitatif seront considérés afin de
mesurer l'impact social ainsi que de saisir les imaginaires et les enjeux du
web-documentaire historique. Nous sommes conscients que le résultats de
ces analyses sont quelque peu biaisés par distincts facteurs. D'une
part, la majorité des commentaires restent sans intérêt
puisqu'ils oscillent entre la polémique acerbe et l'éloge. Par
ailleurs, seuls quelques sites qui hébergent des web-documentaires
permettent le commentaire. Et lorsque ce dernier est permis, cela est soumis
à certaines conditions qui limitent à des personnes qui ne
désirent pas s'inscrire sur le site.
Un vaste et divers ensemble de travaux universitaire et
ouvrages complètent le corpus de ce travail de recherche.
L'intérêt du web-documentaire réside dans sa riche
complexité. Il a certes suscité l'intérêt des
professionnels, mais peu d'universitaires ont traité le web-documentaire
en tant qu'objet d'étude au point que peu ou pas d'ouvrages sont
disponibles sur le sujet. Face à ce que l'on peut oser qualifier de
désert théorique, notre travail de recherche peut jouir d'une
relative liberté. Relative, en effet, puisque la question du rapport
entre transmission du savoir et les médias a été l'objet
de
nombreux articles et ouvrages. On peut citer à titre
d'exemple l'article de Sophie Moirand16 sur les formes discursives
et la diffusion du savoir dans les médias. Dans ce cas,
l'originalité de notre étude se situe au niveau de l'objet
d'analyse. Le web-documentaire, à l'aune de la transmission du savoir et
de la constitution de la mémoire collective, est un objet
théorique inédit. Par ailleurs, il l'est également en soi.
Ce dernier constat nous permet de mener une réflexion fondée sur
des théories et des concepts de diverses disciplines pour comprendre le
web-documentaire historique. A travers ces ouvrages théoriques, nous
pouvons adopter un regard multidimensionnel pour saisir dans sa
complexité le web-documentaire. J-B Perret souligne l'importance de ce
regard multidimensionnel. Dans cette optique, il distingue « trois
dimensions dont toute recherche en communication cherche à
élucider les rapports : celui de la circulation du sens, celui des
acteurs et des pratiques sociales, celui des techniques. » Les SIC
portent une attention toute particulière aux relations qui tissent ces
trois pôles. Les web-documentaires historiques sont le lieu
privilégié où se tissent les relations entre ces trois
pôles. La construction et la circulation du ou des sens sont essentiels
dans les procès de création et de lecture du web-documentaire.
Par ailleurs, la dimension technique ainsi que la dimension sociale
s'articulent afin précisément de contribuer à faire
jaillir le ou les sens. Ce sont ces rapports de force qui constituent l'un de
nos principaux axes de réflexion sur les web-documentaires historiques.
Ces trois dimensions sont appréhendées à travers notamment
l'intégration à notre travail de recherche, de concepts et
théories d'horizons distincts.
Ainsi le fruit de ce travail de recherche s'articulera autour
de trois axes fondamentaux qui recoupent nos trois hypothèses qui sont
au coeur de la discussion. Nous nous permettons de rappeler que la
première partie de ce mémoire est dédiée aux
promesses éditoriales et imaginaires sur lesquels se fonde le
web-documentaire historique. Nous nous attacherons ensuite à traiter la
question des pratiques socio-médiatiques induisent par le dispositif
cité précédemment. Enfin, nous discuterons
l'hypothèse selon laquelle le web-documentaire historique peut modifier
notre rapport au savoir et à l'apprentissage de ce dernier.
16 MOIRAND, Sophie, Formes discursives et diffusion du savoir
dans les médias, in la revue Hermes N°21, CNRS Edition, 1997 :
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/15040/HERMES_1997_21_33.pdf;jsessionid=E344066708
AF6C3D0078D54009886DD9?sequence=1
Partie 1 - Les enjeux et les promesses du
web-documentaire historique
Tel que nous venons de le préciser au coeur de notre
introduction, l'apparition du web-documentaire historique dans le paysage de
l'audiovisuel français peut s'apparenter à une étape
majeure dans l'évolution de la consommation des médias et du
documentaire en particulier. Nous employons le conditionnel car rien,
aujourd'hui, ne nous permet d'affirmer que ce genre médiatique s'impose
suffisamment dans nos pratiques médiatiques pour être
considéré comme un genre essentiel du paysage médiatique.
Ce sont les chiffres qui parlent et qui nous incitent donc à une
certaine prudence. Mais au-delà de cette nécessaire prudence, ce
qui nous importe réside dans les discours, les promesses, les critiques
qui gravitent autour du web-documentaire et en particulier du web-documentaire
historique. Ce sont au fond de ces points de vue - de professionnels et de
consommateur des médias - que nous recherchons les fondements d'une
définition de ce genre médiatique et du contrat de lecture qu'il
implique. En effet, il nous semble primordial d'aborder la question de la
définition du web-documentaire historique et celle des promesses
éditoriales qui surgissent à la fois dans les discours de
professionnels et à travers le dispositif lui-même. Cette partie
sera donc l'occasion de traiter notre hypothèse selon laquelle le
web-documentaire historique propose une expérience médiatique
inédite mais pas nécessairement révolutionnaire.
1.1- Histoire et formes du web-documentaire historique :
au coeur de l'imaginaire de l'innovation.
Appréhender le web-documentaire historique, c'est
également analyser et comprendre l'histoire et les enjeux de la
création de ce genre médiatique. Nous aurons ainsi l'occasion
d'aborder trois thématiques centrales qui lient innovation et
l'évolution du web-documentaire. D'une part nous pourrons traiter
l'imaginaire de la création pure envisagée comme un espace
d'imagination et de liberté. Cet imaginaire est présent dans les
discours des différents professionnels. D'autre part, la question du
flou sémantique qui règne autour du web-documentaire. Enfin, nous
saisirons l'opportunité d'analyser les dispositifs médiatiques
que sont les web-documentaires historiques afin d'en saisir les
différentes formes et d'établir des distinctions et des
similitudes.
La première observation que l'on peut dresser, à
défaut d'être brillante, a le mérite de poser les bases
1.1.1- Émergence et évolution du
web-documentaire historique.
de la réflexion. Le web-documentaire est un des genres
médiatiques les plus récents du paysage audiovisuel. A titre de
comparaison, nous pouvons mentionner les webséries dont la
parenté avec le web-documentaire ne peut être niée. C'est
en 2003 que la diffusion et par conséquent la création de ce
genre médiatique se démocratise et prend une nouvelle ampleur.
Nous évoquons cette date car il s'agit de l'année où la
chaîne WSN - WebSerie Network - spécialisée dans la
diffusion de webséries est créée17. Au
même moment, beaucoup de professionnels estiment que le web-documentaire
a véritablement émergé avec des créations tels que
Thanatorama18 (diffusé en 2007) et Voyage au
bout du charbon19 (diffusé en 2009) qui ont
repoussé les limites de la création. Bien que l'émergence
de ce genre médiatique ait eu lieu dès le début de la
décennie 2000, il semblerait qu'un certain retard existe dans les
processus de diffusion et démocratisation pour le web-documentaire. Par
ailleurs, nous tenons à préciser que les deux dispositifs
cités précédemment ne sont pas des web-documentaires
historiques. Ces derniers sont dans le sillage des premières
créations mais, peu d'entre eux semble avoir marqué de leur sceau
le genre web-documentaire.
Une seconde observation consisterait à souligner le
flou sémantique qui entoure le web-documentaire. Souvent
dénoncé comme un mot-valise, le terme "web-documentaire" souffre
à la fois d'une manque de légitimité et de
stabilité. Certains parlent de Richmédia d'autres de
transmédia ou encore de multi et pluri média. Les
dénominations sont multiples et nourrissent la confusion. Quelle place
tient donc le web-documentaire historique au sein du paysage audiovisuel ? Dans
un article intitulé L'expérience immersive du
web-documentaire20, Samuel Gantier et Laura Bolka mènent
une réflexion sur le web-documentaire et proposent une définition
que l'on peut citer :
« Le web-documentaire est un film interactif qui
mélange des photographies, vidéos,
sons, textes, cadres et éléments graphiques
associés aux potentialités du web participatif. Format
éditorial hybride, le web-documentaire propose un récit
interactif dans un "storytelling" que le lecteur oriente et dont la
scénarisation fragmente la lecture. Cet objet plurimédia ne
possède pas encore de forme esthétique, ni de type de
récit ou de modèle économique complètement
stabilisé. [...] Le web-documentaire est un objet qui cristallise la
mutation structurelle de l'industrie audiovisuelle et du journalisme.
»
Une telle définition incarne cette
dificulté à déterminer les
caractéristiques du web-documentaire. Les auteurs emploient des termes
à la fois proches et distincts qui ne permettent pas une
stabilité sémantique. Néanmoins, d'une part, cette
définition met en évidence des caractéristiques du
web-documentaire que nous analyserons plus en aval. D'autre part, elle permet
de constater à quel point le web-documentaire historique s'inscrit dans
la logique contemporaine des médias. Elle confirme que le
web-documentaire est un objet médiatique neuf, source de confusion mais
surtout d'intérêt de par sa nouveauté et les potentiels
qu'il présente.
17 Source Wikipédia, [Disponible en ligne :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Websérie#Historique]
18 Web-documentaire sur le monde funéraire
réalisé par Julien Guintard, Ana Maria Jesus et Vincent Baillais,
Grand Prix du Web Flash Festival 2007 [disponible en ligne :
http://www.thanatorama.com/]
19 Web-documentaire sur une mine de charbon au coeur d'une
province chinoise, réalisé par le photographe Samuel Bollendorff
et Abel Ségrétin et produit par Honkytonk Films [Disponible en
ligne :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/visuel/2008/11/17/voyage-au-bout-du-charbon_1118477_3216.html]
20 GANTIER, Samuel et BOLKA, Laura, «
L'expérience immersive du web-documentaire : études de cas et
pistes de réflexions » dans Les Cahiers du journalisme,
N°22/23, Automne 2011
Avant de poursuivre et d'aborder le deuxième point de
notre analyse, il semble nécessaire de préciser le contexte
médiatique globale dans lequel s'inscrivent et ont évolué
ces productions dites innovantes. Quelle place est accordée aux
web-documentaire et webdocs historiques dans un système
médiatique où la concurrence ne cesse de s'accentuer ? Dès
l'année 2008, les professionnels du documentaire saisissent les
conséquences majeures d'une évolution des politiques de diffusion
et de co-production menées par les grandes chaînes de la
télévision française. Lors des Etats
généraux du documentaire qui se sont tenus à Lussas, en
2008 donc, un chiffre, celui de 11%, a retenu l'attention. Il s'agissait du
pourcentage de films documentaires parmi l'ensemble des documentaires (870
selon la source de Patrick Benquet) soumis à la sélection du jury
du festival. Dans un article21 consacré à ce constat,
Patrick Benquet souligne la « dérive » qui s'annonce
depuis quelques années déjà : « la
télévision ne s'intéresse plus qu'aux documentaires qui
acceptent le formatage qu'elle impose sous prétexte d'audimat ».
Cela signifie que la télévision refuse de financer ou, dans
une moindre mesure, limite les financements à des projets qui ne
permettraient pas de réaliser de bons résultats en terme
d'audience. Certains exemples, tels que les documentaires historiques
récents Apocalypse22 ou Adieu
Camarades23, témoignent de la volonté des les
chaines de télévision de produire et diffuser moins de
documentaires mais des productions de grande ampleur afin d'améliorer la
rentabilité et d'optimiser l'audience sur tous les supports
médiatiques possibles. Ces politiques de production et de soutien aux
documentaires s'inscrit donc dans une stratégie contemporaine
qualifiée de cross-média.
Tel est le contexte dans lequel s'inscrit la création
de web-documentaires historiques. Un contexte à la fois morose pour des
projets à faible budget mais à la fois prometteur car les
entreprises médiatiques, notamment Arte et France
Télévision ou LeMonde, investissent de plus en plus dans le
web-documentaire. Il s'agit d'un pari sur l'avenir soutenu cependant par la
Scam ou le CNC qui encouragent l'innovation numérique. Ce dernier a par
exemple mis en place, dès 2001,un dispositif de financement
spécifié dans le « développement, la production et la
diffusion d'oeuvres novatrices ou expérimentales dans le domaine de la
création artistique multimédia et numérique.
»24 (Dicréam)
Par ailleurs, dans un article publiée sur le site
6mois.fr, Guillaume Blanchot, directeur de
l'audiovisuel et de la création numérique au CNC, affirmait que
« longtemps, nos partenaires, producteurs, diffuseurs, ne voyaient pas
internet comme un outil de créativité. Notre objectif est de
pousser les gens de l'audiovisuel à aller vers de nouveaux modes de
narration et à renouveler la création. »25
Une telle évolution des politiques de soutien à la production -
bien qu'elle reste encore timide - est à rapprocher d'une autre
évolution qu'a connue le documentaire historique. A ce titre
21 BENQUET, Patrick, « La télévision
aime-t-elle encore le documentaire ? La preuve par Lussas »,
publié dans Médiapart le 1er septembre 2008, [disponible en
ligne :
http://blogs.mediapart.fr/edition/article/010908/la-television-aime-t-elle-encore-le-documentaire-la-preuve-par-lussas]
22 Série télévisée historique en 6
épisodes de 52 minutes, diffusée sur France 2 et
réalisée par Isabelle Clarke et Daniel Costelle. [Disponible en
ligne:
http://programmes.france2.fr/apocalypse-hitler/]
23 Série télévisée historique,
diffusée sur Arte et réalisée par Andreï Nekrasov
[Disponible en ligne:
http://www.arte.tv/fr/4314104.html]
24
http://www.cnc.fr/web/fr/dispositif-pour-la-creation-artistique-multimedia-dicream
25 MAUGER, Léna, « Le webdocumentaire,
laboratoire sous perfusion » dans la revue 6 Mois, le XX ème
siècle en image, publiée le 20 avril 2012 [Disponible en ligne
:
http://www.6mois.fr/Le-webdocumentaire-laboratoire]
l'article intitulé Le documentaire historique au
péril du "docufiction" 26de François
Garçon est extrêmement significatif puisqu'il souligne que les
grands diffuseurs se sont rapidement ralliés au docufiction historique
après les succès d'audience de certains programmes tels que
Dernier Jour de Pompéi diffusé sur France 2. Il parle
même d'une « coupure épistémologique dans
l'évolution du documentaire historique » en précisant
que nous entrons dans « l'ère du doc de création ». Et
cette évolution est motivée par la volonté de rajeunir
l'audience. A ce propos, François Garçon cite deux
professionnels. D'une part, Thierry Garrel, directeur de l'unité
documentaire d'Arte : « On est enfin sorti des résumés
et des cours d'école primaire »27D'autre part,
Sophie Dacbert, ancienne directrice de la rédaction de l'hebdomadaire Le
Film français, qui a avancé - le 27 juin 2003- que le docufiction
« confère au documentaire une teinte plus jeune, plus moderne, plus
ludique. Il permet d'élargir le public du documentaire, de le rajeunir
en apportant la notion de plaisir avec de savants cocktails de fiction et de
reconstitution.» Cet article et ces dernières citations datent du
début de la précédente décennie mais ce sont des
discours qui sont désormais d'actualité avec l'émergence
du web-documentaire historique. François Garçon pense que le
docufiction « marque surtout une régression scientifique par
rapport à ce qu'il nous avait été donné de voir sur
le petit écran » du fait de l'impératif de
divertissement. Il y a donc deux écoles, deux pensées et donc
deux discours qui s'opposent sur la question du docufiction. Il s'agit de la
même opposition que l'on retrouve dans les discours sur le
web-documentaire historique et dans les commentaires des usagers. Ce
parallèle témoigne en partie que le web-documentaire
représente une certaine évolution du documentaire historique. Une
évolution qui fait génère des discours et des imaginaires
particuliers.
1.1.2- Le web-documentaire, nouveau paradis de la
création médiatique ?
Nous venons d'employer le terme instabilité pour
caractériser la situation sémantique du web-documentaire
historique. Or nous pensons que, dans certains cas, instabilité rime
avec liberté. En l'occurrence, c'est cette liberté qui attire les
journalistiques et les professionnels de l'audiovisuel dans le champ du
web-documentaire. Boris Razon, chargé du pôle numérique de
France Télévision, expliquait dans un entretien publié sur
le blog documentaire, expliqu'« il n'existe pas encore de formes
établies mais uniquement des formes en
construction»28 pour le web-documentaire. Chacun veut
apporter sa pierre à l'édifice. Tout un imaginaire de la
nouveauté, de l'innovation et par conséquent de la
création pure se forge autour du web-documentaire. A titre d'exemple,
nous pouvons citer un commentaire de Gerald Holubowicz à la suite d'un
article de Pierre-Emmanuel Weck29. En parlant du web-documentaire,
il s'exprime en ces termes : « C'est une passion dévorante qui
depuis m'entraine sur des chemins que je n'aurai imaginé explorer. J'ai
réellement le sentiment
26 GARÇON, François, « Le documentaire
historique au péril du ''docufiction" », dans la revue
Vingtième Siècle, N°88, 2005, Edition : Presses de Sciences
Po
27 Citation extraite d'une interview de Thierry Garrel
publiée dans Télérama datant du 25 mars 2005
28 Entretien réalisé par BOLE, Nicolas
publié le 16 juillet 2012 [Disponible en ligne :
http://cinemadocumentaire.wordpress.com/2012/07/16/boris-razon-la-production-web-chez-france-tv-3/]
29
http://www.weck.info/2012/04/12/web-doc-web-toc/
d'étendre ma palette d'outils. » Cette
double métaphore de l'exploration et du peintre ou de l'ouvrier
symbolise l'imaginaire de la création que le web-documentaire
véhicule. La liberté est au coeur de cet imaginaire. A la lecture
de certaines interviews, l'on pourrait presque penser que le web-documentaire
est une sorte de parangon du grand reportage du temps d'Eugène Mannoni
ou de Robert Guillain. Olivier Lambert, dans un entretien30 avec
Nicolas Bole, tient des propos qui étayent notre impression : «
J'ai toujours été traumatisé, ou en tout cas
déçu, de voir que les journalistes s'ennuyaient dans les
rédactions, qu'ils devenaient rapidement aigris par rapport à
leur profession et à leurs propres objectifs. Je ne voulais pas devenir
comme eux. Je voulais monter des projets personnels pour m'épanouir.
» Au-delà de la simple liberté, Olivier Lambert parle
d'épanouissement personnel. C'est en cela que l'on peut parler de
paradis de la création. Dès lors, on ne peut nier la puissance de
cet imaginaire qui suscite tant de convoitise et qui revalorise la profession
journalistique. Comme toute terre promise, le web-documentaire souffre
aujourd'hui d'un attrait tel que certains professionnels se plaignent de la
profusion de productions médiocres voire indigestes. Interrogé
sur les évolutions récentes qu'a connues le web-documentaire,
François Le Gall nous a signifié que concernant l'offre, il y a
« plus d'acteurs mais moins de web natifs (journalistes et
photographes notamment) ; ce qui génère plus d'histoires mais
paradoxalement, moins d'originalité et de créativité dans
la narration interactive. En se "démocratisant"(on en est encore loin),
le genre s'est appauvri, l'aspect documentaire a été
phagocyté par le genre journalistique. »31 Tel est
donc le risque qu'encourt le genre. Toutefois nous pouvons nous demander si ce
phénomène n'est pas justement propre à l'innovation et
à la nouveauté. Cette profusion serait ainsi le témoin de
l'émergence d'un genre médiatique inédit. Par ailleurs,
une telle « démocratisation » - tel que le dit F. Le Gall -
inscrit le web-documentaire ( et notamment le webdoc historique) dans une
certaine légitimité qui se traduit à travers la
création de certains prix32 distinctifs voire de festivals
consacrés aux web-documentaires. L'imaginaire de la création pure
contribue ainsi à l'institutionnalisation du web-documentaire. Mais
cette dernière est elle vraiment possible ou nécessaire ? Une
analyse des différents formes de web-documentaires historiques nous
permettra de présenter un élément de réponse.
1.1.3- Y a-t-il une forme canonique du web-documentaire
historique ?
Peut on institutionnaliser le web-documentaire historique ? La
question ne fait pas encore l'objet d'un débat. Pourtant, elle
revêt un intérêt primordial. Nous pensons qu'une analyse des
différentes formes de web-documentaires historiques peut nous permettre
d'engager ce débat. C'est dans cette optique que nous avons
dressé une typologie selon un corpus de web-documentaires historiques.
Nous avons également réalisé une étude de cas
comparative puisque nous avons porté notre
30 BOLE, Nicolas, Entretien avec T. Salva et O. Lambert
publié le 06 février 2012 sur le blog documentaire [
http://cinemadocumentaire.wordpress.com/2012/02/06/webdocu-entretien-avec-o-lambert-et-t-salva/]Visionné
le mardi 14 février 2012.
31 Annexe 14
attention vers des formes médiatiques semblables
à celle du web-documentaire. Cette double démarche vise à
infirmer ou confirmer deux hypothèses qui guident cette première
partie. D'une part, celle qui consiste à penser l'existence d'une
extrême variété et
hétérogénéité de la création de
web-documentaires. D'autre part, nous souhaitons mettre en évidence la
spécificité de ce genre médiatique par rapport à
d'autres formes proposées par certaines instances médiatiques.
1.1.3.1- Le corpus de web-documentaires historiques :
la typologie
Dix web-documentaires historiques composent notre corpus. Nous
avons tenté de nourrir ce corpus d'objets d'étude venant
d'horizons divers et variés. Ainsi, les sites du Monde, d'Arte, de
France Inter et de Politis seront représentés dans ce corpus.
Cela signifie que les quatre genres majeurs des médias
(télévision, internet natif, radio, presse papier) seront
représentés. Bien qu'il soit compliqué de parvenir
à une telle représentation - du fait des écarts
d'investissement des médias en question dans la production de
web-documentaire historique - elle nous semble nécessaire. En effet, les
web-documentaires sont des créations auxquelles différents coeurs
de métier collaborent. Chacun y apporte ainsi une culture propre
à son métier (journalisme, designer, réalisateur,
photographe ...) et cela se traduit à travers le web-documentaire. Notre
typologie se fonde sur quatre critères qui recoupent les
caractéristiques essentielles du web-documentaire. Cela nous permettra
de constater si certains web-documentaires historiques correspondent à
un exemple type fantasmé qui trouve sa source dans les divers
imaginaires liés au web-documentaire. Par ailleurs, une telle
démarche nous amène à penser le lien entre d'une part
l'organisation des différents contenus au sein du web-documentaire
historique et d'autre part le type de narration qui est proposée. En
effet, c'est également sur ce terrain - celui de la narration - que les
professionnels des médias s'aventurent lorsqu'ils abordent la question
du web-documentaire.
Le premier critère de cette typologie concerne
l'interactivité des contenus. L'intérêt est ici de
classifier les web-documentaires du corpus selon la manière dont les
contenus sont organisés et également selon la diversité de
ces contenus. Nous portons notre attention sur les transitions possibles, les
différentes possibilités de rencontrer ces contenus. Un
deuxième critère traite l'aspect quantitatif du contenu tout en
prenant en compte ce que nous avons appelé "la poétique du
caché". Ce principe est motivée par un constat
intéressant. Alors que certains documentaires donnent à voir
l'ensemble de leurs contenus, d'autres tentent, de par un jeu subtil de mise en
visibilité du caché, d'attirer l'attention du lecteur.
L'internaute est appelé à découvrir, à
dévoiler le contenu. Cela joue sur la sensation d'infini qui est
essentielle dans la consultation de web-documentaire historique. La situation
d'énonciation sera l'objet de notre troisième critère.
Comment se construit la figure de l'auteur au sein du web-documentaire ? Nous
avons précisé en introduction que tout web-documentaire
possédait un point de vue d'auteur. Néanmoins, la figure de
l'auteur s'exprime t-elle ? Enfin, notre dernier critère aborde les
différents types de narration proposés. Ces derniers impactent
directement le parcours de lecture de l'internaute.
S'il fallait dresser un constat d'ordre général,
ce qui résonne en nous comme une évidence est
l'hétérogénéité des créations de
web-documentaire. Nous avons parler de mot-valise pour connoter le terme
"web-documentaire". Cette typologie qui nait de l'analyse sémiotique des
web-documentaires historiques, permet de constater que ce terme recoupe des
réalités, des pratiques et des intentions distinctes distinctes.
On peut dissocier par exemple deux web-documentaires qui traitent le même
sujet : La nuit oubliée et 17.10.61. Ces deux
créations sont à la fois très proches, de par le sujet et
par la mise en évidence de témoignages mais très
éloignés. Ils diffèrent sur de nombreux points cruciaux du
web-documentaire historique : le mode de narration,
l'afirmation ou non de la figure du narrateur et
l'organisation des contenus. On ne peut faire fi de ces différences.
Un autre constat nous amène à penser le
web-documentaire historique type. En effet, lorsque l'on recoupe les
différentes caractéristiques de la typologie, l'on peut dresser
une liste de trois web-documentaires qui présentent des similitudes au
point de faire partie du même type dans chacun des trois premiers
critères. Ce sont 17.10.61, Les combattants de l'ombre
et Adieu camarades. Ces trois web-documentaires ne traitent pas
le même sujet mais quant à l'organisation du contenu, aux aspects
quantitatif et qualitatif des documents proposés, et au mode de
narration, les similitudes sont réelles. Seul le type de narration
constitue un point de différenciation puisque, selon notre typologie,
Les combattants de l'ombre adopte un type indéterministe de
narration alors que les deux autres proposent une narration incitative
tabulaire. De cette première analyse, découle une
hypothèse. Ces rapprochements nous amènent à penser les
caractéristiques du web-documentaire historique canonique. Lorsque l'on
s'intéresse aux différents types auxquels se rattachent les
web-documentaires cités précédemment, une évidence
semble s'imposer. Ces types recoupent en partie les imaginaires qui gravitent
autour de la création de web-documentaires. Ce sont des documentaires
qui proposent un contenu fortement axé sur le texte et la vidéo
sans pourtant négliger d'autres types de documents. Ce contenu s'inscrit
dans un réseau propice à l'interactivité entre ces
différents documents. Par ailleurs ce sont des web-documentaires qui
proposent une logique de la profusion, de l'exhaustivité
suggérée tout en maniant une certaine poétique du
caché qui permet d'agir sur la curiosité de l'internaute. Ainsi,
il semble que ces créations pensent davantage les pratiques et l'usage
du documentaire. Enfin, ces web-documentaires proposent chacun un narrateur
dissimulé derrière le dispositif technique. Les balises
parsemées dans le web-documentaire sont nombreuses pour permettre
à l'internaute de se repérer à sa guise au sein de la
création. Toutefois elles sont assez subtiles pour éviter
d'imposer un parcours de lecture et par conséquent de limiter la
liberté de l'internaute. Ces trois éléments majeurs
trouvent leur écho dans les discours des professionnels et particuliers
: l'imaginaire de l'exploration, l'exhaustivité, l'interactivité
et la liberté.
Sans parler de modèle, ces trois web-documentaires
ainsi que les autres nous permettent de mettre en exergue certaines logiques
évidentes. Lorsque les créateurs de web-documentaire historique
s'attachent à organiser le contenu selon une structure interactive afin
de dresser des passerelles entre les documents, la poétique du
caché est nécessaire et utile. En effet, l'internaute doit
traverser cette structure en strates, doit dévoiler les contenus. Cela
est réalisé dans l'optique de placer l'internaute dans une
logique exploratoire. Cette démarche fait écho à des
web-documentaires qui ont connu un succès critique tels que Prison
Valley et Voyage au bout du charbon. Par la même occasion,
une
32 Annexe 1
33 Annexe 3
telle démarche créative oblige à baliser
le web-documentaire. Ce balisage est de différentes natures. Soit
l'auteur (ou la figure de l'auteur) prend en charge le récit et guide
l'internaute de manière plus ou moins explicite. C'est le cas du
web-documentaire La nuit oubliée où la
numérotation des chapitres génère un certain ordre de
lecture. D'autant plus qu'à chaque ouverture de chapitre,
l'auteur intervient pour expliciter sa démarche par le biais d'une bulle
de bande dessinée32.
Extrait de la page d'accueil du webdoc
historique ''La nuit oubliée"
Soit le guide glisse des indices sur le parcours de
l'internaute. Ces indices sont autant d'appels à la lecture, à
l'exploration mais la diversité de ces indices permettent de proposer un
choix au lecteur.
Nous avons également eu l'occasion d'observer que la
diversité des contenus proposés n'est pas un critère
décisif dans la construction d'un web-documentaire "idéal". Le
web-documentaire Indépendances Chacha illustre cette
observation. Il s'agit d'un des web-documentaires historiques les plus riches
en terme de contenus. Cette diversité est telle qu'elle est
matérialisée à travers divers symboles33 qui
sur-sémiotisent cette profusion de contenus. Pourtant, la lecture du
web-documentaire est une lecture de surface. L'internaute ne s'engage pas en
profondeur. Cette lecture de type incitative linéaire s'explique en
partie par l'absence d'une structure interactive des contenus, une
poétique du caché inexistante, et par un effacement complet de
l'auteur.
Nous pouvons dresser un troisième constat suite
à cette typologie. Le type de narration est très peu
conditionné par les autres critères de la typologie. Toutefois,
nous pouvons tisser un lien de cause à effet entre différents
critères. Nous pensons que la faible (voire l'absence de
diversité) de contenus et d'interactivité entre ces contenus,
conjuguée à un effacement complet de l'auteur mènent
à un type de narration aléatoire. Ni la structure ni la figure de
l'auteur ne sont en mesure d'incarner le rôle de guide de l'internaute.
Les web-documentaires Berlin 1989, souvenirs d'un monde d'hier et
Les halles de Paris en sont la parfaite illustration. L'internaute est
confronté à une création qui lui laisse une liberté
si grande que seul l'aléatoire et la subjectivité guident son
choix.
Malgré cette typologie, définir un modèle
du web-documentaire historique s'apparente à une tâche complexe et
peut être même impossible. Dès lors, nous proposons de
porter notre attention sur des productions médiatiques proches des
web-documentaires historiques mais qui ne jouissent pas de cette
dénomination. Y a t-il en quelque sorte un contre modèle aux
web-documentaires historiques ? C'est ce que nous cherchons à
éclairer à travers l'étude de cas des fresques
hypermédia de l'Ina.
34 Annexe 25
1.1.3.2- L'étude de cas : les fresques
hypermédia de l'Ina
Les fresques hypermédia sont publiées sur le
site de l'Institut National de l'Audiovisuel dans la rubrique "dossiers".
Réalisées par les équipes de l'Ina, ce sont des fresques
qui abordent différentes thématiques dont celles du festival de
Cannes et des discours du général De Gaulle. Nous avons choisi
ces thèmes pour analyser deux fresques. L'analyse
sémiotique34 de ces deux fresques s'est construite autour de
trois phases. Tout d'abord, nous avons mené un travail de recherche sur
la "médiathèque" de chacune des deux fresques. Puis ce sont les
"parcours" que nous avons observés. Enfin, nous avons porté notre
attention sur les contenus des deux fresques.
De cette analyse nous avons pu tiré quelques
conclusions qui permettent de délimiter les frontières du
web-documentaire historique. Suite à l'observation de ces deux fresques,
il nous semble que les créateurs de ces fresques construisent un
destinataire quelque peu différent. Au coeur de ces fresques
multimédia, les possibilités de recherche de contenus sont
multiples et visibles. Dans certains web-documentaires historiques, cette
possibilité existe notamment par le biais de la barre de recherche. Mais
cela reste rare. Les fresques hypermédia de l'Ina se construisent autour
de cette possibilité. Cela se traduit par différents dispositifs
techniques tels que la mise en visibilité de l'arborescence de chaque
rubrique. Ainsi l'internaute est amené à effectuer une recherche
plus ou moins précise. Qu'il sache ou, au contraire, qu'il ignore ce
qu'il souhaite visionner, il devra effectuer une action de recherche. Cette
situation peut se retrouver dans un web-documentaire où l'internaute est
délaissé par l'auteur. Il s'agirait dès lors d'un danger
puisque l'internaute aurait tendance à quitter la pager du
web-documentaire. Au contraire, les fresques de l'Ina semblent incorporer la
logique de recherche. Ce sont deux manières distinctes de construire un
lecteur. D'une part, le web-documentaire valorise les qualités
intuitives des internautes pour leur permettre d'explorer les contenus. D'autre
part, les fresques de l'Ina confèrent au lecteur la possibilité
de trouver rapidement le contenu qu'il recherche ou celui qui correspond
à ses centres d'intérêt.
Ces deux modèles s'incarnent dans une construction
spatiale différente. Alors que les web-documentaires historiques
proposent des sites qui bousculent les repères graphiques et
ergonomiques des pages web traditionnelles, les fresques de l'Ina se situent
dans le sillage de ces dernières. Ces fresques présentent
l'ensemble des caractéristiques d'un site classique : une home-page, une
barre de recherche, une barre d'accès aux rubriques, une lecture
verticale de la page avec un défilement vers le bas, le coeur de la page
composé de différentes rubriques etc. Bien que les
web-documentaires historiques soient des sites internet, il y a la
volonté de structurer et d'organiser le contenu de manière
différente afin de proposer une expérience nouvelle. Dans le cas
des fresques multimédia, il n'y a pas renouvellement de
l'expérience médiatique de l'internaute.
Néanmoins, les fresques sont organisées selon
une structure en strates qui permet de démultiplier les portes
d'accès aux contenus. Cette multiplication des points de contact
(notamment par le biais des parcours et de la médiathèque) est
une caractéristique des web-documentaires. Au regard de l'ensemble des
productions web-documentaires qui composent notre corpus, l'on peut dès
lors rapprocher les fresques multimédia des webdocs historiques si l'on
tient uniquement de la
C'est une des grandes promesses formulées par les
professionnels du web-documentaire :
précédente observation. Toutefois, il est
nécessaire de souligner que l'interactivité des contenus est plus
importante au sein de ces fresques que dans certains web-documentaires.
Nous pouvons établir une autre similitude avec les
web-documentaires historiques. Ces fresques reflètent à travers
cette « médiathèque » la matérialité du
contenu. Les analogies avec des lieux réels et naturalisés ne
sont ni anodines ni arbitraires. Le terme « médiathèque
» revêt un double sens. Ce terme renvoie d'abord à la
définition même de ce qu'est une médiathèque
à savoir un lieu où sont entreposés des documents de
nature diverse que l'on peut consulter. Par ailleurs, une
médiathèque est également un lieu que l'on traverse et que
l'on parcourt. Ce terme évoque une double dimension : pratique ou
fonctionnelle et imaginaire. Ce jeu qui s'instaure ici entre le monde
supposé virtuel d'internet et le monde réel trouve écho
dans le web documentaire qui mobilise des repères et des imaginaires
semblables. L'internaute est appelé à plonger, traverser,
s'immerger dans l'histoire et notamment dans le temps et les lieux. La
contextualisation des archives historiques qui est en jeu dans ces fresques de
l'Ina, se fait en partie par le biais des cartes et des frises chronologiques.
Cet enjeu et cet imaginaire sont essentiels lorsque l'on pense le
web-documentaire historique.
Malgré ces similitudes, les fresques multimédia
peuvent être comparées au modèle des manuels scolaires. Or
les web-documentaires historiques n'aspirent en aucun cas à ressembler
à ce modèle. Nous émettons cette hypothèse pour
trois raisons principales. Les outils de spatialisation et de
temporalité sont extrêmement prégnants dans les fresques
multimédia. Cela témoigne d'une démarche didactique
afirmée. Puis, la prédominance du texte au coeur
des fresques multimédia est telle qu'elle met en péril les autres
médias. Les textes de la plupart des vidéos est retranscrit sur
la droite de ces vidéos. L'internaute peut dès lors
connaître le contenu de la vidéo sans lancer la lecture. Il peut
même agir sur cette vidéo (avancer ou reculer) par le biais du
texte retranscrit. Enfin, les absences de témoignage et de point de vue
d'auteur font de ces fresques de l'Ina des sites internet
désincarnés.
Par le biais de cet étude de cas, nous avons donc mis
en évidence les principaux points d'achoppement entre les webdocs
historiques et ces fresques. Ainsi, au regard des similitudes et des
différences avec les fresque de l'Ina, nous ne pouvons pas remettre en
question les caractéristiques propres au web-documentaire historique.
Le web-documentaire historique remplit en partie ses promesses
de rupture à l'égard des autres formes médiatiques.
Néanmoins, la rupture n'est pas que sémantique et formelle. Il
s'agit également d'une rupture anthropologique puisqu'elle affecte nos
modes de lecture.
1.2- Délinéariser le récit ou la
volonté d'impacter le discours traditionnel du documentaire
historique
délinéariser le récit. Pour être
plus précis, il s'agit surtout de proposer des narrations innovantes.
Par conséquent les auteurs souhaitent s'affranchir des contraintes et
des codes de la narration documentaire classique.
1.2.1- Une volonté de rupture partagée par
tous les professionnels ?
Le temps est venu des « formes narratives simples y
compris sur Arte et France 5 ». Ces propos sont ceux de Xavier
Carniaux, producteur, dans une interview donné dans le numéro de
Télérama du 23 mars 2005. Il parle notamment des documentaires
historiques. De tels propos constituent un paradoxe au moment où
émergent les web-documentaires qui veulent bousculer et renouveler les
formes narratives.
Il s'agit d'une des promesses centrales du web-documentaire.
« Le webdoc en permettant de mettre en liaison les différentes
sources, démultiplie les manières de raconter l'histoire et de
comparer les différentes mémoires. »35 Le
journaliste Pierre-Olivier François est un exemple de professionnels qui
estiment que le web-documentaire est un moyen d'ouvrir de nouvelles
possibilités à la narration. Cette promesse est l'occasion de se
distinguer du documentaire télévisé et par la même
occasion de rompre avec l'idée répandue selon laquelle le
web-documentaire est un contenu télévisé diffusé
sur le média internet. La plupart des personnes interrogées lors
des entretiens individuels le pensent. Se démarquer du récit
documentaire traditionnel est ainsi un moyen de se légitimer. Ce
modèle linéaire de la narration est toutefois remis en question
depuis longtemps et surtout dans d'autres domaines, notamment le domaine
littéraire. Dans son ouvrage, Temps et Récit36, Paul
Ricoeur souhaite « élargir la notion de mise en intrigue ». Il
prône l'évolution des systèmes de narration dans la
littérature. P. Ricoeur estime que l'avènement du roman et la
« fin de l'art de raconter » ne signifient pas la fin de la mise en
intrigue. Au contraire, il ne faut pas réduire l'intrigue au simple fil
de l'histoire. Ricoeur affirme même que l'éclatement du
récit signifie de nouvelles formes de clôture des oeuvres.
L'auteur peut jouer avec le lecteur tout comme le web-documentaire compose avec
l'internaute. Paul Ricoeur nous invite ainsi à « croire que de
nouvelles formes narratives, que nous ne savons pas encore nommer, sont
déjà en train de naître, qui attesteront que la fonction
narrative peut se métamorphoser, mais non pas mourir. »
L'évolution des formes narratives n'est donc pas le
signe d'une décadence créative mais bien celui d'un
renouvellement. Néanmoins, ce qui nous semble intéressant, dans
le cas des webdocs, est le rôle joué par le média internet
dans cette évolution. Les différents genres de la
télévision (série, fiction, documentaire, reportage, etc)
sont venus à internet. Néanmoins les formes et les attentes
liées à ce média incitent à modifier certaines
logiques de la création dont celles de la narration
« La linéarité se dit d'une
série d'éléments qui se suivent dans un ordre tangible ou
préétabli. Ce concept s'oppose à celui de
tabularité, qui désigne la possibilité pour le
35 Annexe 13
36 RICOEUR, Paul, Temps et Récit, Paris, Seuil,
1983
lecteur d'accéder à des données
visuelles dans l'ordre qu'il choisit, [... J dans un ordre
décidé par le sujet. »37
Les propos de C. Vandendorpe nous éclairent quant
à la distinction entre linéarité et tabularité. Si
la promesse du webdoc est d'être en rupture avec le modèle
linéaire de la narration, que peut-il proposer ? Rompre avec le
modèle linéaire signifie également rompre avec les notions
d'autorité et de contrainte propres au documentaire
télévisée classique. Vandendorpe explique que
l'écrit nous a permis « d'échapper à la
linéarité, car l'oeil peut embrasser la page d'un seul regard,
tout comme il peut se poser successivement sur divers points, choisir chaque
fois en fonction de critères différents. »38
Il oppose l'écrit à la parole qui est l'incarnation même
des notions d'autorité et de linéarité. L'invention du
Codex - apparu au Ier siècle avant J-C à Rome - marque une
rupture profonde dans notre civilisation. L'introduction de la notion de page
« fait entrer le texte dans l'ordre de la tabularité ». Cette
évolution est à rapprocher de celle que connait actuellement le
documentaire avec l'émergence de nouvelles créations sur
internet. Vandendorpe estime qu'à partir de l'invention du Codex, une
logique spatiale succède à celle du discours. Le rapport au texte
se transforme tout comme celui au documentaire aujourd'hui. L'avènement
du Codex oblige aussi la mise en place, dans l'organisation du livre,
« de divers repères conçus pour aider le lecteur
à s'orienter plus facilement dans la masse textuelle, à en faire
une lecture plus commode et plus eficace, indexée sur l'ordre du visuel.
