b. Les économistes
La seconde vague de pensée considère que le
financement ne dépend pas du sexe, et que si les femmes sont moins
financées que leurs homologues masculins, c'est inversement parce que le
secteur et la taille de leurs entreprises, ainsi que de nombreux autres
critères qui entrent en jeu lors de la décision des institutions
financières, promettent un retour sur investissement moins rapide et un
taux de rentabilité plus faible que ceux des hommes (Loscocco en
1991).
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i. L'entreprise
D'après Gosselin et Grisé (1990), les femmes
préfèrent créer de petites entreprises, stables, afin de
concilier leur rôle d'entrepreneure et celui de mère de famille.
Les femmes accordent en effet une plus grande importance à la famille
que les hommes, et sont plus facilement prêtes à faire des
concessions dans le domaine professionnel pour assurer leurs
responsabilités familiales. Goffe and Scale, (1985, p56) insistent sur
le fait que les femmes créent majoritairement des entreprises qui
complètent le travail domestique. Elles se lancent principalement dans
la création d'entreprise du secteur des services (52% des entreprises de
femmes aux États-Unis) comme des guest house, des secrétariats,
des crèches ou encore des restaurants ; et du commerce de détail
(les 3/4 des créations touchent les secteurs du commerce et des
services). Les entreprises de ces secteurs promettent une rentabilité
moindre que celles du secteur dans lequel on trouve généralement
les hommes entrepreneurs, le secteur industriel. De plus, l'enquête
annuelle de la franchise souligne une hausse de 5 % des femmes
franchisées soit 45 % des créateurs contre seulement 28 à
30 % des femmes qui créent leur entreprise à fin 2011 (alors que
la moitié de la population est féminine). Là encore, se
franchiser est moins rentable que créer sa propre entreprise. Aussi, le
« UK Government Small Business Service » (SBS) a prouvé que
50% des femmes gèrent leur entreprise en travaillant à mi-temps,
ce qui est souvent synonyme de faible performance, d'où l'image
négative des investisseurs envers l'entrepreneuriat féminin. De
plus, comme Loscocco le souligne en 1991, les femmes rencontrent des
difficultés à faire des ventes en volume qui engendreraient du
revenu, et elles se concentrent donc sur des entreprises de plus petites
tailles. Les résultats d'une enquête réalisée en
1990 auprès de plus de 2000 propriétaires-dirigeants de PME
canadiennes, tant hommes que femmes, démontrent que les conditions de
financement des institutions financières dépendent principalement
du secteur d'activité et de la taille de l'entreprise (chiffre
d'affaires, employés, etc.), ce qui expliquerait en partie les
différences de financement au démarrage entre hommes et femmes
(Fabowale et al., 1995).
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Il a également été démontré
dans l'étude parue dans « The academy of Management Journal »,
que même si les entreprises de femmes ne connaissent pas plus
d'échec en générale, la croissance et le
développement des entreprises d'hommes est beaucoup plus rapide. Ce taux
de croissance reflète des opportunités plus nombreuses et des
marchés en expansion, les conditions susceptibles de favoriser la survie
d'une entreprise, et donc la confiance d'un banquier.
Cependant, Marleau (1995), dans une autre enquête
réalisée en 1994 auprès de plus de 3000
propriétaires-dirigeants de PME canadiennes, hommes et femmes,
démontre que dans les secteurs des services et du commerce de
détail, les femmes ont des taux d'intérêts plus
élevés que ceux accordés à leurs homologues
masculins puisque 95 % les femmes paient un taux de 0,5 % plus
élevé, et dans 61 % des cas, la différence peut varier
jusqu'à atteindre 1 %. Même si l'on comprend que le financement
diffère en fonction de la taille et du secteur d'activité des
entreprises, ces différences de taux d'intérêt restent
inexpliquées.