»39 Nous pouvons dresser le même constat avec le
web-documentaire. Une véritable mosaïque se construit permettant au
lecteur de naviguer à sa guise. La tabularité permet la
co-présence de divers éléments qui se déploient
dans un espace semblable. Cette co-présence est propre au média
internet et en particulier au web-documentaire dont une caractéristique
est de démultiplier les espaces à l'infini.
Cette volonté n'est pourtant pas partagée par
tous les professionnels du web-documentaire. Certains estiment qu'il y a
fourvoiement lorsque l'on cherche à trop complexifier le récit.
Il faut souligner ainsi l'importance de discours contraires qui avancent que la
simplicité et la linéarité sont pour le moment les
meilleurs gages de réussite du web-documentaire.
1.2.2- Une rupture exigée par les logiques
intrinsèques d'internet
Tel que nous venons de le préciser, cette promesse de
délinéariser le récit s'inscrit dans les logiques
mêmes du média internet. Nous pensons que trois logiques majeures
sont au coeur de notre problématique.
1.2.3.1- Le signe passeur : à l'origine de la
déconstruction de la lecture
37 VANDENDORPE, Christian, Du papyrus à l'hypertexte,
Essai sur les mutations du texte et de la lecture, Paris, La
Découverte, 1999.
38 Ibid
39 Ibid
Nous empruntons le terme "signe passeur" aux universitaires
Yves Jeanneret et Jean Devallon qui apparaît dans l'un de leurs articles
intitulé La fausse évidence du lien hypertexte40.
C'est moins le terme en soi que la démarche intellectuelle des deux
auteurs qui fait l'objet de notre intérêt. Cette
dénomination permet de penser les réseaux internet en terme
d'espaces et également en terme de pratiques. Ces deux notions sont
essentielles dans notre travail de recherche puisque la déconstruction
des formes narratives classiques du documentaire implique de penser la
narration dans une dimension spatiale. La tabularité intègre
cette notion de spatialité propre à internet et au signe
passeur.
Lorsque l'on parle de rupture de la linéarité,
il faut aborder la question de la fracture du texte. Internet fragmente,
éparpille les contenus. C'est cette logique qui est à l'oeuvre
dans le web-documentaire historique par le biais du signe passeur. Alexandre
Saemmer, dans un article publié dans un numéro de Communication
& Langage, développe l'idée selon laquelle le signe passeur
constitue en lui même « un élément de
césure voire de fracture. 41» Cette fracture est
d'autant plus signifiante qu'il s'agit d'un documentaire historique, genre au
sein duquel se côtoient des contenus de nature variée. La logique
tabulaire d'internet nécessite de penser l'organisation de ces
différents documents au coeur du web-documentaire historique. Ainsi la
promesse éditoriale se construit autour de cette
nécessité.
1.2.3.2- La polyphonie énonciative
inhérente aux logiques internet est utilisée comme un moyen de
multiplier les entrées possibles dans le texte
« Le web-documentaire traverse plusieurs mondes et
plusieurs disciplines qui, autrefois, ne se recoupaient pas forcément.
»42 Ce sont les propos de Stéphane Druais au moment
de passer la parole à l'un des invités d'une rencontre
organisée sur le thème du web-documentaire. Le web-documentaire a
la particularité de mobiliser des métiers et des savoirs divers
autour d'un même projet. Cette polyphonie énonciative se transcrit
au sein même du dispositif web-documentaire historique. Emmanuel Souchier
parle lui d'énonciation « collective »43
et développe l'idée que chaque corps de métier qui
intervient dans l'élaboration, la production et la circulation du texte
laisse une « empreinte » sur ce dernier. Ces empreintes sont
celles de culture, de pratique et de logiques diverses qui nourrissent le
web-documentaire. Une démultiplication des auteurs conduit à une
multiplicité d'approches d'un même sujet. C'est en partie la
raison qui explique que certains web-documentaires possèdent une
variété de possibilité d'accès à un
même contenu. Ces différentes possibilités permettent
d'élaborer une plus grande variété de parcours de lecture
et ainsi s'éloigner de la linéarité de la narration.
40 JEANNERET Yves et DAVALLON Jean, La fausse
évidence du lien hypertexte, dans Communication & Langages
N°140
41 SAEMMER, Alexandre, Le texte résiste-t-il à
l'hypermédia ? dans DESEILLIGNY Oriane et CLEMENT Jean (Dir),
Communication et Langage 155 : L'écriture au risque du réseau.
Armand Collin, 2008
42 Vidéo de la rencontre organisée par la Scam
le 20 janvier 2010 et animée par Stéphane Druais,
visionnée le 17 mai 2012 [Disponible en ligne :
http://www.dailymotion.com/video/xc0dia_doc-on-web_creation]
43 SOUCHIER, Emmanuel, Formes et pouvoir de
l'énonciation éditoriale, dans SOUCHIER Emmanuel (dir.)
Communication & Langage N°154, L'énonciation éditoriale
en question, Armand CollIn, 2007
Ce constat est corroboré par les professionnels des
web-documentaires. Dans un article, Samuel Gantien et Laura Bolka soulignent
que le webdoc est un format hybride qui « met en relation
différents corps professionnels qui nourrissent un rapport particulier
à l'image. Chaque champs professionnel appréhende le webdoc en
fonction de sa culture de l'image, d'une pratique intériorisée de
l'image.44 » Cela va dès lors «
conditionner les codes narratifs et esthétiques » du
web-documentaire. La polyphonie énonciative propre au média
internet impacte ainsi également la forme narrative du
web-documentaire.
1.2.3.3- La question de l'intermédialité
: le web-documentaire historique en est il une conséquence ou un
précurseur ?
La déconstruction des formes narratives traditionnelles
est impliquée par une troisième caractéristique du web :
celle de l'intermédialité. Afirmer que le
web-documentaire constitue un média à part entière serait
certainement une erreur d'observation puisqu'il s'agit essentiellement d'un
programme. Néanmoins, à l'image du média internet, le
web-documentaire est un programme englobant plusieurs médias de
manière simultanée. Du fait de sa richesse, l'internaute peut
imaginer que des web-documentaires historiques tels que Les combattants de
l'ombre, Berlin 1989 ou encore 17.10.61 sont des médias
à part entière qui diffusent différents contenus sur tel
ou tel sujet précis. C'est en cela que trouve son sens l'utilisation du
concept de Jürgen E. Müller. Dans un article publié dans la
revue Médiamorphoses, l'auteur définit son concept
d'intermédialité :
« À cette époque, la notion
d'intermédialité se fondait sur le « fait qu'un média
recèle en soi des structures et des possibilités d'un ou de
plusieurs autres médias et qu'il intègre à son propre
contexte des questions, des concepts et des principes qui se sont
développés au cours de l'histoire sociale et technologique des
médias et de l'art figuratif occidental45 ». La
recherche en intermédialité devait donc tenir compte des «
relations médiatiques variables et des fonctions (historiques) de ces
relations46 ». Les principaux domaines envisagés
étaient :
a) les processus intermédiatiques dans certaines
productions médiatiques ;
b) les interactions entre différents dispositifs
;
c) une réécriture intermédiatique de
l'histoire des médias».47
Si nous prenons le temps de citer cet extrait de l'ouvrage de
Jürgen E. Müller, c'est car cet auteur pense les médias en
tant que processus. Tout dispositif médiatique s'inscrit dans une
multiplicité de contextes qui impriment leur trace dans ce dispositif.
Le web-documentaire est en quelque sorte un modèle
d'intermédialité. Objet du média internet, il incorpore
toutes les dimensions de l'intermédialité. Le web-documentaire
valide en quelque sorte la théorie de McLuhan selon laquelle le contenu
d'un nouveau média est constitué des anciens médias.
D'autant plus que, dans certains
44 GANTIER, Samuel et BOLKA, Laura, L'expérience
immersive du webdocumentaire : études de cas et pistes de
réflexion, dans Les Cahiers du journalisme n°22/23, Automne
2011
45 Jürgen E. Müller,
L'intermédialité, une nouvelle approche interdisciplinaire ;
perspectives théoriques et pratiques à l'exemple de la vision de
la télévision, in Cinéma 10, n°2-3, printemps
2000, p. 105-134
46 Ibid
47 Jürgen E. Müller, Vers
l'intermédialité Histoires, positions et options d'un axe de
pertinence, dans Médiamorphoses n°99
48 COTTE, Dominique et DESPRES-LONNET, Marie, Les nouvelles
formes éditoriales en ligne, in SOUCHIER, Emmanuel (dir),
Communication et langage n°154, L'énonciation éditoriale en
question, Paris, Armand Collin, 2007
cas, cette intermédialité est
matérialisée au sein même du dispositif. Elle est
matérialisée par des symboles, des habitudes ou usages
médiatiques (anticipés par les auteurs) et des pratiques que
mobilisent le dispositif du webdoc historique. Cette
intermédialité s'incarne certes dans la variété des
contenus mais également dans les repères mobilisés sur le
média internet mais inspirés des médias
précédents. Dominique Cotte et Marie Desprès-Lonnet
parlent de « marque éditoriale »48 Les
web-documentaires historiques utilisent ces marques éditoriales
notamment celles de nombreux supports papiers tels que le journal ou le manuel
scolaire.
Cette intermédialité portée par le
média internet et le web-documentaire historique permet de s'affranchir
de la logique de flux propre à la radio ou à la
télévision. Ainsi la lecture des web-documentaires peut
être pensée et construite selon des logiques qui
s'éloignent ou qui rompent avec la linéarité.
1.2.3- Comment est matérialisée cette
déconstruction de la narration? La question du rapport entre le texte et
l'image.
Le web-documentaire historique redéfinit-il le rapport
entre les deux piliers de la narration, à savoir le texte et l'image ?
Il s'agit là d'une question sensible. Toute narration se construit
à travers ce rapport. Toute narration se matérialise à
travers ce rapport. Ainsi nous interrogeons l'impact de la volonté de
déconstruire la narration sur ce rapport texte-image. Cette question est
essentielle également dans le cadre d'une réflexion sur la
transmission du savoir que nous aborderons dans une ultime partie.
1.2.3.1- Le pouvoir et le rôle de l'image et du
texte dans notre civilisation
Depuis l'avènement du christianisme, l'écriture
revêt un caractère sacré dans notre culture occidental.
L'écriture se situe, en effet, aux confluents du divin et de la
vérité. Malgré les influences égyptiennes - les
hiéroglyphes étaient considérés comme sacrés
- sur notre civilisation, ni les Grecs (Platon voyait dans le livre un danger
pour la tradition orale qui est une extension de la mémoire de l'homme)
ni les Romains n'ont magnifié l'écrit. Le changement radical est
donc apparu avec le christianisme. Si on poursuit ce lien avec le champ
religieux, nous pouvons en déduire l'importance de l'image dans sa
dimension didactique. Les frises des Panathénées qui ornent le
Parthénon et les représentations iconiques dans les
édifices religieux catholiques sont autant d'exemples qui
témoignent du pouvoir et de la force expressive de l'image.
Ce socle religieux est peut être le fondement de ce
rapport de force qui existe entre l'image et le texte écrit. Dans
l'imaginaire collectif, l'image est l'outil par excellence de la manipulation,
de la
séduction - au sens où Gilles Lipovestsky
l'emploie dans son ouvrage L'ère du vide. Cet imaginaire est
d'autant plus prégnant et fort aujourd'hui puisque le visuel est au
coeur de notre société. Christan Vandendorpe parle même de
« montée du visuel »49puisqu'il est
nécessaire de retenir l'attention « incertaine et hautement
volubile » de l'individu. Il faut le séduire avant de
l'embarquer. Au contraire, le texte écrit, du fait de sa relation
privilégiée au sacré, jouit d'une toute autre
représentation. Le texte est notamment associé à la
connaissance et au savoir alors que l'image se rapproche davantage de
l'émotion, des sens humains. Il a une valeur de contextualisation de par
son caractère univoque. Au cours de l'entretien mené
auprès de Pierre-Olivier François, le journaliste
afirme que « le texte reste essentiel car il apporte
infiniment plus de contextualisation, de mise en perspective, d'information.
Des choses qu'on peut pas raconter avec l'image ».
Par ailleurs, il semble essentiel de préciser que la
promesse du webdoc historique de faire revivre ou redécouvrir
l'évènement impacte ce rapport entre l'image et le texte. Dans
cette optique, l'image contribue à ancrer l'individu dans un certain
imaginaire. Le texte n'a pas cette fonction d'ancrage symbolique que l'image
permet.
Ainsi, sous fond religieux et social, se construit un rapport
particulier entre l'image et le texte. Ils incarnent chacun un rôle
particulier dans l'ensemble des domaines de notre société et en
particulier dans la narration. La déconstruction de la narration de type
linéaire engage t-elle un rapport de force inédit entre ces deux
piliers de la communication humaine ?
1.2.3.2- Peut on parler de nouveau rapport de force
entre texte et image au sein du web-documentaire historique ?
Tel que nous venons de le constater, les rapports entre texte
et image ont toujours alimenté les débats et notamment en
littérature. Chacun sait que Flaubert dans ses Correspondances
se plaignait de l'envahissement des illustrations. Il entretenait ainsi un
rapport conflictuel à l'image à l'inverse d'autres auteurs comme
Michel Butor et Charles Baudelaire qui ont contribué à tisser le
lien entre le texte et l'image.
Néanmoins, il ne faut pas oublier que chaque
élément sert tout à tour l'autre et notamment dans le
processus de contextualisation que nécessite la compréhension.
L'hypermédia facilite cette rétroaction car il modifie le vieil
ordre de la lisibilité. Dans le webdoc, le texte n'est plus central. La
pulsion scopique prend le pas sur notre réflexe qui consiste à
lire les textes que nous croisons du regard. Il s'agit d'une rupture forte par
rapport au documentaire classique où le texte constitue le fil
conducteur de la narration. Dans le documentaire historique
télévisé, le téléspectateur est soumis
à un flux perpétuel de commentaires et d'explications. Le
web-documentaire historique propose des pauses voire des ruptures de ce flux.
Pourtant, ce n'est pas la quantité de texte qui est en jeu dans ce cas.
Nous pouvons même souligner le paradoxe exposé par Pierre-Olivier
François qui a collaboré
49 VANDENDORPE, Christian, Du papyrus à l'hypertexte
Op. Cit.
au webdoc Adieu Camarade. Cette oeuvre a aussi fait
l'objet d'un documentaire télévisé.
« Dans Adieu Camarade : la quantité de texte
est plus importante dans le webdoc (400 pages de script) que le doc classique.
C'est malgré tout l'image qui est la plus prégnante. Arte a pas
mal insisté sur la contextualisation du texte. On est pas obligé
de lire le texte pour comprendre alors que c'est différent pour un doc
classique où le texte (celui du narrateur) est vraiment important pour
saisir le sens ».
On saisit ainsi la différence fondamentale entre le
webdoc et le documentaire historique télévisé lorsque l'on
s'intéresse à ce rapport texte-image.
Cette modification du rapport de force s'explique en partie
par la volonté de préserver voire susciter les émotions
à travers le web-documentaire historique. Dans son ouvrage Du
papyrus à l'hypertexte, Vandendorpe souligne que bien que
l'écrit ait permis d'échapper aux contraintes de l'écoute,
il y a une perte des dimensions intimes : « Si toute voix est
signature, le texte au contraire peut se faire parfaitement neutre et
dépouillé de toute référence à la personne
qui l'a porté et conçu »50. L'image et
notamment les témoignages vidéos et les photographies
re-incarnent le documentaire historique. Ils redonnent une voix au
web-documentaire historique. Ainsi le texte perd cette fonction et incarne
"seulement" un rôle de contextualisation. Nous pouvons même avancer
l'idée selon laquelle seul le texte permet ce silence et consistut cette
pause dans le flux d'image. Il serait un relai des différentes images
qui composent le webdoc.
1.2.3.3- En quoi ces modifications impactent la
construction d'un récepteur type ?
Cette juxtaposition d'éléments visuels et
textuels modifie ainsi l'économie du texte et incite l'internaute
à développer une pensée associative. Le web-documentaire
historique prend alors le pari de faire cohabiter plusieurs activités
cognitives simultanément. Alexandre Saemmer parle de « mise en
concurrence 51» du fait de cette mobilisation de diverses
activités cognitives. Du fait même de la modification du rapport
entre le textuel et le visuel, c'est une pensée nouvelle du
récepteur qui est en jeu. Ainsi se construit une sorte de
réciprocité car d'une part la déconstruction de la
linéarité - voulue pour l'internaute - s'incarne à travers
ce rapport inédit texte-image et d'autre part ce nouveau rapport
développe une nouvelle représentation de l'internaute.
Cette nouvelle représentation découle du fait
que l'internaute est confronté à un rapport différent au
texte. Dans le web-documentaire, le lecteur doit s'adapter en permanence car la
fonction du texte est mouvante. Roland Barthes, dans un article intitulé
Rhétorique de l'image52, dresse une liste des
différentes fonctions du texte. Il différencie notamment la
fonction d'ancrage et celle de relais qui selon lui est beaucoup plus rare. Au
coeur des web-documentaires historiques, ces différentes fonctions se
côtoient en permanence. Le texte peut avoir valeur d'identification ou
d'interprétation afin d'empêcher les « sens
connotés de proliférer53 ». Le texte a
également une fonction
50 VANDENDORPE, Christian, Du papyrus à l'hypertexte,
op. cit
51 SAEMMER, Alexandre, Le texte résiste-t-il à
l'hypermédia ? dans DESEILLIGNY Oriane et CLEMENT Jean (Dir),
Communication et Langage 155 : L'écriture au risque du réseau.
Armand Collin, 2008
52 BARTHES, Rolland, Rhétorique de l'image, in
Communications, A, 1964, pp. 40-51 [Disponible en ligne :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1964_num_4_1_1027]
53 Ibid
d'élucidation, essentielle dans le web-documentaire
pour que l'internaute progresse dans le dispositif. Ce sont ces
différentes fonctions du texte qui construisent une figure
particulière du lecteur du web-documentaire historique. Il y a une
remise en question perpétuelle de ce rapport entre le texte, l'image et
le lecteur. Cette remise en question fait de l'internaute un lecteur à
la fois attentif et actif qui est en mesure de procéder à des
choix et donc à suivre un parcours plutôt qu'un autre. Nous tenons
à préciser que ces remarques valent uniquement par rapport
à certains web-documentaires historiques et en particulier ceux qui
s'apparentent à un webdoc "idéal".
En plaçant la déconstruction de la narration au
coeur des enjeux du web-documentaire historique, les créateurs proposent
un contrat de lecture qui redéfinit le récepteur. Cette
déconstruction du récit doit être cependant
compensée par l'action et la pensée du récepteur. En cela
réside la promesse d'interactivité que l'on retrouve dans de
nombreux discours. Néanmoins quelles sont les formes et les
conséquences de cette interactivité promise ?
1.3- L'expérience interactive du webdoc ou la
promesse de penser l'usage
Nous abordons à présent la promesse
d'interactivité revendiquée dans certains discours de
professionnels. Cette promesse est parfois même inscrite en toutes
lettres au sein des dispositifs médiatiques. Une telle promesse traduit
la volonté de véritablement repenser l'usager et l'usage d'un
média. Cette volonté s'inscrit dans un contexte social et
médiatique qui favorise une telle démarche. A dessein de
réaliser cette promesse, le webdoc historique confère davantage
de libertés au lecteur que ce que propose un documentaire
télévisé. C'est à travers la théorie de
l'oeuvre ouverte d'Umberto Eco que nous analyserons ce nouveau rapport à
la liberté qui permet de penser l'interactivité et par
conséquent un usage inédit des médias.
1.3.1- Le web documentaire et la théorie de l'oeuvre
ouverte d'Umberto Eco
Dans son oeuvre L'oeuvre ouverte, Umberto Eco
développe l'idée que des oeuvres, littéraires ou
musicales, tissent un rapport au récepteur inédit. Une plus
grande liberté jaillit de ce rapport. Une liberté par rapport
à l'information et une liberté par rapport au dispositif. Nous
pensons que c'est dans cette optique que s'inscrivent les rapports entre
l'internaute et le web documentaire. Le webdoc historique est le signe d'une
ouverture qui entre en rupture avec le format documentaire
télévisé qui s'aligne davantage sur un modèle de
lecture close. Avec le web documentaire, les limites spatiales et temporelles
sont repoussées et cela génère ainsi un rapport
inédit entre l'individu et le dispositif technique.
1.3.1.1- Un champ des possibilités ouvert
Avec la théorie d'Umberto Eco, c'est la
multiplicité qui prime. Il place la liberté au coeur de la
démarche créative. Toutefois, il s'agit de la liberté du
lecteur. Selon l'auteur italien l'oeuvre doit être un « champ de
possibilités, une invitation à choisir »54
Cette invitation à choisir doit être pensé dès le
processus créatif. Ce sont des oeuvres qui « demandent à
être repensées et revécues ». Dès lors,
nous rapprochons le web-documentaire historique de cet idéal d'une
oeuvre ouverte. Dans l'article Regards croisés sur le 17 octobre 1961,
Nicolas Bole affirmait que « la forme même du récit web
permet à une même historie de se laisser regarder par le bout de
différentes lorgnettes. »55 Dans ce cas
précis, N. Bole parle de deux récits webdoc qui traitent d'un
même sujet. Néanmoins cette métaphore des lorgnettes peut
s'appliquer au même web-documentaire historique. C'est le fond de la
pensée d'Umberto Eco qui affirme qu'une oeuvre « est valable
justement dans la mesure où elle peut être envisagée selon
des perspectives multiples, où elle manifeste une grande
variété d'aspects et de résonances sans jamais cesser
d'être elle-même »56.C'est à travers
cette théorie littéraire que l'on décèle le
principe même de la création de web-documentaire. La
réception est pensée et intégrée à la
création. Dès lors le lecteur a à sa disposition un
éventail de possibilités qui sont toutefois pensées donc
contrôlées ou déterminées par l'auteur. Cette
démarche implique une stratégie de création
particulière puisque l'auteur doit chercher le mouvement afin
d'« inciter le spectateur à se déplacer continuellement
pour voir l'oeuvre sous des aspects toujours nouveaux, comme un objet en
perpétuelle transformation ».
1.3.1.2- Le web-documentaire et
l'improbabilité
Suivant le fil de sa pensée, Umberto Eco livre une
réflexion sur le concept d'information selon Norbet Wiener qui estime
que « l'information est la mesure d'un ordre ». Cette notion d'ordre
et celle d'organisation sont essentielles dans le cadre de notre travail de
recherche sur le web-documentaire. Comment organiser cette liberté ?
Comment la rendre tangible au sein d'une oeuvre et d'un webdoc historique.
C'est à ce moment qu'intervient le concept d'improbabilité.
« Cette théorie considère
précisément les messages comme des systèmes
organisés, régis par des lois fixes de probabilité, mais
dans lesquels peut s'introduire, sous forme de perturbation venant de
l'extérieur ou d'atténuation du texte même, un pourcentage
de désordre, donc d'usure de la communication et d'augmentation de
l'entropie »57.
Penser l'internaute comme une perturbation nécessaire
de l'ordre initial du web-documentaire est extrêmement
intéressant. Cela l'est d'autant plus que l'auteur tisse un lien entre
l'information et cet
54 ECO, Umberto, L'oeuvre ouverte, Paris, Points du
Seuil, 1965
55 BOLE, Nicolas, Regards croisés sur le 17 octobre
1961, publié le 1er décembre 2010 dans Le blog documentaire
[Disponible en ligne :
http://cinemadocumentaire.wordpress.com/2011/12/01/webdoc-focus-1-regards-croises-sur-le-17-octobre-1961/]
56 ECO, Umberto, L'oeuvre ouverte, op cit.
57 Ibid
élément perturbateur. En tant que source ou
confirmation d'une non-probabilité pensée et
réalisée, l'internaute crée de l'information et ainsi
participe de la création de l'oeuvre et de son sens. C'est en activant
le potentiel de désordre que le lecteur génère une
information. Umberto Eco paraphrase Wiener pour expliquer que toute information
doit proposer quelque chose de substantiellement différent de ce que
l'on connaît déjà. Or c'est peut être dans la
manière de dire et de faire qu'une information supplémentaire,
donc utile, naît. L'auteur italien utilise un auteur de
l'antiquité à titre d'exemple. Selon lui, dans le poème de
Pétrarque, « seule l'originalité de l'organisation, son
caractère inattendu, para rapport au système de
probabilités établi, la désorganisation qu'elle
entraîne dans ce système, déterminent un taux maximum
d'information »58. Eco pense ainsi, sans le mentionner, le
principe même de l'interactivité revendiqué par les
professionnels du web-documentaire.
1.3.2- La fin de l'opposition lecteur passif - lecteur
actif ?
L'ouverture des possibles prôné par Umberto Eco
traduit cette volonté de rompre avec la figure traditionnelle du lecteur
: celle de l'individu passif. Cette réalité du champ
littéraire est valable également dans les médias. A titre
d'exemple, certains observateurs tels que Cécilia Di Quinzo59
font du genre "roman dont vous êtes le héros" l'ancêtre du
web-documentaire. Cette dernière cite même l'oeuvre de Julio
Cortazar.
1.3.2.1- La dualité actif-passif dans les
médias
Si nous devions établir une passerelle avec la
philosophie sur cette question de la passivité, nous pourrions
paraphraser Simone de Beauvoir qui dans le premier tome de son ouvrage Le
Deuxième sexe, critique le terme employé par Aristote qui
définit la femme comme un réceptacle. Cette opposition
actif-passif est l'une des nombreuses dualités qui structurent la
pensée et les comportements de notre civilisation. S'affranchir de
certaines de ces oppositions se révèle être une tâche
compliquée.
C'est pourtant ce à quoi aspirent les auteurs de
web-documentaire. Dans un entretien diffusée à la radio
canadienne, David Dufresnes, co-auteur du webdoc Prison Valley,
s'exprimait en ces termes : « on va entrer avec l'internaute
». Cette remarque fait en quelque sorte écho à la
théorie de l'oeuvre ouverte et propose une vision nouvelle du
consommateur de documentaire. Vandendorpe estime que ce rapport dialogale entre
le lecteur et l'auteur - qui existe depuis le XVII ème siècle
avec Diderot notamment - est une composante de l'interactivité mais
qu'elle ne sufit pas. Il faut en outre que le dialogue soit
« intégré à un ensemble textuel ou
médiatique susceptible de modifications
58 Ibid
59 DI QUINZIO, Cécilia, Marelle, l'ancêtre du
webdocumentaire, publié le 11 janvier 2012 sur le site
www.journalismes-info [Disponible en ligne :
http://www.journalismes.info/Marelle-l-ancetre-du-webdocumentaire_a3699.html]
significatives en fonction des réponses du lecteur.
»60 Toutefois, Vandendorpe précise que cette notion
de dialogue est bouleversée par l'émergence des nouveaux
médias tels qu'internet. Selon lui, l'interactivité ne passe plus
obligatoirement par le dialogue. Un mouvement de « déverbalisation
» s'effectue et rendu possible par une modification radicale du point de
vue de la narration. Le lecteur est moins un voyeur, un témoin ou un
participant au dialogue que le véritable acteur principal qui met en
mouvement le dispositif. Cette interactivité propre à internet et
aux web-documentaires génèrerait selon lui un « pseudo-texte
» :
« Nous ne sommes plus en présence d'un texte
au sens traditionnel du terme. Pourtant il serait dificile d'afirmer qu'il n'y
a pas de lecture, car l'usager interprète activement des signes,
décode des configurations, fait des choix en fonction des indices et
produit du sens en mettant en relation des données avec un contexte
d'accueil »61.
Le web-documentaire historique établit ainsi une
nouvelle logique dialogale entre le lecteur et l'auteur qui rompt avec la
dualité actif-passif que l'on peut retrouver, à un autre niveau,
dans le monde scolaire. Nous établissons un tel rapport puisque dans ce
cas s'inscrit aussi dans une démarche de transmission des savoirs.
Néanmoins cette rupture s'effectue surtout par rapport au genre
documentaire télévisé. En effet, la dualité
passif-actif est pensée depuis la recherche sociologique sur les "mass
media". A partir de ces travaux de recherche une autre figure du sujet
récepteur voit le jour. Il s'agit de celle d'un individu sans intention
faisant partie d'une masse indifférenciée qui ne fait que subir
les médias et leurs contenus. Le web-documentaire s'oppose à
cette conception du fait même de sa volonté d'individualiser la
réception. Cette individualisation passe notamment par
l'interactivité et la démultiplication des parcours de
lecture.
1.3.2.2- Penser l'interactivité c'est aussi
penser l'usage : la figure de l'interacteur.
A travers cette nouvelle relation dialogale se construit une
figure différente du lecteur. Au delà de la rupture avec la
représentation d'un lecteur passif, il y a une véritable
métamorphose de la figure du récepteur. Ce changement radical est
porté par le média internet qui prône et permet
l'interactivité. Dans l'article Les médias
informatisés comme organisation des pratiques de savoir, les
auteurs montrent que la nature même du média internet implique de
l'interactivité puisque le média se fonde sur les liens passeurs
: « l'écriture des sites et des logiciels sollicite le clic
comme le lieu d'une recherche et d'une surprise, garante de
l'interactivité des sites »62
L'émergence des web-documentaires marque un tournant
dans les relations entre le spectateur et les auteur. La
nécessité d'anticiper les pratiques n'a jamais été
aussi forte avec le web-documentaire. Cette capacité d'anticipation des
usages est essentielle voire indispensable. A ce titre, les auteurs de
l'ouvrage collectif Lire, écrire, récrire empruntent
à Harris le concept de « contexte programmatique
»63. Pour qu'un site ait du sens, il faut qu'il soit compris et
interprété par
60 VANDENDORPE, Christian, Du papyrus à l'hypertexte,
op cit.
61 Ibid
62 JEANNERET, Yves, DAVALLON, Jean et TARDY, Cécile,
Les médias informatisés comme organisation des pratiques de
savoir, publication de l'université d'Avignon, 2007 [Disponible en
ligne :
http://www.isko-france.asso.fr/pdf/isko2007/Actes%20ISKO%20FR%202007%20p%20169-184.pdf]
63 LE MAREC, Joëlle, JEANNERET, Yves et SOUCHIER, Emmanuel,
Lire, écrire, récrire Objets, signes et pratiques
l'utilisateur. Les auteurs de ces sites et en l'occurrence des
webdocs historiques doivent penser cette interprétation afin de la
rendre actualisable et possible. De cette anticipation des usages
découle une figure particulière de l'internaute.
Catherine Guéneau propose le terme d' «
interacteur »64. Elle estime que l'émergence des
médias informatisés a conduit à un bouleversement des
frontières et a généré une posture nouvelle «
liée à une forme de communication (ou de réception)
interactive »65 Cathérine Guéneau estime que
cette figure est construite à rebours de la notion de passivité
qui est stigmatisée. Elle craint que l'interactivité apparaisse
seulement comme un « remède ». Elle utilise
même la métaphore de la détention pour désigner ces
nouvelles pratiques interactives : « De manière
évidente, le spectateur vient d'être condamné à une
manipulation sélective obligatoire qui le ferait basculer vers une
nouvelle sphère : celle de l'interacteur. »66 Cette
condamnation soulève des interrogations quant à la
réalité du processus d'interactivité. Plaçant la
liberté au coeur de sa démarche, l'interactivité n'est
elle qu'illusoire si l'internaute est « condamné » ?
1.3.2.3- Le webdoc historique s'inscrit-il dans une
réelle démarche interactive ?
Dans son article, Catherine Guéneau pose la question de
l'existence d'un interacteur réel notamment dans les films interactifs.
L'internaute aurait seulement l'illusion d'une interactivité. Cette
simulation d'interactivité repose sur une conception particulière
de ce concept : elle repose sur le mouvement, l'activité physique de
l'internaute. C'est cette pensée du clic qui nourrit l'imaginaire de
l'interactivité. « Comment peut on afirmer que le seul fait de
cliquer sur une partie de l'image puisse rendre la participation effective ?
» s'interroge C. Guéneau après visionnage d'un film
interactif.
Nombreux sont les professionnels du web-documentaire qui se
méfient de cette notion d'interactivité. Au cours d'un entretien
vidéo publié sur le site
webdocu.fr, Fredéric Kreder -
producteur à Advocate-Interactive - affirme que le « spectateur
reste spectateur pendant la majorité du contenu ».
L'intervention de l'internaute est requise lorsqu'il faut changer le contenu. A
ce moment, « il va falloir l'amener de façon assez subtile mais
en même temps assez visible. On ne peut pas l'obliger mais on doit
l'inciter. » Lors des entretiens d'observation menés
auprès de personnes visionnant le webdoc historique La nuit
oubliée, nous avons constaté que les différents
individus adoptent deux postures différentes : l'une
relâchée - les mains n'ont plus aucun contact avec l'ordinateur -
lorsqu'ils regardent le contenu vidéo et l'autre plus active
physiquement - les mains posés sur le clavier ou la souris et le corps
avancé - lorsqu'il s'agit de changer de contenu.
Ces discours et ces observations sont surprenantes du fait que
le terme "interactivité" soit partagé par l'ensemble des
diffuseurs et producteurs de web-documentaires historiques. Si la notion de
webdoc est discutée, celle d'interactivité semble faire
consensus. Dès lors, nous pouvons interroger la nature de cette
interactivité promise.
des médias informatisés, Paris,
Bibliothèque publique d'information, 2003
64 GUENEAU, Catherine, Du spectateur à l'interacteur?,
dans Communication & Langage n°145, Armand Collin; septembre 2005
[Disponible en ligne :
http://www.mediascreationrecherche.com/spectateur.pdf]
65 Ibid
66 Ibid
1.2.3- Quelle est la nature de cette interactivité
? 1.2.3.1- L'interactivité du geste : la pensée du
clic
Nous avons mentionné cette interactivité du
geste fondée sur la pensée du clic. Le web-documentaire est
envisagé comme un espace au coeur duquel l'internaute peut se mouvoir
à sa guise. Ce déplacement s'effectue par le biais de l'action
qui consiste à cliquer des éléments. Dès lors il y
a une véritable mise en scène des possibilités
d'interaction. Cette mise en scène se matérialise selon
différents procédés. Nous pouvons en distinguer cinq
principaux : les couleurs, le changement d'état d'un signe lorsque le
curseur passe sur ce signe, les flèches, le mouvement des images et ce
que
nous avons nommé "l'appel au clic"Dans le
webdoc Adieu Camarades, l'appel au clic est explicite67.Par
le biais de cet appel au clic
s'instaure un dialogue entre l'internaute et l'auteur.
L'auteur se manifeste et incite l'individu à entrer de le
web-documentaire. Au coeur du web-documentaire, d'autres éléments
prennent le relais. Dans le cas de Adieu Camarades, un système
de couleurs attire l'attention de l'internaute sur la frise
chronologique68. Ce type de dispositif repose sur la
curiosité de l'internaute ainsi que sur sa culture du web. Tout
élément n'est pas nécessairement cliquable. Ce sont
certains codes qui dirigent le regard de l'internaute. Le web-documentaire
historique a la particularité de générer des codes qui lui
sont propres. En effet, la frise chronologique et la carte sont deux supports
récurrents des web-documentaires historiques. Ces supports sont
généralement cliquables et permettent d'accéder à
d'autres contenus ou pages. Le web-documentaire 17.10.61 offre un
exemple d'une carte interactive69 qui permet d'accéder aux
différents récits en fonction des lieux cliqués. Tout
comme la frise chronologique, la carte devient un élément
naturellement cliquable. Aux dimensions didactique et esthétique se
surimpose une dimension technique. Le web-documentaire naturalise cette
dimension. Il en va de même pour les flèches. Ces dernières
sont un élément essentiel du balisage du web-documentaire. Elles
sont dotés d'une triple fonction : établir un contact voire un
dialogue avec l'internaute, générer une sensation de profondeur
ou d'étendu du webdoc et dynamiser la lecture. Nous pouvons parler d'un
dialogue ou d'un contact avec l'internaute car chaque
flèche70 représente une promesse, faite au lecteur, de
découvrir d'autres éléments et d'autres contenus. C'est
seulement l'action de l'internaute qui va activer cette promesse. Cela nous
amène à faire un lien avec la notion d'entéléchie
pensée par Aristote. La distinction entre puissance et acte permet
d'illustrer le processus en cours dans un webdoc. Tout est possibilité,
potentialité, puissance. Seul l'internaute active. Bien que ce processus
soit identique pour la littérature, le web-documentaire
matérialise et permet de visualiser ce passage entre puissance et acte.
Enfin, les images sont l'ultime élément sur lequel repose la
pensée du clic. Dans le cas du webdoc Berlin 1989, souvenirs d'un
monde d'hier, la mise en scène particulière se construit sur
un mouvement perpétuel71 des contenus vidéos. Ce
67 Annexe 4
68 Annexe 5
69 Annexe 8
70 Annexe 7
71 Annexe 6
mouvement se réalise sur un axe perpendiculaire
à l'écran. Ces mouvements continuels d'apparition-disparition
font que l'internaute a l'impression que les images se dirigent vers lui. Ce
sont donc autant d'appels au clic, à l'action. D'autant plus que lorsque
l'individu glisse le curseur sur ces images, le flux interrompt. Ainsi chaque
lecteur a un certain pouvoir sur ce mouvement et par conséquent sur le
dispositif.
Les cinq dispositifs cités ci-dessus sont les
éléments les plus récurrents qui permettent de comprendre
cette pensée du clic. Ils engagent l'internaute dans une démarche
interactive fondée sur l'action puisque chaque geste de l'internaute
aura une conséquence sur le dispositif et sur le parcours de lecture.
Toutefois, l'interactivité n'existe que si l'internaute a conscience que
son action peut engendrer une modification. La
dificulté réside ainsi dans le fait d'expliciter
de manière subtile la démarche. D'autres formes
d'interactivité sont à l'oeuvre dans le web-documentaire
historique.
1.2.3.3- L'interactivité intellectuelle
Le web-documentaire historique est une succession de contenus
et de silence. Dans un article72 consacré au
web-documentaire, Thomas Constant livre l'idée selon laquelle la figure
du journaliste est vidée de sa substance pour que l'internaute comble.
L'internaute doit ainsi pallier à un manque du fait de la
délinéarisation du récit. Il a à sa disposition
certains outils que nous venons de citer. Dans le cas du web-documentaire
historique, une autre dimension de l'interactivité est à l'oeuvre
: l'intellect. Ce type de production mécanique nécessite une
pensée associative. Devant la quantité et la diversité des
contenus proposés, l'internaute n'a d'autres choix que de
développer une pensée associative. Certains web-documentaires
inscrivent ce mode de pensée au sein même du dispositif. Le webdoc
Les combattants de l'ombre met en évidence cette pensée
en proposant une carte73 des contenus. Ce dispositif est une sorte
de carte mentale de la pensée associative. Chaque contenu est
classé selon les thématiques ou selon les pays et les contenus
ayant été visionnés sont signalés. L'association
des documents est ainsi matérialisée.
Nous estimons que la pensée associative fait partie de
la démarche interactive car sans elle le web-documentaire historique ne
peut être visionné. La dimension technique (la pensée du
clic) ne peut à elle seule sufire à mobiliser
l'internaute. En cela réside une autre différence vis à
vis du documentaire historique télévisé où le
récit linéaire ne stimule pas de pensée associative ou du
moins la stimule dans une moindre mesure.
A travers l'analyse de discours, nous avons
décelé trois promesses majeures sur lesquelles reposent la
création et la production de web-documentaires historiques. Ainsi, ce
triple constat nous a amené à penser notre objet d'étude,
à savoir le web-documentaire historique, par le prisme de ces promesses.
Notre hypothèse avançait que les web-documentaires et en
particulier ceux qui ont trait
72 CONSTANT, Thomas, Web-documentaire, jouer au petit
journaliste, [Disponible en ligne :
http://webdocu.fr/web-documentaire/2012/01/16/webdocumentaire-jouer-au-petit-journaliste/]
73 Annexe 9
à l'histoire proposent un contrat de lecture
inédit. Malgré les nuances que nous avons souligné, nous
pouvons affirmé que le web-documentaire repense en partie l'usage du
documentaire et du média en général. D'une part, il y a
une véritable volonté de proposer une nouvelle approche du
documentaire historique par le biais de la déconstruction des formes
narratives et de l'interactivité. Ensuite, nous soulignons l'intention
de repenser les structures narratives du documentaire. Enfin, et cela est
liée aux deux précédent constats, le web-documentaire est
un dispositif médiatique qui implique des pratiques médiatiques
inédites.
Nous émettons l'idée qu'il s'agit
essentiellement de promesses et d'imaginaires qui découlent de la
création de web-documentaires. Ces promesses s'incarnent dans des
dispositifs concrets tels que les web-documentaires qui composent le corpus.
Toutefois, nous préciserons que la réalisation de ces promesses
n'est pas complète. Ce constat découle de l'observation, dont
nous avons fait état, des divers web-documentaires historiques. Une
telle réalité s'explique en partie que ce genre médiatique
est en phase d'expérimentation. Nous ajouterons que bien que ces
promesses ne soient pas entièrement réalisées, il n'en
reste pas moins que les pratiques médiatiques subissent des
modifications profondes. La réalité et la nature de ces
bouleversement des pratiques médiatiques induites par le
web-documentaire vont être l'enjeu de la deuxième partie de ce
travail de recherche.
Partie 2- Le webdoc historique bouleverse t-il nos
pratiques médiatiques ?
« Vivre le Web est en tant que tel une
expérience hypermoderne qui oblige à un remaniement
considérable de tous nos repères »74.
L'introduction a été l'occasion de
préciser que notre travail de recherche nous conduirait à
analyser l'impacte du webdoc historique sur notre société. Cette
dimension sociale essentielle mène notre réflexion sur le terrain
des pratiques et comportements médiatiques induits par le
web-documentaire historique. Nous avons longuement déterminé en
quoi ce genre médiatique est novateur dans le paysage audiovisuel.
Désormais, il nous importe de comprendre les implications sociales de
cette expérience hypermoderne. Afin de ne pas se fourvoyer en proposant
un discours éthéré sur les pratiques médiatiques,
nous avons décidé de mener dix entretiens observatoires.
2.1- La place de l'internaute au sein du dispositif
Cette première partie vise à saisir la
manière dont l'internaute aborde le dispositif médiatique
particulier qu'est le web-documentaire historique. Nous souhaitons mettre en
évidence son rôle, ses pratiques et ses stratégies
élaborées face au web-documentaire historique. Notre
réflexion et observation seront fondées sur des textes
théoriques mais aussi sur les résultats des enquêtes
d'observation menées sur deux webdocs, à savoir La nuit
oubliée et 17.10.61.
2.1.1- La manipulation des web documentaires : l'internaute
doit prendre place
Tout dispositif médiatique donne lieu à une
manipulation de quelque sorte qu'il soit. Le web-documentaire historique
n'échappe point à cette règle. Au contraire, il en fait
l'essence même de sa démarche. Nous avons expliqué, plus en
amont, l'importance de l'action de l'internaute sans laquelle le webdoc ne peut
s'animer. La manipulation est indispensable d'autant plus qu'elle est
continuellement nécessaire. Cette situation confère à
l'individu une place fondamental au coeur du dispositif. D'autant plus que
cette place est fortement valorisée du fait de la liberté qui lui
est accordée. C. Vandendorpe montre que l'invention de l'écriture
libère l'individu de la triple contrainte imposée par la
situation d'écoute :
- l'auditeur n'a pas la possibilité de
déterminer le moment de la communication
74 L'outre-lecture, manipuler, (s')approprier,
interpréter le Web, Paris, Bibliothèque publique
d'information/Centre Pompidou, 2003, p.16
- il ne maîtrise pas le débit et se retrouve ainsi
prisonnier du rythme choisi par le contenu
- il n'a pas la possibilité de retourner en
arrière : le fil est irrémédiablement linéaire.
Cette observation qu'il propose dans la première partie
de son ouvrage75 peut être utilisée dans le cas du
web-documentaire historique par rapport au documentaire
télévisée. Paradoxalement, le webdoc historique
délivre l'internaute de certaines contraintes mais l'oblige à le
manipuler, à agir sur le dispositif.
Les résultats des différentes enquêtes
d'observation étayent ce constat. Le web-documentaire est d'abord un
objet que l'on manipule et qu'il faut apprendre à manipuler. Certains
individus préfèrent avoir une vision globale du dispositif avant
de pénétrer dans le webdoc. C'est la cas de Laura qui, à
tâtons, vérifie les zones cliquables du webdoc 17.10.61.
D'autres internautes font l'apprentissage du web-documentaire en passant
par différents échecs dans le parcours de lecture. Ils n'ont pas
essayé de saisir la logique du dispositif avant de se lancer dans la
lecture. Nous pouvons citer, à titre d'exemple, le parcours de lecture
d'Anne-Marie qui s'est perdue dans la plateforme Dailymotion. Par ailleurs, les
commentaires publiés à propos des webdocs historiques
révèlent également la prégnance de la dimension
technique du web-documentaire. Alain G. a publié sur le site du monde le
commentaire suivant à propos du webdoc Berlin 1989, souvenirs d'un
monde d'hier :
« Merci d'avoir mis ces moyens techniques en oeuvre
sur ce sujet qui me passionne. De plus, j'ai l'impression d'avoir
accédé à l'information telle qu'elle sera dans le futur.
Je ne sais pas si vous l'avez déjà proposé sur d'autres
sujets, mais moi je découvre et je dis bravo! »
De tels commentaires mettent en exergue l'importance de cette
dimension technique du web-documentaire. Dans un article publié dans la
revue Hermès, Dominique Cotte insiste à plusieurs reprises sur
cette dimension des sites internet. Selon lui, le média
informatisé est doté d'une « double nature
»76 . Il est « à la fois support
communicationnel (symbolique) et artefact technique ». Il y a une
véritable volonté, dans son approche, de rendre à ces
dispositifs médiatiques leur « épaisseur technique
». Dominique Cotte rappelle également que « tout
dispositif de communication contemporain s'articule sur (au moins) deux niveaux
: une partie visible, offerte sur des dispositifs de lecture fortement
technicisés (les écrans) et une partie invisible formée de
dispositifs de programmation, d'organisation et de transfert.
»77 Il avance ces postulats afin de déterminer des
lignes directrices qui permettent d'envisager ces objets médiatiques
selon la triple dimension sémiotique, technologique et anthropologique.
C'est dans cette démarche que s'inscrit notre travail. Le
web-documentaire historique rend tangible cette dimension technique essentielle
à la manipulation du dispositif.
Dans le premier chapitre de l'ouvrage collectif L'outre
lecture, les auteurs parlent même de la « dimension
"technologique" de la cognition »78. Ils
développent l'hypothèse selon laquelle la manipulation est
inséparable de la production de sens. « On pourrait même dire
qu'il [le site
75 VANDENDORPE, Christian, Du papyrus à l'hypertexte,
op cit.
76 COTTE, Dominique, Ecrits des réseaux, écrits
en strates Sens, technique, logique, dans la revue Hermès
n°39, 2004
77 Ibid
78 L'outre lecture, Manipuler, (s')approprier,
interpréter le web, op cit.
internet] ne délivre d'information qu'à
condition d'être manipulé »79. Les espaces
d'action et de compréhension ne font donc qu'un au sein d'un
web-documentaire historique. La manipulation génère de
l'information ou mène vers elle : « le travail sur le sens
s'appuie sur la manipulation de signes écrits et d'objets graphiques qui
n'indiquent pas seulement mais qui contribuent aux métamorphoses
matérielles de l'écran »80. La production et
l'enregistrement de sens ne peuvent donc être pensés sans cette
manipulation dont la nécessité n'est donc plus à
démontrer.
Toutefois les individus n'incarnent pas perpétuellement
le même rôle au sein de ce dispositif. La manipulation est une
posture qu'il adopte alternativement. En effet, les différentes
enquêtes d'observation nous indiquent que plusieurs postures existent au
cours du même visionnage. Samuel Gantier pense que l'individu est
« en tension permanente entre deux postures spectatorielles qu'il
occupe alternativement »81 L'une permet au lecteur de
s'identifier aux enjeux du récit. L'internaute est alors «
immergé dans la diégèse » et baigne dans le
flux du contenu. L'autre consiste en une posture externe où l'internaute
est « invité à cliquer sur l'interface afin de choisir
les différents chemins narratifs »82. L'observation
de Célia illustre cette alternance de posture. D'autant plus que cette
dernière s'incarne dans des positions du corps spécifiques : le
corps détaché de l'outil informatique ou les mains posés
sur l'outil et le corps avancé. La manipulation n'est donc pas la seule
posture de l'internaute au sein du dispositif. Sa place est donc double :
à la fois acteur et spectateur.
2.1.2- L'appropriation du web documentaire par les
internautes
Au delà de la manipulation du dispositif, le lecteur,
pour prendre réellement sa place, doit s'approprier le webdoc
historique. C'est donc cette démarche d'appropriation qui est l'objet de
notre réflexion. Cette appropriation est commandée par la logique
du choix. L'internaute est toujours soumis à un choix qui conditionne sa
lecture et ainsi son appropriation du document. La dimension temporelle est
fondamentale pour penser la démarche d'appropriation. Les liens passeur
qui structurent le webdoc historique mènent l'internaute vers le monde
de l'urgence. Se développe chez les personnes interrogées une
certaine crainte de ne pas tout voir, de ne pas tout comprendre. Au sein du
web-documentaire se côtoient le temps court et le temps long. Le premier
se réfère aux différents liens passeur qui incitent
à changer de page ou de contenu et qui inscrivent ainsi l'internaute
dans une logique de zapping. Il s'agit d'ailleurs d'un temps marqué par
la discontinuité. Le second est matérialisée par les
différents signes du paratexte. La plupart des vidéos des webdocs
sont accompagnées d'une frise horizontale qui indique la durée de
la vidéo et le temps qui passe. Ce temps continu est souvent long
puisque ce sont des témoignages ou des images d'archive qui ne sont pas
coupées au montage. L'appropriation du webdoc historique est
gênée par cette dimension temporelle.
Toutefois elle est possible et dépend du dispositif.
S'approprier le web-documentaire historique,
79 Ibid
80 Ibid
81 GANTIER, Samuel, BOLKA, Laura, L'expérience
immersive du webdocumentaire, op cit.
82 Ibid
c'est également accepter sa propre liberté
d'action et la délinéarisation du texte. Il existe une
véritable tension, une sorte d'équilibre fragile entre
l'internaute et le dispositif. A titre d'exemple, chaque web-documentaire
propose différents choix de format de lecture (plein écran ou
dans la page). Certains proposent même d'éviter la vidéo
d'introduction. Chaque choix consiste ainsi en une appropriation du webdoc.
Dans l'ouvrage L'outre lecture, les auteurs traitent la question de la
délinéarisation :
« Il s'agit d'une acceptation de la
délinéarisation des références, de la perte de
prescription des énoncés, de la fin des autorités de
toutes sortes et donc de celles qui produisent le texte, remplacées,
pense-t-on par l'autopublication, l'hypertextualité et
l'autoréférence individualisée. »83
L'internaute s'autonomise, construit son propre parcours.
Ainsi l'appropriation est plus efficace. Toute appropriation passe par l'agir
de l'internaute. Cet agir est indispensable84. Néanmoins
toute appropriation requiert une capacité d'adaptation. Cela est
d'autant plus essentiel que l'ensemble des personnes observées ne
savaient pas ce que signifier le web-documentaire et ce à quoi cela
consistait. Il s'agissait pour ces individus d'une forme médiatique
inédite. D'un point de vue général, le webdoc
nécessite cette capacité d'adaptation du fait de la
diversité de ses formes et de ses narrations. Lorsque nous avons
interrogé les individus observés sur l'idée qu'ils se font
du webdoc, cela nous a permis de déterminer quelques horizons d'attente.
Or le média internet déconstruit systématiquement ces
horizons d'attente. Seule Anne-Marie a proposé une définition
intuitive qui se rapproche de ce qu'est le web-documentaire :
« Ça permet d'aller sur plusieurs documents
différents. On peut en voir davantage et les choisir. Il y a peut
être plus d'informations et on peut s'orienter vers autre chose, aller
plus loin dans la recherche. 85»
Les autres individus interrogés ont imaginé le
web-documentaire historique comme une retranscription d'un documentaire
télévisé sur internet. Certains pensent même que le
web-documentaire est une forme de catch-up tv. C'est le cas par exemple d'Alice
:
« C'est un documentaire que tu peux trouver sur
internet. Ils sont publiés à la télévision et qui
sont retransmis sur internet. Il y en a beaucoup plus qu'à la
télé. Tu peux avoir accès à ce que tu veux : tu
peux regarder n'importe quoi n'importe quand. Tu peux regarder le temps que tu
veux. »86
Lorsque les individus sont confrontés aux
web-documentaires, l'appropriation est donc biaisée par cette
représentation du web-documentaire. La plupart des personnes
interrogées ont conscience de cela puisqu'ils sont capables de
mentionner des différences profondes par rapport au documentaire
télévisé. Les commentaires positifs ou négatifs
témoignent d'une véritable prise de position par rapport au
genre. Les remarques des individus sont également l'indice qui nous
informe que leur lecture s'est déroulée selon des codes propres
à celui du documentaire télévisé. Emilie met en
avant le problème d'une « lecture trop saccadée
»87 alors qu'Hélène insiste sur l'aspect
« ludique »88 du
83 L'outre lecture, op cit.
84 Annexe 28
85 Annexe 19
86 Annexe 17
87 Annexe 22
88 Annexe 18
web-documentaire. Le processus d'appropriation se
réalise à travers le modèle du documentaire
télévisé puisque ce sont les codes et les repères
de ce dernier qui sont mobilisés au cours de le lecture des webdocs.
Nous tenons à préciser que les individus n'utilisent pas
seulement les codes du documentaire télévisé. L'usage des
repères du média internet est essentiel également.
Jean-Louis Weissberg résume bien, dans son article Figures de la
lectature en quoi consiste l'appropriation :
« L'activité d'appropriation du document
majore donc la dimension interventionniste [de l'internaute] puisqu'il
faut à la fois l'interpréter, le mettre en scène et
créer les conditions favorables de son auto-animation. Celui-ci sera
alors perçu et reçu selon le niveau de compétences du
destinataire qui en percevra plus ou moins la richesse selon les programmes
qu'il pourra mobiliser. »89
2.1.3- Enonciation éditoriale dans le web doc : quel
rôle est amené à jouer l'internaute ?
Lorsque l'internaute s'est approprié
véritablement le web-documentaire, une relation à trois
s'instaure ou s'est déjà instauré. C'est alors que
l'internaute s'inscrit dans une situation énonciatrice complexe. Cette
complexité nait de cet effacement de la figure du journaliste et de
celle de l'historien dans de nombreux web-documentaires historiques.
L'internaute est plongé au coeur d'une triple relation composée
de l'entité énonciatrice (le ou les auteurs du web-documentaire
qui se manifeste(nt) de différentes manières), le contenu
(photographies, cartes, témoignages, textes, rapports, bandes audio etc)
et l'internaute unique. Nous précisons le terme "unique" car il est
rare, contrairement à la télévision) que plusieurs
individus visionnent le même webdoc sur le même écran. Le
web-documentaire implique une lecture très individualisée.
Dès lors, quelle relation s'établit entre ces trois
entités ? Comment l'histoire se raconte et se donne à
raconter?
Tout d'abord, nous tenons à souligner que deux figures
essentielles du documentaire historique tendent à disparaître avec
le web-documentaire historique. D'une part la figure du journaliste s'est
métamorphosée en une sorte de dispositif intelligent qui parle
à travers des symboles, des injonctions, des liens. La figure du guide
apparaît au détriment de celle du journaliste. D'autre part, celle
de l'historien tend à disparaître. Quelques webdocs tels que celui
sur François Duprat ou 17.10.61 mettent encore en scène
la figure de l'historien. Toutefois il se font rares. La figure du
témoin a pris largement le dessus sur cette figure qui incarne
l'autorité du spécialiste. La situation d'énonciation (si
on prend pour repère le documentaire télévisé) en
est profondément modifiée. C'est notamment le rôle du
récepteur qui est est modifié. Il est désormais celui qui
choisi la situation d'énonciation. Dominique Maingueneau, pour
éclaircir la distinction pensée par Benveniste90,
différencie « embrayage » et « désembrayage
». « On appelle embrayage l'ensemble des opérations par
lesquelles un énoncé s'ancre dans sa situation
d'énonciation, et embrayeurs les éléments qui
89 WEISSBERG, Jean-Louis, Figures de la lectature, le
document média comme acteur dans SOUCHIER E. et JEANNERET Y. (dir),
Communication & langage n°140 Fonction éditoriale et internet,
Paris, Armand Collin, 2001
90 Distinction entre systèmes d'énonciation
distincts mais complémentaires : celui du discours et celui de
l'histoire.
91 MEUNIER, Jean-Pierre et PERAYA, Daniel, Introduction aux
théories de la communication, Boeck Supérieur, 2004
dans l'énoncé marquent cet embrayage
»91. Parmi ces embrayeurs figurent notamment les
déictiques temporels et spatiaux. Dans le webdocs historique, ces
déictiques sont autant de possibilités accordées à
l'internaute de choisir une situation d'énonciation particulière.
C'est en cela qu'il existe une mutation profonde de la situation
d'énonciation. Les éléments de celle-ci, avec le webdoc,
participent de l'élaboration d'autres situations
d'énonciation.
L'autre modification réside dans les différentes
formes de discours qui cohabitent dans le web-documentaire historique. Les
témoignages, les rapports (archive), les vidéos d'archive
(actualité de l'époque), les injonctions, les témoignages
de spécialistes etc constituent autant de types de discours qui engagent
une situation d'énonciation différente. Au cours d'un
documentaire historique, ces types de discours s'inscrivent dans une logique
conduite par un énonciateur matérialisée souvent par une
voix off. Le principe de délinéarisation propre au
web-documentaire mène à un éparpillement de ces formes de
discours. Ainsi la position de l'internaute est modifiée en permanence.
Afin d'illustrer cette idée par un exemple, nous utiliserons la
distinction, énoncée par Oswald Ducrot, entre allocutaire et
auditeur. Le premier désigne celui à qui est destiné un
énoncé alors que le second désigne simplement la ou les
personnes ayant pu entendre le discours. Néanmoins, dans ce dernier cas,
le locuteur peut ou ne peut pas savoir que l'auditeur peut entendre.
Le web-documentaire complexifie encore cette distinction .
Certaines archives (tels que les rapports) sont des documents dont les auteurs
n'ont pas eu l'intention qu'il y ait d'auditeurs alors que les
témoignages vidéo sont des contenus qui impliquent la
présence d'auditeurs. Le cas du webdoc Adieu Camarades est
à ce titre très intéressant. Les cartes postales (qui
n'impliquent pas d'auditeurs) sont pensées dans une situation
énonciative nouvelle puisque ce sont les témoins qui les lisent
et les commentent. L'imbrication des discours est extrêmement riche et
contraint l'internaute à repenser continuellement sa position dans le
schéma énonciatif.
Enfin, l'internaute est soumis à une autre
nécessité d'adaptation. Le web-documentaire est un dispositif
médiatique qui vise à plonger l'internaute dans un monde, un
univers particulier. De ce point de vue là, il aspire aux mêmes
effets qu'un jeu vidéo. Cette volonté d'immerger l'internaute au
sein d'une ou plusieurs histoires est toutefois entravée par certains
éléments qui rompent la relation
Schéma de la rupture diégétique
entre l'internaute et la diégèse.
Il sufit d'une adresse au spectateur
(première relation) pour que la position de celui-ci soit
modifiée. De spectateur, il passe énonciateur en relation avec
une instance d'énonciation qui s'adresse directement à lui.
Dès lors il y a rupture de la diégèse. Tant qu'il n'y a
pas d'adresse au spectateur, ce dernier reste immergé au sein du monde
de la diégèse. Il s'agit d'un fragile équilibre que le
web-documentaire historique ne peut réellement dominer. D'autant plus
que l'action même de l'internaute risque de le faire sortir de la
diégèse. Il faut alors intégrer cette action au monde du
web-documentaire même. C'est sur le modèle des jeux vidéos
qu'il est nécessaire de s'aligner. Le webdoc Voyage au bout du
charbon a appliqué cette démarche qu'aucune production
historique n'a encore suivi.
Le webdoc historique est donc riche d'une grande
diversité de situations d'énonciation. Dès lors, nous
pouvons interroger les stratégies de lecture des internautes.
2.1.4- Quelles sont les stratégies de lecture des
internautes ?
Peut on définir un lecteur de web-documentaire
historique en fonction de sa stratégie de lecture ? Il n'est pas
aisé de répondre à cette interrogation. Nous avons
toutefois constaté, au cours des différents entretiens, que les
stratégies de lecture correspondaient à certaines figures de
l'internaute. Parfois le terme "stratégie" est peu significatif tant
certaines personnes ne semblent pas dominer véritablement leur
parcours.
Nous avons mené les entretiens en proposant aux
individus soit le webdoc La nuit oubliée soit les deux
créations dédiées au même sujet La nuit
oubliée et 17.10.61. Nous tenons à préciser
que nous avons travaillé sur ces productions car chaque interface
implique des stratégies particulières. Selon les auteurs de
l'Outre lecture, « ces stratégies sont capitales parce qu'elles
leur permettent de synthétiser rétrospectivement l'espace qu'ils
construisent et à titre prospectif, de se doter de véritables
règles d'action, auxquelles ils tiennent d'ailleurs beaucoup
»92.
Notre analyse des différents entretiens et observations
nous ont conduit à dresser trois stratégies types. Le
modèle furtif constitue un des modèles les plus répandues
(si l'on se fie aux statistiques selon lesquelles le temps moyen de lecture
d'un webdoc est de 10 minutes). Il s'agit d'une stratégie de la
prospection. Parmi les personnes observées, Emilie,
Hélène, Célia et Laura adoptent cette stratégie.
Elles recherchent quelque chose qui pourrait justifier de prolonger leur
lecture. Au bout d'un certain temps et d'un certain degré d'observation,
elles abandonnent la lecture. Cette stratégie se fonde sur l'aspect
émotionnel ou esthétique de la lecture. Le parcours est moins
conditionné par le désir de connaître que par la
volonté de découvrir un document, une vidéo qui plait. En
terme de navigation, cette stratégie se traduit par une faible lecture
de vidéos. Au contraire, les individus prennent acte du paratexte pour
s'informer du sujet, de la durée des vidéos etc pour choisir de
poursuivre ou d'arrêter la lecture. Quelques différences sont
toutefois à signaler. Alors que Célia ne
92 L'outre lecture, op.cit.
s'attarde guère sur les différents contenus,
Emilie tente davantage de trouver un intérêt à sa lecture.
Cela s'incarne notamment à travers des retours en arrière.
Le deuxième modèle peut être
qualifié d'extensif. Cela consiste à prolonger la lecture dans
une démarche de découverte ou dévoilement de l'ensemble
des documents et vidéos. Anne-Marie et Vincent s'inscrivent dans cette
démarche. Il y a une volonté de tout lire, de tout comprendre. La
stratégie de lecture d'Anne-Marie incarne ce modèle poussé
à son paroxysme. Un tel modèle se construit notamment sur les
codes du documentaire classique et en particulier celui de la
linéarité. La stratégie adoptée est
également impliquée par la structure du web-documentaire. Les
individus observés font confiance à cette structure. Ils ne
tentent pas de la dominer contrairement au modèle
précédent. Le deuxième modèle implique un pacte
entre le dispositif et l'internaute qui se laisse en quelque sorte
porté. Néanmoins, la volonté de l'internaute permet de
sortir parfois de cette relation. A titre d'exemple, les vidéos
d'archive ont été avancé voire interrompues lorsque
Vincent estimait qu'elles étaient trop longues.
Un troisième modèle se distingue : le
modèle sélectif. Il consiste en une lecture
spécialisée des contenus à caractère scientifique.
Les internautes qui adoptent cette stratégie, tels que Nicolas et Alice,
n'imaginent pas une lecture d'un documentaire historique sans
contextualisation. Il existe un réel besoin d'être en prise avec
l'Histoire avant d'entendre les témoignages. Ces individus ont besoin
d'une garantie scientifique et d'une contextualisation pour éprouver un
intérêt pour le web-documentaire. Un rapport particulier au savoir
explique une telle stratégie. Nous pouvons parler même d'un
désir de savoir dogmatique. Du point de vue de la navigation, cette
stratégie se traduit
par une prise d'information très précoce.
« La vidéo d'introduction est importante car au moins on voit
que y a un truc qui nous intéresse donc
ça nous incite à chercher ensuite » confie
Alice. Ces internautes ont donc soit conscience soit l'intuition de l'existence
d'un contenu purement historique. Le contenu par excellence, dans l'imaginaire
collectif, étant l'archive. La mise en chapitre du documentaire permet
à ces individus d'accéder rapidement à ce type de contenu.
Il y a ainsi un processus de sélection. Toutefois, contrairement au
premier modèle, cette sélection s'opère selon des
critères antérieurs à la lecture.
Ces trois stratégies illustrent ainsi les
différentes positions adoptées par les personnes
observées. Elles reflètent également - parfois - des
figures de la réception médiatique du savoir.
Jean-Jacques Boutaud et Eliseo Veron mettent d'ailleurs en
évidence cinq figures de la réception médiatique. Il
s'agit de cinq figures93 construites par rapport à des
programmes de vulgarisation. Ces figures sont remises en question avec
l'apparition le web-documentaire historique. Les internautes ne se retrouvent
plus dans une situation conflictuelle entre les indices d'une vulgarisation du
savoir
93 Le bénéficiaire (le « non-savoir sans
complexe), le bénéficiaire perturbé (celui qui a besoin
d'une garantie scientifique), l'exclu (fondé sur le principe de la
prophétie autoréalisante d'isolement culturel), le spectateur en
retrait (il a conscience de la distinction nette entre travail de vulgarisation
et le savoir scientifique) et le bénéficiaire en retrait
(acceptation d'une position inférieure dans le lien pédagogique
de la vulgarisation)
et le dogme scientifique. En effet, ce sont les
stratégies de lecture qui définissent la forme du savoir
consommé. Un internaute peut parfaitement prendre note de l'ensemble de
la bibliographie puis lire les ouvrages et mener un travail de recherche
à partir des différentes archives qui lui ont été
soumises tout comme il peut ignorer tous les contenus. Les stratégies
mises au jour grâce aux entretiens d'observation démontrent une
rupture par rapport aux stratégies énoncées par Boutaud et
Veron. L'internaute peut donc, de par sa stratégie de lecture, se
positionner tel qu'il l'entend. L'une de ces figures est celle de
l'historien.
2.2- La traçabilité de la lecture et de
l'écriture : comment le web documentaire se donne à voir au
lecteur dans l'optique de définir ce dernier
L'idée de cette sous-partie est de montrer en quoi le
web documentaire, de par son dispositif technique, implique une posture
particulière, qu'elle que soit la stratégie de l'internaute :
celle de l'historien. L'internaute fait l'expérience d'un parcours
d'enquête et est toujours amené à se poser des questions.
La fragmentation des contenus incite l'internaute à avancer pour
comprendre et tisser du lien entre les documents qu'il vient de visionner.
2.2.1- L'importance des balises et repères :
l'internaute est sur un sentier balisé plus ou moins directif.
Tel que nous l'avons constaté dans la première
partie, il existe, pour chaque webdoc historique, tout un système
sémiotique qui impacte le parcours de lecture dans un sens dicté
par les instances énonciatives. Le web-documentaire historique est en
quelque sorte construit sur les bases d'une « négociation entre
repères rassurants et éléments déstabilisants pour
l'usager »94 Il s'agit d'établir un
équilibre entre la volonté d'inciter l'internaute à
prendre des initiatives et celle de ne pas le perdre. Dans cette optique,
l'ergonomie et l'indépendance technique du site sont des conditions
cruciales. Il faut éviter tout échec de navigation tout en
favorisant les phénomènes de présomption d'utopie (ce sont
les phénomènes d'interprétation liés à
l'anticipation95). Parmi nos enquêtes d'observation, un cas
vient illustrer la dificulté de trouver cet
équilibre. En visionnant la première video du webdoc La nuit
oubliée, Anne Marie96 s'est retrouvée sur la
plateforme Dailymotion qui héberge les vidéos de cette
création. Elle est donc complètement sorti du web-documentaire.
En effet, elle aurait continué à visionner les différents
témoignages qui se succédaient par le biais d'un
procédé technique pour supposer d'autres vidéos sur le
même thème. Cette échec de navigation (puisqu'elle ne
naviguait plus sur le documentaire) est le résultat d'un repère
visuel qui est survenu
94 GANTIER, Samuel, BOLKA, Laura, L'expérience
immersive du webdocumentaire, op cit.
95 L'outre lecture, op cit.
96 Annexe 19
au terme de la première vidéo et qui permettait
de lancer un autre témoignage mais depuis une autre plateforme
vidéo, celle de Dailymotion.
Il s'agit en l'occurrence du témoignage de Catherine
Levy. La personne observée aurait donc consulté les vidéos
sur autre site du fait d'une dificulté technique. Les
repères peuvent donc représenter un danger pour le parcours de
lecture de l'internaute.
Malgré ce danger, les repères sont essentielles.
Ils constituent la matérialisation, l'indice de la liberté de
l'internaute. Le web-documentaire historique se donne à voir pour
contextualiser le parcours de l'internaute. Les outils graphiques
synthétiques tels que les cartes ou les frises sont essentiels dans
cette démarche de contextualisation.
« Par certains côtés, ces outils graphiques
synthétiques ne servent pas seulement le traitement logique de
l'information mais aussi, plus généralement, tout ce qui concerne
le repérage dans la géographie du document numérique et la
navigation de document à document. C'est notamment le cas lorsqu'ils
sont associés aux propriétés de l'interactivité car
ils peuvent servir alors de ce que l'on pourrait appeler des signes-pivot :
leur activation permet d'avoir accès à différents niveaux
de hiérarchie tout en conservant leurs propriétés
synthétiques. Ils permettent donc "d'explorer en profondeur" des
structures d'information mais fournissent en même temps de puissants
repères de navigation en contextualisant le parcours »97
Les repères assurent donc une double fonction qui
permet à l'internaute de prévoir en partie sa lecture. Nous
pourrions même ajouter une troisième fonction : celle de filtre.
Le webdoc historique revendique (ou du moins une majorité d'entre eux)
l'exhaustivité. Plongé dans une masse d'informations,
l'internaute doit pouvoir se repérer afin d'élaborer une
stratégie de lecture. Nous constatons une sorte de
réciprocité car plus le contenu va être structuré
plus l'impression d'exhaustivité va être grande. C'est le cas pour
les web-documentaires tels que Adieu Camarades ou Les combattants
de l'ombre. Sur-sémiotiser la structure et le quadrillage permet de
valoriser le contenu et rendre visible l'exhaustivité. La
poétique du caché qui consiste en un subtil jeu entre
dévoilement-caché participe de cette démarche. Plus le
dispositif cache (ou feint de cacher) du contenu à l'internaute,
davantage il prendre conscience des repères. On lui donne à
toucher du doigt ce qu'Emmanuel Souchier nomme «
l'infraordinaire98 » du webdoc historique. Les repères
ont donc également une fonction phatique puisqu'ils sont autant d'appels
à la manipulation.
97 L'outre lecture, op cit. p. 38
98
2.2.2- La mise en transparence, en visibilité des
moyens de production du savoir
La traçabilité de l'écriture a une double
signification : le procès de création du web-documentaire (il
s'agit d'une écriture dans le réseau) et la démarche de
lecture (le texte est réécrit par l'internaute). Le
web-documentaire historique est doté d'une dimension réflexive
très enrichissante dans le cadre de notre analyse. Il se donne à
voir à la fois en tant qu'objet médiatique mais également
en tant que procès de création. Chaque étape de sa
création semble être signifié voire même
sur-sémiotisé au sein même du dispositif. Alexandra Saemmer
propose une réflexion sur cette question qui fait l'objet d'un
article99 publié dans la revue Communication & Langages.
Selon elle, le texte numérique montre comment il a été
tissé. Il existe même un renoncement à l'illusion que le
texte s'énonce et se raconte tout seul. Désormais, le lecteur
peut accéder à des sources de l'auteur, à des suggestions
de lecture. Le texte est comme surveillé. Il entre dans un processus
d'auto-légitimation qui est propre également au web-documentaire.
En effet, si la figure de l'historien tend à s'effacer, les
bibliographies100 sont désormais des éléments
clés du web-documentaire historique. Ils sont cette trace de
l'écriture du point de la vu de la création. Les créateurs
des web-documentaires donnent à voir les coulisses. Olivier Aïm
parle d'« écriture de la transparence
»101. « L'écriture de la transparence est
une écriture du "tel quel" » selon Olivier Aïm. Dans le
web-documentaire historique les différents éléments
(archives, photographies, vidéos etc) se donnent à voir tels
quels. Il s'agit de document souvent à l'état brut. Le
web-documentaire Indépendance Chacha propose des rapports, des
vidéos d'actualité de l'époque et des photographies des
journaux à l'état brut. Les internautes peuvent d'ailleurs
télécharger les documents. On donne à voir les coulisses
de la création.
« La transparence se met volontiers en scène
dans des gestes réduits à une pure logistique : l'information est
à cliquer, les rapports sont à télécharger, les
données sont exhibées dans une
écriture de l'ostension
»102.
Cette écriture de l'ostension est exactement ce qui
caractérise l'écriture du web documentaire. Les documents sont
mis à disposition de l'internaute qui peut reconstruire,
réécrire le document. C'est le cas par exemple d'Alice qui a
téléchargé plusieurs documents pour les lire plus tard.
« je préfère aller aux faits concrets et archives et les
témoignages sont au second plan »103 La
majorité des personnes observées ont besoin des archives,
d'informations historiques car ils ont besoin de construire le contexte dans
leur processus de compréhension. Cette construction est possible car les
auteurs mettent en scène ces possibilités d'assembler, de tisser
des liens entre les documents. O. Aïm souligne que d'un « point
de vue éditorial, la transparence s'exhibe dans une mise à
disposition équivalente des contenus et des acteurs sur le même
plan, celui de la "ressource" [... J La
99 SAEMMER, Alexandra, Le texte résiste t-il
à l'hypermédia ? Dans DESEILLIGNY, Oriane et CLEMENT, Jean
(dir) Communication et Langages n°155, L'écriture au risque du
réseau, Armand Colin, 2008
100 Annexe 12
101 AÏM, Olivier, La transparence rendue visible,
Médiations informatiques de l'écriture, dans PÈNE,
Sophie (dir) Internet optique du monde Communication & Langages n°147,
Armand Collin, 2006
102 Ibid
103 Annexe 17
médiation des savoirs se lit souvent comme une mise
en scène de l'acte même de transmettre un contenu vulgarisé
»104 Les instances d'énonciation elles mêmes
sont mises en visibilité. Cela incite l'internaute à construire
le sens puisqu'il peut envisager et voire ses actes selon un processus plus
global.
2.2.3- la traçabilité du parcours de
l'internaute et de son action sur la page web
Cette traçabilité de l'écriture de
l'internaute se double d'une traçabilité de la lecture. Des
éléments graphiques permettent à l'internaute de se
repérer dans son processus de lecture. Le webdoc Les combattants de
l'ombre proposent de nombreux dispositifs tels que la possibilité
donnée à l'internaute de reprendre la lecture là où
il s'est arrêté avant de quitter le webdoc au cours d'une
précédente lecture105. Dans le webdoc Berlin 1989,
souvenirs d'un monde d'hier, un repère sur la frise permet au
lecteur de se situer dans le temps106 . L'essentiel est de
suggérer une idée de progression à l'internaute. Les
traces de sa lecture doivent être visibles pour lui permettre de se
représenter sa lecture et donc de s'approprier le webdoc. Cette notion
de progression est décisive pour penser l'internaute comme un historien.
En effet, la traçabilité de la lecture s'inscrit dans cette
optique. C. Vandendorpe montre que la fixation de la pensée est
liée à l'écriture : « l'écriture permet
d'enregistrer les traces d'une configuration mentale et de les organiser
à volonté. Grâce à elle, une pensée peut
être afinée et travaillée inlassablement, connaître
les modifications contrôlées et des expansions illimitées
»107. Avec les possibilités de contrôler le
texte, les documents, le webdoc historique permet à l'internaute de
tracer le cheminement de sa pensée. Cette pensée se construit
à tâtons, par petits sauts de liens en liens, de documents en
documents. Cela implique donc des pratiques médiatiques
différentes.
2.3- L'internaute est pensé et valorisé
comme un explorateur : responsabilité cognitive.
L'internaute est pensé comme un historien, certes, mais
également comme un explorateur. C'est à travers cette figure que
se construisent de nouvelles pratiques médiatiques induites par le
webdoc historique. L'internaute traverse le texte, le temps et l'Histoire.
2.3.1- Le web-documentaire historique et l'écrit en
strates
104 AÏM, Olivier, La transparence rendue visible,
op cit.
105 Annexe 10
106 Annexe 11
107 VANDENDORPE, Christian, Du papyrus à l'hypertexte,
op cit.
« Il s'agit de montrer ce que l'écrit a perdu
en épaisseur tangible, en dimension volumique présente dans
l'objet imprimé, il l'a recréé par ailleurs dans une
organisation logique qui se présente comme une superposition de couches
»108 . Tels sont les termes de Dominique Cotte qui
explique comment les médias informatisés ont comblé un
manque d'épaisseur matériel soit une perte de
tridimensionnalité par rapport au papier. C'est cette épaisseur,
cette structure en strates que les internautes sont amenés à
traverser lorsqu'ils visionnent un webdoc historique. La profondeur de
l'intertextualité implique ainsi un imaginaire de l'exploration
revendiqué par les webdocs historiques. Ils développent
l'idée que les internautes doivent s'immerger pour replonger dans
l'histoire et les souvenirs des témoins. Il y a également la mise
en exergue de la notion de découverte ou de redécouverte qui pose
l'internaute en explorateur. C'est le cas du webdoc Indépendance
Chacha et son injonction "Redécouvrez"pour lancer le
documentaire. L'internaute est donc celui qui va dévoiler un
monde occulté, oublié. Le terme "Entrer" qui
précède de nombreux lancements de vidéo d'introduction est
également significatif de l'idée que chaque web-documentaire est
un lieu que l'individu pénètre.
Ce sont également les éléments graphiques
qui contribuent à cette figure de l'explorateur. Les cartes ne peuvent
pas être dissociées de l'imaginaire de l'exploration. Dans la
création Adieu camarades, la carte de l'Europe sur laquelle se
surimposent des cartes postales sur-sémiotise cet imaginaire du
voyage.
Carte interactive de l'Europe extraite du webdoc Adieu
Camarades
L'internaute est également un chasseur d'images. Il
doit trouver des indices, aller à la rencontre de témoins. Cette
figure du détective est à rapprocher de celle de
l'explorateur.
2.3.2- L'imaginaire du voyage : explorateur technique et
explorateur du sens
Cet imaginaire du voyage est fortement lié à la
création de sens. Dans l'ouvrage L'outre lecture, les
108 COTTE, Dominique, Ecrits de réseaux, écrits
en strates op cit.
auteurs parlent de « géographie de
l'activité »109. Cette notion repose sur
différents principes dont celui du renouvellement de l'espace
numérique. Il faut tenir compte que l'espace de l'écran n'est pas
celui du document. « Il se peut que le document dépasse la
surface de l'écran »110. D'où l'importance
d'explorer ces espaces sans limites. Car c'est de cette exploration que nait le
sens du web-documentaire. L'internaute doit se déplacer, naviguer entre
les documents pour leur donner un sens. Au cours de ce déplacement,
« se succèdent les opérations dans une chaîne
d'activités qui nous montre que les sujets construisent d'abord
"l'information" comme un espace moteur et perceptif ».Ce
chaînage repose sur trois règles essentielles que l'on retrouve
dans le web-documentaire historique :
- « il s'agit d'un dispositif moteur dynamique
où chaque action transforme le champ des possibles suivants
»
- le chaînage est structuré selon un «
centre de gravité » qui assure une certaine
cohésion technique
- l'existence de stratégies-type d'action et de
déplacement.
Par le biais de ce chaînage, l'internaute se fait
explorateur de sens. Cette quête du sens est possible grâce au
repérage dont nous avons traité précédemment.