j. Féminité et
masculinité
Certains économistes considèrent que les
différences de performance, et donc de financement, peuvent s'expliquer
à partir des définitions même de la masculinité et
de la féminité. Ils décrivent en effet des
caractères et des attitudes très différentes entre ces
deux types d'individus, et font reposer leur théorie sur les
différences entre hommes et femmes vus plus en amont. La plupart des
économistes considèrent que le standard dans le domaine de
l'entrepreneuriat sont les hommes (Bruni, 2004 ; Collinson and Hearn, 1994,
1996), d'abord parce qu'historiquement, ce sont les hommes qui entreprennent et
qu'il y a donc des exemples de réussite et d'échec sur lesquels
se reposer chez les hommes. Les chercheurs sur l'entrepreneur depuis Schumpeter
ont considéré tacitement l'entrepreneur comme un être
à part, sans genre particulier. Cependant, les conquistadors espagnols
et les pionniers de l'ouest étaient des hommes, la création des
empires, une réelle activité entrepreneuriale avec l'ouverture de
nouveaux marchés et le démarrage de nouvelles activités
productives (Mendelssohn, 1976), était aussi réservée aux
hommes. Les premiers Européens à débarquer aux Etats-Unis
étaient des
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hommes seuls (des soldats et des commerçants) et, s'ils
étaient suivis par des femmes, celles-ci n'étaient que leurs
épouses et leurs servantes. Comme l'explique Renaud Redien-Collot,
Responsable du Programme Supérieur en Entrepreneuriat, lors d'une
conférence du colloque Femme et entrepreneuriat tenue à Advancia
le 8 mars 2006, « la figure de la femme entrepreneure est beaucoup plus
récente. Elle apparaît pendant la Révolution
française où de nombreuses femmes dirigent de petites et de
grandes entreprises, notamment les boutiquières qui demandent le droit
de vote pour les femmes ». De plus, « Jusqu'en 1968, les femmes
mariées n'ont pas le droit de gagner des droits d'auteur en leur nom.
Pour contourner la législation, plusieurs ont eu recours à des
hommes de paille. Les femmes entrepreneurs sont clandestines ».
Duchénaud et Ohran (2000), Ahl (2006) ont remarqué que beaucoup
de recherches sur l'entrepreneuriat ont été menées par des
hommes, depuis des exemples d'échantillons et d'entrepreneurs hommes et
il s'agit donc généralement d'un cadre d'analyse "masculin".
Notons toutefois que ce que nous savons sur l'entrepreneuriat découle
principalement des études classiques du XXème siècle: la
théorie du risque de Franck Knight (1921), les théories de
Schumpeter (1939), les théories de Cole (1959) et Collins et Moore
(1964). Mais même les économistes plus modernes définissent
eux l'entrepreneuriat comme une activité orientée vers la
«découverte de nouvelles terres" et réalisée par des
(hommes) "explorateurs » (Bull and Willard, 1993; Pitt, 1998).
Dans la mythologie, la signification symbolique de
l'entrepreneur est représentée par la figure de Mercure, et par
sa personnalité: rusé, pragmatique, créatif, ouvert
d'esprit et aventurier. Les hommes étant, par nature, plus proches de
cette représentation, ils ont une attitude plus encline à
l'entrepreneuriat. Selon Collins et Moore (1964) « il apparaît que
l'entrepreneur est essentiellement plus masculin que féminin, plus
héroïque que lâche". Brush (2002) soutient également
que des qualités telles que la compétition ou l'envie de pouvoir
sont des éléments nécessaires à un bon entrepreneur
pour assurer la performance de son entreprise, et qui sont de plus des
caractéristiques propres à la masculinité. Les banques se
référent effectivement à ces aspects caractériels
pour évaluer la capacité de l'entrepreneur à
générer des bénéfices, et donc pour définir
le financement qui lui sera accordé. Elles accordent donc plus
aisément leurs prêts aux hommes qui possèdent ces traits de
caractère par nature qu'aux femmes.
Il faut noter tout de même que, comme le soutiennent les
féministes libérales, d'autres qualités inhérentes
aux femmes telles que l'organisation, la sociabilité ou la
planification
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sont des éléments importants pour assurer la
performance d'une entreprise. Cependant, d'après les économistes,
ces qualités ne sont pas les caractéristiques d'un bon
entrepreneur mais plutôt d'un bon manager, car elles n'assurent pas une
différence compétitive et une forte rentabilité comme
celles des hommes citées précédemment. Lister (2003, p.71)
qualifie les hommes de rationnels, abstraits, impartiaux, indépendants,
actifs et forts, autant de caractéristiques nécessaires à
un créateur d'entreprise; les femmes sont elles décrites comme
étant émotionnelles, irrationnelles, dépendantes, passives
et tournée vers les éléments domestiques. Ce sont ces
aspects essentiels à chaque sexe qui peuvent par ailleurs expliquer que
les femmes ne représentent que 28% des entrepreneurs en France (chiffre
de 2008).