L'internaute ou plutôt l'explorateur doit avoir à sa disposition
une série de repères spatiaux temporels qui lui permettent
d'évoluer dans l'espace. Nous avons d'ailleurs émis
l'hypothèse que le web-documentaire pouvait être pensé
selon la théorie de Jean Davallon qui s'interroge si le musée est
vraiment un média. Nous pouvons retourner cette interrogation pour
émettre la question : le web-documentaire historique n'est il pas
d'exposition de l'Histoire ? C'est le parcours de l'internaute entre les
différents contenus qui crée du sens. Chaque internaute peut se
rendre, rester ou quitter tel ou tel espace.
2.3.3- Une exploration vers l'inconnu ?
Lorsque nous avons pensé l'internaute comme un
explorateur, une interrogation a immédiatement jailli. L'internaute est
il conscient de ce qu'il recherche ? Nous avons soumis une dizaine d'individus
à un entretien d'observation. Cers derniers n'auraient probablement pas
eu l'occasion de visionner ce(s) webdoc(s) mais ils se sont prêtés
au jeu. Dès lors qu'ils sont entrés dans le web-documentaire, ils
ont essayé de comprendre, de saisir la logique et de s'orienter. Mais
vers quel but ? Nous avons choisi deux web-documentaires historiques dont le
sujet, tabou, risquait d'être méconnu. Les connaissances des
individus observés sur ce sujet étaient soit vagues soit
inexistantes. Un documentaire est pour Murielle « Quelque chose qui
m'apprend quelque chose sur quelque chose. »111 Puis elle
afirme qu'elle n'est pas grande consommatrice mais qu'elle
regarde si jamais elle « tombe dessus ». Avec le
web-documentaire historique, les internautes ne peuvent plus être
109 L'outre lecture, op cit. p.44
110 Ibid
111 Annexe 21
dans cette position. Il s'agit d'une pratique qui n'a plus de
sens avec ce nouveau genre médiatique. La posture exploratoire est
nécessaire. Et ici que pointe la dificulté
majeure. Dans un documentaire, le spectateur n'a pas besoin de chercher quelque
chose. Le web-documentaire propose à l'internaute de trouver quelque
chose sans pourtant savoir ce qu'il cherche. Est il alors dans l'inconnu ? Du
point de vue technique, le dispositif lui offre des repères, des
explications, etc. Mais du point de vue cognitif, rien n'est acquis, rien n'est
simple pour l'internaute. C'est pour cela que les personnes interrogées
se sentent parfois perdues et ont besoin de trouver des éléments
de contextualisation historique. Alice a très rapidement passé
les témoignages pour aller chercher ce contenu de nature historique. Peu
d'individus naviguent dans l'inconnu. Certains n'accordent pas d'importance
à ce contexte et se laissent guidés. Il s'agit alors d'une
exploration confiée au dispositif même.
La figure de l'explorateur est donc extrêmement complexe
et implique des pratiques médiatiques diverses. Le webdoc historique
façonne l'internaute selon des modèles différents de ceux
de la télévision. Placés dans une posture inédite,
les internautes s'engagent dans des pratiques qui entrent en rupture avec les
pratiques traditionnelles du documentaire.
L'hypothèse selon laquelle le web-documentaire nous
incite à repenser les pratiques médiatiques est en quelque sorte
confirmée par la démonstration de la précédente
partie. Le web-documentaire historique modifiant la situation
d'énonciation traditionnelle du documentaire engage les individus dans
des postures particulières et nouvelles. Par ailleurs, le support
même du webdoc, à savoir l'écran, impacte fortement les
pratiques. Désormais, nous nous demandons si ces pratiques
inédites provoquent un bouleversement dans l'approche du savoir
historique et de son apprentissage. Nous avons répété
à plusieurs reprises que l'opérativité sociale des
médias et en l'occurrence du web-documentaire constitue le point de mire
de notre travail. L'ultime partie sera l'occasion de mesurer les
conséquences de telles pratiques médiatiques sur le rapport au
savoir historique.
Partie 3- Le web-documentaire historique : quel impact
sur la mémoire collective et sur la transmission du savoir ?
« Les ordinateurs n'ont pas qu'un impact sur les
domaines scientifiques et informatiques. Ils sont en train de
révolutionner la façon même dont notre civilisation
crée,emmagasine et transmet le savoir. »112
La mémoire historique d'un individu et celle d'une
société se construisent simultanément mais selon des
processus distincts. Les médias ont un rôle à jouer dans
ces processus. Ils construisent des modes de pensée particuliers et
influencent fortement les comportements des individus. Ils proposent
également des formes de transmission du savoir différents selon
la nature et le contexte socio-historique du média. Le web-documentaire
historique propose t-il un nouveau modèle de transmission du savoir ?
Est-il au coeur d'une évolution majeure de nos pratiques culturelles et
informatives ? De telles questions doivent être posées au cours de
cette partie. Nous pensons que les pratiques médiatiques nouvelles
nées de l'émergence du webdoc historique sont à la source
d'un renouvellement de nos manières de penser l'Histoire et de se
souvenir.
3.1- Le web-documentaire historique, un média du
souvenir
3.1.1- L'histoire dans la société et dans les
médias : l'objectif, c'est l'avenir.
Marc Ferro souligne dans son article, Les oublis de
l'Histoire113, que le XV ème siècle est un
siècle charnière de l'évolution des représentations
de l'Histoire. Elle devient une passion commune et commence « à
exercer des fonctions qu'elle a souvent gardées, la glorification de la
patrie, la légitimation des institutions et de l'Etat. Là encore,
l'objet est certes le passé, mais l'objet est l'avenir ».
Parler en ces termes de l'Histoire, c'est lui accorder une certaine
fonction sociale. Bien qu'érigée en science sociale au cours du
XIX ème siècle, l'Histoire a toujours suscité
débats et polémiques. Nous pouvons même avancer qu'il
s'agit d'une des caractéristiques de cette discipline : elle suscite un
certain engouement qui parfois la dépasse. Ce n'est pas la
littérature qui va prêcher le contraire tant les exemples de
romans ou poèmes historiques sont légions. Alexandre Dumas,
Flaubert, Victor Hugo ont tracé un sillage dans lequel se sont inscrits
de nombreux auteurs à succès.
112 VANDENDORPE, Christian, Du papyrus à l'hypertexte,
op cit.
113 FERRO, Marc, Les oublis de l'Histoire, dans
Communications n°49, La mémoire et l'oubli, Seuil, 1989
Anatole France décrit dans Les dieux ont soif
en 1912 la Terreur à Paris. Mais nous pouvons surtout citer des
auteurs comme Jacques Laurent ainsi que le couple Anne et Serge Golon qui on
respectivement signé les deux premiers grands succès de la
littérature historique au milieu des années 50 avec Caroline
chérie et Angélique, marquise des Anges. Ce dernier
connaîtra un succès fantastique avec près de cent millions
de lecteurs. L'oeuvre de Maurice Druon, Les Rois maudits, fait partie
également de cette époque glorieuse pour le roman historique. Cet
attrait pour l'Histoire est encore prégnant au XXI ème
siècle. Ce sont notamment les médias qui portent cet engouement.
Des émissions telles que "La marche de l'histoire" (France Inter) ou
"Les secrets de l'Histoire" (France 2) sont des succès très
importants en terme d'audience. L'émission de Stéphane Berne a
réalisé de très bons résultats au cours du mois de
juillet114. Le 21 jui 2012 Delphine Le Goff115 estime
même, au regard des résultats, que l'Histoire est un secteur
porteur pour les titres du magazine papier. Elle souligne notamment
l'émergence de nouveaux titres tels que Figaro Histoire ou Géo
Historie. Quelque soit le média, l'Histoire connaît un
succès conséquent bien qu'il soit porté par seulement
quelques titres ou émissions.
Cet attrait est donc le signe que l'Histoire est doté
d'une fonction sociale propre. Dans cette optique les différents
médias jouent un rôle décisif. Ils font le lien entre la
population et l'Histoire. Isabelle Veyrat-Masson afirme que
« la télévision historique constitue un instrument plus
amples, plus fondamental, un mode de communication fonctionnant en rituel
social permettant aux individus de se situer au delà de leur
individualité, comme être collectif »116. Elle
cite également la notion proposée par John Hartley et John Fiske
de « fonction bardique » de la télévision dont le
programme historique serait un symbole. « Le barde, comme la
télévision est un ''médiateur de langage'Ç il
compose, à partir des mots communs, des images structurées
destinées à communiquer et à renforcer auprès des
membres de sa communauté culturelle une version forte d'elle même
»117. Le succès de l'Histoire
médiatisée s'inscrit donc dans une optique sociale
extrêmement intéressante. Il participe de la formation d'une
communauté ou plutôt d'une représentation de
communauté. Dès lors, le passé est un source d'avenir pour
la communauté qui se reconnaît des visées communes à
travers certains rituels comme celui de la médiatisation de
l'Histoire.
3.1.2- L'apologie de l'évènementiel et de la
commémoration dans les médias
Parler de rituel prend davantage de sens encore lorsque l'on
constate la place des commémorations médiatiques dans le paysage
audiovisuel français. Nous pouvons situer l'Histoire au coeur d'un
processus "d'évènementialisation". Aujourd'hui, l'Histoire est
prétexte à ou aux histoires. La programmation historique
s'inscrit dans une double temporalité : soit celle de l'actualité
soit celle de
114 Le mardi 03 juillet : l'émission
réalise un record d'audience ( 4,9 millions de
téléspectateurs et 21% de part de marché alors que TF1
(Spiderman 2) comptabilise 23,2% de part de marché) Le mardi 17
juillet : l'émission est devancée de peu par TF1 (Le
placard) et réalise 18,4% de part de marché)
115 Article publié sur
stratégies.fr le 21 juin 2012
[Disponible en ligne :
http://www.strategies.fr/actualites/medias/190002W/l-histoire-et-la-science-au-mieux-des-ventes.html]
116 VEYRAT-MASSON, Isabelle, Quant la
télévision explore le temps, l'histoire au petit écran,
Ed. Fayard, 2000
117 Ibid
l'Histoire. Dans les cas, le rapport au temps présent
est primordial. Olivier Crou, en analysant les webdocs historiques La nuit
oubliée et 17.10.61, estime que ce sont « comme
des lieux mémoriels »118. Nous pensons que le
webdoc historique est l'archétype même du lieu mémoriel. En
effet, c'est un programme médiatique qui est moins dans une logique de
flux que dans une logique de stock. Il est consultable à tout moment. Il
se construit comme un espace de consultation, de remémoration et
d'engagement. Le web-documentaire historique est la trace que la
société se souvient ou du moins assume son passé. Henri
Atlan et Edgar Morin parlent d'une « revitalisation »119.
En effet, « au-delà de la simple anamnèse, la
commémoration réintroduit l'évènement dans la vie
présente et dans la perspective future ; elle lui fait jouer un
rôle fondamental et parfois fondateur. »120 La
commémoration n'est donc pas simplement une célébration.
Elle est l'occasion de revivre l'évènement, de le
re-écrire. Le web-documentaire historique tisse donc un lien entre les
temps passé, présent et futur.
« Je me prépare à chanter un chant que
je connais. Avant que je commence, à mesure que les
éléments prélevés de mon attente deviennent du
passé, ma mémoire se tend vers eux à son tour ; et les
forces vives de mon activité sont distendues, vers la mémoire
à cause de ce que j'ai dit, et vers l'attente à cause de ce que
je vais dire. Néanmoins mon attention est là, présente; et
c'est par elle que transite ce qui était futur pour devenir
passé. Plus cette action avance, avance, plus s'abrège l'attente
et s'allonge la mémoire jusqu'à ce que l'attente tout
entière soit épuisée, quand l'action tout entière
est finie et a passé dans la mémoire »121
La dialectique des trois temps présents de Saint
Augustin illustre parfaitement ce que représente le web-documentaire
historique. Il est un chant. Le chant d'un événement historique
qui traverse les mémoires et le temps. En cela il est un chant
mémoriel. Cette logique de la commémoration est impulsée
ou du moins suivie par les médias eux mêmes. Les médias
multiplient les séries et des émissions à thème
historique lorsque des dates anniversaires marquent le calendrier. Inscrire
l'Histoire dans une temporalité de la commémoration est une
démarche médiatique et sociale qui enferme cette discipline dans
une dimension événementielle.
3.1.3- Le rôle de l'image dans l'élaboration
du souvenir
Une des conditions de la commémoration est la
« nécessité d'une mémorisation matérielle.
Il faut la réalité d'un enregistrement afin que l'oubli ne soit
qu'un enfouissement et non une disparition pure et simple »122
. Dans le cas du web-documentaire, l'image et le texte sont les supports
de la commémoration. C'est à travers les entités visuels
et textuels que se construit le processus de
118 CROU, Olivier, De la difficulté de critiquer le
webdocumentaire publié le 06 février 2012 sur le blog
webdocu.fr [Disponible en ligne :
http://webdocu.fr/web-documentaire/2012/02/06/de-la-difficulte-de-critiquer-un-webdocumentaire/]
119 ATLAN, Henri et MORIN, Edgar, Sélection,
réjection in Communications, 49, 1989 pp. 125-135 [Disponible en
ligne :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1989_nim_49_1_1742]
120 Ibid
121 SAINT AUGUSTIN, Confessions, LIVRE XI paragraphe 28,
38
122 ATLAN, Henri et MORIN, Edgar, Sélection,
réjection op cit.
mémorisation. Nous avons constaté que le lien
entre l'image et le texte est essentiel dans le web-documentaire historique.
Ils sont le support matériel de la mémoire car essentiels
à l'intellection. Le web-documentaire, de par sa structure tabulaire,
permet à l'internaute d'analyser à volonté les
données, les contenus. Le fait de maîtriser la lecture permet une
meilleure mémorisation car l'internaute est en mesure d'imposer un
rythme adapté à ses capacités de compréhension.
D'autant plus que les documents d'archive font sens dans le processus de
lecture. Ils ont un impact sur le lecteur puisqu'ils incarnent une
période, un événement, une personne. Cette incarnation est
nécessaire à l'engagement intellectuel de l'internaute. L'image
est dotée d'une force d'incarnation exceptionnelle. Dans l'article
Rhétorique de l'image, R. Barthes évoque l'une des
caractéristiques de la photographie qui engage « une
révolution anthropologique dans l'histoire de l'homme car le type de
conscience que [la photographie] implique est véritablement
sans précédent; la photographie installe en fait, non pas une
conscience de l'être-là de la chose (que toute copie pourrait
provoquer), mais une conscience de l'avoir-été-là
»123. C'est sur cette conscience de
l'avoir-été-là que repose la démarche
commémorative. Un lien matériel est tissé entre le
présent et le passé. Le web-documentaire historique est cette
conscience là du fait de sa dimension visuelle notamment. L'image a un
pouvoir de sacralisation. C'est d'autant plus le cas de l'image d'archive. Le
web-documentaire joue sur le fait que le souvenir s'appuie sur l'image (mentale
ou matérielle). L'intérêt du webdoc historique
réside également dans la manière dont il met en
scène le souvenir. Le processus même de remémoration est
mis en abîme par le biais du truchement de l'image. Nous pouvons citer un
cas précis : Adieu Camarades. Cet exemple est extrêmement
significatif de notre constat et de la manière dont le souvenir est mis
en scène dans le webdoc historique. Chaque témoin est mis en
scène de manière à ce que l'internaute perçoive,
à travers ces gestes, le ton de sa voix et son discours, le processus de
remémorisation. Il est face à la caméra et tient dans sa
main soit une carte postale soit une photo. C'est à partir de cette
photo qu'il se lance dans un récit d'une partie de sa vie passée.
L'image active le discours et revitalise le souvenir.
Vidéo d'un témoignage du
webdocumentaire Adieu Camarades
Quant à l'internaute, il
voit cette image et le témoin à l'écran.
C'est à travers le récit et l'image présente que va se
construire soit un phénomène de remémorisation soit
d'intellection. D'autant plus que se superpose parfois à ce
123 BARTHES, Rolland, Rhétorique de l'image, in
Communication, 4, 1964, p.47
récit des images animées d'archive. Ces images
ne servent en aucun cas le processus de remémorisation du témoin
mais bien celui de l'internaute. Il s'agit d'un procédé
récurrent dans les webdocs historiques.
3.1.4- Le web documentaire et la mémoire
individuelle, quel impact direct ?
Cette mise en scène impacte la mémoire
individuelle de l'internaute. Le procédé cité
précédemment n'est pas propre au web-documentaire historique. Ce
qui l'est toutefois, ce sont la structure tabulaire du contenu et donc des
images d'archives ainsi que la pensée associative.
L'intérêt du web historique est de présenter une telle
richesse de contenus et témoignages que l'internaute vit ou revit
l'évènement depuis une multiplicité de
subjectivités et points de vue. En cela l'évènement est en
perpétuelle régénérescence. La mémoire
individuelle d'un événement est alors fondée,
refondée ou revisitée par le web-documentaire. Dans chacun de ces
trois cas, l'oubli revêt une importance essentielle. « Pour
pouvoir vraiment se souvenir, il faut avoir oublié. Parce que se
souvenir ne veut pas dire seulement recopier un événement du
passé mais le revivre à nouveau »124. Mais
pour vivre un événement du passé, il faut pouvoir se
souvenir ou avoir su. Tel est le précaire équilibre qui se joue
dans le webdoc historique. Cet équilibre réside dans la
différence entre découvrir et se souvenir. Alice, dans son
parcours de lecture, préfère se diriger vers les archives :
« C'est intéressant d'avoir des avis différents mais
comme je connais pas trop l'événement, je préfère
avoir plus d'objectivité ». Cette absence de connaissance
initiale peut perturber le processus de mémorisation. En effet, si les
connaissances de l'individu sont faibles, la structure et la quantité de
contenus du web-documentaire peuvent s'avérer être des obstacles
à la compréhension. Dans le web-documentaire historique, la
logique et le fil conducteur doivent être pensés par l'internaute
(même si il est aidé). Dans le web-documentaire, il y a
coexistence d'images, de témoignages, de cartes qui sont autant
d'informations. Or Alain Lieury évoque et paraphrase la théorie
de McGeogh en afirmant que « l'oubli est
aggravé par les apprentissages ultérieurs et d'autant plus que ce
qu'on apprend ressemble à ce qu'on a appris »125.
L'absence de véritable fil conducteur peut perturber l'internaute si ce
dernier ne fait l'effort de développer une pensée associative.
D'autant plus que la surabondance d'information, caractéristique des
webdocs historiques, est la principale cause de l'oubli. Les réactions
des personnes observées recoupent un tel constat. Alice
l'afirme même explicitement :
« J'ai tendance à balayer les documents tandis
que dans un documentaire classique c'est fait pour retenir l'essentiel. J'ai
beaucoup d'info avec le webdoc mais finalement c'est mélangé,
c'est pas clair. Tout se mélange. J'arrive pas à avoir la ligne
directive ».
Le web-documentaire historique joue un rôle essentiel
dans la démarche de mémorisation et de commémoration.
Toutefois, ces deux processus nécessitent des connaissances
préalables. Dès lors, nous pouvons interroger la capacité
du web-documentaire à enseigner l'Histoire.
124 ATLAN, Henri et MORIN, Edgar, Sélection,
réjection op cit.
125 LIEURY, Alain, Oubli et traitement de l'information en
mémoire,in Communication, 49, 1989, pp. 113-123
3.2- Le web-documentaire peut il nous enseigner
l'Histoire ?
« Informer, éduquer, divertir », telle
était la devise de John Reith lorsqu'il fonda la BBC. Un triptyque qui
va rythmer la programmation des médias télévisés
durant de nombreuses années avant que les télévisions
privées ne fassent leur apparition notamment en France. Le webdoc
historique peut il reprendre cette devise à son compte ?
3.2.1- Les attributs d'un média : quel tâche
incombe au web-documentaire historique ?
Dans un article passionnant, Erhard U. Heidt tente de classer
les médias selon leur pertinence et leur
eficacité dans l'optique d'un apprentissage. A dessein
il souhaite « esquisser une théorie des fonctions des
médias dans le processus éducatif, notamment pour expliquer leur
influence sur les processus d'apprentissage »126. Selon
lui toujours, chaque média est doté d'un ou plusieurs attributs
spécifiques qui permettent de cerner les « possibilités
» de chaque média. Tout attribut n'est pas en soi
eficace mais dépend de la tâche à
accomplir du récepteur. Par ailleurs, il est nécessaire de tenir
compte des individualités : « l'utilisation d'un attribut
propre à un média éducatif peut être eficace pour un
certain type d'étudiant mais ineficace ou même
désavantageux pour un autre étudiant ayant d'autres
caractéristiques »127.Cette théorie nous
amène à poser deux questions essentielles. La première
découle du fait que le webdoc historique s'inscrit dans une logique
multimédia. D'autre part, pouvons nous envisager le web-documentaire
comme un média éducatif ? Pierre Olivier François pense
que le web-documentaire doit être un outil éducatif notamment
suite à ses propres observations lorsqu'il a présenté le
webdoc Adieu Camarades à des étudiants : « Nous
avons présenté le webdoc devant des étudiants et, comme
c'est assez ludique, ça passe très bien. Il faut que
l'éducation nationale se l'approprie ». Murielle,
institutrice, pense également qu'il « s'agit d'une bonne
idée pour l'illustration historique en classe ». Bien que le
web-documentaire historique ne s'assigne aucun tâche particulière
et que sa dimension multimédia complexifie les données, nous
pouvons tenter de classer le web-documentaire historique selon des
critères cités précédemment.
3.2.2- Quelle place pour le web-documentaire dans la
classification ?
Heidt montre que plusieurs modèles existent pour
classifier les médias selon leur eficacité
éducative. Nous ne pouvons utilisé celui de Bretz qui distingue
sept classes de médias en fonction du type d'informations qu'ils
présentent (auditive, visuelle fixe ou animée, textuelle etc).
Trois modèles ont cependant retenu notre attention.
Le premier est celui de D.T. Tosti et J.R. Ball. Il s'agit
d'un des modèles les plus cohérents dont la nouveauté est
de proposer une distinction entre média et mode de présentation.
Ils utilisent l'exemple de l'éléphant128. Selon Tosti
et Ball , « un étudiant n'apprend pas par le média. Il
apprend
126 HEIDT Erhard U. La taxinomie des médias, in
Communication, 33, 1981, pp. 51-74
127 Ibid
128 « l'image d'un éléphant dans un livre et
la description verbale de l'éléphant par un maître sont
différents à la fois quant au média et au mode de
par la forme de présentation. Les médias ne
font guère plus que présenter la chose à apprendre sous
une forme de présentation choisie précédemment
»129. Les deux auteurs distinguent six
dimensions130 de la forme de présentation. Si l'on se
réfère aux deux typologies (l'une construite sur les deux
critères n°1 et n°2 et l'autre sur les n°1 et n°3),
le web-documentaire se situerait entre le laboratoire d'image et la
diapositive, le film, la peinture et la photographie. La notion de
multimédia prend ici tout son sens. Si nous construisons notre propre
typologie à partir du premier et quatrième critères, nous
constatons que la diapositive et le webdoc se rejoignent une nouvelle fois.
Tout comme la diapositive, le web-documentaire invite à l'action et au
commentaire, à la contextualisation. Dès lors, peut on
déduire que le mode d'enseignement du web-documentaire prend source dans
celui de la diapositive ? Un tel modèle ne permet pas de tirer ce genre
de conclusion mais toutefois donne l'opportunité de saisir quelques
manières de présenter et faire circuler le savoir. Dans cette
optique, le web-documentaire est proche de la diapositive.
Le modèle de Clark est essentiel dans le sens où
il prend en compte que les effets d'un apprentissage sont le fruit «
d'interactions entre les traits spécifiques du traitement du message
éducatif et les caractéristiques propres de l'individu apprenant
»131. Les variables liées aux médias et
celles liées à l'individu interagissent dans le procès
d'apprentissage. Clark veut prendre en considération le comportement des
personnes. Cela nous paraît essentiel tant nous l'avons observé au
cours des entretiens. Les individus observés se comportent
différemment par rapport à un même web-documentaire et leur
apprentissage du sujet en est impacté.
Enfin, il existe le modèle de Salomon. Ce dernier
soutient que l'essentiel dans le comportement de l'individu réside moins
dans les réactions extérieures de l'apprenant que dans les
opérations internes.
« Les médias doivent être décrits
par rapport aux différents niveaux de supplantation des
opérations mentales qu'ils peuvent atteindre. Il veut dire par là
que les médias peuvent être intentionnellement conçus pour
présenter explicitement et donc supplanter ce qu'autrement l'apprenant
aurait à faire lui -même intérieurement et pour cela se
fonde sur ce que nous croyons savoir des opérations mentales
associées à une tâche d'apprentissage précise.
»132.
Nous pensons que le web-documentaire, en proposant un
modèle de pensée associative, anticipe une démarche
intellectuelle propre à l'apprentissage. Le web-documentaire
dévoile l'ensemble des mécanismes techniques et propose une
poétique du lien. Cette double caractéristique incarne les
processus à l'oeuvre lors de l'apprentissage.
3.2.3- La structure même d'un webdoc historique
stimule t-elle l'apprentissage ?
La structure du web-documentaire historique est source de
nouvelles pratiques médiatiques et de
présentation, tandis que l'image de
l'éléphant dans le livre et sur une diapositive est
présentée par deux médias différents mais sous la
même forme de présentation. Finalement, l'image d'un
éléphant dans un livre et la description verbale imprimée
dans un autre livre utilisent le même média mais diffèrent
quant à leur mode de présentation. »
129 HEIDT Erhard U. La taxinomie des médias, in
Communication, 33, 1981, pp. 51-74
130 1- la forme d'encodage du stimulus (structure
environnementale, picturale, symbolique et verbale) ; 2- la durée du
stimulus (temps de présentation) ; 3- la forme de la demande de
réponse (implicite, sélective, construite, vocale, motrice et
affective) ; 4- la fréquence de la demande de réponse ; 5- la
forme d'organisation ou l'intention (besoin, acquisition, prescription,
enrichissement, motivation) ; 6- l'organisation de la fréquence (
fréquence de la décision de changement de présentation, du
rare au fréquent)
131 Ibid
132 Ibid
représentations particulières de la
réception. Cette organisation complexe d'un contenu riche conduit
également à penser son impact sur le processus d'apprentissage.
Quatre phénomènes sont à l'oeuvre : l'actualisation,
l'intellection, la récupération et l'expérimentation.
Selon Jean-Louis Wesissberg, l'une des caractéristiques
du document médiatique réside dans l'actualisation d'un savoir,
d'une donnée, d'un contenu. « Le document devient un
interlocuteur, avec plusieurs niveaux d'énonciation depuis l'actuel
(l'interaction présente) jusqu'au potentiel (espace de mouvement
architecturé par l'auteur, mais qui n'est souvent pas clairement
défini par l'interactant. L'actualisation de cet espace potentiel du
document dépendra de l'investissement du lectateur, de ses
inclinations et de ses savoir-faire »133. Le
web-documentaire historique est un espace parsemé de
potentialités. L'internaute fait advenir un savoir qui n'aurait pas
été visible sans son action. Chaque actualisation du savoir est
une découverte, un dévoilement qui participe du processus
d'apprentissage. Un tel phénomène est rendu possible par la
structure même du web-documentaire historique. La logique du signe
passeur implique une multiplicité d'espaces et donc d'actualisations.
Le phénomène d'intellection repose en partie un
procédé propre au web-documentaire historique : celui de la
frustration. L'internaute consulte de documents, visionne certaines
vidéos, explore des cartes. Néanmoins chacune de ces actions se
réalise par petits bonds. Il passe de l'un à l'autre sans
nécessairement un fil conducteur. Sa lecture est donc saccadée.
L'internaute, de par la structure du web-documentaire, est dans un
perpétuel état de recherche. Cet état est motivé
par ce procédé de frustration. Umberto Eco pense que l'oeuvre
tente « d'éveiller, par une attente frustrée, notre
tendance naturelle à l'achèvement »134.
Quand il y a un état de crise du fonctionnement régulier de
l'oeuvre, « l'émotion naissante du blocage, la tendance
à la bonne forme et le souvenir d'expériences formelles
antérieur interviennent pour créer chez l'auditeur des attentes :
prévisions de solutions, préfigurations formelles
»135.Il y a un plaisir de l'attente et un plaisir de la
solution inattendue. Cette notion de plaisir est essentielle dans le processus
d'apprentissage. Plus les solutions sont en rupture avec la règle, plus
le plaisir sera grand. Le web-documentaire historique une structure et un
dispositif technique qui tentent de faire de la surprise un
élément essentiel du parcours de lecture. Les individus sont
parfois bloqués face à ces dispositifs. Lorsque la solution
apparaît à l'internaute, il en ressent une certaine satisfaction.
Certaines personnes observées ont compris tardivement le système
de la carte du webdoc 17.19.61. Lorsqu'ils s'en aperçoivent,
nous percevons un certain soulagement. Ces situations de blocage ou de
confusion font partie du processus d'apprentissage et permettent même de
le régénérer.
Par ailleurs, il existe un phénomène de
récupération. Alain Lieury évoque dans son article
Oubli et traitement de l'information en mémoire,
l'expérience d'Endel Tulving136. Cette expérience
consiste à démontrer l'importance des indices de
récupération pour la mémorisation et l'apprentissage. Ces
indices peuvent être visuels ou textuels. L'image et les photographies
sont des indices de récupération performant. Ils sont si
essentiels que la « principale cause d'oubli est l'effacement
de
133 WEISSBERG, Jean-Louis, Figures de la lectacture, op
cit.
134 ECO, Umberto, L'oeuvre ouverte, op cit.
135 Ibid
136 LIEURY, Alain, Oubli et traitement de l'information en
mémoire, op. cit. pp.116-119
ces indices »137 notamment dans la
mémoire à court terme.La mémoire a besoin
d'être rafraîchie constamment par ces indices de
récupération. L'organisation thématique (La nuit
oubliée), les différents chapitres accessibles par plusieurs
portes (17.10.61), ou encore les propositions de contenu selon les
thèmes associés (Adieu Camarades) sont autant de
procédés qui mobilisent des indices de
récupération. Le web-documentaire Berlin 1989, souvenirs d'un
monde d'hier propose une même structure ou mise en scène pour
les différents chapitres bien que le graphisme soit modifié.
Cette récurrence dans la structure est également un indice de
récupération qui impacte le processus de mémorisation et
donc d'apprentissage.
Enfin, la pratique de l'Histoire par le biais du
web-documentaire est au coeur de la logique d'expérimentation.
L'expérience est sensorielle. Vandendorpe soulignait l'importance de
séduire l'internaute du fait du risque de lassitude engendrée par
la lecture de l'hypertexte. Le web-documentaire tente de séduire les
internautes par le biais de la dimension ludique de son dispositif. Au sein de
nombreux web-documentaires historiques, l'expérience sensorielle semble
être mise en avant. C'est le cas par exemple du web-documentaire
Indépendance Chacha. Cette valorisation du sensoriel s'inscrit
dans une logique contemporaine.
« Plus que jamais, le sens de l'expérience est
guidé par la recherche de sensations, par l'immersion dans des contextes
enveloppants, polysensoriels. Le régime dominant est donc celui de
l'esthésie et des émotions sensorielles favorisées par la
synesthésie, par coopération des sens
»138.
Le web-documentaire vise à envelopper l'internaute dans
un monde particulier. Le principal des sens mobilisés est le toucher.
Chacune de ses actions résulte d'un appel à toucher le
dispositif. Viennent ensuite la vue et l'ouïe qui sont les sens de
l'intellection. Le goût et l'odorat sont les seuls sens qui ne sont pas
activés par le web-documentaire. C'est ainsi une manière
particulière d'appréhender l'histoire et donc le savoir. Il
s'agit d'un dispositif médiatique qui vise à plonger l'individu
dans un environnement. C'est pour cela que chaque webdoc est une page internet
particulière. Il constitue un univers à part entière.
Dès lors, toute interférence est une menace pour le processus
d'immersion et celui d'expérimentation.
Le web-documentaire historique peut ainsi nous enseigner
l'Histoire. Nous émettrons plus en aval toutefois une réserve
quant à la capacité du web-documentaire à traiter
l'ensemble de sujets historiques. En effet, la majorité des
web-documentaires historiques se construit autour de témoignages. Par
conséquent, les sujets s'en trouvent quelque peu limités puisque
le webdoc est dépendant de la présence de témoins qui ont
vécu l'époque ou l'évènement qui est au coeur du
sujet. Néanmoins cette valorisation de l'expérience humaine, du
témoigne est un élément constitutif du web-documentaire et
sert le processus d'apprentissage.
3.3- La valorisation de l'expérience humaine et
du témoignage permet une incarnation plus forte de
l'évènement
137 Ibid
138 BOUTAUD, Jean-Jacques et VERON Eliseo, Sémiotique
ouverte, itinéraires sémiotiques en communication, Paris,
Lavoisier, 2007
C'est la parole qui construit l'évènement autant
que l'évènement construit la parole. Telle est la trame de fond
de l'article de Roland Barthes, L'écriture de
l'évènement. Dans le web-documentaire historique, la parole
est revalorisée tout comme l'expérience humaine. Toutefois, nous
devons préciser qu'il s'agit de la parole de l'individu témoin et
non celle du spécialiste, qui est revalorisée.
3.3.1- Retour à la parole alors que
l'écriture recule : la parole construit l'évènement, le
texte l'accompagne.
« L'histoire ''chaude'', en train de se faire, est
une histoire auditive, l'ouïe redevient ce qu'elle était au moyen
âge : non seulement le premier des sens ( avant le tact et la vue) , mais
le sens qui fonde la connaissance »139. Roland Barthes
explique cela notamment par le fait que la parole radiophonique est
désormais intimement lié à l'évènement. La
connaissance de l'actualité est alors une affaire de voix et de
discours. C'est le cas du web-documentaire. Deux piliers soutiennent le
web-documentaire : l'archive et le témoignage. Or ces deux piliers
s'inscrivent dans le temps de la parole. Le premier se fonde souvent sur les
actualités (radiophoniques ou télévisées) de
l'époque et le second sur le discours d'un homme ou d'une femme qui
narre un épisode de sa vie. Cette donnée modifie
profondément le rapport à l'évènement, à
l'histoire et au savoir. « La distance millénaire entre l'acte
et le discours, l'évènement et le témoignage, s'est
amincie : une nouvelle dimension de l'histoire, liée désormais
immédiatement à son discours, est apparue, alors que toute la
''science historique avait au contraire pour tâche de reconnaître
cette distance, afin de la contrôler »140.
L'abolition de cette distance permet une incarnation plus
eficace de l'histoire. Nombreux sont les individus
observés qui ont d'ailleurs rejeté cet aspect "sentimentaliste"
et la subjectivité du témoignage. Mais chaque voix est
essentielle. Elle accompagne un récit, un événement, une
histoire. Elle représente également un guide dans le
web-documentaire. D'autant plus que l'internaute peut être amené
à naviguer sur d'autres documents alors que le témoignage est en
cours de lecture. Le récit du témoin peut ainsi incarner la
fonction de ligne conductrice du parcours de lecture.
3.3.2- L'importance de la rencontre
Au-delà de la parole, il s'agit de souligner
l'importance de la rencontre. Nous avons mentionné le contact existant
entre l'individu et le dispositif technique. Le web-documentaire vis
également à mettre au coeur de sa démarche le contact avec
les témoins. D'autant plus que le dialogue est essentiel dans le
processus d'apprentissage. Il y a un dialogue dans le sens où
l'internaute, lorsqu'il entend le récit, peut compléter le
discours par les informations disponibles sur le web-documentaire. Jean
Davallon développe dans son article Le musée est-il vraiment
un média ?141, l'idée selon laquelle le savoir
s'efface pour faire place à la rencontre dans la muséologie
d'objets. Tout est fait
139 BARTHES, Rolland, L'écriture de
l'évènement, in Communications, 12, 1968, pp. 108-112
140 Ibid
141 DAVALLON, Jean, Le musée est-il vraiment un
média ? In Publics et Musées, n°2, 1992, pp. 99-123
pour générer moins un rapport cognitif qu'une
rencontre avec l'objet. La rencontre est primordiale pour établir le
lien avec le passé. Dans le web-documentaire Indépendances
Chacha, l'absence de témoignages engagent une relation au savoir
intemporelle. Dans d'autres web-documentaires historiques, la manière
dont sont filmées les interviews permettent à l'internaute de se
trouver face au témoin. Comme dans toute rencontre, le témoin est
présenté à l'internaute. Diverses possibilités
existent. Dans le web-documentaire Berlin 1989, souvenirs d'un monde
d'hier, les témoins sont présentés de manière
très brève. L'information principale est son statut et son
rôle au moment de la période évoquée. La nuit
oubliée propose une présentation plus large du
témoin. Toute présentation est néanmoins le signe d'une
rencontre plus ou moins intime, plus ou moins longue. L'enjeu de l'internaute
est de rencontrer le témoin qui lui sera soit le plus sympathique, soit
le plus descriptif etc. Célia, dans son parcours de
lecture142, s'est arrêtée sur le couple de personnes
âgées car il lui paraissait distrayant et touchant. Ces
réactions amusées en témoignent. Ces rencontres sont le
socle du rapport à la connaissance et la vérité
historique. Ces témoins font ofice de preuves vivantes
de l'évènement.
3.3.3-Peut on oublier cependant la figure de l'historien ou
du professeur ? L'analyse est elle déterminante dans la constitution
d'une mémoire collective ?
« Ce n'est pas avec des histoires que l'on peut
construire l'histoire »143. Marc Ferro cite cette phrase de F.
Braudel pour signifier que bien qu'il soit nécessaire de convoquer
toutes les mémoires, la seule « juxtaposition de ces discours
»144ne sufit pas à fonder une
analyse. Reconstituer diffère de reconstruire. Si nous devions
distinguer le web-documentaire historique selon ces deux termes, nous serions
tentés d'y accoler le terme "reconstitution". En effet, la
majorité des web-documentaires historiques ne proposent pas une analyse
d'une période ou d'un événement. Ils proposent simplement
des documents, des contenus à valeur historique qui servent la
connaissance. L'absence d'historiens est le signe de cette prise de position.
Il n'est étonnant de souligner que le webdoc sur François Duprat
et l'extrême droite française propose des analyses de journalistes
et d'historiens car il s'agit d'une création réalisée par
un historien. La petite histoire n'a pas sa place. Nous pouvons même
poser la question de la possibilité de coexistence entre l'Histoire et
les histoires. Des documentaires tels que La nuit oubliée sépare
( thématiquement et graphiquement ) les témoignages et les
explications historiques.
Toutefois le web-documentaire historique est un moyen de
renouveler cette hiérarchie entre le savoir dogmatique et le savoir du
témoin. Henri Atlan et Edgar Morin s'interrogent à ce propos :
« Mais revenons aux sciences humaines : il existe,
là aussi, une espèce d'idéal scientifique, celui de
l'objectivité et de la soumission au fait. Idéal certes plus
dificile à réaliser que dans le cas de la physique. Mais que se
passerait-il si cet idéal scientifique pouvait être atteint dans
le domaine de l'histoire ? Cela voudrait dire que l'on devrait renoncer, une
fois pour toutes, à une théorie historique globale dotée
d'une capacité explicative large pour restreindre à des
explicatifs locaux
142 Annexe 23
143 Citation de Fernand Braudel
144 FERRO, Marc, Les oublis de l'histoire, op cit.
pour rendre compte de ces collections de faits. Dans ce
cas-lé, évidemment, on ferait sauter le caractère mythique
des travaux historiques. Mais la question alors se poserait de savoir s'il
serait encore possible de régénérer ces
évènements dans la mémoire. Je pense que non. Si ces
évènements historiques n'étaient qu'objets de science
historique idéale, une science historique elle-même non
traversée de mythes, ils seraient confinés dans la connaissance
érudite, celle du "vrai scientifique" et ne pourraient plus jouer aucun
rôle fondateur dans la société. La Révolution
française n'exciterait plus personne, il ne serait même pas
question de commémoration »145
Les petites histoires sont alors essentielles pour refonder la
mémoire collective car chaque témoin apportera sa pierre à
l'édifice commémoratif. L'histoire et la mémoire sont des
enjeux collectifs qui se construisent collectivement.
3.3.4- Le web-documentaire est-il au coeur d'une
expérience collective ?
Dès lors quel est l'impact du web-documentaire sur le
collectif ? Les moyens possibles permettant de répondre à cette
interrogation sont quelque peu limités. Un de ces moyens est de tenir
compte des réactions des internautes. Le site
lemonde.fr permet à ses
abonnés de réagir à propos des articles et des
web-documentaires. Nous avons sélectionné et classé ces
commentaires. Y a-t-il discussion autour des web-documentaires ?
« L'émergence de l'exposition est liée
à un changement d'opérativité sociale des productions
picturales imagées (décors peints, tableaux) : celles-ci quittent
la sphère du pouvoir pour entrer dans le domaine privé. Dans
cette perspective, elles ne seraient plus moyen de manifestation d'une
autorité transcendante fondant et légitimant le pouvoir
politique, mais deviendraient des oeuvres au sens moderne du terme, comme un
objet apprécié pour lui-même et, en même temps, un
objet de discussion et de jugement de la part d'amateurs éclairés
constituant en public »146.
Ces propos de Jean Davallon sont adaptés au
phénomène du web-documentaire. Dès lors, peut il devenir
objet de discussion ? Nous avons analysé l'ensemble des commentaires qui
suivaient les productions web-documentaires historique du site
lemonde.fr. Les commentaires ont
été réparti et trié selon 7 types : l'intervention
du médiateur, la remarque personnelle qui ne nourrit pas le
débat, la critique (soit du dispositif soit de la manière dont
l'information est traitée et livrée), le discours
polémique souvent véhément, des commentaires sources de
véritable débat, les éloges du web-documentaire, et
d'autres remarques qui n'ont pas grand intérêt.
145 ATLAN, Henri et MORIN, Edgar, Sélection,
réjection, op cit.
146 DAVALLON, Jean, Le musée est-il vraiment un
média ? op.cit.
Médiateur
Remarque personnelle
Critique
Polémique
Débat
Eloge
Autre
Sur l'ensemble des commentaires, la grande majorité
sont des remarques élogieuses sur le web-documentaire en question. Nous
pouvons citer à titre d'exemple le commentaire de CD - à propos
du webdoc Indépendance Chacha - : « Enfin un document
multimédia de qualité, une forme qui devrait être plus
présente sur internet ». Ce genre de commentaire
élogieux est assez rare car peu d'éloge engage une
réflexion sur le format et la diffusion du web-documentaire. La
majorité de ce type de commentaire est du genre de celui de Marie-Sophie
à propos de Berlon 1989, souvenirs d'un monde d'hier : «
Excellent multimédia interactif ». A contrario,
près d'un tiers constitue des critiques à l'encontre du
web-documentaire. Nous avons constaté que trois types de critiques sont
adressés : à propos de l'orthographe, de la manière dont
est traité le sujet et par rapport au dispositif technique. Par exemple,
Bibi Fricotin regrette que « cette interface [le webdoc sur
François Duprat] soit inutilement sophistiquée et mal commode
». L'autre constat de notre analyse est l'absence de véritable
débat. Il y a très peu de réponse à un commentaire.
Parfois, deux ou trois individus se répondent mais ce
phénomène est rare. Lorsqu'il existe, la polémique en est
la source. Le terme "débat" dans notre classification fait
référence à un certain idéal du discours et de
l'échange humain. Nous distinguons la critique du débat dans le
sens où la critique est un constat sur un point précis. Il
n'appelle à aucune réaction particulière. La
différence entre le débat et la polémique réside
dans l'intention de cette seconde à choquer pour inciter d'autres
à répondre. La virulence de certains propos exclut toute forme de
discussion. La plupart de ce genre de commentaires se retrouvent à la
suite de web-documentaires historiques qui traitent de sujets sensibles
notamment la guerre d'Algérie. Le web-documentaire sur les tortures
perpétrées en Algérie a réuni plus de 20
commentaires "polémique" sur les 35 publiés. Parmi ces remarques,
un individu s'étonne : « Pourquoi vouloir ajouter du chaos au
chaos. Vous croyez que nous n'avons pas assez de problèmes actuels pour
invoquer ceux du passé ? Devoir de mémoire ? Ou volonté
morbide d'ajouter aux temps troublés d'aujourd'hui, les malheurs du
temps passé ? ». Dans ce genre de commentaire, il s'agit d'une
logique de confrontation et d'émotion. Cette logique est incompatible
avec toute notion de débat et de discussion.
L'expérience collective du web-documentaire historique
est donc à relativiser. La mémoire
collective se construit certes à travers l'Histoire et
les imaginaires mas la notion de dialogue est également essentielle. Le
dialogue ne nait pas autour de ces web-documentaires historiques. Cela est
visible également sur les réseaux sociaux où les pages
consacrées à ces web-documentaires (notamment les pages facebook
d'Adieu Camarades et des Combattants de
l'ombre)147 sont peu commentées et peu suivies. Or la
connaissance doit circuler, faire tâche d'huile pour imprégner la
société. Pour le moment, le web-documentaire historique ne
parvient pas générer des débats de grande ampleur.
Toutefois, nous devons rappeler qu'il s'agit d'un genre médiatique
émergent.
147 Annexes 26 et 27
Conclusion
Au terme de ce travail, nous sommes en mesure de
dresser un bilan rétrospectif des différentes hypothèses
que ce travail de recherche a soulevées. Revenons tout d'abord aux
prémices de ce travail. Notre motivation première résidait
dans notre capacité ou notre volonté à
réfléchir sur l'opérativité social du
web-documentaire historique. Sommes nous parvenus à atteindre ce premier
objectif. Toute prétention gardée, nous estimons que ce travail
de recherche a été mené en observant une scrupuleuse
attention à la dimension sociale du web-documentaire historique. D'une
part, à travers l'observation et l'analyse des pratiques
médiatiques impliquées par le web-documentaire. D'autre part,
à travers la réflexion sur le modèle social de
transmission du savoir que peut engendrer le web-documentaire historique.
Cette dimension sociale a été notre fil conducteur.
L'argument épistémologique soutient ce parti pris. Notre travail
de recherche s'inscrit dans la lignée des sciences sociales et
précisément des sciences de l'information et de la communication.
Une partie de l'évolution des théories des médias
découle de la prise en compte de la multidimensionalité des
dispositifs médiatiques. Appréhender le web-documentaire selon
différents points de vue nous a permis de saisir les véritables
enjeux de ce genre médiatique nouveau.
Car c'est bien là la question. Le web-documentaire est-il
vraiment un genre médiatique nouveau ? Un genre ou un format ? Qu'est il
en fin de compte ? Ces interrogations ont été l'objet d'une
première partie qui s'est attachée à valider
l'hypothèse selon laquelle le web-documentaire s'afirme
en tant que genre inédit doté de caractéristiques propres.
Aucun média ne nait in situ. Ce n'est pas MacLuhan qui nous
affirmera le contraire. Chaque média ou genre médiatique
recèle des éléments propres à des médias
antérieurs. La question de la nouveauté ne se pose donc pas.
Celle de la forme, au contraire, se pose. Panorama multimédia, visuel
interactif, plateforme, documentaire, web-reportage etc. Nous ne pouvons
dresser qu'une liste incomplète des dénominations qui collent
à ce genre médiatique trouble. Trouble dans le sens où il
laisse même les professionnels dans l'embarras. Des émissions, des
publications, des tables rondes, des colloques se penchent sur la question de
la forme, de la dénomination du web-documentaire. Que dire alors du
web-documentaire historique ? Certains disent que l'absence du forme donne au
webdoc sa liberté et démultiplie les possibles. Au point que ce
néant sémantique en vienne à constituer une
caractéristique du web-documentaire, voire son essence même.
D'autres, à rebours, dénoncent des créations qui sans
poser la question du fond se perdent dans des absurdités et
incohérences formelles. Les sages surgissent alors de la masse et
expriment l'idée selon laquelle l'interactivité doit être
au service du récit et non l'inverse. Cela nous mène à un
deuxième point : l'interactivité. Tout comme le web-documentaire,
la plupart du temps, il s'agit d'un mot-valise. Il désigne tout et rien
à la fois. A vrai dire, dans le cas des web-documentaires historiques,
il incarne davantage un imaginaire qu'un réel procédé
technique. Les productions Voyage au bout du charbon ou Prison
Valley représentent une prouesse technique et éditoriale.
Toutefois, et malgré le succès de ces dispositifs, cette
réalité n'est pas celle de l'ensemble des web-documentaires
où l'interactivité technique n'est qu'une douce illusion. Il n'y
a pas
interactivité dans le sens où l'internaute enrichit
le contenu. D'autres formes d'interactivité existent. Une partie des
web-documentaires historiques s'inspirent de ces autres formes. L'une d'entre
elles consiste à mobiliser l'action et valoriser la liberté de
l'internaute.
Tout l'enjeu du web-documentaire historique réside dans
cette mise en scène de la liberté. Liberté de naviguer,
liberté de lire et de visionner, liberté d'approfondir le sujet
ou liberté de simplement se distraire. Il y a un renouvellement de la
pratique des documentaires. Nous abordons ce problème dans la seconde
partie. Le web-documentaire historique institue un nouvel ordre. Du moins, il
adopte les imaginaires et les stratégies marketing contemporains. Nous
sommes à l'époque de l'interaction. Nous sommes à
l'époque de la liberté de choix pour le consommateur. Les
médias ne sont pas épargnés par ce nouveau modèle
de consommation. En tant qu'objet, le média doit s'adapter à son
environnement sociétal. Le web-documentaire historique est un genre qui
a saisi ce mouvement et qui s'est laissé porté. Nous ne
souhaitons pas l'opposer au documentaire classique. Pourtant, de par son
intention, de par son contexte médiatique, sa forme, ses sujets et son
contenu, le web-documentaire historique ne peut échapper à une
telle comparaison. La question du succès de telle ou telle
création, de tel ou tel genre n'est pas l'objet de ce travail de
recherche. Ce sont les conséquences pragmatiques du web-documentaire
historique. Quelles pratiques implique t-il ? Sont elles
révolutionnaires ? Nous avons montré que ces pratiques sont
certes nouvelles mais pas révolutionnaires. Ce qui est
véritablement inédit est la manière dont est pensé
l'internaute et l'usage qu'il fait du site. L'individu est au coeur du
processus de création. Au-delà de l'individu, c'est l'ensemble
des possibilités qu'il représente qui est pensé. La
création est pensée de manière à ce que chaque
individu trouve un élément, un parcours qui lui convienne.
Certes, le genre même restreint ce panel d'individus. En effet, le
documentaire historique n'est pas un programme qui connaît une audience
massive. Par ailleurs, le support web est pour le moment peu accessible
à des personnes d'un certain âge. Enfin, nous tenons à
préciser que ce ne sont pas tous les web-documentaires historiques qui
pensent l'usage des internautes. En définitive, le nombre de webdocs et
celui d'individu concernés par ce que nous venons d'exposer est quelque
peu réduit. Qu'importe. L'essentiel de notre travail repose sur des
suppositions voire des anticipations. Loin de nous l'envie de faire de la
littérature d'anticipation. Nous souhaitons simplement mettre en exergue
des phénomènes qui existent à une échelle
microsociale mais qui pourraient bien impacter l'ensemble de la
société.
C'est sur ce présupposé que nous fondons notre
troisième et ultime hypothèse. Nous avons supposé que le
web-documentaire historique permet d'envisager d'autres formes de transmission
du savoir. Envisagé à la fois comme un lieu mémoriel et un
espace dans lequel les individus vivent une expérience
particulière, le web-documentaire modifie notre rapport au savoir. Une
fois de plus, le web-documentaire n'invente rien en soi. Ce sont son
organisation et sa structure qui en font un dispositif particulier et propice
à l'enseignement de l'Histoire. Toutefois il ne reste qu'un outil parmi
d'autres tels que les ouvrages théoriques, les films, les oeuvres d'art.
Il ne remplacera jamais la figure de l'instituteur. Cela n'est pas son
intention et cela n'est pas non plus l'objet de notre réflexion.
Cependant nous sommes en mesure d'interroger la fonction sociale d'un tel
dispositif. Et notamment son impact sur la mémoire collective et sur le
processus de mémorisation. La différence entre le
web-documentaire et le documentaire est certaine sur ce point de
vue. Chaque genre propose un mode d'intellection propre. L'important est de
saisir l'enjeu de l'enseignement afin d'adapter les outils. Le web-documentaire
développe un modèle fondé sur la pensée
associative. Ce cheminement particulier de la pensée est certainement
propice à des pratiques d'enseignement mais pas ou peu à
d'autres. La question essentielle réside donc en l'utilisation des
webdocs historiques. Nous avons fait état d'un premier
élément de réponse en analysant les commentaires
déposés à la suite des webdocs publiés sur le site
lemonde.fr. Le résultat de cette
analyse nous incite à penser que l'utilisation du web-documentaire est
à ses balbutiements. Incapable de créer un véritable
débat, le web-documentaire historique ne nourrit pas l'imaginaire et la
mémoire collectifs. Cela est propre au média internet où
la conversation - modèle médiatique qui a le vent en poupe
actuellement - est gangrénée par la prédominance de
l'émotion et des réactions virulentes dès que le sujet est
sensible. C'est ainsi l'une des difficultés à surmonter afin que
le web-documentaire historique s'impose comme un outil médiatique
propice à la transmission du savoir. L'enjeu est alors la mémoire
collective de notre société d'autant plus que le média
Internet devient l'une des sources privilégiée d'information et
d'éducation.
Bibliographie
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http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/15040/HERMES_1997_21_33.pdf;jsessionid=E344066708
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http://webdocu.fr/web-documentaire/2012/01/16/webdocumentaire-jouer-au-petit-journaliste/]
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ligne :
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38
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La taxinomie des médias, in Communication, 33, 1981, pp.
51-74
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ouverte, itinéraires sémiotiques en communication, Paris,
Lavoisier, 2007
DAVALLON, Jean, Le musée est-il vraiment un
média ? In Publics et Musées, n°2, 1992, pp. 99-123
Annexes
Annexe 1 : La nuit oubliée, encadré de
présentation de chapitre sous format de Bande
dessinée Annexe 2 : Indépendances Chacha,
diversité des contenus historiques Annexe 3 :
Indépendance Chacha, symboles qui matérialisent la
richesse des contenus Annexe 4 : Adieu Camarades !, injonction
à cliquer Annexe 5 : Adieu Camarades !, les couleurs pour
différencier les thématiques Annexe 6 : Berlin 1989,
souvenirs d'un monde d'hier, les photographies donnent une
impression de profondeur Annexe 7 : Les combattants de
l'ombre, les flèches Annexe 8 : 17.10.61, le changement
d'état du graphisme Annexe 9 : Les combattant de l'ombre, la
pensée associative Annexe 10 : Les combattants de l'ombre,
l'interactivité avec l'internaute Annexe 11 :Berlin, 1989,
souvenirs d'un monde d'hier, indications temporelles Annexe 12
:François Duprat, une histoire de l'extrême droite, la
bibliographie Annexe 13 : Entretien avec le professionnel Pierre-Olivier
François Annexe 14 : Entretien avec le professionnel François
Le Gall Annexe 15 : Entretien avec Nicolas Lavigne Annexe 16 : Entretien
avec Laura Martinez Annexe 17 : Entretien avec Alice String Annexe 18 :
Entretien avec Hélène Mouche Annexe 19 : Entretien avec
Anne-Marie Cristol Annexe 20 : Entretien avec Vincent Gerbi Annexe 21 :
Entretien avec Murielle Houllier Annexe 22 : Entretien avec Emilie
Plégat Annexe 23 : Entretien avec Célia Banos Annexe 24 :
Typologie des web-documentaires Annexe 25 : Etude de cas, les fresques de
l'Ina Annexe 26 : La page facebook du webdoc Adieu
Camarades Annexe 27 : la page facebook du webdoc Les combattants de
l'ombre Annexe 28 : extrait de L'outre lecture
Annexe 1 : La nuit oubliée,
encadré de présentation de chapitre sous format de Bande
dessinée
Annexe 2 : Indépendances Chacha,
diversité des contenus historiques
Annexe 3 : Indépendance Chacha,
symboles qui matérialisent la richesse des contenus
L'Exposition coloniale internationale, mise en scène
à la gloire de l'impérialisme français, attire 8 millions
de visiteurs.
Dès le début du X%e siècle, une série
d'expositions est organisée en France, destinée à
magnifier l'image des colonies et le rôle civilisateur de la France
à travers le monde. La plus importante se tient du 6 mai au 15 novembre
1931 au bois de Vincennes. Inaugurée notamment par le président
de la République Gaston Doumergue et le maréchal de France
Lyautey, elle attirera 8 millions de visiteurs, pour un lotal de 33 millions de
billets vendus.
1.K54 PARIS
c. 1931
F,XPOf ITION COLONIALE INTERNATIONALE
11-17 ,112041,.D
scpt
I il~l
|
|
114 119 1931 02 1936 039 1941
1944 1945 1946 1947 148
|
|
111-1'll131.1()U F FRA
1931~Exposition coloniale internationale à
Paris
Annexe 4 : Adieu Camarades !, injonction à
cliquer
flIEU [MFU1UE!
Cliquez sur DÉMARRER pour découvrir les
récits de 30 personnages â travers leurs cartes postales
envoyées au temps du Rideau de fer.
|
|
Annexe 5 : Adieu Camarades !, les couleurs pour
différencier les
thématiques
Annexe 6: Berlin 1989, souvenirs d'un
monde d'hier, les photographies donnent une impression de profondeur
KNUD PEOERSEN
DANEMARK
Knud n'est encore qu'un adoreffent de 14 ans lorsque la guerre
éclate, mais il est révolté par ia reddition du roi et la
collaboration du gouvernement danois qu'il juge honteuses. Pour lutter à
son niveau, il crée avec sept camarades d'école te Club Churchill
et commence une carrière de saboteur, détruisant des cables
téléphoniques ou brûlant des wagons de marchandises. Cette
carrière prometteuse est stoppée net quand une serveuse le
reconnaît et qu'un tribunal le condamne à trois ans de prison.
Mais les barreaux des cellules r'empëcheront pas le Club Churchill de
continuer ses activités.
LES CHAPITRES
I
|
UN ENTOURAGE DANGEREUX
|
DERRIÈRE LES BARREAUX
|
LES SOLDATS ' RETOUR AU
AMATEURS PRESBYTÈRE
|
LES EFFETS OE LA
PRISON
·
|
DÉCEPTION ET MÉFIANCE
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LES THEMES ASSOCIES
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ET APRÈS ? I LES ÉVASIONS! NOS CICATRICES
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Annexe 7 : Les combattants de l'ombre, les
flèches
Annexe 8 : 17.10.61, le changement
d'état du graphisme
PONT NE HEU ILLY
CREEL
FRANCE
A.
ALLEMAGIJE BELGIGUE - BIELDRUSSIE.
g .
CROATIE
111
LA CLUE VERïLGES CAMPS
UN LIJIADA f DE FEMME
LA PAM ET PAIES
511' NOS VÉLOS
PILLES FAB US NAAS
NOS MUTNATIUNS
N1i RE MEUTE OS US OWLS
LE EM MET
JVASIMIs
005 SABOTAGES
VIVRE AVEC LA AM
LES PEUPLES SOEN/ARRED
VIVAL AVEC itS AMMES
LIGUIDLA LES TRkilRES
MIME El 'URINATION
Annexe 9 : Les combattant de l'ombre, la pensée
associative
LES
COM BATTANTS DEL,OMBRE
PAROLES DE RÉSISTANTS
Un voyage au cceur de la
mémoire des derniers, résistants européens de la Seconde
Guerre mondiale.
IL SEMBLE ODE VDUS AVEZ DÉJÀ
COMMENCÉ LE PROGRAMME VOUS POUVEZ REPRENDRE LÀ UU VOUS EN
FIIEZ
ALLUMEZ VOS NANT-PARLEURS
atYVPB CINÉTÉVÉE ego d
CNC 1441040111+
am.o~CBraC
SO*
Annexe 10 : Les combattants de l'ombre,
l'interactivité avec l'internaute
Annexe 11 : Berlin, 1989, souvenirs d'un monde d'hier,
indications
temporelles
Un mur dans Berlin
Pour enrayer l'émigration massive des ressortissants
d'Allemagne de l'Est vers l'Ouest, les autorités de la République
démocratique allemande commencent la construction d'un mur entre les
secteurs oriental et occidental de Berlin.
§ L'affaire qui inquiète le monde entier
orrentaC
141 11 Reportage dans le secteur La construction du Mur en images
Des témoins de l'édification du murracontent
4 nov 28 nov 18 mars 12 sept LES TEMOI(9NAQES
iov 22 déc 31 Bâtit 3 oct
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Annexe 12 : François Duprat, une histoire de
l'extrême droite, la
bibliographie
BIBLIOGRAPHIE ALLER PLUS LOIR
Nicolas Lcbourg et Joseph tleaure0ard,
François Duprat, l'homme qui réinventa l'extrême
droite, Denoel, 2011.
Joseph Algazy,
L'Fxtrême droite en France (1455 A 1984),
L'harmattan, 1989.
Philippe Burrin,
Fascisme, Nazisme et autorlterFsme,
Le Seuil, 2001.
Christophe Baursellier,
Les Ennemis du système. Enguete sur les mouvements
extrémistes en France,
Robert Laffont, 1989.
Christophe Bourselller, La Nouvelle
extrême droite, Le Rocher, 2002.
lean-Yves Camus,
Extrémismes en France : faut-il en avoir peur ?,
Milan, 2006.
Jean-Yves Camus at Annie-Paula Derczansky,
Le Monde juif, Milan, 2908
Frederic Charpier, Génération
Occident, Le Seuil, 2005.
Frédéric Charpier,
Histoire de l'extrême gauche trotskiste de 1929 à
nos jours,
Editions 1, 2402.
Renaud oily,
Histoire Secrète du front National,
Grasset, 1999.
Stephane François,
Les Néo-paganismes et la Nouvelle Droite,
Arché, 2008.
Valerie Igounet,
Histoire du NEgationnlsme en France, Le Seuil,
2000.
SBbastlen Laurent dlr.,
Politiques du renseignement,
Presses universitaires de Bordeaux, 2009
Sibastien Laurent, Politiques de
J'ombre.
L Etat et le renseignement en France,
Fayard, 2009.
Nicolas Labours,
Le Monde vu de la plus extrême droite. Du Fasdsme au
na don a lism e -révolution nal re ,
Presses Universitaires de Perpignan, 2614.
Pierre Milza,
L'Europe en chemise noire. Les extr@mes droites
européennes de 1945 à aujourd'hui,
Fayard, 2002.
Pascal Ory,
L'En tte-deux-Mal, Histoire culturelle de la France, real
1988-mal 1981,
Le Seud, 1983.
Pascal Ory, Ou Fascisme, Perrin, 2010.
anti-subversion, contre-subersion. Rlveneuve, 2009.
François Cochet et Olivier Dard dir.,
Subversion,
Sylvain Cripon et Sebastian Maebah-Nadanson
dir., Les Sciences sociales au prisme de l'extrême droite.
Enjeux et usages d'une récupération idéologique,
L'harmattan, 2008.
Olivier Dard,
Voyage au coeur de l'OAS
Perrin, 2010.
P ierre Birnbaurii
La France aux Français : Histoire des haines
nationalistes, Le Seuil, 2006
Henri Weber,
Faut-ii liquider Mai 68
Le Seuil, 2008
Pascal Perrineau dir.,
Les Croisés de la sodéte fermée. L'Europe
des extrêmes droites, L'Aube, 2001.
H ldhaill Praxan,
Pierre Goldman, le rr6re de l'ombre,
Le Seuil, 2005.
Lorrain de Saint-Affrique et Gabriel Fredet,
Dans l'ombre de Le Pen,
Hachette, 1998.
N iche! Winock,
Nationalisme, Antisémitisme et fascisme en France,
Le Seuil, 1999.
Annexe 14 : Entretien avec un professionnel du
documentaire ou/et du web documentaire, Pierre-Olivier François
Entretien réalisé avec Pierre Olivier
François via Skipe le 08 mai 2012
Pierre-Olivier François est journaliste et
documentariste. Il a travaillé pour France 5, Arte, WDR, etc. Par
ailleurs, il a contribué à la création du web-documentaire
Adieu Camarades.
De nombreux web documentaires ont été
produits et diffusés jusqu'à présent, connaissons nous
cependant précisément le moment où ce genre nait
véritablement ? Et à partir de quand gagne t-il en
légitimité ?
Aucune idée, j'en ai entendu parlé y a 3 4 ans,
j'ai attendu que ça vienne à moi. Au début j'étais
journaliste puis documentaire tradi. Ça m'allait très bien. Un
producteur est venu me cherché pour ce web. Super expérience, je
m'occupe de la partie audiovisuelle. L'idée des cartes postales
était très bien. On avait beaucoup d'archives et on a
essayé de réfléchir sur la manière d'adapter ces
archives au format web-documentaire. C'est fait pour des gens qui connaissent
l'histoire et les gens qui connaissent pas.
Il y a beaucoup de webdoc mais il s'agit souvent de
créations de web tv qui n'ont pas les moyens de la
télé.
Notre webdoc a reçu le Prix de la meilleur utilisation
des archives et a donc été très exposé.
Quelles sont les (ou la) évolutions profondes que
ce genre a connu depuis ses débuts (bien que récents) ?
Définir des styles de web doc avec un peu de recul?
Ce qui m'a frappé c'est qu'il y a énormément
de choses. Je suis allé au festival de La Rochelle, et j'ai
été marqué par la profusion d'oeuvres. Il y a des choses
passionnantes et des gens qui ont compris ce que l'on pouvait faire avec le
webdoc. Malheureusement, il y a beaucoup de choses qui sont de la
"sous-télé", du doc sans documentaliste : sans début ni
fin. Y a des trucs qui se perdent.
Quelles sont selon vous les différences majeures
qui le distingue du documentaire "classique" télévisé
?
L'interactivité. Code barre est un webdoc très
intéressant dans la manière où ça utilisait
l'interactivité.
Cependant, ça n'a de sens que si l'on raconte où
ça raconte une histoire. Ça sert à rien
d'accumuler des effets techniques sans raconter d'histoire. Le
problème est que les possibilités sont illimitées et des
fois ça ne s'arrête jamais. C'est mauvais.
Y a t-il des sujets privilégiés par le
web-documentaire ? Tout sujet est abordable pour ce genre documentaire
?
La matière historique s'y prête très bien en
soi mais c'est peut être plus complexe. L'image d'archive n'est pas
forcément essentielle, on peut s'en passer. Nous avions
énormément d'images d'archives. Nous les avons utilisées
en état brut (ce qu'on fait très peu en doc classique) ou alors
nous avons pris des images pour illustrer (de manière subjective, on
détourne beaucoup pour voir l'imaginaire des témoins). Il y a eu
donc une utilisation de deux manières très opposées : soit
du brut, soit du détourné. On savait qu'on allait avoir beaucoup
d'archive que personnes ne connaissait.
La carte postale : rare moyen de communication à cette
époque. On pouvait raconter l'histoire à partir de ça.
L'idée était un projet global (exposition, livre, documentaire,
et web doc) donc les cartes postales ont été utilisées
pour le webdoc. Y a quelques tournages communs à la série web et
la série classique.
Comment s'est construit le web-documentaire parmi ces
différents supports ?
Par rapport au doc classique, le web doc est une base de
donnée à part. On nous a pas demandé de combler des trous
du doc classique. On s'est même pas coordonné. Il y avait une
certaine liberté de part et d'autres.
En ce qui concerne la création, pour le web il y a eu
différents scénarios proposés et rejetés par Arte
puis ils ont accepté les cartes postales. Dans le webdoc y a des choses
que nous avons utilisées qui n'ont pas servi ailleurs : des objets
personnels, certaines archives, des blagues des pays de l'est.
Nous avons aussi des témoins différents. Que ce
soit dans le doc classique ou le web-doc, on ne racontait pas la même
histoire et il fallait que nos personnages aient des cartes postales. De plus
on avait décide de pas prendre des VIP de l'histoire juste prendre des
personnages ordinaires (par rapport au classique ou y avait des gens plus haut
placé). On voulait raconter les raisons qui font que les pays de l'est
se sont effondrés. Ce sont des raisons très complexes et
très concrètes. Tous les thèmes [ ceux qui apparaissent
sur le webdoc matérialisés par différentes couleurs] ont
leur importance pour comprendre comment tout le système s'effondre et
notamment auprès des gens normaux. C'était important pour nous
d'avoir des gens normaux comme les petits fonctionnaires. Au sein du doc
classique, on a pas beaucoup intégré ces personnages. Seulement
cinq ou six.
Pourquoi choisir justement de faire parler « les
petits fonctionnaires » comme vous dites ?
Cela peut s'expliquer par deux raisons possibles. D'une part la
tendance lourde propre au documentaire aujourd'hui (et pas seulement propre au
web doc) d'écouter la parole d'en-bas. D'autre part, c'est plus facile
de recueillir les propos que ceux des officiels. Cela demande moins de temps et
généralement les gens sont demandeurs pour ce genre de choses. Il
y a moins de réticences que lorsque l'on souhaite interroger des
officiels ou personnalités.
Est ce que le web-documentaire est un genre qui
découle naturellement des transformations médiatiques en cours
impliquées par le développement des médias sur internet
(après les web radio, les web TV, la presse en ligne etc)?
Ça peut perdurer si il y a de l'argent oui, pour l'instant
c'est tout subventionné. L'absence de modèle économique
est un poids. C'est génial (narrativité complexe, liberté
du lecteur) ça correspond à une époque. Je pense
même que cela va devenir le modèle dominant. Le web doc est
plutôt une économie publique.
Adieu camarades était très cher (2,5 millions tout
compris, le web : 300 000). Supporter un tel investissement est possible avec
la coproduction Arte France-Allemagne. C'est grâce à la
télévision publique.
Au niveau de l'audience, je n'ai pas les chiffres mais Arte est
assez content. Les deux universitaires qui ont écrit les textes du web
doc disent que ça marche super bien auprès des professeurs.
Ça marche assez bien auprès des jeunes. Mon objectif était
de raconter à des jeunes et des plus jeunes encore l'histoire de ces
gens. Raconter un monde qui a disparu et qui, pourtant, était l'univers
absolu d'énormément de gens. Nous avons présenté le
webdoc devant des étudiants et, comme c'est assez ludique, ça
passe très bien. Il faut que l'éducation nationale se
l'approprie.
Pensez-vous également que la notion
d'interactivité soit inhérente au genre web documentaire ? Est
elle indispensable dans une optique web 3.0 (même s'il faut être
prudent sur la définition de ce terme) ?
Adieu camarades n'est pas interactif (les users ne
peuvent pas enrichir le site). C'est un site fermé. C'est pas possible
que quelqu'un rajoute quelque chose. Quand je dis interactif : c'est quand
l'utilisateur peut choisir son parcours : c'est infiniment plus interactif d'un
doc classique où le seul choix est de suivre ou d'arrêter.
Ça coupe avec le modèle professoral non
?
Il y a tous les repères qu'il faut : on peut y aller sans
problèmes. L'internaute n'est pas obligé de suivre une ligne, on
peut se laisser guidé à l'abris de l'époque. Le webdoc est
organisé de telle sorte qu'on commence avec le plus évident, et
après on navigue dans les thèmes et autres archives du même
sujet. On peut se laisser perdre.
Je trouve qu'il ne faut pas demander au web doc d'être
comme un doc classique (du point de vue de la linéarité).
Néanmoins les gens sont habitués à ce qu'on leur raconte
une histoire et les gens aiment bien. Ça a fait ses preuves. Le film
documentaire est un moyen qui s'est imposé. Le web doc n'est pour le
moment qu'au stade de balbutiement. De toute évidence, être simple
c'est toujours plus difficile que de faire compliqué.
Dans tous les modes de narration, ce qui marche c'est la
simplicité.
Est ce que le web doc peut apporter quelque chose en plus
dans la commémoration ?
Le documentaire historique est un bon business en soi, la
télévision fonctionne de plus en plus avec des dates
anniversaires. De plus en France, il existe une réelle passion pour
l'Histoire. Y a des questions à poser sur la manière dont le doc
historique utilise les différentes manières de raconter
l'histoire : le témoignage, (mémoire) ; l'archive brute
(actualité dans le passé). Le web doc en permettant de mettre en
liaison les différentes sources, démultiplie les manières
de raconter l'histoire et de comparer les différentes
mémoires.
Que pensez-vous du rapport entre texte et image et celui
entre image d'archive et entretien ? On peut avoir l'impression que
l'internaute se substitue à l'historien parfois ?
Dans Adieu Camarade : la quantité de texte est
plus importante dans le web doc (400 pages de script) que le doc classique.
C'est malgré tout l'image qui est la plus prégnante. Arte a pas
mal insisté sur la contextualisation du texte. On est pas obligé
de lire le texte pour comprendre alors que c'est différent pour un doc
classique où le texte (celui du narrateur) est vraiment important pour
saisir le sens. De toute manière le texte reste essentiel car il apporte
infiniment plus de contextualisation, de mise en perspective, d'information.
Des choses qu'on peut pas raconter avec l'image.
L'absence de voix off : impact sur la création et
la réception ?
Un doc c'est, je vais vous dire la vérité, ma
vérité. Mais y a toujours une subjectivité même si y
a pas de voix off.
Les thèmes sont matérialisés par des
couleurs, ça permet aussi de mieux se repérer non ?
On a fait un colloque pour présenter le web doc Adieu
camarades. C'étaient que des types spécialistes de
l'histoire qui étaient "scotchés" par le web doc. Par rapport
à un cours traditionnel ça marche mieux. Le texte remplace peut
être le prof. En tous les cas, les jeunes qui ont vu le webdoc ont dit
que c'était plus "rigolo" que leurs cours.
Quel est selon vous (ou quels sont) le (ou les) types
d'internaute susceptibles d'être intéressés par le web
documentaire ?
Aucune idée, je pense qu'il faut avoir une bonne
agilité. C'est certain que par rapport à un manuel scolaire,
c'est 10000 fois mieux car on a des moyens qu'aucun manuel ne peut avoir. Quand
quelqu'un raconte sa vie, il montre davantage de complexité. Cette
complexité là n'est pas dans un manuel. Quand on a un exemple
vivant, les concepts abstraits sont beaucoup plus crédibles.
Dans de plusieurs interviews de professionnels,
l'exigence de la narration ressurgit régulièrement. En quoi selon
vous, le web documentaire propose et peut proposer de nouvelles formes de
narration ? Peut on parler d'évolution ou de révolution
?
Évolution, il y a de forme narrative propre au web
documentaire mais je n'ai pas encore vu de trucs qui ont
révolutionné. On fait des choses différemment mais la
télé pourrait arrivé au même résultat. C'est
plus ludique, plus riche, plus interactif.
En ce qui concerne le contenu, la carte (ou la frise),
présente sur une majorité de webdoc historique, est elle un
impératif ?
En général, il s'agit d'une exigence de chaine.
L'internaute doit savoir où il est. L'historien et le géographe
aiment bien la carte. Ils ont beaucoup de mal à imaginer qu'on puisse
raconter une histoire en laissant plus de place à l'imaginaire, au
poétique.
La carte, ça rassure, structure. Ils
préfèrent que ça soit raconter de cette manière
Pour Adieu camarade, la carte était
indispensable, et le bloc communiste c'est aussi une géographie donc y a
lien avec le sujet. Au début, nous ne voulions pas la mettre. Nous
avions peur que ça fasse un peu trop scolaire.
Le web doc se passe sur un écran et l'écran c'est
une géographie (la télé est un réceptacle d'image)
: la souris invite à la promenade.
C'est un des éléments que l'on a exigé des
le début : les individus s'inscrivent dans un contexte. On va au
delà de leur valeur individuelle. De plus ils ont un attrait visuel et
narratif.
Pour conclure cet entretien, comment définiriez
vous l'usage du web documentaire par l'internaute ? On écoute la radio,
on regarde un documentaire télévisé, on lit un article.
Mais que faisons nous devant un web documentaire selon vous ?
On s'immerge dans un web documentaire idéalement. Si on
rentre pas dedans c'est un échec.
Annexe 15 : Entretien avec un professionnel du
web-documentaire, François Le Gall
Entretien réalisé avec François Le Gall,
producteur nouveaux médias à Camera Talk Productions. Il
travaille depuis un an et demi dans le domaine du web-documentaire.
Défense d'afficher est un projet qu'il a réalisé
avec FTV. L'entretien a été réalisé en
février 2012 par correspondance.
De nombreux web documentaires ont été
produits et diffusés jusqu'à présent, connaissons nous
précisément le moment où ce genre nait
véritablement ? Et à partir de quand gagne t-il en
légitimité ?
Il y a pour moi 3 moments-clés dans la naissance du genre
"webdocumentaire" :
1. les 1ers pas de Brian Storm aux USA avec des productions
documentaires commandées / produites pour le web (mais non
interactives). C'était en 2002/2003 de mémoire, c'est la
naissance de MediaStorm.
2. les 1ères expérimentations d'Upian avec La
Cité des Mortes puis Thanatorama : des oeuvres multimédias
à part entières, avec une vraie narration documentaire
3. Voyage au bout du charbon qui a propulsé le genre en
Une du Monde et donc touché pour la 1ère fois une audience grand
public, tout en introduisant la dimension ludique (histoire dont vous
êtes le héros)
Quelles sont les (ou la) évolutions profondes que
ce genre a connues depuis ses débuts (bien que récents)
?
Des évolutions du côté de l'offre et de la
demande.
Offre :
· plus d'acteurs, moins web natifs (journalistes et
photographes notamment) ce qui génère plus d'histoires mais
paradoxalement moins d'originalité / de créativité dans
l'approche de la narration interactive. En se "démocratisant" (on en est
encore loin), le genre s'est appauvri, l'aspect documentaire a
été phagocyté par le genre journalistique.
· Il reste toutefois des "phares" comme les productions
Upian et plus encore celles de l'ONF au Canada. Il manque selon moi une
affluence de compétences purement web pour redonner de la
créativité aux narrations.
Demande :
· des médias de plus en plus
intéressés car le webdoc enrichi l'offre éditoriale, n'est
pas dans le flux mais impose un temps différent
· des coproducteurs qui ont de plus en plus de moyens (Arte
évidemment mais aussi maintenant France Télévisions
Nouvelles Ecritures) pour financer des projets ambitieux
· mais indéniablement c'est selon moi la
démocratisation du haut débit, le développement des usages
autour de la consultation vidéo en ligne (catch up TV, VOD, streaming)
qui permettent maintenant de considérer que le webdocumentaire peut
s'imposer dans le Paysage Interactif Français
Pouvez-vous donner une définition plus ou moins
précise du web documentaire ?
Un objet multimédia, pensé pour vivre online, et
dont la trame narrative correspond à une vision d'auteur qui exploite
toutes les potentialités offertes par l'interactivité.
En effet, il s'agit d'un genre particulier et parfois
déroutant pour des internautes novices en la matière. Qu'en
pensez-vous ?
Quelles sont selon vous les différences majeures
qui le distinguent du documentaire "classique" télévisé
?
La place du spectateur, ce que l'on attend de lui. Le rapport au
temps.
Du point de vue de l'audience, peut on être
satisfait de la circulation médiatique et de la visibilité du
web-documentaire ? Connaît il un succès par rapport aux attentes
des producteurs et des réalisateurs ?
Clairement non. Hormis Prison Valley et Voyage au
bout du charbon, les audiences restent assez confidentielles au regard des
audiences générées par d'autres supports online.
Producteurs et réalisateurs n'ont pas forcément
cette culture là, et cette réalité à l'esprit.
Peut-être que les sujets ne sont pas assez larges - ou a contrario pas
assez de niches ?
Ces audiences sont aussi à mettre en regard des
investissements en production et en communication qui sont bien
en-deçà de ce qu'il existe en TV. Tout est donc relatif.
Y a t-il des sujets privilégiés par le
web-documentaire ? Tout sujet est abordable pour ce genre documentaire
?
Trop de sujets journalistiques, peu de sujets personnels,
intimement liés à l'auteur.
Tout sujet est bien évidemment abordable : c'est la vision
de l'auteur sur ce sujet - et comment elle se traduit en interactivité -
qui est intéressant.
Est ce que le web-documentaire est un genre qui
découle naturellement des transformations médiatiques en cours
impliquées par le développement des médias sur internet
(après les web radio, les web TV, la presse en ligne etc)?
C'est avant tout lié - selon moi - à
l'évolution de la "consommation" de contenus audiovisuels en ligne.
Pensez-vous également que la notion
d'interactivité soit inhérente au genre web documentaire ? Est
elle indispensable dans une optique web 3.0 (même s'il faut être
prudent sur la définition de ce terme) ?
L'interactivité doit être un outil au service du
propos de l'auteur. Si ce dernier n'en ressent pas le besoin alors elle peut
être nulle. Aucun souci pour moi.
Cette notion préexiste évidemment au genre
webdocumentaire puisqu'intrinsèque à la notion de réseau
internet.
Etant donné que ce travail de mémoire porte
plus précisément sur le web documentaire historique, je tenais
à savoir si selon vous, le web documentaire et l'Histoire s'accordent
?
La Nuit Oubliée, 17.10.61, Adieu Camarades en sont les
preuves tangibles.