k. L'expérience
De nombreux économistes défendent que les
différences d'accès au financement s'expliquent par les
différences d'expérience entre les hommes et les femmes. Loscocco
décrit le manque d'expérience des femmes dans le monde de
l'entreprise, et donc leur difficulté à générer des
profits. Pourtant, dans l'étude du « Academy of Management Journal
», même si les hommes déclarent avoir passé plus de
temps dans leurs industries actuelles que les femmes, la même proportion
d'hommes et de femmes (22 et 23%) étaient déjà
entrepreneurs avant d'être propriétaires de leur entreprise
actuelle. Aussi, cette étude fait ressortir un fait surprenant, les
entreprises dirigées par des entrepreneurs avec une plus grande
expérience en tant que gérant ne connaissent pas plus le
succès que celle créées par des personnes peu
expérimentées. Cependant, Les hommes entrepreneurs ont
généralement été entrepreneurs un nombre de fois
plus important que les femmes (1,98 fois contre 1,24 fois pour les femmes), et
il est bien connu que pour réussir en entrepreneuriat, il faut
généralement avoir connu plusieurs échecs
préalables. Voilà où se situe la différence
d'expérience.
En plus de la difficulté d'accès au financement
bancaire, la différence d'expérience fait que les femmes ont de
plus grandes difficultés quant à l'accès à
l'épargne personnelle par
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rapport aux hommes. La création d'une entreprise
représente un certain nombre de coûts pour l'entrepreneur. Dans le
cas de l'investissement financier, Barclays Bank estimait en 1999 que le
coût moyen de la création d'une petite entreprise au Royaume-Uni
était de 17,680 livres (soit une augmentation 27% en 9 ans). En ce qui
concerne les sources de ce financement, Barclays expliquait que deux types de
financement sont principalement utilisés par les entrepreneurs,
l'épargne personnelle et les prêts bancaires. Les données
indiquent que la plupart des nouveaux créateurs de petites entreprises
font principalement appel à leurs propres ressources pour commencer
leurs entreprises, avec seulement 17% du financement provenant des prêts
bancaires. Cosh et Hughes en 2000 ont également noté une forte
utilisation des ressources personnelles, avec une baisse récente de
l'utilisation du financement externe et une préférence pour les
fonds personnels et le soutien de la famille. Notons également que les
banques prêtent plus facilement aux entrepreneurs qui partagent le risque
en investissant leurs économies personnelles.
Evans et Jovanovic (1989) et Kihlstrom et Laffont (1979) ont
montré que le choix de créer une entreprise est directement
lié au revenu et à la richesse des entrepreneurs. Blanchflower et
Oswald (1998) et Taylor (1996) ont, eux, étudié l'importance de
la situation au travail, et ont montré que les personnes ayant un emploi
sont plus susceptibles de lancer de nouvelles entreprises. Les femmes
rencontrent plus de difficultés à amasser assez de ressources
personnelles pour se voir accepter un prêt bancaire. Il est vrai que
beaucoup de femmes travaillaient à temps partiel avant la
création de leur entreprise ou à des postes sans grandes
responsabilités. L'emploi et le salaire précédent est
déterminant du niveau de capital personnel à la disposition de
l'entrepreneur, moins d'années de travail correspondant à moins
de salaire économisé. De plus, il est évident qu'une femme
n'ayant pas connu de postes à responsabilité ou n'ayant
travaillé qu'à mi-temps, aura beaucoup moins d'expérience,
et donc de crédibilité, qu'un ancien salarié (Marlow
2002). Cependant, si les femmes ont plus de difficultés à
rassembler un montant de ressources personnelles, ce n'est pas uniquement par
manque d'expérience comme le défendent certains
économistes, mais c'est avant tout à cause des
inégalités de salaire entre hommes et femmes. En
équivalent temps plein, une femme reçoit une plus faible
rémunération que les hommes (En 2011, à temps plein, les
femmes gagnent 20 % de moins que les hommes, et tous temps de travail
confondus, l'écart est de 27 %). Elles économisent donc moins
vite.
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