Quel est selon vous (ou quels sont) le (ou les) types
d'internaute susceptibles d'être intéressés par le web
documentaire ?
Je ne vois pas de profils types. C'est juste une question de
temps, d'usages à développer.
Les sujet vont aussi s'élargir (Amour 2.0 par ex) et
toucher un plus grand public peut habituer de la forme.
C'est toute la difficulté du genre : tenir un propos,
créer une expérience interactive... tout en
réfléchissant à l'ergonomie parfaite de l'interface pour
servir au mieux ce propos. C'est pourquoi les producteurs non web natifs ne
peuvent se passer de compétences interactives. C'est essentiel pour
penser l'interface.
Dans de plusieurs interviews de professionnels,
l'exigence de la narration ressurgit régulièrement. En quoi selon
vous, le web documentaire propose et peut proposer de nouvelles formes de
narration ?
Je ne reviens pas sur le linéaire /
délinéarisé.
La découverte par soi-même / l'identification
à l'auteur (cf. Manipulations et le travail
d'investigation).
La ludification des contenus documentaires (cf. Collapsus).
etc.
Pensez-vous qu'il est davantage compliqué de
préserver l'intérêt et la curiosité d'une personne
qui regarde un web documentaire ou d'une personne qui visionne un doc
télévisé ?
Oui certainement. Parce que devant son écran, une souris
à la main, on est à un clic de partir. On navigue constamment, on
est sollicité par une multitude de contenus, publicité, etc. On
peut avoir plusieurs onglets d'ouverts. Des logiciels. Ecoutez une web
radio...
En ce qui concerne le web documentaire historique,
n'existe il pas un danger majeur : perdre l'internaute en lui proposant une
multitude de choix à partir de la home page ?
Ce cas de figure est celui d'un auteur qui n'aurait pas
éditorialisé son propos.
Lorsque vous créez un web documentaire, comment
envisagez vous la réception, l'utilisation par l'internaute ? Quel place
a t-il selon vous dans le processus de création ?
L'internaute doit être central. On doit tout penser en se
mettant à sa place pour anticiper ses choix, ses désirs, ses
errances, ses erreurs de navigation (comment on peut le "remettre dans le droit
chemin" ?). C'est fondamental.
Pour conclure cet entretien, comment définiriez
vous l'usage du web documentaire par l'internaute ? On écoute la radio,
on regarde un documentaire télévisé, on lit un article.
Mais que faisons nous devant un web documentaire selon vous ?
On s'immerge dans une histoire / un propos via une
expérience interactive.
Annexe 15: Entretien d'observation avec Nicolas
Entretien-observation - Nicolas Lavigne,
réalisé le 10 Avril 2012
Profil :
18 ans, Montpellier, Etudiant en science économique et
sociale. Qu'est ce qu'est un documentaire selon vous ?
Il s'agit d'une émission télévisée
sur un fait de société.
Êtes-vous consommateur de documentaires à la
télévision ou en catchTV? Quel rôle doit il jouer
?
Parfois. Je regarde plutôt des documentaires historiques
car ce sont ces documentaires qui m'intéressent le plus. Je pense en
regarder quatre ou cinq fois par mois.
Selon moi, le documentaire doit avant tout instruire et susciter
une réflexion.
Savez vous ce qu'est un web documentaire ?
Oui je pense mais je n'en ai jamais vu. C'est un documentaire sur
internet. J'en déduis par le nom. C'est juste la même chose qu'il
y a à la télé sauf que c'est diffusé sur
internet.
Sur quels sites pouvez vous trouver, selon vous, un web
documentaire ? Qui créent les web-documentaires ?
Sur les sites de télévision : Arte, France
télévision. Ce sont les journalistes qui doivent créer es
documentaires.
Observation :
Ouverture du web-documentaire en version normale. Il lance la
vidéo d'introduction puis affiche cette dernière en plein
écran. Puis il tente de lancer la vidéo qui apparaît au
centre de la précédente qui s'est achevée. Un
problème technique lui impose d'appuyer sur "echap" pour réduire
le format de l'affichage. Il se retrouve sur la plateforme Dailymotion.
Cependant deux vidéos sont en lecture simultanément. Ce
problème génère une certaine panique chez l'individu
observé qui ne sait plus quoi faire.
On constate alors un grand bouleversement dans le parcours de
lecture de l'individu. Il ferme les deux vidéos puis met en plein
écran la vidéo de la plateforme Dailymotion. Il s'agit de la
première vidéo du premier chapitre. A ce moment, il me regarde
pour demander s'il venait de commettre une erreur. Puis il visionne la
vidéo jusqu'à son terme et appuie sur "echap" pour afficher la
vidéo en taille normale. « C'est bon. Je vais pas faire tous les
témoins ».
A ce moment de l'observation, je suis obligé d'intervenir
pour qu'il revienne sur le web-documentaire puisqu'il est en train de naviguer
sur la plateforme.
Une fois de retour sur la page du web-documentaire, il rencontre
une deuxième difficulté, à savoir l'impossibilité
de descendre jusqu'au bas de la page. « Pourquoi on peut pas baisser?
» C'est une nouvelle fois un souci d'affichage.
Il se dirige alors directement vers l'onglet "En coulisse". Il
ferme l'encadré de présentation en lisant de manière
distraite puis lit le texte qui accompagne la vidéo du premier
témoignage. Il ne visionne pas cette vidéo mais lit le texte de
la seconde vidéo de ce chapitre.
Sans lire la vidéo, il clique sur le troisième
onglet. Cette fois-ci il lit attentivement le texte de la bande
dessinée. Il fait glisser le curseur sur la frise puis lance la
vidéo de l'INA. Il affiche en plein écran. Ainsi la vidéo
prend le dessus sur tout le reste, elle occulte l'ensemble des autres documents
et dates chronologiques. Lorsque la vidéo s'achève, il y a retour
à la page initiale.
Il clique ensuite sur la date du 17 septembre et lance la lecture
de la vidéo sans lire le texte de présentation. Il visionne de
manière attentive cette longue vidéo. Quelques signes de fatigue
sont visibles à la fin. Au bout d'un certain temps de visionnage, il
fait d'ailleurs glisser la souris sur la vidéo pour afficher la
durée. Alors qu'il constate qu'il n'a visionné que la
moitié de la vidéo, il pousse un soupir. Il regarde une
dernière fois le temps qui reste avant de quitter la vidéo en
appuyant sur "echap".
Il réitère le même processus de lecture pour
les autres dates de la frise. Il lit les vidéos en entier.
L'intérêt pour les vidéos d'archive suscitent davantage
d'intérêt que les témoignages.
Enfin, il clique sur l'onglet du quatrième chapitre.
« C'est fini bientôt ! ». Il lit le texte d'introduction.
Ensuite, il regarde l'ensemble des vidéos en entier et en affichant en
plein écran.
Avant de quitter le web-documentaire, il fait glisser son curseur
sur la page pour vérifier qu'il n'a pas oublié de voir un
document. Il se dirige vers la page consacré aux disparus. A un moment
il remarque les icônes sur la droite et se montre étonné de
voir qu'elles sont cliquables. Il observe la carte et clique sur "opéra"
avant de lire la légende. Il fait glisser le curseur sur
"Préfecture de Police", "Vincennes" puis "banlieue nord". Mais il ne
clique pas. Il reste en phase d'exploration observatoire. Il clique ensuite sur
l'onglet "témoins" et passe sur chacun des portraits en lisant les
légendes.
Après avoir cliqué sur l'ongle "les lieux", il
clique sur un élément qui l'amène vers le chapitre 4.
« J'ai déjà vu cela ». Il clique sur l'icône
Dailymotion et tombe par hasard sur une vidéo "Sur les lieux" (en lien
avec le webdoc) qu'il visionne. Une fois la vidéo terminée, il
montre quelques signes d'agacement car il ne parvient pas à retourner
sur la page du web-documentaire. Après quelques tentatives, il revient
sur le webdoc et explore le quatrième chapitre de manière
furtive.
Entretien post-observation
Réaction spontanée:
J'ai trouvé ça intéressant et instructif.
Pourquoi cela vous a intéressé
?
Parce que je connaissais pas du tout le sujet. J'ai appris des
choses. Voyez vous une différence par rapport au documentaire
classique ? Oui car on a le droit de sélectionner son info, on
navigue à son envie. Avez vous l'impression d'avoir tout vu dans
le web-documentaire ? Oui j'ai vérifié pour savoir si
j'étais passé à côté de quelque chose.
Avez vous aimé ce web documentaire ?
Oui parce que le site était bien construit, bien
classé. Il y avait des onglets qui structuraient l'ensemble. Les
documents étaient de nature différente et variée.
Avez vous été surpris en visionnant ce web
documentaire ?
Oui un peu car c'était sous forme un peu de bd. Je
m'attendais à un truc moins créatif, plus austère.
Comment qualifierez vous l'expérience que vous
avez vécu ?
C'est différent de la télé. Il y a plus de
liberté.
Avez vous éprouvé des difficultés
pour comprendre les principes de navigation ?
J'avais compris les onglets mais j'ai pas pigé le truc de
la carte. Et puis j'ai compris qu'il est inutile de voir tous les
témoignages. Je pensais que c'était pas nécessaire et puis
que ça serait trop long.
Vous avez rencontré quelques difficultés
à certains moments, non ?
Au début, oui, j'ai cliqué plusieurs fois, je me
suis retrouvé sur Dailymotion, je ne savais pas que ça allait pas
ouvrir sur plusieurs pages. Je préfère que tout soit sur une
page
Qu'est ce qui vous a intéressé le plus au
niveau de la forme?
La carte, c'est ce qui m'a le plus intéressé.
C'était une forme originale de présenter les choses.
Comment pourriez vous définir le webdoc à
présent?
Il s'agirait d'un mode d'exposition qui permet d'être plus
libre. Mais aussi de présenter des choses variées. Y a des
onglets que j'ai pas sélectionné. L'information a
été filtrée par moi.
Est ce que vous vous êtes senti utile,
mobilisé pour le déroulement du documentaire ? Non mise
à part la sélection des vidéos.
Est ce que tu penses que tes choix sont décisifs
dans la compréhension?
Oui. Si javais pas lu depuis le début, ça m'aurait
pas aidé à comprendre. C'étaient des différents
points de vue. Donc finalement c'était pas tellement important
Vous avez lu les vidéos en entier, pourquoi
?
Tout simplement parce que cela m'intéressait.
Connaissiez vous cet événement de
l'histoire de France ?
Oui, je l'ai étudié au lycée mais pas aussi
détaillé. Enfin non je savais juste sur la guerre
d'Algérie
Avez vous appris des choses ?
Je savais pas qu'il y avait eu cette manifestation. Il y a
également certains documents que je connaissais pas. Cependant c'est pas
le web-documentaire qui permet de découvrir cela. Les cartes
et les lexiques peuvent très bien passés sur un
documentaire classique. Le format web n'apporte rien en plus.
Est-ce ludique selon vous ?
Oui parce que c'est animé. A chaque fois y a une
présentation en bd. Et puis tu recherches les onglets
Pensez vous retenir ce que vous avez visionné
?
Oui mais je pense que le documentaire classique est plus efficace
de ce point de vue là parce qu'il y a une certaine ligne que l'on
suit.
Annexe 16 : Entretien d'observation avec Laura
Entretien mené avec Laura Martinez le 15 janvier
2011
Profil
22 ans
Etudiante en Master de management de la culture
Grande consommatrice d'internet
Consommatrice de documentaires (mais pas nécessairement
historiques). Le mode de
consommation majeur : le replay (notamment sur le site Arte
+7)
Observation : (webdoc La nuit oubliée)
Durant quelques minutes (2 à 3 min), elle prend
connaissance de l'objet (webdoc La nuit oubliée). A la suite de
cette première phase d'observation, elle lance la lecture de la
vidéo d'introduction. Ensuite elle clique sur "entrer dans la
manifestation. Elle ferme rapidement l'encadré de présentation et
lance une vidéo (choisie au hasard sur la partie gauche de
l'écran). Il s'agit du témoignage de Catherine Levy. Le
vidéo n'est pas visionnée jusqu'à son terme (lecture de la
moitié) puis elle lance la lecture du témoignage suivant. Nous
pouvons constater un moment d'hésitation avant de lancer la lecture qui
est interrompue rapidement. Elle clique sur une autre vidéo sans
toutefois la visionner. Ainsi l'intérêt et la patience de
l'individu ont diminué progressivement et s'incarne dans des actions
précises : la lecture ou le rejet de la vidéo.
En cliquant sur "poursuivre vers les coulisses", un
encadré d'explication apparaît. Elle prend le temps de lire le
texte puis ferme la fenêtre.
L'internaute se situe désormais dans le deuxième
chapitre de la vidéo. Elle clique sur les différents portraits
situés sur la gauche sans lancer la lecture des vidéos.
Après un temps d'attente, elle s'arrête sur le portrait de Maurice
Papon. Elle lit rapidement le texte de présentation puis se dirige vers
l'onglet au bas droit de la page "Un jour dans la guerre d'Algérie" qui
la dirige vers le chapitre suivant. Elle lit attentivement l'encadré.
Laura ne cliquera que sur une date de la frise avant de se diriger vers le
chapitre "se souvenir" (via l'onglet situé au haut de la page).
Après avoir lancé la vidéo "fouiller le passer- retrouver
les traces", elle quitte la page.
Entretien observatoire
Une première réaction à chaud
?
C'est bien fait d'un point de vue esthétique. Les
vidéos sont bien travaillées et j'aime bien cet aspect. Par
contre, je considère que nous lancer dans les témoignages sans
présenter le contexte est une erreur. D'autant plus que je n'ai pas
envie de regarder tous les témoignages qui sont lents.
Pourtant le déroulement n'est pas mal du tout. La
vidéo d'introduction donne envie de poursuivre mais l'ordre des
chapitres est mal pensé. C'est mal organisé.
Les références historiques ne surviennent qu'au
bout du troisième chapitre. C'est au début qu'il faut mettre les
dates si on veut comprendre. Je pense aussi que le système de choix des
dates n'est pas génial. Il ne faut pas nous laisser le choix. Par
logique, on regarde chronologiquement mais la frise et la mise en page ne
donnent pas trop envie de regarder.
En conclusion, le côté ludique est très
attractif mais c'est mal organisé. Du coup je n'ai pas tout
regardé. Bien qu'ils donnent un chemin à suivre et que je sachent
où cliquer, je ne pense pas que l'ordre soit le bon.
Je préfère un documentaire télé parce
que là, c'est trop fragmenté. Dans les documentaires
télévisés, il y a une meilleur construction. On comprend
mieux car c'est plus homogène. Avec le webdoc, c'est
très éparpillé.
D'ailleurs, j'ai peu retenu de choses notamment parce que les
témoins font références à des choses qu'on ne
connait pas nécessairement.
Observation (webdoc 17.10.61)
Elle lance la vidéo d'introduction puis vérifie
à l'aide du curseur la durée de la vidéo. Lorsqu'elle en
est informée, elle interrompt la lecture et clique sur "entrer".
Une fois sur la page principale, elle glisse son curseur sur
quelques points (3) de la carte puis sur les visages, un à un.
L'individu prend ainsi la mesure du dispositif. Après cette
première phase d'observation, elle lance la lecture du témoignage
de Leila en cliquant sur son portrait. (la vidéo se lit
automatiquement). Après trois minutes de lecture, Laura avance la
vidéo (deux minutes avant la fin).
Lorsqu'elle a fini de visionner ce premier témoignage,
elle clique sur l'un des points (en l'occurrence le deuxième) de la
frise chronologique au bas du témoignage.
Elle clique ensuite sur le troisième point, le
quatrième jusqu'au sixième sans discontinuer. Ainsi les
différents documents défilent à l'horizontal. «
D'accord, je viens de comprendre la principe ». Ce genre de remarque au
cours des entretiens ne sont ni rares ni anodines. Elles témoignent
simplement que les manipulations de certains webdocs historiques
nécessitent un véritable apprentissage. Elle lance la
vidéo "Salah". Après avoir hésité d'avancer la
vidéo, elle finit par l'interrompre au bout de trois minutes de lecture.
Elle continue à faire défiler les documents puis retourne
à la carte. Elle fait glisser son curseur sur les différents
personnages sans cliquer avant de fermer le web-documentaire.
Entretien post observatoire : Réaction
?
Ils considèrent qu'on connait l'histoire. On arrive sur
une carte avec une femme mais on ne sait pas ce qu'il se passe. Il n'y a aucune
mise en bouche historique.
J'ai éprouvé quelques difficultés à
comprendre le principe. Je pensais qu'on allait voir les personnages à
la suite. J'ai déchanté.
Apparemment ce sont des personnages réels mais avons nous
besoin de connaître toute leur vie ? Je trouve ça un peu trop
sentimental. Par ailleurs, reconnaître les acteurs, c'est un peu bizarre,
ça décriminalise un peu. Le fait de les reconnaître
crée un mélange d'histoire et de fiction. Pour le coup d'est
dérangeant. Mais j'aime bien le principe de lecture : un acteur qui
raconte avec des images d'archive.
Avez vous l'impression d'être guidée
?
Je n'ai pas du tout ressenti cela. D'ailleurs, ça
gène énormément surtout parce que je ne sais ce que c'est,
je ne sais pas quoi cliquer. Tout n'est pas forcément essentiel et je
finis par être perdue. La lecture n'est pas fluide et il n'y a rien qui
nous appelle en premier. C'est pour cela que j'ai tout regardé d'abord
pour comprendre.
Qu'est ce qui a guidé votre premier choix alors
?
J'ai choisi le personnage parce que c'était le premier et
je pensais qu'il y aurait un ordre alors que j'ai constaté que non.
Lorsque j'ai regardé les annexes, il y avait pas de conteste. La femme
parlait comme si on arrivait au milieu de la discussion et on ne voit pas le
lien avec le témoignage de Leila.
Annexe 17 : Entretien d'observation avec Alice
Entretien-observation avec Alice Streng -
réalisé le 15 mai 2012
Profil :
21 ans étudiante en master Management du
développement culturel.
Principe : L'entretien mené est quelque
différent des autres puisqu'il s'agit ici de faire visionner à
l'individu deux webdocs sur le même sujet : La nuit oubliée
et 17.10.1961. L'objectif est moins d'analyser le parcours de
lecture que de mener un entretien sur les impressions et les analyses de
l'internaute face à ces deux web-documentaires. Proposer de visionner
deux web-documentaires à l'internaute permet de faire germer en son
esprit un esprit de comparaison propice à une réflexion plus
profonde. D'autant plus que la majorité des individus interrogés
ne connaissent pas le format web-documentaire. Ce type d'entretien sera
réalisé auprès d'autres individus.
Qu'est ce qu'est un documentaire selon vous ?
C'est un film qui donne des infos sur des
événements historiques. Sur tout ce qui nous concerne, ce qui
nous entoure.
Êtes vous consommatrice de documentaire
?
Non, à peu près entre 5 et 10 documentaires.
Quel est le rôle que doit jouer selon vous le
documentaire ?
Informatif et esthétique (agréable à
regarder.) Il faut du plaisir pas que l'info sans cesse.
Savez vous ce qu'est un web documentaire ? Si votre
réponse est négative, avez vous une idée de ce que cela
pourrait être ?
C'est un documentaire que tu peux trouver sur internet. Ils sont
publiés à la télévision et qui sont retransmis sur
internet. Y en a beaucoup plus qu'à la télé. Tu peux avoir
accès à ce que tu veux : tu peux regarder n'importe quoi
n'importe quand. Tu peux regarder le temps que tu veux.
Où pouvez vous trouver des web-documentaires selon
vous ? Et qui créent les web-documentaires ?
Sur Dailymotion, Youtube, sur les replay de Arte ou France
OBSERVATION :
Premier documentaire : La nuit oubliée (22h00)
version plein écran. Met en plein écran la
vidéo d'introduction. (Faudra parler du cannibalisme de l'espace)
« C'est fini déjà là ? »
(après la vidéo d'introduction) Appuie sur echap. Quelques
secondes de doute « Qu'est ce que je fais après ». « Je
veux la suite moi » Balade la souris sur les onglets du haut puis lit le
texte d'introduction de la première page. Ensuite clique sur l'onglet du
haut "entrer dans la manifestation" et lit le texte d'introduction puis
ferme.
Lance la première vidéo qui apparaît (celle
de Ben Aissa). « pourquoi ça marche pas ? ». « ça
bug j' vais direct dans la guerre d'Algérie ».
« ça m »intéresse plus » (en parlant
du troisième chapitre) Lit attentivement l'introduction du
troisième chapitre puis ferme. Retour position attentive pour lire le
texte d'intro. Reflex de cliquer sur la vidéo de l'Ina quand elle
s'afiche (avec un peu de retard par rapport au texte).
Va sur la carte (sans lire les vidéos). Regarde les trois
onglets de la carte puis retourne au troisième chapitre en cliquant sur
l'onglet du 3eme chapitre.
« ok génial » la vidéo de l'Ina ne marche
pas. « C'est normal qu'il n'y ait pas d'explication pour les autres dates
? » En réalité elle avait cliquer sur le repère de la
carte alors qu'il faut cliquer sur la date (et pas e triangle). Clique sur les
dates, les unes après les autres, sans lire les vidéos (seulement
les textes d'introduction)
Se dirige vers les archives. Lit la vignette "rapports" puis sur
le lien "télécharger les rapports". Ne le lit pas puis clique sur
"les documents secrets". Se retrouve sur la page
owni.fr et lit le texte de Guillaume
Dasqué et Andrea Fradin. Pas en entier parce que long va vers la fin et
lit la fin. Descend la barre pour voir la suite de la page. Lit une partie des
textes. Lit surtout les citations (sur fond gris). Elle lit d'autre documents
(notamment l'avis de Claude Lansman)
Soupir « Ok » « j'ai
téléchargé les rapports mais ça je
préfère les lire plus tard. » Durée : 18 minutes.
Deuxième documentaire : 17.10.61
Vidéo d'intro s'enclenche directement. (pblm de lecture pq
elle n'arrive pas à réduire l'afichage :
impression que le doc est coupée en bas) Gros pblm
d'afichage : on peut pas rentrer dans la vidéo si on
dezoom pas. Intervention (de nature technique).
Se promène sur les visages puis clique sur le premier
à gauche. Lecture de la vidéo puis passe la souris sur la
vidéo pour voir combien de temps s'est écoulé. Elle le
fait une deuxième fois avant d'avancer la vidéo. Lit
jusqu'à la fin. Essaie de sortir : elle appuie à gauche de la
frise (sur carte). Elle clique sur le portrait de clémence. Lecture de
la vidéo. Après 2 min elle avance la vidéo. Avance une
seconde fois et une troisième fois. Elle le doigt sur la souris et passe
sur la bande qui signifie le temps.
« J'ai fini ».
durée : 9 minutes
Entretien post-observation
Pourquoi ne pas lancer les vidéos
témoignage ? Et avoir passé sur le deuxième chapitre sans
mm regarder (1er docu)?
J'aime pas les témoignages en général, je
préfère aller aux faits concrets et archives et les
témoignages sont au second plan. Les témoignages ça vire
vite au pathos et je préfère avoir les faits pour mieux
comprendre les témoignages.
Pourquoi ne pas regarder les vidéos de l'ina (1er
docu) ?
Après les témoignages, j'y serai retourner avoir lu
les textes mais je pensais que les vidéos ne marchaient pas
Quelle est votre réaction après la lecture
de ces web-documentaires historiques ?
Réaction sur le sujet : idée que l'histoire et les
erreurs se répètent (cf les déportations de juif)
Quelle est la différence entre les deux web-documentaires
visionnés ?
Le deuxième est complètement différent, ce
sont que des témoignages de gens dont le rôle était
différent. C'est chacun son histoire.
La vidéo d'introduction est importante car au moins on
voit que y a un truc qui nous intéresse donc
ça nous incite à chercher ensuite. Alors que la
deuxième ça manque : j'ai pas bien compris qu'il fallait cliquer
sur les personnages. C'est intéressant d'avoir des avis
différents mais comme je connais pas trop l'événement, je
préfère avoir plus d'objectivité.
Avez vous été surprise par ce genre
?
Oui. Devant la télé, tu te mets devant mais mm si
ça te plait pas forcément tu continues. Là c'est court et
divisé : bien parce que t'as le choix mais d'un autre côté
tu écoutes que ce qui t'intéresse donc on passe à
côté de certaines infos.
Comment qualifierez vous l'expérience que vous
avez vécue ?
C'est assez interactif. Dans le premier j'ai bien aimé pq
je pouvais trouver des archives des témoignages écrits
(d'ailleurs ce que j'ai téléchargé je vais le lire plus
tard pq j'aime pas lire sur ordinateur) C'est presque comme si ils voulaient te
faire entrer dans l'histoire comme dans un jeu de rôle, de participer par
la recherche. Rien que le fait d'avoir le choix est important.
Est ce qu'il vous manque quelque chose pour faciliter la
lecture ?
J'ai plus buté sur le deuxième que le premier. Au
niveau de la présentation, je savais pas sur quoi cliquer. Y avait pas
de vidéo d'intro. Notamment j'ai pas compris qu'il fallait cliquer sur
les portraits. Je savais pas non plus (pq je viens de lui dire) qu'on pouvait
cliquer sur la carte.
Qu'est ce qui vous a intéressé au niveau de
la forme?
Ds le 2eme, j'avais l'impression d'atterrir dans l'après
historique, sur le site web historique, J'ai pas aimé ça.
Est ce que tu as l'impression d'avoir une certaine
liberté ?
T'es libre pq t'as le choix mais à la fois t'es
dirigé. Par exemple dans le 2, t'as que des témoignages donc j'ai
pas tant le choix. On m'oblige à rien. Je peux sortir du site. J'ai la
liberté de voir ce que je veux mais c'est ce que eux veulent me
montrer
Qualifierez vous ce web documentaire d'interactif ?
Pourquoi ?
Pq y a à la fois de la bd, des vidéos, des
témoignages, des articles, des rapports. Et toi tu interagis, tu
choisis.
Est ce que tu penses que tes choix sont décisifs
?
Oui certainement, ce sont des choix libres cependant. Ce que je
mets de côté, ce sont des choses mineures. Ça serait pour
compléter plus tard pq j'aime pas rester longtemps sur le site.
Connaissiez vous cet événement de
l'histoire de France ?
J'avais vu un film dessus et révisé en cours
Avez vous appris des choses ?
J'ai surtout revu des trucs que j'avais oublié.
Selon vous, le web documentaire est il adapté
à la transmission du savoir historique ?
C'est particulier, c'est accessible n'importe où à
Macdo par exemple. C'est bien pour avoir des infos courtes et brèves en
peu de temps. J'ai tendance à balayer les documents tandis que dans un
documentaire classique c'est fait pour retenir l'essentiel. J'ai bcp d'info
avec le webdoc mais finalement c'est mélangé, c'est pas clair.
Tout se mélange. J'arrive pas à avoir la ligne directive.
Est ce que vous pensez que tous les sujets historiques
peuvent être traités par le web documentaire ?
Je pense que c'est largement possible. On peut regarder un doc
classique pour les infos générales et après aller sur le
site pour trouver des infos plus précises. C'est complémentaire.
Ça peut exister juste pour le web mais selon moi ça serait
incomplet. De plus on a une moindre patience donc on irait trop vite donc bcp
d'info mais mal informé.
Estimez vous avoir vécu une expérience
collective ou individuelle ?
C'est de l'information complètement individuelle et
personnelle.
Par quelle catégorie de population cette
expérience peut elle être vécue ?
Surtout au lycéen et étudiants pour avoir des infos
complémentaires. Et également aux descendants de ce qui ont
vécu ça.
Est ce que le webdoc remplit le double rôle du
documentaire ?
Oui mais je trouve que c'est très saccadé. On reste
dans le mm divertissement qu'il existe sur le web ; Mais il manque une
continuité, une linéarité de l'information. Je sais
dès le départ qu'il y a des trucs que je vais pas aller voir. Je
vais aller voir des trucs qui passent en 60 puis retourner voir des choses qui
se passent 10 ans avant.
Annexe 18 : Entretien d'observation avec
Hélène
Entretien-observation avec Hélène Mouche
- réalisé le jeudi 08 mars 2012
Profil :
21 ans étudiante en LEA à Paris
Consommatrice régulière d'internet mais navigation
restreinte à peu de sites internet.
Principe : L'entretien mené est quelque
différent des autres puisqu'il s'agit ici de faire visionner à
l'individu deux webdocs sur le même sujet : La nuit oubliée
et 17.10.1961. L'objectif est moins d'analyser le parcours de
lecture que de mener un entretien sur les impressions et les analyses de
l'internaute face à ces deux web-documentaires. Proposer de visionner
deux web-documentaires à l'internaute permet de faire germer en son
esprit un esprit de comparaison propice à une réflexion plus
profonde. D'autant plus que la majorité des individus interrogés
ne connaissent pas le format web-documentaire. Ce type d'entretien sera
réalisé auprès d'autres individus.
Qu'est ce qu'est un documentaire selon vous ?
Un documentaire est une émission qui va m'apprendre des
trucs sur un sujet
Êtes vous consommatrice de documentaire
?
Rarement. A peu près 2 ou 3 fois par mois. Les
documentaires qui m'intéressent le plus sont ceux de
société et les docs animaliers.
Quel est le rôle que doit jouer selon vous le
documentaire ? Il doit nous informer et nous instruire.
Savez vous ce qu'est un web documentaire ? Si votre
réponse est négative, avez vous une idée de ce que cela
pourrait être ?
Non, je n'ai jamais entendu parler du web-documentaire. Je
suppose que le web-documentaire doit être très axé sur la
vidéo et la photographie. Mais je ne vois pas en quoi cela peu
différer du documentaire classique.
Où pouvez vous trouver des web-documentaires selon
vous ? Et qui créent les web-documentaires ?
Peut être sur les sites internet de quotidiens comme
LeMonde. Je pense que ce sont les jeunes journalistes qui s'occupent des
web-documentaires car ces derniers peuvent être un moyen de se faire
connaître dans le milieu.
Observation webdoc 17.10.61
« j'imagine que je lance. Position avancée
détendue. Hésitation après la vidéo, « ah
» surprise. Lance une autre vidéo. Yeux qui cherchent. Lancement
de« je m'appelle clémence ». « je comprends rien »
rire crispé.
Lancement de « je m'appelle Salate ».
Position avancée, main sur la tête. « ooh
» réaction de dégout(après tranché la gorge)
Lancement d'un autre témoignage. Position similaire. Vidéo
captive un peu plus longtemps. Agacement, changement de position. Position
stable : attention mais peu d'activité (activité
seulement cognitive). Rapprochement de l'écran. Grimaces
d'agacement (comme si elle arrivait pas à faire quelque chose) Le
témoignage d'un historien semble moins retenir l'attention. Mouvements
incessants des yeux. « Je crois qu'il y a rien d'autre à voir
»
Entretien web doc La nuit
oubliée:
« je me retrouve sur un site. » Parcours des yeux de
long en large avant de commencer d'agir. Après la vidéo d'intro :
idem parcours des yeux. Haussement des sourcils. Grimace : perplexité.
Main sur le front qui dénote une incompréhension. Mouvement des
yeux alors que la vidéo est en route. « humhum » Toujours ce
mouvement des yeux. Par moments concentrations. « je crois que je
préfère encore l'autre ». Se rapproche de l'écran.
Quelle est votre réaction après la lecture
de ces web-documentaires historiques ?
Le sujet ne m'a pas spécialement intéressé.
J'ai mis du temps à comprendre comment ça fonctionnait. Je
cliquais un peu n'importe où au début. Par exemple, j'ai mis un
certain temps avant de saisir que le site se développe à
l'horizontal. Je me suis cependant intéressé à tous les
personnages. C'est extrêmement bien documenté.
Quelle est la différence entre les deux
web-documentaires visionnés ?
Le deuxième (La nuit oubliée) est plus
dificile à se situer, à comprendre. Le premier
est plus original. C'est aussi plus facile de comprendre grâce aux
personnages, c'est mieux incarné.
Avez vous été surprise par ce genre
?
J'ai été surprise. C'est plus ludique, tu cliques
un peu ou tu veux, et tu peux regarder les informations qui te plaisent.
Comment qualifierez vous l'expérience que vous
avez vécue ?
Je me sens plus spectatrice. Dans le premier il y a très
peu de choses à lire. Ils jouent beaucoup sur les images et les
vidéos. Il y a une réelle volonté de se replonger dans
l'histoire, et le personnage permet de rendre le tout plus humain.
Quant au deuxième (La nuit oubliée), ça
pourrait être un manuel d'histoire. Le fait qu'il y ait une mise en
scène fait la particularité du web doc. Donc, dans ce cas, le
premier est plus réussi. Remettre par écrit ce que tu peux
trouver dans un bouquin n'a aucun sens et c'est cette impression que j'ai pour
le web-documentaire La Nuit oubliée.
Quelle(s) différence(s) avez vous ressenti par
rapport à un documentaire classique ?
Il y a la possibilité de faire des pauses, tu peux cibler
ce que je veux vraiment voir. Je fais moi même la chronologie. La
possibilité de mélanger les photos, le vidéos, les
écrits est un véritable plus.
Avez vous éprouvé des difficulté pour
comprendre les mécanismes de navigation ?
Oui, je savais pas où regarder. Le fait de savoir ce
qu'est le web documentaire pourrait aider. Peut être mettre faudrait il
renseigner, dès la page d'accueil, l'internaute pour lui dire ce qu'il
peut faire sur le site. T'es plongé mais tu sais pas trop ce que tu dois
faire. C'est qu'au fur et à mesure que tu comprends. Au bout de 10
minutes, j'ai fini par saisir mais j'aurais très bien pu manquer le
système horizontal.
Est ce qu'il vous manque quelque chose pour faciliter la
lecture ?
Pas grand chose. Une fois que t'es dans le signe, tes dans
l'ambiance donc tu peux pas mettre des consignes partout. Ils arrivent à
te plonger dans une ambiance.
Qu'est ce qui vous a intéressé au niveau de
la forme?
Je suis pas très internet, je pense que le mieux c'est de
pouvoir naviguer comme je veux, aller fouiner de tous les
côtés.
En ce qui concerne les témoignages, qu'en pensez
vous?
Yen avait énormément dans le second (La nuit
oubliée). Le 1er c'était plus intéressant parce qu'il
y avait de la fiction. Les témoignages sont plus en annexe.
C'était comme un fiction, comme une mini série. On suit chaque
personnage. Le second semblait plus écrit et plus réel.
Est ce que tu as l'impression d'avoir une certaine
liberté ?
Liberté en fonction de l'info ou de la forme ? On te donne
l'info et t'es un peu obligé d'aller dans leur sens. Ils imposent un
point de vue. Tu le prends comme on te le donne. On va avoir la mm
réaction. Liberté de la forme ? Oui parce que tu peux revenir en
arrière, couper et partir quand tu veux.
Est ce que vous vous êtes sentie utile mobilisée
pour le déroulement du documentaire ? Non je trouve pas.
Qualifierez vous ce web documentaire d'interactif ?
Pourquoi ?
Oui, dans le sens ou il y a plusieurs rubriques. Grace à
la vidéo que tu trouveras jamais dans un bouquin. Tu te mets à la
place des gens avec tous ces témoignages.
Est ce que vous pensez que vos choix sont décisifs
?
Y a forcement des choses que tu rates parce qu'il y a
énormément d'infos sur le site. Si t'es vraiment
intéressé tu fais tous les onglets mais ça fait un peu
"guik". Ça me chagrine pas de manquer certains documents. On est
beaucoup plus attentif devant un doc classique, une fois que t'as
commencé tu le suis jusqu'au bout alors que là, je me sens pas
contrainte de terminer.
Le fait qu'il y ait beaucoup d'onglets, tas pas l'impression
d'être dans un vrai doc. Si il y a une chose qui semble pas
t'intéresser don t'y vas pas. Je fais pas l'effort mais c'est vrai que
ça pourrait être intéressant de tout voir. C'est
dommage.
Connaissiez vous cet événement de
l'histoire de France ?
Oui, je connaissais plutôt bien. Ma grand mère m'en
a souvent parlé. C'est pour ça Avez vous appris des
choses ?
Oui ça m'intéressait pas vraiment, quand c'est trop
long (les vidéos). Je sais pas trop combien de temps je vais pas passer
devant. Tu dis que tu sais pas combien de temps tu vas passé donc
dès le départ, je suis rebutée.
Selon vous, le web documentaire est il adapté
à la transmission du savoir historique ?
J'imagine que c'est un moyen de mettre beaucoup beaucoup
d'informations. Il n'y a pas de contrainte sur la quantité. Ça
permet de mettre tout en même temps sur tous les supports. Un vrai doc
m'instruirait plus : ça reste un format particulier parce que il y a
toute la chronologie d'un coup, il y a toujours une dynamique qui fait que tout
se suit. Dans la web doc, on est arrêté par l'écrit, par
les pauses. Il y a moins de dynamique que sur documentaire.
Est ce que vous pensez que tous les sujets historiques
peuvent être traités par le web documentaire ?
Je trouve que le fait que ça soit une journée,
c'est le plus facile. Traiter une longue période, ça paraitrait
dificile d'être aussi informé sans avoir des
centaines d'onglets. Avec le web-documentaire, il existe la tentation de mettre
une quantité importante d'infos. Donc si la période est plus
large ça va faire bcp d'infos, bcp d'onglets.
Pensez vous retenir ce que vous avez appris ?
Oui parce que les vidéos c'est comme un doc et les textes
c'est comme un bouquin. Estimez vous avoir vécu une
expérience collective ou individuelle ?
J'avais l'impression d'être toute seule sur le site. Je me
demande si y a vraiment bcp de gens qui vont visiter ce site. Je pense que
c'est plutôt un support de recherche qu'un documentaire
Par quelle catégorie de population cette
expérience peut elle être vécue ?
Les passionnés, les étudiants. Je pense pas qu'il y
ait beaucoup de monde qui regarde les web-documentaires.
Annexe 19 : Entretien d'observation avec Anne-Marie
Entretien-observation - Anne-Marie
Connaissez-vous le web-documentaire ?
Non, tout ce qu'est web, je ne connais pas.
Avez vous une idée de ce que peut être le
web-documentaire ?
Ça permet d'aller sur plusieurs documents
différents. On peut en voir davantage et les choisir. Il y a peut
être plus d'informations et on peut s'orienter vers autre chose, aller
plus loin dans la recherche.
A quelle fréquence regardez vous les documentaires
historiques ?
Je regarde peu de documentaires historiques à la
télévision. Je préfère les documentaires de
société.
OBSERVATION :
Après une petite minute d'attente, elle commence la
lecture en mettant en plein écran. Ensuite, elle lit
attentivement le texte. La position du corps est une position d'observation
inactive puisque les mains ne sont ni sur le clavier, ni sur la souris.
Ensuite, il y a prise en main de la souris. Elle déplace
le curseur sur l'image de la photo mais le clic ne fonctionne pas. Ainsi elle
descende vers le bas. On assiste donc à une première
difficulté dans le parcours de lecture.
L'individu dirige par la suite la souris vers le texte qui
accompagne la vidéo. Une nouvelle fois, il y a lecture de manière
attentive de la vidéo. Puis elle clique sur une autre vidéo Il
s'agit de la vidéo qui s'affiche directement après la
vidéo d'introduction. Cette vidéo apparaît au centre de la
fenêtre. En réalité, la vidéo est un lien vers la
plateforme Dailymotion sur laquelle sont abritées les vidéos (ou
certaines) du web-documentaire. Elle écoute attentivement le
témoignage de Khaled Benaissa. Elle soutient son visage avec sa main.
Une telle position est à la fois passive (physiquement) et active
(intellectuellement). « Mais c'est dégueulasse, c'est comme les
Allemands. » Il s'agit de la première réaction
spontanée de la personne observée. Elle réagit par rapport
à ce que dit le témoin. Elle est donc bien au coeur du
web-documentaire puisque sa remarque porte essentiellement sur le contenu.
Une fois la lecture achevée (lecture jusqu'au bout), elle
clique sur la personne qui intervient au centre, celle du témoignage de
Catherine Levy. C'est une proposition de lecture faite par Dailymotion à
l'internaute. Néanmoins, nous nous situons ici à
l'extérieur du web-documentaire. En cela réside la seconde
difficulté de lecture car nous demandons à la personne
observée si elle sait et peut revenir sur l'espace
précédent. Son incapacité à retourner sur le
web-documentaire nous incite à intervenir dans le parcours de lecture.
Cette intervention souligne l'importance de la distinction entre l'espace du
web-documentaire et les espaces attenants. Ces espaces se démultiplient
puisque nous naviguons sur internet. Cela est d'autant plus dangereux que les
internautes sont labiles et que les moins aguerris se laissent porter par le le
flux (notamment lorsque l'on propose des vidéos : réflexe
télévisé).
Une fois retournée sur le site du web-documentaire (on
précise que sans notre intervention elle aurait poursuivi la lecture sur
Dailymotion. Ainsi le webdoc n'aurait pas été visionné.),
elle se dirige vers "entrer dans la manifestation". Elle lit le texte puis veut
savoir comment le faire disparaître. Il s'agit de la troisième
difficulté de lecture et de notre seconde intervention. Cela
témoigne d'une
absence de connaissance de certains codes de la navigation
internet. Nous lui indiquons qu'il faut fermer le texte en cliquant sur la
croix située dans le coin droit du cadre.
Elle lance la lecture du témoin suivant. « J'aime
bien ces témoignages ». Ensuite elle lit les autres
témoignages dans l'ordre supposé par le web-documentaire. Il n'y
a donc pas de véritable rupture de l'ordre présupposé par
l'organisation du contenu.
Au cours des lectures des vidéos, la position est
semblable à chaque fois : elle ne touche pas l'ordinateur, les mains
posées sur la table, le regard figé sur l'écran.
L'attention est complète. C'est d'ailleurs dans ces moments que les
réactions spontanées surgissent : « C'est bien filmé.
Ce sont des témoignages pénétrants. Très pudiques
mais très forts. »
Elle regarde l'ensemble des vidéos de la première
partie du web-documentaire. A la fin de la dernière vidéo, elle
fait glisser le curseur sur la page en cherchant d'autres vidéos. «
C'est fini là ? ». Une fois qu'elle s'est aperçu qu'il n'y
avait plus de vidéos disponibles, elle clique sur "en coulisses"
c'est-à dire le deuxième chapitre. Elle entre dans ce chapitre
par l'onglet situé en bas à droite : c'est la
linéarité qui prend le dessus. Elle lit le texte de
présentation attentivement puis ferme la fenêtre pour
accéder au deuxième chapitre.
Elle commence la lecture du texte de présentation de la
vidéo (la première qui apparaît). Néanmoins le texte
est tronqué. « Dommage, il est bien fait ce truc quand même
». Il suffisait de jouer sur la taille d'affichage de la page pour pouvoir
lire le texte de présentation. Cela demande donc un réflexe de
manipulation que seuls les initiés peuvent faire. D'autant plus que
l'individu est entré dans une lecture dite "plein écran" et que
cet ajustement nécessaire est surprenant. La personne observée
lance la lecture de l'ensemble des vidéos du deuxième chapitre du
web-documentaire. Puis elle se dirige vers le chapitre 3. Pour cela elle clique
sur l'onglet situé en bas à droite de la page.
Lorsqu'elle veut lancer la vidéo, l'opération ne
fonctionne pas. Il s'agit d'une vidéo de l'INA dont l'url est
désormais introuvable. Une telle situation a déjà
été soulignée au cours des analyses de web-documentaire.
Il s'agit d'un véritable cul de sac face auquel l'internaute est
régulièrement confronté lorsque le web-documentaire
utilise des vidéos d'autres plateformes. Un tel souci technique
entraîne une rupture du parcours de lecture de l'internaute. La
réaction de l'individu est assez significative de cette rupture
puisqu'elle s'arrête quelques secondes et tente de relancer la
vidéo. Après ce premier essai peu concluant, elle déplace
le curseur sur la frise. C'est la première fois que l'individu s'inscrit
dans une démarche de découverte. « Là tu peux avoir
des infos aussi. » Elle clique sur chaque élément cliquable
et lit les textes puisque les vidéos ne sont pas accessibles.
Elle lira ensuite l'ensemble des documents du dernier chapitre.
Et notamment les documents accessibles par les trois icônes placés
à droite de la page.
Entretien post-observation
Vous avez lu l'ensemble des vidéos et des textes,
pour quelles raisons ? C'était très intéressant.
Là où je peux voir, là où il y aura la main, j'y
vais. Cela ne vous semble pas un peu long tout ça ?
C'est vrai que c'est super long mais en même temps les
vidéos vont toujours à l'essentiel. Il y a une grande masse
d'informations concentrées.
Quel est votre sentiment après la lecture de ce
web-documentaire ? C'est très bien fait, bien informé.
L'ensemble des vidéos sont prenantes.
Annexe 20 : Entretien d'observation avec Vincent
Entretien-observation Vincent Gerbi -
réalisé le 2 juin 2012
Profil :
18 ans - étudiant en classe préparatoire
scientifique - utilisateur fréquent d'internet.
Savez vous ce qu'est un web-documentaire ?
Non, pas du tout. Je n'en ai jamais entendu parler.
Avez vous une idée de la forme et des fonctions
que peuvent avoir les web-documentaires ?
Je pense qu'un web-documentaire pourrait être un
documentaire sur internet avec une vidéo qui explique (sur un sujet
donné) accompagnée par un texte. Ce texte permettrait de
comprendre la vidéo.
Consommez vous régulièrement des
documentaires et notamment des documentaires historiques ?
Je regarde peu de documentaires, à peu près 1 par
mois. C'est plutôt parce que je n'ai pas vraiment le temps.
Observation
Il entre dans le web-documentaire en version plein écran.
Lecture de la vidéo d'introduction. Il met en pause pour charger la
vidéo et surtout pour lire le texte d'introduction. Lecture attentive
(main sur le bureau tête avancée). Lance la vidéo puis la
met en plein écran. Réaction « humm » au moment
où les témoins parlent dans l'introduction des corps
balancés dans la seine. Fin de la vidéo de l'introduction.
« Ah d'accord c"est en plusieurs épisodes et
ça c'est c'est l'intro ».
Il clique sur le "entrer ds la manif'' en haut. Ferme
l'encadré de présentation après la lecture puis il lit le
texte qui accompagne la vidéo. Cependant, du fait du formatage, il ne
parvient pas à lire la suite du texte. « C'est dommage »
Lecture de la première vidéo du chapitre. Il passe le curseur sur
la vidéo pour regarder combien de temps dure la vidéo.
Au bout de quelques minutes d'observation, on constate que
l'individu observé prend ses repères et tente de calquer un
modèle connu (celui de séries qui se caractérise par un
découpage en épisodes) sur le processus de navigation du
web-documentaire.
Lecture attentive de la vidéo. Avant la fin de cette
dernière, il pose la main sur le curseur pour prendre connaissance du
temps restant puis reprend sa position initiale. Bâillement Lecture
complète de la vidéo.
Lecture de la seconde vidéo du chapitre. Son parcours de
lecture s'inscrit dans l'ordre suggéré du
Finalement, tu estimes que c'est très
différent de ce que tu pensais ? Ou es tu surpris par la
web-documentaire. Le curseur a été laissé
sur le symbole "pause". Par conséquent, nous pouvons apercevoir une
bande jaune qui s'allonge vers la droite et qui signifie la durée de la
vidéo. Cette mise en visibilité du temps qui passe implique une
rupture avec la position originale du spectateur. En effet, il y a une
infiltration du temps réel dans le temps du documentaire qui est en
principe un temps vécu, un temps subjectif. Lecture complète de
la vidéo. Ensuite il lance la troisième vidéo du chapitre.
Mais avant il lit le texte d'introduction qui accompagne chaque vidéo.
Position d'écoute. Réactions : soupires de réaction de
rire jaune. Lecture jusqu'au terme puis lance la vidéo suivante en
cliquant sur le portrait à la gauche du web-documentaire. Il lit le
texte d'accompagnement de la vidéo. Fait pause sur la vidéo car
il y a une image d'archive (journal de l'époque) qui apparaît dans
la vidéo. Il a ainsi le temps de prendre connaissance du document. Il
s'agit d'une simple action complètement naturalisée sur le
média internet. Néanmoins son impact est relativement important
du fait que cette action implique un nouveau rapport au temps. La
possibilité de maitriser ce temps permet une appropriation plus
complète du documentaire. Cette action était possible avant
l'apparition du web notamment avec les magnétoscopes mais internet a
démocratisé cette pratique de manipulation de la vidéo.
Pourtant, malgré cela, les individus observés sont
généralement peu à mettre en pause les vidéos
visionnées. Ce contrôle du temps s'incarne davantage dans l'action
d'avancer la lecture de la vidéo pour éviter des passages qui
leur semblent inintéressants. Lecture jusqu'au terme de la vidéo
puis lance l'avant dernière vidéo. Avant de la visionner, il lit
le texte. Glisse le curseur pour voir combien de temps il reste. Au cours de la
lecture, il a un léger bâillement. Le processus se
répète pour la dernière vidéo.
Au terme de la dernière vidéo, il clique sur
l'onglet en haut "2. Les coulisses" et lit le texte d'introduction.
Il va ensuite visionner l'ensemble des vidéos dans l'ordre
suggéré et selon le même processus qui a guidé sa
lecture au cours du premier chapitre du web-documentaire : lecture du texte qui
introduit la vidéo, lecture de la vidéo, vérification
quelque fois du temps restant de visionnage.
A la quatrième vidéo (celle sur Maurice Papon) il
veut surligner le texte car il est peu visible. Ensuite il souhaite lire la
vidéo d'archive que l'on retrouve dans ce dossier sur Maurice Papon.
Tout comme la vidéo d'introduction générale, il souhaite
la visionner en plein écran. Ainsi il met la vidéo en pause et
dirige son curseur sur l'icône lui permettant d'effectuer cette
action.
Au cours du troisième chapitre, son parcours de lecture
est entravé par des vidéos dont les liens sont désormais
inactifs.
Lecture de la vidéo d'archive sur la date de
décembre 1958 : il vérifier la durée de cette
dernière et met ensuite en plein écran. Grâce au curseur il
fait défiler la bande signifiant le temps afin d'avance la lecture de la
vidéo.
Puis il visionne l'allocution du Général De Gaulle.
Une nouvelle fois, il avance la vidéo : « il parle pendant 20
minutes » Puis il parvient jusqu'à l'interview de Louis Joxe
à laquelle il sera attentif. Il clique ensuite sur la date du 18 mars.
Passe rapidement et va sur celle du 05 juillet (la vidéo ne marche
pas).
Quant au dernier chapitre, il ne s'attardera pas beaucoup
après la lecture de l'encadré d'introduction. Cela s'explique
notamment par le temps passé à visionner les deux premiers
chapitres du web-documentaire. Il y a une certaine lassitude et une fatigue qui
se sont installées. Cela se traduit par des bâillements de plus en
plus fréquents ou des mouvements de redressement du corps. Cette fatigue
est moins liée à l'intérêt porté au
web-documentaire (puisque l'individu s'est montré enthousiaste à
la lecture des vidéos : « c'est très intéressant et
bien fait. ») qu'au temps extrêmement long du programme si l'on
souhaite visionner l'ensemble des vidéos.
forme du webdoc ?
Je savais pas du tout que c'était comme ça. C'est
super bien fait, c'est assez interactif = c'est pas monotone.
Les témoignages sont super mais les vidéos de l'ina
sont un peu longues
Qu'est ce que t'apportent les textes qui accompagnent les
vidéos ? Permet de connaître le témoin et de se
mettre dans l'ambiance des vidéos.
Pourquoi avez vous suivi l'ordre des
vidéos?
Parce que je me suis dit que c'était logique. Je l'ai
ressenti dans la lecture de la vidéo.
Quelle différence avez vous perçues entre
les vidéos (celles de chaque chapitre) ?
Ce qui m'intéresse le plus ce sont les témoignages
parce que les interviews sont bien réalisées et ne durent pas
trop longtemps. De plus, il y a différents points de vue.
Les vidéos d'archive sont trop longues.
En ce qui concerne le sujet, aviez vous connaissance de
cet événement ?
Oui, je connaissais bien cette histoire mais le webdoc m'a appris
beaucoup de choses nouvelles. Ça m'a permis de me souvenir de certaines
choses oubliées.
Annexe 21 : Entretien d'observation avec Murielle
Entretien avec Murielle Houllier, mené le 16 juin
2012
Profil :
38 ans Institutrice
Qu'est ce qu'un documentaire selon vous ?
Quelque chose qui m'apprend quelque chose sur quelque chose.
Etes vous consommatrice de documentaire ?
Pas tellement. En fait pas régulièrement. Je vais
pas chercher en particulier mais si je tombe dessus je regarde. C'est le cas de
hier d'ailleurs.
Quel rôle doit jouer un documentaire ?
Distrayant et informatif (cela doit être la mission
première?)
Savez vous ce qu'est un web-documentaire ?
Je pense que c'est un documentaire diffusé sur
internet.
Où pouvez vous trouvez les webdocs ?
Sur les sites de journaux ou sur les sites de chaines. Ce sont
des productions journalistiques.
Observation ( web doc 17.10.61): Durée : 5
minutes
Elle lance la vidéo de présentation.
Intriguée par le son (la tête se rapproche). Elle regarde le temps
qu'il reste. « C'est fini ? » Y avait un problème de zoom : on
voyait pas le terme "entrer". Une fois le problème réglé,
elle est sur la page avec la carte de Paris. Elle navigue sur les petits points
de la carte et voit que ça correspond à des personnages. Elle
clique sur le portrait de Lucien et augmente le son. Elle reste 10 secondes sur
la vidéo. Elle retourne ensuite sur la carte avant de cliquer sur le
portrait de Mohammed. Elle lance la vidéo mais ne la regarde pas
puisqu'elle voit qu'elle peut faire défiler sur la droite les archives.
Du coup elle lance une seconde vidéo. Il y a donc les deux sons en
simultané. Au bout de quelques secondes de lecture, elle souffle. Sous
le titre du web-documentaire, elle clique - au hasard- sur un point qui la
ramène à la page d'accueil.
Observation (web doc La nuit oubliée)
Affichage de la page : réaction spontanée
particulière. Elle siffle d'étonnement. Elle visite l'ensemble de
la page et commence à lire quelques commentaires du site
lemonde.fr. Elle remonte ensuite sur
l'encadré de présentation du webdoc. Elle clique sur "version
plein écran". Cependant, ce
la ne fonctionne pas. Fin de l'observation
Entretien post-observatoire : Réaction
spontanée :
ça a l'air super intéressant mais je manque de
curiosité. C'est une situation difficile car je sais que je suis en
observation du coup ça fausse peut être mon attitude et mes
réactions. Il s'agit cependant d'une bonne idée pour
l'illustration historique en classe. Je me demande qui fait ça.
C'est plus accessible qu'un documentaire, plus morcelé
comme la vie qu'on a.
Avez vous été surprise par ce dispositif
?
Je ne m'attendais à rien mais je suis agréablement
surprise. Ça donne envie d'aller chercher sur d'autres sujets qui nous
intéressent.
Comment qualifierez vous l'expérience que vous
avez vécu ?
Je n'ai pas l'impression d'avoir connue une expérience, le
mot est trop fort. Est ce qu'il vous manque quelque chose pour
faciliter la lecture ?
Au début je n'ai pas sur ce que j'allais voir. Le sujet du
webdoc n'est pas vraiment clair. Il manque une contextualisation historique.
Qu'est ce qui vous a intéressé au niveau de
la forme ?
Le fait que l'on peut "farfouiller". Il n'y a pas d'ordre
à respecter. De plus, comme c'est sur internet, on peut le voir comme on
veut, mettre pause et le partager sur les réseaux sociaux.
Avez vous une certaine liberté ?
Oui.
Est ce selon vous interactif ?
(elle hésite un long moment) Oui.
Avez vous appris des choses sur le sujet ?
Non puisque je n'ai pas assez regardé ce webdoc et l'autre
ne fonctionnait pas.
Pensez vous que ce genre médiatique peut
être utile pour transmettre un savoir historique ?
Il peut mais comme tout savoir historique, la question de la
subjectivité et de l'impartialité se pose. Ce sont que des
témoignages.
Est ce que l'on peut traiter de tous les sujets avec le
webdoc selon vous ?
Oui. Mais certains sont plus difficiles que d'autres. Tels que
celui là. Il s'agit d'un sujet assez tabou.
Donc les gens n'ont pas assez de connaissances sur le sujet pour
parvenir à faire la part des choses. De plus, quand les témoins
sont vivant c'est plus sympas. Donc ça limite les sujets.
Est ce que c'est un genre accessible à tous
?
Oui pour toute génération. Mais les gens qui
connaissent pas le sujet ne peuvent pas s'y intéresser vraiment.
Annexe 22 : Entretien d'observation avec Emilie
Entretien avec Emilie Plégat -
réalisé le 25 février
Profil :
23 ans
Etudiante en master de marketing et de gestion à
l'université de Lille.
Connaissez vous le web-documentaire ?
Non je ne connais pas le web-documentaire.
Avez vous du moins une idée de ce que cela peut
être ?
Certainement un style particulier de documentaire. C'est du
documentaire papier, non ? En réalité je suis influencé
parce que je suis en train de réaliser un document en ligne sur
google.doc. Donc j'ai la sensation que le web-documentaire doit s'apparenter
à quelque chose du même genre.
Consommez vous régulièrement du
documentaire historique ?
Régulièrement. Néanmoins, c'est toujours en
replay parce que je regarde peu la télévision.
Observation :
Elle lance le web-documentaire en version plein écran.
« Est-ce que c'est normal qu'on puisse pas descendre ? » Une nouvelle
fois, l'internaute ne s'imagine pas qu'il doit ajuster la taille de
l'écran alors qu'il vient d'adopter pour le mode plein écran.
Elle faisait glisser la souris sur les onglets du haut de page puis s'est rendu
compte de l'impossibilité de déplacer le curseur vers le bas.
Elle entame la lecture du texte (en suivant les mots avec le
curseur) puis lance la vidéo. Il est intéressant de voir en quoi
la souris est le prolongement de la main. Avec le curseur, elle regarde combien
de temps va durer la vidéo. Cette prise d'information témoigne
d'un habitus de la lecture de vidéo sur internet. La dimension
temporelle est essentielle sur internet tant l'internaute est labile. Elle voit
que la vidéo arrive à son terme (puisqu'elle a laissé la
souris sur la vidéo). Ainsi elle clique sur "Entrer dans la
manifestation". Après la lecture du texte (encadré
illustré par des dessins de BD), elle ferme la fenêtre.
Ensuite elle va directement vers le chapitre 2 par l'onglet du
haut. Elle lit le texte de présentation puis ferme l'encadré pour
accéder au deuxième chapitre. Ensuite, elle se lance dans la
lecture du texte qui accompagne la première vidéo du chapitre.
Sans lire la vidéo, elle clique sur l'icône représentant la
carte. « Putain mais tu peux passer ta vie sur ce site ». Cette
réaction spontanée témoigne d'une prise de conscience de
l'ensemble du contenu présent sur ce web-documentaire. Cette prise de
conscience est rendue possible par un mode lecture particulier qui rompt avec
celui de Anne-Marie. Emilie a semblé adopter une stratégie qui
consiste à parcourir rapidement l'ensemble du web-documentaire sans
s'attarder sur les vidéos. Cette stratégie représente
l'intérêt de se forger une vision globale du site. Un tel
comportement est conditionné en partie par une culture de l'internet et
de ses pratiques que Anne-Marie ne possédait pas. Cette dernière
naviguait sur le
web-documentaire selon des repères et des codes
imprégnés et dictés par la télévision.
Emilie navigue sur la carte quelques secondes puis passe
directement au troisième chapitre. Une nouvelle fois, elle lit le texte
avant de fermer l'encadré.
Afin de lire le texte de contextualisation, elle
sélectionne le texte. Puis elle clique sur la date "décembre
1958" de le frise. Elle lit le texte puis clique sur une autre date sans lire
la vidéo. Elle réitère la même opération pour
chacune des dates : elle lit seulement le texte. Après la
découverte de l'ensemble des dates, elle clique sur l'icône
"lexique". « Quitte à mettre un lexique, autant mettre des liens
vers lui. » Cette réaction sur l'organisation du contenu
témoigne encore d'une certaine culture d'internet, la culture du lien et
du signe passeur. Puis elle se dirige vers les archives. « Boula ! »
Elle s'exclame lorsqu'elle clique sur le rapport en faisant un mouvement de
tête vers l'avant parce que le texte est beaucoup trop petit pour la
lecture. Au coeur de ces archives, elle se dirige vers le site "top secret".
Après quelques secondes, elle « revien[t] en arrière. »
Elle se dirige vers le chapitre 4, lit le texte d'introduction puis revient sur
le chapitre 3. « Parce qu'il y a un truc que j'ai pas regardé
» Elle tente de le retrouver en cliquant sur différentes dates. En
ouvrant le lien "8 mai 1945" elle réagit : « Ah oui c'est ça
! » Elle lit ensuite le texte de contextualisation de la vidéo.
Elle avait oublié de cliquer sur l'onglet "massacre des civils"
accolé à la frise chronologique. Elle réitère le
même parcours de lecture (lecture simplement du texte avec le curseur en
passant date par date) de la frise pour les dates concernant les massacres de
civils. « Pourquoi il n'y a pas un onglet sur la date du 17 octobre 1961
sur la frise ? Je voulais un petit résumé de ça mais il
n'y en a pas, c'est vraiment embettant. » Puis elle reprend les dates et
s'arrête à celle de juillet 1962 et retourne au chapitre 4
où elle lit simplement le texte de la vidéo avant de fermer le
web-documentaire.
Elle utilise une stratégie très particulière
fondée sur deux caractéristiques :
- lecture exclusive de textes
- lecture transversale avec des retours en arrières.
Entretien post-observation
Quelle est votre première impression ?
Dommage qu'il n'y ait pas de résumé. J'ai pas envie
de regardé toutes les vidéos alors j'aurais
préféré une vidéo qui résume tout. A vrai
dire j'ai pas bien regardé parce que le sujet ne m'intéressait
pas vraiment.
Comment vous expliquez que vous n'ayez lu aucune
vidéo ?
Je n'ai pas visionné les vidéos de l'INA notamment
parce que les durées ne sont pas indiquées. Je pensais trouver un
résumé suffisant en lisant simplement le texte. Si les
vidéos n'avaient duré qu'une minute, je me serais lancé
dans la lecture.
A quoi avez vous été sensible au sein de ce
webdoc ?
Les petites bande-dessinées d'introduction sont
intéressantes. Le problème c'est que c'est une lecture
très saccadée étant donné que ce ne sont pas des
résumés (les bd) des vidéos. La lecture n'est donc pas
rendue fluide par ces encadrés.
Les vidéos témoignage sont aussi beaucoup trop
longues et l'enchaînement n'est pas forcément visible. Notamment
l'icône au bas droit de la page. C'est la même chose pour la frise
où les deux rubriques ne sont pas assez visibles (celle sur les
massacres de civils.)
Si le sujet avait davantage suscité votre
intérêt, auriez vous lu les vidéos ?
Seulement les vidéos du troisième chapitre parce
que c'est de l'histoire. Alors
que les témoignages, c'est toujours la même
chose.
Une réaction spontanée ?
Annexe 23 : Entretien d'observation avec
Célia
Entretien-observation avec Celia Banos,
réalisé le 10 mai 2012
Profil
22 ans
Etudiante en master 2 de communication institutionnelle
Consommatrice irrégulière de documentaire historiques
Connaissez vous le web-documentaire ? Avez vous une
idée de ce que cela peut être ?
Non pas du tout. Il s'agit certainement de documentaires
réalisés par de jeunes journalistes qui débutent et qui le
publient sur un site.
Sur quel genre de site selon vous ?
Certainement sur un site d'information général. Sur
un site de média généraliste
Observation (web documentaire La nuit
oubliée)
Elle entre dans une lecture en plein écran puis lance la
lecture de la vidéo d'introduction. Elle veut agrandir la fenêtre
parce que la vidéo est coupée du fait du format d'affichage.
Cependant, elle n'y parvient pas. Elle s'impatiente dès la vidéo
d'introduction et décide de fermer la vidéo puis d'entrer dans la
manifestation.
Elle évite le texte d'introduction mais lit le texte qui
accompagne la vidéo-témoignage de Khaled. Elle ne lance pas la
vidéo et clique sur le portrait de Catherine Levy. Lecture brève
du texte d'introduction puis visionne la vidéo. Elle décide
d'avancer la vidéo car elle est un peu longue. A la fin de cette
vidéo, elle clique sur un nouveau témoignage, celui de Clara. En
constatant que la vidéo est plus courte, elle affiche un certain
soulagement. Les propos du couple de témoin font réagir
Célia qui en rit. Elle poursuit la lecture de manière attentive.
Plusieurs réactions amusées ponctuent la lecture de la
vidéo.
Elle lance la lecture ensuite du témoignage de Georges.
Elle avance avant de quitter la vidéo et entrer dans le deuxième
chapitre. Elle clique en effet sur l'onglet au bas droit de la page. Elle lit
l'encadré d'introduction puis ferme la page. Au coeur de ce chapitre,
elle se balade sur les portraits en faisant glisser le curseur. Finalement elle
opte pour le témoignage de Michel Rocard. Elle lâche le clavier et
adopte une posture attentive. « C'est filmé tout le temps pareil,
c'est tout le temps la même musique. C'est vraiment dur. » Elle
quitte à la fin de la vidéo la page pour accéder à
la carte sur la droite.
Elle observa attentivement la carte et passe le curseur sur les
lieux. Elle constate que lorsque la souris passe sur les lieux il y a des
éléments modifiés sur la droite de l'écran. Par
conséquent, elle lit les légendes liées aux
différents lieux. « Je comprends pas. Pourquoi il y a des
flèches ? » Elle clique ensuite sur l'icône "témoins"
mais passe rapidement.
Elle se dirige ensuite dans le troisième chapitre. Cette
fois-ci, le passage au chapitre se fait par le biais de l'onglet situé
au haut de la page. Elle regarde un peu puis ferme la page
C'est assez surprenant comme truc. L'idée me paraît
bien mais il y a certaines choses à revoir. Quoi selon vous
?
Je ne sais pas vraiment. Disons que les vidéos sont
très monotones. J'ai aimé certains témoignages mais ils
sont certainement beaucoup trop longs.
Annexe 24 : typologie des web-documentaires
Corpus :
l 17.10.61 publié sur le site
Politis.fr. Réalisé par le
comité Raspouteam. Disponible en ligne :
http://www.politis.fr/17octobre1961/
l Algérie 1954/1962, la dernière guerre
d'appelés publié le 01-03-2012 sur le site de France Inter.
Réalisé par Thibault Lefèvre et Mariel Bluteau.
Disponible en ligne :
http://www.franceinter.fr/dossier-algerie-1954-1962-la-derniere-guerre-d-appeles
l Indépendance Chacha publié le 08-10-2010
sur le site du Monde. Réalisé par Antoine Strobel-dahan.
Disponible en ligne :
http://www.lemonde.fr/societe/visuel/2010/10/08/independance-cha-cha-une-histoire-de-la-decolonisation-francaise_1420868_3224.html#xtor=RSS-3208?
utm_source=twitterfeed&utm_medium=twitter
l La nuit oubliée publié le 17-10-2011 sur
le site du Monde. Réalisé par Olivier Lambert et Thomas Salva.
Disponible en ligne :
http://www.lemonde.fr/societe/visuel/2011/10/17/la-nuit-oubliee_1587567_3224.html
l Berlin 1989 : souvenirs d'un monde d'hier
publié le 05-11-2009 sur le site du Monde. Réalisé par
l'équipe du
monde.fr
Disponible en ligne :
http://www.lemonde.fr/europe/visuel/2009/11/05/berlin-1989-souvenirs-du-monde-d-hier_1263388_3214.html
l Génération Tian Anmen : avoir vingt ans en
Chine publié le 25-05-2009 sur le site du Monde.
Réalisé par Patrick Zachmann.
Disponible en ligne :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/visuel/2009/05/25/generation-tian-anmen-avoir-vingt-ans-en-chine_1195170_3216.html
l Les combattants de l'ombre publié sur le site
d'Arte. Réalisé par Bernard George. Disponible en ligne :
http://lescombattantsdelombre.arte.tv/
l Les Halles de Paris publié sur
francetv.fr. Réalisé par
Vladimir Vasak. Disponible en ligne :
http://www.francetv.fr/doisneau/
l Adieu Camarades publié le 24-01-2012 sur le site
d'Arte. Réalisé par Andrei Nekrasov.
Disponible en ligne :
http://www.arte.tv/fr/Adieu-Camarades-_21---Le-web-documentaire/4314104,CmC=4314212.html
l François Duprat, une histoire de l'extrême
droite : publié le 08-04-2011 sur le site
Type 2 : Prédominance du duo vidéo et le
texte sous forme de légende. Contenu structuré en réseau
qui permet à l'internaute d'accéder à des contenus par
diverses manières. Il y a
du Monde. Réalisés par Joseph Beauregard.
Disponible en ligne :
http://s1.lemde.fr/webdocs_contenu/fichiers/duprat/duprat.html
Critères de la typologie
- L'interactivité et sa nature
- L'aspect quantitatif du contenu disponible sur le
web-documentaire - La situation d'énonciation du web-documentaire
historique
- Le type de narration proposé au sein du webdoc
a- La question du contenu médiatique : sa
nature et l'interactivité entre ces mêmes
contenus.
Questions possibles : sur quel type de contenu
médiatique se construit majoritairement le web documentaire historique.
Quel type de contenu est davantage mis en avant ? Y a t-il des portes
d'entrée différentes à l'ensembles des contenus ? Comment
est structurée le passage entre contenus ? Interactivité des
contenus ?
Type 1 : Forte séparation entre les
différents contenus. Structure plate qui propose peu ou pas de
variété de contenus. Une seule possibilité d'accès
aux contenus car les passages entre ces derniers sont limités.
- Berlin 1989 : le web documentaire sur
l'histoire du mur de Berlin fait la part belle à la vidéo : les
vidéos d'archive et les interviews. Deux temps se côtoient mais
dans des rubriques différentes. Il y a d'un côté les
témoignages (qui sont d'ailleurs relégués dans le coin bas
droit de la page quand on clique sur la frise : cette distinction se
matérialise à travers l'ergonomie du site) et de l'autre, il y a
la frise qui donne accès à des documents d'archives : souvent des
vidéos d'actualité et parfois des photos de journaux que
l'internaute ne peut presque pas lire. Autre élément : les
animations qui ont un rôle symbolique et esthétique. D'un point de
vue générale, il n'en reste pas moins que la vidéo
prédomine le tout. Ce sont des vidéos courtes: le rythme de
lecture est assez rapide. Et puis absence d'interaction entre les contenus
puisqu'il y a une claire distinction entre les images d'archives et les
interviews.
- TianAnmen : prédominance de l'image
sous seulement deux formes : la vidéo et la photographie. Il y a
cependant deux temporalités distinctes : le passé (temps court :
un événement) et le présent. Le texte est peu
présent si ce n'est pour les titres. Seul la rubrique « à
propos » propose du texte avec contextualisation mais elle mène
désormais vers une page erreur
- Les halles de Paris : faible diversité
pq il s'agit d'un webdoc fondé à partir d'une expo photo : donc
prédominance des photos. Organisation de contenus classique si ce n'est
le système de chapitre. Le webdoc est vraiment un espace
d'exposition.
une certaine interactivité des contenus qui sont
liés au sein de la structure.
- Adieu Camarades : ce webdoc propose une
structure thématique extrêmement visible (indications textuelles,
couleurs, liens etc) Multiplication des entrées possibles aux contenus :
liens liés, par date avec la frise, les cartes postales liées.
Homogénéité de la nature des contenus. Forte
présence de texte et d'images (vidéo + photo)
- Les combattants de l'ombre: une fois encore,
la vidéo est primordial dans ce web doc. Mis à part quelques
cartes et quelques définitions, on peut constater une faible
diversité des différents contenus médiatiques mis à
disposition de l'internaute. La Vidéo prédomine et notamment la
vidéo d'interviews. Ce sont les témoignages qui sont
présentés ici. Absence d'images d'archive. Néanmoins, les
contenus proposés sont accessibles par le biais de différents
moyens. L'internaute peut accéder aux contenus selon soit une logique
tabulaire (notamment grâce à la carte des récits) soit une
logique linéaire (grâce à la frise des récits
situées au bas de la vidéo)
- 17.10.61 : Le web-documentaire du
comité Raspouteam est le second sur le thème des massacres
d'Algériens à Paris après celui de la La nuit
oubliée. Il présente une grande diversité de contenus
: vidéos d'archive, photos d'archive, vidéo de témoignage
de spécialistes, portrait des acteurs, carte de Paris, rapports, etc.
L'organisation des contenus est telle que l'internet peut y accéder
selon deux moyens différents. D'une part les portraits situés au
haut de la page. D'autre part, la carte de Paris, située au coeur de la
page, qui met en évidence certains lieux marquants de cette fameuse et
sombre journée de 1961. Il existe donc deux entrées possibles :
l'une incarnée par un personnage, l'autre spatiale. Ensuite le contenu
se déroule de la droite vers la gauche selon une ergonomie simple et
fluide. Les contenus sont à la fois séparés et
liés, ce qui hache la lecture.
Type 3: Diversité de contenu mais structure peu
interactive.
- François Duprat : Forte domination du
condominium texte-vidéo. Cependant il y a une certaine diversité
: frise, des photos. La grande nouveauté par rapport aux autres web docs
s'incarne dans l'intervention de spécialiste : il s'agit d'un contenu de
nature différente même si c'est une vidéo. Alternance
images d'archive, interview spécialistes + voix du journaliste.
Cependant faible interaction entre les contenus : il n'y a aucun lien
"technique" qui lie les contenus. C'est l'internaute qui doit faire ce lien
(technique et intellectuel) entre les documents. Chaque document (vidéo
ou texte) n'ouvre pas sur d'autres contenus liés soit thématique
ment, soit structurellement, soit géographiquement ou temporellement. La
seule porte d'accès est celle qu'empreinte l'internaute, celle
imposée ou suggérée par la structure mm du web doc.
- Indépendance Chacha : une extrême
diversité des formes de contenus : image :
vidéos, photos, portraits, textes à
télécharger (journaux, communiqués etc), cartes ; musique
; textes (légendes etc) Diversité sémiotisée par
les différentes icônes. Néanmoins peu de contenus
associés. L'entrée aux contenus se fait par un seul
critère : la date avec les documents qui y sont associés. Par
exemple si on clique sur un portrait, absence de liens passeurs vers les
documents associés. C'est l'internaute qui doit associer dans sa
tête. Par ailleurs, il faut souligner qu'il ne s'agit que d'images
d'archives. Il n'y a aucun témoignage récent. On s'éloigne
fortement du reportage. Du coup le lien avec le présent est
coupé. On se rapproche du modèle du livre scolaire.
- La nuit oubliée : Diversité de
contenus relativement importante : vidéos, photographies actuelles,
cartes, la bd, le texte etc. Ces contenus sont très bien
structurés néanmoins il y a peu de liens qui permettent de passer
de contenus en contenus. Cela est due en particulier par l'organisation du
contenu : tabulaire et linéaire. Les contenus sont regroupés par
chapitre thématique. On aurait pu imaginer des liens qui
complèteraient les témoignages menant vers les périodes
évoquées (vers les images d'archive du chapitre 3 avec la frise
chronologique) ou le lexique.
- Algérie, la dernière guerre
d'appelés. Ce web documentaire réalisé par France
inter présente la particularité d'être complètement
inséré au sein de la page du site internet de France Inter.
Nicolas Bole (article publié sur le blog documentaire le 09 avril 2012 :
l'actu du web docu et des narrations web : le traitement de l'histoire dans le
web doc) dénonce d'ailleurs cette organisation liée à des
compétences techniques et des ressources financières manquantes :
« Le programme souffre d'emblée d'un défaut d'affichage : il
n'est visible qu'inséré dans une page de texte, sans mode plein
d'écran disponible. » Diversité de contenus parce qu'il y a
des bandes audio, des photos, des vidéos, du texte. Prédominance
de la bande audio et du texte. Bien que dans le reste de l'article, le
condominium vidéo texte est rétabli. Cependant l'accès aux
contenus ne se fait que par la frise pour enchainer les témoignages ou
les photos (que l'on retrouve dans la frise) et les contenus sont pas
interactifs Si ce n'est cette structure qui sépare l'histoire et les
histoires : chaque témoignage est couplé à des documents
d'archive qui servent de contextualisation.
b- L'aspect quantitatif du contenu
dévoilé ou caché ? Ce critère se
fonde sur deux éléments : tout d'abord le jeu sur le
caché-visible (il y a des web documentaires qui attirent ainsi
l'attention de l'internaute) et d'autre part sur la profusion de contenus. On
peut constater d'ors et déjà que le fait même qu'il y ait
un réseau de contenus (avec multiplication des portes d'entrée
aux contenus) génère une sensation d'infini.
Type 1 : Contenu conséquent. Prétention
à l'exhaustivité revendiquée et sur
sémiotisée. Mise en avant de la dialectique du caché et
matérialisation d'une structure profonde.
- Adieu Camarades : volonté de montrer
beaucoup de choses. Prétention à couvrir l'ensemble des pays et
l'ensemble de la période. De plus, sur la page centrale, il y a toutes
les cartes postales qui s'affichent. Profusion sur sémiotisée
mais extrêmement bien structurée. On retrouve une dimension de
cette
poétique du caché lorsque l'internaute peut cliquer
sur une flèche "plus" qui permet d'afficher davantage de textes : le
texte se déroule. Ou encore quand on peut cliquer sur les numéros
entourés pour passer à la suite : du contenu nouveau
apparaît. Ou encore avec la frise. Forte poétique du caché
dans le webdoc
- Les combattants de l'ombre : volonté
d'exhaustivité qui est revendiquée dans la promesse
éditoriale. Profusion de vidéos et absence de repères
temporelles pour les vidéos. L'internaute ne peut pas en voir la fin.
Aucune possibilité pour l'internaute de se repérer dans le temps
du web documentaire si ce n'est la carte des témoignages avec les
indications "déjà vues".
- 17.10.61 : Quantité importante de
contenus divers. On peut parler d'une poétique du caché au sein
de ce web-documentaire. Les différents contenus se "cachent" en effet
derrière des visages ou des lieux de Paris. Ce n'est qu'à partir
du moment où l'on clique sur ces derniers que les vidéos
s'affichent. Ensuite, les contenus se déroulent vers la droite
implicitement. Seule une flèche nous donne un indice permettant de
supposer cette présence.
Type 2 : Contenu conséquent mais l'impression d'infini est
limitée du fait d'une mise en visibilité complète.
- Berlin 1989 : dans ce web documentaire, il y a
une ergonomie particulière (les portraits qui s'avancent). Cette
organisation du contenu donne une impression d'infini revendiquée par
l'instance énonciative. En effet, ils parlent de panorama interactif qui
couvre l'ensemble d'une période. Ce jeu disparition-apparition
crée une dynamique fondée sur la dialectique du
caché-visible. Néanmoins, l'internaute comprend finalement qu'il
s'agit des mêmes vidéos qui repassent. Par ailleurs, la frise
chronologique remet un peu d'ordre dans tout ça et les durées des
vidéos sont courtes et visibles.
- TianAnmen : le documentaire est
structuré en trois chapitres dont le second est lui mm structurée
en plusieurs sous-chapitres. Cette structure est matérialisée
voire même sur-sémiotisée pour permettre à
l'internaute de se faire une idée précise du temps qu'il peut
passer devant ce web documentaire. D'autant plus que les temps apparaissent et
sont courts.
- La nuit oubliée : Ce web documentaire
présente un contenu conséquent
notamment avec beaucoup de documents d'archive. Néanmoins
cette présence est explicitée et l'internaute n'a pas besoin de
chercher, de fureter pour trouver ce contenu. Tout est visibilité. Cela
s'inscrit d'ailleurs dans un contexte particulier et se place à rebours
du contexte politique de l'époque où tout a été
fait pour dissimuler la réalité de cet événement.
Le devoir de mémoire passe par cette mise en visibilité.
Type 3 : Faible quantité de contenus. L'internaute
peut se projeter au sein du web documentaire en apercevant la fin de son
expérience. Il peut quantifier le temps qu'il va consacrer.
- Indépendance Chacha : la structure
horizontale-verticale + la frise chronologique et l'absence d'un réseau
de contenus = absence d'impression d'infini. Tout est quadrillé : le
nombre de doc par date est visible avec les
icônes/rétrécissement des docs + jeu sur le temps : ce
dernier point est essentiel puisque ce sont que des images d'archives qui sont
utilisées et notamment des images d'actualité : forcément
courtes et puis y a des indications de la durée de la vidéo.
- François Duprat : La structure et
l'organisation des contenus révèlent une volonté
d'exhaustivité mais il y a une absence d'impression d'infini. La forme
même du cube matérialise cet espace clos du web documentaire.
Cette représentation entre un peu en contradiction avec les
différents discours et imaginaires qui ont trait au web doc. La frise
est également un espace clos alors que les seuls éléments
qui ouvrent une brèche dans cet espace = pour aller plus loin : ouvre
l'espace imaginaire (bibliographie) et l'espace technique (liens vers les
archives de l'ina). Mais ce ne sont pas des ressources faisant partie
intégrante du web doc. Les portraits et les documents d'archive
présents sous la frise chronologique n'ouvrent pas sur d'autres espaces
ou d'autres thématiques.
- Algérie, la dernière des appelés
: Bien qu'il y ait un jeu sur la dialectique du caché visible :
les histoires et l'histoire sont deux rubriques superposés et l'une est
visible qu'à condition que l'autre s'efface. La flèche
matérialise cette présence caché. Du point de vue
esthétique, le webdoc est clos : structures carrées ou
rectangulaires : espace clos. Les bandes audio sont d'une durée courte.
L'internaute sait à peu près le temps qu'il peut passer devant le
web doc. D'autant plus qu'il y a seulement 6 témoignages et que la
période est relativement brève.
- Paris les Halles : Au sein de ce
web-documentaire, il y a un jeu sur la spatialisation du contenus. La faiblesse
de quantité de contenu ne nous permet toutefois pas de placer ce
documentaire dans la première catégorie.
c- La situation d'énonciation :
comment se matérialise l'auteur et les
différentes instances énonciatives ainsi que le rapport au
lecteur.
Rappel : le web documentaire, du fait même de sa nature
documentaire, est un genre médiatique qui propose un point de vue
d'auteur. Il n'est en aucun cas question de nier la présence d'un
auteur. L'idée est simplement de focaliser une partie de l'analyse sur
les moyens de matérialiser la présence ainsi que l'absence de
l'auteur notamment en tant que guide de la lecture.
Type 1 : Effacement complet de l'auteur : l'internaute est
laissé à lui même. Seul un ou deux indices/balises guident
la lecture (frise, flèches ...)
- Indépendance Chacha : le ton est
particulièrement didactique. Peu de référence sont faites
à l'internaute qui garde donc une certaine distance à
l'égard du web documentaire. D'où cette impression que ce web doc
est calqué sur le modèle du livre scolaire. Par ailleurs, dans le
contexte énonciatif : mettre en avant le fait que l'on puisse ou pas
mettre en plein écran.
- Berlin 1989 : un des rares documentaires
où la vidéo d'introduction est imposée à
l'internaute bien qu'on puisse la passer au bout de quelques secondes. Il n'y a
par ailleurs aucune injonction à entrer, découvrir etc. La
relation entre l'internaute et le web documentaire est ici neutre. Position
didactique de l'auteur qui présente un contenu. Paradoxalement, c'est
sur cette absence -pesante- que se joue la liberté de l'internaute.
Moins l'auteur se manifeste, moins l'internaute a l'impression d'être
libre puisque les embrayeurs de cette liberté de parcours sont absents.
La seule liberté de l'internaute : choix aléatoire des
vidéos et des dates.
- Paris les halles : présence faible de
l'auteur dans le fait qu'il y ait une structuration en chapitre. Mis à
part cela, l'internaute est libre de déambuler dans cet espace :
liberté de l'exposition. Importance toutefois de la légende sur
les objets cliquables pour informer le lecteur : intervention toutefois donc de
l'auteur.
Type 2 : La présence de l'auteur se manifeste
à travers le dispositif par le biais de la voix :
référence aux documentaires classiques. Intervention de
spécialistes que l'on distingue des témoins. Idée que
l'histoire est racontée par un spécialiste : position du
professeur.
- TianAnmen : présence affirmée de
l'auteur : d'une part par sa voix et le fait qu'il parle à la
première personne. D'autre part, par la présence d'un contenu
personnifié. Et enfin par la structure même du web documentaire :
on sent qu'il nous prend par la main. Dès la fin de l'introduction, la
vidéo du premier chapitre se lance automatiquement. Ainsi, la marche de
manoeuvre est très limitée pour l'internaute. D'autant plus que
c'est également le cas après la seconde vidéo.
- François Duprat : affirmation de la
présence de l'auteur notamment à travers la voix off du
journaliste et à travers la structuration de l'espace clos. Il y a un
véritable guide. Seule liberté accordée : celle
d'approfondir ou pas en dehors du cadre, ce sont des documents
complémentaires pour approfondir le sujet.
- La nuit oubliée : la trace de
l'énonciation éditoriale est très visible. D'une part, la
structure propose un balisage marqué. D'autre part, le discours direct,
les injonctions, les conseils faits à l'internaute. Il y a des
transitions BD faites pour s'adresser à l'internaute. Il s'agit d'un des
web doc où la présence de l'auteur à travers le dispositif
est la plus manifeste.
Type 3 : Tissu d'indices qui structure le parcours de
l'internaute : le web documentaire est balisé (il n'y a pas seulement un
élément qui balise la lecture)
- Adieu Camarades : discours neutre
malgré les injonctions faites à l'internaute qui sont normales
pour un web doc. C'est surtout la hiérarchisation du contenu qui joue le
rôle de guide du webdoc ainsi que l'ergonomie du site (verticale). On
peut souligner l'importance de l'esthétique : jeu sur l'image qui peut
impacter le parcours de lecture. L'internaute peut se diriger vers les cartes
postales dont l'esthétique l'attrait.
- Les combattants de l'ombre : certaine
interactivité avec l'internaute
notamment par les traces de lecture. La présence d'un
auteur symbolique, d'un guide permet à l'internaute de se projeter au
sein du web doc. De plus incarnation de cette figure de l'auteur par la voix de
l'introduction. Les flèches sont également des signes de cette
présence, elles jouent le rôle d'injonction.
- Algérie, la dernières des appelés
: système est relativement simple : l'auteur se manifeste
à travers l'organisation du contenu : la frise chronologique, les
différentes flèches pour lancer ou faire apparaître le
contenu. Ce sont autant d'appels à la lecture qui incarnent cette
présence de l'auteur.
- 17.10.61 : La question de l'auteur est dans ce
cas, plus complexe. En effet, il s'agit d'un web-documentaire historique qui
accorde une certaine place à la fiction. Par ailleurs, il y a des
vidéos de témoignages d'historiens. Il y a ainsi deux figures de
l'auteur qui se côtoient : l'un à travers la fiction (récit
des personnages qui font toutefois référence à des
individus ayant vécu cet événement), l'autre à
travers le regard objectif du spécialiste. Mais ces figures de l'auteur
ne guident pas l'internaute dans sa lecture. Ce sont les indices du dispositif
qui incarnent ce rôle. De par l'ergonomie et l'esthétique du site,
l'internaute sait où il peut et doit cliquer. Par ailleurs,
l'organisation selon un axe horizontal épouse l'habitus de lecture de
l'internaute contemporain (de droite à gauche). Bien que cet habitus
soit amené à évoluer notamment du fait du média
internet qui institutionnalise un nouveau type de lecture.
d- Type de narration. Les web
documentaires historiques proposent des types de narration distincts. Ces
différences peuvent jouer un rôle important sur le parcours de
lecture et sur l'intellectuation des informations présentées dans
le webdoc et notamment sur la posture de l'internaute.
Type 1: narration directive : linéarité avec
un seul parcours de lecture possible (un point de départ et un point
d'arrivée avec un seul parcours de lecture possible) Idée que
l'internaute est dans un sillage tracé par l'auteur et qu'il ne peut
sortir du chemin:
- TianAnmen : absence de choix de parcours de
lecture (si ce n'est le choix de thèmes) Départ et arrivée
bien visible et compréhensible. Très peu de liberté pour
l'internaute.
Type2 : narration aléatoire : absence d'une trame
narrative (absence de véritable point de départ sachant que le
point d'arrivée est la fin de la période. Ce genre de web
documentaire ne place pas la notion de parcours au sein de sa démarche)
Idée que l'internaute erre à travers le web documentaire
- Berlin 1989 : il semble complexe de
schématiser le parcours de lecture type de ce web documentaire. Toute la
lecture se fonde sur des variables aléatoires. En cela, il y a une
grande liberté pour l'internaute de choisir tel ou tel portrait puisque
ces témoignages sont entrainés dans un perpétuel
mouvement. Cette mobilité donne une impression d'absence de
hiérarchie entre les vidéos. La seule hiérarchie est
temporelle et ne concerne que les documents d'archive.
Néanmoins l'absence d'un véritable réseau de contenus ne
permet pas une plongée véritable dans le web doc et donc rend
impossible une exploration par l'internaute. Il n'y a pas de parcours de
lectures possibles si ce n'est un parcours aléatoire. On est plus sur le
modèle de l'errance : on traine sur le web doc.
- Les halls de paris : système de
chapitre et de sous chapitres (les objets) dont la structure ne change pas.
Néanmoins on se situe dans un système aléatoire où
le regard peut se diriger vers n'importe quel objet et ainsi la lecture n'a pas
de véritable point de départ.
- Algérie, la dernière des appelés
: la narration est très linéaire avec un départ
et un point d'arrivée (début et fin de la guerre). L'internaute
ne se voit pas proposé différents parcours au contraire : il n'y
en a qu'un : suivre la frise chronologique et à chaque
témoignage, regarder ou pas la contextualisation historique.
Type 3 : narration incitative linéaire (ou
semi-directive) (point d'arrivée et point de départ avec des
parcours de lecture différents mais les repères et balises
incitent à un parcours de lecture standard).
- Indépendance Chacha : une structure
à la fois linéaire et tabulaire. Il y a un double mouvement qui
commande la narration : horizontal et vertical. Ce double mouvement est
lié à la représentation du temps. Le temps long est
matérialisé par la frise chronologique : lecture horizontale.
L'internaute se repère à travers cet axe dans le temps long qui
est celui du web documentaire en question (en tout cas c'est le temps
principal). Par ailleurs, il existe un temps court ou temps
détemporalisé : celui de la date en question. On change de
dimension temporelle et de représentation dans le web documentaire. En
effet, quand l'internaute clique sur une date, une série de documents
s'affichent à la verticale et la lecture se fait de manière
séparée. (La déconstruction est sémiotisée
par les couleurs et la structure)La nature des contenus médiatiques
incitent à des re-lectures des autres documents pour comprendre et
créer des liens entre ces documents.
L'internaute ne se voit pas proposé des parcours de
lecture différents. La seule liberté qu'il a = double : d'une
part il peut cliquer sur n'importe quelle date sur la frise, d'autre part il
peut éviter de lire certains documents. Cependant il y a une logique
temporelle et didactique qui le contrait à lire les doc et suivre a
frise pour comprendre. On peut parler de liberté de parcours de lecture
à partir du moment où les choix de l'internaute n'entrave pas le
procès de compréhension et d'assimilation du contenu du web
doc
- François Duprat : structure incitative
dans le sens où l'organisation des contenus stimule un certain ordre des
lecture (cube : symétrie des faces, l'organisation verticale avec une
sorte de fil rouge : celui de la vie de l'individu, les documents en bas en
complément) La logique est très simple : l'internaute n'est pas
perdu.
Type 4 : Narration incitative tabulaire (structure
tabulaire qui incite à aller de chapitre en sous-chapitres. Faible
diversité des parcours de lecture)
- Adieu Camarade : si on détermine le
schéma d'un parcours type au sein de web documentaire, il est facile de
remarquer que sa structure propose un type de narration hybride. On constate
tout d'abord que seuls les cartes postales sont des points de départ au
parcours de lecture. Et deuxièmement que toute carte postale mène
à une ou plusieurs autres cartes postales et ainsi de suite. Il y a
certes une structure indéterministe puisqu'il y a toujours un point de
départ. Toutefois, les parcours sont déterminés et
l'internaute a peu d'opportunités d'accéder aux contenus d'une
manière différente. Les parcours sont limités. On peut
établir une différence en ce sens avec le web doc Les
Charbons. Et puis il n'y a pas de véritable fin comme dans le web
doc des Charbons
- Guerre d'Algérie : 50 ans après
: le type de narration est matérialisé par la structure
même du web documentaire. Ce dernier présente un affichage
particulier : chaque chapitre est un encadré avec un titre et une
icône indiquant la nature du document. Les chapitres ne peuvent
être lus de manière linéaire. Il s'agit du web documentaire
qui matérialise le plus cette tabularité. Néanmoins, l'on
revient à la linéarité au sein mm des vidéos (qui
sont les chapitres) puisque plusieurs témoins et un historien
interviennent pour chaque chapitre. On se trouve ici face au modèle du
livre (et non du manuel scolaire).
- 17.10.61 : La structure de ce web-documentaire
accorde peu de liberté aux internautes. Ces derniers sont soumis
à une lecture tabulaire. Chaque récit, chaque portrait
représente en quelques sortes un chapitre qui se déroule ensuite
sur une ligne horizontal, de gauche à droite. On peut rapprocher ce
web-documentaire du modèle du livre.
Type 5 : structure indéterministe (on va toujours
d'un point de départ vers un point d'arrivée mais les parcours
innombrables sont laissés au choix de l'internaute) Mélange entre
tabularité et linéarité.
- Les combattants de l'ombre : ce doc mêle
également structure linéaire et structure tabulaire
(matérialisé à travers l'enchainement de vidéos et
la carte des témoignages). Contrairement à Indépendance
Chacha, il n'y aucune indication temporelle (absence de frise chronologique),
mais il y a une logique thématique et géographique (multiples
portes d'entrée aux contenus
- La nuit oubliée : le web documentaire
est très bien balisé : l'accès au contenu peut se faire
soit de manière tabulaire soit en poursuivant une lecture de type
linéaire C'est le cas notamment avec les vidéos : le narrateur
« recommande » de lire la vidéo proposée. L'internaute
est plongée dans une certaine continuité. Le parcours
étant bien balisé, cela permet à l'internaute
d'échapper à ce parcours standard et de s'aventurer au sein du
web documentaire sans s'y perdre. En cela, les parcours sont
démultipliés car chaque internaute peut aller directement
consulter ce qu'il pense être intéressant. On peut dès lors
souligner ce paradoxe : mieux le parcours est balisé, plus la
liberté de l'internaute semble étendue. Par ailleurs,
l'accès au contenu est aussi possible à partir de la carte de
paris.
Annexe 25 : l'étude de cas des fresques de
l'Ina
http://www.ina.fr/dossier/fresques
Notre démarche consiste en l'analyse d'une production
médiatique qui s'apparente à ce que l'on appelle les
web-documentaires historiques mais qui pourtant s'en distingue. Le cas de l'Ina
est essentiel dans notre travail de mémoire à plusieurs titres.
D'une part, la nature de son contenu et sa fonction en font un acteur
incontournable dans la production et diffusion des web-documentaires. D'autre
part, la proposition au coeur de son site de « fresques hypermédia
» au sein d'une rubrique qui contient également les
web-documentaires soulève quelques interrogations à propos de la
spécificité de l'un et de l'autre.
« Des grandes fresques historiques, interactives et
thématiques pour comprendre
et revivre en image l'histoire de notre temps. »
Telle est donc la promesse à laquelle d'emblée,
l'internaute se confronte lorsqu'il décide d'ouvrir l'onglet «
fresques multimédia ».
L'objectif de notre étude de cas sera d'identifier les
différentes caractéristiques de cette proposition
éditoriale de l'Ina. Cette étude sera menée par le biais
d'une analyse de deux fresques multimédia : l'une concernant l'histoire
du festival de Cannes, l'autre ayant trait aux différents discours de De
Gaulle. Néanmoins, avant de débuter l'analyse de ces deux
exemples, il semble intéressant de constater que ces fresques sont
produites essentiellement par l'ina contrairement aux web-documentaires
visibles sur le site qui sont seulement co-produits ou diffusés par
l'ina.
Lorsque l'on décide de visionner ces fresques, une page
différente s'ouvre. L'internaute est mené vers un espace
différent. Chaque fresque est donc considérée comme un
véritable site. Ce constat se confirme lorsque l'internaute est
confronté à la page d'accueil de cette fresque qualifiée
désormais d'interactive. Cette page d'accueil revêt la forme
canonique d'une page internet classique. L'internaute retrouve les
éléments majeurs tels que l'adresse url classique, le logo, les
onglets principaux, la barre de recherche, la possibilité de partager et
le découpage en rubriques distinctes du reste de la page d'accueil. De
ce fait, la forme ne peut en aucun cas surprendre l'internaute. D'autant plus
que les repères graphiques - les dégradés de couleur, le
quadrillage de la page, l'insertion
de différents logos - corroborent ces impressions. D'un
point de vue éditorial, cette fresque interactive fait également
écho aux repères de l'internaute puisque l'on peut observer la
redondance entre la promesse des onglets et le contenu du coeur de la page
d'accueil. Cette redondance, propre à la plupart des sites internet,
permet de démultiplier les points de contact entre l'internaute et une
rubrique.
Les pages sur le festival de Cannes et sur les discours du
général De Gaulle proposent
chacune quatre grandes rubriques :
- le media du jour
- la fresque chronologique
- la médiathèque
- les parcours médiatiques
En réalité ces quatre rubriques ne
présentent pas de réelle différence quant au contenu mais
sont davantage autant de manières d'accéder à un
même contenu : une vidéo. A travers ces quatre modes
d'accès, seule la contextualisation présente une
particularité. Le site offre deux types de contextualisation :
temporelle et thématique. Tels sont les points de
contact majeurs de ce site complétés par des sous-rubriques
assignés au seul rôle de dupliquer ces points de contact premiers.
Il ne faut cependant pas négliger ou omettre l'existence d'un dernier
point de contact résidant en la possibilité de mener une
recherche au sein du site par le biais de la barre de recherche.
A ces trois points de contact se surimposent
deux modes de lecture distincts : la médiathèque et le
parcours. La distinction entre ces deux modes de lecture repose
essentiellement sur deux conceptions du savoir et de l'accès au savoir.
D'une part, un savoir encyclopédique tabulaire sur le modèle de
l'encyclopédie. Le mode de lecture « médiathèque
» repose sur ce modèle qui fait écho à une conception
scolaire du savoir ainsi qu'aux différents moyens d'accéder
à ce savoir tels que le livre, l'encyclopédie ou le dictionnaire.
D'autre part, existe un mode d'accès au savoir qui prend
réellement l'internaute par la main. La constitution de dossiers selon
les différentes époques du festival de Cannes recoupe une
conception commune et profondément ancrée de l'histoire qui en
fait une succession de périodes. Cette fragmentation chronologique
permet de conférer une cohérence entre les différents
contenus du site que le découpage thématique n'est pas en mesure
d'apporter.
Il est alors intéressant d'analyser ces deux modes de
contextualisation d'un contenu à caractère historique. Ces
fresques sont un agglomérat d'images et vidéos d'archives
contextualisées dans le but de proposer une lecture cohérente
d'un événement ou d'un sujet historique à l'internaute.
Cette cohérence résultant d'un acte énonciatif
précis - dont nous allons parlé - permet d'établir des
liens entre ce format et celui du web documentaire. Ces liens tissés
avec le web documentaire vont nous permettre d'établir des
différences fondamentales afin de saisir l'essence même du web
documentaire. Bien que l'ina ne revendique pas le terme de documentaire, la
promesse éditoriale d'une fresque multimédia et interactive
inscrit en partie ce format dans la démarche du web documentaire.
Analyse de la
médiathèque
La médiathèque est l'un des deux onglets principaux
de la page des fresques. L'accès à cette rubrique est possible
selon deux parcours : soit à partir de l'onglet situé en haut de
la page d'accueil soit directement à partir de la page d'accueil.
L'intérêt d'entrer dans la médiatique par le biais de
l'onglet réside dans la mise en visibilité de
l'arborescence de cette rubrique. Lorsque l'internaute clique sur
l'onglet pour accéder à la médiathèque, un sous
onglet « thème » lui propose une démultiplication des
entrées possibles tout en lui laissant le choix d'entrer dans la
médiathèque sans choisir nécessairement un thème
particulier. La comparaison entre la page sur le festival de Cannes et celle
sur les discours du général De Gaulle nous amène à
souligner quelques différences qui témoignent de la relative
souplesse des fresques multimédia. La médiathèque des
discours de l'homme politique français propose trois entrées
distinctes, soit deux de plus que celle du festival de Cannes : thèmes,
lieux, types de parole. Ce supplément d'entrées possibles dans la
médiathèque impacte la perception que le lecteur se fait de la
médiathèque de chacune des pages. Celle concernant le
général De Gaulle propose une arborescence plus importante que
celle du festival de Cannes. Une telle sensation peut générer une
sensation de profondeur moindre de la page sur le festival. Or cette sensation
est erronée car la médiathèque des discours du
général contient 202 médias alors que celle du festival en
propose 348. Néanmoins il est signifiant d'établir ce rapport
entre la richesse du contenu et les outils d'accès et d'appropriation du
contenu. Plus les entrées à un même contenu sont
démultipliées plus l'impression de profondeur du réseau
d'archive sera grande. D'autant plus que les outils de recherche sont
sur-sémiotisés. Les différents onglets et leur
arborescence, la barre de recherche, les différents logos : carte,
fresque,
liste, thème qui permettent de trier les contenus.
A cette première phase de segmentation du contenu se
superpose d'autres outils tels que la possibilité de trier par date
lorsque l'on est dans la liste des vidéos ou bien celle d'affiner
davantage sa recherche. Chacun de ces outils est sémiotisé par
une image et un mot. Ici, es images ont moins une fonction
épistémique que symbolique et esthétique puisqu'elles
n'apportent aucune information supplémentaire par rapport au texte.
Ces images remplissent toutefois une fonction phatique essentielle dans
le rapport qui se tisse entre le texte et l'internaute. L'image est
dans ce cas à la fois un point de contact, une matérialisation et
un soutien à la promesse. Prenons l'exemple de la loupe associée
à la fonction « affiner ». Cette loupe joue un rôle dans
l'inconscient de l'internaute qui voit à travers cet objet une
possibilité d'atteindre ou d'envisager l'infiniment petit. Or lorsque
l'internaute clique sur cet onglet, il n'est qu'en partie surpris de
l'étendu des possibilités d'affiner sa recherche qui lui sont
proposées. Dans le cas de la page sur les discours de De Gaulle,
l'internaute peut affiner en fonction des conditions de tournage ou même
de la présence du public. La promesse sur-sémiotisée sur
la page de la médiathèque est tenue.
Cette promesse éditoriale engendre trois
conséquences par rapport à notre étude sur le web
documentaire historique. D'une part, elle renforce l'idée d'une
écriture en strates des réseaux et celle de profondeur.
Une telle vision des réseaux permet d'envisager une approche
multimédia associée au format web documentaire. En cela, le web
documentaire et la fresque interactive trouvent un point commun. La seconde
conséquence réside en cette volonté de démultiplier
les entrées au contenu. Dans le cas des fresques interactives, cette
volonté atteint une sorte d'apogée. Cependant elle
caractérise également la démarche du web
documentaire. Les discours des professionnels à propos du web
documentaire sont imprégnés de l'idée que l'internaute
peut choisir d'entrer par tel ou tel contenu et telle ou telle rubrique. C'est
sur celle-ci d'ailleurs, que semble se fonder l'interactivité de ces
formats. Nous auront l'occasion, plus en avant, de revenir sur cette question.
Enfin, cette fresque hypermédia reflète à travers cette
« médiathèque » la matérialité du
contenu. Les analogies avec des lieux réels et
naturalisés ne sont ni anodines ni arbitraires. Le terme «
médiathèque » revêt un double sens. Ce terme renvoie
d'abord à la définition même de ce qu'est une
médiathèque à savoir un lieu où sont
entreposés des documents de nature diverse que l'on peut consulter. Par
ailleurs, une médiathèque est également un lieu que l'on
traverse et que l'on parcourt. Ce terme évoque une double dimension :
pratique ou fonctionnelle et imaginaire. Ce jeu qui s'instaure ici
entre le monde supposé virtuel d'internet et le monde réel trouve
écho dans le web documentaire qui mobilise des repères et des
imaginaires semblables. L'internaute est appelé à
plonger, traverser, s'immerger dans l'histoire et notamment dans le temps et
les lieux. La contextualisation des archives historiques qui est en jeu dans
ces fresques de l'Ina, se fait en partie par le biais des cartes et des frises
chronologiques. Cet enjeu se retrouve également dans le web
documentaire.
Analyse des parcours
La notion même de parcours utilisé sur ce site
constitue un lien avec la démarche du web documentaire.
Démultiplier les entrées au contenu, c'est
également démultiplier les parcours de lecture. En cela,
ces différents parcours proposés recoupent l'initiative de la
médiathèque puisque ce sont tous deux des onglets
thématiques. Il s'agit d'un « parcours thématique » et
d'une médiathèque qui regroupe « tous les thèmes
». Dès la page d'accueil ce rapport est construit. Dans le cas des
deux pages étudiées, l'onglet
« parcours » ne propose aucune arborescence et lorsque
l'internaute ouvre cet onglet, il est dirigé vers une page dont
l'organisation fait écho à la rubrique « parcours » de
la page d'accueil. Deux différences existent entre ces deux modes
d'accès à la même rubrique. D'une part, une extension du
contenu et d'autre part une présence exclusive de cette rubrique sur la
page internet. Qu'il s'agisse de la page sur le festival de Cannes ou celle sur
les discours du général De Gaulle, les parcours
proposés reposent sur une sélection certes thématique mais
surtout temporelle. L'internaute peut accéder aux
différentes époques du festival de Cannes. Il y a huit
époques distinctes d'une dizaine d'années. Ces époques
sont toutefois associées à des grands moments du festival qui
marquent ces époques et en font des périodes
singulières. La dimension temporelle des parcours des différents
discours du général De Gaulle est moins évidente. Chaque
parcours invite l'internaute à plonger au coeur d'épisodes brefs
ou de relations avec d'autres états tels que les Etats-Unis ou les
états africains. La dimension spatiale des parcours et de l'histoire est
donc davantage suggérée dans cette page.
En cette double dimension, nous pouvons d'ors et
déjà y déceler un rapport avec le web documentaire
historique. Ce n'est pas tant le fait que cette double dimension soit
présente qui nous paraît essentiel. Les sujets traités
étant historique, l'espace et le temps en sont l'essence même. Il
s'agit ici de mettre en exergue l'importance accordée aux outils
de spatialisation et de représentation de la
temporalité. La frise chronologique et la carte se sont
changées en outil de l'interactivité. A leurs fonctions de
représentation et de schématisation - que l'on peut qualifier de
scolaires - s'ajoute une double fonction. D'une part une fonction phatique
puisque la frise et la carte sont pensées pour stimuler une sensation de
plonger de l'internaute à travers le contenu. Cet imaginaire
génère un contact que recherche le web documentaire et les
fresques thématiques. D'autre part, ces outils de la
représentation assurent une fonction technique. Les frises et les cartes
sont désormais des supports des différents contenus. Ils sont des
portes d'accès à ces contenus. Dans certains cas, les fonctions
de représentation et schématisation s'effacent et ces outils
perdent leur intérêt premier. La carte proposée pour les
discours du général De Gaulle illustrent cet effacement de la
fonction première bien qu'il y a une dimension représentative
dans ce cas.
La différence entre la médiathèque et le
parcours réside principalement dans la contextualisation des contenus
proposées. La médiathèque propose des contenus sans
réelle contextualisation historique puisqu'elle met en exergue la
sélection thématique et sa promesse de trouver le contenu
précis que l'on cherche sans visionner toute l'histoire. Les
parcours proposent une certaine cohérence historique. Cet onglet propose
une contextualisation historique absente de la médiathèque
- excepté lorsque l'on lance la vidéo. Au lien
thématique entre les vidéos, s'ajoute un lien chronologique. Ces
deux liens forment un ensemble de vidéos qui revendiquent une certaine
singularité. Chaque parcours est une entité
légitime pour raconter un épisode de l'histoire. Le cas
des parcours de la page sur les discours de De Gaulle est extrêmement
intéressant. Tout d'abord, il semble essentiel de constater que de la
temporalité est réinjectée dans ces parcours. Elle rythme
tout parcours en proposant des chapitres chronologiques. Cette démarche
est similaire à une démarche de rédaction scolaire.
Néanmoins elle stimule une
logique interne qui est signifiante. La différence majeure
repose toutefois sur un nouveau rapport de force entre les médias qui
jalonnent ce parcours. Alors que les graphes, les cartes, les images et les
vidéos prédominent au coeur de l'espace de la
médiathèque, le texte retrouve une place essentielle dans
le dispositif du parcours. Il semble être le seul média
légitime à la contextualisation historique tant son omnipotence
est forte au coeur de ce dispositif. Le texte participe ici à
une triple contextualisation : périodique, épisodique et
médiatique. Cette dernière nous semble particulièrement
évidente. Au coeur de chaque parcours, toutes les vidéos des
discours sont accompagnées d'un texte résumant le contenu de ce
discours. Par ailleurs, l'internaute a l'opportunité d'agir sur la
vidéo et sa temporalité par le texte. Cette possibilité
est accordée par le biais du dispositif de transcription du discours.
L'internaute peut cliquer sur le texte du discours pour naviguer au sein de la
vidéo. La présence du texte est sur sémiotisée et
ce dernier a une emprise telle sur le parcours que la vidéo est
reléguée à un rôle secondaire voire inutile. Un
internaute peut traverser cette époque, suivre ce parcours sans jamais
ressentir le besoin de lire la vidéo pour être instruit de ces
évènements alors même qu'il s'agit de l'essence même
de cette fresque interactive dont le sujet est les discours du
général.
Du point de vue de la promesse éditoriale, ces parcours
sont signifiés comme de multiples dossiers que l'on ouvre. Ce choix
graphique mobilise des imaginaires particuliers et notamment celui des dossiers
d'archive dans lesquels on retrouve des choses inédites ou
inespérées. Par ailleurs, chaque dossier constitue une
entité et contrairement au web documentaire, l'auteur de cette fresque
ne cherche pas à créer des passerelles entre ces
parcours. Seul le sujet historique de la fresque revêt cette
fonction de lien. Un tel type d'organisation des contenus atténue la
sensation de profondeur revendiquée dans les web documentaires. Il n'y a
pas de réel parcours entre dossiers.
Cette impression trouve écho également au sein
même des parcours. Les choix éditoriaux ne génèrent
pas cet imaginaire de la profondeur. Le parcours s'organise en plusieurs pages
dont une d'introduction avec la possibilité de défiler de
manière verticale. Chaque contenu, texte ou vidéo et texte, est
encadré car surimposé sur un fond de couleur différent de
celui de la page. Cette séparation des contenus
contribue à réduire la dimension de parcours car ces
encadrés sont autant d'obstacle à la fluidité et au liant
de cette fresque. Au bas de chaque page, sur fond vert, deux boutons passeur,
l'un à droite l'autre à gauche, nous indiquent respectivement
« suivant » et « précédent ». Ces deux liens
passeur participent d'un autre imaginaire qu'est celui du livre.
« Tourner la page », en avant ou en arrière, est le
véritable sens de ces boutons. Or nous sommes confrontés
à un contenu historique sur un site institutionnel. Il est
dés lors compliqué d'éviter de tisser un lien avec le
manuel scolaire. Un tel imaginaire éloigne la fresque
multimédia du format web documentaire. Deux éléments
corroborent ce constat. Tout d'abord les boutons verts dont « voir
le média » suppriment toute dimension intuitive dans le parcours de
cette fresque. Toute action sur le site est explicitée par des signes
dénués d'ambiguité. Cette manière
explicite d'envisager la navigation à travers la fresque laisse peu
place à l'initiative, au doute, à une réflexion sur le
support même du savoir présenté. D'autant plus la
visibilité de ces boutons - verts sur fond blanc - contribue davantage
à imposer une action à l'internaute qu'à lui proposer un
choix de parcours. La fresque se donne davantage à voir comme un manuel
scolaire qu'un récit dans lequel l'internaute pourrait s'immerger. Un
second élément contribue à cette forme éditoriale :
le graphisme. La simplicité du graphisme de cette fresque est un choix
éditorial qui témoigne d'une volonté de préserver
l'internaute de toute fioriture graphique. Au delà de la nature du
contenu de cette fresque, le graphisme participe de cette objectivité
historique. La sobriété graphique, la place importante
accordée au texte, la nature du propos que nous traiterons, sont autant
d'éléments qui soulignent cette volonté
d'objectivité.
Nous ne pouvons pas prolonger la réflexion au point
d'affirmer une absence de point de vue d'auteur. Toute création propose
un point de vue. Néanmoins, à travers ces fresques
multimédias, c'est une institution, en l'occurrence l'ina, qui s'adresse
aux internautes. Or cette institution prône une certaine
objectivité. Cette objectivité est prégnante
également à travers la lecture des contenus.
Analyse des contenus
Tel que nous l'avons souligné précédemment,
ces parcours accordent une place au texte écrit qui a
le mérite d'ouvrir une réflexion sur le rôle de celui-ci.
Alors que certains auteurs voient en un internet un danger pour le texte, ces
parcours interactifs le placent au coeur de son dispositif en faisant un
contenu central et prédominant. Cela est d'autant plus
surprenant que l'Ina mène une politique de rajeunissement de son
audience. Mais ce n'est guère ce constat qui nous importe dans cette
analyse. Il s'agit davantage d'interroger la fonction du texte dans le
processus de transmission du savoir. Car l'ensemble des fresques
interactives crées et diffusées par l'ina proposent des contenus
divers sur des sujets différents qui constituent un savoir historique.
Auparavant, nous avons parlé d'une organisation d'un savoir
encyclopédique. La prédominance du texte corrobore ce constat.
L'évolution anthropologique et historique des
médias et de leur utilisation a généré des
imaginaires et des représentations que l'on ne peut ignorer. Les
paragraphes que l'on retrouve dans les différents parcours de ces
fresques convoquent des références moins liées aux
nouveaux médias qu'à l'encyclopédie, le dictionnaire ou le
manuel scolaire. Ces derniers sont les gardiens ou représentants de ce
que l'on peut nommer le savoir classique ou académique. Ces
médias impliquent un modèle de transmission de savoir qui leur
est propre car chacun d'entre eux convoquent une activité cognitive
particulière. C'est dans cette logique que s'inscrivent deux constats.
D'une part, l'énonciateur est l'institut national de l'audiovisuel, soit
une institution nationale censée préserver et diffuser un
patrimoine. Par conséquent le devoir de réserve et
d'objectivité limite les possibilités énonciatives au
même titre que les représentations de ce que doit être la
transmission du savoir impactent ce projet. De ce premier constat
découle le second, à savoir une énonciation
dépourvue d'un point de vue d'auteur. Le seul auteur de cette fresque et
de ces parcours, est celui ou celle à qui est donnée la parole
dans les interviews, les discours, les allocutions etc. Dans le cas de la
fresque sur le général De Gaulle, ce dernier représente la
seule source énonciative car l'auteur de ces parcours s'efface
derrière un discours objectif imposé par le statut et la fonction
du site. L'auteur est une sorte de guide qui se garde de tout commentaire. Il
incarne la position du professeur ayant un devoir de réserve racontant
l'histoire d'un seul homme, en l'occurrence celle du premier président
de la cinquième République.
Dans le cas de la fresque sur le festival de Cannes, la
polyphonie énonciative ne contredit toutefois pas l'assertion
précédente. Cette polyphonie nous amène cependant à
s'interroger sur une différence fondamentale entre le web documentaire
et ces fresques interactives. Ces dernières ne proposent aucun contenu
« actuel » si ce n'est le texte. Chacune des vidéos ou bandes
sonores sont des archives. La seule actualisation de leur existence
réside dans le texte dont on a souligné son objectivité.
Ces fresques donnent à voir des archives alors que les web
documentaires donnent à les interpréter. Deux raisons
fondamentales expliquent cette distinction. D'une part, les fresques proposent
des contenus sans une contextualisation dans le présent. Le texte permet
de recréer le contexte de l'époque afin de comprendre ces
différents contenus mais à aucun moment n'est tissé un
lien avec le présent si ce n'est celui de la continuité
historique dans laquelle nous nous inscrivons. La présence de ces
archives est une présence en soi. Elles n'existent que par
elle-même et pour elle-même. Preuve en est faite puisque
l'internaute pourrait parfaitement se passer des vidéos ou bandes
sonores tant le texte apporte d'information. Les choix graphiques et
ergonomiques accentuent cette réalité puisque
lorsque l'internaute clique sur « voir le média
», une fenêtre réduite s'ouvre en s'avançant vers
l'internaute comme si la vidéo se détachait du support premier.
Elle s'autonomise par rapport aux autres vidéos. Il n'y a aucun regard
du présent posé sur ce passé. La seconde raison
réside en cette absence même de point de vue d'auteur dans la
création des fresques. L'objectivité assumée de ces
fresques les détache quelque peu du contexte d'énonciation bien
qu'elles fournissent un contenu qui nourrit une réflexion sur les enjeux
présents.
Cette étude de cas aura eu donc le mérite de
s'intéresser à des productions médiatiques
différentes de celles du type web-documentaire. L'analyse nous a permis
de constater des similitudes entre les fresques de l'Ina et les
web-documentaires historiques ainsi que d'observer les différences qui
existent également. Une telle démarche peut nous amener à
mettre en évidence les caractéristiques propres aux
web-documentaires historiques.
Annexe 26 : La page facebook d'Adieu Camarades
Annexe 27 : La page facebook des Combattants de
l'ombre
Annexe 28 : extrait de L'outre lecture
L'outre lecture
Manipuler, (s')approprier, interpréter le web
(page 170)
Dans le cas du Web, la contrainte de l'offre ne relève
en rien d'une convention formée dans un temps aussi long et la nature de
l'offre ne constitue plus un corpus organisé. L'action de l'utilisateur
devient ici non pas possible mais indispensable : c'est par son activité
de navigation qu'émerge un univers de connaissances qui n'avaient sans
doute jamais été reliées de cette façon avant lui.
Le guidage vers un but est impossible sur le Web car il faudrait que le Web ait
été constitué en fonction de ces buts supposés et
qu'il y ait eu une diffusion suffisante de conventions nécessaires pour
faire partager ces buts et les moyens de les atteindre. On ne peut offrir de
guidage qu'à la condition que, quelque part, quelqu'un ait pu penser la
façon de s'orienter. Le Web n'est pas structuré en fonction d'un
classification a priori des informations (ex : des disciplines), d'un
répertoire d'auteurs, d'un rangement physique, de médiateurs
permettant d'ordonner le monde, même si les annuaires tentent de le
faire, de notices prescrivant des lectures, etc. Dès lors, on peut dire
que l'appropriation devient très hypothétique voire utopique,
puisqu'on est précisément sans lieu, donc une utopie
documentaire. Une u-topie dans les deus sens du terme : « qui n'existe pas
» et « lieu idéal ». Le second sens renverrait ici
à l'activité promotionnelle des providers du Web comme
bibliothèque universelle et accessible par tous, le premier à la
réalité des pratiques.
Résumé du mémoire
Ce mémoire de recherche pose la question de la
transmission du savoir ainsi que celle de la représentation du savoir
historique à l'aune des nouveaux médias. Parmi ces nouveaux
médias, le web-documentaire historique renouvelle le genre documentaire
télévisé. Proposant une richesse illimitée de
contenu, une grande liberté à la fois pour les auteurs et les
internautes, des dispositifs interactifs et des parcours de lecture divers et
variés, le web-documentaire historique se pose comme un nouvel acteur du
paysage audiovisuel français doté de caractéristiques
propres. Ces promesses, parfois inédites, engagent l'internaute vers des
pratiques inexplorées du documentaire. Il remet notamment
l'expérience au coeur de sa démarche éditoriale. Ainsi la
figure du récepteur s'en trouve en quelque sorte modifiée voire
bouleversée. Véritable explorateur - à condition qu'il
jouisse entièrement des procédés mis à disposition
des web-documentaires "idéaux" - l'internaute s'immerge dans l'histoire
par différentes portes. L'une d'entre elles consiste à
revaloriser la parole des témoins de l'époque ou de
l'évènement.
Quelles sont les conséquences pour le double processus
d'apprentissage et de mémorisation ? Ces pratiques médiatiques
nouvelles changent elles la donne ? C'est ce dont il est question dans la
dernière partie du travail de recherche. Le web-documentaire historique
propose une organisation des contenus particulière qui peut changer la
représentation du savoir historique. Il se propose de passer outre les
dogmes et les codes. Quelque soit le sujet, la richesse narrative du genre
permet à l'internaute de se confronter à d'autres modes
d'apprentissage. L'histoire est dès lors un moyen de faire
pénétrer l'internaute dans un monde ouvert. Un tel
procédé présente toutefois des limites à la fois
techniques et sociales. En effet, cette expérience reste exclusivement
personnelle et la mémoire collective ne semble pas profiter d'une telle
opportunité offerte à l'Histoire.
Les mots clé du mémoire
Web-documentaire Nouveaux médias Multimédia
Histoire
Transmission du savoir Mémoire
Figures de l'internaute
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